Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
www.sciencedirect.com
Mémoire
Yassine Otheman a,*, Jalal Doufiq b, Jalal Kasouati c, Azeddine Yahia a, Jamal Mehssani a,
Abderrazzak Ouanass b, Mohammed Zakaria Bichra a
a
Service de psychiatrie, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V, Rabat, Maroc
b
Hôpital universitaire psychiatrique Arrazi, Salé, Maroc
c
Laboratoire de biostatistique et de recherche clinique et épidémiologique, faculté de médecine et de pharmacie de Rabat, Rabat, Maroc
I N F O A R T I C L E R É S U M É
Historique de l’article : Introduction. – L’insight est un concept multidimensionnel utilisé d’abord dans la schizophrénie puis
Reçu le 1er mai 2012 dans plusieurs troubles psychiatriques dont le trouble bipolaire. Son amélioration représente un enjeu
Accepté le 20 février 2013 majeur dans la prise en charge des patients. L’objectif de notre étude était de comparer l’insight dans la
Disponible sur Internet le 18 septembre 2013
schizophrénie et le trouble bipolaire durant les accès et après amélioration, et de vérifier si les facteurs
influençant l’insight dans ces deux troubles sont les mêmes, afin d’en déduire les implications
Mots clés : thérapeutiques.
Insight
Population et méthode. – Nous avons d’abord évalué et comparé l’insight de 46 patients schizophrènes et
Schizophrénie
Trouble bipolaire
41 patients bipolaires en début et en fin d’hospitalisation, en utilisant l’échelle Q8 et l’échelle IS de
Birchwood (avec ses trois sous-échelles). Ensuite, nous avons analysé différents facteurs socio-
démographiques (âge, sexe, profession et situation maritale) et cliniques (antécédents d’hospitalisa-
tions, d’idéations suicidaires, de tentatives de suicide, d’hétéro-agressivité, consommation de drogue,
antécédents familiaux psychiatriques, durée et type de traitement).
Résultats. – L’insight est faible à l’entrée pour les deux populations, avec une nette amélioration chez les
patients bipolaires à la sortie. Les schizophrènes voient s’améliorer relativement leur conscience des
symptômes et du besoin de traitement, alors que leur conscience de la maladie demeure pauvre.
L’analyse multivariée montre que les facteurs qui influencent le score de l’insight chez les deux
populations sont le type de traitement et la présence d’antécédents d’idéations suicidaires.
Conclusions. – Dans la population schizophrène, il semble plus judicieux de travailler sur la conscience
du besoin de traitement. Les mesures psycho-éducatives et les interventions psychothérapiques ciblant
l’amélioration de l’insight sont utiles, mais doivent êtres accompagnées d’une surveillance et d’une prise
en charge des complications dépressives et des velléités suicidaires dans les deux populations.
ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
A B S T R A C T
Keywords: Introduction. – Insight is a multidimensional concept first used in schizophrenia and in several
Bipolar disorder psychiatric disorders including bipolar disorder. Its improvement is a major issue in patient’s treatment.
Insight The aim of our study was to compare insight in schizophrenia and bipolar disorder during and after
Schizophrenia
psychotic and manic episodes, and whether the factors influencing insight in these two disorders are the
same, in order to deduce the therapeutic implications.
Population and method. – We first evaluated and compared insight of 46 schizophrenics and 41 bipolar
patients in the beginning and end of hospitalization, using Q8 scale and Birchwood IS scale (with its three
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : yothman12@yahoo.fr (Y. Otheman).
0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.02.012
364 Y. Otheman et al. / Annales Médico-Psychologiques 172 (2014) 363–368
sub-scales). Then, we analyzed various demographic factors (age, sex, occupation and marital status),
and clinical factors (history of hospitalization, suicidal ideation, suicide attempts, aggression against
others, drug use, psychiatric family history, duration and type of treatment).
Results. – Patients in this study are mostly young adults, male, not living with a partner. Schizophrenic
patients are less well integrated in terms of profession and family. At the beginning of hospitalization,
insight is low for both populations, but it is relatively better in bipolar patients with a greater awareness
of symptoms. We observed a marked improvement in all dimensions of insight in patients with bipolar
disorder at the end of hospitalization. Schizophrenic patients improved their awareness of symptoms
and need of treatment, while their awareness of the disease remains poor. Multivariate analysis shows
that factors influencing the scores of insight for both populations are: the type of treatment (atypical
antipsychotics for schizophrenics and mood stabilizers for bipolar patients) and the presence of a
personal history of suicidal ideation.
