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DOSSIER THÉMATIQUE

Remédiation des troubles


de la cognition sociale
Social cognitive remediation in schizophrenia
C. Passerieux1

L
a remédiation cognitive ou “rééducation cogni- La cognition sociale :
tive” vise à restaurer un fonctionnement cognitif de quoi s’agit-il ?
de meilleure qualité, permettant ainsi que les
personnes qui en bénéficient aient des capacités La cognition sociale désigne les compétences spécifi-
accrues de gestion de la vie quotidienne et sociale. quement dédiées à nos relations avec autrui et parti-
Souvent confondue avec les thérapies cognitives et culièrement développées dans l’espèce humaine,
comportementales (TTC), la remédiation cognitive permettant la perception, le traitement et l’interpré-
en diffère cependant par ses cibles et par les modèles tation des signaux sociaux. On s’accorde aujourd’hui
théoriques qui l’inspirent : à la considérer comme un ensemble composite de
➤ ➤ les TCC s’attachent aux contenus de pensée, aux plusieurs compétences, parmi lesquelles on distingue :
croyances et aux schémas de pensées qui leur sont ➤ ➤ la lecture ou la reconnaissance des émotions d’au-
sous-jacents. Par exemple, il peut s’agir d’analyser trui, à partir des expressions du visage, des gestes, des
avec le patient les croyances auxquelles s’attachent attitudes et/ou de la prosodie (ton de la voix) [figure 1] ;
ses idées délirantes et de l’aider à les remettre en ➤ ➤ la théorie de l’esprit (ou capacités de mentali-
question sur le mode d’un dialogue socratique. sation), c’est-à-dire l’aptitude à prévoir ou à expli-
➤ ➤ La cible, ou plutôt les cibles, de la remédiation cogni- quer le comportement d’autrui en lui attribuant
tive sont de nature différente : il s’agit des processus des croyances, des souhaits ou des intentions et en
cognitifs impliqués dans différentes fonctions psycho- sachant les distinguer des siens propres (figure 2) ;
logiques comme l’attention (capacité à engager et à ➤ ➤ des compétences plus générales permettant d’uti-
maintenir son attention, à la faire passer d’un point à un liser ces compétences de base pour gérer des situations
autre), la mémoire, les fonctions exécutives (qui concer- sociales dans la “vraie vie” : compréhension des règles qui
nent l’activation, l’inhibition et l’organisation d’opérations définissent une situation sociale, construction de réponses
1 UniversitéVersailles-Saint-Quentin-en-
de pensée en vue de la réalisation d’une tâche), etc. adaptées à cette situation en fonction de ces règles, et Yvelines ; centre hospitalier deVersailles.
En pratique, cependant, la remédiation recouvre une mise en place des différentes actions appropriées.
grande variété de techniques et de niveaux d’inter-
vention qui peuvent s’inspirer de ces deux types de
pratiques de soins.
Dans le développement aujourd’hui exponentiel décidée amusée jaloux paniqué
de ces techniques de soin, l’idée que les habiletés
de pensée impliquées dans les relations aux autres
puissent être directement la cible des traitements
commence à s’imposer. Si viser à améliorer les
compétences relationnelles des personnes atteintes
de troubles schizophréniques relève d’un bon sens horrifiée qui s’ennuie arrogant haineux
clinique, ce sont les avancées des sciences cognitives
qui ont permis un renouvellement fondamental de Choisir la proposition qui correspond le mieux à ce que ressent la personne
notre façon d’appréhender des questions comme
celles de la communication à autrui, de la conscience Figure 1. Tâche évaluant la lecture des expressions émotionnelles (2).
de soi et d’autrui, de l’empathie, de l’insight, etc.

La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 1 - janvier-février 2010 | 15


Résumé
Les troubles de la cognition sociale jouent un rôle très important dans les difficultés de vie
quotidienne auxquelles se confrontent les personnes souffrant de troubles schizophréniques.
Plusieurs méthodes de remédiation cognitive sont destinées à améliorer leur traitement des
Mots-clés informations sociales. Selon les premières études réalisées avec de petites cohortes de patients,
Schizophrénie ces programmes semblent prometteurs du point de vue de leurs bénéfices thérapeutiques.
Remédiation cognitive
Théorie de l’esprit
Désorganisation

Highlights Tâche évaluant l’attribution d’intentions à autrui (1)


Impaired social cognition plays
a part in the development of
schizophrenic disorders. Several
cognitive remediation methods
aim at improving social infor-
mation processing of people
suffering from schizophrenia.
According to the first studies
realized with small samples
of patients, these methods
could be useful to treat schizo- Cartons “histoire”
phrenia.

