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L’alliance thérapeutique :
l’optique comportementale et cognitive
L’Alliance thérapeutique, Dr Charly Cungi, éd. Retz, Paris, 2006.

Le rapport collaboratif

Définition du rapport collaboratif


Un rapport collaboratif est une relation entre un/des psychothérapeutes et un/des patients tel
que patient(s) et thérapeute(s) travaillent ensemble de manière active pour résoudre les
problèmes posés dans la psychothérapie.

Les deux facettes du rapport collaboratif

Un rapport collaboratif « se compose » de deux dimensions complémentaires: une dimension


« affective » et une dimension professionnelle.

La dimension affective

Carl Rogers, remarquable psychologue américain, a bien décrit, avec l'acceptation


inconditionnelle de la réalité du patient, les facteurs utiles pour notre propos. Une relation
thérapeutique doit être empathique, authentique et chaleureuse. La difficulté consiste à
donner, de ces concepts, des définitions opératoires, c'est-à-dire utilisables dans la thérapie et
permettant au thérapeute d'améliorer la qualité professionnelle de son exercice.

 Une relation empathique : elle consiste, pour le thérapeute, à percevoir puis à restituer
au patient ce qu'il comprend de sa réalité, en tenant compte des retours que celui-ci fait
durant l'entretien. fi est nécessaire d'explorer son mode de vie, ses problèmes, les
solutions qu'il a pu trouver lui-même, la manière dont sont organisées ses relations
affectives, familiales, professionnelles, et son éventuelle susceptibilité, anxiété,
dépression ou, au contraire, son insouciance... Si un thérapeute ne développe pas sa
capacité d'empathie, ses idées et théories a priori demeurent au premier plan pour
guider la thérapie. Le risque de ne pas assez tenir compte de ce que dit et vit le patient
devient majeur. Le thérapeute se comporte alors comme un marin qui ignorerait l'état
de l'Océan et continuerait à naviguer.
 Une relation authentique : ce point est plus difficile à définir si l'on veut éviter les
descriptions tautologiques du type « être authentique, c'est être vrai ». Pour le
thérapeute, être authentique, c'est développer la capacité de se sentir à l'aise avec le
patient, avec la réalité qu'il vit, la capacité aussi de se sentir à l'aise avec ses propres
émotions, sentiments et pensées, y compris avec son malaise. Le thérapeute est
souvent confronté à des situations difficiles, qui génèrent chez lui un malaise. Par
exemple, avec un patient présentant un trouble dépressif majeur avec un risque
suicidaire, le thérapeute doit aborder de manière directe la dépression et les idées
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suicidaires malgré ses propres émotions, sentiments et pensées. Si son embarras est
paralysant, il ne peut pas faire son métier.
 Une relation chaleureuse : la chaleur humaine est une nécessité naturelle : l'être
humain est un « animal grégaire et affectif » qui a besoin de vivre avec les autres. Le
groupe, familial, tribal, sociétal est probablement une conséquence de cette nécessité.
Aussi curieux que cela puisse paraître, s'entraîner à manifester de la « chaleur » est
indispensable. Car le thérapeute, comme tout être humain, n'aime pas « tout le
monde » et peut se sentir agacé par certains patients. Cela paralyse régulièrement le
processus thérapeutique. Établir une relation chaleureuse consiste à développer sa
capacité de trouver le patient sympathique. Si un thérapeute ne parvient pas à trouver
le patient sympathique, il doit limiter les objectifs du traitement ou adresser la
personne à un autre psychothérapeute.

La dimension professionnelle

La dimension affective est insuffisante pour installer l'alliance thérapeutique. Un patient


consulte parce qu'il n'est pas arrivé à résoudre ses problèmes seul ou avec son entourage. Il
voit donc un spécialiste de la psychothérapie dont il attend un résultat. Pour le
psychothérapeute comme pour tout métier, le professionnalisme est essentiel.

Ainsi, un plombier empathique, qui comprendrait la réalité de la fuite d'eau dans la salle de
bain, qui serait authentique, à l'aise avec son client et avec la fuite d'eau, chaleureux, qui
trouverait le client sympathique... mais qui ne réparerait pas la fuite d'eau se verrait peut-être
proposer, par son client, de revenir passer une bonne soirée... sûrement pas de réparer la
robinetterie. Ce serait un « bon copain » mais un mauvais plombier.

Être professionnel, c'est d'abord disposer d'un statut et avoir des compétences.

 Disposer d'un statut : Il est important que le patient sache rapidement à qui il
s'adresse: infirmier, psychologue, médecin, etc., et qu'il ait une idée assez précise de ce
qu'il peut en attendre. Disposer de ces informations diminue fortement la méfiance et
focalise davantage l'attention des patients sur la thérapie plutôt que sur le thérapeute.
 Avoir des compétences : un psychothérapeute doit être formé pour les techniques qu'il
emploie, bien les connaître et savoir les appliquer. Par exemples, pour pratiquer une
thérapie comportementale et cognitive, les compétences indispensables sont:
o savoir établir l'alliance thérapeutique,
o savoir recueillir les informations utiles et nécessaires,
o savoir organiser ces informations dans un modèle opératoire (c'est l'analyse
fonctionnelle des problèmes),
o savoir appliquer des méthodes thérapeutiques,
o savoir évaluer l'impact de la thérapie à court, moyen et long termes.

Réactance et résistance

Quand le rapport collaboratif ne s'installe pas, c'est que les facteurs relationnels sont restés au
premier plan et parasitent la thérapie. Dans ce cas, patient(s) et thérapeute(s) sont surtout
préoccupés, plus ou moins consciemment, par ce que l'autre pense, le fait de « ne pas se
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laisser faire » ou, au contraire, de ne pas déplaire, voire de séduire. Deux phénomènes
apparaissent alors: la réactance et/ou la résistance.

 La réactance est facilement repérable. Il s'agit d'une opposition marquée au processus


thérapeutique, souvent assez directe. Le patient refuse toutes ou parties des
propositions qui lui sont faites par le thérapeute.
 La résistance correspond aux facteurs psychologiques et comportementaux qui
ralentissent la mise en place ou le déroulement du processus thérapeutique. Elle peut
être le fait du patient, du thérapeute ou des deux, À la différence de la réactance, elle
est souvent plus subtile, implicite, parfois masquée par des verbalisations directes
faisant état d'une « volonté» d'avancer. Le patient est fréquemment d'accord, au moins
verbalement, sur les principes mais n'applique pas ou peu les méthodes, se justifie
souvent avec des raisons parfois compréhensibles et la thérapie reste bloquée. La
résistance aboutit au même résultat que la réactance.

