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Traitement du trouble bipolaire


A. Gaillard, D. Gourion

Le trouble bipolaire est une pathologie psychiatrique chronique débutant chez l’adulte jeune et classée
parmi les dix pathologies les plus invalidantes selon l’Organisation mondiale de la santé. Un patient sur
six meurt par suicide, et cette pathologie des émotions et de la cognition expose à de nombreuses comor-
bidités psychiatriques ainsi qu’à une surmortalité médicale, notamment cardiovasculaire. Les traitements
médicamenteux du trouble bipolaire ont transformé, en particulier depuis l’avènement du lithium, le pro-
nostic des patients. Si les molécules « classiques » comme le lithium et le valproate conservent une place
de choix dans l’arsenal thérapeutique, celui-ci s’est enrichi au cours des dix dernières années de nouvelles
molécules. Parmi ces molécules thymorégulatrices d’émergence plus récente, la lamotrigine a montré son
efficacité dans la prévention des rechutes dépressives et son rapport bénéfice–risque est particulièrement
favorable (absence de prise de poids et de sédation) en dehors des rares cas d’allergies cutanées sévères
qui nécessitent un protocole rigoureux de mise en place et de surveillance. Les nouvelles générations
d’antipsychotiques atypiques ont également représenté une véritable avancée, comme nouveaux traite-
ments dans la prise en charge du trouble bipolaire que ce soit en phase aiguë ou comme prévention des
rechutes avec, en particulier pour la quétiapine, une efficacité tant sur les épisodes maniaques que dépres-
sifs, mais au prix de possibles syndromes métaboliques. Au-delà du profil d’efficacité de chaque molécule,
ce sont surtout les combinaisons polychimiothérapiques synergiques qui ont montré leur efficacité dans
l’augmentation des taux de rémission, notamment dans les formes difficiles ou résistantes. Ces stratégies
thérapeutiques s’articulent désormais autour de deux aspects fondamentaux que sont la précocité de la
prise en charge et la notion de staging. Si les recommandations internationales constituent un cadre
thérapeutique de base indispensable, la prise en charge de chaque situation singulière nécessite une
approche de type médecine personnalisée qui devrait s’enrichir les années à venir grâce à une meilleure
caractérisation des différents profils phénotypiques avec l’imagerie cérébrale et la pharmacogénétique,
qui permettra de guider le choix de la molécule comme cela se fait par exemple en cancérologie. Les outils
pharmacologiques ne sont par ailleurs que l’un des axes de la prise en charge des troubles bipolaires, qui
doit être globale et intégrer les nouvelles approches psychothérapiques validées (thérapie des rythmes,
thérapies comportementales et cognitives, méditation en pleine conscience), ainsi que les interventions
de psychoéducation et la remédiation cognitive quand elle est nécessaire. La psychoéducation tient une
place importante dans la mesure où toutes les interventions thérapeutiques ont comme préalable un long
et difficile cheminement d’acceptation de la maladie, paramètre déterminant de l’observance et de la
rémission. Enfin, les concepts de qualité de vie, de réhabilitation psychosociale, de rémission fonction-
nelle et d’empowerment ont élevé le niveau d’ambition thérapeutique au-delà de la simple abrasion des
épisodes thymiques qui représentait le graal thérapeutique il y a encore relativement peu de temps.
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Mots-clés : Thymorégulateurs ; Troubles bipolaires ; Lithium ; Résistance ; Guidelines ; Troubles de l’humeur

Plan ■ Psychothérapies, psychoéducation et autres thérapies


non pharmacologiques 15
■ Introduction 2 Interventions psychothérapiques et psychosociales 17
Interventions centrées sur les aidants 17
■ Principes fondamentaux du traitement des troubles bipolaires 2 Psychoéducation 17
Confirmer le diagnostic et améliorer la précocité de ce dernier 2 Thérapies comportementales et cognitives des troubles bipolaires 18
Prise en charge initiale 3 Thérapie des rythmes sociaux : l’exemple de la thérapie
Prise en charge globale et individualisée 4 interpersonnelle et aménagement des rythmes sociaux 18
■ Traitements pharmacologiques 5 ■ Traitements des différentes phases du trouble bipolaire 19
Sels de lithium 5 Guidelines 19
Anticonvulsivants 11 Traitement des épisodes aigus 19
Antipsychotiques 13 Prévention des rechutes et récidives 21
Antidépresseurs 14
Benzodiazépines, anxiolytiques et hypnotiques 14
Efficacité : monothérapies et combinaisons de traitements 15
Sismothérapie (ou électroconvulsivothérapie [ECT]) et autres
techniques de stimulation cérébrale 15

EMC - Psychiatrie 1
Volume 16 > n◦ 2 > avril 2019
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(18)70103-X

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■ Situations particulières 22 Tableau 1.


Cycles rapides 22 Épisode de manie : critères diagnostiques du Diagnostic and Statistical
Interruption du traitement au long cours 22 Manual of Mental Disorders 5.
Personnalité borderline comorbide 22 A. Une période nettement délimitée d’au moins 1 semaine (ou
Femmes en âge de procréer et grossesse 22 n’importe quelle durée si une hospitalisation est nécessaire) d’humeur
Sujets âgés 23 anormalement élevée, expansive ou irritable, et d’augmentation
■ Conclusion 23 anormale de l’activité ou de l’énergie dirigée vers un but, de façon
Vers de nouveaux paradigmes de recherche et de prescription 24 persistante, la plus grande partie de la journée, presque tous les jours
Améliorer l’accès aux soins, développer le support psychosocial B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur et d’énergie ou
et déstigmatiser la maladie 24 d’activité accrue, 3 (ou plus) des symptômes suivants (4 si l’humeur est
seulement irritable) sont présents à un niveau significatif et représentent
un changement notable par rapport au comportement habituel :
1. Estime de soi exagérée ou idées de grandeur
 Introduction 2. Besoin réduit de sommeil (par exemple, se sentir reposé après
seulement 3 heures de sommeil)
Le trouble bipolaire est une pathologie psychiatrique chro- 3. Plus grande loquacité que d’habitude ou désir de parler constamment
nique débutant chez l’adulte jeune. Les troubles bipolaires ont 4. Fuite des idées ou expérience subjective que les pensées s’emballent
été classés parmi les dix pathologies les plus invalidantes selon 5. Distractibilité rapportée ou observée (par exemple, l’attention est trop
facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou
l’Organisation mondiale de la santé. Environ un patient sur 6 à
insignifiants)
10 décèderait par suicide, soit un risque 15 fois plus élevé que dans
6. Augmentation de l’activité orientée vers un but (sociale,
la population générale [1] . Le spectre des troubles bipolaires attein-
professionnelle, scolaire ou sexuelle) ou agitation psychomotrice
drait selon les différentes études épidémiologiques en population (activité sans but)
générale une prévalence autour de 2,4 % avec des chiffres simi- 7. Engagement excessif dans des activités à potentiel élevé de
laires aux États-Unis, en Europe et en Asie [2] . Cette prévalence est conséquences dommageables (par exemple, s’engager dans des achats
vraisemblablement sous-évaluée. inconsidérés, des conduites sexuelles inconséquentes ou des
Il pourrait s’écouler en moyenne, selon les études et les pays, investissements commerciaux déraisonnables)
de 6 à 10 ans entre le premier épisode thymique et la prescription C. La perturbation de l’humeur est suffisamment sévère pour entraîner
d’un régulateur de l’humeur, ce qui fait de ce trouble de l’humeur une altération marquée du fonctionnement social ou professionnel, ou
un véritable enjeu de santé publique [3] . Cette pathologie expose pour nécessiter une hospitalisation (afin d’éviter de se nuire à soi-même
à de nombreuses comorbidités psychiatriques (troubles anxieux, ou aux autres), ou il y a présence de caractéristiques psychotiques (idées
addictions), mais aussi somatiques (surmortalité cardiovasculaire, délirantes, hallucinations et trouble de la pensée formelle)
maladies auto-immunes), potentiellement sous-tendues par un D. L’épisode n’est pas dû aux effets physiologiques directs d’une
dysfonctionnement immunitaire. substance (par exemple, substance donnant lieu à abus, médicament ou
Les critères diagnostiques de trouble bipolaire et des différents autre traitement) ou d’une affection médicale générale
épisodes qui les caractérisent ont évolué au cours des différentes
éditions du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders Remarque. Un épisode maniaque qui apparaît au cours d’un traitement antidé-
presseur, mais persiste, à un niveau qui rencontre les critères, au-delà de l’effet
(DSM). Ils sont détaillés dans les Tableaux 1, 2 et 3. La dernière physiologique de ce traitement est considéré comme un épisode maniaque et,
version DSM-5 [4] diffère du DSM-IV sur les points détaillés dans par conséquent, justifie un diagnostic de trouble bipolaire I.
le Tableau 4.
rité (saisonnalité, survenue en post-partum, nombre et sévérité des
 Principes fondamentaux épisodes, caractéristiques psychotiques, réponses atypiques aux
traitements, chronicité, tempérament cyclothymique ou hyper-
du traitement des troubles thymique préalable, etc.) [5] (Tableau 5).
Les comorbidités anxieuses (anxiété généralisée, anxiété sociale
bipolaires et trouble panique sont associés dans près d’un tiers des cas), le
trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), les troubles de
Confirmer le diagnostic et améliorer la personnalité (en particulier borderline), les comorbidités liées
la précocité de ce dernier à l’abus de substance (alcool, drogues) et les troubles somatiques
associés doivent être systématiquement explorés. Ces comorbi-
Le diagnostic de trouble bipolaire doit être réalisé le plus pré- dités fréquentes persistent entre les épisodes aigus et favorisent
cocement possible. Il s’agit d’une part d’identifier la nature de l’instabilité du trouble et sa chronicité, et doivent être systé-
l’épisode index : dépressif, maniaque, hypomaniaque ou mixte, matiquement traitées. Le trouble de personnalité borderline en
d’autre part le nombre, la polarité, la durée, la sévérité des particulier peut constituer un diagnostic différentiel difficile, mais
épisodes, le risque suicidaire et l’impact fonctionnel global. Le aussi une comorbidité fréquente.
recours à des questionnaires standardisés permet d’être exhaustif Les substances stimulantes comme les corticoïdes, la lévo-
dans la recherche des symptômes. dopa, l’interféron alpha, etc., peuvent mimer, voire déclencher,
Une méta-analyse de 2017 [5] estime que 3,9 % des troubles uni- des épisodes maniaques. Il en est de même pour les substances
polaires se convertissent en troubles bipolaires la première année. psychoactives illicites (psychostimulants, en particulier amphéta-
Ce taux tend à diminuer les années suivantes, mais le délai moyen mines et cocaïne, hallucinogènes). La prise d’alcool ou de drogue
entre le premier épisode de trouble bipolaire et la mise en route est d’ailleurs fréquente lorsque débute un épisode dépressif ou
d’un traitement régulateur est de dix ans. Ainsi, près d’un quart des maniaque. Dans le cas d’épisode thymique purement iatrogène
adultes (22,5 %) et des adolescents atteints de dépression majeure, ou toxique, les symptômes doivent décliner lorsque la substance
et suivis pendant une durée moyenne de 12 à 18 ans, développent est éliminée. Un laps de cinq demi-vies est un bon indicateur de
un trouble bipolaire. Le risque de transition est plus élevé au cours la durée d’élimination d’une substance. Si les modifications de
des cinq premières années et est favorisé par les antécédents fami- l’humeur perdurent au-delà de l’élimination de la substance, le
liaux de bipolarité, l’âge de début de la dépression et la présence diagnostic de trouble bipolaire doit être envisagé.
de symptômes psychotiques [6] . Enfin, une pathologie organique peut également induire
Le premier épisode de la maladie bipolaire se présente dans des symptômes thymiques secondaires ou aggraver un trouble
la majorité des cas sous la forme d’un premier épisode dépres- bipolaire. Il faut notamment rechercher des signes cliniques évo-
sif survenant entre 15 et 25 ans. Il faut donc systématiquement quant une pathologie endocrinienne (dysthyroïdies, syndrome de
rechercher chez un sujet présentant un premier épisode dépressif Cushing, etc.) ou une atteinte neurologique (sclérose en plaques,
la présence d’antécédents de manie ou d’hypomanie, et relever les accident vasculaire cérébral, tumeur cérébrale, épilepsie, virus de
antécédents familiaux de trouble bipolaire et les indices de bipola- l’immunodéficience humaine, neurolupus, lésions corticales et

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Tableau 2. Tableau 3.
Épisode d’hypomanie : critères diagnostiques du Diagnostic and Statistical Critères du trouble bipolaire : critères diagnostiques du Diagnostic and
Manual of Mental Disorders 5. Statistical Manual of Mental Disorders 5.
A. Une période nettement délimitée, d’au moins 4 jours consécutifs, Trouble bipolaire de type I a
d’humeur anormalement élevée, expansive ou irritable, et A. Les critères d’au moins un épisode de manie doivent être rencontrés
d’augmentation anormale de l’activité ou de l’énergie, de persistante, la
B. La survenue d’épisode(s) de manie et de dépression majeure n’est pas
plus grande partie de la journée, presque tous les jours
mieux expliquée par un trouble schizoaffectif, une schizophrénie, un
B. Au cours de cette période de perturbation de l’humeur et d’énergie ou trouble schizophréniforme, un trouble délirant, ou un autre trouble du
d’activité accrue, 3 (ou plus) des symptômes suivants (4 si l’humeur est spectre schizophrénique et un autre trouble psychotique
seulement irritable) ont persisté, ont représenté un changement notable
Trouble bipolaire de type II
par rapport au comportement habituel et ont été présents à un niveau
significatif : A. Les critères d’au moins un épisode d’hypomanie ET d’au moins un
1. Estime de soi exagérée ou idées de grandeur épisode de dépression majeure, actuels ou passés, sont rencontrés
2. Besoin réduit de sommeil (par exemple, se sentir reposé après B. Il n’y a jamais eu d’épisode de manie
seulement 3 heures de sommeil) C. La survenue des épisode(s) d’hypomanie et de dépression majeure
3. Plus grande loquacité que d’habitude ou désir de parler constamment n’est pas mieux expliquée par un trouble schizoaffectif, une
4. Fuite des idées ou expérience subjective que les pensées s’emballent schizophrénie, un trouble schizophréniforme, un trouble délirant, ou
5. Distractibilité rapportée ou observée (par exemple, l’attention est trop un autre trouble du spectre schizophrénique et un autre trouble
facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou psychotique
insignifiants)
D. Les symptômes de dépression ou l’imprévisibilité causée par la
6. Augmentation de l’activité orientée vers un but (sociale,
fréquente alternance entre périodes de dépression et d’hypomanie
professionnelle, scolaire ou sexuelle) ou agitation psychomotrice
provoquent une souffrance cliniquement significative ou une altération
(activité sans but)
du fonctionnement dans les domaines sociaux ou professionnels ou
7. Engagement excessif dans des activités à potentiel élevé de
d’autres domaines importants
conséquences dommageables (par exemple, s’engager dans des achats
inconsidérés, des conduites sexuelles inconséquentes ou des Troubles reliés
investissements commerciaux déraisonnables) Trouble cyclothymique
C. L’épisode s’accompagne de modifications indiscutables du Un diagnostic de trouble cyclothymique peut s’appliquer lorsque,
fonctionnement, qui diffèrent de celui de la personne hors période pendant 2 ans, des périodes hypomaniaques et dépressives sont vécues
symptomatique la moitié du temps, sans jamais que les critères d’un épisode de manie,
D. La perturbation de l’humeur et le changement dans le d’hypomanie, ou de dépression majeure ne soient remplis.
fonctionnement sont manifestes pour les autres Autre trouble bipolaire (spécifié ou non spécifié)
E. La sévérité de l’épisode n’est pas suffisante pour entraîner une Un diagnostic d’autre trouble bipolaire (spécifié ou non spécifié, selon
altération marquée du fonctionnement professionnel ou social, ou pour les précisions apportées par le clinicien), peut aussi être posé dans des
nécessiter une hospitalisation. S’il y a des caractéristiques psychotiques, cas où les symptômes caractéristiques d’un trouble bipolaire causent
l’épisode est, par définition, maniaque (et non hypomaniaque) une souffrance cliniquement significative ou une altération du
F. L’épisode n’est pas dû aux effets physiologiques directs d’une fonctionnement, mais ne répondent pas à tous les critères des troubles
substance (drogue prêtant à abus, médicament, ou autre traitement) ou bipolaires I et II ou du trouble cyclothymique.
d’une affection médicale générale a
Les épisodes de dépression majeure sont fréquents dans le trouble bipolaire de
Remarque. Un épisode hypomaniaque qui apparaît au cours d’un traite- type I, mais ne sont pas nécessaires pour le diagnostic.
ment antidépresseur, mais persiste, à un niveau qui rencontre les critères,
au-delà de l’effet physiologique de ce traitement est considéré comme un
épisode hypomaniaque. Toutefois, un ou deux symptômes (notamment Tableau 4.
l’augmentation de l’irritabilité, de la nervosité, ou de l’agitation suite à Troubles bipolaires : modifications du Diagnostic and Statistical Manual
l’utilisation d’antidépresseurs) ne sont pas considérés comme suffisants pour le of Mental Disorders (DSM) 5 par rapport au DSM-IV.
diagnostic d’un épisode d’hypomanie, ni nécessairement indicatifs d’un trouble
bipolaire. Les troubles bipolaires ne sont plus inclus dans les troubles de l’humeur,
mais dans un chapitre à part
sous-corticales droites, démence débutante particulièrement chez Dans les critères de l’épisode maniaque, une caractéristique
les patients âgés ayant un début tardif de trouble bipolaire [âge « augmentation d’activité et d’énergie » a été ajoutée au critère A
supérieur à 40 ans]). La spécification « avec caractéristiques mixtes » a été ajoutée pour les
épisodes maniaques, hypomaniaques et dépressifs majeurs des troubles
Prise en charge initiale bipolaires I et II, pour remplacer le paragraphe sur les états mixtes du
DSM-IV
Elle consiste en orienter, et assurer la sécurité du patient et de
La spécification « avec détresse anxieuse » a été ajoutée pour les épisodes
son entourage, en cas d’agitation aiguë ou de crise suicidaire.
maniaques, hypomaniaques et dépressifs majeurs des troubles
En phase aiguë, il peut être nécessaire d’hospitaliser le patient bipolaires I et II
lorsque les critères de sévérité sont présents (caractéristiques
Pour les épisodes maniaques ou hypomaniaques, les virages de l’humeur
mélancoliques, psychotiques, mixtes, agitation, suicidalité, vio-
sous antidépresseurs sont définis comme des épisodes persistants
lence ou risque de passage à l’acte). Si le risque est majeur,
au-delà des effets physiologiques de ces médicaments
que l’hospitalisation s’avère indispensable mais que les troubles
empêchent le consentement, une hospitalisation sous contrainte Le diagnostic « trouble bipolaire non spécifié » a été remplacé par deux
doit être envisagée. Le dialogue avec le patient et sa famille doit diagnostics « autres troubles bipolaires spécifiés » (par exemple, épisodes
maniaques récurrents sans symptômes dépressifs...) et « autres troubles
toujours être une priorité ; les stratégies de désescalade (entretien
bipolaires non spécifiés » (qui ne répondent aux critères d’aucun trouble
dans un lieu calme, écoute empathique et rassurante, patience,
bipolaire spécifié)
etc.) permettent souvent de désamorcer des situations difficiles.
Des idées suicidaires doivent être systématiquement recher-
chées avec des questions précises (si besoin en utilisant les
questionnaires validés du DSM-5). Si elles sont présentes, il faut En phase aiguë, les patients peuvent être plus vulnérables et
évaluer le degré d’intentionnalité et la précision de la planifi- manipulables. Ils peuvent se retrouver victimes ou auteurs de
cation. Des antécédents personnels de tentative de suicide, une violences. Ils peuvent aussi se mettre en danger sur le plan
histoire familiale de suicide ou une récente exposition au suicide, financier. Une sauvegarde de justice peut être nécessaire si des
un abus de substances, des symptômes psychotiques, un trouble dépenses inconsidérées sont présentes, qui pourra éventuellement
de personnalité et l’isolement social constituent des facteurs de se compléter d’une demande de curatelle dans les formes sévères
risque majeurs de geste suicidaire (Tableau 6). si le risque perdure.