Keywords
Schizophrenia
Cognitive remediation
Theory of mind
Disorganization
Cartons “réponses”
Dans cette tâche, le sujet doit choisir parmi les cartons “réponses” celui qui complète le plus logiquement l’histoire. La bonne réponse est
bien sûr celle montrant le personnage en train de faire une corde à nœuds avec ses draps pour s’évader, après avoir scié les barreaux de
la fenêtre de sa cellule. Les patients schizophrènes ont tendance à ignorer l’intention du personnage et à choisir l’image de droite, dans
laquelle le personnage est couché dans le lit, sans doute du fait que cette image désigne la situation la plus banale : lorsqu’on est à côté
d’un lit, on se couche.

Figure 2. Comment mesure-t-on les troubles de la cognition sociale ?

Pourquoi une remédiation des ➤ ➤ un déficit en théorie de l’esprit est presque


troubles de la cognition sociale toujours retrouvé : M. Sprong (3), dans une méta-
analyse portant sur 29 études publiées entre 1995
dans la schizophrénie ? et 2006, identifie un déficit sévère corrélé à un
Les troubles de la cognition sociale sont l’une syndrome dissociatif – ou désorganisation – et
des manifestations les plus caractéristiques de la dont l’intensité fluctue avec l’intensité globale des
schizophrénie. Ils sont présents dès le début de la symptômes et s’aggrave avec la durée de la maladie.
maladie chez les sujets à risque mais non malades ; ils ➤ ➤ En ce qui concerne la reconnaissance des
s’aggravent à mesure qu’évoluent les troubles et que émotions, les déficits sont quasi constants, sévères
s’appauvrissent, par conséquent, les liens sociaux. et stables, tant pour l’identification des émotions
Enfin, comme d’ailleurs l’ensemble des troubles exprimées par le visage (4) que pour la reconnais-
cognitifs observés, ils ne sont que peu, voire ne sont sance de la prosodie émotionnelle.
pas, améliorés par les psychotropes tandis qu’ils sont ➤ ➤ L’intensité de ces déficits les situe comme les
en grande partie responsables du handicap psychique plus sévères parmi la myriade d’anomalies cognitives
qui affecte environ les deux tiers des personnes souf- retrouvées chez les personnes souffrant de troubles
frant de troubles schizophréniques. L’ensemble des schizophréniques.
compétences directement impliquées dans les rela- Enfin, s’il est évident que les capacités cognitives inter-
tions à autrui est altéré chez ces patients, à un degré viennent dans la vie de tous les jours, il est également
variable mais souvent sévère : démontré que ce sont les troubles de la cognition