Plus un thérapeute essaie de convaincre ou s'oppose aux résistances et réactances, plus celles-
ci se renforcent. Les techniques d'entretien doivent donc s'appuyer sur les résistances et
réactances, en faire un avantage, afin d'établir l'alliance thérapeutique.

La réactance de Mélodie
Mélodie présente une anorexie mentale ancienne. Sa maladie a commencé quand
elle avait 17 ans : elle en a maintenant 25. Sa vie est rythmée par les
préoccupations concernant son poids et son alimentation « diététique ». Dès qu'un
thérapeute lui fait remarquer qu'elle présente tous les critères de l'anorexie
mentale, elle se met en colère et répond « plutôt mourir que grossir! »

La résistance d'Alphonse
Alphonse consulte parce que son épouse lui a posé un ultimatum: « Ou tu te
soignes et tu arrêtes de boire, ou c'est le divorce ! » Alphonse se retrouve dans le
cabinet du médecin et demande à être soigné, « parce que ça ne peut plus
durer... ». Le médecin lui propose une hospitalisation pour un sevrage, mais
Alphonse ne parvient jamais à trouver une date possible, il y a toujours une raison
valable de retarder son admission en centre spécialisé. L'accord du patient ne
débouche que sur une forte résistance à se soigner.
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Comment établir un rapport collaboratif

Pour établir un rapport collaboratif, le thérapeute doit être capable de tenir compte de ses
propres émotions, sentiments, cognitions et comportements. Il doit considérer le type de
relation qui s'établit avec le ou les consultants. L'observation du ou des patients,
particulièrement les composantes non verbales de la communication, et l'écoute sont
indispensables. L'examen attentif de ces trois dimensions permet de mieux comprendre le
processus, de développer les conduites à tenir et d'appliquer des techniques d'entretien.

La méthode du « petit vélo»

Trois dimensions sont à prendre en compte dans un entretien psychothérapique individuel: le


thérapeute, le patient et la relation qui s'établit entre eux.

Par la technique du « petit vélo », le thérapeute s'entraîne, jusqu'à en faire un automatisme, à


développer sa capacité d'observation de ces trois dimensions. Le schéma du « petit vélo » (le
nom provient de la forme du dessin) illustre la manière dont le thérapeute doit observer ce qui
se passe à l'intérieur de lui-même, dans la relation avec l'autre et chez l'autre.

L’auto-observation

 Détecter et tenir compte de ses sensations physiques (qui accompagnent les émotions)
 Auto-observer et contrôler ses émotions (anxiété, colère, agacement, etc.)
 Auto-observer et modifier ses sentiments (méthode « avantages, inconvénients,
risques » : quels avantages ai-je à ressentir cette colère à l’égard de mon patient ; quels
inconvénients y a-t-il ; quels risques pour la suite de la thérapie)
 Auto-observer et modifier ses pensées automatiques (pourquoi suis-je si méfiant à
l’égard de ce patient alcoolique ?)
 Auto-observer et modifier les composantes non verbales de la communication
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 Auto-observer et modifier les réactions non verbales spécifiques du thérapeute dans


une situation particulière de difficulté

Exemples

Pensées automatiques: « Il n'est pas motivé, c'est toujours la même chose avec les
alcooliques! », « Ce n'est pas la peine que je me décarcasse, ça revient au même »,
« Il ne pense qu'à lui », « Il ne veut rien faire ».

Avantages: le thérapeute ne s'attend pas à un travail facile, cela lui permet de


choisir prioritairement un objectif modeste: faire une analyse fonctionnelle du
problème afin de favoriser l'empathie, de se sentir plus à l'aise. Au fur et à mesure
qu'il comprend mieux le problème, il peut trouver le patient plus sympathique. En
outre, effectuer une analyse fonctionnelle est très professionnel.

Inconvénients: il lui faut développer assez d'empathie et de professionnalisme


pour que les « premières impressions" ne prennent pas le dessus.

Risques: le risque principal est que la thérapie ne s'engage pas, que le patient ne
revienne pas.

Conduite à tenir: bien « s'appuyer » sur les avantages et se centrer sur l'analyse
fonctionnelle pour établir le rapport collaboratif. Bien vérifier les critères:
empathie, authenticité, chaleur et professionnalisme.

Bertrand est psychothérapeute. La supervision est motivée par un problème


particulier: les patients s'opposent souvent, parfois de manière difficile. Un
entretien filmé permet d'observer les composantes non verbales du thérapeute. À
chaque fois que le patient dit quelque chose, Bertrand reconnaît la souffrance, ou
exprime verbalement son accord, mais fait « non" de la tête. L'attitude contredit le
contenu verbal. Cela énerve le patient qui ne se sent pas pris au sérieux et tente de
convaincre davantage le thérapeute du bien-fondé de ses malheurs.

En visionnant le film, Bertrand a compris qu'il fait souvent semblant d'être


d'accord avec les patients et que son non verbal « l'a trahi ". Son superviseur lui a
conseillé de mieux développer l'empathie (bien percevoir la réalité que vit le
patient) et de rechercher l'authenticité (dire au patient ce qu'il pense plutôt que de
faire semblant).Les dénégations non verbales ont disparues.

L’observation de la relation

Après l'auto-observation, la technique du « petit vélo » passe par l'observation par le


thérapeute de la relation qui s'établit.

Une relation entre deux personnes ne peut être que symétrique ou complémentaire.
Habituellement, il existe une alternance efficace entre les deux modes relationnels. Quand la
symétrie ou la complémentarité devient trop présente, le rapport collaboratif est le plus
souvent perdu.
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 Relation symétrique : une relation est dite « symétrique » lorsque les deux
interlocuteurs adoptent le même comportement « en miroir ». Par exemple, le conflit
est une relation symétrique dans laquelle chacun réagit au comportement de l'autre par
l'agressivité. Mais toutes les symétries ne sont pas agressives, certaines sont même
conviviales: c'est ce qui se passe dans les « concours de civilité» où chacun cherche à
être plus poli que son interlocuteur: « Je vous en prie, après vous! », « Mais non, après
vous... », etc. Trop de symétrie rigidifie les comportements et paralyse le rapport
collaboratif, mettant au premier plan le style relationnel plutôt que le travail à faire.
Aussi est-il important pour le thérapeute de repérer et désamorcer ce type
d'interactions.

Quand l'affirmation de soi empathique n'est pas suffisante, le thérapeute peut utiliser
l'inversion de symétrie ou la complémentarisation. Cela consiste à inverser les rôles, à
transformer une symétrie en complémentarité ou une symétrie trop agressive en une
symétrie conviviale ou encore une symétrie trop conviviale en une symétrie agressive.
Les techniques d'entretien présentées dans cet ouvrage permettent avec un peu
d'entraînement d'obtenir de bons résultats.

