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PARENTALITÉ ET PATERNITÉ : LES NOUVELLES MODALITÉS

CONTEMPORAINES DU « FAIRE FAMILLE »

Virginie Jacob Alby, Jean-Michel Vivès

Érès | « Dialogue »

2015/1 n° 207 | pages 19 à 30


ISSN 0242-8962
ISBN 9782749246932
DOI 10.3917/dia.207.0019
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Dossier : La parentalité ? Contours, détours et redéfinitions

Parentalité et paternité :
les nouvelles modalités contemporaines
du « faire famille »
Virginie Jacob Alby
Jean-Michel Vives

Mots-clés Résumé
Procréation L’essor des sciences et techniques accompagne une mutation importante
médicalement assistée, imposée à la filiation et à la famille. La procréation médicalement assistée
filiation, famille, permet diverses modalités d’accès à la maternité et à la paternité. Le lien
hétérosexualités, parental ne peut plus être pensé sur un mode univoque, il se décline sur un
parentalités, mode pluriel. L’article propose de montrer que, à l’ère de la révolution des
homoparentalité, modèles familiaux, c’est plus la notion de parentalité que celle de paternité
psychanalyse. qui doit servir de boussole à l’étude des phénomènes apparaissant dans les
familles. La parentalité se révélant un outil pour penser, au-delà de l’apparent
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malaise dans la famille contemporaine, ce qu’est « faire famille » aujourd’hui.

L
a décision d’autoriser le « mariage pour tous » a vivement fait réagir
une partie de la société française. Déjà en 1985, dans leur bilan quant
 2
à l’homoparentalité, Vecho et Schneider remarquaient que les couples
homoparentaux posaient à la société des questions anthropologiques,
sociologiques et psychologiques majeures. De fait, un père et une mère
vivant dans un même foyer avec leurs enfants biologiques, même s’il reste
le plus courant, n’est plus aujourd’hui le seul assemblage domestique.

Virginie Jacob Alby, docteur en psychologie clinique, laboratoire lapcos ea 7278, université de Nice Sophia-
Antipolis. jacsub.v@orange.fr
Jean-Michel Vives, professeur de psychopathologie clinique, université de Nice Sophia-Antipolis, laboratoire
lapcos ea 7278. vives@unice.fr

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L’essor des sciences et techniques accompagne une mutation importante
imposée à la filiation, à la famille et à la parentalité. La pma (procréation
médicalement assistée) permet, en effet, diverses modalités d’accès à la
maternité et à la paternité qui peuvent s’incarner dans une même personne
ou se diffracter. Ainsi, le lien parental ne peut plus être pensé sur un
mode univoque, il se décline sur un mode pluriel qui suggère l’existence
de parents additionnels sans exclusive, cohabitant avec ou sans concur-
rence. Beaux-parents, donneurs, donneuses, gestatrices peuvent coexister
au sein de familles élargies fondées sur des liens qui débordent, sans pour
autant menacer le strict noyau de la filiation légitime. Dans cette ère des
parentalités, chaque parentalité relève d’une élaboration variable et variée
propre à chaque sujet et à laquelle il tient. Notre expérience clinique de
plus de dix ans dans l’accompagnement de sujets ayant recours à la pma
nous a conduits à poser l’hypothèse que les familles nées des pma repré-
sentent un enseignement quant aux nouvelles modalités d’expression de
la parentalité contemporaine que nous n’envisageons qu’au pluriel. Elles
nous renseignent fondamentalement sur les modalités du « faire famille »
que nous rencontrons quotidiennement dans notre clinique et sur cette
question de la parentalité qui semble être l’outil pour penser ce qu’est
une famille aujourd’hui.

La parentalité
La parentalité, à la différence de la parenté, fait référence à un processus
psychique et non biologique, qui s’amorce chez les sujets en passe de
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devenir parents. La parentalité commence avec le désir d’enfant et se cris-
tallise avec la parentalisation que l’enfant fait de ses parents.
C’est un néologisme proposé par le champ « psy » et sociologique. La
parentalité relève du choix des personnes : pour les « psys », c’est le
travail psychique par lequel un sujet se mue en parent lorsqu’il rencontre
l’enfant. Cramer et Palacio-Espasa (1993) proposent cette notion pour
désigner les processus psychopathologiques décrits dans l’interaction
parents-enfants renvoyant à la fois à l’identification projective et au conflit
narcissique. Les sociologues, de leur côté (Neyrand, 2007), qualifient de
parentalité les fonctions et rôles parentaux qu’un sujet décide d’exercer
tels que l’élevage, l’éducation, la gestion du quotidien, et ce, quel que
soit le statut légal de l’adulte impliqué dans la vie de l’enfant. Les beaux-
parents en sont les représentants les plus emblématiques ; parfois ils
investissent la fonction parentale et, d’autres fois, pas du tout.