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sociale qui ont le retentissement le plus important c’est le profil d’évolution strictement inverse qui
sur la qualité du fonctionnement quotidien et que est observé chez les patients ayant bénéficié du
ce sont les troubles en théorie de l’esprit (6) et ceux second programme et dont s’améliorent exclu-
de la reconnaissance des émotions (7) qui altèrent le sivement les performances en cognition “froide”.
plus la capacité à occuper des rôles sociaux. En somme, il semble nécessaire, pour améliorer
les compétences de cognition sociale, d’en faire
les cibles d’une partie au moins du programme
Comment faire pour améliorer thérapeutique.
les compétences La seconde série de travaux s’inscrit dans une
approche globale : de nombreux programmes théra-
de cognition sociale ? peutiques ont été développés (l’Association améri-
caine de psychiatrie en retient plus d’une dizaine à
Interventions “larges” ce jour). Deux de ces programmes intégrés ciblent
plus directement les habiletés sociales, mêlant des
Ces interventions reposent sur l’idée que des interventions de niveaux très variés et associant
compétences cognitives de base, autrement appe- des actions sur des fonctions cognitives de base et
lées “cognition froide”, car elles ne concernent pas des interventions sur les niveaux plus complexes
directement les relations à autrui, sont néanmoins de la relation à autrui et du fonctionnement social.
impliquées dans le traitement des indices sociaux. L’Integrated Psychological Therapy (IPT) [cf. La
Par exemple, l’identification de l’émotion exprimée Lettre du Psychiatre 2009;V:100-4), développée par
par un visage requiert qu’on ait correctement prêté H.D. Brenner (8) est fondée sur l’hypothèse que des
attention à l’expression souvent fugace de cette déficits “de base” dans des compétences élémen-
émotion. Il serait donc utile, voire nécessaire, d’amé- taires ont un effet envahissant sur des compétences
liorer ces compétences cognitives de base pour plus complexes et qu’il est nécessaire de commencer
renforcer les aptitudes relationnelles des patients. par rééduquer ces déficits élémentaires avant d’agir
Deux grandes séries d’études ont été conduites sur les niveaux complexes, en particulier sur ceux
en parallèle depuis une vingtaine d’années : les impliqués dans les relations sociales. Les séances
premières ont essentiellement un objectif scienti- de groupe suivent 5 modules hiérarchisés portant
fique de validation de cette hypothèse ; les secondes successivement sur :
ont un objectif thérapeutique : elles cherchent à faire ➤ ➤ l’attention, la mémoire et la flexibilité des
la preuve de l’impact écologique dans la “vraie vie”, processus cognitifs ;
et considèrent la question du “comment ça marche” ➤ ➤ les perceptions sociales et émotionnelles ;
comme étant comme secondaire. ➤ ➤ le langage et les fonctions exécutives ;
La première série d’études, menées dans les années ➤ ➤ les habiletés sociales ;
1980-1990, a apporté des résultats mitigés et ➤ ➤ la résolution de problèmes de la vie quotidienne.
contradictoires. Dans certains cas, un gain modéré La méta-analyse de V. Roder et al. (9), portant sur
dans les capacités en cognition sociale a pu être 30 études et 1 393 patients, confirme l’impact de
rapporté, sans cependant que les progrès observés l’IPT (effet de taille modéré) sur le fonctionnement
dans la réalisation de tests de laboratoire aient pu cognitif, psycho-social et l’intensité des symptômes.
faire la preuve d’un effet dans la “vraie vie”. Dans Cependant, l’hypothèse d’une nécessaire progres-
d’autres cas, c’est la démonstration inverse qui a sivité dans les compétences travaillées (des plus
été faite : par exemple, W. Wölwer (7) compare élémentaires aux plus complexes) n’a pas été validée.
les effets de deux programmes de remédiation de C’est d’ailleurs l’hypothèse inverse qui est défendue
6 semaines chacun. Le premier est un programme par certains (10) : les cibles cruciales de la remé-
d’entraînement à la reconnaissance des émotions diation cognitive doivent être les mécanismes par
faciales, le second un programme de remédiation lesquels les changements ont un impact sur le fonc-
cognitive classique ciblant la mémoire, l’attention tionnement dans la “vraie vie”. En d’autres termes,
et les fonctions exécutives. Les résultats sont sans il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’entraîner des
ambiguïté : les patients ayant bénéficié du premier compétences de base, mais surtout d’améliorer les
programme ont exclusivement vu s’améliorer leurs habiletés à les utiliser en situation, c’est-à-dire de
capacités de reconnaissance émotionnelle, leurs permettre aux patients d’acquérir des stratégies de
performances à la fin du programme ne se distin- contrôle (de haut niveau) des processus cognitifs
guant plus de celles de sujets non malades ; et élémentaires.

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Remédiation cognitive Remédiation des troubles
dans la schizophrénie de la cognition sociale

La Cognitive Enhancement Therapy (CET), déve- ◆◆ Remédiation de la reconnaissance


