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PRISE EN CHARGE PSYCHO-SOCIALE

La relation de soins
et les patients en insuffisance rénale
Nathalie SAILLEZ, Jean-Claude CLERC - Infirmiers - Centre de dialyse de la Fonderie
MULHOUSE

“… Du jour au lendemain je me suis de l’incompréhension de certains l’anxiété. Le contact avec l’équipe


retrouvée en dialyse sans aucun soutien comportements. soignante, le lieu de son traitement,
psychologique, comme si dialyser était permet au patient d’extérioriser son
une chose normale et courante ; les A partir de notre propre expérience nous angoisse. L’agressivité est la forme la plus
personnes ayant un cancer sont tenterons d’apporter des réponses aux remarquée d’expression. La relation
accompagnées, pas les dialysés. La besoins exprimés dans les entretiens. patient-soignant peut se faire sur le mode
greffe, c’est bien, mais il faut apprendre Nous essayerons de rendre la prise en agressif. Le patient peut avoir le sentiment
à vivre avec une épée de Damoclès charge psychologique simple et d’être persécuté. Il met en avant ses droits,
au-dessus de la tête, et personne avec accessible et de proposer des outils visant et les soignants (les biens portants) ont
qui parler….” (une patiente). à améliorer la communication et l’écoute
une dette envers lui. La relation avec les
des patients.
soignants peut se faire en fonction des
L’insuffisance rénale, maladie autrefois
services rendus. L’anxiété peut également
mortelle, est devenue, grâce aux
LES RÉPERCUSSIONS se traduire par des troubles fonctionnels :
traitements une maladie chronique.
PSYCHOLOGIQUES fatigue, insomnie, etc…
Mais chronicité ne signifie pas guérison.
Cette réalité, vécue parfois comme un DE LA MALADIE
échec par les patients, entraîne des Le traitement : il impose de nombreuses
problèmes spécifiques. La maladie passe Les personnes en insuffisance rénale sont contraintes. La dialyse, premier traite-
au second plan, et le patient, sa confrontées à trois réalités : ment proposé est vécu comme une
personnalité au premier plan. Pour le - La chronicité de la maladie, nécessité absolue parce que vitale. Les
soignant la relation n’est plus avec la - La durabilité du traitement, prises de médicaments à la maison, sont
maladie mais avec le patient. Il aura un - De nombreuses contraintes. autant de rappels de la maladie, d’autant
double rôle, non seulement thérapeu- plus pénibles pour les patients non gref-
tique, mais aussi psychothérapeutique. La maladie est l’événement malheureux fables. Les contraintes sont multiples,
qui menace et modifie la vie du patient. Il relationnelles, avec l’équipe de soins,
Le point de départ de cette démarche est est confronté à une réalité nouvelle faite contraintes par le régime diététique, les
l’analyse d’entretiens réalisés auprès de de renoncements et de pertes. examens, le temps perdu…
patients dialysés ou transplantés, et de Renoncements de projets d’avenir, loisirs,
leurs familles. maternité. Et de pertes : mobilité, LES MÉCANISMES
indépendance, liberté, intégrité corpo- DE PROTECTION
Nous voulions savoir comment ils relle, forme physique. La personne peut
Face à la réalité de la maladie, le patient
vivaient leur maladie, leur traitement, exprimer les difficultés à vivre sa maladie
doit mobiliser tout ce qui est à sa
leur prise en charge. Puis nous avons de deux façons : par le langage et par le
disposition, consciemment ou incons-
laissé les soignants s’exprimer sur leur comportement.
ciemment, pour se battre. Il doit se
pratique professionnelle, la communica-
protéger contre les assauts de la maladie,
tion avec les patients, leurs émotions. Le langage : le patient a besoin de parler
ouvertement de ce qui est lourd à vivre. les contraintes du traitement. C’est une
Les patients nous ont parlé de tout ce qui Parler est un moyen privilégié d’évacuer le question de vie ou de mort !
est lourd à vivre, de la contrainte du trop plein de tension intérieure. A chaque nouvelle étape de sa maladie :
traitement, du besoin d’écoute, de Communiquer permet au patient de fistule, dialyse, transplantation, complica-
considération, de compréhension. rompre l’isolement dans lequel il se tions, il y a situation de crise, et le patient
trouve face à la maladie. S’il ne peut doit répondre par un comportement ou
Les soignants évoquent le manque de s’exprimer il se sentira rejeté, incompris. une attitude. Certains patients supportent
formation à la communication, à la prise relativement bien les astreintes de leur
en charge psychologique, de l’indiffé- Le comportement : la maladie crée traitement, et mettent leur espoir dans
rence qui s’installe dans les relations, et souvent un terrain favorable au stress, à une transplantation rénale.

