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L ’E ncéphale 44 (2018) 1S39- 1S43

Risque suicidaire lors du premier épisode psychotique


Suicidal risk during the first psychotic episode

P. Courtet
Professeur de psychiatrie, département d’urgence et post-urgence psychiatrique, CHU Montpellier, université de Montpellier, Montpellier, France

r é s u m é

Mots-clés : Les données les plus récentes de la littérature démontrent que le risque de suicide est majeur lors du début
Suicide de l’évolution de la schizophrénie. En conséquence, la prévention du suicide doit consister un objectif
Premier épisode psychotique majeur et immédiat de la prise en charge, aussitôt le diagnostic posé. Les idées de suicide sont un préa-
Dépression lable potentiel à l’évolution vers le passage à l’acte. Leur évolution doit être mesurée chez chaque individu
Insight devant l’hétérogénéité des évolutions possibles. Les facteurs de risque principaux de conduite suicidaire
Rejet social
chez les patients présentant un premier épisode sont classiques. Il s’agit avant tout de la dépression et des
mésusages de substances, conditions très fréquentes chez ces patients. Le vécu douloureux de la maladie
et de ses conséquences s’associe à l’autostigmatisation et au rejet social pour fragiliser ces sujets jeunes. La
qualité de l’insight comme son évolution risquent d’aggraver le vécu dépressif et le risque suicidaire et ils
demandent donc également à être mesurés régulièrement. Ainsi, l’évaluation clinique des patients entrant
dans la psychose doit porter sur ces dimensions non directement liées à la psychose. À l’évaluation précise
de chaque patient doivent s’associer des mesures personnalisées de prévention. Sur un plan plus général,
nous ne disposons pas de données fondées sur des preuves justifiant des programmes de soins particuliers.
Toutefois, les programmes destinés à la détection précoce de la schizophrénie pourraient être également
bénéfiques à la prévention du suicide chez ces sujets.
© L’Encéphale, Paris, 2018.

a b s t r a c t

Keywords : Suicide is the most common cause of early mortality during the course of schizophrenia. The most recent
Suicide data in the literature show that the risk of suicide is greater at the beginning of the course of schizophrenia.
First psychotic episode The risk of suicide during the first year is 12 times higher than that of the general population. Specifically,
Depression 2‑5 % of people with first-episode psychosis will die by suicide in long-term follow-up studies. Regarding the
Insight presence of suicidal ideation that are a major factor of suicide in subjects suffering from psychotic disorders,
Social exclusion
their prevalence remains extremely worrying, since they are substantial and persistent. Consequently, suicide
prevention should be a major and immediate objective in the management of the disease, as soon as the
diagnosis has been made. Suicidal ideas are a potential precursor to the evolution towards acting out. Their
evolution must be specifically assessed in each individual. Indeed, in the influential Danish OPUS study the
authors reported heterogeneity in suicidal ideations in young patients with first episode of psychosis and
identified three prototypical trajectories of suicidal ideations over the first 2 years in treatment. Particu-
larly, nearly 40 % of patients with first-episode psychosis have persisting suicidal thoughts over the initial
treatment period. Consequently, the authors recommend routine screening for suicidality when providing
treatment for first-episode psychosis. The main risk factors for suicidal behavior in patients with a first
episode are classical ones. Previous research has suggested that, in addition to young age and early course
of illness, other important clinical predictors of suicide in individuals with schizophrenia include presence
of depressive symptoms and misuse of substances, which are very common conditions in these patients.
Lack of social support, loss, rejection, stigma, insight, fear of future losses, are all negative experiences
experienced by patients starting a psychotic disorder. Negative connotations of the diagnosis of psychotic

   Correspondance.
   Adresse e-mail : Philippe.courtet@umontpellier.fr (P. Courtet).

© L’Encéphale, Paris, 2018

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disorders, feelings of being trapped that can be directly related to feeling a burden can lead to suicidal crisis
in these individuals. Then, the painful experience of the disease and its consequences associated with self-
stigmatization and social rejection may induce hopelessness and suicidal thoughts in these young subjects.
The quality of the insight and its evolution may worsen the depressive experience and suicidal risk and they
therefore also require to be measured regularly. Thus, the clinical evaluation of patients entering psychosis
should focus on those dimensions that are not directly related to the psychotic symptoms. At the precise
evaluation of each patient must be associated personalized measures of prevention. It is now proposed that
prevention strategies targeting suicidal behaviour in first-episode psychosis should not be universal. On a
more general level, evidence-based data to support specific care programs are still lacking, and only few
data are in favor of integrated care in patients presenting with first episode. It should also be kept in mind
that the risk of suicide is extraordinarily high for all psychiatric patients during the first few months after
discharge from hospital. This should encourage caregivers to offer intensive follow-up programs to their
patients and to embrace recontact and follow-up initiatives using the tools of e-health. Last, programs for
the early detection of schizophrenia seem to be beneficial for the prevention of suicide in these subjects.
© L’Encéphale, Paris, 2018.

