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Troubles anxieux et phobiques夽


A. Pelissolo

Les troubles anxieux font partie des pathologies psychiatriques les plus fréquentes en
population générale, avec une prévalence totale d’environ 10 %. En plus des états anxieux
aigus, il existe cinq diagnostics principaux de troubles anxieux chroniques : les phobies
(spécifiques, sociales et l’agoraphobie), le trouble panique et le trouble anxieux généra-
lisé. Une anxiété excessive est présente dans chacun de ces syndromes, mais le diagnostic
spécifique est basé sur les caractéristiques sémiologiques comme l’objet de la peur, ses
mécanismes et les stratégies de mises en œuvre pour la contrôler. L’intensité des symp-
tômes est variable d’une catégorie à l’autre et d’un sujet à l’autre, mais certaines formes
de troubles anxieux peuvent être extrêmement sévères et invalidantes, notamment dans
certaines phobies. Les complications et les comorbidités, dépressives et addictives, font
également la gravité de ces pathologies, qui doivent être dépistées en particulier chez
les sujets jeunes pour pouvoir les traiter efficacement. Les stratégies thérapeutiques qui
ont fait la preuve de leur efficacité dans les troubles anxieux sont surtout les thérapies
comportementales et cognitives et certains antidépresseurs sérotoninergiques.
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Mots-clés : Antidépresseur ; Anxiété ; Panique ; Phobie ;


Thérapie comportementale et cognitive

Plan • ou en tant que diagnostic spécifique, dans ce que l’on


nomme les « troubles anxieux ».
■ Introduction 1 Il s’agit des troubles psychiques les plus répandus dans
Épidémiologie 1 la population générale. Ils peuvent concerner des per-
Émotions anxieuses 2 sonnes de tous âges, mais les jeunes adultes sont les plus
Cognitions anxieuses 2 touchés. Leur gravité est très variable, allant de formes
Comportements anxieux 2 relativement légères et peu gênantes à des formes très
Signes d’accompagnement 2 sévères et invalidantes. La limite entre des peurs normales
Cas particulier : les attaques de panique 2 et une anxiété pathologique n’est pas toujours simple
à établir, cette évaluation clinique devant se baser sur
■ Repérage et démarche diagnostique 4 l’intensité des symptômes, leurs répétition et persistance
■ Trouble panique et agoraphobie 4 dans le temps, leur retentissement fonctionnel mais aussi
Diagnostic différentiel 4 sur l’adaptation et la réaction du sujet face à ces symp-
Épidémiologie et évolution 4 tômes, qui peuvent elles-mêmes favoriser ou pérenniser
Traitements 4 un processus pathologique.
■ Phobies sociales 5
Épidémiologie 6
Traitements 6 Épidémiologie
■ Phobies spécifiques 6
Les troubles anxieux touchent environ 10 % de la
■ Anxiété généralisée 7 population à un moment donné et entre 15 et 20 %
Diagnostic différentiel 7 si on prend en compte l’ensemble de la vie. Ils concer-
Traitements 7 nent deux fois plus les femmes que les hommes, et
■ Autres formes d’anxiété 8 apparaissent surtout dans l’enfance et au début de
l’âge adulte, même si des formes à début tardif, après
50 ou 60 ans, peuvent se rencontrer. La durée des
troubles est variable, de quelques mois à de nombreuses
 Introduction années, avec parfois des évolutions continues sans aucune
rémission.
L’anxiété est une émotion normale et banale, qui peut Les troubles anxieux les plus fréquents sont les phobies
devenir pathologique dans deux contextes différents : spécifiques, qui touchent environ 5 % de la population
• en tant que symptôme, dans presque toutes les affec- à un moment donné, mais chacun des troubles anxieux
tions psychiatriques ; connaît une prévalence supérieure à 1 %.

EMC - Savoirs et soins infirmiers 1


Volume 14 > n◦ 3 > août 2019
http://dx.doi.org/10.1016/S1877-7848(19)42840-2
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60-726-A-10  Troubles anxieux et phobiques