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Le terme de « parentalité » s’est aujourd’hui imposé et beaucoup de champs
en font usage, notamment depuis que l’autorité parentale conjointe a
pris le pas sur l’autorité paternelle et depuis les nouvelles modalités de
faire famille. La promulgation de cette égalité, en termes d’autorité, a fait
chuter le discours en vigueur qui fondait les places et les fonctions de
chacun dans une logique patriarcale. Si Lebrun (2009) a pu parfois nous
alerter sur les conséquences, voire condamner cette égalité sociale, ce
ne sera pas ici notre propos. Une des conséquences de l’égalité quant à
l’autorité parentale est que le désir d’enfant ne se fonde plus systéma-
tiquement sur une altérité, ainsi n’importe quel sujet, quelle que soit sa
situation conjugale, peut-il réaliser un projet d’enfant, ceci grâce à la pma ;
et quoi que nous pensions de cet état de fait nous sommes bien obligés
de le traiter en cliniciens, c’est-à-dire avec neutralité et bienveillance.
La problématique de la parentalité dépasse la question de la procréa-
tion et de la filiation. Dumas (2009), en référence à Lacan, rappelle que
l’enfant est conçu tant par les paroles et les désirs partagés que dans un
acte sexuel. La parentalité implique un travail psychique qui s’effectue à
partir de l’histoire de chacun des parents, elle est ainsi infiltrée de repré-
sentations et de fantasmes liés à la sexualité et elle se nourrit des figures
parentales rencontrées sur la scène réelle (Solis-Ponton, 2001). Ainsi,
deux registres, le social et le psychique, se combinent et nous permettent
une modélisation de la réalité parentale (Noël et Saint-Cyr, 2012).

La pma
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L’ordre des choses a été bouleversé avec l’introduction de la pma dans
les nouveaux modes de faire famille. Comme le développe Delaisi de
Parseval (2008), les aléas de la conjugalité et la nécessité de développe-
ment personnel provoquent depuis plusieurs décennies un surinvestisse-
ment de l’axe de la filiation ; ainsi, les parents deviennent beaucoup plus
soucieux de leur investissement parental et de la transmission filiale que
de leurs investissements conjugaux. L’apparition de nouvelles technolo-
gies de procréation couplée à une évolution de la place des femmes dans
la société a ainsi favorisé l’essor de parentalités nouvelles impliquant un
décalage entre procréation et filiation. Jusqu’à la procréation médicale-
ment assistée, le biologique coïncidait avec le social, hormis dans les
cas d’adoption, les parents étaient les géniteurs. La tradition occidentale
qui se fondait sur le fait qu’il n’y ait que deux parents a ainsi été boule-
versée puisque la procréation médicalement assistée est venue dissocier
l’ovocyte de l’utérus et du spermatozoïde. Depuis l’introduction de la

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contraception – qui a introduit une rupture entre procréation et sexua-
lité – et depuis l’apparition de la pma – qui entraîne une rupture entre
procréation et filiation – les choses ont aussi changé dans la façon de faire
des enfants et de devenir parents.
Ainsi, les procréateurs ne sont plus forcément les parents et cela pose
des questions quant à la construction de l’identité parentale. En Europe
et dans le monde, les techniques de procréation médicalement assistée
ne sont plus réservées au couple souffrant d’infertilité biologique, les
couples concernés par les « infertilités sociales 1 » y ont également recours,
d’où l’entrée sur la scène de l’homoparentalité. Nous assistons donc à une
mutation sociale dont les enjeux essentiels se repèrent dans la mise au
monde d’un enfant, puis dans l’élaboration de parentalités.
La pma a donc contribué à la modification profonde des familles, modifi-
cation qui s’est déjà engagée sur le plan sociologique notamment, nous
l’avons dit, du fait de l’évolution de la place de femmes dans la société.
Ainsi, suite à la contraception et à la sexualité sans enfant est devenue
possible la procréation sans sexualité qui se passe de la rencontre entre
deux corps désirants. Marinopoulos (2007) nomme cela la « décorporéisa-
tion » de la conception. Ainsi, comme le dit Delaisi de Parseval (2006), les
signifiants corporels du lien filial et de la parentalité se révèlent séparés
et recombinés dans les techniques de pma en accentuant les clivages du
sexuel et du parental. Pourtant, comme le fait remarquer Korff-Sausse
(2006), le sujet humain déploie une étonnante capacité à mettre en place
des processus psychiques pour parvenir malgré tout à une subjectivation
et nous ajoutons que la parentalité est en cela une création issue de ce
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travail psychique.

