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borderline
Apparence comportementale
Les traits saillants de la personnalité borderline sont l’intensité et l’instabi-
lité des réactions émotionnelles, l’impulsivité des comportements agressifs
ou toxicomaniaques, l’imprécision du sentiment d’identité de soi contem-
porain d’une sensation quasi permanente de vide intérieur, d’ennui ou de
rage froide flottante. L’image de soi, l’humeur et les relations interperson-
nelles sont gravement et continûment perturbées. Il en résulte une grande
diversité de symptômes psychiatriques que dominent les défaillances du
contrôle émotionnel : le risque de suicide ou de comportement parasuici-
daire domine cette pathologie et en fait toute la gravité.
L’image de soi est imprécise, diffuse : les personnalités borderline
ignorent qui elles sont, ce qu’elles veulent et ceux qu’elles aiment. Elles
fluctuent violemment et, dans l’instant, d’une appréciation contrastée
d’elles-mêmes et d’autrui à son contraire, sans conserver la mémoire de
la précédente. Indécises sur leur propre identité, elles peuvent l’être égale-
ment sur le choix du sexe d’un partenaire. Elles ignorent quel sens donner
à leur vie, quelle activité entreprendre, quelles valeurs respecter, quel loisir
choisir.
Elles présentent parfois des phénomènes interprétatifs ou hallucinatoires
transitoires, des comportements saugrenus dont elles sont capables de criti-
quer rétrospectivement le caractère aberrant.
Elles choisissent volontiers des professions indépendantes car elles ne
supportent ni la contrainte ni l’autorité : elles sont attirées par des profes-
sions artistiques ou complexes : musique, littérature, religion, droit, santé
(Stone, 1993), mais aussi déqualifiées par rapport à leur formation.
Après une adolescence et un début d’existence convulsifs, elles connais-
sent parfois un apaisement, voire une amélioration définitive au cours de la
troisième décennie, mais retrouvent souvent leurs tourments aux alentours
de la crise du milieu de la vie, à l’occasion de ruptures affectives ou profes-
sionnelles.
La personnalité borderline 83
Conduite interpersonnelle
Les relations interpersonnelles sont toujours précaires, instables, poten-
tiellement conflictuelles. Les périodes d’intense admiration d’un person-
nage élu ou aimé alternent avec des phases de susceptibilité maladive, des
accès de colère. Elles paraissent en proie à un état passionnel permanent.
Incapables d’établir des relations émotionnelles stables et nuancées avec
leurs proches importants, elles réagissent avec dépit aux plus infimes frus-
trations. Elles s’abandonnent impulsivement à des représailles hétéro- ou
autodestructives.
La métaphore des hérissons en hiver, de Schopenhauer, décrit parfaite-
ment leurs relations avec le genre humain : transis dès qu’ils s’éloignent,
tout rapprochement leur inflige une blessure, tant leurs piquants sont
acérés. Leurs partenaires présentent des perturbations psychologiques
complémentaires. Les patients borderline expriment une demande affective
et une peur du rejet intenses. L’extrême souffrance psychique des patients
borderline est à l’origine d’une intense demande d’aide psychothérapique,
particulièrement stimulante pour les thérapeutes. La relation thérapeutique
est un véritable « suspense », riche en péripéties, menacée en permanence
par le risque d’interruption brusque. Les principales difficultés résident
pour le patient dans l’acceptation du changement externe ou interne et,
pour le thérapeute, dans la bonne distance à trouver : il doit recourir en
permanence pour lui-même à des techniques cognitives en vue de renforcer
son contrôle émotionnel.
Ils sont particulièrement sensibles à toutes les attitudes mettant en cause leur
faible estime de soi. Par ailleurs, leur tendance à l’idéalisation serait liée à un
besoin d’augmenter leur estime de soi. Le moindre indice de dévalorisation
est perçu avec une intensité extrême et annule la mémoire de l’expérience
immédiatement antérieure de revalorisation de soi.
Les comportements suicidaires ou auto-agressifs, dont la fréquence éle-
vée fait toute la gravité, correspondraient à des tentatives de réduction des
tensions émotionnelles. Elles peuvent prendre aussi l’allure de conduites
addictives avec consommations massives (« défonces ») d’alcool, de stupé-
fiants ou de nourriture sur un mode boulimique.