loppée par G.E. Hogarty et al. (11, 12), est fondée des émotions
sur un modèle neuro-développemental des troubles Il s’agit d’améliorer les capacités des patients à
schizophréniques. Les soins se déroulent en deux reconnaître les émotions exprimées par le visage
périodes au rythme d’une séance d’une heure et demi dans l’espoir d’augmenter leurs compétences
par semaine pendant un an. La première période sociales et relationnelles. La petite dizaine d’études
consiste en un entraînement intensif sur ordinateur publiées (13) montre des résultats prometteurs bien
des fonctions cognitives de base. Cependant, dès que, pour l’instant, ces techniques ne s’inscrivent
cette première phase, les patients sont sollicités dans pas dans un contexte suffisamment écologique pour
Références
leurs compétences sociales car le travail se fait en avoir une réelle portée thérapeutique.
bibliographiques
binôme : ils utilisent l’ordinateur à tour de rôle et s’ai- Ces techniques reposent sur un entraînement assisté
1. Sarfati Y, Hardy-Baylé MC,
Besche C, Widlöcher D. Attri- dent mutuellement par des encouragements et des par ordinateur dans lequel les sujets exercent leur
bution of intentions to others conseils ; un thérapeute assiste aux séances, super- capacité à identifier l’expression exprimée par des
in people with schizophrenia:
a non-verbal exploration with
vise et régule les interactions. La seconde période visages. Un entraînement intensif ne semblant pas
comic strips. Schizophr Res réunit les participants par groupes de 6 et centre les efficace, l’exercice vise à développer chez le sujet de
1997;25(3):199-209. exercices sur la cognition sociale : exercices de caté- meilleures stratégies d’extraction des informations
2. Baron-Cohen S, Wheelwright
S, Hill J, Raste Y, Plumb I. The gorisation et de formation de “schémas sociaux” ; pertinentes, en particulier en focalisant son atten-
“Reading the Mind in the Eyes” compréhension de messages condensés, résolution tion sur les parties cruciales du visage (les yeux, la
Test revised version: a study with
normal adults, and adults with
des dilemmes de la vie sociale réelle ; extraction du bouche et le nez). Nous donnerons deux exemples de
Asperger syndrome or high-func- thème central d’articles de journaux ; évaluation de ce type d’apprentissage. T.A. Russel (14) fait travailler
tioning autism. J Child Psychol contextes sociaux et affectifs ; conversations, jeux les patients sur un matériel vidéo dans lequel il est
Psychiatry 2001; 42(2):241-51.
3. S prong M, Schothorst P,
de rôle, etc. À chaque séance est également revu un expliqué comment distinguer des émotions : “concen-
Vos E, Hox J, Van Engeland H. exercice de travail à la maison au sujet duquel les trez votre attention sur la manière dont la bouche est
Theory of mind in schizophrenia: patients se donnent les uns aux autres des feedbacks. plus arrondie dans la surprise alors que dans la peur,
meta-analysis. Br J Psychiatry
2007;191:5-13. Globalement, les études montrent que les patients elle est plus tendue et les lèvres sont tirées horizon-
4. B audouin JY, Franck N. La font des progrès importants tant dans leurs compé- talement…”. Puis une séance d’exercice est réalisée
reconnaissance de l’expres- tences cognitives de base que dans leur aptitudes dans laquelle 28 expressions sont présentées très
sion faciale émotionnelle par
le patient schizophrène. Dans: relationnelles : ils deviennent moins catégoriques fugacement sur des visages et doivent être identifiées,
Psychopathologies, émotions et dans leurs jugements, plus amicaux et empathiques, un feedback étant donné au patient qui peut recom-
neurosciences. Paris: Belin, 2006.
5. B rüne M. Emotion, reco-
manifestent davantage de capacité d’insight et se mencer autant de fois qu’il le souhaite. T.A. Russel (15)
gnition, “theory of mind”, and montrent plus confiants et plus impliqués. Ces progrès rapporte une corrélation entre l’amélioration observée
social behavior in schizophrenia. se maintiennent voire s’amplifient durant l’année qui et une modification des mouvements oculaires des
Psychiatry Res 2005;133: 135-47.
6. Pinkham AE, Penn DL. Neuro-
suit l’arrêt de la thérapie. Cependant, cette technique patients qui, après apprentissage, se focalisent effecti-
cognitive and social cogni-tive a un coût élevé puisqu’elle doit être conduite par un vement davantage sur les parties centrales et informa-
predictors of interpersonal skill thérapeute hautement qualifié et sur une longue durée. tives du visage. De son côté, D.R. Combs (13) propose
in schizophrenia. Psychiatry Res
2006;143(2-3):167-78. de “modeler” l’attention à l’aide d’un indice visuel
7. W ölwer W, Frommann N, Interventions “ciblées” (une large croix) qui apparaît pendant 3 secondes
Halfmann S, Piaszek A, Streit M, au centre de chaque image pour diriger l’attention
Gaebel W. Remediation of
Impairments in facial affect Ces nouveaux types d’intervention ont un double fonde- sur la zone des yeux et de la bouche, puis disparaît
recognition in schizophrenia: ment : vient en premier la conviction qu’il est possible progressivement. Aucune consigne particulière n’est
efficacy and specificity of a new
training program. Schizophr Res et efficace d’améliorer les compétences en cognition donnée au participant, cette technique proposant
2005;80:295-303. sociale en les ciblant directement ; en second lieu il y a le donc un apprentissage implicite. Ce “modelage atten-
8. Brenner HD, Roder V, Hodel souci de développer des techniques de soins non seule- tionnel” permet au patient d’améliorer significati-
B, Kienzle N, Reed D, Liberman
RP. “Integrated Psychological ment efficaces mais également suffisamment simples et vement ses scores d’identification sur le matériel
Therapy for schizophrenic rapides pour que leur usage puisse s’intégrer aux soins travaillé mais également sur d’autres images. Alors
patients. Seattle, Wash: Hogrefe courants, et ce pour le plus grand nombre. Le dévelop- que cette amélioration est obtenue lors d’une seule
& Huber, 1994.
9. R o d e r V , M u e l l e r D R ,
pement de ces nouveaux programmes, dans une logique séance d’apprentissage, elle persiste 8 jours après.
Mueser KT, Brenner HD. Inte- de démonstration scientifique d’efficacité, a d’abord Ces travaux restent très préliminaires et portent sur un
grated Psychological Therapy visé deux cibles clairement définies : les troubles de la nombre limité de patients. Il faudrait déterminer combien
(IPT) for schizophrenia: is
it effective? Schizophr Bull reconnaissance des émotions et les déficits en théorie de de séances seraient nécessaires à l’obtention d’une
2006;32(Suppl.):81-93. l’esprit. Certains ont également proposé de leur associer amélioration durable et, surtout, comment l’on pourrait
différents modules afin de construire des programmes faire pour que cette amélioration s’observe dans la vie de
“complets” de remédiation de la cognition sociale. tous les jours. Il va en effet de soi que l’identification des

