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Paul Alerini
Érès | « Essaim »
2015/1 n° 34 | pages 7 à 22
ISSN 1287-258X
ISBN 9782749247304
DOI 10.3917/ess.034.0007
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-essaim-2015-1-page-7.htm
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Paul Alerini
1. G.-H. Luquet, Les dessins d’un enfant, étude psychologique, Paris, Alcan, 1913, p. 248.
2. G.-H. Luquet, Le dessin enfantin (1927), Lausanne, Paris, Delachaux et Niestlé, 1991, p. 128.
3. Daniel Widlöcher, L’interprétation des dessins d’enfants, Bruxelles, Mardaga, 1998, p. 68.
4. G.-H. Luquet, Le dessin enfantin, op. cit., p. 30-44.
5. P. Wallon, A. Cambier et D. Engelhart, Le dessin de l’enfant, Paris, Puf, 2001, p. 36.
6. J. Piaget, La formation du symbole chez l’enfant, Paris, Delachaux et Niestlé, 1968, p. 301.
Françoise Dolto déclara à J.-D. Nasio : « Un dessin c’est plus que
l’équivalent d’un rêve, c’est en lui-même un rêve, ou si vous préférez un
fantasme devenu vivant 11. » Mais elle parle des dessins faits en analyse,
qui sont spécifiques, et ne sont pas les mêmes que ceux exécutés à l’école
pour la maîtresse ou à la maison pour faire plaisir, pour faire cadeau aux
7. J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (27 mai 1964),
Paris, Le Seuil, coll. « Points » (collection de poche), 1973, p. 232.
8. Il est facile de faire l’expérience de « la cantonade » de la parole enfantine, simplement en
écoutant des enfants qui parlent à des adultes dans une autre pièce ; ils ont un ton de déclamation
ou de récitation qui donne l’impression qu’ils savent que nous les écoutons.
9. E. Porge, « Le transfert à la cantonade », Littoral, n° 18, Toulouse, érès, 1986, p. 10.
10. D. W. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1971, p. 72.
11. F. Dolto, L’enfant du miroir, Paris, Rivages, 1987, p. 37.
parents, ceux qu’on affiche aux murs. Les dessins faits en analyse sont
pour Françoise Dolto des « témoignages de l’inconscient 12 », branchés sur
le désir et l’image du corps ; elle précise que c’est « une communication
muette, un dire pour soi, un dire à l’autre. En séance c’est une invite à la
communication avec l’analyste ».
Outre le fantasme et le rêve, les dessins ont été assimilés aux autres
formations de l’inconscient, mots d’esprit, lapsus, actes manqués. Par
exemple, une petite fille dessine un carré, il est un peu déformé, elle dit
que c’est un coussin puis elle change d’avis et dit que c’est une maison.
G.-H. Luquet commente : « Il y a quelque chose de très voisin de ce
qu’on peut appeler un calembour graphique qui consiste à réunir dans
un même dessin des éléments qui donnent à l’ensemble des significations
différentes 13. » Le calembour qu’il évoque rappelle le mécanisme de
la substitution dans la métaphore, mis en jeu dans le mot d’esprit.
D. Widlöcher préfère parler de lapsus, puisque les dessins se modifient
au fur et à mesure de leur exécution ; quand se produit une erreur, il
y a correction, changement d’interprétation, complétée par l’ajout de
nouveaux détails. Par exemple ce dessin de Laury, âgé de 4 ans, en 1985. Il
venait de me raconter son voyage en voiture de Marseille à Paris.
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Trente ans après, en relisant ces notes je réalise à quel point j’ai induit
le déroulement du dessin. Ma question « Le feu était passé à l’orange ? »
a tout déclenché. Certes j’avais l’habitude de l’entendre me parler de ses
préoccupations pour les bus, les voitures, la circulation, les trajets, mais
j’aurais pu, tout aussi bien, voir qu’il avait mis en scène avec les couleurs
un vrai petit film : ils avaient pris l’autoroute au matin dans une belle
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14. S. Freud, L’interprétation des rêves, tr. I. Meyerson, Paris, Puf, 1967, p. 263.
