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Cancer/Radiother 6 (2002) Suppl 1 : 207s–213s

www.elsevier.com/locate/canrad

Soutien psychologique du patient

Psycho-oncologie : méthodes, outils


Psycho-oncology: methods and tools
P. Saltel *
Unité de psycho-oncologie, centre Léon–Bérard, 28, rue Laennec, 69373 Lyon cedex 08, France

Résumé

La psycho-oncologie s’exerce dans le quotidien du soin en cancérologie, en synergie avec les autres professionnels. Elle est une
composante de la pluridisciplinarité. Elle développe des actions de prévention auprès des patients et de leurs proches, de dépistage
systématisé des difficultés psychologiques et participe à la coordination de leur prise en charge. Dans le cadre des « soins de support » elle
permet une meilleure prise en compte de la dimension psychosociale dans le processus de décision. La collaboration régulière avec les autres
soignants assure une sensibilisation et une formation réciproque aux enjeux de la communication dans la relation soignante. © 2002 Éditions
scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Psycho-oncology is exercised daily in the cancerological care in concert with other practices. It is one of the component of the
pluridiscinarity. Preventive actions towards patients and loved ones result from this practice as well as the unrelenting seeking of
psychological difficulties. In addition, psycho-oncology enhances the coordination of patients care. Integrated to the “supportive care” it
allows a better understanding of the psychosocial dimension in the decision process. Constant collaboration with other medical practitioners
ensures awareness and a reciprocal training, which are at the core of the care relationship. © 2002 Éditions scientifiques et médicales
Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots clés: Psycho-oncologie; Soins de support

Keywords: Psycho-oncology; Supportive care

La psycho-oncologie répond à la nécessité de prendre en (syndrome de stress post traumatique, …). Un dépistage
compte dans le soin en cancérologie le processus d’adapta- précoce des difficultés d’adaptation et d’éventuels symptô-
tion psychologique du patient et de sa famille. Ceux-ci sont mes psychopathologiques sera une condition de la qualité
confrontés à une situation qui, sur le plan existentiel, peut des soins. D’autre part, il importe d’apporter aux patients les
être considérée comme une situation « extrême » et consti- conditions réputées limiter ces risques. Elles sont connues :
tuent une population psychologiquement vulnérable. Les • qualité de la communication et de l’information qui
efforts répétés pour « faire face » aux épreuves successives apportent des représentations « utiles » au patient,
qu’imposent la maladie et les traitements, les exposent aux c’est-à-dire qui contribuent à inscrire la prise en charge
risques soit de répercussions immédiates (désarroi, envisagée dans une perspective offrant les possibilités
conflits…), soit plutôt à un certain type de séquelles d’un contrôle au moins partiel sur la situation et
compatibles avec son contexte socioculturel, ses va-
leurs ;
* Auteur correspondant. Tél. : +33-4-78-78-28-28 ;
• connaissance et prise en compte des stratégies cogniti-
fax : +33-4-78-78-26-65. ves et comportementales habituelles à ce patient face
Adresse e-mail : saltel@lyon.fnclcc.fr (P. Saltel). aux difficultés, jusque-là dans les péripéties de sa vie.
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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Une discussion même rapide avec lui à ce propos, qu’à des échanges d’informations nécessaires à une com-
témoigne de la reconnaissance de la singularité de ses préhension des attitudes, des décisions prises par les uns et
réactions et inscrit les circonstances actuelles dans une les autres et à une meilleure connaissance des besoins des
certaine continuité ; patients. Par exemple, des mécanismes de dénégation chez
• évaluation systématique du contexte familial, tant les soignants pourraient conduire à ne pas tenir compte
celui-ci est un facteur décisif ; d’une contrainte comme l’âge des enfants du patient, au
• bonne coordination des démarches entre des soignants moment d’une décision thérapeutique. Aujourd’hui, du fait
intervenant souvent sur plusieurs sites et appartenant à d’une meilleure formation et sensibilisation de l’ensemble
différentes disciplines, selon la succession des étapes des soignants à travailler dans un esprit non seulement de
du traitement ; pluridisciplinarité mais aussi d’ouverture entre les profes-
• évaluation active et régulière de l’état émotionnel et des sionnels de catégories et de métiers différents, le plus
représentations que se fait le malade de sa situation. Il souvent les opportunités de reconstituer le puzzle existent
ne peut être suffisant d’attendre la demande qui dans ce tant dans les services de soins qu’à domicile. Ainsi plutôt
champ n’est pas toujours le critère pertinent pour que par une compétence, un art plus ou moins solitaire qui
apporter une aide ; permettrait une compréhension révélée, subitement éclai-
• offre et information à propos de diverses modalités rante, c’est bien par la confrontation des analyses, des
d’aide psychologique en proposant, en priorité, les informations que le psycho-oncologue participe à une ap-
techniques les plus simples et les plus accessibles ! préhension pertinente de la situation singulière de chaque
Comme le disait avec fermeté le philosophe Bernard patient.