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D’autres, au contraire ont des patient, un membre de sa famille. Ce LA RELATION COMMUNICATION
comportements différents, difficilement nouveau combat dont il pense plus Pour s’adapter, le patient a besoin d’être
compréhensibles pour nous. Ces compor- facilement venir à bout, rend la situation soutenu et encouragé pour gérer sa
tements sont variables selon les patients. plus gérable. nouvelle situation, la perte définitive de sa
On observe trois types de comporte- Connaître les termes, connaître les santé. Ce soutien se mettra en place au
ments : de maîtrise, de régression et la mécanismes de défense, n’a qu’une cours d’échanges où le patient pourra
négation de la maladie. parler ouvertement de sa souffrance. Le
importance relative pour les soignants.
soignant doit favoriser cette expression,
Par contre il est important de savoir gérer
La maîtrise : le patient se réapproprie la car la souffrance est presque inexprimable
les situations difficiles, de savoir comment
liberté, il a le sentiment de maîtriser son par la parole. Elle se dira au moment
répondre aux agressions, et garder son
existence en se consacrant à une activité choisi par le patient, à la soignante dans
calme.
professionnelle, sportive, ou autre. Ce laquelle il aura confiance. Il ne suffit pas
mécanisme utile peut devenir excessif et de s’asseoir sur un lit (nous en avons fait
les patients peuvent finir par être Opposer de la résistance ou de l’expérience) pour que le dialogue
tyranniques, intolérants. Si on essaie de l’intolérance envers ces comportements s’établisse. Il est indispensable que le
tempérer leurs excès ou de s’y opposer, ils de défense, sans chercher à les patient sente une présence forte, en terme
peuvent réagir avec violence car cette comprendre est la meilleure façon de de disponibilité, d’attention, de
attitude sera interprétée comme une rompre le dialogue avec le patient. compréhension. S’il sent qu’il existe
tentative pour les diminuer ou les quelqu’un de fiable, à qui il peut faire
affaiblir. confiance, le patient nous parlera.
Certains patients peuvent tenter de LA RELATION L’écoute, même passive est à la portée de
maîtriser leur santé. Ils deviennent PATIENT-SOIGNANT tous les soignants.
maniaques. Ils s’efforcent de tout
contrôler : traitements, examens, soins, La relation s’installe à l’accueil du patient “… c’est presque vital pour nous de
symptômes. Ils peuvent devenir épuisants vous voir arriver avec le sourire, nous
dans le service. Cette première prise de
pour les soignants et leur famille. sommes des êtres humains, pas des
contact permet autant de recevoir les
En outre ils peuvent se focaliser dialysés !… Nous faire comprendre, par
premières indications du patient sur sa
exclusivement sur leur maladie et peuvent une boutade, un sourire, que nous ne
personne, sur ses besoins, que de lui
se désintéresser de tout, et rejeter les sommes pas si différents de vous…”
personnes qui n’adhèrent pas à leurs idées. apporter les informations indispensables à
(une patiente).
sa prise en charge. L’accueil est la
La régression : le patient se sent première occasion de favoriser son MAÎTRISER
abandonné par son propre corps et expression, de lui faire savoir que le SON COMPORTEMENT,
abandonne le combat ; il ne peut plus rien soignant est à son écoute. La première SES ÉMOTIONS
faire pour lui, et à sa famille, aux dialyse marque l’entrée effective dans la La soignante, par son attitude et
soignants de le prendre en charge et de le maladie ; quelle que soit la préparation, l’expression de son visage produit un état
materner. l’information, elle est vécue comme un émotionnel chez le patient qu’elle soigne,
choc : c’est une autre vie qui commence, ou avec lequel elle parle. Nous avons tous
Il existe des comportements voisins celle de la survie. Si le traumatisme une expérience d’accueil par un ou une
comme : psychique se surmonte, s’oublie, par employée de mauvaise humeur ou
La non-acceptation du traitement, le contre la manière utilisée pour annoncer impolie. Que ressentons-nous alors ?
patient refuse la mise en dialyse. Il ne se Indignation, étonnement, colère même !
la mise en dialyse, les premiers contacts
sent pas malade, refuse la réalité et
avec l’équipe soignante, la façon de gérer
l’angoisse de sa situation ; ce patient se Par contre, un sourire, une attitude
les premières ponctions (douleur), les
retrouvera en réanimation dans un état accueillante, amènerons chez notre
premières dialyses ne s’oublient jamais.
