Vous êtes sur la page 1sur 4

RÉFLEXION REVUE

L’abord psychanalytique de
D. Gédance la dépression
Dépression et diagnostic variables, en fonction de cette structure prises sous l’angle prépondérant de l’ana-
psychanalytique psychique même, mais nous y revien- lyse du complexe d’Œdipe, même si les
drons. névroses d’une certaine gravité peuvent
La dépression se caractérise essen- Le travail psychanalytique est une donner lieu à des dépressions.
tiellement par une perte du sens de la vie relation particulière entre deux person- La psychanalyse se limite souvent,
qui va de pair avec un manque de plaisir nes : le psychanalyste et le patient, amé- dans l’esprit des personnes qui ne l’ont
à vivre (elle entraîne diverses manifesta- nagée selon une organisation très structu- jamais lue dans le texte ou ne connais-
tions secondaires telles qu’immense fati- rée. Ces deux personnes ont en commun, sent que quelques textes de Freud, voire
gue, manque d’appétit et d’appétence, comme tous les êtres humains, d’avoir un les résumés approximatifs qui en ont été
troubles fonctionnels variés, etc.). Elle psychisme et si l’analyste analyse celui faits, à la découverte de la sexualité in-
peut aller jusqu’à la mélancolie et au sui- du patient, il le fait par l’intermédiaire de fantile et de l’inconscient, généralement
cide. La psychanalyse l’aborde de deux la reconnaissance en lui des propres à travers le rêve. Certes, ces deux aspects
manières : elle permet d’en faire une éva- effets de son psychisme, de leur compré- demeurent fondamentaux, mais toute
luation diagnostique qui repose sur l’en- hension théorique et clinique fondée sur l’évolution freudienne liée aux limites
semble du fonctionnement psychique de son ressenti qu’il a pris l’habitude d’ana- rencontrées par lui au cours de sa carrière
la personne déprimée, non les signes les lyser par l’expérience, absolument indis- dans son travail clinique, voire aux échecs,
plus conscients ou manifestes qu’elle mon- pensable et incontournable, de sa psy- est généralement occultée, tout l’effort re-
tre et exprime et qui sont sujets à varia- chanalyse personnelle qui se doit d’être nouvelé entrepris par lui pour accroître la
tions. Comme telle celle-ci se révèle pro- longue et approfondie. Celle-ci lui évite compréhension de ce qui fait obstacle au
fondément fiable, en particulier dans la aussi de prêter à tort au patient ce qui, en changement, ignoré. Par exemple c’est le
différenciation indispensable entre idées fait, le concerne. Bien entendu elle va de cas d’un texte de 1915 (donc encore anté-
suicidaires et risques de passage à l’acte pair avec une formation particulièrement rieur) qui s’intitule «Deuil et mélancolie»
suicidaire, différenciation fondamentale longue et exigeante. dont l’écriture est la conséquence de la
quant au choix thérapeutique à court, préoccupation qui anime Freud de l’effet
moyen et long terme. Elle permet par psychothérapeutique au sens vrai de la
exemple de discriminer clairement ce qui Dépression et évolution des cure psychanalytique, de cette quête de
est tristesse, c’est-à-dire ce qui constitue conceptions psychanalytiques changement profond et durable du fonc-
un affect normal qui est inhérent à la ca- tionnement psychique par la cure psy-
pacité de sentir de tout être humain doté Si classiquement la psychanalyse chanalytique. Freud, confronté à l’échec
d’un psychisme bien constitué, affect s’est donnée comme une théorie du fonc- à permettre aux patients d’abandonner
qu’il peut éprouver à différents instants tionnement psychique de l’être humain leur souffrance dépressive aiguë pouvant
et événements de sa vie, de ce qui est qui pouvait être appliquée à des cures donc aller jusqu’à la mélancolie et au sui-
vécu dépressif, c’est-à-dire posant réelle- psychanalytiques dont la visée n’était pas cide, par l’analyse de la sexualité infantile
ment problème. Elle peut préciser l’am- la guérison au sens phénoménologique et des conflits psychiques inconscients
pleur et la profondeur de ce vécu dépres- du terme, mais l’analyse des «complexes» liés à celle-ci grâce à leur répétition dans
sif et le différencier aussi d’une dépres- sous-jacents aux symptômes, voire une le transfert, commence à élargir ses con-
sion vraiment établie, voire chronique. quête de connaissance de soi : «La guéri- cepts et en créer de nouveaux qui vont
son vient de surcroît», a écrit Freud, l’image aboutir en 1920 et 1923 à des remanie-