Vergely, au dernier congrès national de la Société française Les cloisonnements de pratiques contribuent habituelle-
de la douleur (SFTD), il faut casser les secrets liés à une ment à faire perdre du temps à celui-ci (et on sait que bien
certaine honte de la maladie et de la souffrance. Il faut avoir souvent il lui est compté), dans les processus difficiles de
l’audace d’agir, car les situations peuvent parfois être prise de conscience, d’expression de ses choix, de progressif
dramatiques, passer d’une éthique de conviction à une équilibre émotionnel et de communication authentique avec
éthique de responsabilité. son entourage… L’obligatoire discrétion, le respect de tel ou
La psycho-oncologie participe donc aux efforts pour tel aspect de l’intimité de la vie du patient n’entravent pas
réaliser ces différentes conditions, elle s’inscrit dans le l’échange entre soignants à propos des péripéties de la
quotidien de la démarche de soin. relation soignante et une mise en commun des informations.
Les acteurs spécialistes de la psycho-oncologie, c’est-à-
dire psychiatres, psychologues, infirmiers formés à cette
1. Premier enjeu : faciliter la communication, discipline, sont donc bien des partenaires de l’équipe,
l’expression des émotions et des représentations tant solidaires du projet de soin à l’élaboration duquel ils
par les patients que par les soignants contribuent. Ainsi celui-ci, discuté ensemble, prend en
compte la globalité des enjeux de la situation, la singularité
L’expérience révèle que cette mission de « facilitation » des individus et limite les occasions de souffrance pour le
des communications est assez aisément réalisable et très patient, d’épuisement pour les professionnels.
efficace. Pour les patients, certes, le contexte de maladie
grave, le caractère pénible, exigeant des traitements, l’incer-
titude des lendemains, conduisent à des réticences, des 2. Deuxième enjeu : l’aide psychologique
impossibilités à communiquer trop spontanément à propos auprès des patients et de leurs proches (famille)
des croyances, des émotions et des craintes. Les processus
bien connus d’évitement, de dénégation, de projection, Il est utile d’indiquer ici une distinction importante dans
d’idéalisation… organisent des modes de pensée qui tant les techniques psychothérapiques :
chez les soignants que chez les patients peuvent inhiber, Dans une première modalité d’intervention psychothéra-
paralyser les échanges et faire dénier des aspects pourtant pique, peut-être la plus familière au grand public, et qui
essentiels de la réalité… Il sera toujours extrêmement appartient à la représentation « traditionnelle » qu’on se fait
délicat de juger sur le moment de ce que tel protagoniste du psychiatre ou du psychologue, le patient exprime une
peut « entendre », souhaite comme aide, désire pour lui- plainte, assume d’être « en demande » et accepte le
même. Cependant, la plupart des patients vont pouvoir, par « contrat » plus ou moins explicite de devoir se remettre en
étapes, manifester, exprimer les facettes, au début quelques cause, dans sa façon d’être, ses modes de relation, en fait, de
peu disparates, de leur « problématique » singulière. devoir « changer ». Dans ce cadre fréquemment, des mani-
Auprès des soignants, les psycho-oncologues contribuent festations subjectives d’angoisse sont éprouvées et considé-
à favoriser une expression plus facile des sentiments ainsi rées comme mobilisatrices. On connaît le constat habituel
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sur les résistances au changement, celui-ci n’allant pas sans mes ; ainsi une équipe allemande rapporte un impact
souffrance ! Certains pouvant choisir de continuer à souffrir favorable sur les mesures de qualité de vie chez des
de leurs « vieilles difficultés » (J. Lacan disait : « leurs patients en post-opératoire de chirurgie digestive
secrètes jouissances »), plutôt que de risquer l’aventure du « lourde » et même sur les taux de survie [6].