Nouveaux modèles familiaux


Nous assistons donc aujourd’hui à une mutation de la famille (Neyrand,
2007) et des cadres de la parentalité et cela n’est pas sans conséquences
sur la construction subjective des différents membres de la famille et
sur la fonction parentale en pleine recomposition dont la parentalité est
le reflet. À partir des années 1960, la nouvelle génération a contesté le
modèle familial asymétrique fondé sur l’autorité paternelle. Il s’est agi
alors d’avoir le souci de soi et de la liberté individuelle associé à une
nécessité d’égalité des positions au sein de la famille. La redéfinition de la

1. Proposition faite actuellement par certains sociologues pour désigner l’infertilité propre à la situation
homosexuelle.

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position des femmes a tenu une place centrale dans les nouvelles dyna-
miques familiales. En effet, les mêmes droits sociaux et parentaux ont été
donnés aux deux sexes.
Le mariage a alors changé de sens, il s’est personnalisé, donnant plus
facilement la possibilité de divorce, avec comme conséquences la mono-
parentalité et la coparentalité. Depuis lors, l’épanouissement conjugal
prime et implique une dissociation de la relation entre conjoints et de la
relation aux enfants. La famille est ainsi désinstitutionnalisée du fait d’une
conjugalité centrée sur la relation affective de plus en plus volatile (le
divorce par consentement mutuel est devenu le plus courant). Parallèle-
ment à cette volatilité conjugale se trouve transféré sur la parentalité un
principe d’indissolubilité et d’inconditionnalité qui caractérisait autrefois
le mariage. Nous assistons à la fragilité du lien conjugal et à une logique
paradoxale de permanence revendiquée du lien parental. Le mariage se
centre aujourd’hui plus sur la conjugalité que sur la parentalité mais, en
cas de « démariage », c’est la parentalité qui est surinvestie et qui est au
cœur des nouveaux modes de faire famille.
Nous avons ainsi affaire à deux tendances en termes de parentalité suite
au démariage :
– la coparentalité qui implique l’égalisation des places parentales, c’est un
principe de définition de la parentalité qui passe par le partage de l’auto-
rité parentale. La filiation va s’affirmer biparentale à tous les niveaux. Déta-
chée de la conjugalité, la parentalité perdure en droit en toute situation,
selon ce principe d’inconditionnalité et d’indissolubilité de lien parental.
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Cela a abouti en 2002 à la loi qui a légitimé la résidence alternée. La
conception de l’autorité qui s’en dégage relève de la déliaison qui s’est
opérée entre paternité et autorité. Le pendant de cette évolution est que
la parenté va s’affirmer biparentale tant au niveau naturel que dans l’héri-
tage et au niveau du patronyme (Bruel et coll., 2001) ;
– la monoparentalité où la dimension prédominante de la parentalité est
assurée par celui qui a une présence plus importante auprès de l’enfant.
Elle est asymétrique dans la réalité alors que la dimension qui concerne la
parenté est symétrique, il y a nécessité d’une double parenté. On observe
ainsi un clivage entre ce qui se joue au niveau psychique pour l’en-
fant en termes de parenté et le niveau de présence, de prise en charge
quotidienne.
Notons pourtant que cette tendance à privatiser et personnaliser la relation
conjugale n’a pas aboli la recherche d’institutionnalisation des couples.
Nous le constatons, les nouveaux modèles génèrent des résistances tant

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sur le plan social que sur le plan psychique, ceci en faisant valoir leur
référence aux positions paternelles et maternelles (Neyrand, 2007). Il se
produit ainsi des conflits intrapsychiques entre les dimensions incons-
cientes et les modèles sociaux nouvellement véhiculés en décalage avec
les normes traditionnelles intériorisées.