Style cognitif
Kernberg (1970) décrit de façon saisissante l’univers mental des patients
borderline : « Leur monde intérieur est peuplé de représentations caricaturales
des aspects bons et horribles des êtres qui ont compté pour eux… De la même
manière, leur perception d’eux-mêmes est un mélange chaotique d’images honteuses,
menaçantes ou exaltées. »
Le style cognitif des patients borderline se caractérise en effet par un traite
ment dichotomique des informations, c’est-à-dire un classement des per-
ceptions en termes mutuellement exclusifs. C’est une pensée contrastée, en
noir et blanc, subjectiviste, saturé d’émotions intenses et contradictoires :
leur abondance masque une certaine pauvreté lexicale et syntaxique.
Le style de pensée dichotomique est la résultante des distorsions cognitives
telles que l’abstraction sélective, l’inférence arbitraire, la maximisation, la
minimisation de soi et la surgénéralisation. On retrouve chez les personna-
lités borderline une espèce de pot-pourri de toutes les pensées dysfonction-
nelles ou automatiques, également présentes chez les personnalités histrio-
niques, dépendantes, paranoïdes, passives-agressives, mais la caractéristique
principale est l’assimilation prédominante à des schémas de rejet. Tous les
schémas dysfonctionnels précoces (Young et Klosko, 1995) s’y rapportent :
« Personne ne m’aime. »
« Je serai toujours seul. »
« Je ne compte pour personne. »
« Personne ne pourra jamais m’accepter. »
Toutes les inférences courtes (heuristiques) apportent de l’eau à ce moulin :
« De toute façon je serai toujours rejeté. »
« Personne ne pourra jamais m’aimer. »
« Je suis impossible à vivre, mauvais, coupable. »
Les croyances secondaires se rattachent à ce postulat de base :
« Je ne peux m’en sortir tout seul, mais qui peut m’aider ? »
« Il ne faut pas dépendre des autres, sinon on risque de se faire rejeter. »
« Je dois contrôler à tout prix mes émotions, sinon c’est la catastrophe. »
« De toute façon, je n’arriverai jamais à me contrôler. »
La personnalité borderline 85
Épidémiologie et comorbidité
Bien étudiée et à présent mieux connue du grand public, la personnalité
borderline a justifié des enquêtes épidémiologiques précises. Pour Widi-
ger et Weissmann (1991), sa prévalence dans la population générale aux
États-Unis était de 0,2 à 1,8 %. Ce pourcentage augmentait à 15 % chez les
consultants externes en psychiatrie et à 50 % chez les patients hospitalisés.
Pour Grant et coll. (2008), la prévalence sur la vie entière est de 5,9 %. Ces
auteurs observent une égale répartition du trouble chez les hommes et les
femmes. Pour Johnson et coll. (2003), la symptomatologie diffère selon le
sexe. Les femmes borderline rapportent des antécédents d’agression sexuelle
dans l’enfance, des troubles psychotraumatiques et présentent des trou-
bles des comportements alimentaires. Les hommes borderline abusent de
substances. Pour Zimmerman et Mattia (1999), les personnalités évitantes,
borderline et obsessionnelles-compulsives sont le plus souvent retrouvées
parmi des consultants externes en psychiatrie, 31 % d’entre eux souffrant
d’un trouble de la personnalité. La fréquence importante de l’homosexua-
lité parmi les sujets borderline (22 %) observée par Dulit et coll. (1993)
n’a pas été confirmée par la suite. Elle ne doit pas être confondue avec les
troubles de l’identité qui sont polyfactoriels et souvent liés à des agressions
sexuelles infantiles (Wilkinson-Ryan et Western, 2000).
86 Les personnalités pathologiques
Psychothérapie cognitive
Les approches thérapeutiques des personnalités borderline se caractérisent
par leur multiplicité et leurs difficultés. Nous ne nous étendrons pas sur
les traitements psychotropes, symptomatiques et non spécifiques (Balant
et coll., 1991), ni sur les psychothérapies d’inspiration psychanalytique,
qui ont fait l’objet de nombreuses communications à la suite des travaux
de Stone et surtout de Kernberg : cet auteur a introduit des modifications
techniques très directives passant par l’établissement d’un contrat préalable
destiné à limiter les comportements suicidaires, auto-agressifs, toxicoma-
niaques et les appels téléphoniques intempestifs (Selzer et coll., 1987).