d’épuisement physique et psychique. patient du réconfort, le sentiment d’être
Cette constatation apparaît nettement
reconnu. Dans l’univers de la maladie où
Le déplacement : le patient déplace dans les entretiens des patients. Nous tout se négative, l’infirmière est une
l’angoisse de sa situation vers une autre sommes persuadés qu’une prise en charge personne positive, porteuse d’attentes : ne
source, personne, situation. Il déplace de début, sans réflexion, peut souvent être décevons pas les patients. Et ajoutons que
inconsciemment son combat contre la à l’origine d’une relation difficile, d’un cette situation peut se transposer dans nos
maladie. Son angoisse se transforme en manque de confiance vis-à-vis des relations avec nos collègues, et aura valeur
agressivité envers un soignant, un autre soignants. d’exemple. Etre la même avec tout le

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monde : cette attitude, cette façon d’être, maladie entraîne souvent la perte, dialyse non plus. Des points communs
nous rendra accessible, décodable, l’appauvrissement des relations sociales, entre le patient et le soignant peuvent être
cohérent, pour le patient et nos collègues. professionnelles, la modification des le point de départ d’un dialogue. C’est
relations familiales. Le patient se voit parce que le patient a trouvé un espace de
“… les malades sont soumis au caractère progressivement moins écouté, quand ce parole où il peut tout dire en sécurité,
à géométrie variable des infirmières, un n’est évincé des décisions qui lui qu’il pourra répondre à l’agression de la
jour de bonne humeur, l’autre jour le incombait auparavant. Ce patient aura maladie.
malade est un gêneur…” (un patient). besoin de communiquer de tout et de
rien, aura besoin de séduire, de vérifier ÉCOUTER… PARLER…
Pour accomplir notre métier nous devons qu’il est important, bref de se sentir un RÉPONDRE
donc maîtriser nos émotions. Cette individu à part entière. Le patient a Le patient a le droit d’exprimer ses
capacité de taire nos propres sentiments, également besoin de vérifier qu’on tient sentiments de peur, de tristesse et de
et d’adopter l’expression, l’attitude compte de son avis, qu’on l’écoute, qu’il frustration vis-à-vis de ce qu’il a perdu.
appropriée ; sourire même si nous n’en partage les décisions vitales avec le C’est indispensable qu’il puisse dire qu’il
avons pas envie, ou rester sérieux quand il médecin. Nous croyons que beaucoup de est en colère, fatigué ou découragé.
le faut est un aspect de notre profession patients n’ont pas envie de parler : ils
peu valorisé. préfèrent regarder la télévision ou dormir, Mais les soignants doivent :
ils gèrent très bien leur situation. • Ne jamais porter un jugement.
Bien sûr nous avons aussi nos problèmes, • Ne pas lire dans les pensées du patient
mais le lieu de travail (de soins) ne doit Si cette analyse donne bonne conscience, • … ou interpréter ses pensées.
pas être le lieu de l’expression de nos nous sommes restés interrogatifs. Est-il • Aider à clarifier la situation.
problèmes ou de notre mal-être. Même si possible d’accepter la maladie, de • Ne pas questionner trop vite.
la frontière entre le travail et la vie privée supporter ses contraintes et rester serein ? • Ne pas vouloir répondre à tout.
est mince, il faut la préserver. N’est-ce pas faussement rassurant ? Et s’il • Ne pas être trop curieux..
n’y avait que la maladie, il y a aussi les
La relation de soins suppose également, soucis de la vie de tous les jours, et on ne Communiquer implique de parler avec le
de la distance, de la prudence, du dialyse pas les soucis. patient de sa situation, donc de solliciter
contrôle des investissements affectifs. son aide, de lui faire comprendre que c’est
Dans une relation trop amicale la Et s’il est important de savoir pourquoi les aussi son affaire, donc de le rendre moins
soignante perd l’indispensable distance patients qui vont mal, vont mal, il est dépendant. De privilégier l’écoute sur la
entre elle-même et la personne malade. aussi essentiel de savoir pourquoi ceux qui parole.
C’est cette distance qui lui permet de faire vont bien, vont bien.
ce qui est nécessaire pour cette personne. A un patient qui nous confie “dialyse trois
Elle représente une véritable sécurité pour ENCOURAGER LA PAROLE… fois par semaine ma vie est fichue…!”, nous
le patient, car la soignante lui garantit la Ce n’est pas parce qu’un patient ne parle répondons, “non, nous allons nous occuper
lucidité et l’indépendance dans ses actes pas, qu’il n’a pas envie de parler. Certaines de vous, les autres patients sont comme
de soins. Dans une relation trop affective questions comme l’angoisse, la mort ou la vous…”
où patients et soignants éprouvent les sexualité sont tabous, et ne peuvent être
mêmes émotions, le soutien psycholo- évoquées en famille. Et bien souvent il a Cette réponse ne dément pas l’affirmation
gique n’est plus possible. Quand le patient peur de déranger, de lasser les soignants, du patient (ma vie est fichue), mais lui fera
est angoissé, désespéré, il aura besoin de de répéter toujours les mêmes choses ou accepter le point de vue de l’infirmière et
tout le calme du soignant pour le rassurer. de décevoir les soignants qui attendent de renforcera sa dépendance envers les
A chacun sa vie, à chacun son histoire, à la reconnaissance du patient. Ce silence soignants. Et aussi l’incertitude de son
chacun sa place. est interprété comme un refus de parler état : pourra-t’il toujours compter sur
alors que le patient ne demande (peut- l’équipe soignante ?
