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a remédiation cognitive ou “rééducation cogni- La cognition sociale :
tive” vise à restaurer un fonctionnement cognitif de quoi s’agit-il ?
de meilleure qualité, permettant ainsi que les
personnes qui en bénéficient aient des capacités La cognition sociale désigne les compétences spécifi-
accrues de gestion de la vie quotidienne et sociale. quement dédiées à nos relations avec autrui et parti-
Souvent confondue avec les thérapies cognitives et culièrement développées dans l’espèce humaine,
comportementales (TTC), la remédiation cognitive permettant la perception, le traitement et l’interpré-
en diffère cependant par ses cibles et par les modèles tation des signaux sociaux. On s’accorde aujourd’hui
théoriques qui l’inspirent : à la considérer comme un ensemble composite de
➤ ➤ les TCC s’attachent aux contenus de pensée, aux plusieurs compétences, parmi lesquelles on distingue :
croyances et aux schémas de pensées qui leur sont ➤ ➤ la lecture ou la reconnaissance des émotions d’au-
sous-jacents. Par exemple, il peut s’agir d’analyser trui, à partir des expressions du visage, des gestes, des
avec le patient les croyances auxquelles s’attachent attitudes et/ou de la prosodie (ton de la voix) [figure 1] ;
ses idées délirantes et de l’aider à les remettre en ➤ ➤ la théorie de l’esprit (ou capacités de mentali-
question sur le mode d’un dialogue socratique. sation), c’est-à-dire l’aptitude à prévoir ou à expli-
➤ ➤ La cible, ou plutôt les cibles, de la remédiation cogni- quer le comportement d’autrui en lui attribuant
tive sont de nature différente : il s’agit des processus des croyances, des souhaits ou des intentions et en
cognitifs impliqués dans différentes fonctions psycho- sachant les distinguer des siens propres (figure 2) ;
logiques comme l’attention (capacité à engager et à ➤ ➤ des compétences plus générales permettant d’uti-
maintenir son attention, à la faire passer d’un point à un liser ces compétences de base pour gérer des situations
autre), la mémoire, les fonctions exécutives (qui concer- sociales dans la “vraie vie” : compréhension des règles qui
nent l’activation, l’inhibition et l’organisation d’opérations définissent une situation sociale, construction de réponses
1 UniversitéVersailles-Saint-Quentin-en-
de pensée en vue de la réalisation d’une tâche), etc. adaptées à cette situation en fonction de ces règles, et Yvelines ; centre hospitalier deVersailles.
En pratique, cependant, la remédiation recouvre une mise en place des différentes actions appropriées.
grande variété de techniques et de niveaux d’inter-
vention qui peuvent s’inspirer de ces deux types de
pratiques de soins.
Dans le développement aujourd’hui exponentiel décidée amusée jaloux paniqué
de ces techniques de soin, l’idée que les habiletés
de pensée impliquées dans les relations aux autres
puissent être directement la cible des traitements
commence à s’imposer. Si viser à améliorer les
compétences relationnelles des personnes atteintes
de troubles schizophréniques relève d’un bon sens horrifiée qui s’ennuie arrogant haineux
clinique, ce sont les avancées des sciences cognitives
qui ont permis un renouvellement fondamental de Choisir la proposition qui correspond le mieux à ce que ressent la personne
notre façon d’appréhender des questions comme
celles de la communication à autrui, de la conscience Figure 1. Tâche évaluant la lecture des expressions émotionnelles (2).
de soi et d’autrui, de l’empathie, de l’insight, etc.
