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UN MONDE VIRTUEL QUI PERMET D'ENTRER EN RELATION AVEC

L'AUTRE : LES JEUX VIDÉO ET LA CONSOLE WII DANS LA PRISE EN


CHARGE D'UN ENFANT AUTISTE

Fanny Vernadat

Érès | « Dialogue »

2009/4 n° 186 | pages 99 à 103


ISSN 0242-8962
ISBN 9782749211657
DOI 10.3917/dia.186.0099
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-dialogue-2009-4-page-99.htm
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Un monde virtuel qui permet d’entrer
en relation avec l’autre :
les jeux vidéo et la console Wii
dans la prise en charge
d’un enfant autiste 1

FANNY VERNADAT

RÉSUMÉ 1

Entrer dans un monde virtuel avec un enfant autiste pourrait l’amener dans l’interrelation.
La prise en charge de Marc, 8 ans, avec une médiation par les jeux vidéo (console Wii) a
permis une mise en représentation gestuelle, une représentation de soi à travers l’écran rendue
possible grâce à l’enveloppement corporel préalable de l’enfant par les professionnelles – ce
contact, ce corps à corps permet la constitution d’une première enveloppe corporelle, l’enfant
faisant d’abord du corps de l’adulte le sien propre.
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MOTS-CLÉS
Autisme, jeux vidéo, thérapie.

Comme le souligne Tustin (1990), certaines des sensations corporelles dans


lesquelles sont enfermés les autistes sont ressenties comme protectrices. Il
s’agit d’un mode de protection autosensuelle qui a été engendré par leur
propre activité de manipulation. Ces activités de manipulation répétitives
pourraient signifier qu’ils se sentent piégés dans un monde qui leur est pro-
pre, fait de sensations corporelles qu’ils ne partagent pas avec les autres et
dont il semble impossible de s’échapper. L’objectif de la prise en charge de
Marc, 8 ans, a donc été de limiter ces sensations corporelles autogénérées
pour pouvoir l’amener dans l’interrelation.

1. Article reçu par la rédaction le 30 juin 2009. D’après un travail réalisé dans le cadre d’un
mémoire professionnel de Master 2 de psychologie clinique et psychopathologie sous la direc-
tion de J.-M. Coq, université de Rouen.
DIALOGUE - Recherches sur le couple et la famille - 2009, 4e trimestre
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En hôpital de jour pour enfants, Marc a été pris en charge individuelle-


ment, en binôme professionnel (infirmière, psychologue stagiaire), avec
une médiation par les jeux vidéo et plus particulièrement des jeux de tennis
et de bowling avec la console Wii. Cela a permis de travailler une mise en
représentation gestuelle à travers l’écran ; une représentation de soi rendue
possible grâce à un collage corporel, un contact de l’adulte avec le dos de
l’enfant en large aplat : faisant du corps de l’adulte le sien propre, l’enfant
peut constituer une première enveloppe corporelle. Le monde virtuel a permis
un aménagement des distances, obligeant les professionnelles à envelopper
l’enfant de leur corps et de leur parole. Le virtuel semble ainsi pouvoir créer
du lien, permettre d’entrer dans une relation transférentielle avec un enfant
autiste et explorer ses compétences.

La mise en représentation gestuelle


La console Wii permet une adéquation entre le geste de l’enfant et le mou-
vement du joueur à l’écran. Il ne s’agit pas d’une simultanéité parfaite mais
cela fait travailler la mise en représentation du corps du sujet dans le mouve-
ment. Les gestes mis en image et en mouvement à travers la Wii pourraient
amener l’enfant à prendre conscience que ce sont ses propres mouvements
qui se répercutent sur l’écran et transforment l’image. Ce processus de mise
en représentation gestuelle est lent, la transformation de l’image à l’écran
étant au départ totalement insupportable pour un enfant pris dans un état
autistique « réussi ». Pour qu’il prenne le risque ou la responsabilité de ses
gestes créateurs de mouvements, la présence active des professionnels est
indispensable. En faisant du corps de l’adulte le sien propre l’enfant peut
constituer progressivement une représentation du corps supportable à travers
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l’image, tout se passe comme s’il prenait lentement conscience de l’action de
son propre corps sur l’écran.
Cette dimension corporelle est très intéressante à travailler avec ces enfants
qui ont une image du corps défaillante, car la mise en représentation de leur
corps et ses mouvements sur l’écran pourrait permettre un certain sentiment
d’existence. L’enfant peut voir à l’écran un corps avec des bords, des limites
et s’identifier à lui. Mais encore faut-il pour cela qu’il soit contenu, voire
enveloppé – pour pouvoir faire du corps de l’adulte le sien propre.