15. Ibid., p. 242.
22. J. Lacan, Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet (27 mars 1957), Paris, Le Seuil, 1994, p. 264.
23. O. Isakower, « Contribution à la psychopathologie des phénomènes associés à l’endormissement »,
Nouvelle revue de psychanalyse, n° 5, Paris, Gallimard, 1972, p. 197.
24. B. D. Lewin, « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve », Nouvelle revue de psychanalyse, n° 5, op.
cit., p. 212.
blanc par transparence, en tenant la feuille sur une vitre 25, pour pouvoir
le révéler.
Les traces appliquées par l’enfant avec des crayons sur ce support
succèdent à des traces primitives où l’enfant découvre son pouvoir, quand
il s’amuse à salir, quand il joue avec des aliments, la confiture sur la table,
avec le caca sur le papier, et parfois sur les murs, en même temps qu’il
découvre les empreintes de ses pieds sur le sable, de ses doigts sur le
beurre ou sur de la pâte 26. Il découvre le pouvoir expressif de ces traces.
On passe de l’objet oral (l’écran, le support) à l’objet anal (les traces sur
ce support), ensuite le dessin prend valeur phallique quand il se révèle si
précieux que l’enfant ne peut s’en séparer comme si on le mutilait d’une
partie de son corps, puis il le réduit au rang de déchet chiffonné et jeté.
En outre, le dessin d’enfant se situe dans le champ du visible, donc de la
pulsion scopique, il est sous le regard, il est donné à voir. Il dépasse donc
le niveau pulsionnel, il est support de l’objet a 27.
Si l’on prend en compte l’importance du support, on réalise que le
dessin d’enfant possède une fonction méconnue, celle de situer le sujet
dans l’espace. Certaines conditions pathologiques en sont révélatrices.
Geneviève Haag relève chez l’enfant psychotique le fait qu’à un certain
moment il peut séparer le haut de la feuille qui symbolise le ciel et le bas
qui symbolise la terre, il trace dans la feuille blanche qui est le fond les
coordonnées d’un deuxième fond qui est comme encadré. Elle écrit : « La
percée de ce second fond suppose une modification du sujet […] tout ceci
se passe à un moment où la sphéricité du globe terrestre est proclamée et
commence à être exploitée 28 ». Jeanne Lafont donne une interprétation
plus convaincante : « Il est notable que le ciel est en haut dans les dessins
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30. S. Freud, « La dynamique du transfert », dans La technique psychanalytique, tr. A. Berman, Paris,
Puf, 1972, p. 53.
31. J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (15 avril 1964),
Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1976, p. 146.
32. D. W. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1971, p. 71.
33. J. Jedwab, « Le dessin et le symptôme », Cliniques méditerranéennes, n° 13-14, Marseille, 1987, p. 31.
celle qui exerce sur les patients la plus grande influence modificatrice 34. »
Ferenczi accorde à cet aspect de la technique une place considérable, parce
qu’elle est « la reconstitution patiente du mécanisme du symptôme 35 ».
Melanie Klein (qui donne une traduction plus exacte en anglais : working
through) en reconnaît la nécessité primordiale : « Nécessité de revenir sans
cesse sur le même matériel en utilisant les nouveaux éléments au fur et à
mesure qu’ils se présentent 36. » Elle reconnaît du même coup elle aussi
que l’interprétation ne suffit pas, l’interprétation n’a pas d’efficacité sans le
travail de l’inconscient, par le sujet lui-même. Pour Lacan, la Durcharbeitung
est un effet du surmoi : « C’est-à-dire que cette espèce de machin soi-disant
extrait du complexe d’Œdipe ou encore la mère dévorante, ou de n’importe
laquelle de ces balançoires, ça a pourtant un rapport avec ce côté épuisant,
tannant, nécessaire, répété surtout, par quoi en analyse on arrive en effet,
quelques fois, à un bout 37. » Or en psychanalyse d’enfant ce bout a un
rapport avec la guérison des symptômes, d’où la règle de patience extrême
de l’analyste, attentif aux moindres détails de changement dans les dessins.