Conclusions. – In schizophrenic population, it seems more appropriate to work on the consciousness of
the need for treatment. Psycho-educational measures and psychotherapeutic interventions targeting the
improvement of insight are useful but must be accompanied with monitoring and management of
depressive complication and suicidal tendencies in both populations.
ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
3. Patients et méthode
Dans notre étude, on gardera les deux catégories : présence d’un
3.1. Population étudiée bon insight, pour un score supérieur ou égal à six, et absence de bon
insight pour un score inférieur à six.
Notre étude a porté sur 87 patients, dont 41 bipolaires en
période d’accès maniaque et 46 schizophrènes en période de 3.2.2. L’échelle IS
décompensation psychotique, et ce à l’occasion de leur hospita- C’est un auto-questionnaire, élaboré par Birchwood et al. [7],
lisation sous contrainte en service de psychiatrie. Les patients traduit en français par S. Linder et J. Favrod en 2006. Il s’agit de huit
inclus répondent aux critères diagnostiques du DSM-IV-TR pour la affirmations :
schizophrénie de type paranoı̈de, et le trouble bipolaire type I en
accès maniaque au moment de l’admission. Les patients présentant certains des symptômes ont été créés par mon imagination ;
des comorbidités psychiatriques, somatiques ou un trouble de je me sens psychologiquement bien ;
personnalité ont été exclus de l’étude. je n’ai pas besoin de traitement médicamenteux ;
mon séjour à l’hôpital était nécessaire ;
3.2. Outils d’évaluation le médecin a raison de me prescrire ce traitement
médicamenteux ;
L’insight dans ces deux populations a été évalué à l’aide de deux je n’ai pas besoin d’être vu(e) par un médecin ou un
instruments : l’échelle Q8 et l’échelle de Bischwood IS (insight scale). psychiatre ;
Y. Otheman et al. / Annales Médico-Psychologiques 172 (2014) 363–368 365
Tableau 1 Tableau 2
Caractéristiques sociodémographiques et cliniques. Score de l’insight chez les deux populations, selon les échelles Q8 et IS, à l’entrée et à
la sortie de l’hôpital.
Caractéristiques Schizophrènes Bipolaires
n (%) n (%) Schizophrènes Bipolaires pa
m (ET) m (ET) med [IQ] med [IQ]
med [IQ] med [IQ]
À l’entrée
Âge (ans) 28,2 8,9 32,5 12,8 Q8 1 [0–3] 2 [0–4] 0,06
Sexe IS 2 [0–4] 3 [1–5] 0,02
Hommes 29 (63) 26 (63,4) À la sortie
Femmes 17 (37) 15 (36,6) Q8 4 [2–6] 7 [7–7,5] < 0,01
Activité Prof IS 6 [4–10] 12 [10,5–13,5] < 0,01
Oui 16 (34,8) 22 (53,7)
Les données en gras : différence statistiquement significative.
Non 30 (65,2) 19 (46,3) a
Test de Mann-Whitney.
Situation maritale
Seul 38 (82,6) 29 (70,7)
En couple 8 (17,4) 12 (29,3) caractéristiques de ces deux populations sont détaillées dans
Début des troubles (ans) 2 [1–6] 5 [2–15] le Tableau 1.
ATCD hospitalisation
Non 30 (65,2) 18 (43,9)
4.2. Scores d’insight
1 fois 4 (8,7) 10 (24,4)
2 fois ou plus 12 (26,1) 13 (31,7)
ATCD TS 4 (8,7) 4 (9,8) Les scores d’insight à l’entrée de l’hôpital sont faibles pour les
ATCD Id S 10 (21,7) 13 (31,7) deux populations, mais l’insight est moins pauvre chez les patients
ATCD HA 38 (82,6) 33 (80,5)
bipolaires selon l’échelle IS. À la sortie de l’hôpital, les scores
ATCD PF 6 (13) 12 (29,3)
Consommation de drogue 22 (47,8) 18 (43,9) évoluent globalement de façon positive, avec une nette améliora-
Durée du traitement (ans) 1 [1–4] 4 [1,5–15] tion pour la population bipolaire selon les deux échelles utilisées
Type du traitement (Tableau 2).