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DOSSIER THÉMATIQUE

émotions d’autrui en situation naturelle implique bien groupe (10 patients pour 5 thérapeutes) de une heure
d’autres compétences, comme par exemple l’évaluation chacune, qui se répartissent en 5 modules : prise de
du contexte global, autrement dit de la situation. conscience du déficit, reconnaissance des émotions,
communication de ses propres sentiments, amélio-
◆◆ Remédiation de la lecture des intentions d’autrui ration de l’observation d’autrui, reconnaissance des
C’est précisément sur cette question de l’évaluation fausses croyances. Les résultats qualitatifs rapportés à
des éléments contextuels que cette technique fonde propos de 10 patients sont très favorables : certains de
sa stratégie d’apprentissage (16). Elle repose sur l’hy- ces patients ont par la suite pu développer des réseaux 10. Wykes T, Reeder C. Cognitive
remediation therapy for schi-
pothèse que les patients schizophrènes attribuent amicaux, et même retrouver un travail. zophrenia. Theory and Practice.
des intentions à autrui (peut-être même trop), mais ➤ ➤ L’entraînement à la cognition sociale et aux inte- Londres, New York: Routledge,
Taylor & Francis Group, 2005.
que ces attributions sont de mauvaise qualité car mal ractions (SCIT) de D. Penn (18) et D. Combs (19) cible
11. Hogarty GE, Flesher S. Deve-
ajustées à la situation qui aurait dû leur permettre 3 domaines : la compréhension des émotions (en utili- lopmental theory for a cogni-
de sélectionner l’hypothèse la plus pertinente. En sant, entre autres, un programme d’entraînement à tive enhancement therapy of
pratique, les séances se déroulent en groupe et débu- la reconnaissance des émotions), une restructuration schizophrenia. Schizophr Bull
1999;25(4):677-92.
tent par la présentation d’un ou de deux très brefs cognitive afin de devenir de bons détectives sociaux 12. H ogarty GE, Flesher S,
extraits de films qui mettent en jeu deux ou trois et [de] ne pas déclarer coupables sur des impressions Ulrich R et al. Cognitive enhance-
personnages en interaction. initiales (en utilisant des scènes vidéo et une logique ment therapy for schizophrenia:
effects of a 2-year rando-
Pour chaque film est posée une question (par exemple, un hypothético-déductive), puis une phase d’intégration mized trial on cognition and
bref extrait de film montre un homme qui téléphone, au qui consiste à appliquer les compétences travaillées aux behavior. Arch Gen Psychiatry
2004;61:866-76.
volant de sa voiture, et qui est interpellé par un policier. situations de la vie réelle. Une étude contrôlée portant
13. C ombs DR, Tosheva A,
Alors que ce policier s’apprête à le verbaliser, le conduc- sur 28 patients institutionnalisés au rythme d’une séance Penn DL, Basso MR, Wanner JL,
teur commence à lui parler de son fils devenu adolescent, de groupe par semaine pendant 18 semaines (versus Laib K. Attentional-shaping as
avec lequel il a perdu contact et pour qui il s’inquiète. un programme d’entraînement aux habiletés sociales) a means to improve emotion
perception deficits in schi-
La question posée est “pourquoi le conducteur parle-t-il montre, chez ces patients chroniques et avec une patho- zophrenia. S chizophr Res
de son fils au policier ?”). Le travail consiste à classer ces logie sévère, une nette supériorité de l’entraînement 2008;105(1-3):68-77.
14. Russell TA, Chu E, Phillips ML.
hypothèses de la plus probable à la moins probable ; il à la cognition sociale et aux interactions à la fois en A pilot study to investigate the
porte donc sur les stratégies qui permettent d’aboutir termes de performances en cognition sociale et en flexi- effectiveness of emotion recogni-
aux conclusions du classement proposé. Il requiert que bilité cognitive qu’en termes de capacités aux relations tion remediation in schizophrenia
using the micro-expression
les patients souscrivent à une logique commune et sociales, par la réduction des comportements agressifs. training tool. Br J Clin Psychol
partagée (sur laquelle le groupe s’est entendu) plutôt 2006;45(Pt 4):579-83.
qu’à leur logique personnelle. La seconde partie de la 15. R ussell TA , Green MJ,