 Relation complémentaire : quand deux interlocuteurs adoptent chacun un


comportement qui complète celui de l'autre, la relation est dite « complémentaire ».
Par exemple, une personne qui commande et une personne qui obéit engagent une
relation complémentaire : plus la personne commande, plus son interlocuteur obéit.

Comme pour la symétrie, une relation trop complémentaire fait perdre le rapport
collaboratif au profit de l'interaction entre les personnes et doit être corrigée par le
thérapeute.

L'auto-observation du thérapeute apporte généralement des informations précieuses


pour repérer les complémentarités. Ce peut être l'irritabilité envers un patient
« toujours d'accord » ou envers une personne attendant trop du soignant sans fournir
elle-même les efforts nécessaires pour la thérapie. Ce peut être, à l'inverse, une
certaine satisfaction avec un patient « docile », adoptant les comportements souhaités
par le thérapeute.

L'observation directe du mode relationnel est le meilleur moyen de mettre en évidence


les complémentarités: « Ai-je un comportement qui complète et renforce le
comportement du patient ? Le patient a-t-il un comportement complémentaire au
mien ? ».

La symétrie peut s’installer sur un mode « agréable » (patient et thérapeute sont


d’accord et se renforcent mutuellement, chacun dans son rôle) ou sur un mode
« désagréable » (par ex., chaque suggestion d’aide du thérapeute soulève une nouvelle
objection de la part du patient qui trouve cette solution inenvisageable ou vouée
d’avance à l’échec). Dans les deux cas, le rapport collaboratif n’est pas installé, les
composantes relationnelles restent au premier plan.

Deux méthodes permettent de modifier une complémentarité non souhaitable :


l’inversion de complémentarité et la symétrisation.
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L’observation du patient

Après l'auto-observation et l'observation par le thérapeute de la relation qui s'établit, la


technique du « petit vélo » prévoit l'observation du patient. Celle-ci concerne d'abord le non-
verbal : la manière dont le patient regarde, s'exprime, sa mimique faciale, sa posture, la
distance interpersonnelle.

La partie non verbale du message est vite interprétée par le thérapeute. Elle modifie
considérablement le sens du message. Il importe donc, pour la thérapie, de mettre en
évidence, par auto-observation, ces interprétations qui apparaissent sous forme de pensées
automatiques, de jugements et/ou d'hypothèses. Ces pensées automatiques, jugements et
hypothèses influencent considérablement la thérapie et doivent être passés au crible de la
restructuration cognitive par le thérapeute afin qu'il distingue les faits des interprétations.

 Le regard du patient et ses variations. Le regard est probablement la composante non


verbale provoquant le plus de fluctuations dans la réaction émotionnelle et les
interprétations. En effet, se sentir regardé déclenche une réaction physiologique,
émotionnelle et cognitive importante.

L'observation de la manière de regarder du patient fournit des renseignements


importants sur l'état du rapport collaboratif. Elle comporte deux parties: l'observation
des caractéristiques générales du regard et la « réaction » du thérapeute, et
l'observation de l'évolution du regard au cours de l'entretien.

 La mimique faciale et le sourire du patient. Elle repose essentiellement sur la présence


ou l’absence de sourire, avec tous les intermédiaires possibles.

Comme pour le regard, il est utile, pour le thérapeute qui veut établir le rapport
collaboratif d'auto-observer ses émotions, ses sentiments et ses pensées automatiques
correspondant aux jugements et hypothèses qu'il émet à propos du sourire et de la
mimique faciale, ainsi que les conséquences pour les conduites à tenir qui sont
engagées. Les variations de sourire au cours de l'entretien sont révélatrices de l'état de
l'alliance thérapeutique.

 La voix du patient. Parler fort ou faiblement, avec une voix grave ou aiguë, plus ou
moins rapidement et en articulant plus ou moins, participe de manière importante au
sens du message.

De la même manière que pour le regard et la mimique faciale, les pensées


automatiques et les jugements du thérapeute doivent être mis en évidence et « passées
au crible » de la restructuration cognitive. Ceci peut être fait avec un tableau à trois
colonnes :

1) Ce qui me passe par l’esprit à propos de cette voix ;


2) Les hypothèses qu’évoque cette voix ;
3) Comment cette voix serait généralement perçue par les autres.

 La posture et l’habillement du patient. La posture générale, la façon dont quelqu'un se


tient assis, debout, marche, la manière dont il est vêtu forment une part majeure de
l'image qu'il donne de lui-même. Les pensées automatiques, les jugements se font
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beaucoup sur ces premières impressions et le thérapeute doit procéder au même travail
d'auto-observation et de restructuration cognitive qu'avec les autres composantes non
verbales du patient. Ici encore, il peut travailler à partir du tableau à trois colonnes
pour pouvoir appliquer la méthode de restructuration cognitive.

 La position et la distance interpersonnelle avec le patient. La distance


interpersonnelle avec le patient participe à l'établissement du rapport collaboratif. Elle
évolue au fur et à mesure des étapes d'une thérapie. Cette distance, qui place le
thérapeute et le patient « ni trop près ni trop loin » l'un de l'autre, est généralement
plus marquée lors des premiers entretiens. Au fur et à mesure de la mise en place du
travail, on observe un rapprochement. Cette variation s'accompagne souvent d'une
modification des positions du patient et du thérapeute.

Un schéma classique de cette évolution est le suivant. Lors des premiers contacts, le
thérapeute et le patient se trouvent face à face, avec ou sans bureau, et leur relation se
trouve au premier plan : c'est la phase d'évaluation réciproque. La distance
interpersonnelle respecte la tolérance réciproque. Dans un second temps, patient et
thérapeute travaillent côte à côte et le rapport collaboratif se met en place : c'est la
phase du travail en commun. Le rapprochement entre thérapeute et patient devient
possible. Il permet un meilleur partage du travail commun, lequel, en retour, facilite le
rapprochement.

Consei1s généraux pour l'observation des composantes non verbales du patient

Les composantes non verbales du patient forment un tout et participent au sens du message.
Elles sont rapidement perçues et interprétées par un thérapeute qui réagit par des hypothèses,
des verbalisations. Cela peut influencer le déroulement de la thérapie, pas toujours dans une
direction souhaitable.

Afin de limiter les risques, les thérapeutes s'entraîneront à :

 observer les changements dans les composantes non verbales au cours de l'entretien ;
 repérer de quelles manières les composantes non verbales du patient peuvent être
interprétées dans le contexte dans lequel il vit ;
 vérifier les faits plutôt que de se contenter des interprétations sur les faits.