changement. Ainsi pour limiter de telles impasses et les De nombreux travaux s’efforcent de sélectionner les
délices de la chronicité, il est classiquement admis que le attitudes les plus utiles dans le contexte de maladie : il
patient ait à payer et pas seulement de sa personne ! est habituellement considéré que les attitudes de
Dans une deuxième modalité, c’est la situation qui est résignation-fatalisme ainsi que de répression des émo-
reconnue comme excessive voire traumatique par sa dange- tions augurent mal de l’adaptation ultérieure, en revan-
rosité, ses risques, ses contraintes. Le « consultant », on dira che selon les étapes de la maladie il pourra être plus
parfois la « victime » (le modèle théorique de référence sera « efficace » soit de se montrer actif dans la recherche
souvent celui du stress et on peut utiliser le terme de d’aide et dans une conscience lucide sur les enjeux,
victimologie) se voit proposer de manière systématique une soit d’adopter plutôt une attitude de dénégation de la
aide participant d’un processus de prévention tout autant gravité et de distraction. Quelle que soit la stratégie
que de soin. Il n’y a pas de contractualisation symbolisant c’est bien l’évaluation des événements et les représen-
l’autonomie de la « demande » et l’anxiété est alors consi- tations de la maladie cancer par le patient qui influen-
dérée plutôt comme effet indésirable, cause d’échec, d’arrêt ceront le plus l’état psychologique et les choix.
de prise en charge. Le patient est encouragé à exprimer ses Lorsque ces « programmes » sont pratiqués en groupe,
émotions qui sont légitimées et on lui conseille d’adopter ce cadre offre l’opportunité de développer un esprit de
certaines attitudes, comportements, considérés comme uti- solidarité entre les patients et limite le vécu si fréquent
les dans le contexte. Le plus souvent la charge financière, d’isolement, les peurs liées au risque d’abandon par
matérielle est assumée exclusivement par un tiers payant. l’entourage…
De façon un peu trop polémique, on peut considérer que Les diverses études confirment la « hiérarchie » des
le premier modèle expose au risque de « souffrir » sans plus habituelles préoccupations rapportées : en tout
néanmoins beaucoup changer, le second lui, pose la ques- premier lieu c’est l’impact sur la famille, ensuite les
tion du comment moins souffrir sans changer ? répercussions émotionnelles et la crainte de ne pas
Selon les praticiens en psycho-oncologie, leurs forma- assumer la violence des sentiments, enfin les questions
tions, leurs statuts professionnels, ces deux modalités prin- sur la maladie les traitements et les difficultés de
cipales d’intervention seront plus ou moins privilégiées. Il communiquer avec les soignants [9]. À ce sujet, des
faudrait exiger que plus souvent, selon les différentes conseils et des encouragements apportés aux patients
situations, le choix du modèle et donc les au moyen de petits livrets associés à une vidéo de vingt
avantages/inconvénients de chacun (ils en ont tous les minutes sur la manière et l’importance de poser des
deux !) soit plus courageusement discuté au sein des équipes questions (les « bonnes questions ») à leurs soignants,
pluridisciplinaires, le « monothéisme » répondant bien mal suffisent pour améliorer non seulement la satisfaction
à la diversité de la maladie et de la vie… des patients mais leur utilisation des diverses ressour-
Une autre dimension essentielle de l’aide psychologique ces dans le contrôle des symptômes [11].
participe de démarches de prévention avec un caractère • Apprentissages de techniques de relaxation :
donc volontiers systématique, ainsi que d’éducation pour le de très nombreux travaux et expériences ont montré
patient. Ces démarches pouvant très bien être réalisées soit l’efficacité et la faisabilité d’un apprentissage de tech-
en individuel, soit en groupes de patients. Quelques exem- niques simples de relaxation (type training autogène).