Keywords
Schizophrenia
Cognitive remediation
Theory of mind
Disorganization
Cartons “réponses”
Dans cette tâche, le sujet doit choisir parmi les cartons “réponses” celui qui complète le plus logiquement l’histoire. La bonne réponse est
bien sûr celle montrant le personnage en train de faire une corde à nœuds avec ses draps pour s’évader, après avoir scié les barreaux de
la fenêtre de sa cellule. Les patients schizophrènes ont tendance à ignorer l’intention du personnage et à choisir l’image de droite, dans
laquelle le personnage est couché dans le lit, sans doute du fait que cette image désigne la situation la plus banale : lorsqu’on est à côté
d’un lit, on se couche.
sociale qui ont le retentissement le plus important c’est le profil d’évolution strictement inverse qui
sur la qualité du fonctionnement quotidien et que est observé chez les patients ayant bénéficié du
ce sont les troubles en théorie de l’esprit (6) et ceux second programme et dont s’améliorent exclu-
de la reconnaissance des émotions (7) qui altèrent le sivement les performances en cognition “froide”.
plus la capacité à occuper des rôles sociaux. En somme, il semble nécessaire, pour améliorer
les compétences de cognition sociale, d’en faire
les cibles d’une partie au moins du programme
Comment faire pour améliorer thérapeutique.
les compétences La seconde série de travaux s’inscrit dans une
approche globale : de nombreux programmes théra-
de cognition sociale ? peutiques ont été développés (l’Association améri-
caine de psychiatrie en retient plus d’une dizaine à
Interventions “larges” ce jour). Deux de ces programmes intégrés ciblent
plus directement les habiletés sociales, mêlant des
Ces interventions reposent sur l’idée que des interventions de niveaux très variés et associant
compétences cognitives de base, autrement appe- des actions sur des fonctions cognitives de base et
lées “cognition froide”, car elles ne concernent pas des interventions sur les niveaux plus complexes
directement les relations à autrui, sont néanmoins de la relation à autrui et du fonctionnement social.
impliquées dans le traitement des indices sociaux. L’Integrated Psychological Therapy (IPT) [cf. La
Par exemple, l’identification de l’émotion exprimée Lettre du Psychiatre 2009;V:100-4), développée par
par un visage requiert qu’on ait correctement prêté H.D. Brenner (8) est fondée sur l’hypothèse que des
attention à l’expression souvent fugace de cette déficits “de base” dans des compétences élémen-
émotion. Il serait donc utile, voire nécessaire, d’amé- taires ont un effet envahissant sur des compétences
liorer ces compétences cognitives de base pour plus complexes et qu’il est nécessaire de commencer
renforcer les aptitudes relationnelles des patients. par rééduquer ces déficits élémentaires avant d’agir
Deux grandes séries d’études ont été conduites sur les niveaux complexes, en particulier sur ceux
en parallèle depuis une vingtaine d’années : les impliqués dans les relations sociales. Les séances
premières ont essentiellement un objectif scienti- de groupe suivent 5 modules hiérarchisés portant
fique de validation de cette hypothèse ; les secondes successivement sur :
ont un objectif thérapeutique : elles cherchent à faire ➤ ➤ l’attention, la mémoire et la flexibilité des
la preuve de l’impact écologique dans la “vraie vie”, processus cognitifs ;
et considèrent la question du “comment ça marche” ➤ ➤ les perceptions sociales et émotionnelles ;
comme étant comme secondaire. ➤ ➤ le langage et les fonctions exécutives ;
La première série d’études, menées dans les années ➤ ➤ les habiletés sociales ;
1980-1990, a apporté des résultats mitigés et ➤ ➤ la résolution de problèmes de la vie quotidienne.
contradictoires. Dans certains cas, un gain modéré La méta-analyse de V. Roder et al. (9), portant sur
dans les capacités en cognition sociale a pu être 30 études et 1 393 patients, confirme l’impact de
rapporté, sans cependant que les progrès observés l’IPT (effet de taille modéré) sur le fonctionnement
dans la réalisation de tests de laboratoire aient pu cognitif, psycho-social et l’intensité des symptômes.
faire la preuve d’un effet dans la “vraie vie”. Dans Cependant, l’hypothèse d’une nécessaire progres-
d’autres cas, c’est la démonstration inverse qui a sivité dans les compétences travaillées (des plus
été faite : par exemple, W. Wölwer (7) compare élémentaires aux plus complexes) n’a pas été validée.