Dans la thérapie, il faut s'attacher davantage à l'observation des changements qui ponctuent
les interactions entre thérapeute et patient qu'à l'interprétation du sens des composantes non
verbales.
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Techniques d’entretien individuel

Les 4R

La méthode des 4R se rapproche beaucoup de l’entretien motivationnel développé par


William Miller et Stephen Rollnick dans lequel le thérapeute accepte inconditionnellement la
position du patient et s’appuie sur les résistances pour établir une alliance thérapeutique.

La méthode consiste à développer quatre techniques :

 Recontextualiser
 Reformuler
 Résumer
 Renforcer

Recontextualiser

Les patients évoquent souvent les problèmes de manière générale, peu spécifique. Par
exemple: « J'en ai marre »; « Je me sens désespéré »; « Je ne m'en sortirai pas »; « J'ai peur » ;
etc.

Recontextualiser consiste à remettre dans le contexte. C'est associer ce que dit le patient aux
conditions de survenue. Par exemple, le thérapeute pose des questions précisant les conditions
des plaintes:
 J'en ai marre - De quoi en avez-vous le plus marre ? Quand en avez-vous eu le plus
marre aujourd'hui ?
 Je me sens désespéré - Le pire du désespoir, c'est quoi ? Quelle est la situation qui
vous désespère le plus ?
 Je ne m'en sortirai pas - En quoi craignez-vous le plus de ne pas vous en sortir ?
Quelles sont les situations les plus concernées ? Quand cela vous passe-t-il le plus par
l'esprit, par rapport à quoi ?
 J'ai peur - Quand la peur est-elle le plus marquée ? Qu'est-ce qui vous fait le plus
peur ? La dernière fois où vous avez eu peur, c'était quand ?

Cette liste n'est bien sûr pas limitative. Il s'agit surtout de préciser les conditions de ce
qu'évoque le patient: où ? avec qui ? Quand ?

La recontextualisation est toujours faite dans le sens du vécu du patient. Si une personne dit:
« Je vais très mal », les questions à poser vont dans le sens du « pire » : « Qu'est-ce qui vous
fait le plus mal ? », « À quel moment allez-vous le plus mal ? », « Avez-vous un exemple
récent durant lequel vous vous êtes senti particulièrement mal ? », etc.

Si un thérapeute recontextualise dans le sens de ce qui va bien, il est fort probable que le
patient ne se sente pas compris et que le thérapeute ne développe pas assez d'empathie (de
compréhension de ce que vit le patient). Par exemple, si le thérapeute questionne de la
manière suivante: « Mais tout ne va pas mal, il y a bien des moments où vous vous sentez
bien ? », le patient risque de ne pas se sentir suffisamment compris. Il peut ne plus se sentir
suffisamment aidé et se décourager. À l'inverse, certains patients argumenteront davantage
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pour bien prouver au thérapeute la réalité de leur malaise. Les composantes relationnelles
prédominent alors avec une escalade symétrique et le rapport collaboratif ne s'installe pas.

Une bonne recontextualisation:

 centre l'attention du patient sur ce qu'il ressent plutôt que sur la relation avec le
thérapeute;
 permet au thérapeute de se faire une meilleure idée de ce que vit le patient;
 facilite l'analyse fonctionnelle synchronique en partant d'une situation précise; ainsi,
dans la méthode des cercles vicieux, les cercles se « referment» plus facilement
(quand la situation de départ est vague ou générale, il est plus difficile de mettre en
évidence un cercle vicieux).

La recontextualisation est un « outil» puissant pour que patient et thérapeute travaillent


ensemble sur les problèmes réels du patient. Le patient est alors occupé par ce qu'il dit. Il
regarde moins le thérapeute, davantage dans le « vide », concentré sur la réalité qu'il évoque.

Reformuler

Trois types de reformulation sont possibles : la répétition, la précision des termes et la


formulation d’hypothèses.

La répétition est la « méthode du perroquet ». Il s’agit de reprendre mot à mot, le plus


exactement possible, ce que dit le patient. Ce dernier écoute ce qu’il vient de dire, ce qui
focalise son attention sur son vécu plutôt que sur le thérapeute ou la relation.

Le thérapeute craint parfois de répéter mot à mot ce que dit le patient. Il emploie alors des
synonymes, des formulations un peu différentes, ou « encombre » ses phrases d'expressions
inutiles - « Si j'ai bien compris... », « Vous vous dites alors... ». Il craint que le patient soit
irrité par les répétitions, ce qui n'est presque jamais le cas! Ne pas reprendre exactement ce
que dit le patient diminue l'impact de la reformulation: le thérapeute prend le risque de
« traduire » différemment ce que le patient verbalise; en outre, le patient focalise son attention
sur la nouvelle formulation et sur le thérapeute plutôt que sur son vécu. Reprendre mot pour
mot ce que dit le patient est un des meilleurs moyens de recentrer la thérapie sur le rapport
collaboratif.

La précision des termes aide le patient qui « manque de mots» ou qui a du mal à verbaliser ce
qu'il ressent ou souhaite dire. Elle aide le patient à définir sa pensée. La précision des termes
doit être claire et concise, la plus proche possible de ce dit le patient, et s'accompagne toujours
d'une vérification de la pertinence. Si la méthode est bien appliquée, l'attention du patient est
focalisée sur sa réalité plutôt que sur la relation ou ce que verbalise le thérapeute.

La formulation d'hypothèses favorise le travail en « équipe » avec les patients. Une hypothèse
doit être présentée de manière claire et précise, être congruente avec le déroulement de la
thérapie, et partagée par le patient. L'accord de ce dernier sera donc bien vérifié.

Les hypothèses du thérapeute doivent être établies à partir de la réalité que vit le patient :

 Le thérapeute doit vérifier si le patient partage l’hypothèse ;


 Le thérapeute adapte l’hypothèse en fonction de la vérification avec le patient.
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Résumer

Plusieurs types de résumé sont utilisés dans une thérapie comportementale et cognitive:
 un résumé en début de séance concernant la session précédente;
 un résumé en fin de séance pour faire le point sur ce qui a été traité;
 des résumés pour l'analyse fonctionnelle et la conceptualisation du problème, parfois
pour faire un « état des lieux » de la thérapie.

Dans la méthode des 4R, le résumé est une reformulation élargie. Il permet d'obtenir un
retour, des commentaires de la part du patient, ce qui favorise le rapport collaboratif. Il permet
d'établir qu'une liste de problèmes a un début et une fin. Il permet de vérifier que patient et
thérapeute sont sur la « même longueur d'onde », qu'ils comprennent les choses de la même
manière.