ples : Ceci devrait faire partie du minimum proposé et peut
• Actions systématisées de préparation aux situations, être réalisé en particulier par des infirmiers ou des
information : kinésithérapeutes suffisamment aguerris au contact de
de nombreuses situations sont à risque de détresse patients éprouvés par le cancer. Ces techniques per-
psychologique, nous ne développerons pas « l’annonce mettent de découvrir des ressources suffisantes pour
de mauvaises nouvelles » souvent discutée mais les faire face sur le plan des émotions, aux nombreuses
premiers traitements (par exemple en radiothérapie) épreuves qui nécessairement jalonnent le parcours du
peuvent être des moments de grande incertitude, ma- « combattant » que constitue le traitement [12]. Dans
lentendu, détresse et bénéficier de proposition d’inter- notre expérience, ces pratiques satisfont et aident
ventions systématisées ayant à la fois une dimension beaucoup les patients, elles évitent l’inflation des
d’aide à la gestion des émotions et d’informations à mécanismes d’intellectualisation et de « problématisa-
propos du contexte médico-technique. La littérature tion » abusive que l’on peut souvent observer, surtout
témoigne de l’utilité et de l’efficacité de tels program- dans l’entourage des patients.
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• Familles : évaluer les aspects affectifs de leurs patients et craignant


il est essentiel de s’efforcer de mieux connaître l’im- d’ouvrir la « boîte de Pandore », adopter comme stratégie :
pact familial et de recueillir régulièrement des infor- pas de questions ! pas de problèmes ! Cependant par exem-
mations sur la communication entre les membres de la ple, dans les consultations dites de « surveillance » de
famille, leurs besoins, les représentations qu’ils se font patientes atteintes de cancer du sein en rémission, une étude
de la situation. On a évalué que 43 % des patients en sur leurs attentes révèle que plus de 50 % d’entre elles
situation de rémission, rapportent un sentiment d’in- souhaitent que leur médecin les interroge régulièrement sur
compréhension de leur expérience par les autres mem- leurs émotions et éventuels problèmes familiaux [10].
bres de la famille [5]. On sait que les proches présen- D’autre part le patient peut tendre à dénier ses difficultés
tent divers symptômes de désarroi émotionnel, de par souci de se conformer au style habituellement vivement
manière souvent plus intense que le patient lui-même recommandé par son entourage : « le moral c’est 50 % ! ».
pour qui de telles répercussions sont un des principaux Sur le modèle de la prise en charge de la douleur il s’agit,
soucis [2]. en proposant une auto-évaluation par le patient, de permet-
Les conséquences sur le développement psychologi- tre aux soignants d’être impliqués dans l’évaluation systé-
que de jeunes enfants sont importantes et relèvent matique, le dépistage précoce du désarroi psychologique.
d’une attention particulière. De plus en plus de centres Au moyen d’un outil aussi simple qu’une échelle visuelle
de cancérologie proposent des interventions psycholo- analogique sur laquelle le patient coche entre 0 et 10
giques à ce propos, en particulier des groupes de l’intensité de son malaise sans qu’il ait à le définir plus
parole pour enfants de malades sur le modèle pratiqué précisément, le soignant infirmier ou médecin recueille un
à l’institut Gustave Roussy (Villejuif) depuis quelques score. Les nombreuses expériences qui se déroulent depuis
années [8]. 1999 dans plusieurs pays (États-Unis, Australie, France…)
La présence du conjoint aux consultations n’est pas un indiquent qu’un score de 3,5 est un « cutt-off » ayant une
critère suffisant pour considérer que la communication sensibilité et une spécificité proches des auto-questionnaires
dans le couple est satisfaisante et parfois elle peut bien plus « lourds », jusque-là utilisés comme l’échelle
entraîner une relation soignante moins chaleureuse et HADS (corrélation de 0,80 dans l’expérience du réseau
spontanée avec le malade. [1,7]. ONCORA en Rhône- Alpes) [3].
Ainsi, les patients présentant des difficultés nécessitant
une prise en charge rapide et qui représentent dans la plupart
3. Troisième enjeu : troubles psychopathologiques des nombreuses études épidémiologiques 30 % environ de
cette population, peuvent être reconnus par les infirmières
Les manifestations émotionnelles sont « labiles », large- ou médecins et leur situation explorée plus avant afin qu’ils
ment dépendantes des circonstances et il peut être difficile soient éventuellement orientés. On sait que c’est des soi-
de différencier les catégories du normal et du pathologique. gnants dont les patients attendent au moins dans un premier
En fait, le patient exige d’abord d’être reconnu dans la temps, une prise en compte des aspects psychologiques du
singularité de l’expérience vécue, que sa subjectivité soit soin et non de voir trop systématiquement, déléguer cette
acceptée. La plupart des auteurs recourent à la notion de composante à des « spécialistes ». Cette procédure peut être
« désarroi » définie par J. Holland comme : « expérience renouvelée à l’occasion des nombreuses rencontres tout au
émotionnelle désagréable de nature psychologique, sociale, long de la prise en charge.