qu’elle laisse parmi les non-psychana- ments majeurs de la structure, de la dyna-
Dépression et cure lystes es liée à une compréhension sou- mique et de l’économie du psychisme. Il
psychanalytique vent caricaturée de la première partie de découvre que ces patients ne parvien-
l’œuvre de Freud. Il est vrai que bien des nent pas à faire le deuil d’attachements à
La psychanalyse offre également, psychanalystes y contribuent, mais gros- des personnes ou des choses du passé,
grâce au travail psychanalytique dans ses sièrement parlant, cette conception ne voire du passé récent, dont la perte sem-
différents aménagements, une possibilité prend en considération, au mieux, que ce ble être la source de ce violent désespoir.
de psychothérapie approfondie par une qui précède 1920 et fait l’impasse plus ou Il se questionne sur ce qui fait que la per-
quête de l’origine cachée, partiellement moins complète des 19-20 dernières sonne demeure pareillement fixée à sa
inconsciente, de la manifestation dépres- années de son œuvre, donc l’essentiel de souffrance liée à ces pertes (qui parfois
sive. Elle le fait prioritairement par la ce qui peut permettre d’aborder la dé- peuvent même être peu évidentes pour
cure sur le divan, quand elle convient le pression. Cette importante partie pourtant la personne témoin), au lieu d’y renoncer
mieux à la structure psychique du pa- la réoriente assez différemment, sans progressivement pour se tourner vers les
tient, qui offre des possibilités de chan- abandonner les découvertes antérieures autres possibilités de plaisir, d’intérêt et
gement particulièrement importantes par essentielles, mais en les enrichissant, et de liens que lui offre la vie. Il découvre
la fréquence de ses séances et la dispo- amorce la compréhension de probléma- ainsi quelque chose de fondamental : l’im-
sition divan-fauteuil, mais aussi par un tiques autres que les névroses de type hys- portance de ces investissements pour ce
travail en face-à-face à des fréquences térique, phobique et obsessionnel com- que je qualifierai de sentiment de sa pro-

0000 Médecine&Hygiène 2316, 4 octobre 2000 쐌 www.medhyg.ch www.medhyg.ch 쐌 Médecine&Hygiène 2461, 3 décembre 2003 2407
RÉFLEXION REVUE

pre valeur. Autrement dit ce qui a été portance de la relation inter-psychique cette complexité alimente et permet la
perdu (par exemple personne(s), position mère-bébé, puis petit enfant, dans le construction du narcissisme sain du sujet
professionnelle, considération, respect développement d’un être humain pen- en lien avec celle d’une différence des
des collègues, caractéristiques de son sant, créant et ressentant : l’affection de sexes et des générations. Cette différen-
corps, potentialités) sont ressentis comme la mère, son empathie l’amènent à inter- ciation prendra sa pleine signification à
des étalons de ce sentiment de valeur, préter en termes de sentiments et de l’adolescence où les transformations du
leur perte signifie donc ne plus avoir de sensations ce qu’elle vit de son enfant et corps ébranleront d’autant plus le nar-
valeur à ses propres yeux, d’où le côté à s’efforcer de donner une réponse qui lui cissisme du sujet qu’il a déjà été mal
insupportable qui fait que l’on ne peut y procure bien-être et sécurité, à le conte- organisé dans l’enfance. C’est une pé-
renoncer à aucun prix pour tenter de se nir. Un autre psychanalyste anglo- riode de remaniements essentiels et de
tourner vers autre chose. Dans la mélan- saxon, W. Bion, a parlé de capacité de crises qui amèneront l’installation d’une
colie le patient s’accuse d’être responsa- rêverie de la mère. Winnicott a envisagé, structure de personnalité adulte plus ou
ble de cette perte. L’accrochage à cet ob- à travers son travail clinique, les échecs moins bien construite. Elle a été élabo-
jet au sens large est cette tentative dés- possibles de cette relation précoce avec rée par un certain nombre de psychana-
espérée même de conserver ce senti- leurs conséquences plus ou moins graves lystes qui ont travaillé à la compréhen-
ment de valeur, cette nécessité d’avoir lorsque cela se passe mal, que la mère sion de la spécificité de l’adolescence,
une valeur pour soi-même pouvant, para- n’est pas suffisamment bonne, n’a pas tels que M. et E. Laufer en Angleterre,
doxalement, devenir pour le mélanco- joué en quelque sorte son rôle d’«éveil- par exemple.