En pratique, il est utile que le thérapeute fasse un résumé dès qu'il ne sait pas quoi dire ou ne
sait pas comment continuer la séance. Souvent, un thérapeute craint de perdre le contrôle de la
thérapie et cherche à se « rassurer » en posant des questions supplémentaires, parfois inutiles.
Faire un résumé renforce la collaboration active du patient, permet d’obtenir un retour et de
faire le point pour mieux orienter l’entretien.

Renforcer

Le renforcement est une des méthodes les plus employées en thérapie comportementale et
cognitive. Un renforcement se définit par rapport à ce qu'il est souhaitable de développer :
« arroser ce que nous souhaitons voir pousser ».

Un renforcement efficace augmente la probabilité d'occurrence d'un comportement. S'il s'agit


d'un renforcement positif, c'est la probabilité d'occurrence d'un comportement de
rapprochement du stimulus discriminatif. S'il s'agit d'un renforcement négatif, c'est la
probabilité d'occurrence d'un comportement d'éloignement du stimulus.

Pour établir un rapport collaboratif, l'utilisation systématique des renforçateurs positifs


favorisant la participation du patient à la thérapie est la plus bénéfique.

En pratique, on peut distinguer deux types de renforcements :


 Ceux portant sur les faits. Ex : « Vous vous êtes levé à 8 heures et, malgré la fatigue,
vous êtes sorti dans le jardin et en avez fait le tour en prenant le temps de tout
regarder. C’est un bon départ ! ».
 Ceux portant sur la personne elle-même, ses qualités propres. Ex : « Ce que j’apprécie
chez vous, c’est votre disponibilité pour les autres ».

En ce qui concerne les renforcements sur les faits, le thérapeute applique le renforçateur sur
une action. Féliciter une personne quand elle a réussi une tâche est un renforcement sur un
fait.

Au début d’une thérapie, un renforçateur puissant consiste à reconnaître d’emblée l’ampleur


de la souffrance du patient ou la pertinence de ses demandes. C’est le renforcement
empathiques. Le patient n’a plus à convaincre le thérapeute de l’intensité de sa souffrance et
se sent pris au sérieux. Le couple patient-thérapeute peut se mettre au travail en commun.
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La méthode des 4R : récapitulatif

Les 4R (Recontextualiser, Reformuler, Résumer et Renforcer) permettent généralement


d'établir rapidement un bon rapport collaboratif: empathique, authentique, chaleureux et
professionnel.

Quand les 4R sont correctement employés, patient et thérapeute sont centrés sur les problèmes
à traiter plutôt que sur leur relation. Cela se remarque au niveau non verbal (le patient regarde
moins le thérapeute et davantage le problème) et verbal (le contenu des discours concerne le
travail commun). Les symétries et complémentarités exagérées disparaissent.

Les 4R peuvent être employés dans n'importe quel ordre. Un thérapeute peut commencer par
Renforcer puis Reformuler, Recontextualiser et Résumer, utiliser plusieurs Reformulations ou
Recontextualisations à la suite. Tout est possible : il s'agit de quatre « notes de musique » dont
l'utilisation souple construit une belle musique relationnelle.

Le plus souvent, Recontextualiser est le premier R utilisé: en précisant la situation, le patient


centre son attention sur le problème à traiter plutôt que sur la relation avec le thérapeute et les
trois autres R en découlent naturellement.

L'expérience montre qu'il est important d'appliquer la méthode de manière pure : les
Recontextualisations, les Reformulations, les Résumés et les Renforcements doivent être
clairs et précis. La mise en évidence des circonlocutions défensives du thérapeute, des
stéréotypes verbaux, ce que nous appelons les « dentelles verbales » (petites phrases du type
« Si j'ai bien compris... », « Je ne voudrais pas vous donner de conseils mais... ») permet de
les éliminer. De même, le non-verbal doit être adapté au contenu du discours. Cela renforce
l'impact de la technique d'entretien. Enfin, une reformulation peut à la fois être un
renforcement ou/et une recontextualisation. Les résumés ne sont que des reformulations
« élargies » verbalisées le plus possible avec les mots du patient.
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Le questionnement socratique

Socrate a inventé une méthode de recherche philosophique, le « dialogue socratique »,


parfaitement utilisable afin d'obtenir un bon rapport collaboratif. En posant des questions, il
permet à son interlocuteur d'examiner les différentes perspectives de son hypothèse et d'en
dégager les conséquences. La méthode, présentée par Platon, a fait ses preuves : de
nombreuses perspectives philosophiques et humaines ont ainsi été discutées, au cours des
siècles.

Le questionnement socratique est le « principal outil » de la thérapie cognitive. Il permet de


focaliser l'attention du patient et du thérapeute sur les problèmes à traiter, de mettre au jour les
hypothèses du patient, d'en tirer les conséquences possibles et de considérer d'autres
perspectives pour comprendre les problèmes.

Un questionnement médical ou psychologique n'est pas un questionnement socratique. Dans


le questionnement médical ou psychologique, le soignant recueille des informations afin
d'établir un diagnostic ou d'étayer une hypothèse. Dans le questionnement socratique, le
thérapeute aide le patient à percevoir son problème selon différentes perspectives, ce qui lui
permet de modifier ses interprétations.

Les questions types du dialogue socratique sont peu nombreuses. Le thérapeute peut les
entraîner séparément pour développer son habileté, puis les articuler afin d'installer le rapport
collaboratif.

Voici cinq questions parmi les plus fréquemment utilisées. Elles sont suffisantes, quand elles
sont employées avec les 4R, pour établir et maintenir l'alliance thérapeutique : préciser les
termes, évaluer le niveau de croyance, évaluer les conséquences, discuter l'évidence,
rechercher les alternatives.

Préciser les termes

Recontextualiser et définir permettent de mieux préciser les termes avec les questions
suivantes: Quoi ? Avec qui ? Quand ? Comment ? Qu'est-ce exactement ? L'objectif est de
focaliser l'attention du patient sur le problème à traiter, et d'en délimiter l'ampleur (où il
commence et où il finit).

Patient - Je ne vais jamais m'en sortir.