spirituelle qui influe sur la capacité à « faire face » au cancer
et aux traitements. Dans sa dimension psychologique elle 3.2. Crises émotionnelles
s’inscrit selon un « continuum » allant des sentiments « nor-
maux » de vulnérabilité, tristesse, craintes jusqu’à des Les « crises » sont des moments d’expression des émo-
difficultés pouvant être invalidantes » [3]. C’est donc la tions et constituent bien souvent une modalité à la fois de
capacité du patient à s’adapter à la situation, le plus souvent prise de conscience de certains enjeux et un appel aux
par étapes émaillées de « crises », qui est le critère décisif proches, aux soignants. Les psycho-oncologues sont, près
plutôt que l’intensité des manifestations ! des équipes soignantes, des référents disponibles pour
évoquer au cas par cas ces situations et il est reconnu
3.1. Dépistage des troubles qu’ainsi elles se montrent plus assurées et « ouvertes » à un
abord qui relève tout à fait du rôle propre, par exemple de
Les soignants sont souvent les témoins de crises émo- l’infirmier (-ère). Si besoin, le spécialiste psycho-oncologue
tionnelles et peuvent au cours du travail quotidien redouter peut aussi rencontrer le patient comme médiateur dans ce
leurs survenues. Mal à l’aise face à l’expression souvent cheminement et permettre au mieux que puissent être as-
brutale de pleurs, colère, dépit, ils peuvent renoncer à mieux sociées à l’immédiateté des réactions, les péripéties vécues
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dans l’histoire de chacun. Lorsque de tels troubles persistent oncologue et le traitement est efficace (antidépresseurs
au-delà de plusieurs jours (deux semaines), qu’ils ont des associés à un « soutien » psychologique). Lorsqu’ils ont des
répercussions sévères sur la vie quotidienne, on peut évo- antécédents de dépression, les patients sont souvent inquiets
quer le syndrome de « trouble de l’adaptation » (DSM IV). du risque aggravé de rechute et sont soulagés de pouvoir
l’évoquer avec les soignants afin d’être orientés vers un
3.3. Anxiété psychiatre.
D’autre part à la différence des manifestations anxieuses
Les troubles anxieux, outre le malaise souvent intense qui tendent à s’améliorer après la fin des traitements, la
vécu au travers des diverses manifestations somatiques bien dépression peut persister longtemps [13].
connues, s’accompagnent de difficultés à analyser la réalité
de la situation et à prendre des décisions (dimension 3.5. Stress post traumatique
cognitive). L’anxiété doit être évaluée dans sa dimension de
« focalisation » sur telle ou telle crainte, dont la probabilité Cette catégorie nosologique rencontre actuellement un
n’est habituellement pas la plus forte ou la plus immédiate. intérêt accru de la part des psycho-oncologues du fait de
Il s’avère souvent efficace, plutôt que de tenter de rassurer l’importance des répercussions à moyen et long terme.
en vain à propos du prétexte invoqué, de discuter des peurs Plusieurs travaux rapportent en effet des chiffres de préva-
plus secrètes et souvent plus réalistes que paradoxalement lence d’environ 20 % chez des patients adultes en rémission
l’anxiété éloigne, évite de laisser venir à la pensée. Un autre ou guéris après avoir été traités dans l’enfance. Ce sont les
aspect est l’extrême difficulté à faire un choix, véritable pensées récurrentes « intrusives » et les attitudes d’évite-
paralysie à agir rationnellement. L’anxiété aura donc des ment pouvant conduire à de véritables phobies sociales, qui
conséquences délicates quant aux problèmes d’information sont les symptômes les plus invalidants. On connaît le
et de décision. succès des programmes de prévention du stress post trau-
Le recours aux anxiolytiques peut être envisagé dans les matique par les techniques de « débriefing » dans les situa-
situations aiguës et en particulier dans des épisodes d’in- tions de violence ou catastrophe, elles peuvent aussi être
somnie, mais il est souhaitable d’aider plutôt les patients à envisagées pour certaines situations en cancérologie. Il
utiliser des techniques de relaxation corporelle. Les formes s’agit de limiter les moments de « dépersonnalisation »
graves peuvent bénéficier des traitements antidépresseurs même discrets, facteurs de risques de stress post traumati-
dits « inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ». que. Il est proposé au patient de verbaliser, partager ses
Les psycho-oncologues sont dans ces situations, attentifs émotions. On constate que dans ces circonstances, le mo-
aux conséquences sur les relations avec l’entourage. dèle plus traditionnel de « l’écoute » doit être aménagé pour