APC 28 (60,9) 2 (4,9)
APA 18 (39,1) 16 (39)
4.3. Qualité de l’insight
APA + RH 0 3 (7,3)
RH 0 20 (48,8)
Durée hospitalisation 35 [26–60] 34,5 14,2 Il n’existe pas de différence statistiquement significative entre
Les variables quantitatives sont exprimées en moyenne et écart-type : m ET quand les patients schizophrènes et bipolaires en matière de qualité de
le distribution est symétrique, et en médiane et interquartile : med [IQ], quand la l’insight à l’entrée de l’hôpital, alors qu’à la sortie, tous les patients
distribution est asymétrique. Les variables qualitatives sont exprimées en nombre et bipolaires ont un bon insight selon l’échelle Q8, et 95,1 % selon
pourcentage : n (%). l’échelle IS, avec une nette différence entre les deux populations en
prof : professionnelle ; ATCD TS : antécédent de tentative de suicide ; Id S : idéation
faveur des patients bipolaires (Tableau 3).
suicidaire ; HA : hétéro-agressivité ; PF : psychiatrique familial ; APC : antipsychotique
classique ; APA : antipsychotique atypique ; RH : régulateur de l’humeur.
4.4. Sous-échelles IS
si quelqu’un disait que j’avais une maladie nerveuse ou mentale il À l’entrée de l’hôpital, il existe plus de patients bipolaires qui
aurait raison ; ont une conscience des symptômes, alors qu’il n’y a pas de
aucune des choses inhabituelles que j’ai vécues n’est due à une différence significative en ce qui concerne la conscience de la
maladie. maladie et du besoin de traitement entre les deux populations. À la
fin de l’hospitalisation, la présence d’un bon insight dans les trois
Les réponses sont de trois types : en accord, en désaccord ou sous-échelles est clairement plus importante chez les bipolaires.
incertain(e). Chaque réponse est cotée de zéro à deux, avec un bon Les schizophrènes voient s’améliorer leur conscience des symp-
insight à partir d’un score égal à neuf. tômes et du besoin de traitement, alors que leur conscience de la
En plus du score général, cette échelle permet de distinguer la maladie demeure pauvre (Tableau 4).
qualité de l’insight pour trois dimensions : la conscience des
symptômes, la conscience de la maladie et le besoin de traitement. 4.5. Facteurs associés à l’insight à l’entrée à l’hôpital
Tableau 5
Facteurs influençant les scores de l’insight à l’entrée (analyse multivariée : régression linéaire).
Score Q8 Score IS
Âge 0,42 ( 0,07–0,23) 0,27 0,05 ( 0,36–0,34) 0,95 0,62 (0,01–0,33) 0,05 1,03 ( 0,7–0,21) 0,29
Sexe 0,06 ( 1,08–0,66) 0,63 0,04 ( 1,68–1,33) 0,81 0,06 ( 0,64–1,27) 0,5 0,07 ( 2,4–1,46) 0,62
Activité Prof 0,14 ( 1,97–0,9) 0,47 0,18 ( 3,29–1,72) 0,52 0,02 ( 1,47–1,63) 0,91 0,12 ( 2,53–3,9) 0,68
Situation maritale 0,62 ( 4,83– 0,84) < 0,01 0,3 ( 4,44–1,55) 0,33 0,7 ( 6,58– 2,17) < 0,01 0,12 ( 4,63–3,05) 0,68
ATCD Hosp 0,61 (0,46–1,99) < 0,01 < 0,01 ( 1,76–1,76) 1 0,42 (0,3–2) 0,01 0,02 ( 2,17–2,33) 0,94
ATCD TS 0,11 ( 3,26–1,93) 0,6 0,16 ( 2,92–5,33) 0,55 0,04 ( 3,23–2,5) 0,79 0,04 ( 4,86–5,72) 0,87
ATCD IS 0,45 (0,51–3,34) 0,01 0,3 ( 0,88–3,75) 0,21 0,73 (2,68–5,8) < 0,01 0,44 ( 0,2–5,72) 0,06
ATCD HA 0,18 ( 2,38–0,65) 0,25 0,08 ( 3,3–2,4) 0,75 0,22 ( 3,06–0,27) 0,1 0,35 ( 6,18–1,1) 0,16
Conso drogues 0,2 ( 0,74–2,12) 0,33 0,12 ( 1,89–2,98) 0,65 0,3 ( 0,15–3) 0,07 0,1 ( 2,5–3,74) 0,69
ATCD PF 0,09 ( 1,98–1,09) 0,56 0,06 ( 1,84–2,43) 0,78 0,13 ( 2,64–0,74) 0,26 0,1 ( 3,39–2,07) 0,62
Durée TRT 0,58 ( 0,13–0,5) 0,25 0,2 ( 0,28–0,38) 0,77 0,68 ( 0,06–0,64) 0,09 0,51 ( 0,26–0,59) 0,43
TYPE TRT 0,06 ( 1,44–1,04) 0,74 0,17 ( 0,34–0,82) 0,41 0,31 ( 2,87– 0,14) 0,03 0,41 (0,03–1,53) 0,04
IC : intervalle de confiance à 95 % ; p : seuil de significativité à 0,05 ; prof : professionnelle ; ATCD Hosp : antécédent d’hospitalisation ; TS : tentative de suicide ; IS : idéation
suicidaire ; HA : hétéro-agressivité ; Conso drogues : consommation de drogues ; PF : psychiatrique familial ; TRT : traitement.