La nécessaire référence à la famille


Nous remarquons dans notre pratique que, dans nombre de cas rencon-
trés, dès lors que la démarche de faire un enfant seule ou dans le cadre
d’un couple homoparental s’enclenche, au moment donc où la question
d’être parent surgit, l’idée de famille reste l’ultime référence. La ques-
tion du mariage homosexuel est d’ailleurs devenue une revendication
extrêmement vive, pour les couples homosexuels, depuis qu’ils ont accès
à la pma ou à la gpa (grossesse pour autrui) pour avoir des enfants. Le
fait même d’avoir un enfant a impliqué pour eux la nécessité d’un faire
famille passant par l’institution du mariage noué à l’accès à la parentalité.
Houzel (2002) défend dans son texte « Les enjeux de la parentalité » que
la famille « est à la fois le lieu d’inscription de l’enfant dans une généa-
logie et dans une filiation, inscription nécessaire à la constitution de son
identité […], et le lieu de confrontation aux trois différences fondatrices
que tout psychisme humain doit affronter et résoudre : la différence de
soi et des autres, la différence de sexes et la différence des générations ».
En ce qui nous concerne, nous vérifions dans notre clinique que l’évo-
lution actuelle de la législation quant au « mariage pour tous » montre en
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fait que la fonction de la notion de famille nouée à celle de la parentalité
dans le corps social est fondamentale à la constitution subjective. Ce que
démontre la clinique de la pma, notamment avec donneur de gamètes,
c’est que, au-delà de la transmission de la vie et d’un capital biologique,
l’enfant a besoin d’être en relation avec un désir qui ne soit pas anonyme
et qui s’inscrive dans le champ de représentations dites familiales.
Ce qui nous semble important, c’est que les rôles du père et de la mère se
repèrent en dehors d’une répartition dite naturelle liée au sexe ou encore
culturelle liée au genre. Ainsi, la fonction paternelle implique la castration
et permet une autorité qui se garantit de la parole. La fonction maternelle
implique, elle, la transmission de la marque d’un intérêt particularisé, soit
la présence d’un désir non anonyme. Lacan parle aussi du malentendu
« que votre lignée vous a transmis en vous donnant la vie », il introduit
donc que rien n’est naturel pour faire lien entre un père et une mère et un

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enfant. Le malentendu serait ainsi le seul nom du lien entre les membres
de la famille, quelle que soit sa composition.

De la famille aux familles


Nous assistons aujourd’hui à une importante différenciation des rôles et
des places, des fonctions, des statuts, au point que la notion de « la
famille » fait place à la notion « des familles ». L’institution familiale clas-
sique cède ainsi à une multiplicité de combinaisons dans lesquelles se
tissent des liens affectifs horizontaux et intergénérationnels qui relèvent
de la matrice parentale mais sans relever d’une structure familiale. Si bien
qu’avec les anthropologues et les sociologues nous en venons à penser
la pluriparentalité en nous appuyant sur la différenciation entre filiation,
parenté et parentalité (Mehl, 2011).
Selon une approche psychanalytique, les parentalités, soit l’expérience
d’être père ou mère, sont une histoire d’affects et de valeurs en perma-
nente évolution. Ce principe de parentalité est ouvert à l’environnement
et à ses mouvements mais il ne peut pourtant s’abstraire de l’état antérieur
de la société. Nous le savons, le passé est inscrit en chaque sujet et le
nouveau dépend de l’antériorité pour s’accomplir en s’émancipant d’elle.
Législateurs, gynécologues, biologistes, sociologues, psychanalystes et
autres intervenants concernés par les familles ont ainsi la tâche de repérer
les différentes facettes de cette parentalité continûment en mouvement.
Il ne s’agit donc pas d’œuvrer dans le sens d’un pour tous, mais au
contraire d’accompagner les singularités que sont désormais les familles
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qui émergent de ce qui réside en chacun.