être) que ça. Et ce silence laisse s’installer Par contre si nous répondons : “si vous êtes
LES OUTILS la solitude, l’anxiété et l’incompréhension. venus vous faire dialyser c’est que vous avez
DE LA RELATION Pour que la communication puisse envie de vivre, vous voulez lutter…”.
DE SOINS s’installer, un environnement favorable est On oblige le patient à réexaminer ses
indispensable : des soins exécutés dans le sentiments et à les orienter vers une
LA COMMUNICATION calme, et non dans la précipitation. certitude : c’est lui qui prend en charge sa
Aux souffrances de la maladie, peuvent se L’anxiété, la douleur ne favorisent pas la vie. La prise de conscience de la réalité
rajouter les manques relationnels. La parole. Le manque d’intimité des salles de stimule l’adaptation.

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De même au lieu d’utiliser l’habituelle alimentation, loisirs, repos, créera une Un sujet rarement abordé par les patients
formule : “bonjour, ça va ?” qui n’engage pression psychologique insupportable. est l’altération de la fonction sexuelle.
guère à parler de ses problèmes, mieux Maintenir une activité sexuelle est un
vaut demander “avez-vous des problèmes en Le patient communique également avec élément important de qualité de vie.
ce moment ?”. son corps, ses attitudes, des symptômes. L’infirmière doit accepter d’aborder le
Ces indices nous renseignent sur ce qu’il sujet si le patient en fait la demande.
Observons-nous pendant nos conversa- vit intérieurement.
tions avec des patients, nous voulons trop Elle informe le patient sur l’existence de
bien faire ! Nous voulons rassurer trop Les patients ayant des difficultés de moyens permettant de l’aider, soit
vite, trouver des solutions immédiates, langage essayerons de communiquer leur médicalement, soit psychologiquement.
banaliser les symptômes. Nous oublions mal-être à l’aide de ces signes. Il ne faut Dans un deuxième temps le médecin
que nous sommes en bonne santé, et ne jamais sous-estimer la capacité de ces prendra le relais. Une relation de qualité,
connaissons pas ses possibilités : nous patients à communiquer. A nous de un dialogue sincère, sera la première étape
voulons être toniques. Professionnels de la trouver les moyens appropriés à leur pour aider le patient à reprendre
santé, nous avons des arguments handicap. confiance en la maîtrise de son corps, et
scientifiques à tout. Prendre conscience de dans ses capacités d’aller à la rencontre de
cette détresse nous angoisse. Nous ÉCOUTER C’EST AUSSI l’autre.
enchaînons les réponses aux questions, INFORMER
pour supprimer les silences. Notre bonne Devant la prise en charge d’une maladie Voulant apporter une information traitant
volonté fait perdre beaucoup de sincérité, au long cours comme l’insuffisance rénale, de ces problèmes, de l’aide que peut
de crédibilité à cet échange. Une conversa- il faut non seulement informer pour bien apporter la soignante, nous nous sommes
tion trop dense est même fatigante. La comprendre les choix médicaux, mais rendus compte que ce sujet, était
conversation a besoin de silences, de aussi éduquer, pour convaincre, motiver étudié1.
laisser la place à l’émotion, à la réflexion, pour amener à des changements de
de faire place à d’autres moyens de comportements. Pour informer sans Informer c’est :
communications, le regard, le toucher. restrictions, il faut être au courant • Répondre aux questions, mais
Oui, parler vrai est difficile. soi-même. La qualité de l’information des adresser le patient à plus compétent,
patients sera dépendante de la qualité de la plutôt que de raconter des bêtises.