lique plus importante que la vie elle-mê- leuse» au plaisir de vivre. Le terme «suf- La notion spécifique de narcissisme
me. D’ailleurs déjà en 1914 Freud avait fisamment» est essentiel, les imperfec- sera développée par différents analystes,
reconnu l’investissement positif de soi tions humaines de la mère contribuant à car elle est essentielle dans ses aspects
comme nécessaire à la qualité de vie psy- la tendance de l’enfant tout petit à cher- positifs qui n’ont rien à faire avec le
chique dans un texte sur le narcissisme. cher à l’extérieur de cette relation, en mythe de ne s’intéresser qu’à soi-même
A partir de 1923, en remaniant sa con- développant ses potentialités, ce qui et de tout ramener à soi, qui serait pour le
ception du psychisme en trois instances, vient à lui manquer parce qu’il l’a déjà psychanalyste le signe d’un échec partiel
le moi, le ça et le surmoi, il introduit dans assez éprouvé pour désirer le retrouver : de sa constitution. Une conception parti-
la constitution même de celui-ci l’in- satisfaction du besoin engendrant le plai- culièrement éclairante du narcissisme
fluence du monde extérieur, à commen- sir. C’est le début de déplacements créa- pour la compréhension de la dépression
cer par les parents. Le surmoi, instance tifs (objet transitionnel qui n’est ni soi ni et de la dépressivité qui peut être le lit de
de la conscience morale, se crée par iden- la mère et pourtant un peu des deux, puis cette dépression, en a été donnée par le
tification. Si celui-ci est d’abord héritier aire transitionnelle) inhérents à l’être hu- psychanalyste contemporain André Green
du complexe d’Œdipe, donc conséquen- main. Plus près de nous le psychanalyste qui consacra un livre entier à sa construc-
ce d’une intériorisation des interdits (qui et professeur R. Roussillon décrit dans tion en 1983. C’est lui qui a élaboré la
se rapportent à l’inceste, puis s’étendent un livre récent «une fonction symboli- conception d’un narcissisme primaire de
progressivement) et des valeurs transmi- sante de l’objet» qui explicite comment il vie comme structure de base permettant
ses par les parents, il devient également peut comprendre la contribution essen- de s’investir soi-même en plaisir à vivre
héritier d’un environnement plus large tielle de la mère de la petite enfance à la et d’investir et de créer des objets dis-
avec les modèles identificatoires divers construction d’un psychisme capable d’é- tincts qui alimentent la vie en sens, à partir
allant dans ce sens. En même temps il motions et de mises en représentation de d’un sentiment de lien solide vécu par le
joue aussi le rôle d’une instance protec- son vécu. Le psychanalyste se doit désor- petit enfant dans ses contacts précoces
trice présente au sein de la psyché par mais de découvrir les manquements, avec sa mère ou son substitut. Il s’agit de
l’intériorisation des aspects protecteurs empiètements, blessures qui ont biaisé la construire une capacité à investir les ob-
des parents et autres personnes significa- construction du moi de son patient, de se jets au sens large qui nous entourent et
