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[18]-S6-HPS6U21-Entretien Clinique L3
2ème Semestre- Responsable Vincent Bréjard-Carole Tardif
Textes support de TD
1. Blanchet, A. (1985). Les règles du jeu dans l’entretien in Blanchet, A. & al. (Ed).
L’entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod.
L’entretien thérapeutique
Il permet de mettre clairement en exergue la visée de ces entretiens sans
parvenir à spécifier ses caractéristiques. Rien n’indique notamment la
posture, la formation de celui qui conduit ces entretiens : cela peut être un
médecin généraliste ou un psychiatre qui peut associer la prescription de
molécules à des rencontres régulières où il laisse l’opportunité à son patient
de faire le point, manifester ses inquiétudes, renouveler des plaintes.
En l’occurrence dans le meilleur des cas se mêlent une écoute humaine et
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
L’entretien psychothérapeutique
La dénomination entretien psychothérapeutique ne permet pas de spécifier
plus clairement ces pratiques d’entretien, toutes les pratiques précédentes
se reconnaissent volontiers dans cette dénomination. Cette dernière n’indi-
que en rien la démarche du praticien qui la met en œuvre même si l’accent
est mis en principe sur une intervention sur la psyché, un travail thérapeuti-
que concernant la pensée et la vie affective, les représentations du patient.
Cette démarche n’est pas toujours exclusive d’autres remédiations axées
sur le fonctionnement biologique. L’association peut s’accomplir à partir
du même praticien (psychiatre ou généraliste) ou encore se déployer expli-
citement entre un psychiste et un chimiste. Ce qui semble prédominer est
une visée : celle de soigner, voire de guérir, et surtout de reconnaître la
souffrance psychique. La souffrance psychique est au premier plan de la
demande des patients, ou encore elle est considérée comme déterminante
dans des situations spécifiques d’atteinte somatique, de précarité sociale,
dans la mise en œuvre d’actes délictueux ou dangereux pour le sujet lui-
même (passage à l’acte suicidaire, toxicomanie, alcoolisme, anorexie,
boulimie…).
Dans chacune de ces situations, les patients expriment l’insupportable de
leur état, attendent que cet insupportable soit reconnu, accueilli et bien sûr
ENTRETIEN CLINIQUE ET PSYCHOTHÉRAPIE 5
Victor
Il s’agit d’un patient qui d’abord constate son extrême difficulté à dire, il la constate
et le fait constater. Il s’assoit et ne parvient pas à prendre la parole. Il évite le regard
du clinicien, baisse la tête, manifeste sur son visage un mélange de désarroi et de
tristesse puis finit par prendre la parole pour dire que la dernière séance avait « été
très positive ; qu’il avait pensé à dire beaucoup de choses cette fois-ci mais que ce
n’est pas possible, qu’il n’y arrive pas, qu’il n’y arrivera pas. C’est trop dur. Il a peur
d’être débordé par l’émotion. Rien que d’y penser il se sent très mal ».
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Puis il retourne à son silence. Pendant le temps du silence, l’intervention du clini-
cien consiste d’abord à repenser au contenu de la dernière séance, le silence du
patient le lui permet. Il se souvient que le patient avait notamment évoqué non
sans une vive émotion et beaucoup de barrages, une scène de sa vie quotidienne
où il avait éprouvé du désir physique, un mouvement homosexuel à l’égard de
son « meilleur ami ». Discours qui avait été accueilli sans commentaire et avec
une attitude faite d’attention bienveillante de la part du clinicien. Retrouver le
souvenir du contenu de la séance lui permet de récupérer cette attention de la
séance précédente pour proposer à son interlocuteur de revenir sur ce qu’il a dit
en début de séance :
Psychologue. — Vous me disiez tout à l’heure que la dernière séance avait été
positive pour vous.
Victor. — Oui je me suis senti mieux toute la semaine, avoir pu dire ce que je
vous ai dit m’a permis d’être mieux.
— Vous avez dit comment vous étiez attiré par votre ami.
— Oui et depuis que je l’ai accepté c’est plus pareil.
Nouvelle installation dans le silence.
Nouveau malaise.
— Vous me disiez également tout à l’heure que vous aviez pensé à dire beau-
coup d’autres choses.
— Je suis retourné chez mes parents ces derniers temps, ça a été très pénible,
c’est toujours pareil, ma mère est insupportable et mon père c’est comme s’il
n’était pas là.
— Insupportable ?
— C’est toujours pareil, elle ne veut pas reconnaître ce qui s’est passé, elle me dit
que c’est pas vrai.
Il revient alors sur une photo de lui enfant où il était habillé en fille. Elle aurait
répété que tout ça n’était pas vrai – comme si cela n’avait jamais existé, comme
s’il n’y avait pas de photos.
— Et puis il y a autre chose, elle exagère tout, elle peut dire que je suis très bien
en en remettant, ou encore me dire que je suis nul.
— Vous avez un exemple ?
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
— Pour le violon quand j’étais enfant et que des gens venaient à la maison, il
fallait que je joue et elle tenait à montrer comme je jouais bien, c’était trop.
Quand nous étions seuls et que je jouais du violon, elle m’empêchait et disait que
ça suffisait, que tout ce bruit était insupportable, elle criait pour me demander
d’arrêter.
L’ensemble du discours est tenu d’une voix à peine audible, à plusieurs reprises le
clinicien demandera à son patient de répéter, de parler plus fort. Ce qu’il fera
sans augmenter sensiblement le son de sa voix, ni son articulation. Tout semble se
passer comme s’il voulait dire et ne pas être entendu, ou s’il voulait dire avec la
crainte de s’entendre dire, ou encore dire et ne pas dire.
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8 10 ENTRETIENS EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE DE L’ADULTE
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Ce patient fait part d’un symptôme en forme de souvenir obsédant, celui d’une
relation homosexuelle qui lui aurait été imposée pendant sa petite enfance. Il
n’est pas certain que cela ait eu lieu, et la pensée que cela aurait pu avoir lieu est
à la fois obsédante et insupportable.
Une tentation pourrait être de communiquer un savoir à peu près évident à ce
patient : il est traversé de pulsions homosexuelles dont il jouit et se défend au
point de ne pas pouvoir se consacrer à autre chose, notamment se maintenir
dans une activité professionnelle, sortir d’une situation de surendettement, ne plus
dépendre financièrement de ses parents. Et peut-être également s’installer passi-
vement dans le silence dans l’espace de l’entretien, l’interprétation envisagée par
le clinicien pourrait prendre une valeur transférentielle (transfert du praticien) si
elle était livrée. Le choix exposé indique que revenir à la parole du patient lui
laisse la possibilité de conserver la direction de l’élaboration de ses souffrances.
La direction d’un entretien psychothérapique reste l’apanage du patient, son sens
et sa valeur s’appuient sur cette nécessité.