une intervention plus active qui fournit des « représenta-
3.4. Dépression tions », des métaphores aidant le patient.

Elle peut survenir par épuisement du fait de stratégies 3.6. Confusion mentale
cognitives et comportementales d’adaptation inopportunes
(fatalisme, isolement…) mais aussi par accumulation de Syndrome fréquent chez des malades en phase évoluée
situations particulièrement difficiles. Ainsi des symptômes de maladie, hospitalisés ou dans le cadre de l’hospitalisation
comme la douleur, mais aussi la fatigue et surtout l’insom- ou des soins à domicile, son diagnostic précoce est délicat.
nie sont des facteurs de risque rapportés par toutes les C’est un état très déstabilisant pour l’entourage et son
études. On considère que la prévalence de dépressions traitement doit être conduit avec efficacité. Il y a un
sévères en cancérologie est variable selon les sites, les consensus dans la littérature pour recommander dans les
étapes de la maladie. Si dans les formes de maladie très formes non agitées, l’utilisation de doses modérées de
évoluées les chiffres cités dans la littérature approchent les neuroleptiques plutôt que de benzodiazépines.
50 %, dans une population de patients cancéreux hétéro-
gène, ils sont seulement un peu plus élevés que dans la
population de malades hospitalisés quel que soit le diagnos- 4. Quatrième enjeu : implication
tic, c’est-à-dire moins de 15 % [13]. des psycho-oncologues dans l’organisation
Le diagnostic précoce de la dépression en cancérologie et le quotidien des soins : le modèle « soins
est un enjeu de la qualité des soins tant les répercussions sur de support »
la qualité de vie sont sévères ainsi que les conséquences sur
les choix à l’égard des traitements et sur la compliance. Les Le traitement des maladies cancéreuses implique de plus
patients acceptent habituellement assez volontiers une éva- en plus le recours à des techniques différentes, des lieux de
luation proposée par les soignants auprès d’un psycho- soins divers et en particulier le domicile, l’action de
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nombreux professionnels. La notion de « trajectoire » du traitées pour un cancer du sein depuis au moins 2 ans et
patient s’impose donc, comme cadre de réflexion pour ayant consulté spontanément un psychiatre ou un psycho-
assurer la cohérence de l’information, de la discussion du logue [4].
projet de soin. Les pratiques se font de plus en plus dans une C’est par une participation institutionnalisée des psycho-
nécessaire « ouverture » sur l’extra-hospitalier, avec le oncologues aux réunions, ou comités organisés pour discu-
souci d’organiser la prise en charge au plus près du ter les dossiers relevant de décisions « complexes », asso-
domicile. En fait, bien souvent, la principale difficulté ciant les diverses composantes des « soins de support » que
rencontrée dans la communication et la compréhension les opportunités pour initier des contacts avec le patient, ses
réciproque participe d’une dimension de « rythme », il est proches, la nécessité de telle ou telle intervention apparais-
extrêmement délicat d’accompagner les étapes de prise de sent comme évidentes et apportent ensuite une évaluation
conscience, d’information, d’expression des choix, alors très utile aux décisions ultérieures, une compréhension des
que le patient va et vient entre plusieurs lieux, différents attentes et des besoins. L’aide, ainsi inscrite dans la dyna-
soignants… Il s’agit de trouver le « bon moment » (le mique globale du projet de soins se révèle particulièrement
kairos, au sens d’Hippocrate). efficace. Si nous ne pouvons garantir une prise en charge des
Dans les phases évoluées de la maladie, de nombreux aspects psychologiques à tous les patients, nous nous
symptômes surviennent dont le contrôle implique une sy- devons de faire en sorte que cette dimension soit au moins
nergie et une coordination des démarches. Le terme « soins prise en compte pour la majorité d’entre eux, assez tôt dans
de support » s’applique à l’ensemble des soins et du soutien leur « trajectoire » dans le système de soin qui dès lors voit
nécessaire aux personnes malades parallèlement aux traite- optimiser toutes ses possibilités.