Les données en gras : différence statistiquement significative.
Tableau 6
Facteurs influençant les scores de l’insight à la sortie (analyse multivariée : régression linéaire).
Score Q8 Score IS
Âge 0,58 ( 0,02–0,26) 0,09 0,82 ( 0,13–0,04) 0,28 1,1 (0,18–0,7) < 0,01 0,31 ( 0,31–0,41) 0,79
Sexe 0,04 ( 0,84–0,81) 0,97 0,19 ( 0,62–0,08) 0,12 0,14 ( 0,44–2,53) 0,5 0,07 ( 1,87–1,24) 0,68
Activité prof* 0,07 ( 1,07–1,58) 0,7 0,38 ( 0,06–1,1) 0,08 0,1 ( 3,14–1,66) 0,91 0,19 ( 1,79–3,38) 0,53
Situation maritale 0,77 ( 5,63– 1,85) < 0,01 0,23 ( 1,04–0,35) 0,31 0,62 ( 9,23– 2,41) < 0,01 0,46 ( 5,2–0,98) 0,17
ATCD Hos* 0,55 (0,43–1,87) < 0,01 0,05 ( 0,45–0,36) 0,83 0,68 (1,49–4,11) 0,01 0,22 ( 1,27–2,36) 0,54
ATCD TS* 0,17 ( 3,2–1,7) 0,54 0,58 ( 2,28– 0,37) < 0,01 0,23 ( 7,3–1,54) 0,79 0,05 ( 3,91–4,6) 0,87
ATCD IS* 0,33 (0,11–2,78) 0,03 0,67 (0,44–1,52) < 0,01 0,6 (2,82–7,64) < 0,01 0,26 ( 1,21–3,57) 0,32
ATCD HA* 0,13 ( 0,8–2,05) 0,38 0,37 ( 1,29–0,02) 0,06 0,07 ( 3,27–1,9) 0,1 0,04 ( 2,73–3,13) 0,89
Conso drogue* 0,03 ( 1,24–1,47) 0,87 0,01 ( 0,57–0,56) 0,99 0,08 ( 1,82–3,05) 0,07 0,04 ( 2,68–2,34) 0,89
ATCD PF* 0,36 (0,5–3,4) 0,01 0,18 ( 0,76–0,22) 0,27 0,14 ( 1,13–4,12) 0,26 0,11 ( 1,68–2,71) 0,63
Durée TRT* 0,4 ( 0,17–0,43) 0,37 0,93 ( 0,01–0,14) 0,07 0,16 ( 0,44–0,64) 0,09 0,46 ( 0,23–0,45) 0,52
TYPE TRT 0,29 ( 0,07–2,28) 0,06 0,13 ( 0,07–0,19) 0,38 0,14 ( 1,07–3,17) 0,03 0,18 ( 0,34–0,86) 0,68
IC : intervalle de confiance à 95 % ; p : seuil de significativité à 0,05 ; prof : professionnelle ; ATCD Hosp : antécédent d’hospitalisation ; TS : tentative de suicide ; IS : idéation
suicidaire ; HA : hétéro-agressivité ; Conso drogues : consommation de drogues ; PF : psychiatrique familial ; TRT : traitement.
Les données en gras : différence statistiquement significative.
Y. Otheman et al. / Annales Médico-Psychologiques 172 (2014) 363–368 367
pauvre chez ces patients [33,36]. Toutefois, les scores d’insight sont plus, la présence d’un bon insight, le fait de vivre en couple et
significativement moins pauvres chez les patients bipolaires. Ces d’avoir une activité professionnelle constituent des éléments
données sont généralement admises par la plupart des auteurs, importants pour une meilleure qualité de vie chez les patients
qui, d’une part, affirment que les patients schizophrènes ont une schizophrènes [11]. Par ailleurs, les scores de l’insight selon
moindre conscience de leur trouble comparativement aux patients l’échelle IS augmentent avec l’âge chez les patients schizophrènes,
bipolaires [25,29] et, d’autre part, que l’insight chez ces derniers est ce qui pourrait correspondre à une prise de conscience des
surtout altéré pour ceux qui présentent un trouble bipolaire du symptômes et de l’intérêt du traitement qui s’installe avec les
type I, notamment en période d’accès maniaque [14,41]. Dans son expériences de plusieurs rechutes psychotiques. Mais ce facteur
étude, Amador [4] avait trouvé des scores comparables entre les d’âge n’a pas toujours été signalé par les auteurs, ainsi, Ritsner et al.