Thérapeute - Quelle est la situation que vous craignez le plus?
[Recontextualisation]
Patient - Au travail... Je suis foutu!
Thérapeute - Au travail... Et le pire que vous craignez au travail?
[Recontextualisation]
Patient - Je dois faire le compte rendu de la semaine demain, et rien n'est prêt.
Thérapeute - Le compte rendu de la semaine. [Reformulation] C'est important?
Patient - Oui, et si je ne le fais pas, ça va être la cata!
Thérapeute - Quelles sont les conséquences que vous craignez le plus? [Préciser
les termes]
Patient - Les remarques du directeur. Il est dur et devant tout le monde.
14

Thérapeute - Si je ne fais pas mon compte rendu, le directeur va me faire des


remarques devant tout le monde et en conséquence, je suis foutu. C'est ça?
Patient (très anxieux) - Oui!
Thérapeute - Effectivement, c'est dur. [Renforcement] Avez-vous un exemple de ce
qu'il vous a dit, de ce que vous craignez le plus venant de lui?
[Recontextualisation, exploration du problème]

Dans cet exemple, le thérapeute amène progressivement le patient :


 à focaliser son attention sur un problème spécifique (le compte rendu et les remarques
qu'il craint) ;
 à dégager l'hypothèse du patient (si je ne fais pas ce compte rendu, je vais recevoir des
remarques du directeur et dans ce cas je suis foutu) ;
 à commencer l'exploration du problème afin de dégager par la suite les conséquences
précises.

La façon dont le thérapeute formule l'hypothèse est importante pour le questionnement


socratique. Il s'agit d'une forme syllogistique : si... et si... alors... Un exemple est le fameux
syllogisme: « Tout homme est mortel; Socrate est un homme; donc Socrate est mortel. » Le
raisonnement est impeccable et la conclusion indiscutable... à condition que les prémisses
soient vraies et bien reliées: « Tout homme est mortel» et « Socrate est un homme ». Si une
des prémisses est fausse ou/et si la liaison entre elles est invalide, le raisonnement aboutit à
une absurdité, comme dans les sophismes tout aussi célèbres:
 Tout ce qui est rare est cher; un cheval bon marché est rare; donc un cheval bon
marché est cher.
 Tous les chats sont mortels; or Socrate est mortel; donc Socrate est un chat.
 Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous; plus il y a de trous, moins il y a de gruyère;
donc plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère.

Évaluer le niveau de croyance du patient dans l'hypothèse et discuter le pourquoi de la


note

Nos pensées ne sont que des pensées. Ce ne sont pas des faits. En évaluant le pourcentage de
croyance dans la pensée, le thérapeute aide le patient à mettre en question son hypothèse.

Dans l'exemple précédent:

Thérapeute - Effectivement c'est dur. [Renforcement] Avez-vous un exemple de ce


qu'il vous a dit, de ce que vous craignez le plus venant de lui?
Patient - J'ai peur qu'il me foute dehors.
Thérapeute - Si je ne rends pas mon compte rendu, le directeur va me foutre
dehors. Je vais vous demander d'évaluer votre degré de croyance en cette
affirmation, sur une échelle de 0 à 100. Je note 0 si je n'y crois pas du tout et 100
si je suis sûr qu'il va me mettre dehors, avec tous les intermédiaires possibles. À
combien évaluez-vous votre croyance?
Patient - Euh, 50 !
Thérapeute - Pourquoi 50 et pas 100?
Patient - Tout d'abord, j'en ai fait une partie, et j'aurai toujours quelque chose à
dire. Je ne sais pas si ce sera suffisant. En fait, je risque surtout de me faire
engueuler devant tout le monde.
15

Avec l'évaluation du niveau de croyance et le pourquoi de la note, le patient se trouve moins


pris dans ses certitudes et participe activement à l'entretien.

Évaluer les conséquences

Il s'agit d'une méthode efficace pour renforcer le rapport collaboratif. Elle permet de continuer
à discuter les hypothèses du patient sans mettre en doute la réalité des faits. Dans l'exemple
précédent, si le thérapeute posait une question comme: « Quels sont les arguments pour que
votre patron vous engueule? », il doute de ce que dit le patient et prend le risque de renforcer
la résistance. Mieux vaut évaluer les conséquences.

Thérapeute - Et si votre patron vous engueule devant tout le monde. Quelles sont
les conséquences concrètes pour vous? [Évaluation des conséquences]
Patient - J'en ai marre qu'il m'engueule. Et puis devant tout le monde, c'est
toujours pénible. Il gueule toujours, n'est jamais content et je supporte de plus en
plus mal. Les autres aussi d'ailleurs.
Thérapeute - Voyez-vous d'autres conséquences? [Exploration empathique du
problème]
Patient - Non, pas vraiment...
Thérapeute - Si mon compte rendu ne convient pas au directeur, il est probable
qu'il m'engueule devant tout le monde, je le supporte de moins en moins, mais je
ne pense pas réellement qu'il me foute dehors. C'est ça? [Résumé]
Patient - Oui... J'aimerais partir mais je n'ose pas.

En évaluant les conséquences, le patient relativise sa pensée; en outre, la méthode permet de


conserver un rapport collaboratif. Si le thérapeute avait relativisé lui-même et avait expliqué
les conséquences, le patient se serait peut-être senti incompris et n'aurait pas forcément
modifié sa pensée de manière aussi efficace.

Discuter l'évidence

La méthode consiste, dans un premier temps, à considérer ce que pense le patient comme une
bonne hypothèse, à chercher, dans un deuxième temps, les arguments en faveur et, dans un
troisième temps, ceux en défaveur. Aller dans le sens des hypothèses renforce
considérablement le rapport collaboratif et permet par la suite de laisser le patient les remettre
en question.

Thérapeute - Quitter un emploi sans être sûr d'en retrouver un. C'est ça?
Patient - Oui.
Thérapeute - À combien évaluez-vous la probabilité de ne pas trouver un autre
travail? De 0 à 100.
Patient - 50.
Thérapeute - Pourquoi 50 et pas 100?
Patient - En fait, j'ai peur de ne pas en retrouver un...
Thérapeute - Bon. En faisant l'avocat du diable, quels sont les arguments qui vont
dans ce sens: « Je ne retrouverai pas de travail » ?
Patient - Il y a beaucoup de chômage. Je ne sais pas comment me présenter. Si
quelqu'un se renseigne sur moi dans mon entreprise, je ne sais pas ce que le
patron va dire...
16

Thérapeute - Voyez-vous un autre argument possible?


Patient - Non...
Thérapeute - Et les arguments contre?
Patient - Je ne me suis pas réellement renseigné...
Thérapeute - Donc, d'un côté, il y a vos craintes (beaucoup de chômage, je ne sais
pas me présenter, je ne sais pas ce que mon patron va dire sur moi) et, de l'autre,
le fait de ne pas avoir de renseignements. C'est ça? [Arguments pour et contre]
Patient - Oui...
Thérapeute - Qu'est-ce qu'il paraît le plus logique de faire? [Le thérapeute
recherche la participation active du patient]
Patient - Eh bien... Se renseigner dans un premier temps...
Thérapeute - Si vous êtes d'accord, nous allons voir ensemble de quelle manière
procéder pour les renseignements. Cela ne coûte rien et nous aurons des réponses.
Qu'en pensez-vous? [Proposition d'un travail collaboratif]
Patient - Ça me paraît correct! [Acceptation du patient]

Chercher des alternatives

La recherche d'alternatives explore les perspectives possibles pour une pensée automatique.
La méthode ouvre davantage l'espoir et recentre le patient sur le travail psychothérapique.