Sémiologie de l’anxiété ces pathologies ne génèrent pas directement de troubles


cognitifs à long terme.
Avant de poser un diagnostic de trouble anxieux, il
est indispensable d’analyser précisément les émotions, les
pensées et les comportements qui semblent anormaux, Comportements anxieux
ainsi que leur évolution dans le temps. Tous ces éléments
Le plus souvent, les comportements anxieux consistent
peuvent se rencontrer dans beaucoup d’autres pathologies
en des évitements partiels ou complets des situations
que les troubles anxieux (dépression, addictions, voire
anxiogènes, ou en une inhibition : paralysie, incapacité à
psychoses) ; il est donc essentiel, dans un second temps,
penser et à réagir en réponse à la peur et à l’angoisse. Par-
de procéder à un regroupement et à une hiérarchisation
fois le comportement est fait transitoirement d’agitation,
des symptômes.
d’agressivité, ou d’impulsivité. Il est cependant très rare
que ceci se traduise par des troubles du comportement
Émotions anxieuses très extériorisés car, malgré leur crainte de perdre leur
contrôle, la plupart des personnes anxieuses tiennent à
Les émotions présentes en excès dans les troubles cacher leurs symptômes et parviennent à se maîtriser.
anxieux sont surtout la peur, l’anxiété et l’angoisse. La Les conduites pathologiques peuvent prendre la forme
peur est la réaction qui accompagne la perception d’un de :
danger réel. L’anxiété est un sentiment plus ou moins • conduites d’évitement : ne pas s’exposer à l’objet ou à
pénible d’attente ou d’appréhension douloureuse d’un la situation phobogène, par exemple ne pas prendre le
danger, qu’il soit précis et identifié ou vague et incertain. métro ou ne pas se rendre dans un grand magasin en cas
Les termes « anxiété » et « angoisse » sont aujourd’hui uti- d’agoraphobie, ou ne pas regarder l’interlocuteur dans
lisés comme des synonymes. Peur et anxiété peuvent être les yeux ou ne pas prendre la parole en cas de phobie
anormales quand elles surviennent sans lien direct avec sociale ;
un danger réel, immédiat ou anticipé. • conduites contra-phobiques : stratégies permettant
L’anxiété peut être aiguë (survenue rapide, durée brève), d’affronter les situations anxiogènes et phobogènes
paroxystique (survenue très brutale, intensité extrême), avec moins d’angoisse (par exemple l’accompagnement
fluctuante, ou bien durable et continue. par une personne, ou le port d’un objet), le plus sou-
L’intensité de l’émotion peut aller d’un niveau moyen vent sans effet de protection réel mais avec un rôle
à un niveau très intense, parfois paroxystique comme symbolique rassurant ;
dans les attaques de panique. Les conséquences de ces • rituels : même en dehors d’un trouble obsessionnel
émotions trop intenses sont une douleur morale parfois compulsif (TOC) caractérisé, certains sujets souffrant
aussi forte que dans la dépression, et des modifications de phobies ou d’un autre trouble anxieux ont recours
pathologiques des comportements et des modes de pensée à des rituels de réassurance, comme des actes stéréo-
(évitements, ruminations, etc.). typés (toucher constamment le même objet, gestes
auto-centrés sur une partie du corps) ou des rituels men-
Cognitions anxieuses taux comme le fait de réciter une formule conjuratoire
et rassurante ;
Des pensées particulières accompagnent souvent les • autres conduites : prise impulsive ou compulsive
émotions anxieuses. Il peut s’agir d’inquiétudes (« Que d’alcool ou de drogues, demandes incessantes de réas-
va-t-il m’arriver ? », « Ça va mal tourner »), d’idées surance auprès des autres, lenteur extrême dans les actes
de vulnérabilité (« Je ne pourrai pas supporter tel lieu afin de surveiller en permanence l’absence d’erreur, etc.
ou telle situation »), de souvenirs, d’images, etc. Ces
cognitions peuvent exister en dehors de toute patho-
logie, mais deviennent anormales quand elles sont très
Signes d’accompagnement
fréquentes et surtout quand elles deviennent envahis- L’anxiété pathologique s’accompagne d’autres dysfonc-
santes. Même si le sujet peut les remettre en cause à froid tionnements, en général peu spécifiques :
(« Je sais que je ne devrais pas m’inquiéter » ; « Il est • des perturbations physiologiques : troubles du sommeil
absurde d’avoir peur d’un simple chat »), le raisonnement parfois au premier plan, notamment dans le trouble
peut être très perturbé dans l’instant par l’angoisse du anxieux généralisé, troubles de l’appétit (incapacité
fait des conséquences redoutées, telles la peur de mou- transitoire à manger, ou hyperphagie) ;
rir, d’avoir un accident ou de toute autre catastrophe • des symptômes physiques divers, souvent qualifiés de
imminente. « somatisations » : douleurs, tensions, palpitations,
Ces pensées peuvent porter sur la situation actuelle (« Je dyspnée, sueurs, tremblements, vertiges, bouffées de
fais un malaise, je suis en train de m’évanouir »), sur les chaleur, pollakiurie, etc. ;
événements de l’avenir à court ou long terme (« Si ça • des troubles relationnels : irritabilité, impatience,
continue, mon cœur va lâcher » ; « Je dois sortir d’ici impulsivité et dépendance affective.
immédiatement sinon je vais devenir fou »), ou plus rare- D’autres signes associés peuvent aussi correspondre
ment sur des événements du passé (« Je n’aurais pas dû à une autre pathologie présente en même temps, par
dire ça, j’ai perdu toute ma crédibilité »). simple comorbidité ou par complication : dépression,
Certains patients créent de véritables scénarios catas- alcoolo-dépendance ou autre addiction, trouble de la per-
trophes, dans lesquels ils imaginent le pire, avec des sonnalité, etc.
événements qui s’enchaînent et qui aboutissent inexora-
blement à des conséquences terribles (« Si je monte dans
ce métro et qu’il s’arrête entre deux stations, je vais avoir
Cas particulier : les attaques de panique
un malaise à cause de la chaleur, je ne pourrai pas sortir, L’attaque de panique n’est pas une pathologie en elle-
personne ne pourra m’aider, je vais rester coincé et mourir même, il s’agit d’un état transitoire qui peut ne jamais se
étouffé »). répéter. Elle constitue cependant une réaction très particu-
En plus de modifier les émotions (cercle vicieux : « Plus lière et intense, qui peut entrer dans le cadre de différents
j’y pense, plus je suis mal, et donc plus j’y pense ») et les troubles anxieux évoqués plus loin.
comportements (tentatives de protection, d’évitements, Il s’agit d’une crise d’angoisse aiguë à début brutal, attei-
rituels, etc.), les pensées anxieuses peuvent provoquer gnant son maximum en moins de dix minutes, durant en
transitoirement d’importants troubles de la concentration moyenne 15 à 30 minutes, avec un sentiment de panique
et de la mémoire qui perturbent les performances intellec- lié à la sensation de perte de contrôle dans une spirale
tuelles et la réalisation des tâches. Mais, classiquement, sans fin (Fig. 1). Les différents symptômes anxieux décrits

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Troubles anxieux et phobiques  60-726-A-10

Figure 1. Symptômes les plus caractéris-


tiques des attaques de panique.
Respiratoires
- blocage
- hyperventilation
Cardiovasculaires - gêne thoracique
- palpitations - étranglement
- tachycardie
- vasodilatation Comportements
Craintes - sidération
Symptômes - perte de contrôle - agitation
physiques - devenir fou - fuite
- mourir - demande d’aide
Sensoriels - prise de produits
- étourdissement
- troubles de l’équilibre
- paresthésies
- hyperesthésie Neurovégétatifs
- dépersonnnalisation - sueurs, nausées
- déréalisation - bouffée de chaleur
- gêne gastrique
- douleur abdominale
- tremblement, fébrilité