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Tableau 5. • l’établissement et le maintien d’une alliance thérapeutique


Indicateurs de bipolarité. solide pour aider le patient à accepter sa maladie, compren-
Il est recommandé de rechercher les indicateurs permettant de suspecter dre la nécessité d’un traitement au long cours et favoriser
une évolution possible vers une bipolarité. Les indicateurs de bipolarité l’observance ;
en premier lieu sont : • informer du diagnostic, expliquer la maladie, exposer les bases
du traitement et leurs effets indésirables. Il est utile de remettre
– une survenue précoce de dépression avant 25 ans
les coordonnées d’associations (Unafam, Argos 2001, etc.) et
– des antécédents d’épisodes dépressifs multiples (3 ou plus) des livrets d’information sur la maladie ou des références
– des antécédents familiaux connus de trouble bipolaire d’ouvrages destinés aux patients et leurs aidants ;
– un épisode dépressif survenant dans le post-partum • l’éducation du patient et de la famille vise à expliquer la patho-
– des caractéristiques atypiques de l’épisode dépressif (hyperphagie, logie, en travaillant sur la conscience des troubles, surtout
hypersomnie) lors des phases hypomaniaques. Dans le cadre des troubles
– des caractéristiques psychotiques congruentes avec l’humeur
bipolaires, il faut informer que l’arrêt des traitements risque
d’entraîner une rechute, qui sera souvent de plus en plus grave,
– une réponse atypique aux antidépresseurs (non-réponse ; aggravation ;
avec un impact fonctionnel considérable sur le long cours (en
apparition d’une agitation ; apparition de notion d’hypomanie même
particulier sur les études, le travail, les amis, la famille, etc.) ;
brève)
• favoriser l’adhésion au traitement en expliquant l’intérêt d’un
– un épisode de manie ou un virage maniaque sous antidépresseur, qui traitement au long cours, en tenant compte des préférences du
suffisent pour diagnostiquer un trouble bipolaire patient, en évaluant le rapport bénéfices/risques. La prise en
– certaines particularités de l’épisode dépressif : agitation, charge des effets secondaires doit être une des priorités (opti-
hyperréactivité émotionnelle, irritabilité, avec des débuts et des fins miser la répartition des doses, prescrire les traitements sédatifs
abrupts, sans facteur déclenchant identifié le soir, adapter le dosage) ;
– une suicidalité (passage répété à l’acte suicidaire par des moyens • alerter sur la nécessité des règles d’hygiène de vie, en particulier
violents) la régularité des rythmes veille–sommeil (il existe des thérapies
– des passages à l’acte délictueux, des conduites sexuelles à risque des rythmes), et la nécessité d’éviter l’hyperactivité (rangement,
sport, travail, internet, etc.), les sorties, les dépenses et la sursti-
mulation en période d’hypomanie (proposer plutôt des temps
calmes à la maison, si possible autour d’activités comme la lec-
Tableau 6. ture ; réduire l’exposition lumineuse et privilégier la pénombre
Évaluer le risque suicidaire dans les troubles bipolaires. peut être utile durant quelques jours) ;
Les troubles bipolaires sont une pathologie hautement suicidogène. Un • alerter sur le rôle des facteurs déclenchants : jet-lag, nuit
patient sur deux fera au moins une tentative de suicide dans sa vie et au blanche, prise de drogue, abus d’alcool, stress majeur, prise de
moins un patient sur dix non traité décédera par suicide (15 %) corticoïdes, interruption des traitements, etc. Il faut aider le
patient et sa famille à identifier ces facteurs, repérer les signes
Évaluer le risque suicidaire en recherchant la présence :
de rechute et leur apprendre à intervenir précocement ;
– d’intentions, de projets et de planifications suicidaires • impliquer la famille quand cela est possible. Il est souhaitable
– de moyens à disposition pour se suicider (médicaments, armes à feu, qu’elle-même entende le bien-fondé du traitement et soutienne
etc.) le patient, l’encadre, le réconforte, l’incite au calme, et l’aide
– d’antécédents personnels et familiaux de tentatives de suicide et de à prendre conscience de la nécessité de prendre son traite-
suicide ment et de suivre l’ensemble des recommandations médicales.
– d’antécédents de maltraitance (physique et psychologique) Il faut évaluer le degré d’épuisement de la famille (assez sou-
– de sensation de désespoir intense, anxiété majeure
vent l’agressivité et l’hyperactivité du patient maniaque sont
une source majeure d’angoisses pour le conjoint et les enfants)
– de traits de personnalité (impulsivité, agressivité, etc.)
qui peut justifier d’une proposition d’hospitalisation du patient
– de comorbidités somatiques et psychiatriques (exemple : addiction, pour les soulager temporairement ;
douleur chronique) • évaluer et préserver le fonctionnement social et professionnel.
– de stress psychosociaux (isolement, précarité, rupture, échec scolaire, La récupération fonctionnelle complète se produit rarement
perte d’emploi, etc.) dans les 12 semaines suivant la rémission des symptômes thy-
– d’absence de facteurs protecteurs (proximité et qualité des relations miques. Dans les phases aiguës et dans les périodes de stress,
affectives, du soutien familial, social et/ou associatif) préconiser le repos, prescrire un arrêt de travail et conseiller
Facteurs du risque suicidaire spécifiques du trouble bipolaire de déléguer les responsabilités quand cela est nécessaire. Il faut
inciter le patient à différer les prises de décisions importantes
– survenue précoce de la maladie
durant un épisode dépressif ou maniaque. Il faut aussi l’aider
– caractéristiques mixtes à reconsidérer ses exigences personnelles parfois très élevées et
– cycles rapides à évaluer ses capacités de travail dans les phases aiguës d’une
– symptômes psychotiques part, et dans les phases intercritiques d’autre part ;
– addiction à l’alcool ou à d’autres substances psychoactives • évaluer la consommation d’alcool et de substances. La comor-
bidité addictive est fréquente, aggrave le trouble bipolaire et est
associée à un risque augmenté de suicide. Il faut quantifier la
consommation de substances et établir des cibles de consom-
Prise en charge globale et individualisée mation. À noter que la caféine peut considérablement perturber
le sommeil ;
Une fois le diagnostic posé, la mise en route du traitement des • évaluer et traiter les comorbidités psychiatriques (troubles
troubles a pour but de stabiliser la pathologie et de prévenir ses anxieux, TDAH), qui restent présentes dans les phases inter-
complications. Il faut traiter l’épisode index à court terme et pré- currentes et favorisent les rechutes ;
venir les récidives et les récurrences à moyen et long termes. • prévenir la surmorbidité cardiovasculaire en dépistant un
La prise en charge fait appel à différents volets, pharmaco- syndrome métabolique, en surveillant la prise de poids, en favo-
logique, environnemental (arrêt de travail, mobilisation de la risant l’exercice physique et une alimentation équilibrée ;
famille, aménagements de vie, etc.), psychothérapeutique (les thé- • accompagner les femmes en âge de procréer. Elles doivent être
rapies validées reposent sur les thérapies comportementales et informées que la période du post-partum présente un risque
cognitives, et la prévention des récurrences sur les thérapies type plus élevé de rechute (risque de psychose puerpérale, d’épisode
mindfulness based cognitive therapy [MBCT] et psychoéducatif pour maniaque et de dépression dans le trouble bipolaire de type
le patient et sa famille). I, risque de dépression dans le trouble bipolaire de type II). Il
Elle repose sur les points suivants [7] : faut envisager une grossesse en période de stabilité thymique,

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Tableau 7. Le lithium entre aussi en compétition avec l’ion magné-


Critères d’efficacité globale des thymorégulateurs proposée par Keck et sium, inhibant l’activité enzymatique magnésium-dépendante
McElroy en 2003. (impliquée dans la physiopathologie de certaines maladies psy-
Efficacité dans le traitement des épisodes thymiques aigus chiatriques et neurodégénératives). Plusieurs cibles d’actions
pharmacologiques ont été identifiées au niveau réceptoriel et
Efficacité sur les symptômes psychotiques associés
intracellulaire. Le lithium module l’activité des neurotransmet-
Efficacité sur les symptômes cognitifs intercritiques teurs en intervenant sur les systèmes de seconds messagers et en
Efficacité sur la prévention de l’épisode maniaque, mixte ou dépressif modulant l’activité des facteurs de transcription. L’un des méca-
nismes d’action fondamentaux du lithium est lié à sa capacité à
inhiber la protéine GSK3␤, à la fois de façon directe et indirecte
assurer une contraception efficace pour planifier au mieux une (via la protéine Akt). GSK3␤ est au carrefour des voies de signa-
grossesse et tenir compte du risque tératogène dans le choix des lisation induisant l’apoptose et est également impliquée dans
traitements ; l’hyperphosphorylation aberrante des protéines Tau à l’origine
• proposer des mesures d’accompagnement psychosociales. La des dépôts neurofibrillaires et dans la constitution des plaques
prise en charge en affection longue durée est systématique ; amyloïdes, mécanismes centraux dans la physiopathologie de la
dans les cas où l’impact fonctionnel est majeur, une demande maladie d’Alzheimer.
de reconnaissance de handicap auprès de la Maison départe- Le lithium inhibe également l’activité de l’inositol monophos-
mentale des personnes handicapées est initiée au cours de la phatase et de la polyphosphate-1-phosphatase, ce qui entraîne
prise en charge ; une diminution de l’inositol triphosphate impliqué notamment
• la prise en charge doit être globale, individualisée, adaptée au dans les mécanismes d’autophagie également mis en cause dans
cas par cas à chaque patient. Elle doit tenir compte de son les processus neurotoxiques.
environnement (professionnel, sentimental, amical et familial), Enfin, le lithium stimule la production de facteurs neurotro-
évaluer ses ressources psychiques ainsi que ses facteurs de risque phiques comme le brain-derived neurotrophic factor ou le vascular
et de protection, et envisager d’éventuelles mesures psychoso- endothelial growth factor dont les effets ont été impliqués dans dif-
ciales ou de protection des biens. férents troubles neurologiques et psychiatriques. Leur modulation
par le lithium pourrait donc présenter des bénéfices thérapeu-
tiques liés à leurs effets sur la plasticité cérébrale.
 Traitements pharmacologiques
Un régulateur de l’humeur est un traitement permettant de Indications thérapeutiques
réduire la fréquence, la durée et l’intensité des épisodes thy-
miques, et susceptible d’améliorer la qualité des intervalles Le traitement par les sels de lithium est indiqué dans les cas
libres. Keck et McElroy [8] ont proposé une définition des cri- suivants :
tères d’efficacité globale des thymorégulateurs (Tableau 7). Pour • le traitement de l’épisode maniaque modéré à sévère et des épi-
Ghaemi [9] , un stabilisateur de l’humeur est un agent efficace dans sodes hypomaniaques. Le number needed to treat (NNT) à six du
deux des trois domaines suivants : manie franche ; dépression lithium est particulièrement favorable (le NNT correspond au
aiguë ; prévention de la manie et de la dépression. Certains auteurs nombre de patients à traiter pendant une période donnée pour
considèrent la notion de « thymorégulation » comme sujette à éviter l’apparition d’un évènement défavorable. Par exemple, le
caution et des guidelines [10] l’ont volontairement bannie de leur NNT de l’aspirine dans la prévention de l’infarctus du myocarde
vocabulaire. est de 100, soit 100 patients à traiter pour obtenir un bénéfice
sur un seul patient) [13] : l’efficacité antimaniaque du lithium
a été clairement montrée dans de nombreuses études contrô-
Sels de lithium lées versus placebo et versus neuroleptiques conventionnels.
L’efficacité curative sur la manie aiguë s’évalue sur une période
Bien que découvertes à l’issue de la Seconde Guerre mondiale minimale de cinq semaines [14] ;
par l’Australien Cade, les propriétés antimaniaques des sels de • le traitement des épisodes dépressifs chez les patients bipolaires
lithium n’ont pas été utilisées avant les années 1960 en rai- (plus communément appelée dépression bipolaire) : le lithium
son de leurs effets secondaires. C’est Schou qui en a permis la peut être indiqué dans le traitement de la dépression bipolaire,
réhabilitation, notamment grâce aux travaux sur leurs proprié- mais son efficacité est moindre que dans la manie [7] . Pour cer-
tés préventives des récurrences thymiques. Leur large diffusion, tains auteurs, un épisode dépressif bipolaire sans élément de
dans les années 1970 à 1980, a totalement révolutionné la prise gravité peut être traité par lithium, les antidépresseurs n’étant
en charge des patients bipolaires. indiqués, et cela uniquement sous couverture thymorégula-
Contrairement à une idée encore trop ancrée, le lithium n’est trice, qu’en présence d’éléments de gravité ou de résistance ;
pas une option thérapeutique dangereuse, désuète, de seconde • la prévention des récurrences bipolaires : le lithium demeure
ligne, à éviter du fait de ses effets latéraux, et moins efficace que les très clairement le traitement de référence de la prévention des
molécules plus « modernes ». Le lithium demeure aujourd’hui le rechutes bipolaires [15] , avec un risque de rechute versus placebo
gold standard dans le traitement et la prévention des récurrences quatre fois moindre à six et 12 mois de traitement [16] et un
du trouble bipolaire. meilleur effet préventif sur les rechutes maniaques (NNT = 10)
que sur les rechutes dépressives (NNT = 14) [17] . Un point fonda-
Mécanismes d’action du lithium mental est que l’efficacité préventive des récurrences du lithium
Les données récentes obtenues sur les modèles animaux ne peut s’évaluer sur une période inférieure à deux ans en
montrent que le lithium, outre son effet comportemental, prise régulière chronique (probablement via l’effet démontré
diminue les altérations de l’axe hypothalamique-hypophysaire- du lithium sur l’expression de facteurs géniques intraneuro-
surrénalien (HPA), le stress oxydatif, et les élévations des naux directement impliqués dans la neuroplasticité et la survie
concentrations de cytokines dans le cerveau et le sérum [11] . neuronale, dont l’expression ne se module qu’au long cours) ;
Les mécanismes d’action du lithium sont mieux élucidés [12] . Le • en association aux antidépresseurs dans les dépressions résis-
lithium est un ion dont le comportement au sein de l’organisme tantes : le lithium aurait un effet starter qui permet de diminuer
imite celui de l’ion sodium. Le lithium a des effets sur le transport le délai d’action des antidépresseurs et de potentialiser leur effi-
ionique puisqu’il est échangé avec le sodium. Il entraîne donc cacité dans les dépressions résistantes (NNT = 5) [18, 19] ;
une excrétion accrue d’eau, de sodium et de potassium, ce qui • troubles du comportement : le lithium permet de traiter cer-
peut provoquer à long terme une rétention hydrosodée et un dia- taines manifestations impulsives, auto- ou hétéroagressives
bète insipide (le plus souvent infraclinique). Il possède par ailleurs dans certaines formes de schizophrénie ou de troubles de la per-
un effet stabilisateur de membrane modifiant les concentrations sonnalité, notamment psychopathiques ou borderline. À noter
intraneuronales de magnésium et de calcium. que l’effet spécifique antisuicide du lithium indépendamment

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de l’action thymorégulatrice est particulièrement bien docu- obtenu après cinq jours en moyenne. Après une modification de
menté [20–22] ; la posologie, il convient d’attendre ce délai avant d’effectuer un
• les troubles schizoaffectifs et certaines formes de schizophré- nouveau contrôle de la lithiémie.
nies : le lithium est le seul thymorégulateur ayant l’autorisation L’utilisation du lithium implique une surveillance initiale heb-
de mise sur le marché (AMM) dans le traitement préventif des domadaire de la lithiémie contrôlée le matin, 12 heures après la
rechutes dans les troubles schizoaffectifs. L’effet préventif est dernière prise.
plus marqué lorsque les troubles thymiques sont prépondérants Pour la forme standard à libération immédiate (Téralithe 250® ),
et de type maniaque plutôt que dépressif. la concentration optimale est comprise entre 0,5 et 0,8 mEq/l, avec
des effets prophylactiques constatés dès 0,4 mEq/l. À noter que
Lithium et suicide les concentrations proposées dans la littérature anglo-saxonne
Les méta-analyses les plus récentes confirment le lithium dans concernent souvent le lithium à libération immédiate.
sa position de leader en termes d’efficacité, en particulier sur la Pour la forme à libération prolongée (LP) (Téralithe LP 400® ), les
prévention du suicide [22] , et le rapport bénéfice/risque de cette concentrations optimales sont comprises entre 0,8 et 1,2 mEq/l,
molécule, compte tenu de la très forte surmortalité/surmorbidité avec des effets prophylactiques constatés dès 0,6 mEq/l.
du trouble bipolaire, demeure largement favorable [23] , toutes La tendance actuelle va plutôt en faveur d’une personnalisation
causes de mortalité confondues. des objectifs lithiémiques afin de favoriser une meilleure efficacité
Environ 15 % des patients présentant un trouble bipolaire et une meilleure tolérance au long cours. Malhi et al. [32] en font la
meurent par suicide. Le lithium réduit sensiblement le risque de synthèse en proposant le « lithiomètre » (Fig. 1) afin de déterminer
tentative de suicide ou de suicide chez les patients bipolaires [22, 24] . la lithiémie optimale en fonction de la phase de la maladie (initiale
Les patients traités par lithium sont moins exposés au risque de ou non), de l’objectif attendu (curatif ou préventif) et de la polarité
suicide que les patients traités par les autres thymorégulateurs de l’épisode (dépressif ou maniaque).
dont le valproate [25] . Une étude de 2017 menée de façon prospec- Dans les cas difficiles où les dosages plasmatiques donnent
tive sur 50 000 personnes pendant huit ans a de nouveau confirmé des valeurs instables, il est utile d’obtenir les valeurs du lithium
la supériorité du lithium sur le valproate pour prévenir les suicides intraérythrocytaire, la concentration intraérythrocytaire repré-
et les tentatives de suicide : le lithium y est associé à une baisse sentant un meilleur reflet de la concentration intraneuronale
de 14 % tandis que le valproate ne présente pas d’effet protecteur. de lithium que la concentration plasmatique. La fourchette
Toujours selon cette étude, 12 % des gestes suicidaires auraient pu intraérythrocytaire se situe entre 0,2 et 0,4 mmol/l. Cette
être prévenus si les patients sous valproate avaient été traités par mesure intraérythrocytaire [33] est également utile en cas d’effets
lithium [26] . secondaires invalidants, chez la personne âgée ou en début
d’insuffisance rénale pour éliminer un effet d’accumulation
Lithium et neuroprotection (concentration plasmatique normale du lithium mais concentra-
tion intraérythrocytaire trop élevée).
On a également dit du lithium qu’il induisait une vesanisation Toujours du fait des effets secondaires qui sont fréquents (75 %),
et des syndromes démentiels chez les patients. Il s’agit là d’une un suivi régulier et précis tant clinique que biologique est indis-
idée fausse largement démentie par la littérature scientifique [27] pensable (Tableau 8).
qui suggère même l’existence d’un effet neuroprotecteur du Les interactions médicamenteuses sont nombreuses (Tableau 8)
lithium [27–29] par rapport aux patients traités par valproate [30] . Ces et toute prescription médicamenteuse associée à la prise de
données sont corroborées par les études d’imagerie qui montrent lithium doit être vérifiée.
des modifications cérébrales structurales chez les patients rece- L’information du patient doit être complète, notamment sur
vant du lithium au long cours par rapport à ceux ayant un autre les effets secondaires, le risque d’un arrêt intempestif de la thé-
traitement, et en particulier dans la substance grise des régions rapeutique, les facteurs de risque de surdosage, les symptômes
limbiques et paralimbiques sous-tendant la réponse émotion- d’intoxication aiguë et la conduite à tenir dans cette situation.
nelle [31] .
Concernant son bénéfice chez les patients atteints de maladie Surdosage
d’Alzheimer ou de mild cognitive impairment, le potentiel neuro-
Les signes cliniques de surdosage en lithium doivent être
protecteur du lithium est étayé par de plus en plus d’arguments
connus des patients et recherchés chez un patient traité par
précliniques, mais les données cliniques sont encore très faibles
lithium.
et balbutiantes.
À partir de 1,5 mEq/l apparaissent des signes digestifs (nausées,
anorexie, diarrhées) et des signes neurologiques (tremblement