Thérapeute - Pour se renseigner, quelle est la principale difficulté? [Le


thérapeute recherche la collaboration du patient]
Patient - Je n'ai pas d'idée...
Thérapeute - C'est assez normal, je pense. C'est une idée neuve: pouvoir trouver
un autre emploi... [Renforcement]
Patient - Je pourrais chercher dans ce que je sais faire. La compta, le commerce.
Thérapeute - On commence par la compta ou par le commerce? [Le thérapeute
recherche la collaboration du patient]
Patient - Le commerce, je préfère.
Thérapeute - Comment commencer la recherche de renseignements?
Patient - Je ne sais pas du tout. Peut-être lire les journaux? Me renseigner à
l'agence pour l'emploi.
Thérapeute - Le plus simple, c'est de lire les journaux. Ensuite, l’ANPE. Si vous
deviez aller à l'ANPE tout de suite, qu'est-ce que qui vous passerait par l'esprit?
[Mise en évidence des pensées automatiques]
Patient - De quoi vais-je avoir l'air? Je ne sais même pas quoi demander!
Thérapeute - Que craignez-vous le plus?
Patient - Il va penser que je ne suis pas sérieux. Chercher un emploi quand on en
a déjà un ! C'est vraiment c...
Thérapeute - II va penser que je ne suis pas sérieux. C'est une première
possibilité. Existe-t-il d'autres possibilités? [Recherche d'alternatives] Que diriez-
vous à quelqu'un d'autre dans les mêmes conditions? [Distanciation]
Patient - Qu'il cherche un nouveau travail parce que celui qu'il a ne convient pas.
Qu'il a des raisons personnelles ou professionnelles... Que c'est toujours
intéressant d'avoir des renseignements.
Thérapeute - Il va penser que je ne suis pas sérieux. À combien j'y crois de 0 à
100? [Évaluation du degré de croyance dans chaque alternative]
Patient - 50...
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Thérapeute - Il cherche un nouveau travail parce que celui qu'il a ne convient


pas?
Patient - 70...
Thérapeute - Qu'il a des raisons personnelles ou professionnelles pour changer
d'emploi?
Patient - 70...
Thérapeute - Que c'est toujours intéressant d'avoir de nouveaux renseignements?
Patient - 80...
Thérapeute - Finalement la possibilité à laquelle vous croyez le plus c'est la
dernière?
Patient - Oui, en voyant les choses comme ça, c'est plus facile d'y aller. Mais quoi
demander?

Au fur et à mesure que le thérapeute aide le patient à mettre en évidence les nouvelles
alternatives, celui-ci participe plus activement à l'entretien : le rapport collaboratif se
développe.

Toutes les méthodes de thérapie cognitive favorisent le rapport collaboratif et, dans l'exemple
précédent, le thérapeute emploie en outre une distanciation. Celle-ci consiste à faire réfléchir
un patient comme s'il devait conseiller quelqu'un d'autre. Il peut alors se rendre compte qu'il
perçoit les choses différemment selon que c'est pour lui et pour quelqu'un d'autre dans la
même situation.
18

La théorie des stades

James Prochaska et Carlo DiClemente, psychologues américains respectivement de


l’université de Rhodes Island et du Texas, se sont intéressés aux fumeurs ayant arrêté seuls
leur toxicomanie. A partir de leurs observations cliniques, ils ont élaboré un modèle utile pour
traiter les problèmes addictifs. Ce modèle permet aussi de choisir les méthodes afin d’établir
une alliance thérapeutique, en fonction du stade dans lequel se trouve le patient pour ce qui est
de la reconnaissance de son problème.

Trois sorties du cycle sont possibles:


 au niveau précontemplatif; certaines personnes restent précontemplatives toute leur vie
et n'ont jamais conscience d'avoir un problème;
 au niveau contemplatif, les personnes conservent leur dépendance tout en souhaitant
généralement l'arrêter;
 au niveau maintenance: les personnes maintiennent un mode de vie sans produit ou
comportement problème.

Le modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente est tridimensionnel. Il fait référence


aux stades évolutifs dans lesquels un sujet se situe à un moment donné, aux processus avec
lesquels un changement de stade peut se faire, et enfin aux niveaux d'intervention souhaitables
pour la thérapie.

Chacun des stades est en continuité avec le suivant. Il n'y a pas de frontière délimitée.
19

 L'étape précontemplation est celle d'une personne qui présente un problème de


dépendance mais qui ne sait pas qu'il s'agit d'un problème ou qui pense que ce n'est
pas un problème prioritaire, ou qui pense que la gravité en est exagérée.
 Durant l'étape contemplative, le patient reconnaît son problème de dépendance
comme important, il a généralement envie de s'en sortir mais ne s'en sent pas capable.
L'ambivalence est maximale. Un patient peut se situer dans un stade pour certains
problèmes et dans un autre pour d'autres problèmes. Par exemple, il peut être
précontemplatif pour sa dépendance et contemplatif pour les conséquences
financières, familiales professionnelles... Les stades peuvent varier d'un moment ou
d'un lieu à l'autre: un patient peut être contemplatif pour son problème d'alcool durant
la consultation ou durant son hospitalisation, souhaiter réellement arrêter de boire, et
retrouver sa précontemplation dès qu'il se retrouve avec ses amis dans un bar. Le
milieu du cabinet ou de l'hôpital n'est pas le même que celui du bar.
 L'étape de détermination est une phase durant laquelle la motivation du patient pour
traiter le problème devient plus importante.
 L'étape action correspond à la mise en œuvre des moyens pour le changement,
généralement le sevrage ou l'arrêt du comportement addictif.
 Maintenir le changement, le plus souvent à l'aide des méthodes de prévention de la
rechute (Marlatt et Gordon, 1985) est l'étape suivante.
 La rechute étant la règle plutôt que l'exception, les stratégies pour que cette rechute ne
soit qu'un épisode transitoire constituent l'étape suivante. Les personnes reprennent
alors le plus souvent le chemin d'un nouveau cycle: contemplation, action,
maintenance.

Les processus correspondent aux moyens utilisés pour obtenir le changement d'étape. Il s'agit
des changements émotionnels, affectifs, cognitifs et comportementaux correspondant au
changement.