tives liés aux limites qu’elles ont impo- les représenter et de les lui interpréter- s’en créer, être capable de donner valeur
sées par amour, quand les relations se expliciter avec la souplesse technique d’objet affectivement significatif à ce qui
sont suffisamment bien passées. Il y a nécessaire que chacun réclame, de mettre s’offre à nous. Par exemple cela peut être
donc désormais une place clairement don- au jour ce qui a entravé certains aspects l’animal en peluche pour l’enfant, qui
née à l’importance de la relation et de de l’organisation du psychisme de celui- devient objet de plaisir par le bien-être
l’environnement sur la constitution du ci quand cette mère est supposée ne pas qu’il procure, les jeux qu’il fera avec lui ;
psychisme même qui va se renforcer en- avoir été suffisamment bonne. chez l’adulte cela peut varier à l’infini des
core vers la fin de son œuvre. liens à des personnes aux activités diver-
ses, allant jusqu’aux plus complexes en
Construction du psychisme passant par les plus simples : prendre
Conceptions psychanalytiques et dépressivité plaisir à la fraîcheur de l’air matinal sur
contemporaines son visage implique quelque part cette
Si ces psychanalystes développent construction d’un narcissisme primaire
A partir de cette étape, une voie psy- énormément le rôle de l’objet maternel, de vie. C’est aussi ces petits plaisirs qui
chanalytique nouvelle est tracée pour d’autres insistent sur l’importance du demeurent souvent pour la personne
élargir la compréhension de divers fonc- père comme objet alternatif vers lequel âgée lorsqu’elle en a perdu tant d’autres
tionnements psychiques impliquant di- l’enfant peut se tourner, déjà très tôt, par le processus de vieillissement et les
verses problématiques. Un psychanalyste mais aussi comme celui qui va lui repren- appauvrissements qu’il amène. C’est cela
venu de la pédiatrie, D. Winnicott, va dre la mère pour la remettre dans sa posi- que le déprimé a également perdu ; sou-
construire toute une théorisation de l’im- tion de femme liée à un homme. Toute vent il ne l’a fondamentalement jamais

2408 Médecine&Hygiène 2461, 3 décembre 2003 쐌 www.medhyg.ch www.medhyg.ch 쐌 Médecine&Hygiène 2316, 4 octobre 2000 0000
REVUE RÉFLEXION

suffisamment établi en lui, ce que je qua- quement depuis des années. Ces person- davantage de régularité.
lifie de dépressivité. Le défaut de cons- nes viennent souvent «en dernier ressort». Quand le psychanalyste commence à
truction de ce narcissisme primaire tend à En effet elles ont déjà eu recours à des parler avec ces patients de leur vie et de
faire stagner une sorte de destructivité aides diverses dans le passé, par exemple l’histoire de leur souffrance dépressive, il
latente indistinctement tournée vers soi à une ou des psychothérapies à but de découvre souvent que dans l’enfance,
et l’autre mal différenciée qui est consti- soutien, notamment, en tout cas qui ne déjà, le patient a souffert de dépression,
tuante de cette dépressivité et peut enfler reconnaissent pas le rôle de l’inconscient d’angoisses, d’une profonde solitude in-
et envahir le moi dans la dépression. ou qui ont été trop brèves et trop super- térieure, voire aussi d’autres symptômes.