“ Point fort ample des extrémités, ataxie, faiblesse musculaire, myoclonies,


somnolence, troubles visuels, vertiges, confusion et hyperréflexie
ostéotendineuse).
• Le lithium reste le « gold standard » du traitement À partir de 2 mEq/l, il existe un risque de confusion, de crise
comitiale, de troubles du rythme cardiaque et de coma pouvant
de l’épisode maniaque et la prévention des rechutes du
être fatal.
trouble bipolaire. Le surdosage peut survenir à la suite d’un régime pauvre en sel,
• Le lithium a des propriétés anti-impulsives et un effet d’une affection fébrile, de vomissements, d’une diarrhée sévère
préventif sur le suicide. ou de toute autre cause de déshydratation. Le surdosage peut
• Le lithium a des effets neuroprotecteurs. aussi être secondaire à la prise de médicaments interagissant avec
• L’effet thymorégulateur du lithium ne peut être correc- le sodium au niveau rénal, en particulier les diurétiques notam-
tement évalué avant 24 mois de traitement. ment thiazidiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les
• Contrairement à l’insuffisance rénale, l’hypothyroïdie ne inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.
devrait pas constituer une cause d’arrêt du lithium. Il constitue une urgence médicale, et nécessite l’arrêt du lithium
et souvent le passage en réanimation avec mise en place d’un
traitement symptomatique. Il est indispensable de réaliser un
dosage de la lithiémie plasmatique et globulaire, et il faut dans
Prescription et surveillance certains cas avoir recours à la diurèse osmotique ou alcaline, ou
à l’hémodialyse. À noter que les diurétiques thiazidiques ou les
Les sels de lithium (Téralithe 250® , Téralithe LP 400® ) ont un
diurétiques de l’anse sont alors formellement contre-indiqués.
certain nombre d’effets secondaires et de contre-indications qui
justifient avant leur instauration la réalisation d’un bilan clinique
et biologique complet (Tableau 8).
Effets secondaires
L’augmentation de la posologie est progressive, ajustée selon la Les effets secondaires liés au lithium sont pour la plu-
lithiémie. La demi-vie étant de 24 heures, un état d’équilibre est part dose-dépendants (et donc corrélés aux concentrations

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Tableau 8.
Comparaison des différents traitements thymorégulateurs.
Lithium Dérivés de l’acide valproïque Carbamazepine Lamotrigine
Contre-indications Absolue : Atteinte hépatique Allergie à la molécule ou aux Antécédents d’intolérance à la molécule
régime sans sel Grossesse, allaitement imipraminiques, Grossesse Allaitement
Relatives : Femme en âge de procréer Allaitement Insuffisance rénale
hyponatrémie BAV
dyskaliémie Glaucome
déshydratation Adénome prostatique
antécédents d’AVC Antécédents de porphyrie
tumeur Antécédents d’hypoplasie
insuffisance hépatique sévère médullaire
insuffisance rénale grave Insuffisance hépatique, rénale et
insuffisance cardiaque cardiaque
coronaropathie sévère
troubles du rythme
grossesse
allaitement
hypothyroïdie
non-collaboration du patient
allaitement
insuffisance rénale en cas d’impossibilité
de contrôler de façon très stricte la
lithiémie et la créatinine
maladie d’Addison
insuffisance cardiaque
syndrome de Brugada
Neurologiques : Neurologiques : sédation Neurologiques : somnolence, Dermatologiques : rashs cutanés,
Effets indésirables tremblements hypotonie ataxie, syndrome de Stevens-Johnson ou
syndromes extrapyramidaux confusion trouble de l’accommodation, de Lyell
vertiges céphalées nystagmus
dysarthrie tremblement des Gastro-intestinaux
gé le 02/10/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Ilsyndrome
est interdit etcérébelleux
illégal de diffuser ce document. extrémités
encéphalopathie encéphalopathie par hyperammoniémie
Digestifs : Hépatiques Ophtalmologiques : diplopie
nausées

Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55


vomissements
diarrhées
Néphrologiques : Gastro-intestinaux : nausées Cardiovasculaires Neurologiques : céphalées
syndrome polyuropolydipsique vomissements somnolence
diabète insipide néphrogénique prise de poids insomnie
syndrome néphrotique hépatite vertiges
lésions glomérulaires minimes pancréatite aiguë méningite aseptique
néphrite interstitielle
insuffisance rénale
7
8

37-860-D-55  Traitement du trouble bipolaire


Tableau 8.
(suite) Comparaison des différents traitements thymorégulateurs.
Lithium Dérivés de l’acide valproïque Carbamazepine Lamotrigine
Dermatologiques :
éruptions cutanées Neuropsychiques : irritabilité
dermatite exfoliative agressivité
syndrome de Stevens-Johnson ou hallucinations
de Lyell manque du mot
Psychiques : Hématologiques : thrombopénie
léthargie
obnubilation
sédation
troubles cognitifs Endocriniens : Hématologiques : leucopénie
Endocrinologiques : syndrome des ovaires Métaboliques :
hypothyroïdie polykystiques hyponatrénie
prise de poids alopécie SiADH
hypercalcémie troubles menstruels
hyperparathyroïdie
baisse de la libido
Dermatologiques :
acné
dermite séborrhéique
psoriasis
alopécie
Troubles cardiaques : bradycardie
bloc sinoauriculaire
bloc auriculoventriculaire
troubles de la repolarisation
troubles du rythme
Tératogénicité :
durant le premier trimestre de grossesse,
malformations cardiaques dont maladie
d’Ebstein
Examen clinique complet : pesée Examen clinique complet : Examen clinique complet : pesée Examen clinique complet :
Bilan préthérapeutique tension artérielle pesée tension artérielle pesée
ECG tension artérielle ECG tension artérielle
Bilan biologique : Bilan biologique : Bilan biologique : Bilan biologique : NFS
NFS NFS NFS BHC
ionogramme sanguin BHC BHC b-hCG (femmes en âge de procréer)
urée, créatinine coagulation ionogramme sanguin
TSH b-hCG (femmes en âge de
glycémie à jeun procréer)
calcémie
clairance de la créatinine et protéinurie
des 24 heures
b-hCG (femmes en âge de procréer)
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EEG en présence de symptômes


neurologiques
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Tableau 8.
(suite) Comparaison des différents traitements thymorégulateurs.
Lithium Dérivés de l’acide valproïque Carbamazepine Lamotrigine
Surveillance Surveillance clinique : Surveillance clinique : Surveillance clinique : fièvre Surveillance clinique :
TA poids angines cutanée (pendant les 8 premières
FC troubles du processus infectieux semaines)
poids cycle éruptions cutanées
troubles digestifs hirsutisme (femmes en âge de procréer)
sédation alopécie
goitre thyroïdien
signes d’hypothyroïdie
soif
polyurie
Biologique à l’instauration et à chaque Biologique : Biologique : Biologique :
modification : taux plasmatique après 2 semaines puis taux plasmatique régulier en bilan de coagulation si fièvre et
lithiémie toutes les semaines pendant tous les 6 mois une fois la dose équilibrée début de traitement puis, tous les manifestations cutanées
1 mois, puis tous les mois pendant BHC, NFS, TP tous les 3 mois pendant 3 ou 6 mois une fois la dose
3 mois, puis tous les 3 mois la première 1 an puis tous les 6 mois équilibrée
année, puis tous les 6 mois Si douleurs abdominales : lipase NFS, BHC toutes les semaines le
Au minimum chaque année : NFS, 1er mois, puis en cas de signes
ionogramme, sanguin, calcémie, TSH, d’appel
urémie, créatininémie, clairance de la
créatinine, glycémie à jeun, bilan
lipidique, protéinurie
Interactions Diurétiques thiazidiques Érythromycine IMAO Millepertuis
médicamenteuses Diurétiques de l’anse Antagonistes H2 Macrolides Acide valproïque
ARA2 Cimétidine Isoniazide, Carbamazépine
gé le 02/10/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.
IEC Paracétamol Cimétidine Contraceptifs oraux
AINS Anticoagulants Valpromide
Psychotropes : carbamazépine, Fluoxétine Vérapamil
neuroleptiques, ISRS Sertraline Diltiazem

Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55


Benzodiazépines Dextropropoxyphène
Rispéridone ISRS
Clozapine

“NFS : numération formule sanguine ; ECG : électrocardiogramme ; EEG : électroencéphalogramme ; b-hCG : b-human chorionic gonadotrophin ; TSH : thyroid stimulating hormone ; AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens”
9
37-860-D-55  Traitement du trouble bipolaire

Figure 1. Lithiomètre (d’après [32] ).


Indications 1,4 mmol/L Risques

aiguë
1,3 mmol/L

1,2 mmol/L Toxicité

1,1 mmol/L

1,0 mmol/L
Manie
0,6–1,0 mmol/L 0,9 mmol/L

0,8 mmol/L
chronique
Initiation
0,6–0,8 Maintien * 0,7 mmol/L
mmol/L Rechute /
récurrence
0,6 mmol/L

Dépression 0,5 mmol/L


0,4–0,8 mmol/L
0,4 mmol/L

plasmatiques) [34, 35] . Ils sont fréquents mais souvent modérés et ment des néphrites interstitielles, des atrophies tubulaires et des
transitoires, d’autres sont liés à l’exposition prolongée au lithium scléroses glomérulaires [38] . Quelques observations d’insuffisance
(Tableau 8). rénale sont apportées dans la littérature [36] . Le risque de dévelop-
Les tremblements sont très fréquents en début de traitement per une insuffisance rénale terminale est de 0,2 %, et ce chez des
et sont le plus souvent transitoires. Ils peuvent être le premier patients qui n’auraient pas été correctement suivis.
signe d’un surdosage. S’ils perdurent, ils peuvent être corrigés en Les données les plus récentes suggèrent que les prédicteurs
diminuant le dosage, en proposant une forme LP ou un traitement significatifs d’un déclin de la fonction rénale sont l’âge, le sexe
par bêtabloquants non cardiosélectifs comme le propranolol [35] . féminin, la fonction rénale initiale, les comorbidités somatiques,
Les troubles digestifs à type de nausées, vomissements, diar- les coprescriptions de médicaments néphrotoxiques et des épi-
rhées, sont également transitoires et disparaissent spontanément. sodes d’intoxication au lithium [39, 40] . Le rôle de la durée du
Ils peuvent être limités en prenant le traitement au milieu du traitement et de la dose cumulée, jusque-là incriminées [38, 40] , est
repas [35] . Ils peuvent également être un signe annonciateur d’un aujourd’hui parfois discuté [39] .
surdosage. Les troubles thyroïdiens (goitre, hypothyroïdie, thyroïdite)
Les effets secondaires rénaux associés au lithium incluent concernent 5 à 35 % des sujets, ce qui explique la nécessité du
la polyurie, le diabète insipide néphrogénique, la protéinurie, contrôle annuel de la thyroid stimulating hormone (TSH). Les méca-
l’acidose tubulaire distale et la réduction du débit de filtration nismes sont multiples : inhibition de la libération de l’hormone
glomérulaire. thyroïdienne par la glande thyroïde ; inhibition de l’absorption
La survenue d’un syndrome polyuropolydipsique est très fré- de l’iode par la glande ; inhibition de la synthèse des hormones
quente (70 % des patients traités au long cours). Ce syndrome thyroïdiennes [41] . Les facteurs de risque les plus importants pour
est lié à la diminution de la capacité de concentration des urines l’hypothyroïdie liée au lithium sont la présence d’anticorps anti-
(diabète insipide néphrogénique), généralement de mécanisme thyroïdiens, le sexe féminin, un âge plus avancé et des antécédents
fonctionnel et réversible mais pouvant évoluer vers des change- familiaux d’hypothyroïdie [41] . Dans un premier temps, il faut éli-
ments structurels et irréversibles à long terme. Il n’est pas clair si miner les anomalies transitoires qui surviennent durant les six
les symptômes rénaux précoces, tels que la polyurie, sont prédic- premiers mois de traitement et confirmer l’hypothyroïdie biolo-
tifs de lésions rénales ultérieures. La durée du traitement, des taux gique par un second dosage. L’hypothyroïdie induite n’est pas
de lithium sérique plus élevés, des épisodes répétés d’intoxication une indication d’arrêt du lithium, mais elle doit être substituée
au lithium et la prise d’autres médicaments psychotropes, en par lévothyroxine [35] . La prescription de l’opothérapie prend en
particulier les antipsychotiques, sont des facteurs de risque de compte le taux de la TSH, le caractère symptomatique ou non
syndrome polyuropolydipsique [36] . La forme de lithium LP, en de l’hypothyroïdie, le caractère stabilisé ou non du trouble bipo-
prise unique, est associée à un volume urinaire plus faible [37] . En laire [42] . L’hypothyroïdie est le plus souvent réversible à l’arrêt du
effet, la forme LP est associée à des pics plasmatiques plus éle- lithium.
vés, mais aussi à des concentrations résiduelles plus basses qui Le lithium augmente aussi le risque d’hyperparathyroïdie et jus-
favorisent les processus régénératifs rénaux. À noter qu’il ne faut tifie le contrôle de la calcémie chez les patients traités au long
jamais prescrire de restriction hydrique qui expose à un risque de cours. Le lithium augmente la réabsorption du calcium rénal et
déshydratation intracellulaire. stimule indépendamment la libération de l’hormone parathyroï-
Un traitement prolongé par lithium peut entraîner une baisse dienne [43] . Les patients sont alors exposés à un risque plus élevé
du débit de filtration glomérulaire. Un nombre très limité de de calculs rénaux, ostéoporose, dyspepsie, hypertension artérielle
patients développe une insuffisance rénale. Des modifications et troubles de la fonction rénale.
morphophysiologiques du rein ont été observées après traitement La prise de poids sous lithium est fréquente. On observerait
prolongé, d’une durée supérieure à dix ans. Ce sont principale- une prise moyenne de quatre kilos la première année, puis une