Le contact-dos
L’enfant est enveloppé, son dos en contact en large aplat avec la poitrine de
l’adulte ; alors qu’il est pris ainsi dans les bras – en position debout – une
première enveloppe corporelle peut alors se constituer pour qu’il accède au
jeu. La mobilisation corporelle semble fondamentale dans le fonctionnement
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relationnel et cognitif de l’enfant autiste et G. Haag (1984) note l’importance


des sensations du contact-dos comme éléments déterminants des premières
capacités de contenance. Comme elle le souligne dans Les contenants de
pensée (Anzieu, 1993), ce qui est spécifique de la souffrance autistique c’est
de n’avoir pu établir cette première peau, ce premier sentiment d’enveloppe,
si bien qu’une carapace dans le « trop dur » des sensations a dû se constituer
afin de colmater l’écoulement permanent de l’envoi pulsionnel et émotionnel.
Le tout va donc être, dans le travail avec les autistes, de rendre cette carapace
plus perméable à l’autre pour pouvoir entrer en relation et leur permettre de
constituer une enveloppe corporelle plus fiable pour accéder progressive-
ment, dans le meilleur des cas, à une enveloppe psychique.
Cette fonction contenante et rassurante du contact-dos participe effective-
ment à une communication basique de « corps à corps », parce que le contact
en large aplat corporel favorise l’enveloppement et y participe comme un
espace de projection des sensations de l’enfant sur l’autre corps et comme
un espace qui maintient l’émotion « quelque part ». Claudon et ses colla-
borateurs indiquent qu’« en réifiant ainsi la relation interpersonnelle par la
situation sensorielle dans l’espace du corps de l’enfant, le contact-dos crée-
rait une structure provisoirement fiable, une limite pertinente pour vivre un
sentiment de soi identifié et localisé dans le corps de l’autre, autrement dit
un état situé de soi pertinent/fiable » (Claudon et coll., 2008, p. 145). La part
la moins fiable serait l’émotion, mais elle se stabilise facilement grâce au
rassemblement des sensations. Peut-être que l’enfant autiste ne saurait qu’a
posteriori qu’il y a eu partage et échange relationnel, en tout cas il en éprouve
un avantage. Pour l’auteur, si la présence de l’autre en face à face génère de
l’anxiété chez l’enfant autiste, alors peut-être la perception « à distance » du
corps correspond-elle à un trop grand manque de conjonction des sensations
visuelles avec des sensations tactiles de l’autre, avec la présence de l’autre,
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son intentionnalité, et n’est-elle pas envisageable comme rassurante – peut- © Érès | Téléchargé le 02/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 185.109.152.2)
être est-elle même déstabilisante – ; Claudon propose que ce trouble de la
relation à distance par le regard chez l’enfant autiste convoque la perception
du contact et l’espace du corps propre. Ainsi, tout comme le bébé qui est
essentiellement porté (hold) par le dos, Claudon, inspiré par G. Haag, expli-
que que l’enfant autiste aurait besoin d’un contact-dos comme première base
de relation. Le corps pourrait ainsi reprendre sa fonction précommunicative
du corps à corps où le contact-dos (comme probablement le contact avec
d’autres parties longues du corps), en large aplat, favorise l’enveloppement,
donnant à l’enfant un espace de projection de ses sensations sur l’autre corps.
Le corps propre, par son fonctionnement à la fois sensoriel (somatique) et
imaginaire (expérientiel), porterait ainsi des « pensées » et une capacité de
penser même dans une organisation autistique de l’organisme et du Moi.
D’une part, la perception de contact lors du contact-dos constitue par le flux
sensoriel et la stimulation d’activité perceptive un ancrage corporel ; d’autre
part, le partage d’un espace de contact avec l’autre, espace que l’enfant
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s’approprie par l’illusion sensorielle, constitue un ancrage interactif puisqu’il