les effets de deux programmes de remédiation de C’est d’ailleurs l’hypothèse inverse qui est défendue
6 semaines chacun. Le premier est un programme par certains (10) : les cibles cruciales de la remé-
d’entraînement à la reconnaissance des émotions diation cognitive doivent être les mécanismes par
faciales, le second un programme de remédiation lesquels les changements ont un impact sur le fonc-
cognitive classique ciblant la mémoire, l’attention tionnement dans la “vraie vie”. En d’autres termes,
et les fonctions exécutives. Les résultats sont sans il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’entraîner des
ambiguïté : les patients ayant bénéficié du premier compétences de base, mais surtout d’améliorer les
programme ont exclusivement vu s’améliorer leurs habiletés à les utiliser en situation, c’est-à-dire de
capacités de reconnaissance émotionnelle, leurs permettre aux patients d’acquérir des stratégies de
performances à la fin du programme ne se distin- contrôle (de haut niveau) des processus cognitifs
guant plus de celles de sujets non malades ; et élémentaires.
émotions d’autrui en situation naturelle implique bien groupe (10 patients pour 5 thérapeutes) de une heure
d’autres compétences, comme par exemple l’évaluation chacune, qui se répartissent en 5 modules : prise de
du contexte global, autrement dit de la situation. conscience du déficit, reconnaissance des émotions,
communication de ses propres sentiments, amélio-
◆◆ Remédiation de la lecture des intentions d’autrui ration de l’observation d’autrui, reconnaissance des
C’est précisément sur cette question de l’évaluation fausses croyances. Les résultats qualitatifs rapportés à
des éléments contextuels que cette technique fonde propos de 10 patients sont très favorables : certains de
sa stratégie d’apprentissage (16). Elle repose sur l’hy- ces patients ont par la suite pu développer des réseaux 10. Wykes T, Reeder C. Cognitive
remediation therapy for schi-
pothèse que les patients schizophrènes attribuent amicaux, et même retrouver un travail. zophrenia. Theory and Practice.
des intentions à autrui (peut-être même trop), mais ➤ ➤ L’entraînement à la cognition sociale et aux inte- Londres, New York: Routledge,
Taylor & Francis Group, 2005.
que ces attributions sont de mauvaise qualité car mal ractions (SCIT) de D. Penn (18) et D. Combs (19) cible
11. Hogarty GE, Flesher S. Deve-
ajustées à la situation qui aurait dû leur permettre 3 domaines : la compréhension des émotions (en utili- lopmental theory for a cogni-
de sélectionner l’hypothèse la plus pertinente. En sant, entre autres, un programme d’entraînement à tive enhancement therapy of
pratique, les séances se déroulent en groupe et débu- la reconnaissance des émotions), une restructuration schizophrenia. Schizophr Bull
1999;25(4):677-92.
tent par la présentation d’un ou de deux très brefs cognitive afin de devenir de bons détectives sociaux 12. H ogarty GE, Flesher S,
extraits de films qui mettent en jeu deux ou trois et [de] ne pas déclarer coupables sur des impressions Ulrich R et al. Cognitive enhance-
personnages en interaction. initiales (en utilisant des scènes vidéo et une logique ment therapy for schizophrenia:
effects of a 2-year rando-
Pour chaque film est posée une question (par exemple, un hypothético-déductive), puis une phase d’intégration mized trial on cognition and
bref extrait de film montre un homme qui téléphone, au qui consiste à appliquer les compétences travaillées aux behavior. Arch Gen Psychiatry
2004;61:866-76.
volant de sa voiture, et qui est interpellé par un policier. situations de la vie réelle. Une étude contrôlée portant
13. C ombs DR, Tosheva A,
Alors que ce policier s’apprête à le verbaliser, le conduc- sur 28 patients institutionnalisés au rythme d’une séance Penn DL, Basso MR, Wanner JL,
teur commence à lui parler de son fils devenu adolescent, de groupe par semaine pendant 18 semaines (versus Laib K. Attentional-shaping as
avec lequel il a perdu contact et pour qui il s’inquiète. un programme d’entraînement aux habiletés sociales) a means to improve emotion
perception deficits in schi-
La question posée est “pourquoi le conducteur parle-t-il montre, chez ces patients chroniques et avec une patho- zophrenia. S chizophr Res
de son fils au policier ?”). Le travail consiste à classer ces logie sévère, une nette supériorité de l’entraînement 2008;105(1-3):68-77.