Le déroulement des psychothérapies cognitives des personnalités limite
varie selon l’orientation théorique des auteurs.
Theodore Millon (1981) intervient de façon prioritaire sur le sens de
l’identité de soi. La technique de Young et Klosko (1995, 2005) comporte
un travail cognitif s’intéressant d’emblée aux schémas dysfonctionnels.
Young et Klosko (2005) décrivent dix-huit schémas précoces inadaptés qui
s’installent chez le sujet quand les besoins fondamentaux n’ont pas été
satisfaits. Face au schéma précoce inadapté, le sujet peut adopter trois atti-
tudes : soumission, évitement ou compensation. Concernant le trouble de
la personnalité borderline, Young retrouve quatre modes, ou regroupement
de schémas : l’enfant abandonné, l’enfant coléreux et impulsif, le parent
punitif, le protecteur détaché. La thérapeutique consiste alors à repérer,
dans la vie courante, les attitudes réactionnelles qui correspondent à ces
modes. Le sujet est invité à en prendre conscience et à les moduler. Ensuite,
Young propose des jeux de rôle qui consistent à revivre les situations infan-
tiles douloureuses qui ont servi de point de départ à ces modes. Le patient
jouera tour à tour son mode, puis celui du parent dysfonctionnel, puis celui
d’un parent sain. Marsha Linehan (2000) intègre de façon éclectique les
approches psychanalytiques, cognitives, systémiques et transactionnelles :
elle privilégie le contrôle émotionnel et l’amélioration des compétences
sociales grâce à un protocole thérapeutique minutieux qui associe systéma-
tiquement une prise en charge individuelle et un travail de groupe.
Il s’agit d’abord de démystifier et de contrôler le domaine émotionnel.
Les émotions ne sont ni stupides ni aléatoires. Elles ont une origine et un
déroulement qu’il faut mieux connaître. Le sujet est invité à les observer,
à les baliser d’images, de mots et de ressentis. Chaque émotion est ensuite
étudiée en détail. Des techniques sont proposées pour repérer et contrôler les
réactions excessives, en particulier les attitudes violentes et destructrices.
Beck et Freeman (1990) préconisent la séquence suivante :
• renforcement de la coopération thérapeutique ;
• réduction de la pensée dichotomique ;
• amélioration du contrôle émotionnel ;
• renforcement du sens de l’identité de soi ;
• abord cognitif des schémas.
90 Les personnalités pathologiques
leur porte et dont les pôles extrêmes peuvent être par exemple : confiance-
défiance, peur-réconfort, plaisir-déplaisir. Il est amené progressivement à
classer de façon nuancée ces situations et sentiments relativement les uns
aux autres. La puissance du questionnement socratique trouve ici matière
à s’illustrer. Cette technique a l’avantage d’être à la fois pédagogique et
thérapeutique et de permettre au patient de découvrir en lui-même cer-
taines potentialités émotionnelles et intellectuelles jusque-là peu utilisées.
Elle évite la confrontation, peu ou prou humiliante, avec les limitations
intellectuelles de la pensée dichotomique, que le patient finit par identifier
lui-même et traiter par la méthode du continuum.
Résultats
L’évaluation des résultats des thérapies des troubles de la personnalité est
particulièrement difficile, du fait non seulement de la pluralité des varia-
bles, mais encore du taux élevé de co-occurrence avec d’autres traits ou
troubles de la personnalité et de comorbidité avec des troubles de l’axe I. Il
existe également des variations temporelles indépendantes du traitement,
tout particulièrement chez les personnalités borderline.
C’est pourquoi, au stade préliminaire d’évaluation de nouvelles indica-
tions thérapeutiques des psychothérapies comportementales et cognitives, la
méthodologie des essais comparés est réductrice (Linehan, 1997). Le recours
à des essais ouverts, sans groupe contrôle, est légitime à condition d’utiliser
les outils statistiques adéquats (analyse en composantes principales) et le
maximum de rigueur dans le choix des instruments d’évaluation.
C’est pourquoi l’American Psychiatric Association a élaboré une liste de
critères standardisés des thérapies empiriquement validées (EVT, 1995) :
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