précédemment peuvent être présents simultanément présence rassurante d’un professionnel permettent très
et très fortement, créant un emballement général de rapidement de réduire l’intensité de la crise. Si l’examen
l’organisme et de la pensée. Les signes peuvent être très est en faveur d’une crise d’angoisse sans facteur orga-
variés mais, en général, les patients présentent des symp- nique, il est important de l’expliquer au patient. Insister
tômes physiques et émotionnels qui leur sont propres : sur l’origine psychologique de son état, sans pour autant
plutôt cardiaques pour les uns (palpitations, bouffées de le nier ni le banaliser, permet au patient de comprendre ce
chaleur, peur d’un infarctus), plutôt respiratoires pour qui lui arrive. Lui rappeler que la crise va céder naturelle-
les autres (tachypnée, impression et peur d’étouffer) ou ment et qu’en aucun cas sa vie n’est en danger est souvent
encore sensoriels (vertiges, céphalées, peur d’une attaque fondamental.
cérébrale). Des méthodes simples permettent également de réduire
Cet état peut être déclenché par : les symptômes psychiques et physiques : défocaliser
• un stress brutal, comme un accident ou une altercation ; l’attention du patient des impressions de menaces,
• une confrontation à une situation phobogène (ren- l’inciter à se détendre et à se relaxer, et surtout modi-
contre avec l’objet redouté chez un sujet présentant une fier son rythme respiratoire. Celui-ci doit être le plus lent
phobie ou un autre trouble anxieux) ; et le plus superficiel possible en s’aidant d’une respira-
• un facteur toxique (psychostimulant, psychodyslep- tion abdominale plutôt que thoracique. Les respirations
tique, alcool, autres drogues), ou organique (cardiores- amples et profondes et l’hyperventilation favorisent en
piratoire par exemple) ; effet l’hypocapnie.
• ou une période de fatigue ou de perturbation émotion- Dans la très grande majorité des cas, ces mesures per-
nelle, par exemple au cours d’une dépression. mettent d’arrêter la crise. La prescription médicamenteuse
Mais certaines attaques de panique peuvent aussi sur- en urgence doit être évitée autant que possible. Le patient
venir spontanément sans aucun facteur déclenchant ni ne doit pas en effet conserver en mémoire une issue
contexte favorisant. Si elles se répètent de manière impré- uniquement « médicalisée » de sa crise, en écartant les
visible et qu’elles perturbent la vie quotidienne, elles actes les plus symboliques et les plus techniques (perfu-
peuvent alors relever d’un trouble anxieux chronique sions, injections, etc.). C’est ainsi qu’un meilleur contrôle
appelé trouble panique, qui sera évoqué plus loin. du patient sur son anxiété pourra être obtenu, dans la
Dans les formes les plus intenses, les sujets peuvent perspective d’éventuelles récidives, évitant de le rendre
avoir des impressions de déréalisation (perception défor- dépendant des structures de soin les plus lourdes.
mée de la réalité) ou de dépersonnalisation (impression de Le médicament ne s’impose que lorsque la crise se pro-
ne plus être soi-même et de se transformer), mais seule- longe malgré les méthodes énoncées ci-dessus, ou lorsque
ment sur une durée brève. les symptômes sont très intenses (agitation psychomo-
Le concept de crise de spasmophilie, ou de tétanie, trice très importante par exemple). La voie orale est à
n’existe qu’en France et a été longtemps présenté comme privilégier, car elle assure la meilleure biodisponibilité et
une affection organique. En fait, il s’agit le plus sou- rapidité d’action pour les produits anxiolytiques, et elle
vent de crises d’angoisse ou d’attaques de panique se permet de limiter le caractère technique de l’acte.
manifestant surtout par des signes musculaires liées à Les traitements disponibles dans le traitement aigu de
l’hyperventilation, celle-ci induisant une hypertonie du l’anxiété sont essentiellement les benzodiazépines, par
fait de l’hypocapnie. Ces crises sont souvent déclenchées exemple l’alprazolam 0,25 ou 0,50 mg ou le diazépam
par des stress ou des contrariétés, mais peuvent aussi cor- 5 ou 10 mg selon le poids du sujet et l’intensité des
respondre à un véritable trouble panique nécessitant des symptômes. L’effet anxiolytique, s’accompagnant éven-
soins. tuellement d’un effet sédatif, en fonction de la dose et de
Face à une attaque de panique, l’examen somatique la sensibilité du patient, est obtenu en 15 à 20 minutes
dans l’urgence est à adapter à la situation et aux premiers environ. La voie intramusculaire est à réserver aux cas
signes d’orientation, pouvant se limiter à une ausculta- exceptionnels où la voie orale n’est pas accessible (agi-
tion et à une prise de tension artérielle mais pouvant tation majeure, contracture de la mâchoire, troubles de la
aussi comporter quelques examens complémentaires : déglutition), avec par exemple du diazépam 10 mg.
électrocardiogramme, examens sanguins et recherche de Après disparition de l’angoisse, il est nécessaire de
toxiques au moindre doute. Dans la plupart des cas, refaire une évaluation diagnostique, d’expliquer au
l’éloignement des facteurs anxiogènes extérieurs et la patient la nature de ses troubles, et de proposer un suivi ou

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Tableau 1. recevoir une aide en cas de problème. Chez les sujets


Définitions succinctes des troubles anxieux. présentant un trouble panique en plus de l’agoraphobie,
Diagnostics Définitions la crainte principale concerne les risques de survenue
d’une crise, alors que chez les autres cette crainte est plus
Trouble panique Répétition d’attaques de panique spontanées floue, avec l’intuition d’un risque de malaise, de chute,
avec anxiété anticipatoire (peur d’avoir peur) d’accident mal défini.
Agoraphobie Peur intense de lieux ou de situations dans Typiquement, les situations redoutées sont la foule, sur-
lesquelles un malaise ou un incident tout en milieu fermé (métro, grand magasin, salles de
pourrait survenir et être dangereux, sans spectacle), d’autres endroits clos dont la sortie n’est pas
sortie si aide possible immédiate (train, avion, ascenseur), mais aussi des lieux
Phobie sociale Peur intense du regard et du jugement de ouverts au sein desquels les patients craignent de perdre
l’autre, par crainte d’un jugement négatif ou leurs repères et de ne pas trouver appui (grande place vide
d’une humiliation à traverser, rue ou pont, etc.). Dans les cas extrêmes, le
Phobie Peur intense mais limitée à une situation simple fait de s’éloigner d’une zone de sécurité, en général
spécifique précise (animal, sang, objet, environnement, le domicile, engendre une peur intense voire des attaques
etc.), après élimination d’une agoraphobie et de panique, limitant alors gravement les possibilités de
d’une phobie sociale déplacement.
Trouble anxieux Inquiétudes permanentes vis-à-vis des Comme pour toute phobie, la peur est reconnue par
généralisé problèmes pouvant survenir dans l’avenir, le sujet comme irrationnelle, excessive, mais crée une
sans s’en sentir responsable, avec tension gêne significative dans sa vie. Elle s’accompagne de
nerveuse continue comportements d’évitement ou de fuites, et de conduites
contra-phobiques de réassurance qui consistent essentiel-
une réévaluation à distance. Le traitement préventif des lement en un besoin d’être accompagné pour affronter les
attaques de panique, dans le cadre d’un trouble panique, situations redoutées, à l’origine d’une dépendance impor-
sera présenté plus loin. tante.