Mettre toute notre énergie, tout notre formation des soignants. Bien faite elle • Bien connaître le matériel employé,
savoir, pour que le patient se sente permettra de diminuer l’anxiété, de pour expliquer ce que l’on fait.
reconnu, écouté comme quelqu’un qui dédramatiser la situation, surtout si elle est • Bien connaître les symptômes, pour
a de l’importance, qu’il ait de associée à une prise en charge de la différencier les graves des bénins et ne
l’importance aux yeux des siens, des douleur. L’information doit être adaptée pas affoler le patient inutilement.
autres, qu’il ait confiance en lui, le goût au patient. Le but n’est pas d’asséner des
de lutter pour la vie, n’est-ce pas vérités, mais de lier les informations avec LA RELATION PSYCHOLOGIQUE
l’équivalent d’un soi. ce que le patient sait. Il pourra alors Quelle prise en charge psychologique
l’expliquer avec ses mots à ses proches. souhaitent les patients ? Dans les
CONNAÎTRE L’HISTOIRE L’infirmière fait le lien, elle informe le entretiens, aucun patient interrogé ne
DU PATIENT ET OBSERVER patient (et son entourage), elle informe le souhaite spontanément l’aide d’un
Le patient nous informe. Cette informa- médecin. Elle explique ce qu’elle fait au psychologue. Une seule soignante nous
tion nous permet d’évaluer où se situe le patient, et l’intègre à la communauté. confie : “présence souhaitée d’un
patient par rapport à sa maladie : se psychologue, pour le patient et le soignant”.
pose-t’il des questions ? est-il déprimé ? L’éducation patient (régime etc…) ne doit Si dans le cadre d’une équipe pluridiscipli-
révolté ? passif ? positif ? fait-il des projets ? pas intégrer la notion de contrainte. Par naire la présence d’un psychologue est
quelles sont ses relations avec sa famille ? exemple : ne pas dire… il faut… vous précieuse, seules des structures
son travail ? les soignants ? Comment devez… Mais que savez vous à propos de importantes, pourront bénéficier de sa
juge-t’il son état ? Amélioration, mieux- la restriction en boissons… ! présence.
être ? Les traitements sont-ils efficaces ?
Il faut également informer le patient de Le psychologue ne doit pas être un service
Attention de ne pas confondre écoute et tous les changements relatifs à offert au même titre que les autres
interrogatoire : ne pas être trop curieux ou l’organisation de la structure que ce soit au prestations. Il faut en ressentir le besoin ;
interventionniste. Un regard sur tous les niveau des soins, de l’intendance, de et des patients en souffrance pourront se
faits et gestes du patient : hygiène, l’administration…etc. faire aider par un professionnel.

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Nous pensons, pour notre part que cette ATTÉNUER LE SENTIMENT de précisions : le type de douleur, son
prise en charge repose pour l’essentiel sur DE CONTRAINTE intensité, comment elle est vécue, les effets
l’équipe soignante. Notre priorité sera de Pour les patients qui n’ont, en dialyse, ni le du traitement. Ces informations nous
former le personnel à la communication choix du jour, de l’heure, du générateur, permettront non seulement de le
verbale, à la compréhension du vécu des du traitement, la contrainte exercée par comprendre, mais aussi de comprendre sa
patients, à savoir les accompagner. Et la l’équipe soignante est souvent façon de reconstruire sa vie avec la
majorité des patients, même si les débuts difficilement gérable. La tentation est maladie, et de l’aider dans cette action. Il
sont difficiles, arrivent à réorganiser leur alors, pour les patients, dans le but de est essentiel d’actualiser les informations
nouvelle vie ; les soignants essaierons, avec retrouver un espace de liberté, d’exercer en permanence pour assurer la continuité
eux, lorsqu’ils le demandent, de trouver le une contrainte sur les soignants : retards de la relation. Les écrits rédigés dans la
chemin qui leur convient le mieux, à les dans les horaires, écarts de régime, confidentialité et la neutralité sont
aider à investir ailleurs. exigences diverses, etc… également importants car ils permettent
d’évaluer le niveau relationnel, l’ambiance
Trois points nous paraissent importants. Si nous ne pouvons rendre la liberté aux du service, les conditions de travail.
- L’acceptation par le patient, est un patients, nous pouvons néanmoins leur Les transmissions renforcent le travail
élément essentiel à prendre en compte. permettre de se sentir plus libres. collectif. Notre charge de travail sera
Le refus ou l’acceptation de la maladie également mieux représentée par des
déterminera son attitude. • Respecter la personne : ne pas descriptions précises de nos actes, que par
- L’adaptation à la maladie, au traitement, chosifier le patient les propos habituels : “stressées…
• Consulter les patients pour les débordées… à bout…”.
et aux soignants peut prendre du temps
et le patient, surtout au début de sa décisions médicales
• Les faire participer à certains choix Il est également important de dégager des
maladie n’est pas toujours capable de
• Conseiller l’autodialyse moments de communication orale. Ce
supporter des exigences de haut niveau :
• Encourager les séjours en vacances sont ces réunions si difficiles à mettre en
faire face, lutter… Donc laisser le temps
• Ne pas obliger les patients à tout place et à renouveler. Pourtant ces
et l’accompagner, l’encourager, dans tous
demander échanges permettent d’harmoniser les
les actes entrepris pour trouver un
• Ne pas faire ce que le patient peut opinions, d’apprendre à les nuancer en
nouvel équilibre.
faire lui-même entendant les opinions de ses collègues.