La place des femmes


C’est Claude Lévi-Strauss qui, en explorant les structures élémentaires de
la parenté, a mis à jour une logique fondamentale dans les sociétés matri-
linéaires et patrilinéaires, soit que les hommes échangent les femmes.
Avant lui, Freud avait présenté en fictions théoriques ce qu’il lisait dans
les rêves, les mythes et la littérature ; ainsi, à propos du mariage et de
la famille, a-t-il proposé le mythe de la horde primitive. C’est parce que
les frères tuent le père de la horde primitive, ce père qui possède toutes
les femmes, que les frères pactisent. Les frères, qui ont alors intériorisé
psychiquement les interdits du père mort, s’imposent la première des
lois : l’interdit de l’inceste, qui les détourne des femmes de leur propre
clan et les oriente vers les étrangères. Freud, dans ce mythe de la horde

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primitive, nous indique que le passage de la horde à la famille suppose
le paternel. Il précise également que l’hétérosexualité qui implique une
psychisation de la génitalité et de la différence sexuelle est une acquisi-
tion plus tardive mais aussi plus fragile.
Aujourd’hui le mariage « pour tous » et les bébés « pour tous » rappellent
la fragilité du mariage hétérosexuel et en révèlent en même temps le
rôle central et incontournable de norme qu’il continue d’incarner, d’où
la demande des couples homosexuels d’accéder au mariage dans une
identification aux couples hétérosexuels. Il se soutient du fantasme de la
scène primitive qui persiste dans les inconscients malgré ce clivage entre
procréation et sexualité. Le couple hétérosexuel et sa famille sont le point
de mire des valeurs pour parer à la solitude, au souci de se prolonger et
de transmettre, et c’est bien à papa et maman que l’on se réfère en reven-
diquant le « mariage pour tous ». François Richard (2011) relie d’ailleurs
l’émergence contemporaine de la notion de parentalité à la spécificité
de l’actuel malaise dans la culture lié à cette référence forte au couple
hétérosexuel.

L’hétérosexualité
Freud a fait valoir que l’acte de procréer qui hante les humains n’est pas
un acte naturel et qu’il est le foyer de la différence sexuelle qui s’affirme
dans des fantasmes tels que la scène primitive. Ce fantasme originel et
universel met en évidence la fusion et la confusion de l’homme et de la
femme avec son lot d’angoisse compensé par la conception possible d’un
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être nouveau et c’est ce qui lui donne son sens. Le principe du paternel et
de la parentalité s’incarne dans la dyade hétérosexuelle des deux parents
(Kristeva, 2013). Lacan (1973) l’annonce, « il n’y a pas de rapport sexuel »,
le couple sexuel se perpétue à l’aide d’un tiers. Le couple hétérosexuel
espère un tiers qu’il aura engendré. Faute d’éternité, l’enfant renoue ainsi
la chaîne des générations, il est le signe de la transcendance symbolique
qui assure la transmission transgénérationnelle.
Nous pouvons ainsi constater que plus les valeurs et le couple hétéro­
sexuel vacillent, plus la procréation médicale et la mère porteuse
remplacent la scène primitive, plus l’enfant que l’on « doit avoir » devient
indispensable. Kristeva (2013) parle d’enfant roi antidépresseur souve-
rain. Ajoutons que la parentalité constitue une condition indispensable
pour accéder au « bonheur pour tous ».

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À l’ère de la révolution des modèles familiaux, dans le discours des
couples rencontrés à l’occasion de notre pratique clinique, l’hétérosexua-
lité reste toujours un point central. C’est la parentalité qui semble être le
point sensible. C’est donc la parentalité plus que la paternité qui nous
semble être à interroger.