Diagnostic différentiel
 Repérage et démarche
Le trouble panique étant surtout défini par la récur-
diagnostique rence des attaques de panique, son diagnostic renvoie
aux points abordés au chapitre précédent, en ayant
Une fois la question d’un possible trouble anxieux
soin principalement d’avoir écarté un trouble qui ne
posée, l’objectif doit être de le caractériser, en ce qui
serait que symptomatique d’un épisode dépressif, d’une
concerne son type, son évolution et sa gravité, puis de
dépendance alcoolique (crises d’angoisse lors des phases
fixer une stratégie thérapeutique adaptée. Le type de
d’intoxication et de sevrage), d’autres prises de toxiques,
trouble anxieux est surtout défini par l’objet de la peur
ou d’une maladie somatique comme une hyperthyroï-
et par les comportements qui en découlent. On classe
die, un trouble du rythme cardiaque, une épilepsie
les troubles anxieux en cinq grandes catégories, résumées
temporale, un phéochromocytome, ou encore une mala-
dans le Tableau 1 [1] et qui vont être abordées successi-
die de Ménière. Par ailleurs, il ne faut pas confondre
vement dans les paragraphes suivants. Depuis quelques
l’agoraphobie avec les phobies sociales (cf. plus loin),
années, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et les
même si les situations en cause peuvent être en partie les
troubles liés au stress, notamment les troubles de stress
mêmes : l’agoraphobe peut avoir peur de la foule mais
post-traumatiques (TSPT), ne sont plus classés au sein des
du fait d’une sensation d’enfermement, pas du regard des
troubles anxieux mais font partie de catégories diagnos-
autres.
tiques à part. Ce choix a été fait sur la base de données
cliniques, physiopathologiques et épidémiologiques les
distinguant des troubles anxieux et phobiques. Épidémiologie et évolution
Le trouble panique, avec ou sans agoraphobie, touche
 Trouble panique environ 2 à 3 % de la population à un moment ou à un
autre. Il touche 2 à 3 fois plus les femmes que les hommes,
et agoraphobie et l’âge moyen d’apparition se situe entre 20 et 30 ans.
Il s’agit d’un trouble chronique, pouvant connaître des
Le trouble panique est défini par la répétition, plus ou périodes de rémission et d’aggravation mais évoluer sur
moins fréquente, d’attaques de panique [1, 2] . Certaines des années, voire plus de 10 ou 20 ans. Les principales
d’entre elles, souvent au début, sont spontanées et inat- complications du trouble panique et de l’agoraphobie,
tendues, c’est-à-dire non facilitées par une peur préalable outre la souffrance quotidienne et le handicap fonction-
et par une confrontation à une situation anxiogène. Par nel qu’ils peuvent engendrer (évitement de lieux ou de
ailleurs, le diagnostic de trouble panique ne peut être moyens de transport, nécessité d’un accompagnement
porté que si les attaques de panique sont à l’origine, permanent), sont les épisodes dépressifs et les usages abu-
pendant un mois au moins, d’une crainte persistante de sifs de médicaments et d’alcool. Ces produits sont utilisés
la survenue d’une nouvelle attaque, de préoccupations à visée anxiolytique et/ou antidépressive initialement,
concernant les risques liés à ces attaques (peur de mourir, mais engendrent rapidement une dépendance (alcool,
de devenir fou, etc.), ou plus généralement d’un change- benzodiazépines) et les troubles s’aggravent mutuelle-
ment de comportement. Le symptôme fondamental qui ment. Des syndromes dépressifs sont retrouvés chez un
est ainsi décrit est l’anxiété anticipatoire, que l’on résume tiers à la moitié des patients, et des problèmes de dépen-
souvent par l’expression « la peur d’avoir peur ». Les dance chez plus d’un quart. Les risques suicidaires sont
patients touchés ne redoutent en effet pas une situation importants, surtout en cas de complication dépressive ou
particulière, mais plutôt leurs propres réactions de peur et d’alcoolisme associé.
cette forme extrême que représente l’attaque de panique.
L’agoraphobie était définie initialement par la peur des
grands espaces et/ou de la foule. La définition actuelle est
Traitements
élargie à la crainte de toutes les situations dont on ne peut Le traitement aigu de l’attaque de panique a été vu plus
pas s’échapper facilement en cas de malaise, d’incident, haut. Le traitement du trouble panique doit être un trai-
ou d’attaques de panique, ou dans lesquelles on ne peut tement de fond, préventif de la survenue des attaques de

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Tableau 2.
Principales indications des thérapies cognitivocomportementales (TCC) et des médicaments, utilisés séparément ou en association, dans
les troubles anxieux.
Thérapies cognitivocomportementales Chimiothérapie
Trouble panique Relaxation Certains antidépresseurs a (escitalopram,
Exposition intéroceptive venlafaxine LP, paroxétine, citalopram,
Restructuration cognitive clomipramine)
Agoraphobie Désensibilisation, exposition graduée Aucun
(sauf anxiolytiques ponctuels)
Phobies spécifiques Désensibilisation, exposition graduée Aucun
(sauf anxiolytiques ponctuels)
Phobies sociales Restructuration cognitive Paroxétine, venlafaxine LP, escitalopram b
Exposition en groupe
Entraînement aux compétences sociales
Trouble anxiété généralisée Relaxation Escitalopram, venlafaxine, paroxétine
Restructuration cognitive Benzodiazépines (1 à 4 semaines)
Exposition cognitive Buspirone
Méditation en pleine conscience
a
Indication : prévention des attaques de panique avec ou sans agoraphobie.
b
Indication : trouble anxiété sociale caractérisé lorsqu’il perturbe de manière importante les activités professionnelles ou sociales.