- Le dernier point, est qu’il ne faut jamais
• Etre ponctuelle dans les horaires de Elles permettent aussi de diminuer
arrêter le soutien psychologique,
branchement. l’investissement personnel, et d’éviter la
l’équilibre est fragile et le patient très
lassitude.
vulnérable.
LA RELATION ÉCRITE…
LES TRANSMISSIONS LES RELATIONS DE TRAVAIL
La prise en charge psychologique ne doit
L’absence d’informations concernant la Pour être performante, l’équipe de soins
jamais se faire solitairement, c’est un utilise les mêmes ressources que dans sa
personne soignée crée l’indifférence, la
travail collectif. Les informations sont routine. relation avec les patients. Cultiver au
partagées, les points de vue échangés. maximum des liens dynamiques entre
L’équipe soignante note les attitudes Il est important de connaître la vie du soignants contribue à alimenter une
(compliance, parole, comportement au patient, les événements précédant la souplesse d’adaptation à l’autre, à la
traitement, au régime, observations maladie, son histoire. réalité, à l’ouverture et à la réflexion. La
écrites). Elle analyse les données, puis prise en charge individuelle nous confine à
décide ensuite des actions à mener, des Ces informations seront associées à toutes l’isolement, et la communication est
priorités (patients sans attaches familiales, les informations reçues par les soignants ; indispensable. Un travail constant
dépressions, idées de suicide, etc…). pour qu’elles puissent être partagées et d’échanges contribuera à créer des liens, et
complétées, approfondies par tous, il est à la reconnaissance de l’autre. Même si la
Soutenir psychologiquement ce patient indispensable de les écrire. Les possibilité d’exprimer son désaccord doit
que tout enferme dans sa maladie transmissions écrites doivent être les plus exister, on travaillera toujours en appui,
demande beaucoup d’énergie et descriptives possible. Plus que le vécu, on sans porter de jugement, ni intervenir
d’humilité. Nous faisons des erreurs, nous observera le patient, dans ses actes, ses dans une décision.
aurons des échecs, mais en reconnaissant réactions, ses relations avec les soignants et
nos faiblesses, nos limites, nous ne les autres ; ses points de vue sur lui-même, Dévaloriser les collègues ou le médecin,
pourrons que mieux comprendre le sur sa situation. Les symptômes entame le capital confiance de tous. Les
patient. douloureux sont à relever avec beaucoup contacts entre soignants impliquent la

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possibilité de conflits à différents niveaux Peut-on créer des protocoles ? infirmiers et non administratifs. Il est
(croyances, sentiments, etc…). Le Non, car il ne suffit plus de connaître des important que les choix, médicaux,
soignant doit être à même d’identifier les signes, mais il faut utiliser des horaires de séances, de matériel, se
problèmes qui se posent dans l’équipe, et à renseignements pour comprendre des fassent en fonction du patient (de son
même de les résoudre. Il est illusoire situations, et soigner. De plus, un âge, de son état) et avec sa participation
d’attendre que les conflits s’apaisent protocole incite à reproduire une action, active.
d’eux-mêmes : les gens peuvent changer sans prendre en compte le vécu de chaque
Nous sommes conscients que confrontés
de comportement. L’objectif sera de créer patient. Cette formation doit plutôt faire
à la maladie, au patient, à la prise en
une nouvelle façon de travailler dans un appel à la réflexion, aux échanges entre
charge globale, notre réponse est limitée.
espace débarrassé d’agressivité. soignants et patients.
Les relations soignants-patients sont
changeantes car inscrites dans le temps.