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stabilisation pondérale au bout d’un ou de deux ans [44] . Les L’effet protecteur du lithium [47] serait en lien avec le niveau des
mécanismes incriminés sont une éventuelle dysthyroïdie, une concentrations plasmatiques. Il faut parfois viser la partie haute
accentuation de la soif avec absorption importante de boissons de la fourchette thérapeutique pour obtenir un réel effet thérapeu-
sucrées, une rétention sodée, l’action insuline-like exercée par tique, tout en s’assurant que le rapport bénéfice/risques demeure
le lithium sur le métabolisme des hydrates de carbone et des acceptable. Nombre de patients sont déclarés « résistants » au
lipides, et un effet sur l’appétit. Le rôle des psychotropes asso- lithium alors même que les lithiémies obtenues étaient trop basses
ciés et l’influence des troubles de l’humeur sur les comportements ou moyennes, ou bien que la durée de lithiémie efficace était trop
alimentaires doivent aussi être pris en compte. Les mesures courte.
qui permettent de limiter cette prise de poids reposent sur Les situations les plus délicates à évaluer sont celles – extrê-
l’information du patient et l’application de conseils diététiques mement fréquentes – dans lesquelles l’amélioration du trouble
de bon sens [35] . bipolaire sous lithium, à bonne dose et à durée suffisante, est
Les troubles cutanés comme l’apparition ou l’aggravation du seulement partielle : persistance d’épisodes d’intensité et de durée
psoriasis ou de l’acné peuvent être observés [35] . atténuées, et de survenue plus espacée. Un avis très spécialisé peut
Les troubles de la sexualité sont souvent à l’origine de l’arrêt du être utile pour parvenir alors à déterminer s’il convient de changer
traitement. de thérapeutique, ou bien de conserver le lithium et de l’optimiser
Sur le plan cardiaque, le lithium peut induire des troubles de la par l’adjonction d’un autre thymorégulateur [48] .
repolarisation et des troubles du rythme (bradycardies sinusales,
bloc sinoauriculaire, bloc auriculoventriculaire). Durée du traitement et arrêt du lithium
Les effets cognitifs du lithium sont rapportés par les patients Un traitement par lithium doit être poursuivi un temps suffisant
et sont dose-dépendants. Il est difficile de différencier un effet pour évaluer son efficacité. S’il est pris de manière intermittente
iatrogène du lithium d’autres causes telles que le trouble bipolaire ou interrompu brutalement, le cours de la maladie bipolaire peut
lui-même (les troubles cognitifs sont présents chez les patients être aggravé. Il est donc indispensable de s’assurer de la bonne
bipolaires même en période euthymique), les effets iatrogènes adhésion et de la compliance avant d’introduire le traitement.
d’autres psychotropes et le deuil d’une certaine incisivité cog- Il existe un risque important de rechute en particulier maniaque
nitive propre à l’hypomanie. Les effets cognitifs du lithium dans les mois suivant l’arrêt du lithium [49] , même chez les patients
sont mineurs [45] , et concernent surtout l’apprentissage verbal, stabilisés pendant plus de cinq ans sous lithium [50] .
la mémoire verbale, la vélocité psychomotrice et une baisse de Une tentative prudente d’essai d’arrêt progressif du lithium
la créativité [46] . Certains patients se plaignent également d’une après 2 à 5 ans de stabilité de l’humeur pourrait se discuter, en
indifférence affective. Ces effets peuvent être atténués par une particulier dans les formes débutantes bien stabilisées de troubles
réduction de la posologie. La diminution de la créativité peut bipolaires. L’expérience clinique montre en pratique que cette
être plus gênante pour les patients bipolaires impliqués dans des option est souvent risquée et le patient doit être informé sur
professions créatives, comme l’écriture, la musique et l’art. le risque de perte de chance en cas de rechute, potentiellement
plus grave et plus résistante. Le risque de rechute est diminué si
Lithium et grossesse l’interruption du lithium est progressive, pendant au moins un
mois, le mieux étant 6 à 12 mois. Néanmoins, le cours de la mala-
Le lithium est trop souvent systématiquement interrompu pen- die risque d’en être quand même affecté : une étude naturalistique
dant la grossesse du fait du risque de malformation cardiaque. montrait que les patients stabilisés sous lithium pendant au moins
Une étude de cohorte impliquant 1 325 563 grossesses menée deux ans et arrêtant très progressivement le lithium avaient un
de 2000 à 2010 a spécifiquement examiné le risque de malforma- taux de rechute trois fois supérieur à ceux le poursuivant [51] .
tions cardiaques chez les nourrissons exposés au lithium au cours En cas de rechute, le lithium est repris et prescrit à vie. Seule
du premier trimestre. Des malformations cardiaques étaient pré- l’apparition d’une insuffisance rénale, de troubles du rythme car-
sentes chez 2,4 % des nourrissons exposés au lithium et 1,15 % des diaque ou d’une épilepsie résistante sont des motifs légitimes
nourrissons non exposés (ratio de risque ajusté à 1,65 ; intervalle d’interruption du lithium. La décision d’arrêter le lithium doit
de confiance à 95 % = 1,02–2,68). Le risque de malformation était se faire en concertation avec les somaticiens concernés (le plus
dose-dépendant. Ces données confirment donc le risque de mal- souvent néphrologues, neurologues ou cardiologues). En effet,
formation cardiaque, mais viennent aussi tempérer des données ceux-ci temporisent volontiers, lorsque cela est possible, pour per-
antérieures surestimant ce risque. mettre la poursuite ou la reprise du lithium, soit en proposant un
Le choix de poursuivre ou non le lithium en vue d’une grossesse suivi plus rapproché, soit en proposant certaines interventions
doit se faire au cas par cas. En cas d’interruption du lithium, il thérapeutiques (réadaptation des traitements ayant des interac-
faut tenir compte du risque encore plus élevé de rechute bipolaire tions avec le lithium, pose de pace maker en cas de troubles
dans cette période périnatale déjà à risque. En cas de maintien cardiaques).
du lithium, il faut renforcer le suivi de la grossesse grâce à une En ce qui concerne les effets moins graves tels la diarrhée chro-
surveillance échocardiographique fœtale pour dépister et traiter nique (fréquente avec la forme LP et qui se réduit en absorbant
l’anomalie. les comprimés au milieu du repas), les tremblements (facilement
réduits par le propranolol à faibles doses) ou l’hypothyroïdie
Évaluer l’efficacité du lithium au long cours (jugulée par l’opothérapie après avis spécialisé), le rapport béné-
fice/risque s’évalue au cas par cas [34] .
Le pourcentage de patients répondeurs au lithium avoisine
environ 65 % (dont la moitié constitue d’excellents répondeurs,
l’autre moitié des répondeurs partiels) ; certaines formes de trouble Anticonvulsivants
bipolaire sont traditionnellement jugées moins sensibles, comme
Dérivés de l’acide valproïque
les formes à cycles rapides, même si cette donnée ne se confirme
pas forcément en pratique clinique et demeure spéculative. Synthétisé en 1882 par Burton, le valproate n’a été utilisé
Un point fondamental est que l’efficacité préventive des récur- comme antiépileptique qu’en 1963, puis comme thymorégulateur
rences du lithium ne peut réellement s’évaluer sur une période en 1966 [29] .
inférieure à deux ans en prise régulière continue. Il faut poursuivre Il existe trois formes commercialisées :
le traitement par lithium – même s’il y a rechute – sur un délai • l’acide valproïque (Dépakine® ) ;
de 24 mois, afin de se donner suffisamment de recul pour évaluer • le divalproate de sodium (Dépakote® ), complexe formé d’une
son efficacité. La persistance de fluctuations thymiques, surtout molécule d’acide valproïque et d’une molécule de valproate de
les premiers mois, est fréquente et ne doit pas conduire à l’arrêt sodium dont la dissolution est entérique ;
systématique du lithium. À l’issue de cette période, une évaluation • le valpromide (Dépamide® ), biotransformé en acide valproïque
soigneuse de la réponse (même si elle n’est que partielle) doit être dans la circulation.
faite : il s’agit alors d’évaluer si le lithium a permis une diminution En France, seuls le valpromide et le divalproate ont l’AMM dans
de la fréquence et de l’intensité des épisodes thymiques. le traitement du trouble bipolaire.

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37-860-D-55  Traitement du trouble bipolaire

Indications thérapeutiques Elles doivent se restreindre aux cas absolument exceptionnels


Le traitement par les dérivés de l’acide valproïque est indiqué d’absence de molécule efficace pour traiter les pathologies concer-
dans les cas suivants. nées chez une patiente donnée. La situation semble plus facile à
Traitement de la manie aiguë. L’AMM française reconnaît gérer en neurologie du fait des nombreuses autres molécules anti-
l’indication en seconde intention du divalproate et du valpro- épileptiques disponibles. En psychiatrie, la baisse des prescriptions
mide « dans le traitement des épisodes maniaques chez les patients de valproate est plus laborieuse car les alternatives thérapeutiques
souffrant de troubles bipolaires, en cas de contre-indication ou sont moins nombreuses qu’en neurologie [63] .
d’intolérance au lithium ». Cette indication est étayée par plu-
Prescription et surveillance
sieurs études contrôlées [52, 53] avec un taux de réponse de 50 %
Les contre-indications et effets secondaires des dérivés val-
(NNT = 2–4). À très court terme, le divalproate semble avoir un
proïques nécessitent de réaliser un bilan clinique avant leur
meilleur effet antimaniaque dans les formes à cycles rapides, mais
prescription, ainsi que certains contrôles biologiques (Tableau 8).
cet avantage ne persisterait pas à plus long terme [54] . À noter que
L’instauration doit être progressive ; on considère que la dose
l’activité antimaniaque se manifeste plus rapidement que celle
efficace est entre 900 et 1800 mg/j pour le valpromide, et de 1200
du lithium. D’autres recommandations comme celles du National
à 1500 mg/j pour le divalproate, initialement en deux ou trois
Institute of Clinical Excellence (NICE) recommandent le valproate
prises, puis en monoprise vespérale. Dans les états maniaques, on
en première intention (sauf chez les femmes en âge de procréer).
peut préconiser une dose de charge de 20 mg/kg par jour répartie
Traitement de la dépression bipolaire. Une seule étude
en plusieurs prises [64] .
plaide en faveur du rôle du divalproate dans les épisodes dépres-
Le taux plasmatique doit être contrôlé après deux semaines
sifs, avec toutefois une efficacité moindre que dans les états
de traitement (taux thérapeutiques : 50–100 mg/l ou
maniaques (taux de réponse de 30 %) [55] . Le NICE recommande
345–690 ␮mol/l) puis, une fois la dose équilibrée, tous les
son utilisation en association à un antidépresseur. Ses effets dans
six mois.
cette indication sont donc considérés comme modérés.
Les interactions médicamenteuses sont nombreuses et souvent
Prévention des récurrences bipolaires. La poursuite du trai-
à l’origine de modifications des taux sanguins. Ces principales
tement au décours de l’épisode maniaque peut être envisagée chez
interactions figurent dans le Tableau 8.
les patients ayant répondu en aigu au traitement de cet épisode.
Pourtant, les données en faveur des propriétés prophylactiques des
dérivés de l’acide valproïque sont limitées. Deux revues Cochrane Carbamazépine
publiées en 2001 [56] et 2013 [57] , ainsi que l’étude multicentrique La carbamazépine (Tégrétol® ) est une molécule de structure tri-
BALANCE [58] soulignent le peu de preuve de l’efficacité des déri- cyclique aux propriétés antiépileptiques, découverte en 1953 par
vés de l’acide valproïque dans le traitement de maintenance des Morel, dont l’utilisation comme thymorégulateur est essentielle-
troubles bipolaires. Réalisée sur deux ans, l’étude BALANCE a ment liée aux travaux de Post et al. [65] . Le dossier scientifique
montré que les patients (bipolaires I) sous valproate seul présen- établissant l’efficacité thymorégulatrice de la carbamazépine est
taient un taux de rechute plus important que sous lithium, et peu étayé. Ceci explique sans doute pourquoi ce traitement est
qu’il n’y avait pas de différence significative entre le groupe des de moins en moins utilisé, aussi peut-être du fait de sa toxicité
patients sous lithium en monothérapie et ceux qui bénéficiaient générale et de son manque d’efficacité relative.
d’une association lithium/valproate. Dès lors, on peut s’étonner Son absorption est digestive, son métabolisme hépatique et son
de la place dans les recommandations internationales des déri- élimination rénale. Liée à 80 % aux protéines, elle exerce un effet
vés de l’acide valproïque dans le traitement prophylactique de la inducteur enzymatique du cytochrome P450 et modifie ainsi le
maladie bipolaire avec un niveau de preuve aussi faible. métabolisme de nombreux médicaments.
Certains troubles des conduites. L’effet anti-impulsif et anti-
comitial des dérivés valproïques peut également être mis à profit Indications thérapeutiques
par exemple chez certains patients souffrant de retard mental ou Le traitement par carbamazépine est indiqué dans les situations
de trouble de la personnalité sévère. suivantes :
• le traitement de la manie aiguë : le libellé d’AMM précise
Valproate et grossesse « traitement des états d’excitation maniaque ou hypoma-
Dans sa circulaire du 06/07/2017 [59] , l’Agence nationale de sécu- niaque » ; toutefois, la carbamazépine est utilisée comme
rité du médicament affirme que : « Chez les femmes en âge de antimaniaque de seconde ligne et son efficacité nécessite d’être
procréer, le traitement par valproate de sodium est contre-indiqué mieux étayée [66] ;
chez les patientes présentant un épisode maniaque du trouble • le traitement de la dépression bipolaire : la carbamazépine
bipolaire sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alterna- semble peu efficace dans cette indication ;
tives médicamenteuses, et ne peut être instauré qu’à condition : • la prévention des récurrences bipolaires : intéressante en cas de
qu’elles ne soient pas enceintes (test de grossesse plasmatique contre-indication au lithium ou d’inefficacité. L’AMM recom-
négatif) ET qu’elles utilisent une contraception efficace. » Dans mande son utilisation également en seconde ligne, dans la
le cas où ce traitement serait l’unique alternative, la patiente « prévention des rechutes dans le cadre des troubles bipolaires,
doit être sous contraception et signer un protocole de consen- notamment chez les patients présentant une résistance rela-
tement écrit. La prescription initiale est réservée aux spécialistes tive, des contre-indications ou une intolérance au lithium ». Le
(neurologue, pédiatre ou psychiatre) qui doivent également la NICE [67] recommande la carbamazépine en troisième ligne, car
réévaluer chaque année. Il est recommandé de vérifier mensuelle- les études vont dans le sens d’un taux de réponse plus faible avec
ment l’absence de grossesse. la carbamazépine qu’avec le lithium et/ou un taux d’attrition
L’exposition in utero est associée à un risque de malformation plus important [52, 68] . Dans le cas des cycles rapides, les résultats
fœtale majeure évalué de 4,7 à 10 %. Celui-ci pourrait atteindre demeurent trop controversés pour permettre des recommanda-
23,8 à 26,1 % lorsque la posologie dépasse 1500 mg/j [60] , pour un tions [67] ;
risque de 1,1 à 2,8 % dans la population épileptique non traitée, • certains troubles des conduites : la carbamazépine peut exercer
et de 2,1 à 2,9 % dans la population générale. Les malformations un rôle thérapeutique dans le traitement du trouble du contrôle
constatées sont des spina bifida, des craniosténoses, des anomalies des impulsions.
palatines, des hypospadias, des anomalies du septum interauricu-
laire et des polydactylies. Prescription et surveillance
Des effets sur la cognition des enfants sont également avé- Un examen clinique et biologique est nécessaire avant de
rés, avec une baisse du quotient intellectuel de 8 à 11 points prescrire de la carbamazépine (Tableau 8). Cet inducteur enzyma-
qui semble spécifique au valproate [61] . En 2013, des travaux sur tique présente un certain nombre de contre-indications et d’effets
de grands registres ont également retrouvé un risque accru de secondaires.
troubles du spectre autistique et de TDAH [62] . La carbamazépine est aussi un agent tératogène et sa pres-
Au vu de ces nouvelles données, les prescriptions de valproate cription est à éviter chez les femmes en âge de procréer. Si elle
chez les femmes en âge de procréer se réduisent drastiquement. est indispensable, elle doit s’accompagner d’une contraception

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

efficace (en prenant garde aux interactions avec les estrogènes de 25 mg tous les 15 jours, pour des posologies comprises entre
risquant de rendre inefficace une contraception orale). 150 mg/j et 250 mg/j (en fonction de la tolérance, de l’efficacité et
La posologie usuelle est de 400 à 800 mg/j, jusqu’à 1200 mg des dosages plasmatiques). Les patients doivent être informés du
dans le traitement des épisodes maniaques, à instaurer par paliers risque d’éruption cutanée, et avertis de la nécessité d’interrompre
de 3 à 4 jours afin de réduire les troubles de la vigilance. le traitement et de consulter un dermatologue en urgence en cas
Au début du traitement, on pratique des dosages plasmatiques d’éruption. Il s’agit alors de déterminer si la lamotrigine est en
réguliers pour atteindre la zone thérapeutique (5 à 10 mg/l), puis cause, et si le traitement peut être repris ou bien s’il doit être
tous les trois ou six mois, et on surveille la tolérance hématolo- définitivement écarté.
gique et hépatique régulièrement. On peut constater, malgré une Les contre-indications à la lamotrigine sont les antécédents
posologie stable, une baisse plasmatique physiologique après une d’hypersensibilité à cette molécule.
dizaine de jours due à un phénomène d’auto-induction enzyma-
tique. Interactions médicamenteuses
Il est indispensable de rappeler au patient le risque d’interaction La lamotrigine est métabolisée par glucuronisation. Les médi-
médicamenteuse. La carbamazépine est métabolisée par le caments inhibant ou activant la glucuronisation vont modifier
cytochrome P3A4 et est un puissant inducteur enzymatique. les concentrations plasmatiques de lamotrigine [72] . Il faut par
Certaines associations sont risquées, voire contre-indiquées. Cer- exemple veiller aux interactions entre la lamotrigine et les
taines molécules peuvent voir leur taux plasmatique baisser estrogènes (risque d’inefficacité de la contraception si la contra-
et être alors inefficaces (contraceptifs oraux, antidépresseurs, ception est introduite secondairement à la lamotrigine, baisse
antipsychotiques, méthadone, thyroxine, théophylline, anticho- des concentrations de lamotrigine si la lamotrigine est introduite
linestérasiques, etc.). D’autres molécules inhibant le CYT P3A4 secondairement à la contraception), et entre la lamotrigine et
vont augmenter les concentrations de carbamazépine et favori- d’autres antiépileptiques comme le valproate (augmentation des
ser sa toxicité (érythromycine, cimétidine, vérapamil, diltiazem, concentrations de lamotrigine) (Tableau 8).
certains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine [IRS], etc.).
Environ 50 % des patients traités par carbamazépine présentent Lamotrigine et grossesse
des effets secondaires ; toutefois, ils justifient très rarement l’arrêt Chez la femme enceinte, les données de suivi prospectif de
du traitement (Tableau 8). Il existe des réactions idiosyncrasiques plus de 1000 grossesses exposées à la lamotrigine ne montrent
dans les six premiers mois à type d’agranulocytose, d’anémie apla- pas d’augmentation du risque de malformation par rapport à la
sique, d’insuffisance hépatique, de pancréatite et de syndrome de population générale.
Stevens-Johnson. La carbamazépine est aussi associée à un risque
d’hyponatrémie. Topiramate, gabapentine, prégabaline
Surdosage et oxcarbazépine
Le surdosage en carbamazépine se manifeste par des symptômes Topiramate (Epitomax® ), gabapentine (Neurontin® ), prégaba-
neuromusculaires (agitation, secousses, tremblements, mouve- line (Lyrica® ) et oxcarbazépine (Trileptal® ), appartenant à la classe
ments athétosiques, opisthotonos, ataxie, vertiges, nystagmus), des antiépileptiques, auraient des effets sur la prophylaxie de cer-
des troubles de la conscience pouvant aller jusqu’au coma, des tains troubles bipolaires réfractaires aux traitements classiques,
troubles cardiovasculaires variés, des troubles gastriques, hépa- essentiellement en association. Aucun d’eux n’a l’AMM dans cette
tiques et urinaires. indication. Les données d’efficacité sont faibles et controversées.
Le topiramate (Epitomax® ) peut induire des phénomènes hal-
Lamotrigine
lucinatoires, et n’est utilisé que dans les formes résistantes ou
Indications thérapeutiques comorbides (avec un trouble boulimique avéré ou une addiction à
Prévention de la récurrence dépressive dans le trouble bipo- la cocaïne) sur lesquelles il présente parfois un effet thérapeutique
laire. La lamotrigine (Lamictal® ) est efficace dans la prévention puissant.
de la récurrence dépressive chez le patient bipolaire [44, 69] , mais pas La prégabaline (Lyrica® ), antalgique et antiépileptique, a l’AMM
sur la prévention de la récurrence maniaque. En France, l’AMM dans les troubles anxieux généralisés. Elle peut entraîner à court
précise qu’elle est indiquée dans la « prévention des épisodes terme des troubles de la marche, une sensation d’ébriété et des
dépressifs chez les patients présentant un trouble bipolaire de type troubles neuropsychiques à type de confusion. À moyen et long
I et qui ont une prédominance d’épisodes dépressifs ». termes, elle peut entraîner une prise de poids.
Traitement de la dépression bipolaire. La lamotrigine amé- L’oxcarbazépine (Trileptal® ), analogue de la carbamazépine,
liore les symptômes dépressifs dans la dépression bipolaire [69, 70] pourrait être utile dans le traitement de la manie adulte. Sa pres-
et unipolaire [69] , et occupe une place de choix dans les recomman- cription nécessite de surveiller la natrémie car il existe un risque
dations internationales pour le traitement des épisodes dépressifs d’hyponatrémie. On peut également observer des manifestations
bipolaires [7] . Elle pourrait aussi être utile dans le traitement des neuropsychiques et une hypersensibilité croisée avec la carbama-
cycles rapides [52] . À noter qu’en France elle n’a pas l’AMM dans zépine.
le traitement curatif de la dépression bipolaire, même si elle est
largement utilisée.
La lamotrigine est un traitement particulièrement intéressant, Antipsychotiques
souvent bien toléré et stimulant (voire discrètement anxiogène),
Antipsychotiques de première génération
qui peut se prescrire en association ou en monothérapie dans les
formes de bipolarité à polarité dépressive. La lamotrigine ne doit (neuroleptiques classiques)
pas être prescrite en monothérapie chez les patients bipolaires de Les antipsychotiques de première génération demeurent trop
type I compte tenu du risque de virage. couramment utilisés en France. Ils sont souvent instaurés dans
Effets indésirables les accès maniaques avec troubles du comportement. Malheu-
Ses effets indésirables sont essentiellement cutanés, de méca- reusement, leur prescription initiale se transforme souvent en
nisme immuno-allergique à type de rashs cutanés (8,3 %), le plus utilisation à long terme, bien qu’ils n’aient pas démontré leur effi-
souvent modérés (hypersensibilité de type 4), mais nécessitant cacité dans la prévention des rechutes et présentent un rapport
une grande vigilance en raison du risque de survenue d’un syn- bénéfice/risque insatisfaisant au vu de l’état de la science.
drome de Stevens-Johnson ou de Lyell (0,04 %) potentiellement Bien qu’encore largement utilisés comme adjuvants (exemple :
mortels [71] . Il existe aussi des cas de méningite aseptique dans les cyamémazine, Tercian® en traitement d’appoint), il ne faut
deux premiers mois de traitement. pas sous-estimer l’incidence des effets collatéraux des antipsy-
chotiques de première génération (sédation, troubles cognitifs,
Prescription et surveillance syndromes extrapyramidaux, troubles sexuels, prise de poids et
La fréquence des effets secondaires cutanés impose une aug- dyskinésies tardives) dont la survenue altère la compliance, voire
mentation très progressive et prudente du traitement, par paliers s’avère totalement rédhibitoire chez les jeunes patients souffrant