y a relation possible et puisque l’adulte peut baigner de langage la situation
– et il s’y applique quasi systématiquement.
Les autistes auraient ainsi la capacité de penser et de s’exprimer si on la
considère dans le cadre du corps propre en tant que contexte interactif fon-
damental. Mais comme Claudon l’indique : « L’hypothèse de l’espace de
contact nous conduit à concevoir l’émotion comme un espace et à penser
que l’émotion se touche » (Claudon et coll., 2008, p. 150). Elle se touche,
se communique à chacun dans ce contact corporel, base d’une interrelation
possible. Pour lui, cet espace de contact est utile pour mettre en œuvre des
capacités primaires de représentation de soi et de l’objet et ainsi permettre le
développement progressif de la relation intersubjective.
Ainsi, l’intérêt de la médiation par les jeux vidéo avec les autistes est bien
différent de celui avec des enfants psychotiques ou « états limites ». Fina-
lement, ce n’est pas tant la relation à l’image ou le monde virtuel qui per-
mettent de travailler que la dimension corporelle, et plus particulièrement ce
contact-dos qui favoriserait une relation transférentielle avec un travail sur
les enveloppes corporelle et psychique. Avec le virtuel et la console Wii,
un prétexte a été trouvé pour « entrer en contact », en relation, avec Marc.
Cette part corporelle paraît fondamentale dans la prise en charge d’un enfant
autiste. La médiation par les jeux vidéo est un moyen de travailler la relation
intersubjective en passant par un collage corporel. Tout comme le bébé qui
est maintenu et contenu, porté dans un contact-dos, un espace a été offert à
Marc où le propre corps de l’adulte tout entier l’enveloppait pour progres-
sivement ne plus soutenir que son bras pour qu’il continue à avoir accès au
jeu, tout en le contenant plus imaginairement et symboliquement dans un
bain de langage. Les professionnelles étaient ainsi les médiateurs d’un accès
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possible au jeu.
Ainsi, le virtuel, contrairement à ce qui est souvent dit, ne coupe pas forcé-
ment le lien social. La prise en charge de Marc montre qu’il peut au contraire
permettre d’apprivoiser, d’approcher l’autre, d’entrer en contact avec lui. À
travers des processus complexes, la distance entre l’enfant et les profession-
nelles a pu être aménagée malgré l’angoisse autistique massive, mettant en
valeur les effets thérapeutiques du virtuel et des jeux vidéo qu’il faut désor-
mais explorer, à une époque où les enfants et les adolescents sont si fortement
liés à eux.
Fanny Vernadat
Psychologue clinicienne
46, rue Joséphine, 27000 Evreux
f.vernadat@live.fr
Un monde virtuel qui permet d’entrer en relation avec l’autre 103

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A VIRTUAL WORLD SO YOU CAN RELATE TO OTHERS : VIDEO GAMES AND THE WII CONSOLE WHEN
CARING FOR AN AUTISTIC CHILD

ABSTRACT
Going into a virtual world with an autistic child may lead the child into interrelation. Caring
for 8-year old Marc, with mediation through video games (Wii console) allowed for a gestural
projection of oneself, a representation of oneself through the screen made possible thanks to
the professionals having previously reassured the child physically through contact ; it is this
bodily contact that allows a first bodily envelope to emerge, with the child first making the
adult’s body his or her own.

KEYWORDS
Autism, video games, therapy.

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