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DES MOTS POUR COMPRENDRE

le déni est un refus total d’une percep-

La dénégation tion d’un fait du monde extérieur (Freud,


1924), vécue comme dangereuse ou into-
lérable. Par ailleurs, le déni peut conduire

ou le refus de l’inconscient à la construction d’une représentation


délirante : pour schématiser, nous pour-
rions exposer que si le déni conduit à affir-
Une rubrique bimestrielle pour comprendre les concepts mer un fait impossible (délire), la déné-
gation entraîne à nier un fait possible. La
utilisés en psychiatrie… de la pratique vers la théorie confusion entre les deux termes est en
partie due à l’évolution de la théorie freu-
et de la théorie vers la pratique. Un double mouvement. dienne et à une subtilité de traduction de
l’allemand au français. Notons que si un
lien de prédominance est souvent fait
SOPHIE BARTHÉLÉMY
entre dénégation et névrose, puis déni et
Psychologue clinicienne, chargée d’enseignement à l’université d’Aix-Marseille I.
psychose, il est à nuancer, dans le sens
où chez un même patient, déni et déné-
gation peuvent coexister.
Linda, 30 ans, dont j’assure le en le verbalisant. Il se comporte comme
suivi au Centre médico-psychologique si certaines de ses pensées ne lui appar- LE CONFLIT INCONSCIENT
(CMP), ne se présente pas à plusieurs de tenaient pas, en les soulignant par la La dénégation concerne donc une néga-
ses rendez-vous hebdomadaires, alors négative. tion dans le discours et la réalité psychique,
que nous étions en train d’aborder le Freud (1925) décrit cette « négation », tandis que le déni concerne une néga-
nœud de sa problématique œdipienne. La en insistant sur le conflit inconscient tion de la réalité externe. Bien sûr, il
jeune femme revient souvent sur le fait (par exemple entre un désir et un inter- faut se garder de voir une affirmation dans
que sa mère a toujours soutenu son père dit) et la levée du refoulement, en faisant toute négation formulée par un patient.
« contre » son frère et elle quand ils un mécanisme essentiellement névro- En effet, la dénégation est aussi à dis-
étaient enfants, et que ces derniers temps, tique. Le sujet énonce un élément refoulé, tinguer de la négation associée à un
cette mère clôt toujours leur conversation en prend alors conscience et le refuse aus- phénomène conscient, comme un men-
téléphonique quand son père entre dans sitôt, pour s’en déculpabiliser voire l’at- songe. La dénégation surgit en méca-
la maison. tribuer à autrui (associant alors dénéga- nisme de défense à partir du moment où
Après quatre rendez-vous manqués, Linda tion et projection). C’est ainsi que l’on peut elle concerne un conflit inconscient.
finit par revenir, et débute l’entretien, à entendre certains patients énoncer : Elle apparaît ainsi souvent lorsque deux
la fois gênée et tendue, en tentant de jus- « Vous croyez sans doute que je pense représentations sont rapprochées dans le
tifier ses absences : « Ne croyez surtout que… mais en fait… », « Vous voudriez discours, comme Linda évoquant sa mère
pas que je vous en veuille »… J’interroge que je dise que… ». Freud évoque un de et la thérapeute. Le sentiment d’incon-
alors cette négation, et après quelques ses patients à propos d’un personnage de fort procuré par le manque de cohésion
hésitations et commentaires sur son quo- ses rêves. « Ce n’est pas ma mère », dit- dans ses désirs peut conduire le patient
tidien, elle me lance : « J’en ai marre de il, permettant à Freud de conclure qu’il à se défendre en niant. Pour Hyppolite
votre façon de me dire “on s’arrête là s’agit en fait bien d’elle. Pour Laplanche (1954), c’est « présenter ce qu’on est
pour aujourd’hui” à la fin de chaque et Pontalis (1967), la formulation de la sur le mode de ne l’être pas ». En disant
entretien ! » Le lien avec le dernier entre- négation, au sens logique et linguistique, ce qu’on n’est pas, n’affirme-t-on pas alors
tien me fait comprendre la résistance en est un indicateur essentiel de la dénégation. ce que l’on est ?…
jeu dans ses absences et dans la néga- Dans le suivi psychothérapeutique, la
tion avancée à son retour. Linda répète dénégation se manifeste aussi par le
une partie de sa problématique œdi- refus du patient d’une interprétation
pienne, notamment le sentiment de rejet exacte le concernant formulée par le cli-
et l’hostilité qu’elle ressent quand sa nicien ; il s’agit alors d’une résistance
mère interrompt son échange avec elle et du patient (Freud, 1937). BIBLIOGRAPHIE
lui préfère la relation avec son père. Pour Le refoulé ne peut être accepté que sous – Freud, S. (1924). La Perte de la réalité dans la
Linda, j’agis de même quand je termine forme négative : il est en fait question d’une névrose et la psychose. In Névrose, psychose et
un entretien pour recevoir un autre patient. acceptation partielle, intellectuelle mais perversion (p. 299-303) Paris, PUF, 1973.
À travers la négation, la jeune femme non affective. C’est une « annulation du – Freud, S. (1925). La Négation. In Résultats, Idées,
tente de maintenir à l’écart une hostilité refoulement » (Freud, 1925) plutôt qu’une Problèmes, II (p. 135-139). Paris, PUF, 1985.
sans doute trop culpabilisante vis-à-vis de acceptation du refoulé. – Freud, S. (1937). Analyse avec fin et analyse sans
la figure maternelle. fin. In Résultats, Idées, Problèmes, II. Paris, PUF.
NIER N’EST PAS DÉNIER – Hyppolite, J. (1954). Commentaire parlé sur la
UN MÉCANISME DE DÉFENSE La dénégation est à distinguer du déni (voir Verneinung de Freud. In Lacan (Éd.). Écrits (p. 879-
La dénégation est un mécanisme de Santé mentale, n° 172, novembre 2012). 887). Paris, Seuil.
défense. Le sujet nie, dément, désavoue Si, dans la dénégation, le patient nie – Laplanche, J., Pontalis, J.B. (1967). Vocabulaire de
un sentiment ou se défend d’un désir, tout une représentation comme lui appartenant, la psychanalyse. Paris, PUF.

10 SANTÉ MENTALE | 185 | FÉVRIER 2014

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