Un père, une mère


Parmi les questions actuelles qui se posent à l’occasion du « mariage
pour tous », la question de savoir ce que sont un père et une mère est
laissée dans l’ombre. La psychanalyse a donné des éléments de réponse :
Lacan a retenu de Joyce le père en tant que fiction légale (1975), pivot,
centre fictif et concret du maintien de l’ordre généalogique. Le père est
aussi la présence d’un corps qui transmet un mode de jouissance. Mais
selon Lacan, le paternel n’est pas fondateur, le langage, le symbolique,
le génétique lui préexistent, et c’est aussi à partir de son désir qu’il parti-
cipe à la tiercéité. Concernant la fonction paternelle, l’apport majeur de
Lacan se situe dans la tiercéité structurante du langage, qui étaye le sujet
parlant dans sa capacité de parler et de penser. Il est au même titre que
le maternel le recommencement du parental.
De plus, contrairement à la tradition populaire, Lacan présente la mère
sous un jour féroce, une figure inquiétante et dangereuse. Dans le sémi-
naire XVII, la mère est présentée sous les traits d’un crocodile à la gueule
grande ouverte et menaçante. Cette dimension nécessite la création du
couple maternel-paternel, hétérogénéité liée au langage, qui permet de
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parler et de penser le maternel.
À partir de là, nous soutenons que chaque être parlant, dit parlêtre, peut
être porteur des fonctions parentales que nous résumerons ainsi : être
porteur d’un intérêt particularisé pour l’enfant et de la castration liée au
langage, ceci indifféremment du sexe et du genre du parent concerné.
Au-delà du fait que les parents soient de deux sexes différents ou de
même sexe, ce qui compte, c’est ce qui vient d’eux, ce qu’ils véhiculent
de leur désir et de leur rapport à la castration. Pour tout parlêtre, l’exer-
cice de la parentalité dépend donc de racines psychiques relatives à la
capacité du parent à aménager une place tierce dans son rapport à l’en-
fant (Noël, 2012). Ainsi, ces fonctions maternelles et paternelles déga-
gées par la psychanalyse, en contrepoint d’une norme familiale fondée
sur l’hétérosexualité, ne participent que du souci de cette transmission
d’un espace tiers nécessaire au petit d’homme accueilli dans le langage.
Nous rejoignons ici la pensée de De Neuter (2011) qui précise que le

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plus important est de développer ce qui peut se dire d’un point de vue
psychanalytique des diverses fonctions du « tiers symboligène, structurant
et subjectivant », celles-ci en tant que susceptibles d’être « incarnées » par
divers agents concrets dans la famille traditionnelle et hors de celle-ci.

Conclusion
Il s’agit donc de penser, à l’occasion du « mariage pour tous » et des
nouveaux modes de faire famille, l’évolution de la famille et la construc-
tion des psychosexualités contemporaines à partir de la question de la
parentalité – cette dernière telle qu’envisagée par la théorie psychana-
lytique de la bisexualité et non plus à partir de la scène primitive. La
bisexualité, propre à tout individu, développée par Freud (1920), permet
la compréhension de combinaisons infinies quant au parental. L’ana-
lyste freudien qui a entériné la différence sexuelle et la bisexualité peut
ainsi faire usage de ce concept fondamental dans l’approche de l’expé-
rience des compositions familiales contemporaines dans leur nouage à la
parentalité.
Nous postulons donc que c’est la création incessante du parental fait de
dissolution-recomposition (qui a rapport avec cette affinité vie/mort avec
laquelle le psychanalyste travaille) qui permet l’accueil et l’accompagne-
ment de ces nouvelles créations familiales.
Ainsi, l’autorité ne disparaît pas dans une société recomposée ou en
mutation, elle semble plutôt diluée dans un ajustement permanent des
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deux parents. Le père et la famille ne semblent pas plus disparaître, ils se
disséminent simplement dans des singularités qui les rendent moins repé-
rables. Les psychanalystes ne sont-ils pas les mieux informés pour le faire
valoir et qu’il en soit fait usage ? Les « tradis » nostalgiques de la norme et
les « modernes » recomposés, pma, gpa (gestation par autrui), homos, sont
tous et au un par un dans une création singulière et spécifique grâce au
langage. Procréer, former une famille, adopter, transmettre une filiation
reste plus que jamais d’actualité mais nécessite aussi plus que jamais un
accompagnement et un éclairage par la psychanalyse.

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Parentalité et paternité : les nouvelles modalités contemporaines du « faire famille » 29

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The question of parenthood in the light of new ways of founding a family

Keywords Abstract
Medically assisted The pace of scientific and technical progress leads to major changes with
human reproduction, regard to lineage, the family and parenthood. Medically assisted human
filiation, family, reproduction affords a number of avenues to accede to motherhood and
heterosexuality, fatherhood. Thus, the parental bond can no longer be regarded as unequi-
parenthood, vocal and must necessarily open out to multiple definitions. We shall argue
homoparenthood, that at in times where societal norms are undergoing such major changes,
psychoanalysis. the concept of parenthood should prevail over that of paternity/maternity in
studying emerging phenomena in the family environment. The idea of paren-
thood would appear to offer the best way of understanding and addressing
contemporary issues faced in founding a family.
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