Cette théorie de l’organisation et de ficielles si une certaine reconnaissance de L’adolescence a toujours été probléma-
la construction du psychisme ne signifie celui-ci pouvait s’y manifester, parfois tique et passablement douloureuse, bien
en rien qu’il n’y ait pas reconnaissance qui n’ont jamais même été organisées en au-delà de ce qui peut être «normale-
d’un bagage génétique présent d’emblée, psychothérapies structurées. Elles les ont ment» inhérent à cette période de grands
mais ce n’est pas de cet aspect que s’oc- le plus souvent aidées, mais transitoire- remaniements, et marquée déjà le plus
cupe la psychanalyse. ment. Elles peuvent être en cure d’anti- souvent, elle aussi, de cette souffrance
dépresseurs, exceptionnellement depuis dépressive parfois très intense. L’ouver-
des années sans arrêt, sauf pour les brèves ture au sens qui caractérise la réponse du
Dépression et travail «fenêtres» liées au changement d’un psychanalyste, un sens qui se lie parfois
psychanalytique antidépresseur pour un autre, ou ont déjà en les ranimant, à des émotions, donne
pris des antidépresseurs en cure une ou dans un premier temps au vécu dépressif
Le travail psychanalytique tend à plusieurs fois dans leur vie, avec un gain une autre perspective.
mettre à jour les difficultés relationnelles énergétique certain, mais sans qu’un gain
précoces devenues inconscientes, certes en plaisir à vivre ni une cessation de l’hu-
remaniées en cours de vie, qui ont empê- meur dépressive n’en soit durablement ré- Quelques résistances
ché cette construction et à permettre un sulté et parfois ne se soient même jamais personnelles et culturelles
changement de leurs effets actuels sur le produits. Dans ces situations, cette lon-
psychisme qui contribuent à la dépres- gue durée de traitement sans améliora-
au travail psychanalytique
sion. Il vise un remaniement de cette po- tion des pensées, des sentiments, des vé-
tentialité dépressive négative qui a pré- cus dépressifs aggrave parfois considéra- Toutefois il est évident que le travail
paré le lit de l’éclatement de la dépres- blement le désespoir de la personne et psychanalytique n’offre aucune séduc-
sion et tend ainsi à éviter la chronicisa- peut renforcer une conviction que, tôt ou tion dans une culture où ce qui est visé
tion avant que le patient ne s’y enlise. Il tard, il n’y aura plus que le suicide comme est le tout et tout de suite, la rentabilité
construit-reconstruit une histoire du su- seule issue à la souffrance. Il est arrivé apparente, souvent plus que réelle et sur-
jet qui donne un sens à la dépression que la psychiatrie ait transformé le diag- tout la rentabilité à court terme, qu’elle
actuelle en ouvrant dans le même mou- nostic de dépression en dépression ré- soit financière (ce qu’il n’est socialement
vement la voie vers ce qui peut être qua- sistante, mais rien d’autre n’a été pro- pas possible de négliger, mais qui est sou-
lifié de guérison profonde, elle-même posé. Bien entendu, lorsqu’une cure mé- vent pour l’individu, trompeuse) ou au-
conséquence de la transformation du dicamenteuse est en cours le psychana- tre, mais aussi la performance. Fréquem-
fonctionnement psychique qui s’effectue lyste la respecte pleinement, mais ce n’est ment, de plus, les personnalités ayant
dans ce processus. Pour cette raison le pas son domaine, puisque ce qui l’inté- une grande fragilité dans leur image
travail psychanalytique bien mené est un resse, c’est le fonctionnement psychique d’eux-mêmes, donc susceptibles de plon-
véritable travail de prévention des rechu- sous-jacent et sa compréhension. D’ail- ger dans la dépression, s’appuient ainsi
tes, puisqu’il touche ce qui est à la base leurs, dans les situations où le patient ne beaucoup sur leurs performances profes-
de la tendance dépressive. Il ne s’agit évi- prend pas d’antidépresseurs au moment sionnelles, sociales et une certaine image
demment pas de rendre impossible quel- de sa venue et que son degré d’épuise- extérieure d’adaptation affective. Elles
ques brefs moments de dépression, des ment est tel qu’il n’a pas les moyens de sont, de ce fait, d’autant moins ouvertes à