patients présentant une symptomatologie maniaque sévère et des [31] n’ont pas trouvé de lien entre l’insight et l’âge, alors que leurs
patients schizophrènes. résultats confirment ceux de notre étude concernant l’absence de
L’évolution positive des scores de l’insight chez les schizo- lien entre l’insight et le sexe des patients.
phrènes et les bipolaires à la fin de l’hospitalisation, qui correspond La présence d’antécédents d’idéations suicidaires est liée à des
à une phase d’amélioration clinique, a été retrouvée par la plupart scores élevés d’insight chez les patients schizophrènes, aussi bien à
des auteurs [13,26,41]. L’amélioration nette de la conscience de la l’entrée qu’à la sortie de l’hôpital, et ce pour les deux échelles, alors
maladie chez les bipolaires confirme les données de la littérature que pour les patients bipolaires, les antécédents d’idéations
qui considèrent que l’absence de l’insight dans la manie est un état suicidaires et de tentatives de suicide sont liés à des scores élevés
transitoire et non un trait de la maladie, et qu’il dépend donc de la d’insight à la sortie de l’hôpital selon l’échelle Q8. Ces facteurs sont
sévérité du tableau clinique, contrairement à ce qui est observé donc les plus retrouvés dans notre étude dans les deux
dans la schizophrénie [12,16,27,29]. populations. Cela s’explique surtout par le fait que la prise de
Dans notre étude, nous avons également mesuré les différentes conscience du caractère pathologique des troubles, de leurs
dimensions de l’insight représentées dans l’échelle IS, que sont la conséquences et de la stigmatisation qu’ils engendrent, peut être
conscience d’avoir un trouble mental, la conscience d’avoir besoin responsable d’une altération de l’estime de soi et d’une augmenta-
d’un traitement et la perception des symptômes. Ces dimensions tion des affects dépressifs avec une majoration du risque
sont reconnues pour leur intérêt dans les travaux empiriques sur la suicidaire. La présence d’un lien entre l’insight, la dépression et
conscience du trouble [8]. Les résultats de notre étude concernant le risque suicidaire a été largement débattue, et la plupart des
ces dimensions montrent la présence d’une différence entre ces auteurs confirment cette association, aussi bien chez les schizo-
deux populations au début de l’hospitalisation par rapport à la phrènes que chez les bipolaires [10,23,27,32]. Cependant, il faut
conscience des symptômes, qui serait plus développée chez les garder à l’esprit que le manque d’insight constitue aussi un facteur
bipolaires. Les études restent peu abondantes dans ce domaine, et de risque de passage à l’acte auto- et hétéro-agressif [19,29], et que
la relation entre les différentes dimensions de l’insight reste peu le travail psychothérapique qui vise cette composante doit prendre
explorée [4,20,42]. Néanmoins, Varga et al. [39] ont confirmé que le en considération tous ces aspects et adapter pour chaque type de
manque d’insight chez les bipolaires concerne surtout la non- patient une attitude spécifique à son trouble, sa symptomatologie
attribution des symptômes à la maladie. L’évolution des scores et son contexte psychosocial [38]. Ainsi, dans la population
dans les sous-échelles IS dans notre étude démontre que schizophrène, il semble plus judicieux de travailler sur la prise de
l’amélioration clinique chez les patients schizophrènes s’accom- conscience des symptômes et surtout sur le besoin de traitement,
pagne d’une relative prise de conscience des symptômes et du dont l’amélioration serait plus bénéfique en matière de prévention
besoin du traitement. Ce fait, qui a été aussi constaté par Weiler de rechutes et d’adaptation sociale par rapport à la prise de
et al. [41], pourrait être dû au fait que ces patients présentaient une conscience de la maladie [21,30]. La prise en charge de ces patients
symptomatologie positive prédominante, qui serait selon certains doit tenir compte de ces éléments, en insistant en particulier sur les
auteurs un facteur prédictif de l’amélioration de l’insight [35,41], bénéfices apportés par le traitement, mais aussi sur les croyances
sans atteindre une réelle prise de conscience de la maladie. relatives aux antipsychotiques, ce qui permet d’optimiser l’obser-
Les facteurs influençant l’insight chez les schizophrènes en vance et l’adhésion thérapeutique [22,28]. Pour les patients
début d’hospitalisation n’ont pas été retrouvés chez les patients bipolaires, et même si les résultats de notre étude montrent qu’on