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de formes débutantes. Ces molécules pourraient aussi favoriser la tation de l’appétit), une augmentation des triglycérides et du
survenue de dépressions postmaniaques. cholestérol, et une hyperglycémie. L’apparition d’un syndrome
Actuellement, les conférences de consensus internationales métabolique doit être étroitement surveillée et corrigée afin de
recommandent de ne pas utiliser les antipsychotiques de pre- limiter les complications cardiovasculaires. L’hyperprolactinémie
mière génération en première intention, y compris dans les états est plus fréquente pour les molécules ayant un fort antagonisme
maniaques sévères. Ils ne se justifient qu’en deuxième ou troi- dopaminergique (rispéridone notamment).
sième ligne, en cas d’échec des antipsychotiques atypiques ou des Sur le plan cardiovasculaire, les antipsychotiques peuvent être
autres thymorégulateurs. associés à une hypertension artérielle, une hypotension orthosta-
tique, une tachycardie, un allongement de l’intervalle QT, et des
Antipsychotiques atypiques troubles du rythme ou de la conduction.
Les effets secondaires neurologiques sont dominés par
Le rôle des antipsychotiques atypiques, du fait de leur meilleure
l’apparition d’un syndrome extrapyramidal avec parfois une aka-
tolérance et de leur délai d’action plus rapide par rapport aux
thisie. La sédation en début de traitement est fréquente. On peut
autres thymorégulateurs, est de plus en plus important dans la
également observer des dystonies aiguës cédant rapidement sous
prise en charge du trouble bipolaire, notamment dans l’épisode
anticholinergiques et des dyskinésies tardives sévères peuvent se
maniaque ou dépressif en phase aiguë, mais également parfois au
développer au long cours.
plus long cours [73] .
Les effets sexuels sont encore bien souvent insuffisamment
Indications thérapeutiques explorés en pratique clinique alors qu’ils sont l’une des causes les
Traitement des épisodes maniaques. En France, l’olanzapine plus fréquentes, avec la prise de poids, de mauvaise compliance
(Zyprexa® ), la rispéridone (Risperdal® ), l’aripiprazole (Abilify® ) et au traitement.
la quétiapine (Xeroquel® ) ont obtenu l’AMM pour le traitement Prescription et surveillance
curatif des épisodes maniaques chez les patients atteints de trouble La pesée, la mesure du périmètre abdominal et de la pression
bipolaire de type I. Les antipsychotiques atypiques, en particulier artérielle doivent être étroitement surveillées. Sur le plan paracli-
l’olanzapine et la rispéridone, ont un délai d’action plus rapide nique, on effectue un électrocardiogramme, une glycémie à jeun,
que les autres thymorégulateurs dans le traitement de la manie [74] . et un bilan lipidique comprenant les triglycérides, le cholestérol
Ces médicaments sont utilisables lors de la survenue d’épisodes total et la fraction low density lipoproteins, avant le début du traite-
maniaques avec ou sans symptômes psychotiques en monothé- ment et régulièrement pendant son administration. Des données
rapie ou en coprescription avec un thymorégulateur classique soulignent l’intérêt de la metformine pour contrer la prise de
(lithium, valproate). Dans les formes ultraréfractaires de trouble poids induite par les antipsychotiques, améliorer le contrôle gly-
bipolaire, la clozapine à faibles doses (75 mg/j) obtient parfois un cémique, voire favoriser une perte de poids modérée chez les sujets
effet très notable [75, 76] , mais son instauration nécessite un avis diabétiques et non diabétiques [80] . L’utilisation de la metformine
très spécialisé en raison de ses effets secondaires hématologiques semble être un avantage lorsqu’elle est amorcée tôt dans le trai-
(agranulocytose). tement et surtout chez les jeunes adultes nouvellement exposés à
Traitement des épisodes dépressifs. Pour traiter la dépression des antipsychotiques.
bipolaire, les antipsychotiques doivent être prescrits à de faibles
doses. En France, la quétiapine, à la dose de 300 mg, est le seul
antipsychotique à avoir obtenu l’AMM dans le traitement de la
Antidépresseurs
dépression bipolaire. L’aripiprazole et l’olanzapine (associée avec L’utilisation des antidépresseurs dans les troubles bipolaires
la fluoxétine pour l’olanzapine) ont également cette indication est déconseillée du fait du risque de virage maniaque, hypoma-
aux États-Unis. L’aripiprazole est dans ce cas utilisée en add-on, niaque ou mixte de l’humeur. Il a été montré que l’utilisation des
et à des doses inférieures ou égales à 5 mg [77] , afin d’obtenir des antidépresseurs en période mixte (dont le diagnostic est difficile
effets prodopaminegiques, parfois efficace notamment en cas de car les symptômes dépressifs sont souvent plus évidents que les
dépression ralentie ou anhédonique. symptômes d’excitation) augmente notablement le risque de sui-
Prévention des récidives bipolaires. Les antipsychotiques cide. L’utilisation chronique d’antidépresseurs pourrait également
atypiques ont aussi un rôle dans la prophylaxie des réci- favoriser l’induction de cycles rapides [81] et leur aggravation [82] .
dives maniaques, notamment l’olanzapine, la quétiapine et Le risque de virage augmente avec le potentiel noradrénergique
l’aripiprazole, qui ont obtenu l’AMM dans l’indication « préven- de l’antidépresseur. Les tricycliques, les inhibiteurs de la mono-
tion des récidives chez les patients présentant un trouble bipolaire, amine oxydase (IMAO) et les inhibiteurs de la recapture de la
ayant déjà répondu au traitement par cette molécule lors d’un épi- sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) sont donc davantage
sode maniaque ». De même, la quétiapine a obtenu l’AMM dans pourvoyeurs de virage que les sérotoninergiques. Par exemple, le
la prévention des épisodes dépressifs. La poursuite au long cours risque de virage maniaque ou mixte varie de 30 à 70 % chez les
est particulièrement recommandée dans les formes avec symp- patients bipolaires de type I sous tricycliques.
tômes psychotiques, mais elle est souvent entravée par les effets Leur efficacité sur la dépression bipolaire n’est par ailleurs
secondaires, notamment pondéraux, qui limitent la compliance. pas prouvée dans la littérature. L’adjonction d’antidépresseurs de
Le développement récent de formes injectables retard n’a pas deuxième génération comme les IRS et les IRSNA dans la phase
pour l’instant obtenu d’AMM dans le trouble bipolaire, mais peut curative de la dépression bipolaire est associée à une diminution
s’avérer une solution de recours en cas de très mauvaise compli- des symptômes dépressifs, mais la taille de l’effet est faible et
ance dans les formes sévères. cela n’augmente pas les taux de réponse clinique ni les taux de
Traitement des cycles rapides. Bien que les données rémission.
demeurent limitées, l’hypothèse classique selon laquelle les thy- En cas d’épisode dépressif, même sévère, le recours aux antidé-
morégulateurs seraient plus efficaces que le lithium n’a pas été presseurs doit être évité, en particulier dans le trouble bipolaire
confirmée de façon solide. Les combinaisons de thymorégula- de type I. S’il s’avère malgré tout nécessaire, son usage se fait
teurs sont souvent nécessaires. Les antipsychotiques atypiques sous bonne couverture thymorégulatrice, à doses modérées et sur
seraient par ailleurs de plus en plus considérés comme hypothèse une durée courte (par exemple, on le diminue progressivement
thérapeutique de premier choix dans toutes les phases du cycle après 3 mois de rémission) pour diminuer le risque de manie ou
rapide [67, 78] . d’hypomanie [83] . Dans tous les cas, on préfère les IRS aux molé-
cules noradrénergiques.
Effets secondaires
Les effets secondaires des antipsychotiques atypiques sont prin-
cipalement métaboliques et neurologiques, bien que ces derniers Benzodiazépines, anxiolytiques
soient moindres par rapport à ceux des antipsychotiques de pre- et hypnotiques
mière génération [79] .
Les effets métaboliques et endocriniens peuvent se traduire par Les anxiolytiques et hypnotiques sont souvent utilisées par
une importante prise de poids (en partie liée à une augmen- les cliniciens en phase aiguë, à visée adjuvante. Ils n’ont pas à

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

proprement parler d’efficacité sur la thymie, mais permettent Sismothérapie (ou électroconvulsivothérapie
parfois de contrôler l’agitation et de traiter les troubles du som-
meil. S’il s’agit de benzodiazépines ou dérivés, leur prescription [ECT]) et autres techniques de stimulation
doit être rationnelle, la plus brève possible et réévaluée réguliè- cérébrale
rement afin d’éviter l’installation d’une dépendance. Elle doit
être évitée chez les patients ayant une propension aux conduites La sismothérapie est une thérapeutique dont l’efficacité est lar-
addictives qui sont très fréquentes dans la bipolarité. Enfin, il faut gement prouvée pour les épisodes sévères, qu’ils soient dépressifs,
noter qu’il existe parfois des réponses paradoxales aux benzodia- mixtes, maniaques ou catatoniques, ou dans les formes très réfrac-
zépines avec augmentation de l’agitation et du risque de passage taires aux thymorégulateurs et les cycles rapides [85, 86] . Certains
à l’acte. terrains incitent à son utilisation : personne âgée, femme enceinte
Les antihistaminiques H1 comme la prométhazine ou contre-indication aux traitements habituels. Elle permet une
(Phénergan® ) ou l’alimémazine (Théralène® ) au fort potentiel réduction très rapide et massive des symptômes psychocomporte-
sédatif sont quant à eux dépourvus d’effets d’accoutumance. mentaux et du risque suicidaire. Une réponse positive est observée
dans environ les deux tiers des cas et chez 80 % des patients
catatoniques [85] .
À long terme, l’ECT est associée à un allongement des intervalles
Efficacité : monothérapies et combinaisons libres euthymiques, et à une réduction du nombre d’épisodes et
de traitements de réhospitalisations. Il est plausible que l’ECT ait un effet sta-
bilisateur intrinsèque sur le cours de la maladie bipolaire [87] .
Le traitement thymorégulateur en monothérapie, bien que L’ECT peut aussi être recommandée en traitement d’entretien
largement recommandé par les autorités de régulation et les des troubles bipolaires résistants ou intolérants aux chimio-
conférences de consensus, est en pratique clinique de terrain sou- thérapies [88] . Elle nécessite le consentement « éclairé » du
vent insuffisant pour stabiliser correctement les formes sévères, patient et un bilan préanesthésique. La seule contre-indication
réfractaires ou à cycles rapides. Il faut donc avoir recours à des absolue est l’hypertension intracrânienne. La consultation pré-
associations de traitements qui ne sont pourtant pas encore bien anesthésique, l’utilisation d’un courant pulsé ultrabref et la
documentées par des essais contrôlés. Ces associations peuvent stimulation unilatérale ont grandement amélioré la tolérance de
être des bi-, des tri-, voire des quadrithérapies. l’ECT. Les effets secondaires sont les céphalées, la confusion et
Les combinaisons thérapeutiques peuvent majorer certains les troubles de la mémoire antérograde réversibles à l’arrêt de
effets secondaires, principalement la prise de poids souvent à l’ECT.
l’origine d’une mauvaise compliance aux traitements. En Amérique du Nord, des praticiens ont été condamnés
Une méta-analyse de type réseau publiée en 2014 [84] , incluant pour perte de chance dans la prise en charge de patients bipo-
6800 participants dans 33 études, permet d’avoir une vue laires suicidaires sévères pour lesquels ils n’ont pas proposé
d’ensemble sur les comparaisons d’efficacité entre molécules d’ECT. Les difficultés et la réticence qu’ont certains praticiens
et combinaisons, avec toutes les limites inhérentes à ce type à prescrire l’ECT dans les formes les plus sévères sont donc
d’approche (hétérogénéité des patients, des mesures, des durées de éthiquement questionnables et juridiquement potentiellement
suivi et des designs méthodologiques en fonction de l’ancienneté) condamnables.
partiellement compensées par la vaste taille de l’échantillon. En ce qui concerne les nouvelles techniques de stimulation
Ce type de méta-analyses « network » est de plus en plus uti- cérébrale, en particulier la stimulation magnétique transcrâ-
lisé : elles permettent des comparaisons indirectes des différentes nienne, le niveau de preuve demeure insuffisant, en particulier
molécules n’ayant pas été comparées directement, en utilisant dans les formes sévères de troubles bipolaires et ne repré-
un modèle bayésien à effets aléatoires. Globalement, les résul- sentent pas en l’occurrence une alternative dans les formes
tats d’efficacité montraient que pour toute rechute ou récidive sévères.
d’épisode d’humeur, la plupart des thymorégulateurs étaient
meilleurs que le placebo à l’exception notable de l’aripiprazole, de
la carbamazépine, de l’imipramine et de la palipéridone. Parmi les
molécules, l’olanzapine et la quétiapine étaient significativement
plus efficaces que la lamotrigine. Pour la tolérance, la lamotri-  Psychothérapies,
gine était significativement mieux tolérée que la carbamazépine,
le lithium ou le lithium plus le valproate (Fig. 2). psychoéducation et autres
La plus vaste étude de comparaison directe d’une association thérapies non pharmacologiques
(lithium plus valproate comparé au valproate seul et au lithium
seul) montre la nette supériorité du lithium sur le valproate, mais Si le traitement médicamenteux est le pivot central de la
ne montre pas une supériorité significative de l’association val- prise en charge des troubles bipolaires, l’accompagnement des
proate plus lithium par rapport à la monothérapie lithium [58] . patients, l’instauration d’une bonne alliance thérapeutique et
Les autres associations fréquentes mais pour lesquelles moins la psychoéducation sont les garants d’une bonne compliance
de données sont disponibles sont l’association lithium et anti- aux traitements et du repérage précoce des récurrences. Comme
psychotique, qui est à préconiser dans les formes difficiles ou dans toutes les pathologies chroniques, l’enjeu majeur du trai-
mixtes, en particulier l’association avec la quétiapine dans les tement au long cours est la compliance. Les troubles cognitifs,
formes à polarité dépressive prédominante. L’association lithium les idées d’incurabilité, le déni des troubles, les effets secondaires,
et lamotrigine est vraisemblablement d’intérêt dans la dépression l’ambivalence liée à la maladie, ainsi que le manque d’information
bipolaire ou en cas de polarité dépressive prédominante. et d’accès aux soins, exposent à une mauvaise observance. Pour
Les combinaisons lithium et antidépresseurs n’ont pas fait la certains patients persiste une nostalgie des périodes d’exaltation
preuve de leur efficacité. Néanmoins, dans certains cas particuliers hypomaniaque ou maniaque, parfois source de modifications du
plus difficiles à traiter et qui ne répondent pas aux précédentes traitement. Des stratégies permettant d’améliorer l’observance
associations, ou en présence de la comorbidité d’un trouble sont élaborées sur la base de programmes de psychoéducation des
anxieux invalidant, la combinaison à un antidépresseur peut être patients et de leur entourage, de techniques psychothérapiques
tentée prudemment, en évitant absolument les tricycliques, et sur et surtout par l’établissement d’une relation de confiance. Ces
une durée la plus courte possible. interventions psychosociales permettent d’améliorer les soins, de
Une recommandation absolue concerne les antidépresseurs : réduire les symptômes subsyndromiques et de réduire le risque de
ils doivent être proscrits en cas de survenue d’un virage (hypo-) rechute.
maniaque, mixte (dépression agitée) chez un patient souffrant de Le handicap fonctionnel peut justifier une prise en charge
trouble bipolaire, justement du fait de l’augmentation du risque en remédiation cognitive et fonctionnelle. Les groupes d’usagers
suicidaire, de passage à l’acte et d’aggravation de la symptomato- peuvent apporter un soutien et une information sur la maladie et
logie et du pronostic. son traitement.

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RR (95 % Crf)

Lithium
0,62 (0,53–0,72)
(n - 1364)
0,58 (0,45–0,76)
0,76 (0,61–0,93)
VPA+LTG ARP PAL 2,58 (1,33–5,39)
0,83 (0,70–0,96)
ARP-LTG PLB
Lamotrigine
LTG 0,76 (0,62–0,94)
LIT-VPA (n = 541)
0,90 (0,60–1,34)
0,69 (0,50–0,94)
OTP VPA 0,69 (0,21–2,35)
0,84 (0,67–1,03)

VPA+ARP Lithium + valproate


FLX 0,52 (0,35–0,77)
(n = 110)
0,42 (0,23–0,76)
OLZ 0,70 (0,41–1,17)
4,09 (1,01–16,96)
0,72 (0,47–1,09)

RisLAI Olanzapine
LIT+IMP 0,50 (0,39–0,63)
(n = 573)
LIT 0,35 (0,25–0,50)
IMP 0,80 (0,57–1,12)
LIT+OXC 2,18 (0,95–6,13)
CBZ 0,68 (0,52–0,87)

Quetiapine
(n = 695) 0,52 (0,40–0,68)
0,61 (0,42–0,92)
0,48 (0,34–0,67)
1,23 (0,57–2,73)
0,66 (0,49–0,88)

Risperidone LAI
(n = 272) 0,64 (0,48–0,85)
0,42 (0,28–0,64)
1,32 (0,84–2,09)
1,78 (0,54–6,41)
0,79 (0,58–1,06)

Valproate
(n = 368) 0,63 (0,47–0,83)
0,66 (0,43–1,00)
0,78 (0,50–1,16)
1,35 (0,35–5,32)
0,79 (0,60–1,03)

Imipramine
(n = 54) 0,95 (0,66–1,36)
1,31 (0,66–2,61)
0,73 (0,37–1,49)
2,82 (0,05–149,76)
1,64 (1,06–2,54)

Lithium + imipramine
(n = 79) 0,62 (0,40–0,96)
0,78 (0,39–1,54)
0,54 (0,27–1,07)
8,82 (0,31–253,41)
0,80 (0,54–1,14)

0,20 0,50 1,00 2,00 5,00 10,00 20,00


En faveur du En faveur du
Rechute thymique
traitement actif placebo Rechute maniaque /
mixte
Rechute dépressive
Tolérance
Acceptabilité
Figure 2. Comparaison de l’efficacité des thymorégulateurs dans la prévention des récidives bipolaires (d’après [84] ).

