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n Introduction
La période qui précède l’émergence des troubles psychotiques suscite
actuellement intérêts et questionnements dans les champs de la recherche
clinique et du soin en psychiatrie. Elle est mal connue, tant du point de vue
de l’intervention à attendre des professionnels concernés, que de la façon
dont elle est vécue par le sujet et par son entourage. Elle constitue pourtant
un moment probablement crucial, où peut se franchir la frontière entre nor-
mal et pathologique, et où la diversité des parcours renvoie à de nombreux
facteurs de type sociologique.
La nécessité de mieux connaître les parcours des personnes, la place de leur
entourage et l’implication des professionnels s’est imposée lors de la mise
en place d’un réseau de détection et de soins précoces des troubles psycho-
tiques. Mais plus largement, la diffusion de l’idée d’une détection précoce
des psychoses, la sollicitation accrue des équipes de psychiatrie à propos de
personnes jeunes et considérées comme « à risque » ou présentant des
tableaux cliniques « limites » et les questionnements sur les modes de prise
en charge qui s’ensuivent sont autant de motifs qui incitent à collecter des
données plus fines sur la situation actuelle et à analyser ses enjeux.
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Évolution diachronique des troubles : certaines personnes présentant des signes de « vulnérabilité »,
(caractéristiques non « pathologiques ») vont présenter des signes « prodromiques », précédant la
phase de transition vers le premier épisode psychotique (profil a). Aucune de ces transitions n’est iné-
luctable. En particulier, la plupart des sujets « vulnérables » n’évolueront jamais vers un état patholo-
gique. De même, certains sujets présentant des signes « prodromiques » n’évolueront pas vers un état
psychotique constitué (profil b). D’où l’intérêt de préférer la notion d’état mental à « haut risque » de
transition psychotique, plutôt que la notion de prodromes.
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pour mieux appréhender cette période et le parcours qui mène à une pre-
mière prise en charge en psychiatrie. En d’autres termes, il s’agit d’un
moment qui doit être appréhendé selon un point de vue sociologique, et non
seulement clinique.
Cela revient à considérer la maladie mentale, comme toute maladie, dans sa
dimension de construction sociale, négociée entre la personne concernée,
les professionnels intervenants (médicaux et sociaux), et les proches. Il
s’agit alors de s’intéresser, non pas à la maladie d’un patient comme un
ensemble de symptômes physiques ou psychologiques concrets, mais
comme un objet approché par tous ces acteurs. Une caractéristique de cette
construction est qu’elle s’élabore de façon diachronique, parallèlement à
l’apparition des troubles et l’historique « clinique ». La période qui précède
l’entrée dans ce que Goffman (1968) appelle « carrière de malade mental »
est cruciale dans la mesure où s’y jouent les incertitudes sur la frontière
entre normal et pathologique. Pour les personnes et leur entourage, cela met
en jeu une redéfinition de l’identité de l’individu, dans la période déjà ins-
table de l’adolescence. Les observations doivent mener à des décisions
d’orientations et de prises en charge. Le parcours de l’individu se construit
ainsi au fur et à mesure des interactions avec les différentes catégories
d’acteurs (de soins ou non, le rôle du milieu scolaire étant en ce sens cru-
cial), en fonction des ressources dont disposent et que mobilisent à la fois
intervenants, sujet, et entourage. On sait peu aujourd’hui quels sont les dif-
férents parcours possibles, quels éléments les influencent et, en particulier,
quels rôles jouent les acteurs sociaux, de la santé, mais également la famille
et quels sont les processus de décision. Les filières de soins en psychiatrie
restent, en France, largement inexplorées d’un point de vue sociologique
(Velpry, 2001). Les parcours sont davantage encore méconnus en ce qui
concerne la période qui précède l’émergence des troubles psychotiques, en
amont d’un suivi en psychiatrie. On peut d’ailleurs supposer qu’ils sont très
diversifiés, car dépendant de multiples intervenants et, de ce fait, difficiles à
appréhender.
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Quoi qu’il en soit, cette attention peut prendre plusieurs formes, dont certai-
nes sont encore à inventer et évaluer, des soins spécifiques n’en étant
qu’une modalité réservée aux sujets à « très haut risque ».
L’approche éducative va jouer dans ce contexte un rôle essentiel, qu’il
s’agisse d’éducation à la santé et aux mesures hygiéno-diététiques appro-
priées, de prévention des usages et abus de substances psychoactives, ou
d’apprendre à identifier les symptômes d’alerte justifiant de demander une
aide appropriée.
Les pays anglo-saxons utilisent depuis longtemps le « case management »,
qui prend toute sa pertinence dans ce contexte (Yung et al., 2003a ; Malla et
al., 2003). Des référents (éducateurs, travailleurs sociaux, infirmiers)
s’identifient auprès des sujets et leur proposent une aide et un accompagne-
ment dans les actes de la vie quotidienne, dans le souci de répondre à leurs
besoins, en particulier sociaux, éducatifs, relationnels, financiers... Cette
approche est particulièrement utile pour des sujets réticents à consulter un
médecin (quel qu’il soit) car elle permet de leur conserver l’attention qu’ils
requièrent, comme de gagner progressivement leur confiance pour qu’ils
acceptent également l’aide psychologique dont ils ont besoin. Sa validité en
terme de sécurité pour le patient et d’efficacité reste cependant à confirmer.
La mise en route d’un traitement médicamenteux n’est donc qu’un recours
parmi beaucoup d’autres et peut concerner bien d’autres aspects sympto-
matiques que les symptômes psychotiques eux-mêmes (traitement d’une
symptomatologie dépressive, anxieuse, d’une toxicomanie...).
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n Conclusions
La question que soulève notre projet est d’autant plus sensible dans le
contexte culturel actuel qu’elle concerne des sujets « à risque » d’évolution
vers la schizophrénie, maladie dont les représentations restent très négatives.
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