bipolaires, sauf pour le type de traitement, qui est significative- peut obtenir une prise de conscience totale du trouble, il serait
ment lié aux scores de l’insight dans les deux populations. Ainsi, les souhaitable de commencer d’abord par l’amélioration de l’insight
schizophrènes sous antipsychotiques atypiques sont plus cons- en matière de besoin du traitement, qui est liée à un bon pronostic
cients de leur troubles que ceux sous antipsychotiques classiques, [24,45]. Plusieurs auteurs ont confirmé l’utilité des mesures
et les bipolaires sous régulateurs de l’humeur ont un meilleur psycho-éducatives précoces et des interventions psychothérapi-
insight que ceux qui sont sous antipsychotiques atypiques ou sous ques individuelles et de groupe. Parmi les méthodes utilisées, les
association des deux médications ; même s’il est plus probable que techniques cognitivo-comportementales et motivationnelles ont
le type de traitement soit lui-même lié à la sévérité des symptômes montré leur intérêt, notamment en utilisant les techniques de mise
dont l’absence d’insight est l’un des éléments, les données de la en situation, les expériences des autres patients et les documents
littérature dans ce domaine restent contradictoires [1,18]. écrits et audiovisuels [2,5]. Ces mesures permettent d’améliorer les
Dans la population des patients schizophrènes, les scores de différents niveaux de la conscience du trouble, en insistant sur la
l’insight sont plus élevés chez ceux qui ont plusieurs antécédents reconnaissance des facteurs déclenchants, l’identification des
d’hospitalisations par rapport à ceux qui sont hospitalisés pour la signes annonçant une rechute et l’évaluation des conséquences
première fois. Les données de la littérature sont encore divergentes de l’arrêt du traitement, avec comme objectif final d’atteindre une
sur ce point ; ainsi, l’étude de Thomson et al. [37] avait attribué meilleure alliance thérapeutique [15,34,44]. Les indications pré-
moins d’insight aux patients présentant un premier épisode cises et l’organisation de ces interventions sont encore peu
psychotique, alors que Varga et al. [39] n’ont pas trouvé de étudiées et requièrent une attention particulière dans l’avenir.
corrélation entre le nombre d’hospitalisations et l’insight. Il faut enfin noter que la prévalence élevée des idéations
Dans notre étude, le fait de ne pas vivre en couple est lié à des suicidaires en rapport avec des scores élevés d’insight oblige à ce
scores pauvres d’insight, ce qui souligne l’importance de la que ce travail thérapeutique soit accompagné d’une valorisation de
présence d’une personne proche du patient et du soutien familial l’estime de soi et d’un véritable monitoring des affects négatifs et
en général, qui facilite la réhabilitation de ces patients [17]. De des pensées de désespoir afin de dépister, gérer et, si nécessaire,
368 Y. Otheman et al. / Annales Médico-Psychologiques 172 (2014) 363–368
traiter à temps des complications dépressives ou des velléités [17] Glynn SM. Psychiatric rehabilitation in schizophrenia: advances and chal-
lenges. Clin Neurosci Res 2003;3:23–33.
suicidaires [6]. [18] Goldberg RW, Green-Paden LD, Lehman AF, Gold JM. Correlates of insight in
Cette étude est limitée par le fait que les facteurs étudiés ne serious mental illness. J Nerv Ment Dis 2001;189:137–45.
couvrent pas tous les aspects cliniques, sociodémographiques, [19] González-Ortega I, Mosquera F, Echeburúa E, González-Pinto A. Insight, psy-
chosis and aggressive behavior in mania. Eur J Psychiatr 2010;24:70–7.
psychopathologiques et neurocognitifs qui peuvent interférer avec [20] González-Suárez B, Gomar JJ, Pousa E, Ortiz-Gil J, Garcı́a A, Salvador R, et al.
le degré de l’insight, notamment en ce qui concerne la présence Awareness of cognitive impairment in schizophrenia and its relationship to
d’éléments psychotiques chez les patients bipolaires, et la sévérité insight into illness. Schizophr Res 2011;133:187–92.
[21] Granholm E, McQuaid JR, McClure FS, Auslander LA, Perivoliotis D, Pedrelli P,
des symptômes psychotiques chez les schizophrènes. Sur le plan et al. Randomized controlled trial of cognitive behavioral social skills training
psychométrique, les résultats étaient parfois différents selon for older people with schizophrenia: 12-month follow-up. J Clin Psychiatry
l’échelle utilisée, mais les tendances générales sont respectées. 2007;68:730–7.