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Rechute Figure 3. Résultats de la méta-analyse en réseau (comparai-


RR (95 % Cl) son par rapport à la prise en charge usuelle [d’après [89] ]). CBT :
thérapie cognitivocomportementale ; FFT : thérapie axée sur
Thérapie centrée sur
0,61 (0,44, 0,86) la famille.
les aidants
Thérapie axée sur la
0,79 (0,54, 1,15)
famille
Psychoéducation 0,83 (0,65, 1,06)
Thérapie cognitive et
0,89 (0,68, 1,17)
comportementale (TTC)
Psychoéducation + TCC 1,12 (0,58, 2,18)

Entraînement attentionnel 1,19 (0,85, 1,67)

1 2
RR

Interventions psychothérapiques de la maladie du patient, et entre 25 % et 40 % d’entre eux pré-


sentent des scores au-dessus des seuils standards d’autoévaluation
et psychosociales des symptômes dépressifs [90] .
La prise en charge doit être globale. En plus de la psychothérapie Les idées et les comportements suicidaires des patients en par-
de soutien menée par le praticien responsable du traitement, on ticulier ont été associés à une augmentation des symptômes de
dispose d’un éventail d’interventions psychologiques qui peuvent dépression chez les aidants. Pour les membres de la famille ayant
être proposées selon les indications et les demandes du patient. des antécédents de troubles de l’humeur, le fait d’être un aidant
Ces interventions semblent être plus bénéfiques si elles ont lieu fait plus que doubler le risque de récurrence d’un épisode de
au début du cours de la maladie. dépression majeure.
Le patient doit en connaître les objectifs : meilleur repérage des Des études récentes suggèrent que le fardeau subjectif et/ou
réactions affectives trop intenses et des comportements qu’elles la dépression compromettent également la capacité des aidants
entraînent ; meilleure gestion des conflits interpersonnels, en à gérer efficacement la personne bipolaire, ce qui entraîne des
particulier des conjugopathies fréquentes et des problématiques résultats moins favorables en termes d’évolution. Des niveaux
professionnelles dans lesquelles les malentendus sont fréquents plus élevés du fardeau des aidants sont associés à une plus faible
(souvent, sentiment de harcèlement moral lors des périodes adhésion thérapeutique des patients. Les membres de la famille
dépressives ou mixtes mal thymorégulées) ; prise en compte de fortement impliqués ont également plus de problèmes de santé
conflits psychiques inconscients pour aider à orienter les choix physique selon ces mêmes études.
de vie importants ; repérage de certains événements traumatiques La vaste diffusion de groupes d’éducation et de soutien pour
ou stressants. les membres de la famille (sans le patient) témoigne de l’intérêt
Un certain nombre d’interventions et de thérapies ont été de la famille pour les interventions psychosociales pour le trouble
étudiées dans la prise en charge de la bipolarité, notamment bipolaire et d’autres troubles mentaux majeurs. Ces programmes
les interventions basées sur les aidants, la psychoéducation, les incluent différents outils complémentaires : intervention psy-
thérapies familiales, les thérapies comportementale et cognitive choéducative destinée aux membres de la famille avec définition
associées ou non à la mindfullness based cognitive therapy (MBCT), des objectifs thérapeutiques, et formation à la résolution des pro-
technique faisant appel à la méditation en pleine conscience, et blèmes et obstacles aux soins, avec notamment le travail sur
les thérapies interpersonnelles basées sur les rythmes sociaux. les stéréotypes sur la maladie qui maintiennent des modèles
Une méta-analyse en réseau publiée en 2017 [89] montrait d’interaction dysfonctionnels et stigmatisants.
qu’en association avec les médications, parmi les différents types
d’interventions psychothérapiques et psychosociales, seules les Psychoéducation
interventions axées sur les aidants ont significativement réduit le
risque de rechute maniaque ou dépressive. La psychoéducation La psychoéducation fait partie intégrante des bonnes pratiques
seule et en combinaison avec la thérapie cognitivocomporte- cliniques. Elle s’appuie sur des approches standardisées et vali-
mentale (TCC) a significativement réduit la non-observance aux dées dans les essais cliniques. La psychoéducation constitue un des
traitements. La psychoéducation et la TCC ont significativement éléments-clés de la prise en charge du trouble bipolaire. Elle per-
réduit les symptômes maniaques et amélioré le fonctionnement met une reconnaissance précoce des symptômes qui annoncent
global. La conclusion majeure était que seules les interventions une récidive, l’amélioration de la qualité de l’observance, une
auprès des membres de la famille ont réduit les taux globaux meilleure gestion de la vie sociale, professionnelle et affective, le
de rechute tandis que la psychoéducation et la TCC réduisaient contrôle des facteurs déclenchants et précipitants, le respect des
essentiellement la non-observance, l’amélioration des symptômes règles d’hygiène de vie. Elle permet une meilleure acceptation et
de manie et le fonctionnement. En revanche, aucune de ces inter- une déstigmatisation de la maladie.
ventions n’a été directement associée à une réduction significative Ces mesures ont une véritable efficacité sur le nombre de
des scores à l’échelle des symptômes de la dépression (Fig. 3). rechutes et récidives, les durées d’hospitalisation, l’équilibre fami-
lial, la qualité de vie [91] . Le nombre de séances varie de 5 à 6,
jusqu’à 20 dans certains cas. Ces mesures s’adressent essentielle-
Interventions centrées sur les aidants ment aux sujets normothymiques, mais pourraient être initiées
en fin d’hospitalisation. Les prises en charge peuvent être indivi-
Le trouble bipolaire affecte considérablement les membres de la duelles ou de groupe ; elles peuvent aussi concerner l’entourage
famille d’un patient et, en retour, le comportement de la famille proche : conjoint ; enfants ; parents.
affecte la qualité du support affectif et social, le fonctionnement À souligner l’importance essentielle des mesures hygiénodiété-
global, ainsi que l’accès et l’adhésion aux soins du patient. D’après tiques (Tableau 9) indispensables à la prévention des récurrences
les études réalisées sur le sujet, 90 % des membres de la famille du trouble bipolaire, qu’il est absolument capital d’expliquer aux
signalent des sentiments de détresse émotionnelle (c’est-à-dire un patients, en particulier l’impact délétère de l’alcool, du cannabis
« fardeau subjectif ») en relation avec la gravité des symptômes et du manque de sommeil.

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Tableau 9. L’objectif commun à tous les programmes de TCC du trouble


Règles hygiénodiététiques. bipolaire est l’augmentation de l’observance médicamenteuse,
Éviction des substances toxiques (alcool, cannabis, autres toxiques)
la diminution du taux de récidives, une meilleure gestion des
stress environnementaux et personnels, ainsi que la reconnais-
Éviction ou diminution des excitants (café, thé, tabac, sance précoce des fluctuations de l’humeur. Les patients bipolaires
amphétaminiques)
apprennent ainsi une dizaine d’outils TCC, qu’ils peuvent ensuite
Éviction de certains traitements médicamenteux (corticoïdes) utiliser en fonction de leurs besoins. Cela leur assure une meilleure
Importance d’instaurer une bonne régularité des cycles veille-sommeil qualité de vie, moins de conflits interpersonnels, une réduction
(éviter les nuits blanches, le travail nocturne, coucher et lever à horaires du stress, et facilite une reprise des activités personnelles, sociales
relativement réguliers en évitant les décalages de phase, les décalages et professionnelles.
liés aux voyages avec changement de fuseau horaire, etc.) Les TCC proposent donc une boîte à outils comprenant diffé-
Aménagement de l’environnement (activité professionnelle, loisirs, etc.) rentes stratégies complémentaires qui comprennent notamment :
pour une meilleure gestion des facteurs de stress • l’identification précoce des prodromes dépressifs ou maniaques,
La psychothérapie, centrée sur la gestion des facteurs déclenchants et ainsi que des facteurs de stress favorisant les rechutes ;
sur une meilleure connaissance de la maladie, avec mise en œuvre de • la régulation des rythmes personnels (sommeil, repas, activités
stratégies de détection des signes précoces de récurrences, alliance nécessaires, activités plaisantes) et sociaux (relations interper-
thérapeutique avec la famille permettant une prise en charge plus sonnelles) avec auto-enregistrement de l’humeur couplée à celle
réactive grâce à l’entourage des activités personnelles (activity scheduling), avec graduation
Orientation vers les associations de patients (Argos, Unafam, etc.) et des tâches de façon à mettre en place des objectifs très simples
remise de documents d’information au début associés à du renforcement positif ;
• l’apprentissage de techniques cognitives d’identification des
pensées automatiques liées à la dépression ou à la manie,
puis l’apprentissage des techniques de restructuration cognitive
Il existe aussi des groupes d’éducation à la santé, ainsi que
grâce notamment à l’identification des mécanismes de distor-
des séminaires d’information à destination des patients et des
sion cognitive (abstraction sélective, inférence arbitraire, surgé-
familles qui aident à comprendre le vécu du proche, à faire face
néralisation, personnalisation, attributions négatives internes,
à la maladie, à partager des renseignements, des ressources et des
etc.). Le travail est également centré sur l’affirmation de soi
mécanismes d’ajustement pour préserver leur propre santé men-
et l’apprentissage de stratégies de résolution de problèmes. La
tale pendant la maladie de leur proche.
restructuration cognitive se base sur le fait de guider le patient
au travers d’un questionnement socratique, sur la réinterpré-

“ Point fort tation plus rationnelle des situations pénibles et la régulation


émotionnelle, mais également sur des jeux de rôle et de nom-
breux autres outils ;
• des techniques de type MBCT qui reposent sur l’utilisation dans
Cibles des mesures psychoéducatives un cadre thérapeutique très précis de techniques de méditations
Les facteurs de stress psychosociaux, la désynchronisation spécifiques, notamment la méditation en pleine conscience qui
des rythmes de vie, le défaut des synchroniseurs sociaux, permet d’apprendre à concentrer son attention sur ses émo-
pourraient induire des récidives maniaques ou dépressives. tions, ses sensations physiques et ses pensées sans en être
Les synchroniseurs externes tels que la lumière, les repères prisonnier et, de ce fait, à mieux les réguler.
sociaux, modifient la phase des rythmes circadiens : l’arrêt
brutal des activités peut générer une récidive, la sévérité
d’un épisode notamment dépressif pouvant être propor- Thérapie des rythmes sociaux : l’exemple
tionnelle à la perte des activités sociales. L’altération des de la thérapie interpersonnelle
synchroniseurs sociaux et du rythme veille–sommeil peut
entraîner des épisodes maniaques. Il est donc important et aménagement des rythmes sociaux
de respecter certaines règles en limitant l’exposition aux La thérapie interpersonnelle et aménagement des rythmes
évènements stressants et en favorisant une hygiène de sociaux (TIPARS) [93] se déroule sur environ six mois en 24 ses-
vie centrée sur la régularité des activités incluant activités sions et se déroule en trois phases. La phase initiale établit
physiques, sommeil, alimentation et contacts sociaux. l’anamnèse et développe la psychoéducation. La phase intermé-
diaire centre le travail sur l’aménagement des rythmes et les
stratégies de résolution des problèmes interpersonnels. La phase
de terminaison évalue l’efficacité de la thérapie et développe les
stratégies de prévention. Enfin, la phase de maintenance pro-
Thérapies comportementales et cognitives pose différentes stratégies de prévention de récurrences. La TIPARS
des troubles bipolaires combine de nombreux outils, qui vont de la psychoéducation aux
approches comportementales en centrant les interventions sur
Les TTC ont essentiellement été évaluées dans le cadre l’amélioration de la régularité des routines quotidiennes, la ges-
de troubles bipolaires de type I, sans troubles addictifs, en tion des relations interpersonnelles et la résolution des problèmes
phase intercritique euthymique ou partiellement euthymique [92] . psychosociaux. Les éléments essentiels de cette psychothérapie
Chaque patient détermine avec le thérapeute ses objectifs person- reposent sur l’évaluation des relations actuelles et leur corrélation
nalisés et la thérapie est guidée de façon interactive et didactique, avec l’émergence des symptômes dans un des quatre domaines
et centrée sur l’ici et maintenant. Le thérapeute amène le patient fondamentaux (le deuil, les conflits, les changements de rôles et le
à identifier les prodromes des épisodes, les fluctuations d’humeur, déficit de relations), et la régularisation des routines quotidiennes
ses émotions, cognitions et comportements associés en fonction et des rythmes.
des facteurs de stress environnementaux. Les techniques cog- Le rationnel initial de cette nouvelle thérapie est fondé sur
nitives, temps essentiel des TCC dont le principal objectif est l’observation des perturbations des rythmes circadiens communes
d’aboutir à une restructuration cognitive, représentent des outils aux troubles de l’humeur et en particulier la bipolarité. Cette
essentiels de gestion de l’humeur et des émotions pour prévenir dérégulation biologique circadienne est favorisée par l’atteinte
les rechutes dépressives et maniaques. En effet, dans la mesure où des donneurs sociaux de temps (Zeitgebers) ou l’apparition de
l’émergence de pensées automatiques représente une composante perturbateurs sociaux de temps (Zeitstörers). La régularisation
cognitive importante de l’humeur, une étape-clé de la thérapie des rythmes sociaux aiderait à mieux contrôler les dérègle-
consiste à apprendre aux patients à repérer ces pensées, parfois ments chronobiologiques, et serait de ce fait susceptible de
difficiles à identifier. diminuer les symptômes et de prévenir de nouveaux épisodes.

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Tableau 10.
Éléments prédicteurs de bonne réponse et de mauvaise réponse aux principaux thymorégulateurs (d’après [5] ).
Agent Prédicteurs de bonne réponse Prédicteurs de mauvaise réponse
Lithium Manie État mixte
Réponse préalable au lithium Cycles rapides
Cycle : manie-dépression-euthymie Cycle : dépression–manie–euthymie
Pas d’atteinte neurologique Présence de symptômes dépressifs
Pas de symptômes psychotiques Épisodes multiples
Pas d’abus de substance Pas d’histoire familiale
Nombre restreint d’épisodes Mauvais fonctionnement intercritique
Bonnes périodes d’euthymie intercritique Éléments de personnalité pathologique
Valproate Cycles rapides Trouble de la personnalité comorbide
États mixtes Manie sévère
Plusieurs épisodes antérieurs
Sous-type irritable dysphorique
Manie secondaire
Abus de substance
Carbamazépine États mixtes Cycles rapides
Sévérité de l’état maniaque Maladie évoluant depuis plus de 10 ans
Pas d’antécédents familiaux de troubles de l’humeur
Âge de début précoce
Forme avec nombreux épisodes maniaques
Antipsychotiques atypiques Âge de début précoce
Pas d’abus de substance
Pas de traitement antipsychotique antérieur
Cycles rapides

Tableau 11. Tableau 12.


Autorisations de mise sur le marché dans le trouble bipolaire en France. Principaux consensus internationaux.
Épisodes aigus Prévention des récidives National Institute of Clinical Excellence (NICE) 2014
Lithium Oui (EM) Oui (EM, EDM) British Association of Psychopharmacology (BAP) 2016
Divalproate a Oui (EM) Oui (EM) b Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists (RANZCP)
a b
2015
Valpromide Oui (EM) Oui (EM)
Canadian Network for Mood and Anxiety Disorder Treatments
Lamotrigine Non Oui (EDM)
(CANMAT) 2013
Carbamazépine Oui (EM) Oui
International Society for Bipolar Disorders (ISBD) 2013
Quétiapine Oui (EM, EDM) Oui (EM, EDM) b
Japanese Society of Mood Disorders (JSMD) 2012
Olanzapine Oui (EM) Oui b
American Psychiatric Association (APA) 2007
Rispéridone Oui (EM) Non
World Health Organization (WHO)
Aripiprazole Oui (EM) Oui (EM) b
World Federation of Societies for Biological Psychiatry (WFSBP)
EM : état maniaque ; EDM : état dépressif majeur.
a
Contre-indication chez les femmes en âge de procréer.
b
Poursuite au décours de l’épisode maniaque chez les patients ayant répondu partir de données scientifiques avec une hiérarchisation des études
en aigu au traitement de cet épisode.
allant des études contrôlées contre placebo aux études de cas, mais
aussi à partir de l’expérience pratique d’experts. Ces consensus
C’est l’adjonction de cette stratégie d’aménagement des rythmes d’experts sont une aide importante dans la prise en charge théra-
sociaux à la psychothérapie interpersonnelle a permis de créer la peutique du trouble bipolaire, et intègrent les nouvelles stratégies
TIPARS. thérapeutiques et les nouvelles molécules disponibles, mais ils ne
Dans une étude comparative de suivi sur deux ans portant sur sont bien sûr que des outils « théoriques » qui ne sont pas appli-
175 patients, Frank et al. [94] ont montré que la TIPARS permet cables à tous les cas de figures, chaque situation clinique étant
une amélioration des rythmes sociaux et une réduction du taux singulière. Certaines guidelines s’appuient sur la définition de la
de récurrence des épisodes bipolaires chez des patients de type I. bipolarité par le DSM, d’autres s’appuient sur la Classification
Les thérapeutiques biologiques ou psychothérapiques utili- internationale des maladies 10e édition (qui ne différencie pas
sables au travers des différentes phases du trouble bipolaire sont le type de trouble bipolaire). Seules trois guidelines proposent et
donc nombreuses et la liste ne cesse de s’allonger (cf. supra). émettent des recommandations distinctes pour les troubles bipo-
Les éléments prédicteurs de bonne ou de mauvaise réponse aux laires de type I et de type II [95] . Des lignes directrices générales
traitements thymorégulateurs figurent dans le Tableau 10 ; les semblent se dégager de ces consensus.
différentes AMM en France figurent dans le Tableau 11.
Traitement des épisodes aigus
Traitement de l’épisode maniaque
 Traitements des différentes En premier lieu il convient d’arrêter toute prise d’antidépres-
phases du trouble bipolaire seur.
Si le patient n’est pas déjà traité au long cours
Guidelines pour un trouble bipolaire
La communauté psychiatrique internationale a tenté à travers Dans le cas d’un premier épisode, le traitement de choix est une
des travaux de consensus d’élaborer des algorithmes permettant monothérapie par thymorégulateur, lithium de préférence, ou val-
de faciliter les décisions thérapeutiques et de servir de base de proate, ou antipsychotique atypique. L’olanzapine, l’aripiprazole,
référence commune (Tableau 12). Ces consensus sont établis à la quétiapine et la rispéridone ont obtenu l’indication dans le