panique. Il peut être médicamenteux et/ou psychothéra-  Phobies sociales


peutique, de bons résultats étant obtenus avec les deux
approches, surtout en association. Les traitements médi- Les phobies sociales ont été longtemps négligées, alors
camenteux sont recommandés si les attaques de paniques qu’il s’agit de troubles anxieux fréquents, à l’origine d’un
sont fréquentes ou intenses, et la thérapie comportemen- handicap parfois majeur. La peur est ici en rapport avec
tale et cognitive (TCC) est indispensable si l’agoraphobie le regard d’autrui, qu’il s’agisse d’un seul individu ou
est sévère et si les conduites d’évitement sont majeures. d’un groupe [2, 5] . Elle repose sur la crainte d’être jugé
Les traitements médicamenteux du trouble panique ou évalué de façon négative en raison de son allure, de
sont essentiellement les antidépresseurs sérotoniner- sa personnalité ou de son comportement, avec la han-
giques [3, 4] . Il est préférable de prescrire en première tise de se conduire de manière embarrassante voire même
intention un inhibiteur spécifique de recapture de la séro- humiliante aux yeux des autres. L’exposition à ce type
tonine (ISRS) en raison de leur bonne tolérance, comme de situation, voire leur anticipation, déclenche quasi-
par exemple l’escitalopram (10–20 mg/j) ou la paroxé- ment systématiquement une réaction anxieuse plus ou
tine (20–40 mg/j), mais en commençant toujours par moins intense, qui peut aller parfois jusqu’à une véritable
des doses faibles, par exemple la moitié du comprimé le attaque de panique.
moins dosé. Ceci afin d’éviter une recrudescence anxieuse La peur de certains symptômes physiques visibles est
(malaises, troubles digestifs, attaques de panique) sou- caractéristique des phobies sociales : peur de rougir, de
vent constatée en début de traitement. La dose efficace trembler, d’avoir des nausées ou des vomissements, ou
peut être atteinte en une à deux semaines en général, encore de perdre le contrôle de ses urines ou de ses intes-
et une amélioration est constatée entre la troisième et tins, tout ceci devant autrui. Peuvent survenir également
la sixième semaine. En cas d’efficacité, le traitement doit un tremblement de la voix, un bégaiement ou une impos-
être poursuivi à la même dose sur une durée longue, au sibilité complète de s’exprimer, des palpitations et des
moins un an, et arrêté ensuite progressivement et prudem- bouffées de chaleur, une inhibition ou une maladresse
ment. La venlafaxine (75–225 mg/j) ou la clomipramine dans des gestes pourtant habituellement bien maîtrisés
(100–200 mg/j) peuvent constituer des alternatives en (remplir un verre, écrire, effectuer un travail manuel par
cas d’échec des ISRS, avec le même schéma thérapeu- exemple).
tique. La sévérité de ces phobies sociales tient, d’une part,
Les benzodiazépines sont très souvent utilisées par à l’intensité de l’anxiété ressentie au moment de
les patients, en automédication ou sur prescription, l’exposition et/ou avant celle-ci et, d’autre part, aux
au moment des attaques de panique ou pour faciliter conduites d’évitement qui se développent progressive-
l’affrontement des situations redoutées. Elles peuvent être ment, et qui peuvent toucher de nombreuses situations
efficaces sur les symptômes immédiats, mais engendrent de la vie quotidienne. C’est ainsi que certains phobiques
très rapidement, dans ce contexte, une dépendance psy- peuvent aménager voire remanier de nombreux aspects
chologique et physique. Elles n’ont pas d’effet de fond de leur vie professionnelle, relationnelle et affective en
pour la prévention des attaques de panique. Elles ne sont raison de l’impossibilité d’affronter certaines situations
donc pas recommandées. sociales. La gravité du trouble peut être également liée à
Les TCC sont efficaces pour traiter le trouble panique certaines de ses complications, dépression et abus d’alcool
et surtout l’agoraphobie [3] . Elles sont basées sur notamment.
l’information du patient sur son trouble, des techniques Les principales situations à l’origine des phobies
de relaxation, d’exposition graduelle aux situations sociales sont la prise de parole en public (discours,
redoutées (sortir de chez soi, prendre les transports en réunions, examens), l’exécution de tâches précises sous
commun, rester longtemps dans les lieux anxiogènes) et le regard éventuellement attentif d’autrui (écrire, man-
donc sur une désensibilisation et un déconditionnement ger, boire, travailler, utiliser des toilettes publiques), et
de la peur (Tableau 2). L’exposition peut se faire directe- l’initiation ou la poursuite de conversations plus ou moins
ment en milieu réel, in vivo, seul ou avec le thérapeute, ou personnalisées avec des personnes connues, inconnues ou
d’abord initialement en imagination si l’appréhension est intimidantes (supérieurs hiérarchiques, drague). Pour cer-
trop forte au départ. Ces techniques nécessitent en général tains sujets, le simple fait d’attirer l’attention d’autrui est
des séances hebdomadaires sur une durée de trois à quatre insupportable et vécu comme une évaluation critique :
mois, avec des tâches prescrites entre les séances, et leurs arriver en retard à une réunion, marcher devant une ter-
effets peuvent être plus durables que ceux des traitements rasse de café ou une file d’attente, se montrer en maillot
médicamenteux utilisés seuls. de bain à la plage ou à la piscine, etc.

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60-726-A-10  Troubles anxieux et phobiques