[22] Kampman O, Laippala P, Vaananen J, Koivisto E, Kiviniemi P, Kilkku N, et al.
Indicators of medication compliance in first-episode psychosis. Psychiatr Res
6. Conclusion 2002;110:39–48.
[23] Kim CH, Jayathilake K, Meltzer HY. Hopelessness, neurocognitive function, and
insight in schizophrenia: relationship to suicidal behavior. Schizophr Res
Il est actuellement admis que l’insight est lié à une bonne
2003;60:71–80.
observance thérapeutique et à un meilleur pronostic, aussi bien [24] Kleindienst N, Greil W. Are illness concepts a powerful predictor of adherence
dans la schizophrénie que dans le trouble bipolaire. Les caractères to prophylactic treatment in bipolar disorder? J Clin Psychiatry 2004;65:
966–74.
multidimensionnel et trans-nosographique de l’insight impliquent
[25] Masson M, Azorin JM, Bourgeois ML. La conscience de la maladie dans les
des interventions ciblées et individualisées. Notre étude confirme troubles schizophréniques, schizo-affectifs, bipolaires et unipolaires de
l’intérêt d’adapter le travail sur l’insight pour chacun des deux l’humeur : résultats d’une étude comparative de 90 patients hospitalisés.
troubles, en insistant sur la prise de conscience du besoin du Ann Med Psychol 2001;159:369–74.
[26] Mintz AR, Addington J, Addington D. Insight in early psychosis: a 1-year
traitement pour les schizophrènes. Elle corrobore aussi les follow-up. Schizophr Res 2004;67:213–7.
résultats des études précédentes ayant associé l’amélioration de [27] Mintz AR, Dobson KS, Romney DM. Insight in schizophrenia: a meta-analysis.
l’insight avec un risque suicidaire plus élevé, suggérant ainsi une Schizophr Res 2003;61:75–88.
[28] Paillot CM, Ingrand P, Ingrand I, Jaafari N. L’insight et les croyances relatives
attention particulière à ce stade de la prise en charge. aux médicaments influencent l’observance médicamenteuse dans la schizo-
phrénie. Ann Med Psychol 2011;169:446–8.
Déclaration d’intérêts [29] Raffarda S, Bayardb S, Capdevielle D, Garciaa F, Boulengera JP, Gely-Nargeotb
MC. La conscience des troubles (insight) dans la schizophrénie : une revue
critique. Partie I : insight et schizophrénie, caractéristiques cliniques de
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en l’insight. Encephale 2008;34:597–605.
relation avec cet article. [30] Rathod S, Kingdon D, Smith P, Turkington D. Insight into schizophrenia: the
effects of cognitive behavioural therapy on the components of insight and
association with socio-demographics data on a previously published random-
Références ised controlled trial. Schizophr Res 2005;74:211–9.
[31] Ritsner MS, Blumenkrantz H. Predicting domain-specific insight of schizo-
[1] Aguglia E, De Vanna M, Onor ML, Ferrara D. Insight in persons with schizo- phrenia patients from symptomatology, multiple neurocognitive functions,
phrenia: effects of switching from conventional neuroleptics to atypical anti- and personality related traits. Psychiatr Res 2007;149:59–69.
psychotics. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2002;26:1229–33. [32] Saeedi H, Addington J, Addington D. The association of insight with psychotic
[2] Amador XF. Comment faire accepter son traitement au malade. Paris: Retz; symptoms, depression, and cognition in early psychosis: a 3-year follow-up.
2007. Schizophr Res 2007;89:123–8.
[3] Amador XF, David AS. Insight and psychosis, 2nd ed, New York: Oxford [33] Schuepbach D, Goetz I, Boeker H, Hell D. Voluntary vs. involuntary hospital
University Press; 2004. admission in acute mania of bipolar disorder: results from the Swiss sample of
[4] Amador XF, Flaum M, Andreasen NC, Strauss DH, Yale SA, Clark SC, et al. the EMBLEM study. J Affect Disord 2006;90:57–61.
Awareness of illness in schizophrenia and schizoaffective and mood disorders. [34] Segarra R, Ojeda N, Penã J, Garcı̆a J, Rodriguez-Morales A, Ruiz I, et al.
Arch Gen Psychiatry 1994;51:826–36. Longitudinal changes of insight in first episode psychosis and its relation to
[5] Basco MR. Le trouble bipolaire, Manuel d’exercices pour une meilleure qualité clinical symptoms, treatment adherence and global functioning: one-year
de vie. Socrate Éditions Promarex; 2008. follow-up from the Eiffel study. Eur Psychiatry 2012;27:43–9.