ments spécifiques (définition de la MASCC : Multinational
Association for Supportive Care in Cancer). Se trouvent
ainsi associés les soignants plus particulièrement engagés 5. Conclusion
dans les traitements de la douleur, de la nutrition, des
situations d’urgence… les psycho-oncologues ainsi que les La psycho-oncologie existe, elle n’est pas l’avatar à la
membres d’équipes mobiles de soins palliatifs et bien sûr les mode d’une nostalgie récurrente pour une médecine expec-
cancérologues. Sans confusion des rôles mais dans une tante, mais elle est la partenaire d’un soin actif parfois
pluridisciplinarité effective et étendue à toutes les étapes de presque violent où la dimension de défi n’est jamais bien
la maladie, on peut mieux répondre à la complexité des loin. Plutôt que de dramatiser l’expérience de la confronta-
situations. Outre une meilleure efficacité dans le travail tion avec la maladie cancer, la psycho-oncologie contribue
quotidien grâce à la coordination des interventions, la à la confiance des soignants en permettant que chacun à
communication de données, c’est bien la dimension de condition d’être aidé puisse vivre sans trop d’effroi le
« compagnonnage », de formation réciproque qui affine, « temps de la maladie », en assumer toutes les évolutions.
développe à l’évidence la compétence de chacun et crée une Ceci comme nous l’avons rapporté dans ce rapide exposé,
intelligence d’équipe. suppose une méthode, une pratique qui a un souci d’effica-
Pour la psycho-oncologie, il s’agit à l’évidence d’un cité et de généralisation à l’ensemble des patients. La vertu
mode d’organisation différent de celui plus habituel où les suffisante au psycho-oncologue est certainement de ne faire
psychiatres et psychologues interviennent en quelque sorte ni peur… ni pleurer, « avec le cancer », ce qui en ces temps
« en aval » ou en parallèle des soignants somaticiens, d’obscurantisme militant dans certains domaines des scien-
comme peu ou prou une « alternative » ou un « complé- ces dites humaines, n’est pas si fréquent !
ment ». Mais un tel fonctionnement conduit inévitablement
à une « sélection » peu pertinente des patients, des situations
bien peu équitables quand on considère ce fonctionnement Références
selon les catégories de l’utilisation optimale des ressources
attribuées et de l’efficacité. En fait, ceci est particulièrement [1] Boehmer U, Clark AJ. Communication about prostate cancer
vrai en cancérologie, ce ne sont pas les patients ou les between men and their wives. J. Fam. Practice. 2001;50:226–31.
familles les plus en souffrance, les plus en difficulté qui [2] Hagedoorn M, Buunk BP, Kuijer RG, Woobes T, Sanderman R.
demandent spontanément une aide psychologique (on peut Couples deeling with cancer: role and gender differences regarding
presque dire, au contraire, si on pense à la dépression psychological distress. Psycho-oncology 2000;9:232–42.
sévère). Or c’est bien eux qui bénéficieraient au mieux de [3] Holland J. Psychosocial distress in the patient with cancer: standards
techniques d’aide courtes, efficaces et par ailleurs gratifian- of care and treatment guidelines. Oncology 2000;15:19–24.
tes pour leurs soignants. Ce ne sont pas non plus toujours [4] Gray RE, Goel V, Fitch MI, Franssen E, Chart P, Greenberg M, et al.
ceux qui nous sont adressés. On évalue par exemple au Utilization of professionnel supportive care service by women with
Canada, à moins de 10 % le nombre de patientes ayant été breast cancer. Breast Cancer Res and Treat 2000;6(3):253–8.
P. Saltel / Cancer/Radiother 6 (2002) Suppl 1 : 207s–213s 213s

[5] Kornblith AB. Psychosocial adaptation of cancer survivors. in [9] Liang LP, Dunn SM, Gorman A, Stuart -Harris R. Identifying
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[6] Kuchler T, Henne-Bruns D, Rappat S, Graul J, Holst K, [10] Muss HB, Tell GS, Case LD, Robertson P, Atwell BM. Perceptions
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