AGIR SUR LES SYMPTÔMES Nous dirons aux soignants :
Elles nécessitent une adaptation, des
FONCTIONNELS Simplement écouter et regarder les
remises en question constantes. Nous
Chez ces patients, l’angoisse, la mort, sont patients, sans s’angoisser sur ce qu’on
devrons parfois affronter des problèmes
inscrits au plus profond d’eux-mêmes. va dire ou répondre. Respecter leur
physiques ou psychologiques, quasi
S’ils n’arrivent ou n’osent pas l’exprimer silence s’ils ne veulent pas, ou ne
insolubles, particulièrement les
verbalement, à leur entourage, aux peuvent pas parler. Donner une bouffée
problèmes liés aux conditions de vie de la
soignants, ce mal-être risque de se d’énergie, la confiance, le goût de lutter
vieillesse aggravés par la dialyse. Nous
manifester par des troubles fonctionnels : pour la vie. Il faudra du temps, de
devons parfois accepter la nature limitée
digestifs, céphalées, fatigues, douleurs la sincérité, des efforts pour
de nos actions, mais sans cesser de
diverses. Ces troubles auront pour apprendre la relation. Et pouvoir puiser
chercher de nouvelles approches de la
réponses des investigations, qui dans sa propre expérience, savoir
maladie, des attitudes plus adaptées à la
médicaliseront encore plus le patient. communiquer, négocier. rencontre de la personne malade.
L’insomnie est également un marqueur de
l’angoisse, et la prescription de somnifères, Pour de nombreuses infirmières, la durée Nous avons travaillé sans a priori avec
ou de tranquillisants ne feront que de carrière dans notre centre n’excède pas pour unique but d’insuffler une
diminuer la résistance des patients. deux ans. Elles oublieront les techniques, dimension humaine à la relation avec le
mais une formation à une relation patient. Et essayer de comprendre les
A une réponse thérapeutique, préférons authentique, une ouverture à la réflexion lignes de force de l’existence, de l’avenir.
une réponse faite d’écoute, d’accompa- les auront enrichies. Elles auront acquis Cette démarche n’est sûrement pas
gnement, et de compréhension. une compétence et des attitudes adaptées à transposable chez vous. A vous de la
la rencontre positive du patient atteint de créer avec votre compréhension, votre
LA RELATION FORMATION maladie chronique. perception de la maladie.
La formation doit intégrer la relation dans
Et… qu’est-ce qui est essentiel dans
un ensemble cohérent : technique et
notre métier ? exécuter docilement les
pédagogique. Seulement on ne devient pas CONCLUSION prescriptions médicales ou investir dans
experte en relation en deux mois. Former
le relationnel ?
demande de grandes capacités L’organisation du travail, la dotation en
relationnelles, et des compétences personnel des services de soins
techniques de haut niveau. Former dépendent de plus en plus d’instruments
BIBLIOGRAPHIE
suppose également d’avoir soi-même été de mesure. Il est évident que ces mesures 1- La fonction sexuelle chez l’insuffisant rénal
traversé par la vie, d’avoir un esprit ouvert. de tâches servent plus à justifier un un sujet à ne pas éviter ; Dr Foret (Dyalog)
Ces exigences désigneront des soignants volume d’actes qu’à identifier et Le soutien psychologique aux patients
ayant une bonne pratique professionnelle, personnaliser les réels besoins en soins. hémodialysés adultes. E. Bonnard. Echanges
de l’enthousiasme : chaque nouveau La mesure s’effectue d’après un de l’AFIDTN juin 1997.
soignant arrive avec tout un potentiel rendement maximal. Cette “macdonali- Une psychologue et son vécu en hémodialyse.
d’énergie. Il nous paraît indispensable sation” du travail infirmier appauvrit le Echanges de l’AFIDTN juin 2000.
d’évaluer la capacité de l’équipe à intégrer contenu qualitatif de la relation avec le S’adapter à la dialyse. Pr D. Cupa (Dyalog)
les nouveaux soignants. patient. Le relationnel, l’information du Vivre ensemble la maladie d’un proche.
patient, son éducation ne sont pas Dr C. Faure (Albin Michel).
Actuellement cette formation à la relation comptabilisés. Nous pensons qu’il faut Face à la maladie grave. Ruszniewski Martine.
est peu développée, et pourtant il y a une donner sa place à l’analyse des soignants, (Dunod).
demande des jeunes infirmières. car le soin et la relation sont des actes Anxiété et dépression. Figaro Magazine 2001.