[6] Billiet C, Antoine P, Lesage R, Sangare ML. La perception des bénéfices du [35] Smith TE, Hull JW, Huppert JD, Silverstein SM, Anthony DT, McClough JF.
traitement. Ann Med Psychol 2009;167:745–52. Insight and recovery from psychosis in chronic schizophrenia and schizoaf-
[7] Birchwood M, Smith J, Drury V, Healy J, Macmillan F, Slade M. A self-report fective disorder patients. Psychiatr Res 2004;38:169–76.
Insight Scale for psychosis: reliability, validity and sensitivity to change. Acta [36] Sturman ED, Sproule BA. Toward the development of a Mood Disorders Insight
Psychiatr Scand 1994;89:62–7. Scale: modification of Birchwood’s Psychosis Insight Scale. J Affect Disord
[8] Bourgeois ML. La conscience du trouble en psychiatrie. II. Travaux empiriques 2003;77:21–30.
actuels. La mesure de l’insight. Ann Med Psychol 2000;158:209–24. [37] Thompson KN, McGorry PD, Harrigan SM. Reduced awareness of illness in
[9] Bourgeois ML, Koleck M, Jais E. Validation de l’échelle d’insight Q8 et évalua- first-episode psychosis. Compr Psychiatry 2001;42:498–503.
tion de la conscience de la maladie chez 121 patients hospitalisés en psychia- [38] Varga M, Magnusson A, Flekkøy K, David AS, Opjordsmoen S. Clinical and
trie. Ann Med Psychol 2002;160:512–7. neuropsychological correlates of insight in schizophrenia and bipolar I disor-
[10] Bouvet C, Ettaher N, Diot E. Insight, dépression, estime de soi et satisfaction de der: does diagnosis matter? Compr Psychiatry 2007;48:583–91.
vie chez des personnes souffrant de schizophrénie. Evol Psychiatr (Paris) [39] Varga M, Magnusson A, Flekkøy K, Rønneberg U, Opjordsmoen S. Insight,
2010;75:471–83. symptoms and neurocognition in bipolar I patients. J Affect Disord 2006;97:
[11] Boyer L, Aghababian V, Richieri R, Loundou A, Padovani R, Simeoni MC, et al. 1–9.
Insight into illness, neurocognition and quality of life in schizophrenia. Prog [40] Verdoux H, Lengronne J, Liraud F, Gonzales B, Assens F, Abalan F, et al.
Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2012;36:271–6. Medication adherence in psychosis: predictors and impact on outcome. A
[12] Braw Y, Sitman R, Sela T, Erez G, Bloch Y, Levkovitz Y, et al. Comparison of 2-year follow-up of first-admitted subjects. Acta Psychiatr Scand 2000;102:
insight among schizophrenia and bipolar disorder patients in remission of 203–10.
affective and positive symptoms: analysis and critique. Eur Psychiatry [41] Weiler MA, Mark H, Fleisher M, Delores Mc AC. Insight and symptom change in
2012;27(8):612–8. schizophrenia and other disorders. Schizophr Res 2000;45:29–36.
[13] Bressi C, Porcellana M, Marinaccio PM, Nocito EP, Ciabatti M, Magri L, et al. The [42] Wiffen BDR, Rabinowitz J, Lex A, David AS. Correlates, change and ‘‘state or
association between insight and symptoms in bipolar inpatients: an Italian trait’’ properties of insight in schizophrenia. Schizophr Res 2010;122:94–103.
prospective study. Eur Psychiatry 2012;27(8):619–24. [43] Wittorf A, et al. The influence of baseline symptoms and insight on the
[14] Dias VV, Brissos S, Frey BN, Kapczinski F. Insight, quality of life and cognitive therapeutic alliance early in the treatment of schizophrenia. Eur Psychiatry
functioning in euthymic patients with bipolar disorder. J Affect Disord 2009;24:259–67.
2008;110:75–83. [44] Yen CF, Chen CS, Yang ML, Kera JH, Yang SJ, Yen JY. Correlates of insight among
[15] Gay C. Place des mesures psycho-éducatives dans le traitement des troubles de patients with bipolar I disorder in remission. J Affect Disord 2004;78:57–60.
l’humeur. Inf Psychiatr 2005;81:897–902. [45] Yen CF, Chen CS, Yen JY, Ko CH. The predictive effect of insight on adverse
[16] Ghaemi SN, Rosenquist KJ. Is insight in mania state-dependent? A meta- clinical outcomes in bipolar I disorder: a two-year prospective study. J Affect
analysis. J Nerv Ment Dis 2004;192:771–5. Disord 2008;108:121–7.