Certains « sociophobes » ne redoutent qu’une seule Ces méthodes peuvent se pratiquer en individuel, mais
catégorie de situations ou seulement quelques-unes, le les thérapies de groupe sont les plus efficaces, permettant
Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders des jeux de rôle et une entraide des patients.
(DSM-5) définit notamment une forme de phobie sociale
centrée uniquement sur la peur de parler en public [2] .
D’autres patients les redoutent presque toutes, on parle  Phobies spécifiques
alors de phobie sociale généralisée. Lorsque la crainte est
focalisée sur le fait de rougir en public, avec une peur obsé- Les phobies spécifiques sont des troubles très fréquents
dante que les autres s’en aperçoivent, on utilise le terme dans la population générale, touchant environ 5 % des
d’« éreutophobie » qui est une forme particulière et répan- individus. Autrefois dénommées « phobies simples », elles
due de phobie sociale, notamment chez les adolescents et correspondent à des peurs intenses, excessives et durables
jeunes adultes. de situations ou d’objets bien définis, et ne correspon-
dant pas à une agoraphobie ou une phobie sociale [1, 2] .
La peur ressentie par le sujet n’est donc pas en lien avec
Épidémiologie la présence d’une autre personne, ni avec l’anticipation
d’un malaise ou d’un incident pouvant survenir dans la
La plupart des enquêtes réalisées dans le monde entier
situation redoutée. Il s’agit d’une peur « brute », sans
retrouvent des taux de prévalence sur la vie compris entre
élaboration mentale particulière. Le contact ou même
3 et 6 %. L’âge moyen de début de la phobie sociale est
la vue de l’objet redouté, la photo d’une araignée par
d’environ 15 ans, même si certains sujets se décrivent
exemple, peut suffire à provoquer une réaction anxieuse
comme phobiques depuis la première enfance. Il s’agit
intense, voire même une tentative d’échappement. Les
d’un trouble chronique, avec parfois quelques fluctua-
phobies spécifiques les plus fréquentes concernent les ani-
tions de sévérité dans le temps mais le plus souvent sans
maux (souris, serpents, insectes, oiseaux, chiens, etc.), le
rémissions véritables en l’absence de traitement.
sang et les blessures ou les procédures médicales comme
L’existence d’une phobie sociale augmente de manière
les injections, la hauteur ou le vide, les lieux clos (mais
significative le risque de dépression : environ 60 % des
alors sans les mécanismes de l’agoraphobie), l’obscurité,
patients consultant pour phobie sociale souffrent ou
ou d’autres conditions naturelles comme les orages. La
ont souffert de dépression. Les autres troubles associés
plupart de ces situations rappellent, de près ou de loin,
fréquemment sont les autres troubles anxieux et les pro-
des dangers réels, et il est probable que ces phobies
blèmes d’abus ou de dépendance à l’alcool. Certains
dérivent de peurs ancestrales ayant été utiles à la sur-
phobiques utilisent en effet l’alcool à visée anxiolytique
vie de l’espèce. Dans certains cas, cependant, on retrouve
et désinhibitrice lors de prestations publiques ou de
aussi des antécédents de traumatismes réellement vécus
rencontres, et risquent alors de perdre plus ou moins
pouvant expliquer l’apparition de la phobie chez une per-
complètement la maîtrise de leur consommation.
sonne donnée (le souvenir d’avoir été mordu gravement
par un chien, ou d’avoir failli tomber d’un toit ou d’un
Traitements pont, etc.).
Dans la mesure où il s’agit de peurs bien circonscrites
Lorsque la phobie sociale est intense et gênante, diffé- à des objets bien définis, leur retentissement dans la
rents traitements peuvent être proposés, médicamenteux vie quotidienne est assez faible en général, soit parce
et/ou psychothérapeutiques [3, 5] . Des ␤-bloquants sont que les objets en question ne sont pas souvent rencon-
souvent prescrits chez les sujets présentant une anxiété trés (serpents, orages), soit parce que la personne peut
de performance, mais de manière ponctuelle avant la assez facilement les éviter (oiseaux, hauteur, etc.). Il arrive
confrontation à une situation redoutée. Ils peuvent en cependant que certaines phobies occasionnent de véri-
effet réduire certains signes périphériques de l’anxiété tables handicaps, avec des conséquences non négligeables
(palpitations, tremblements, symptômes neurovégéta- pour la santé ou l’adaptation sociale : incapacité à accepter
tifs) et donc indirectement diminuer l’appréhension et une prise de sang ou un examen d’imagerie par réso-
l’anxiété psychique. Il peut s’agir d’une solution efficace nance magnétique (IRM) (claustrophobie), impossibilité
dans les formes peu sévères ou d’un appoint utile aux de travailler à un étage élevé, peur de certains animaux
psychothérapies. domestiques courants, etc.
Par ailleurs, des études ont été effectuées sur des médi- Les seuls traitements efficaces des phobies spéci-
caments pouvant représenter des traitements de fond des fiques sont les thérapies comportementales, qui visent
phobies sociales. Seuls des ISRS (escitalopram, paroxétine) à une désensibilisation (extinction) de la peur par une
ou la venlafaxine ont pu montrer une efficacité supé- méthode de confrontation progressive et assistée, avec
rieure au placebo et durable dans le temps dans cette ou sans relaxation [3] . Les résultats peuvent être très
indication [4] . Il est donc justifié de prescrire ce type de bons en quelques séances, mais il existe des cas dif-
traitement dans les formes sévères, même si une prise ficiles liés en général à l’ancienneté des troubles, qui
en charge psychologique est, par ailleurs, essentielle. Les commencent en général dans l’enfance. Une thérapie
doses efficaces sont les mêmes que pour le traitement effectuée après 50 ans d’évolution et d’évitements sera
des dépressions. Les effets apparaissent progressivement naturellement beaucoup difficile qu’en cas d’apparition
dans les premières semaines et les premiers mois, et le récente. Les technologies modernes utilisant la réalité vir-
traitement doit être poursuivi au moins 6 à 12 mois tuelle permettent aujourd’hui de compléter les méthodes
pour stabiliser les résultats obtenus. Ce traitement pré- d’exposition en imagination et in vivo par des expositions
sente un intérêt même en l’absence de trouble dépressif, « in virtuo », intéressantes pour certaines situations diffi-
mais est d’autant plus indiqué en cas de comorbidité ciles à affronter au quotidien (avion, lieux élevés, etc.).
dépressive. Les traitements médicamenteux, et notamment les
Les TCC sont les traitements les plus importants, seuls antidépresseurs, ne sont pas efficaces, et donc pas justi-
ou en association aux traitements médicamenteux. Il fiés dans le traitement des phobies. Les benzodiazépines
s’agit, d’une part, de corriger les fausses croyances ou les peuvent avoir un effet apaisant transitoire sur la peur ou
erreurs de raisonnement sous-tendant les peurs de l’autre l’angoisse, mais n’ont aucun effet à long terme sur la pho-
(thérapie cognitive) et, d’autre part, d’entraîner le patient bie elle-même. Elles peuvent donc être recommandées
à s’exposer progressivement au regard de l’autre et à mieux ponctuellement si nécessaire, notamment avant qu’une
s’affirmer (thérapie comportementale) [6] . Comme pour thérapie comportementale puisse être débutée, mais en se
les autres phobies, une réduction franche des peurs est méfiant des risques de consommation prolongée et donc
ainsi obtenue par le mécanisme de la désensibilisation. de dépendance.