moments de régression, dont le patient faire un travail psychanalytique dans ces un travail long et difficile et ne deman-
devient capable de sortir seul, signes de conditions, voire qu’il y a de sérieux ris- dent pas mieux que de croire que tout va
souplesse, et qui ont souvent valeur ques suicidaires, les pensées suicidaires être résolu rapidement et définitivement
d’adaptation aux difficultés de l’existen- étant habituellement présentes, le psy- en avalant des médicaments et discutant
ce et ne sont pas des rechutes vraies dans chanalyste peut demander la collabora- quelques semaines ou quelques mois,
la dépression. tion d’un psychiatre qui peut, lui, prescri- avec en particulier, quelqu’un, qui les
re une nouvelle cure médicamenteuse rassure ou fait appel à leur volonté. Rien
jusqu’à ce que le travail de transforma- d’étonnant alors à ce que ce ne soit sou-
Incursion clinique tion du psychisme inhérent au travail psy- vent qu’après des années de souffrance
chanalytique la rende inutile. Le médica- qu’elles consentent à suivre le conseil
La psychanalyste «laïque» que je suis, ment est alors prescrit non comme ce qui d’un ami ou d’un médecin pour se rendre
peut-être justement parce qu’elle n’a va guérir, mais comme une contribution chez le psychanalyste, s’il se trouve quel-
qu’une identité de psychanalyste dans sa nécessaire, mais passagère à ce processus qu’un sur leur route pour le leur con-
manière de travailler, tant aux yeux des de changement, pour se procurer les for- seiller. De plus notre culture promeut da-
personnes susceptibles de lui adresser ces de s’attaquer aux problèmes de fond vantage le «non ressentir» comme signe
des patients que de ceux-ci, se trouve en restant en vie et dans la vie, il peut de force, l’homme impassible et insensi-
confrontée de plus en plus à des person- être de ce fait parfois mieux accepté, ble représente un idéal d’être équilibré
nes déprimées répétitivement ou chroni- avoir plus d’efficacité et être pris avec et résistant, plutôt que la capacité de

0000 Médecine&Hygiène 2316, 4 octobre 2000 쐌 www.medhyg.ch www.medhyg.ch 쐌 Médecine&Hygiène 2461, 3 décembre 2003 2409
RÉFLEXION REVUE

vivre une gamme riche et nuancée de En conclusion ceci d’autant plus lorsque la cure psycha-
sentiments. Cela va dans le même sens, nalytique paraît être le dernier recours
contraire à la psychanalyse. L’équilibre Si l’abord psychanalytique est actuel- après une longue histoire de dépression
psychique n’entre pas dans les buts, lement le moins ouvertement pris en qui enferme de plus en plus le patient
seule la maladie dans ses aspects les plus considération lorsque l’on se penche sur dans sa souffrance et son désespoir, mais
apparents interpelle et réclame des soins ; les problématiques dépressives, il me sem- aussi d’emblée lorsque la dépression me-
lorsqu’il s’agit de souffrance psychique, ble que c’est davantage parce que la psy- nace de s’installer, parfois malgré les ap-
on ne cherche parfois qu’à la faire taire, à chanalyse n’évoque pas l’idée de proces- ports médicamenteux.
en faire disparaître les manifestations les sus de guérison en général et de guérison La dépressivité existe à l’état latent
plus bruyantes. Et soixante-quatre ans après possible de cette souffrance psychique si chez un très grand nombre de personnes
la mort de Freud, force est de constater répandue en particulier, qu’elle ne ré- et fait le lit de la dépression ; la compré-
que l’inconscient est toujours aussi inac- pond pas aux visées de suppression des hension psychanalytique du fonctionne-
ceptable… ce qui n’a rien de surprenant. symptômes dépressifs à court terme, ment psychique est un outil diagnostique
Pourtant quand les patients font ce qu’elle est considérée comme trop coû- précieux de la gravité et de la profondeur
travail, qu’ils commencent à découvrir ou teuse en temps, en énergie et en argent du vécu dépressif pour éviter des erreurs
redécouvrir différemment le plaisir à tra- plutôt qu’à cause d’un manque d’efficaci- d’appréciation très dommageables pour
vailler, à être en relation avec autrui, que té. L’expérience clinique montre au con- ce qui est proposé au patient.