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37-860-D-55  Traitement du trouble bipolaire

traitement des états maniaques. Le divalproate peut être préféré à En cas d’épisode maniaque ou hypomaniaque
ces derniers dans les états mixtes, dysphoriques ; il présente moins avec caractéristiques mixtes
d’effets secondaires neurologiques moteurs mais ne peut être pres-
crit chez les femmes en âge de procréer du fait de sa tératogénicité. Plus que l’identification d’un « épisode mixte », le DSM-5
La carbamazépine est préconisée seulement en deuxième ou troi- encourage la recherche de « caractéristiques mixtes » au sein des
sième intention. En pratique quotidienne, la monothérapie est épisodes. Les implications en termes thérapeutiques sont encore
difficile à réaliser, en particulier du fait des délais d’efficacité des incertaines. Néanmoins, l’étude des données secondaires concer-
thymorégulateurs qui obligent souvent le prescripteur à associer, nant les épisodes mixtes concluent que le traitement le plus
voire à débuter le traitement par un antipsychotique atypique. approprié reste celui de l’épisode maniaque.
L’utilisation à court terme des benzodiazépines permet de corriger
les troubles du sommeil. Évaluer une éventuelle prise de toxiques
En cas de symptômes psychotiques ou de critères de sévérité et envisager un sevrage
(insomnie majeure, agitation), un traitement par antipsychotique
Décroissance et arrêt des traitements à court terme
atypique permet d’obtenir un effet antimaniaque rapide (en par-
ticulier, l’olanzapine, la rispéridone et la quétiapine, l’halopéridol L’arrêt à court terme de certains traitements doit être envisagée
étant à réserver en deuxième ou troisième intention car moins tout en gardant à l’esprit la nécessité d’un traitement de fond au
bien toléré). On peut d’emblée commencer une bithérapie par long cours. Beaucoup des traitements efficaces dans la phase aiguë
lithium plus antipsychotique atypique ou valproate plus antipsy- de l’épisode maniaque sont également efficaces en prévention des
chotique atypique dans les manies sévères. rechutes.
En cas d’agitation sévère et/ou d’absence de consentement du Les traitements symptomatiques comme les anxiolytiques
patient, un traitement par voie parentérale par antipsychotique ou les hypnotiques doivent être diminués puis arrêtés dès
et benzodiazépine est nécessaire. Les manies furieuses sont une l’amélioration des symptômes.
indication de première ligne de l’ECT. Une fois la rémission symptomatique obtenue, les traitements
Le traitement d’un épisode maniaque est généralement efficace utilisés uniquement pour la phase aiguë sont diminués progressi-
en 15 à 30 jours. vement (sur au moins 4 semaines) puis arrêtés.
La rémission symptomatique est le plus souvent atteinte dans
Si le patient est déjà traité au long cours pour un trouble les trois mois, mais l’humeur peut mettre parfois plus de temps à
bipolaire se stabiliser (6 mois et au-delà).
Si la présentation est due à un contrôle insuffisant des symp-
tômes, il faut s’assurer que le patient bénéficie de la dose maximale Traitement de l’épisode dépressif
tolérée. Ainsi, en cas de traitement par antipsychotique ou val-
Les différentes méta-analyses concluent à l’efficacité d’un
proate, l’augmentation des doses peut s’avérer suffisante.
nombre relativement limité de traitements dans la phase aiguë
En cas de traitement par lithium, il faut vérifier que la lithiémie
de l’épisode dépressif majeur, avec des profils pharmacologiques
est comprise entre 0,5 et 0,8 mEq/l pour la forme à libération
et des niveaux de preuve variables. Ces méta-analyses ne prennent
immédiate, ou entre 0,8 et 1,2 mEq/l pour la forme à LP. Des
pas en compte nombres d’études pourtant robustes pour des
concentrations au-dessus de 1 mEq/l pour la forme LP peuvent
raisons de comparabilité. La place des antidépresseurs reste incer-
s’avérer plus efficaces mais sont associés à une moins bonne tolé-
taine dans le traitement de la dépression bipolaire, là où elle ne
rance si elles sont maintenues à long terme. Chez les patients déjà
fait pas de doute dans le traitement de la dépression unipolaire.
traités par lithium, il faut envisager l’association du lithium à un
La plupart des preuves sont fondées sur l’étude des patients avec
antipsychotique atypique ou à du valproate.
un trouble bipolaire de type I, mais peuvent rationnellement être
Il faut aussi s’assurer que la rechute n’est pas liée à un défaut
extrapolés au trouble bipolaire de type II.
d’observance. Si la mauvaise observance est liée à une mauvaise
tolérance, il faut envisager si possible une diminution des poso- Si le patient n’est pas déjà traité au long cours
logies du traitement au long cours (en cas d’effet secondaire pour un trouble bipolaire
dose-dépendant), un traitement correcteur ou un switch vers une Les antipsychotiques atypiques en monothérapie sont efficaces
autre molécule. Si la mauvaise observance est délibérée, et non dans la dépression bipolaire. En France, la quétiapine est le seul
liée à un problème de tolérance, le lithium peut s’avérer une mau- traitement à avoir l’AMM dans le traitement de la dépression bipo-
vaise option en raison du risque plus élevé de rechute maniaque laire. L’olanzapine et la lurasidone (non disponible en France) ont
ou dépressive en cas d’interruption intempestive. également un effet antidépresseur [96] . L’aripiprazole est efficace en
En cas d’échec ou de réponse insuffisante de la première add-on et à faible dose (< 5 mg/j) du fait de son effet prodopaminer-
ligne thérapeutique et/ou de manie sévère gique [77] . L’avantage des antipsychotiques atypiques est d’avoir
également un effet antimaniaque. Ils sont également indiqués en
Un délai de 1 à 2 semaines en cas d’inefficacité et de 2 à
add-on en cas de dépression avec symptômes psychotiques.
4 semaines en cas d’efficacité partielle est recommandé pour éva-
Le lithium et la lamotrigine semblent être efficaces pour traiter
luer la réponse thérapeutique.
la dépression bipolaire. Leur intérêt en pratique clinique est avéré,
À deux semaines du début du traitement, en cas d’inefficacité bien que les données de la littérature soient plus aléatoires. Le
et de symptômes modérés, on peut switcher vers une autre molé- lithium en monothérapie peut être envisagé en cas de symptômes
cule thymorégulatrice de première intention (lithium, valproate, dépressifs modérés, surtout s’il s’agit de débuter un traitement à
antipsychotique atypique). En cas d’efficacité insuffisante, on long terme ; il a par ailleurs des effets protecteurs contre le suicide.
optimise la posologie du traitement déjà en place. En cas de symp- La lamotrigine en monothérapie a montré une supériorité au pla-
tômes sévères, on va d’emblée vers une bithérapie associant le cebo sur les épisodes dépressifs [69] , mais elle n’a pas l’AMM dans
lithium ou le valproate avec un antipsychotique atypique. cette indication en France. Elle doit être introduite très progres-
À quatre semaines du début du traitement : en cas d’absence sivement à cause du risque d’allergie cutanée, mais elle est une
d’amélioration supplémentaire, on donne une bithérapie thymo- option intéressante, surtout chez la femme enceinte ou en âge de
régulatrice (lithium/valproate plus antipsychotique atypique). Si procréer. En cas d’antécédent d’épisode maniaque, la lamotrigine
la bithérapie était déjà en place, on essaie de remplacer l’une doit être associée à un thymorégulateur « d’en haut » (lithium, val-
des molécules (celle qui semble la moins efficace) par une autre proate, antipsychotique atypique). Le valproate est recommandé
molécule de première intention, puis de deuxième intention en aigu en monothérapie dans certaines guidelines, mais les don-
(carbamazépine, halopéridol), puis de troisième intention (oxcar- nées sont très divergentes [97] .
bazépine, clozapine). Les antidépresseurs n’ont pas été suffisamment étudiés dans
La clozapine peut être indiquée dans les cas complexes de le trouble bipolaire. Les antidépresseurs sont associés à une
résistance. L’ECT est indiquée en cas de manie particulièrement diminution des symptômes de dépression bipolaire, mais ils
résistante et/ou sévère (manie furieuse) et/ou en cas de préférence n’augmentent pas les taux de rémission, et leur utilisation pro-
du patient et/ou de manie sévère chez la femme enceinte. longée est associée à un risque accru de manie ou d’hypomanie,

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

et à terme à une accélération des cycles [82, 83] . Les antidépres- maniaques et dépressifs à la fois dans le spectre bipolaire et dans
seurs ne doivent donc être utilisés que sur de courtes périodes, les troubles dépressifs majeurs, s’il existe au moins trois symp-
et sous bonne couverture thymorégulatrice « d’en haut » (anti- tômes non chevauchants de la polarité opposée. Ce changement
psychotique atypique, lithium ou valproate). Seule la fluoxétine de paradigme reflète l’importance pronostique de ces états mixtes,
en association avec l’olanzapine constitue un traitement spéci- mais aussi une étiologie–pathogénie commune.
fique et efficace de la dépression bipolaire (commercialisé aux La pharmacothérapie des états mixtes est difficile en raison de
États-Unis sous le nom de Symbiax® ). Sinon, on choisit de pré- la nécessité de traiter simultanément les symptômes maniaques
férence, parmi les antidépresseurs, ceux qui induisent le moins (ou hypomaniaques) et dépressifs, les traitements utilisés pour
de virages maniaques, à savoir le bupropion (Zyban® ), la tianep- traiter certains symptômes risquant potentiellement de détério-
tine (Stablon® ), les ISRS les plus spécifiques comme l’escitalopram rer les symptômes de la polarité opposée. Les antipsychotiques
(Seroplex® ) ou la sertraline (Zoloft® ). Les IRSNA à forte dose, les atypiques, les nouveaux anticonvulsivants et l’ECT apparaissent
IMAO et les tricycliques sont à éviter car ils sont très inducteurs comme les principales options de traitement [100] .
de virages (près de 50 % des bipolaires virent sous tricycliques) : Une revue de 2016 [101] vise à fournir une synthèse des preuves
ils sont donc à réserver à certaines formes dépressives sévères, en actuelles de la pharmacothérapie des états mixtes en mettant
cas de résistance aux ISRS ou de contre-indications à l’ECT, sous l’accent sur la manie/l’hypomanie. L’aripiprazole, l’asénapine, la
étroite surveillance. carbamazépine, l’olanzapine et la ziprasidone ont montré la plus
L’ECT est indiquée en cas de risque suicidaire élevé ou forte preuve d’efficacité dans le traitement de phase aiguë. La
d’inanition menaçant le pronostic vital, de résistance aux trai- quétiapine et le valproate étaient également efficaces. Les traite-
tements, de symptômes psychotiques, ou de dépression sévère ments combinés peuvent être envisagés dans les cas graves. Pour
pendant la grossesse. Il faut alors veiller à arrêter les traitements le traitement d’entretien, l’olanzapine et la quétiapine (seules ou
susceptibles d’augmenter le seuil épileptogène tels que les anti- en combinaison avec le lithium/valproate) ont montré les plus
convulsivants (la lamotrigine peut être gardée pour l’ECT) et les fortes preuves d’efficacité. Le lithium et la lamotrigine peuvent
benzodiazépines. être bénéfiques étant donné leurs effets préventifs sur le suicide et
L’association du traitement pharmacologique à une prise en les rechutes dépressives.
charge en psychothérapie type TCC ou thérapie interpersonnelle
basée sur les rythmes pourrait permettre une durée d’épisode plus Prévention des rechutes et récidives
courte.
Pour favoriser une meilleure hygiène de vie et une bonne obser-
Si le patient est déjà traité au long cours pour un trouble vance, le traitement pharmacologique doit être associé à une
bipolaire psychoéducation, et à un soutien psychologique et familial, sur-
En premier lieu, il convient de s’assurer de l’observance, de tout dans les premiers stades de la maladie. La MBCT et la thérapie
vérifier que les dosages plasmatiques sont dans les fourchettes effi- basée sur les rythmes sociaux sont deux techniques spécifiques qui
caces et que le choix du traitement thymorégulateur au long cours aident à la prévention des rechutes.
est optimal pour prévenir une rechute maniaque (antipsycho- En France, seuls six traitements ont l’AMM dans la prévention
tique atypique, lithium, valproate). Il est également indispensable des récidives bipolaires : lithium, valproate, olanzapine, quétia-
d’identifier et de prendre en charge tout facteur de stress. pine, aripiprazole, carbamazépine (Tableau 12). Le choix d’un
Si le patient ne répond pas à l’optimisation du traitement thymorégulateur pour un patient donné est une question bien
et si les symptômes sont significatifs, on peut soit switcher de difficile qui prend en compte les données actuelles de la littéra-
molécule (lithium, lamotrigine, quétiapine), soit, selon certaines ture et les caractéristiques individuelles du patient concerné, et
recommandations (CANMAT), aller d’emblée vers des combi- qui est bien entendu influencé par les habitudes des prescripteurs.
naisons qui sont de facto souvent nécessaires à partir de la Le principe de prescription consiste à raisonner initialement par
deuxième ligne : des bithérapies (lamotrigine plus quétiapine, rapport aux contre-indications, à la tolérance, puis après quelques
lithium plus lamotrigine, lithium plus quétiapine/aripiprazole, mois à l’efficacité. Bien entendu, les effets secondaires à long terme
valproate/lithium/quétiapine plus IRS/bupropion), voire des tri- doivent également être pris en considération dans la balance béné-
thérapies (lithium, lamotrigine et quétiapine/aripiprazole). fice/risque, par exemple les effets métaboliques importants et les
Une méta-analyse de 2017 met en avant les effets très encou- dyskinésies tardives induites par les antipsychotiques atypiques.
rageants des agonistes dopaminergiques (modafinil, armodafinil,
pramipexole, méthylphénidate, amphétamines) [98] . En parti- Durée du traitement
culier, le pramipexole, largement utilisé dans la maladie de Un traitement à long terme est recommandé dès le premier
Parkinson, présente des effets antidépresseurs parfois spectacu- épisode maniaque. Lorsqu’un patient sous traitement est stabi-
laires tout en exposant moins au risque de virage. Il est utilisé hors lisé pendant plusieurs années, il est recommandé de continuer
AMM en add-on d’un traitement thymorégulateur [99] . Les anti- le traitement indéfiniment car le risque de rechute reste élevé.
dépresseurs noradrénergiques tels que les IRSNA à forte dose, les La plupart des données concernent le trouble bipolaire I, mais
IMAO, les tricycliques, sont réservés à des situations de résistance l’extrapolation au trouble bipolaire II apparaît logique.
particulièrement sévères et sous bonne couverture antimaniaque.
L’adjonction d’hormones thyroïdiennes et d’inostitol sont égale- Première ligne
ment des options.
Enfin, les antagonistes des récepteurs acide N-méthyl-D- En premier lieu, on privilégie une monothérapie par un thy-
aspartique, comme la kétamine administrée en perfusion morégulateur, en conservant le thymorégulateur qui s’est avéré
intraveineuse, ont montré des effets antidépresseurs très pro- efficace pendant la phase aiguë. À noter que cela peut conduire
metteurs. La kétamine peut être proposée en milieu hospitalier à une utilisation préférentielle des antipsychotiques atypiques,
spécialisé dans les cas de résistance voire comme alternative plus efficaces à court terme, alors que le lithium demeure une
à l’ECT. Elle trouve aussi son intérêt en aigu du fait de son meilleure alternative à long terme et reste le traitement de pre-
effet antidépresseur rapide, parfois de quelques heures, notam- mière ligne. On préfère une prise unique vespérale pour une
ment sur les idées suicidaires. Une version en spray intranasal, meilleure observance. En cas d’intolérance, de contre-indication
d’administration plus simple est en cours d’essai. au lithium ou si le patient est susceptible d’être non observant,
un autre thymorégulateur doit être envisagé comme le valproate
ou un antipsychotique atypique.
Traitement de l’épisode mixte Les données des méta-analyses montrent une efficacité du
Dans les versions précédentes du DSM, les états mixtes étaient lithium, de l’olanzapine, de la quétiapine, de la rispéridone
étroitement définis dans le contexte du trouble bipolaire de type (longue durée d’action par injection) et du valproate (quoique
I. Dans le DSM-5, le terme « épisode mixte » a été supprimé et marginalement) sur la prévention des récidives. Seules la lamotri-
remplacé par un spécificateur « avec caractéristiques mixtes » qui gine, le lithium et la quétiapine (et la lurasidone, non disponible
peut être globalement appliqué à des épisodes maniaques, hypo- en France) sont efficaces pour prévenir la rechute dépressive.