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PAROLES DE PATIENTS, “Compétences techniques prioritaires, la vie “quelle relation avec les patients limités
PAROLES DE SOIGNANTS, en dépend”. intellectuellement ?…”
RECUEILLIES PENDANT “les relations sont difficiles à gérer : soi-
LES ENTRETIENS Les contraintes même il faut faire très attention à ce que
“Il faut faire ceci ou cela, phrase fétiche des l’on dit, par contre, il faut accepter des
ENTRETIEN PATIENT médecins et du personnel !” réflexions désobligeantes… les patients ont
La maladie “Avoir affaire à des gens qu’on a pas envie de leurs préférences…”
Pour tous, dialysés, transplantés, la voir !… dépendance matérielle et humaine”. “améliorer la qualité des relations par des
dialyse marque l’entrée effective dans la transmissions écrites concernant l’aspect
maladie. C’est une autre vie qui Les relations relationnel, psychologique… et faire des
commence. Si le traumatisme psychique “Nous faire comprendre par un sourire, une transmissions orales…”
du début se surmonte, s’oublie, par boutade, que nous ne sommes pas différents “a ressenti de la méfiance de la part des
contre, la manière utilisée pour annoncer de vous”. patients, besoin de beaucoup de temps pour
la mise en dialyse, les premiers contacts “C’est presque vital pour nous, de vous voir se faire adopter…”
avec les soignants, la prise en compte de la arriver avec le sourire !… nous sommes “pense apporter quelque chose à certains
douleur lors des premières ponctions, ne avant tout des êtres humains, pas des patients, une présence, un sourire…”
s’oublient jamais. Une mauvaise prise en dialysés”. “présence souhaitée d’un psychologue pour les
compte de la douleur lors des premières “… Etre à l’écoute sans dramatiser, ni patients et le personnel…”
ponctions, ne s’oublie jamais. Une banaliser… chaque personne est différente,
mauvaise prise en charge altérera la il ne faut pas généraliser… Une relation La familiarité, le tutoiement
confiance dans l’équipe soignante, et copain-copain peut nuire à la qualité des “surprise par le tutoiement, la familiarité.
pourra parfois entraîner des relations soins…”
Quelle est l’attitude juste à adopter ?…”
difficiles. “Les malades sont soumis au caractère à
“Avec le recul j’aurais peut être gardé mes
géométrie variable des infirmières, un jour
distances…”
La confiance de bonne humeur, un autre jour, le malade
Tous les patients redoutent la négligence est gêneur”.
La formation à la relation
du soignant qui compromettra l’équilibre
“il n’y a pas de formation sur la prise en
fragile de leur santé, voire de leur vie. Les L’agressivité
charge psychologique, pas d’information sur
erreurs, les oublis dont ils sont témoins “Il faut comprendre qu’avec tant de
le diagnostic, sur le passé médical du
augmentent encore leurs appréhensions. contraintes, il est difficile de rester zen !”
patient…”
“Je suis conscient de la fragilité de ma
“je ne pense pas qu’on puisse apprendre le
situation, et ne veux pas qu’une erreur de la La vie
relationnel…”
part d’un soignant enraye mes projets ou “La dialyse n’est pas une fin en soi, le
“n’a pas été préparé à la psychologie du
entame mon énergie…”. dernier obstacle n’est jamais atteint, il y a
toujours un autre obstacle, un autre patient chronique : comment l’aborder,
La compétence combat…” comment réagir à ses réactions, comment lui
Les patients sont exigeants quant aux “Heureux d’avoir réussi sa vie… a des parler…”
qualités techniques de la soignante. Ils projets… a appris à prendre le temps car
jugent l’équipe : il y a les infirmières justement il en a peu, essaye d’aller à Les soins infirmiers
efficaces, compétentes, qui ne font pas l’essentiel…” “pourquoi faut-il demander l’autorisation
mal, et les autres ! Et tant qu’à faire ils “Ne pourrait pas reprendre une activité aux patients pour la ponction quand on est
préfèrent les unes aux autres. “A priori professionnelle, mais est plus présente auprès nouvelle infirmière ?…”
toute infirmière fait mal, très mal si elle de sa fille…” “certains patients demanderaient à être
pique mal. Ras le bol même si elle est jolie !” piqués par certaines infirmières et pas par
Et exprimer son point de vue : “Qui est d’autres”.
libre de dire ce qu’il pense sans représailles ?” ENTRETIEN SOIGNANT “les premières dialyses pourraient se faire en
Dans le même registre les patients ne A propos des relations patients limitant la douleur (patch Emla) donc le
supportent pas la suffisance. “Je n’accepte “la relation est difficile à mettre en œuvre, stress du patient, et de l’infirmière…”
pas une infirmière qui dit, je sais, et qui ne car il n’y a pas d’échanges entre nous, pas de “je crois que les premières dialyses sont
m’écoute pas, ou ne me connait pas !” suivi, nous changeons tout le temps décisives par rapport à la façon dont le
Lorsqu’un acte technique se passe mal par d’horaires, de salles.” patient va accepter et investir sa nouvelle
la maladresse du soignant, les patients “la relation existe, mais est-elle de qualité ?” vie…”
suggèrent que le soignant puisse s’excuser, “au bout d’un certain temps, on ne parle “peu d’infirmières sont conscientes de
plutôt que de prétexter la mauvaise plus que de la pluie et du beau temps…” l’importance de la fistule aux yeux des
qualité des vaisseaux ! “certains patients sont peu demandeurs…” patients…”

N° 66 - Mars 2003 39

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