34. S. Freud, « Remémoration, répétition, élaboration », dans La technique psychanalytique, op. cit.,
p. 115.
35. S. Ferenczi, Élasticité de la technique psychanalytique, dans Œuvres complètes, tome IV, Paris, Payot,
1982, p. 62.
36. M. Klein, Psychanalyse d’un enfant, tr. M. Davidovici, Paris, Tchou, 1973, p. 185.
37. J. Lacan, Le séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre (5 février 1969), Paris, Le Seuil, 2006, p. 164.
38. S. Ferenczi, Le rêve du nourrisson savant, dans Œuvres complètes, tome III, Paris, Payot, 1974, p. 203.
39. Cette période d’âge de l’enfant correspond à l’égocentrisme intellectuel de Piaget.
ses objets : « Zone intermédiaire que l’on alloue à l’enfant et qui se situe
entre la créativité primaire et la perception objective basée sur l’épreuve
de réalité […] Si la mère est suffisamment bonne et suffisamment adaptée
aux besoins de l’enfant celui-ci en tire l’illusion qu’il existe une réalité
extérieure qui correspond à sa capacité personnelle de créer 40. »
C’est dans cette capacité de créer que se développe cette intense activité
graphique, qui va de pair avec une intense réceptivité de perception. En
même temps que le babillage et les monologues nocturnes, les incursions
linguistiques, l’invention de chansons, les cabrioles, la danse improvisée…
les premiers tracés s’intègrent dans le jeu, le plaisir de découvrir, de
manipuler, de créer. Le psychologue cognitiviste américain Howard
Gardner décrit la période des gribouillages avec les mêmes mots que ceux
que Winnicott 41 emploie pour décrire l’espace transitionnel. La prise de
possession d’un instrument pour tracer (caillou pointu, bout de charbon,
puis craie, crayon, pinceau) entraîne une débauche de traces laissées un
peu partout, pas toujours aux bons endroits et pas toujours bien tolérées.
Par exemple ce gribouillage exécuté en 1975 par Sélim, 1 an et demi, sur un
exemplaire des Essais de psychanalyse de Melanie Klein 42 :
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45. E. Porge, « Une phobie de la lettre, la dyslexie comme symptôme », Littoral, n° 7-8, Toulouse, érès,
1983, p. 167.
46. Le mot squiggle, inventé par Winnicott, est dérivé de scribble.
47. J. Allouch, « Le rêve à l’épreuve du griffonnage », Littoral, n° 29, Toulouse, érès, 1989, p. 21.
48. W. Kandinsky, Point et ligne sur plan, contribution à l’analyse des éléments de la peinture (1923), Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 1991.
49. C. Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, dans Œuvres complètes, tome II, Paris, Gallimard, coll.
« La Pléiade », 1976, p. 690.
50. E. Pernoud, « “Dessiner à vide”, le mystère du gribouillage », dans L’invention du dessin d’enfant,
Paris, Hazan, 2003, p. 88.
51. H. Michaux, « Essais d’enfants, dessins d’enfants », dans Déplacements, dégagements, Paris,
Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1985, p. 55-57.
52. C. Millet, François Arnal, Paris, Éditions du Cercle d’art, 1998.
53. R. Queneau et F. Arnal, La naissance du livre (1965), réédition, Paris, Marval, 1999.
54. S. Ferenczi, Confusion de langues entre les adultes et l’enfant, le langage de la tendresse et de la passion
(1932), dans Œuvres complètes, tome IV, Paris, Payot, 1982, p. 125.
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