14. Russell TA, Chu E, Phillips ML.
hypothèses de la plus probable à la moins probable ; il à la cognition sociale et aux interactions à la fois en A pilot study to investigate the
porte donc sur les stratégies qui permettent d’aboutir termes de performances en cognition sociale et en flexi- effectiveness of emotion recogni-
aux conclusions du classement proposé. Il requiert que bilité cognitive qu’en termes de capacités aux relations tion remediation in schizophrenia
using the micro-expression
les patients souscrivent à une logique commune et sociales, par la réduction des comportements agressifs. training tool. Br J Clin Psychol
partagée (sur laquelle le groupe s’est entendu) plutôt 2006;45(Pt 4):579-83.
qu’à leur logique personnelle. La seconde partie de la 15. R ussell TA , Green MJ,
séance porte sur le récit par les patients d’expériences Conclusion Simpson I, Coltheart M. Reme-
diation of facial emotion
vécues dans lesquelles ils ont le sentiment d’avoir mal perception in schizophrenia:
concomitant changes in visual
compris la raison du comportement d’autrui, ces récits Les différentes approches présentées ici ont à présent attention. Schizophr Res 2008;
étant rediscutés par le groupe sur le même mode de à faire la preuve de leur intérêt dans des études plus 103(1-3):248-56.
formulation d’hypothèses et de sélection de la plus larges et aux schémas rigoureux. Le débat à propos de 16. Kayser N, Sarfati Y, Besche C,
Hardy-Baylé MC. Elaboration of
probable. Les résultats de cette technique sur un petit la meilleure manière de procéder et des réels processus a rehabilitation method based
nombre de patients sont très encourageants, y compris de changement est ouvert, et parfois vif. Cependant, on a pathogenetic hypothesis
of “theory of mind” impairment
dans les modalités d’échange au quotidien des patients. le domaine du soin des troubles cognitifs, et en parti- in schizophrenia. Neuropsychol
culier de ceux de la cognition sociale, est à l’évidence Rehabil 2006;16:83-95.
◆◆ Programmes globaux l’enjeu de questions majeures et l’espoir de résultats 17. R o n c o n e R , M a z z a M ,
Frangou I et al. Rehabilitation
À ce jour, deux équipes ont publié des études qui rappor- thérapeutiques réels. Plusieurs apports peuvent déjà of theory of mind deficit in
tent, elles aussi, des résultats encourageants quant à être soulignés : l’enrichissement de la clinique par le schizophrenia: a pilot study of
l’utilisation de programmes globaux ciblés sur les compé- déplacement du regard des praticiens sur d’autres symp- metacognitive strategies in group
treatment, Neuropsychol Rehabil
tences en cognition sociale de petits groupes de patients. tômes et difficultés que ceux décrits dans les approches 2004;14(4):421-35.
➤ ➤ La réhabilitation “métacognitive” de la théorie de psycho-pharmacologiques (comme les hallucinations et 18. P enn D. A pilot study of
social cognition and interaction
l’esprit de R. Roncone (17) vise à aider le sujet dans la le délire), la plus grande proximité entre la cible des soins training (SCIT) for schizophrenia.
compréhension et l’utilisation des stratégies de pensée et les difficultés de la “vraie vie”, ce dont témoignent Schizophrenia Research
nécessaires aux interactions sociales, comme la lecture la motivation des patients et la synergie des effets dès 2005;80:357-9.
19. Combs DR, Adams SD, Penn
des intentions d’autrui, le raisonnement stratégique et la qu’une action de remédiation est associée à un travail DL, Roberts D., Tiegreen J, Stem P.
reconnaissance des émotions. L’apprentissage porte sur de réhabilitation, et la réaffirmation de la nécessité Social cognition and interaction
des mécanismes généraux susceptibles d’être exportés d’approches individualisées du fait de la variabilité des training for schizophrenia. Schi-
zophr Bull 2007;33:585.
dans un usage quotidien ; il se déroule en 22 séances de difficultés cognitives des patients. ■