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Troubles anxieux et phobiques  60-726-A-10

 Anxiété généralisée L’anxiété généralisée doit principalement être diffé-


renciée des autres troubles anxieux d’une part, et de la
L’anxiété généralisée (ou « trouble anxiété généralisé », dépression d’autre part. Ceci est parfois délicat car il peut
donc TAG, pour le DSM-5) correspond à un état d’alerte exister des symptômes communs, et l’anxiété généralisée
et d’inquiétude quasi permanent, associé à des signes est très souvent associée à d’autres pathologies (« comor-
psychiques et physiques de tension anxieuse, ceci sur bidité »).
une période d’au moins six mois [2, 6] . Le terme « géné- Certains sujets vulnérables au stress peuvent présenter
ralisé » vient du fait qu’il n’y a pas, comme dans les des états anxieux proches de l’anxiété généralisée à la suite
phobies, de peur focalisée sur un objet ou une situation d’événements de vie négatifs ou déstabilisants, mais l’on
précise, mais une tendance à se faire du souci « pour tout parle alors de « trouble de l’adaptation avec anxiété » si cet
ou pour rien ». Dans la définition du DSM-5, les sujets état est clairement secondaire à ces événements et dure en
d’inquiétudes doivent être multiples, il faut donc en réper- général moins de six mois.
torier au moins deux distincts pour pouvoir appliquer le Les syndromes dépressifs s’accompagnent souvent de
diagnostic. Ces inquiétudes sont excessives du fait de leur symptômes anxieux proches de l’anxiété généralisée.
fréquence et de leur intensité par rapport à la réalité des Si l’inquiétude, l’insomnie, la tension interne ou les
risques : soit les événements redoutés sont en réalité assez autres signes ne sont apparus qu’au moment d’une phase
bénins, soit ils sont peu probables et rien n’indique qu’ils dépressive, on ne peut pas porter le diagnostic d’anxiété
vont survenir. Certains patients s’inquiètent de perdre généralisée, et le traitement de la dépression doit résoudre
leur travail, d’avoir des problèmes d’argent, de tomber l’ensemble des troubles. Cependant, beaucoup de patients
malade, sans motifs réels. D’autres imaginent des scéna- déprimés souffrent par ailleurs d’une anxiété générali-
rios catastrophes si un de leur proche n’est pas rentré à sée, préexistante et/ou persistante après résolution de
l’heure au domicile (accident, enlèvement), si une lettre l’épisode dépressif, ce qui doit faire alors porter les deux
recommandée leur est adressée (expulsion, licenciement), diagnostics et traiter les deux troubles.
ou même à la simple sonnerie du téléphone. Enfin, la définition du TAG peut le rapprocher du TOC
Cette inquiétude chronique, et quasi permanente, et des troubles post-traumatiques, du fait de la persistance
s’accompagne de signes de tension psychique : hyper- d’inquiétudes récurrentes et d’une hypervigilance cons-
vigilance diffuse vis-à-vis de l’environnement, avec des tante. Cependant, les inquiétudes du TAG portent sur des
troubles de la concentration et de la mémoire secon- menaces dont le sujet ne se sent pas responsable, contrai-
daires. Elle s’accompagne également de signes physiques rement au TOC, et il n’y répond pas par des compulsions
qui peuvent être très divers et qui reflètent surtout ni des rituels. De même, contrairement au TSPT, l’anxiété
une hyperactivité neurovégétative (palpitations, sueurs, ne porte pas spécialement sur des événements traumati-
vertiges, tensions et douleurs musculaires, vertiges, nau- sants du passé, mais essentiellement sur les accidents ou
sées, etc.). Ces symptômes, qui peuvent être retrouvés autres catastrophes pouvant survenir dans l’avenir.
aussi dans les attaques de panique, sont ici présents de
manière durable, parfois toute la journée, mais de manière Traitements
moins intense. Ils sont associés à des troubles du som-
meil, notamment des difficultés d’endormissement et des La prise en charge du TAG comporte trois volets [1, 6] :
réveils nocturnes, à une irritabilité, à une sensation de des mesures générales, la psychothérapie et le traitement
fébrilité et d’agitation intérieure, à une fatigabilité, et médicamenteux. S’il existe des comorbidités, elles doivent
à des réactions de sursaut dans la journée, déclenchées être traitées en parallèle.
par des stimulations soudaines (sonnerie du téléphone, Les mesures générales sont indispensables et peuvent
contact physique, apparition imprévue dans le champ suffire dans bien des cas. Comme dans toute maladie chro-
visuel, etc.). nique, l’éducation du patient est un point clé de la prise
Les autres critères importants de définition du TAG sont en charge. Elle repose sur une information claire sur les
la durée des symptômes, qui doivent être présents pen- symptômes du trouble, son évolution en insistant sur son
dant au moins six mois et cela au moins la moitié du caractère chronique et ses aggravations transitoires, et les
temps, et le fait qu’ils doivent être présents même en traitements en détaillant avantages et inconvénients des
l’absence de facteurs de stress et d’événements anxiogènes choix possibles. Des règles d’hygiène de vie simples per-
réels. mettent de diminuer l’intensité des symptômes, même si
On estime que le TAG touche environ 3 % des hommes elles ne sont pas toujours faciles à faire respecter : acti-
et 6 % des femmes de la population générale, à un vités physiques régulières, aménagement de l’emploi du
moment ou un autre de leur vie. Il commence habi- temps pour éviter les surcharges de travail, permettre un
tuellement au milieu de l’âge adulte, chez des sujets au sommeil suffisant et des plages de loisirs, et suppression
tempérament anxieux en général, et constitue le trouble des toxiques en excès (tabac, alcool, caféine, etc.).
anxieux le plus fréquent chez les sujets âgés. Les princi- L’apprentissage de méthodes de relaxation et de respi-
pales complications du TAG sont la dépression et l’usage ration apaisante doit être proposé. Il existe de nombreux
excessif d’anxiolytiques, avec un risque élevé de dépen- livres ou supports audio psychoéducatifs détaillant cer-
dance aux benzodiazépines du fait de la chronicité du taines techniques de relaxation et de gestion du stress. On
trouble. peut conseiller la pratique du yoga, du Tai Chi Chuan ou
du Qi Gong. Pour les patients ne parvenant pas à maîtriser
seuls ces techniques, le recours à une véritable thérapie de
Diagnostic différentiel relaxation peut être nécessaire.
Parmi les psychothérapies structurées, les TCC sont les
Il est parfois difficile de différencier l’anxiété générali- plus étudiées dans le TAG, avec des résultats très positifs.
sée d’une tendance non pathologique à l’inquiétude, que Elles consistent, d’une part, en une approche cognitive
l’on retrouve chez beaucoup de sujets et que l’on qualifie dans laquelle le thérapeute aide le patient à identifier ses
souvent de « nature anxieuse ». Pour porter le diagnostic, pensées irrationnelles anxiogènes et les « schémas » qui
il faut vérifier que l’inquiétude est réellement excessive et les sous-tendent (croyances de fond sur soi et l’avenir),
surtout incontrôlable, empêchant le patient de penser ou avec notamment un travail sur l’inutilité des inquiétudes
de se concentrer sur autre chose. Par ailleurs, le trouble et des ruminations [3] . Et, d’autre part, l’approche compor-
doit avoir des répercussions dans la vie du sujet, altérer tementale inclut surtout des techniques de relaxation qui
la qualité de vie ou constituer un vrai handicap dans le permettent de réduire l’hyperactivité végétative et atten-
travail ou la vie familiale notamment (attitudes anxieuses tionnelle, et des méthodes d’exposition aux situations que
vis-à-vis des proches). le patient évite à cause de son anxiété. Ces techniques