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Au-delà des données des essais randomisés sur la prévention patient avec les recommandations d’utilisation afin qu’il puisse
des rechutes, les données naturalistiques portant sur les taux intervenir rapidement sur les symptômes. Au lieu d’adjoindre un
d’hospitalisations pendant à quatre ans vont fortement en faveur traitement, des doses plus élevées de traitements régulateurs pris
de l’efficacité des molécules suivantes (dans l’ordre décroissant) : au long cours peuvent également être efficaces.
lithium ; valproate ; olanzapine ; lamotrigine ; quétiapine ; carba-
mazépine.
Le lithium en monothérapie est le traitement de choix en pre-  Situations particulières
mière intention [84] : il est efficace pour prévenir les rechutes
maniaques, dépressives et mixtes, même lorsque les patients n’ont Cycles rapides
pas été traités par lithium dans la phase aiguë, et il prévient mieux
En cas de cycles rapides (plus de quatre épisodes par an),
les nouveaux épisodes que les autres agents thymorégulateurs. Le
il convient de rechercher et traiter des facteurs favorisants tels
lithium est associé à une réduction du risque de suicide et de gestes
qu’une hypothyroïdie ou l’utilisation de substances, et de réduire
autoagressifs. Les concentrations plasmatiques de lithium doivent
progressivement et d’arrêter les antidépresseurs qui contribuent à
être surveillées régulièrement (tous les 3 mois pendant la pre-
l’accélération des cycles.
mière année de traitement, puis tous les 6 mois chez les patients
Il n’existe pas de traitements spécifiques pour les cycles rapides.
par ailleurs bien portants), avec une cible comprise entre 0,6 et
Il faut alors combiner les thymorégulateurs entre eux. Les effets
0,8 mEq/l. Des concentrations de lithium supérieures à 0,8 mEq/l
« anticycliques » de chaque molécule peuvent être évalués sur des
sont associées à un risque accru d’insuffisance rénale, surtout chez
périodes de six mois ou plus en monitorant l’humeur de façon lon-
les femmes.
gitudinale ; cela permet d’arrêter les traitements inefficaces pour
Le valproate est souvent considéré comme un thymorégula-
éviter une surenchère de prescriptions inutiles.
teur équivalent au lithium. Les données des essais randomisés
affichent un niveau de preuve plus faible, mais les données natu-
ralistiques étayent sa position devant d’autres options. Il ne peut Interruption du traitement au long cours
être prescrit chez la femme en âge de procréer.
Même après plusieurs années de rémission sous traitement, le
La carbamazépine est moins efficace dans le traitement
risque de rechute demeure en cas d’interruption des médicaments.
d’entretien que le lithium, mais peut être utilisé en monothé-
En conséquence, toute interruption doit être accompagnée d’une
rapie si le lithium est inefficace et surtout chez les patients qui
information éclairée des risques potentiels. L’interruption du trai-
ne présentent pas le modèle classique de la manie euphorique
tement doit être progressive, sur au moins quatre semaines, et
épisodique. Il semble être presque exclusivement efficace contre
de préférence sur une période plus longue. La rechute maniaque
la rechute maniaque. Une attention particulière doit être por-
est un risque précoce en cas d’interruption brutale du lithium.
tée au risque d’interactions pharmacocinétiques. L’oxcarbazépine
L’arrêt des traitements ne devrait pas conduire à un arrêt du suivi,
peut être une alternative en raison de son moindre risque
afin que les signes précoces de rechute maniaque ou dépressive
d’interactions.
puissent être pris en charge et traités rapidement.
Les antipsychotiques d’action prolongée peuvent être envi-
sagés pour prévenir la récidive maniaque si l’observance est
erratique. Plusieurs antipsychotiques sont disponibles (fluphéna- Personnalité borderline comorbide
zine, halopéridol, pamoate d’olanzapine, rispéridone, palmitate
de palipéridone et aripiprazole), mais seule la rispéridone a fait Chez les patients présentant un trouble bipolaire et un trouble
l’objet d’essais contrôlés dans la bipolarité. L’utilisation des autres de personnalité borderline, il est d’autant plus judicieux d’associer
molécules est liée à l’extrapolation de l’efficacité des formes orales. un traitement médicamenteux (habituellement nécessaire pour
La lamotrigine et la quétiapine peuvent être utilisées en mono- le trouble bipolaire) et un traitement psychologique comme la
thérapie dans le trouble bipolaire II. Dans le trouble bipolaire I, la thérapie comportementale dialectique (approche privilégiée pour
lamotrigine doit être combinée avec un traitement antimaniaque les personnalités borderline) en évitant de polariser la prise en
à long terme. charge vers l’un de ces deux axes.
Si la plupart des guidelines préconisent une monothérapie, les En l’absence de preuve pertinente, il n’y a pas d’argument
statistiques montrent qu’en pratique la plupart des patients bipo- pour privilégier un traitement plutôt qu’un autre. L’instabilité de
laires reçoivent plusieurs traitements, puisque seuls 5 à 10 % l’humeur, commune au trouble borderline et au trouble bipolaire,
reçoivent une monothérapie et que plus de la moitié des patients peut être traitée par des régulateurs de l’humeur (lamotrigine,
bipolaires reçoivent même au moins trois agents différents. lithium, olanzapine, rispéridone, aripiprazole et quétiapine).
À rappeler aussi que le lithium possède des propriétés anti-
impulsives et antisuicide remarquables.
Deuxième ligne
En cas d’échec de la monothérapie ou de persistance de Femmes en âge de procréer et grossesse
symptômes dépressifs subsyndromiques ou de rechutes, il faut
envisager une association de traitement à long terme. On a longtemps pensé qu’il existait un effet protecteur de la
Si la polarité prédominante de la maladie est la manie, il grossesse sur les risques de récurrence chez les patientes bipolaires,
peut être logique de combiner deux agents antimaniaques (par tandis que le post-partum serait une période de vulnérabilité avec
exemple, le lithium, le valproate, un antipsychotique atypique). un risque d’épisode qui pourrait concerner près de 60 % des
Si la polarité est dépressive, une combinaison de lithium, lamo- patientes dans les six mois qui suivent l’accouchement (fréquence
trigine, quétiapine, lurasidone ou olanzapine peut être plus élevée d’épisodes avec caractéristiques psychotiques). En réalité, la
appropriée. Le bénéfice des antidépresseurs dans le traitement à grossesse n’est pas dénuée de risques de survenue d’épisodes thy-
long terme n’est pas établi par des essais contrôlés. miques chez les patientes bipolaires. Ainsi, le désir de grossesse
La clozapine, si elle est efficace dans le traitement de la manie de ces femmes pose la question de la poursuite du traitement en
réfractaire, peut être poursuivie sur le long terme. raison des effets tératogènes des médicaments thymorégulateurs.
L’ECT d’entretien peut être envisagée pour les patients ayant Par ailleurs, au-delà de la nature du traitement, étant donné la fré-
répondu à l’ECT au cours d’un épisode aigu et répondant insuffi- quence des grossesses non planifiées, une contraception efficace
samment aux agents pharmacologiques. doit être envisagée chez les patientes bipolaires et des conseils
Il faut considérer l’association d’une psychothérapie au traite- appropriés en matière de planification doivent être dispensées.
ment pharmacologique pour traiter les symptômes résiduels. À ce jour, il n’existe pas de recommandation exclusive pour la
En cas de recrudescence anxieuse importante ou de symptômes gestion périnatale du trouble bipolaire, compte tenu du peu de
annonciateurs de rechute (surtout l’insomnie), des traitements données recueillies chez les femmes enceintes [102] . Le risque téra-
adjuvants tels que des benzodiazépines ou des antipsychotiques togène associé à l’utilisation de médicaments doit en revanche
atypiques peuvent être indiqués sur de courtes périodes. Il peut être pris en considération dans un contexte de risque de base
même être intéressant de fournir par avance ces traitements au relativement élevé (lié à l’âge).

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

Les recommandations du Centre référence sur les agents téra- Tableau 13.
togènes constituent une aide précieuse pour évaluer le risque, Efficacités relatives selon les données de la littérature des traitements uti-
informer les patientes et aider à la prise de décision pour la gros- lisés dans le traitement du trouble bipolaire (adapté d’après [70] ).
sesse et l’allaitement. Traitement Manie Épisode dépressif Prévention des
Les thymorégulateurs les mieux connus en cours de grossesse majeur rechutes
sont les suivants (données très nombreuses par ordre décroissant) :
la lamotrigine, la quétiapine, l’olanzapine, l’aripirazole, la rispéri- Benzodiazépines + ND ND
done. Les données concernant la lamotrigine ne montrent pas une Carbamazépine ++ + +
augmentation des malformations congénitales [103] . Les données Clozapine +++ +++ +++
concernant les antipsychotiques et les antidépresseurs sont rassu- ECT +++ ++++ +++
rantes, mais la quantité de données varie d’une molécule à l’autre,
Lamotrigine - ++++ ++++
ce qui doit faire privilégier celles pour lesquelles on en a le plus. Les
risques liés aux nouveaux traitements sont habituellement mal Lithium ++++ +++ ++++
connus et justifient la prudence. Olanzapine ++++ ++ ++++
L’utilisation du lithium au cours du premier trimestre est asso- Rispéridone ++++ ND ND
ciée à un risque accru de malformations cardiaques (odds ratio Topiramate + ND
ajusté de 1,65), y compris l’anomalie d’Ebstein ; néanmoins, leur
Valproate ++++ +++ +++
fréquence est plus faible qu’initialement suspecté [104] . Dans les
formes sévères, il est possible de maintenir le lithium, y compris Aripiprazole ++++ ND ++++
durant le premier trimestre. Cela est envisagé si la patiente a un Oxcarbazépine + - +
trouble bipolaire sévère (avec épisodes nombreux sévères et rap- Prégabaline + ND ND
prochés), a bien répondu au lithium, est informée et dispose de Psychoéducation ND ND ++++ en association
suffisamment de temps pour réfléchir aux enjeux de la décision.
TMS ND ND ND
Bien entendu, la décision revient à la patiente et à son conjoint
après avoir reçu une information très complète, orale et si pos- ++++ : effet majeur ; +++ : effet important ; ++ : effet moyen ; + : effet modéré ;
sible écrite, concernant les risques et bénéfices de l’interruption - : données négatives ; ND : non déterminé ; ECT : électroconvulsivothérapie ;
comme de la poursuite du lithium. TMS : stimulation magnétique transcrânienne.
Les données sur la carbamazépine sont très nombreuses et
montrent une augmentation des spina bifida. Il existe un risque
encore plus élevé de tératogénicité en cas de grossesse sous val- ment couplées à une lithiémie intraérythrocytaire. Contrairement
proate, ce qui contre-indique d’emblée son utilisation chez les à l’idée reçue, le lithium n’augmente pas le risque de démence
femmes en âge de procréer. dégénérative et certaines données suggèrent même qu’il présente
Concernant l’allaitement, les données actuelles recueillies chez un effet neuroprotecteur (diminution de la fixation des protéines
les nourrissons sont plutôt rassurantes concernant l’utilisation des tau sur modèles animaux) [12, 28] .
thymorégulateurs [105] , mais des études supplémentaires portant Globalement, quel que soit le choix du thymorégulateur, des
sur les effets à court terme et surtout à long terme sur les nourris- précautions supplémentaires sont à respecter : surveillance plus
sons allaités sont cependant nécessaires et imposent la prudence. fréquente de la fonction rénale ou hépatique en fonction de la
Il est par ailleurs important de rechercher et de traiter des molécule choisie, de ses taux plasmatiques, de l’induction d’une
symptômes prémenstruels chez les patientes, car ceux-ci semblent hypothyroïdie et de la tolérance cardiaque. L’initiation de la
associés à une plus grande résistance au traitement et à des cycles posologie doit se faire à faible dose et rechercher la dose mini-
rapides. male efficace. Prudence avec les antipsychotiques atypiques en
raison du risque majoré d’accidents vasculaires cérébraux et de
syndromes métaboliques, ainsi qu’avec les benzodiazépines qui

“ Point fort peuvent provoquer troubles cognitifs et syndromes confusion-


nels.

• Une contraception efficace doit être envisagée chez les


patientes bipolaires afin de planifier la grossesse.  Conclusion
• Une contraception efficace est requise en cas de trai-
Le traitement du trouble bipolaire est primordial tant
tement par carbamazépine et lithium ; le valproate est
l’importance de ce trouble est grande en termes de morbidité-
contre-indiqué chez les femmes en âge de procréer. mortalité. De nombreuses thérapeutiques existent et se déve-
• La grossesse et le post-partum sont des périodes à risque loppent (Tableau 13). Si les molécules « classiques » comme le
de rechute chez les patientes bipolaires. lithium conservent un rôle central dans la prise en charge de pre-
• Pendant la grossesse, en première intention, propo- mière ligne, les nouvelles molécules et les associations de plusieurs
ser les molécules pour lesquelles les données sont les médicaments entre eux permettent d’améliorer notablement la
plus rassurantes et solides : la lamotrigine, la quétiapine, prise en charge de formes résistantes qui sont fréquentes. Ainsi,
l’olanzapine, l’aripirazole, la rispéridone. la lamotrigine a trouvé une place importante dans la prévention
• En cas d’inefficacité ou de mauvaise tolérance de ces des rechutes dépressives. Certains antipsychotiques atypiques
émergent comme nouveaux traitements dans la prise en charge du
molécules, on peut envisager en deuxième intention le
trouble bipolaire, que ce soit en phase aiguë ou comme prévention
lithium, la carbamazépine.
des rechutes, avec une efficacité sur les épisodes tant maniaques
• Chez les patientes déjà traitées par lithium, la question
que dépressifs.
du maintien pendant la grossesse est évaluée au cas par Les recommandations internationales constituent un cadre
cas. thérapeutique indispensable à connaître pour tous les clini-
ciens ayant à prendre en charge la direction du traitement de
patients bipolaires, mais chaque situation singulière nécessite
une orientation individualisée. Le traitement médicamenteux
Sujets âgés du trouble bipolaire est absolument indispensable et transforme
depuis l’apparition du lithium le pronostic de nos patients. Ce
Le lithium n’est pas contre-indiqué chez les personnes âgées, traitement doit s’accompagner d’une prise en charge globale
sauf en cas d’insuffisance rénale avérée ou de troubles sévères intégrant les aspects psychothérapiques, psychoéducatifs, le sou-
du rythme cardiaque. Les lithiémies méritent d’être surveillées tien de l’entourage et l’aménagement de l’environnement de
plus fréquemment (deux ou trois fois par an) et d’être éventuelle- vie.

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37-860-D-55  Traitement du trouble bipolaire

Toutes ces mesures ont comme préalable un travail d’accepta- sort du cadre classique vertical médecin–patient est une source
tion de la maladie, paramètre déterminant de l’observance et de d’espoir et d’identification positive pour les patients, ainsi qu’une
la compliance, donc du pronostic au long cours. incitation à s’inscrire de façon dynamique dans un processus de
La récupération fonctionnelle après un épisode thymique soin et de réinsertion.
est toujours différée par rapport à la guérison symptomatique
et syndromale [106] . L’atteinte fonctionnelle à plus long terme
n’est que partiellement expliquée par le nombre d’épisodes Déclaration de liens d’intérêts : Adeline Gaillard : conférences, invitations en
maniaques/hypomaniaques. La dépression (y compris les états qualité d’auditeur par Euthérapie, Lundbeck, Janssen, Astra Zeneka, BMSOtsuka.
subsyndromiques) et la déficience neurocognitive persistante sont David Gourion : interventions et conseil scientifique pour Lundbeck, Euthéra-
les corrélats les plus forts du retentissement fonctionnel du trouble pie, Janssen, Astrazeneca et les éditions Vidal.
bipolaire, la personnalité et les facteurs de stress psychosociaux
jouant des rôles secondaires. Les options de traitement pos-
sibles incluent : un traitement plus agressif des états dépressifs  Références
sous-liminaires, des pharmacothérapies qui ciblent la cognition
(par exemple, des stimulants) et des psychothérapies adjointes, [1] Slama F, Bellivier F, Henry C, Rousseva A, Etain B, Rouillon F, et al.
y compris la remédiation cognitive. Les molécules telles que la Bipolar patients with suicidal behavior: toward the identification of a
kétamine ou le pramipexole ont des effets extrêmement encou- clinical subgroup. J Clin Psychiatry 2004;65:1035–9.
rageants, mais leur utilisation reste trop souvent limitée aux [2] Merikangas KR, Jin R, He J-P, Kessler RC, Lee S, Sampson NA,
centres universitaires. D’autres molécules sont à l’étude comme et al. Prevalence and correlates of bipolar spectrum disorder in the
la minocycline, cet antibiotique pouvant exercer des effets anti- World Mental Health Survey Initiative. Arch Gen Psychiatry 2011;68:
dépresseurs dans la dépression bipolaire, en ciblant les cytokines 241–51.
inflammatoires [107] . [3] Scott J, Leboyer M. Consequences of delayed diagnosis of bipolar
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Vers de nouveaux paradigmes de recherche rican Psychiatric Association; 2013.
et de prescription [5] Kessing LV, Willer I, Andersen PK, Bukh JD. Rate and predictors of
conversion from unipolar to bipolar disorder: a systematic review and
La hiérarchie habituelle des niveaux de preuve (de I à IV) place meta-analysis. Bipolar Disord 2017;19:324–35.
en tête de peloton les essais thérapeutiques contrôlés randomisés [6] Ratheesh A, Davey C, Hetrick S, Alvarez-Jimenez M, Voutier C, Bech-
et en dernier les études descriptives. Cette hiérarchie peut mettre dolf A, et al. A systematic review and meta-analysis of prospective
en valeur des résultats incertains trouvés sur de petits échan- transition from major depression to bipolar disorder. Acta Psychiatr
tillons au prétexte que la méthodologie employée est rigoureuse Scand 2017;135:273–84.
au détriment de données observationnelles beaucoup plus solides [7] Goodwin GM, Haddad PM, Ferrier IN, Aronson JK, Barnes T,
recueillies sur de larges échantillons avec une meilleure validité Cipriani A, et al. Evidence-based guidelines for treating bipolar
externe. Fort de cette constatation, la Cochrane Collaboration a disorder: revised third edition recommendations from the British
développé un nouveau modèle méthodologique pour repenser le Association for Psychopharmacology. J Psychopharmacol 2016;30:
495–553.
niveau de preuve : le système GRADE. Ce système, plus flexible,
[8] Keck PE, McElroy SL. Redefining mood stabilization. J Affect Disord
a pour but de relativiser et rééquilibrer le poids des différentes
2003;73:163–9.
données dans l’établissement de nouvelles recommandations. La
[9] Ghaemi SN. On defining “mood stabilizer”. Bipolar Disord
British Association for Psychopharmacology s’est ainsi appuyée
2001;3:154–8.
sur cette nouvelle méthodologie pour édicter ses recommanda-
[10] O’Dowd A. NICE issues new guidance to improve the treatment of
tions dans le traitement du trouble bipolaire [7] .
bipolar disorder. BMJ 2006;333:220.
Parallèlement, l’apparition d’une nouvelle nomenclature basée
[11] Valvassori SS, Resende WR, Dal-Pont G, Sangaletti-Pereira H,
sur les neurosciences (neurosciences based nomenclature [NbN]) Gava FF, Peterle BR, et al. Lithium ameliorates sleep deprivation-
vient bousculer les classifications usuelles en anxiolytiques, induced mania-like behavior, Hypothalamic-Pituitary-Adrenal (HPA)
antidépresseurs, antipsychotiques, anticonvulsivants, etc. qui axis alterations, oxidative stress and elevations of cytokine concen-
manquent aujourd’hui de pragmatisme. En effet, la dépression trations in the brain and serum of mice. Bipolar Disord 2017;19:
n’est pas uniquement traitée par les antidépresseurs, elle peut aussi 246–58.
nécessiter un traitement par anxiolytique ou antipsychotique. De [12] Marmol F. Lithium: bipolar disorder and neurodegenerative
même, les antidépresseurs peuvent être prescrits dans d’autres diseases. Possible cellular mechanisms of the therapeutic effects
indications que la dépression, comme dans les troubles anxieux, of lithium. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2008;32:
les troubles schizophréniques, les douleurs neuropathiques, etc. 1761–71.
L’idée de la NbN est de guider le praticien vers une prescription [13] Storosum JG, Wohlfarth T, Schene A, Elferink A, van Zwieten BJ,
raisonnée où le choix d’une molécule s’appuie sur l’identification van den Brink W. Magnitude of effect of lithium in short-term effi-
d’un mécanisme d’action et d’une cible pharmacologique. cacy studies of moderate to severe manic episode. Bipolar Disord
2007;9:793–8.
[14] Bowden CL, Grunze H, Mullen J, Brecher M, Paulsson B,
Améliorer l’accès aux soins, développer Jones M, et al. A randomized, double-blind, placebo-controlled
le support psychosocial et déstigmatiser efficacy and safety study of quetiapine or lithium as monothe-
rapy for mania in bipolar disorder. J Clin Psychiatry 2005;66:
la maladie 111–21.
[15] Tondo L, Baldessarini RJ, Floris G. Long-term clinical effectiveness
Les troubles psychiques demeurent globalement extrêmement
of lithium maintenance treatment in types I and II bipolar disorders.
stigmatisés. Une prise de conscience sociétale des immenses Br J Psychiatry Suppl 2001;41:S184–90.
dégâts de cette stigmatisation, ainsi que des bénéfices que tous [16] Keck PE, Welge JA, Strakowski SM, Arnold LM, McElroy SL. Placebo
peuvent tirer d’un regard plus positif et d’une meilleure inser- effect in randomized, controlled maintenance studies of patients with
tion des patients, est indispensable. Même si le chemin est encore bipolar disorder. Biol Psychiatry 2000;47:756–61.
long, il y a de nombreuses raisons d’espérer ; la vie associative [17] Geddes JR, Burgess S, Hawton K, Jamison K, Goodwin GM.
très active en est un exemple (UNAFAM, Argos 2001), ainsi que Long-term lithium therapy for bipolar disorder: systematic review
la mise en place et le succès des groupements d’entraide mutuels, and meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Psychiatry
et la réflexion autour de la création d’un véritable statut pour les 2004;161:217–22.
« pairs-aidant ». Ce concept fondamental de « pair-aidant » se base [18] Zhou X, Ravindran AV, Qin B, Del Giovane C, Li Q, Bauer M, et al.
sur le fait que les personnes qui ont vécu et surmonté un trouble Comparative efficacy, acceptability, and tolerability of augmentation
mental ont acquis une expertise spécifique très utile pour soute- agents in treatment-resistant depression: systematic review and net-
nir leurs pairs dans leur rétablissement. Cet accompagnement qui work meta-analysis. J Clin Psychiatry 2015;76:e487–98.

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

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Traitement du trouble bipolaire  37-860-D-55

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Service hospitalo-universitaire, Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
Cabinet, 170, boulevard Haussmann, 75008 Paris, France.
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17, rue des Marronniers, 75016 Paris, France.

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