Les niveaux d'intervention, concernent plus particulièrement le propos de cet ouvrage.


Chaque stade définit un niveau d'intervention. Par exemple si un patient se situe plutôt dans
un stade précontemplatif, il est important que le thérapeute pratique les méthodes
correspondant à ce stade et non celles correspondant à un des autres stades: contemplatif,
déterminé, actif, de maintenance ou de rechute.

Le stade précontemplatif

Au stade précontemplatif, le patient présente un problème mais ne sait pas ou ne reconnaît pas
souffrir de ce problème. Toutes les nuances existent, depuis les personnes inconscientes de
leur problème jusqu'aux personnes pensant que cela pourrait être un problème sans réellement
se sentir concernées. Les fluctuations dans le temps ou selon les circonstances sont
fréquentes: les patients sont parfois précontemplatifs, parfois plus contemplatifs. Par exemple,
une personne peut avoir conscience de son problème de dépendance alcoolique quand elle est
à jeun et que les conséquences relationnelles, matérielles ou somatiques sont perceptibles, et
minimiser le problème quand elle se trouve dans son bar habituel. Le plus souvent, dans un
premier temps, les patients précontemplent le problème de dépendance et contemplent les
conséquences pénibles sur leur vie. L'alliance thérapeutique peut s'établir sur les solutions à
trouver pour les problèmes, puis dans un second temps sur le problème de dépendance quand
le patient devient plus contemplatif de celui-ci.
20

Faire le diagnostic au stade précontemplatif n'est pas facile et beaucoup de thérapeutes


perçoivent les patients dont ils ont à s'occuper comme plus contemplatifs qu'ils ne le sont en
réalité. Ils confondent ce que verbalise et fait le patient en fonction du thérapeute (par
exemple, dire au thérapeute ce que ce dernier attend) et la motivation réelle. Trop se précipiter
sur les méthodes de soins risque dans ce cas de renforcer la résistance, voire la réactance.
L'objectif d'un psychothérapeute est ici de rendre le patient plus contemplatif par rapport à son
problème. Une fois le diagnostic de stade établi, si le patient apparaît précontemplatif, un
deuxième piège fréquent consiste à essayer de le convaincre qu'il a un problème plutôt que de
l'amener à en prendre conscience. Cela favorise les résistances et/ou réactances.

Le stade contemplatif

Un patient contemplatif est conscient de son problème. Généralement, il souhaite le traiter,


parfois pas, car il ne se sent pas encore déterminé ou suffisamment motivé, ou bien ne pense
pas avoir les ressources nécessaires pour le faire.

Un patient peut être contemplatif pour une partie du problème et pas pour une autre. La
contemplation peut varier selon les circonstances de temps et de lieu. De même, son
entourage peut avoir une attitude qui évolue, d'un stade à un autre, ce qui est à prendre en
compte, particulièrement dans le cadre d'une thérapie comportementale et cognitive qui
cherche presque toujours à associer les proches.

Quand le diagnostic de stade contemplatif est fait, le thérapeute a pour objectifs:


 de consolider la contemplation;
 d'augmenter la motivation à se soigner, en ouvrant d'autres perspectives que
l'impossibilité de changer, en « équipant » le patient et ses proches en méthodes pour
traiter le problème.

Le stade de la détermination

La contemplation ne suffit pas à permettre le changement. Elle peut même entraîner un


mouvement de découragement important : devant l’ampleur du problème, le patient se
démoralise et abandonne toute idée de traiter le problème.

La détermination se construit sur l’ouverture de perspectives concrètes et efficaces pour régler


le problème. Le rôle du médecin est d’apporter une ou des perspectives nouvelles, et des
méthodes de traitement avec comme objectifs de développer l’espoir, les attentes d’efficacité
et la détermination se développent en suivant ces deux axes.

Le stade actif

Un patient est actif dans la thérapie quand il met en route les processus de changement. Le
rapport collaboratif entre le psychothérapeute et le patient se renforce quand le thérapeute
apporte un soutien actif en encourageant, en renforçant les progrès accomplis, en favorisant
les bilans positifs. Un psychothérapeute contemplatif durant ce stade peut perdre l'alliance et
ralentir, voire mettre en danger la thérapie.
21

Le stade de maintenance

Le stade de maintenance est caractérisé par le maintien des changements obtenus par la
psychothérapie. Il correspond à des attentes d'efficacité bien établies chez le patient. Celui-ci
se sent plus sûr de ses capacités, a une vision plus optimiste de lui-même, des autres, du
monde extérieur et de l'avenir. Durant cette phase, le thérapeute et le patient collaborent pour
développer des compétences utiles pour améliorer la qualité de vie et des compétences pour
prévenir les rechutes.

Deux pièges sont notables durant cette phase: l'excès d'optimisme et l'excès de pessimisme.
Chacun, par des mécanismes différents, favorise la rechute, ce qui est à rapprocher de l’effet
de violation de l’abstinence.

La rechute

Comme l'écrivait Alan Marlatt, la rechute dans les problèmes de dépendance est la règle et
non l'exception. Les rechutes sont fréquentes, également, dans presque toutes les pathologies
psychiatriques et nécessitent à la fois que le patient puisse les prévenir et qu'il dispose de
conduites à tenir pour les traiter le plus rapidement possible quand elles surviennent ou
risquent de survenir.

L'effet de violation de l'abstinence est un piège redoutable dont il faut tenir compte. Dans les
problèmes de dépendance, quand un premier faux pas se produit, un patient peut réagir par
une minimisation de l'événement ou par une maximisation de l'événement.

Un patient minimise quand il n'accorde pas ou peu d'importance au premier verre, à la


première cigarette, etc. après une période d'abstinence. Généralement, cela se traduit par une
rationalisation du type: « Finalement, je ne me sens pas si mal... », ce qui lui permet de
s'autoriser une nouvelle prise de produit... puis toutes les autres.

Un patient maximalise lorsqu'il tire des conclusions excessivement pessimistes,


culpabilisantes ou décourageantes après la première prise. Cela peut être: « On rechute
toujours... Il n'y a aucun moyen de contrôler. C'est perdu! » Dans ce cas, le risque de rechute
totale est considérable par découragement.

L'expérience clinique présente souvent ces deux effets, l'un ou l'autre, parfois les deux en
alternance dans d'autres pathologies que les dépendances: par exemple, dans les troubles
dépressifs (maximisation), dans les accès hypomaniaques (minimisation), dans les problèmes
alimentaires. La préparation avec le patient des conduites à tenir en cas de reprise d'un
problème dès son apparition renforce l'alliance thérapeutique et permet une action et un appel
à l'aide rapides.

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