le plaisir à vivre se déploie, même avec traire que le processus de transformation
des hauts et des bas, souvent ils regret- du fonctionnement psychique qu’un tra- 쎱

tent de n’avoir pas commencé plus tôt, ils vail psychanalytique approfondi permet,
regrettent aussi toutes les années vécues constitue une véritable cure de la dépres-
dans cette méconnaissance et cet éloi- sion à travers cette relation particulière
gnement d’eux-mêmes. Au fur et à me- entre le psychanalyste et son patient. Adresse de l’auteur :
sure qu’ils changent, le temps que cela Elle se révèle être une cure essentielle
Mme Dorette Gédance
prend leur paraît beaucoup moins long et pour un certain nombre de patients qui Psychanalyste membre formateur de la SSP
moins important que ce qu’ils pouvaient ont les aptitudes à se pencher sur leur 3, rue Albert-Gos
en anticiper, ainsi que les efforts pour y fonctionnement psychique. Il est possi- 1206 Genève
parvenir, car ils en découvrent l’intérêt. ble alors de les mobiliser à s’y intéresser,

Actualité
Inquiétudes quant à l’innocuité régime Atkins n'est pas sans dan-
gers. Le «Comité des praticiens pour
comité ont rapporté le cas d'un
patient de 53 ans victime d'une
du régime Atkins une médecine responsable» vient obstruction artérielle grave après
d'appeler les Centres de contrôle et deux ans et demi de suivi du régime
Mis au point au début des années donner des résultats rapides dont de prévention des maladies (CDC) et celui d'un homme de 41 ans
1970 par le Dr Atkins, le régime qui la durée ne dépasse générale- d'Atlanta à ouvrir une enquête sur mort d'un arrêt cardiaque en juin
porte le nom de son inventeur con- ment pas six mois. Ce régime est plusieurs accidents mortels pou- dernier alors qu'il suivait ce régime.
siste, schématiquement, à suppri- toujours très en vogue outre- vant être associés à ce type de
mer toutes les formes de glucides Atlantique au point que les fabri- régime. Le Dr Neal Barnard, direc- J.-Y. Nau
(simples et complexes) qu'il s'agis- cants américains de pain ont jugé teur du comité, a présenté un rap-
se du pain, des pâtes, du riz, des nécessaire de convoquer, il y a port préliminaire sur les effets de
pommes de terre et des légumi- quelques jours, un «sommet de ce régime, basé sur le suivi de plu-
neuses ou encore des fruits. A l’in- crise» à Providence (Rhode Island) sieurs dizaines de patients. «A titre
verse les protéines animales (vian- réunissant tous les industriels du d'exemple, 42% des patients ont
des, charcuterie, poissons, œufs, secteur inquiets de la baisse sen- décrit une perte d'énergie, 22% Cette actualité est publiée en
collaboration avec La Revue du praticien –
fromages) et les lipides (beurre, sible de consommation de pain des problèmes rénaux, calculs ou Médecine générale
crème, huile, viandes, les charcute- depuis un an. infections graves et 20% des pro- (parue le 1 er décembre 2003)
ries, etc.) peuvent être consom- Des médecins américains esti- blèmes cardiaques ou une aug-
mées à volonté. Quelques études ment aujourd'hui disposer d'élé- mentation du taux de cholestérol,
ont montré qu'un tel régime pouvait ments permettant d'affirmer que le a-t-il expliqué.» Les médecins de ce

2410 Médecine&Hygiène 2461, 3 décembre 2003 쐌 www.medhyg.ch www.medhyg.ch 쐌 Médecine&Hygiène 2316, 4 octobre 2000 0000

Vous aimerez peut-être aussi