séance porte sur le récit par les patients d’expériences Conclusion Simpson I, Coltheart M. Reme-
diation of facial emotion
vécues dans lesquelles ils ont le sentiment d’avoir mal perception in schizophrenia:
concomitant changes in visual
compris la raison du comportement d’autrui, ces récits Les différentes approches présentées ici ont à présent attention. Schizophr Res 2008;
étant rediscutés par le groupe sur le même mode de à faire la preuve de leur intérêt dans des études plus 103(1-3):248-56.
formulation d’hypothèses et de sélection de la plus larges et aux schémas rigoureux. Le débat à propos de 16. Kayser N, Sarfati Y, Besche C,
Hardy-Baylé MC. Elaboration of
probable. Les résultats de cette technique sur un petit la meilleure manière de procéder et des réels processus a rehabilitation method based
nombre de patients sont très encourageants, y compris de changement est ouvert, et parfois vif. Cependant, on a pathogenetic hypothesis
of “theory of mind” impairment
dans les modalités d’échange au quotidien des patients. le domaine du soin des troubles cognitifs, et en parti- in schizophrenia. Neuropsychol
culier de ceux de la cognition sociale, est à l’évidence Rehabil 2006;16:83-95.
◆◆ Programmes globaux l’enjeu de questions majeures et l’espoir de résultats 17. R o n c o n e R , M a z z a M ,
Frangou I et al. Rehabilitation
À ce jour, deux équipes ont publié des études qui rappor- thérapeutiques réels. Plusieurs apports peuvent déjà of theory of mind deficit in
tent, elles aussi, des résultats encourageants quant à être soulignés : l’enrichissement de la clinique par le schizophrenia: a pilot study of
l’utilisation de programmes globaux ciblés sur les compé- déplacement du regard des praticiens sur d’autres symp- metacognitive strategies in group
treatment, Neuropsychol Rehabil
tences en cognition sociale de petits groupes de patients. tômes et difficultés que ceux décrits dans les approches 2004;14(4):421-35.
➤ ➤ La réhabilitation “métacognitive” de la théorie de psycho-pharmacologiques (comme les hallucinations et 18. P enn D. A pilot study of
social cognition and interaction
l’esprit de R. Roncone (17) vise à aider le sujet dans la le délire), la plus grande proximité entre la cible des soins training (SCIT) for schizophrenia.
compréhension et l’utilisation des stratégies de pensée et les difficultés de la “vraie vie”, ce dont témoignent Schizophrenia Research
nécessaires aux interactions sociales, comme la lecture la motivation des patients et la synergie des effets dès 2005;80:357-9.
19. Combs DR, Adams SD, Penn
des intentions d’autrui, le raisonnement stratégique et la qu’une action de remédiation est associée à un travail DL, Roberts D., Tiegreen J, Stem P.
reconnaissance des émotions. L’apprentissage porte sur de réhabilitation, et la réaffirmation de la nécessité Social cognition and interaction
des mécanismes généraux susceptibles d’être exportés d’approches individualisées du fait de la variabilité des training for schizophrenia. Schi-
zophr Bull 2007;33:585.
dans un usage quotidien ; il se déroule en 22 séances de difficultés cognitives des patients. ■

La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 1 - janvier-février 2010 | 19

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