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60-726-A-10  Troubles anxieux et phobiques

sont efficaces sur le court et long terme, et sont donc a états de stress aigus) et les troubles du spectre obsession-
priori préférables au traitement médicamenteux. Ce sont nel et compulsif [2] . Par ailleurs, l’anxiété concernant
des thérapies courtes (12 à 25 séances hebdomadaires), spécifiquement et uniquement la santé ou le corps
dans lesquelles le patient est responsabilisé et actif. Des se retrouve dans le trouble hypocondriaque, dans les
méthodes complémentaires, basées en particulier sur la dysmorphophobies et dans les nosophobies que l’on rat-
pratique de la méditation de pleine conscience, sont aussi tache aux TOC. Par ailleurs, la catégorie des troubles dits
utiles pour prévenir les rechutes. fonctionnels (nommés troubles à symptômes somatiques
Le traitement médicamenteux n’est pas systématique dans le DSM-5 et anciennement troubles somatoformes)
et doit prendre en compte les comorbidités, l’évolution et peut comporter une dimension anxieuse importante,
la sévérité du trouble, et l’effet des mesures non médica- mais avec d’autres mécanismes psychiques spécifiques
menteuses. qui ne permettent pas d’en faire des troubles anxieux à
Les benzodiazépines ont des effets anxiolytiques quasi part entière.
immédiats, ce qui explique que beaucoup de patients Enfin, les classifications psychiatriques n’intègrent plus
souffrant de TAG les utilisent de manière ponctuelle ou le terme de névrose dans leur nosographie [1, 2] . Il s’agissait
durable. Elles n’ont cependant pas d’effet thérapeutique en effet d’un concept directement issu des théories psy-
à long terme, et leurs inconvénients ne peuvent être chanalytiques, qui faisait l’hypothèse de mécanismes
négligés : sédation, troubles mnésiques, risques de chutes psychologiques particuliers (refoulement, déplacement,
chez les personnes âgées, et surtout de sevrage et de conflits intrapsychiques, etc.) à l’origine des symptômes
dépendance. Leur utilisation doit donc être très prudente anxieux ou dépressifs. Ces mécanismes étant souvent dif-
et limitée à des phases d’accentuation de l’anxiété, ou ficiles à objectiver, et n’étant pas présents chez la majorité
d’attente d’une autre stratégie, en respectant les précau- des patients, les classifications privilégient la descrip-
tions habituelles : information du patient sur les risques tion factuelle des troubles, sans hypothèse étiologique
pris et sur la durée brève du traitement, arrêt progressif générale. On retrouve cependant des symptômes anxieux
avant 12 semaines de traitement maximum, et contre- durables dans certains troubles de la personnalité, qui cor-
indication en cas d’antécédent addictif. respondent en partie aux concepts anciens de troubles
Certains antidépresseurs (venlafaxine, paroxétine et névrotiques. C’est le cas notamment des personnalités
escitalopram) disposent d’une autorisation de mise sur le évitantes, fréquemment associées aux troubles anxieux et
marché (AMM) dans cette indication et peuvent consti- très similaires aux phobies sociales généralisées. Il en est
tuer en revanche des solutions thérapeutiques à long de même pour les personnalités dépendantes et obsession-
terme lorsque le trouble est intense et produit une gêne nelles compulsives.
majeure dans la vie du patient [4] . Comme dans la dépres-
sion, il faut compter environ trois semaines pour qu’ils
soient efficaces. Les posologies actives sont en général les Déclaration de liens d’intérêts : l’auteur déclare avoir eu, au cours
mêmes que dans la dépression. Une durée minimale de des trois dernières années, des collaborations scientifiques avec les
six mois est nécessaire en général, avec ensuite une réduc- laboratoires pharmaceutiques Biocodex, Otsuka et Janssen-Cilag.
tion progressive des posologies, mais des rechutes peuvent
conduire à des traitements prolongés, surtout si aucune
psychothérapie n’est mise en œuvre. Naturellement, les
antidépresseurs sont d’autant plus justifiés quand il existe
 Références
une dépression associée, ce qui est le cas chez plus de la [1] Boulenger JP, Lépine JP. Les troubles anxieux. Paris: Lavoi-
moitié des patients. sier Médecine-Sciences; 2014.
Les autres médicaments permettant d’éviter les risques [2] American Psychiatric Association, DSM-5 Task Force. Diag-
de dépendance sont des anxiolytiques non benzo- nostic and statistical manual of mental disorders: DSM-5.
diazépiniques comme la buspirone, l’étifoxine ou les 2013. Paris: Elsevier Masson; 2015.
anti-histaminiques comme l’hydroxyzine, mais avec un [3] Quintilla Y, Pelissolo A. Thérapeutiques en psychiatrie. Issy-
rapport bénéfice–risque à évaluer mal établi. les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2015.
[4] Yadak J, Pelissolo A. Antidépresseurs et traitement des
troubles anxieux. In: Médicaments antidépresseurs. Paris:
 Autres formes d’anxiété Flammarion Médecine-Sciences; 2012.
[5] Pelissolo A. Anxiété sociale et phobie sociale. EMC - Psy-
Des symptômes anxieux durables se retrouvent dans chiatrie 2016;13(4):1-6 [37-370-A-20].
certaines catégories diagnostiques différenciées des [6] Vederine FE, Pelissolo A. Trouble anxiété généralisée. Rev
troubles anxieux, comme les troubles liés au stress (TSPT, Prat Med Gen 2009;(813):11–3.

A. Pelissolo, Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service (antoine.pelissolo@inserm.fr).


Service de psychiatrie sectorisée, Hôpital Albert-Chenevier, Hôpitaux universitaires Henri-Mondor, AP–HP, Université Paris-Est Créteil, Institut
Mondor de recherche biomédicale (IMRB), 40, rue de Mesly, 94000 Créteil, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Pelissolo A. Troubles anxieux et phobiques. EMC - Savoirs et soins infirmiers
2019;14(3):1-8 [Article 60-726-A-10].


Pour citation, ne pas utiliser la référence ci-dessus de cet article, mais la référence de la version originale publiée dans EMC – Traité de
Médecine Akos 2019;14(1):1-8 [7-0150].
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(18)89532-1

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