La schizophrénie représente l’une des principales causes de l’année précédant l’entrée dans l’étude et qu’un sujet sur cinq a
mortalité par suicide. Dans l’étude prospective des cas incidents réalisé une tentative de suicide au cours de l’année écoulée [7].
se basant sur une cohorte nationale scandinave suivie pendant Vingt-deux pour cent des sujets présentaient des idées de suicide
36 ans (N = 176 347), la schizophrénie, les troubles bipolaires et lors de la semaine précédant l’inclusion, et au cours des deux
les troubles unipolaires sont les troubles psychiatriques dont le premières années de suivi, 18 % à 1 an et 17 % à 2 ans. À 10 ans
risque absolu de mort par suicide est le plus élevé : 6‑8 % chez de suivi, 38 % des participants continuent de présenter des idées
les hommes et 4‑5 % chez les femmes [1]. Plus particulièrement, de suicide [8]. Ainsi, dans cette cohorte de sujets pris en charge
le suicide est la cause la plus fréquente de mortalité précoce à la suite d’un PEP, la prévalence des idées de suicide reste
au cours de l’évolution de la schizophrénie. Ainsi, dans l’étude extrêmement préoccupante, car substantielle et persistante. En
de cohorte réalisée au Royaume-Uni par Dutta et al., le suicide effet, il est très bien démontré que la présence d’idées de suicide
représente la principale cause de mortalité chez les sujets chez les sujets souffrant de troubles psychotiques est un facteur
souffrant d’un trouble psychotique après leur premier contact majeur de suicide abouti [9].
avec les soins, avec un taux standardisé de mortalité précoce
considérablement plus élevé que celui des autres causes de Pour rendre hommage à la trajectoire de Jean-Michel Azorin
décès [2]. La littérature actuelle, relativement abondante sur le et à sa capacité unique à pouvoir embrasser des champs de
sujet, nous indique que 2‑5 % des sujets présentant un premier recherche allant de la philosophie aux neurosciences, nous nous
épisode psychotique (PEP) vont mourir de suicide dans les études sommes permis de convoquer Antonin Artaud pour son ouvrage
de suivi à long terme [3]. Ce risque est majoré (triplé) chez les fameux sur Van Gogh (Van Gogh ou le Suicidé de la société). Les
sujets hospitalisés pour un premier épisode par rapport aux travaux neuroscientifiques dans le domaine qui nous intéresse
sujets souffrant de schizophrénie chronique [4]. L’étude de suivi ici restent pour l’instant peu contributifs ; écoutons le poète.
de cohorte de patients présentant un PEP, qui fait référence dans Antonin Artaud ne dit-il pas : « … je ne connais pas un seul
la littérature actuelle, indique que le risque de suicide est majeur psychiatre qui saurait scruter un visage d’homme avec une force
lors des 12 premiers mois, avec un risque 12 fois plus élevé que aussi écrasante et en disséquer comme au tranchoir l’irréfragable
celui de la population générale [5]. Pour autant, le risque de psychologie… » Ainsi posons-nous la question de l’identification
suicide persiste à long terme, puisque 10 ans plus tard, il reste des individus présentant un PEP qui seront le plus à risque de
4 fois supérieur au risque suicidaire de la population générale. conduite suicidaire en essayant de nous rapprocher de l’acuité
Ainsi, le risque de suicide est particulièrement élevé au début de de Van Gogh, dont témoigne ici Antonin Artaud. Le lecteur est
l’évolution de la maladie schizophrénique et lors des premières invité à admirer les portraits qu’a faits Van Gogh de ces deux
hospitalisations. Puisque le pic de risque suicidaire est observé médecins : le Dr Rey qui, à Arles, fut le premier à le prendre en
durant les premières années de l’évolution de la maladie, une charge, et le Dr Gachet qui le logeait à Auvers où il s’est suicidé…
attention particulière doit être portée au patient présentant un Récemment, Madsen et al. ont publié une très intéressante
PEP. Ceci est d’ailleurs très cohérent avec le modèle vulnérabilité/ analyse des trajectoires d’idéation suicidaire à partir de l’étude
stress des conduites suicidaires qui est le modèle heuristique le longitudinale OPUS [10]. Les auteurs ont ici distingué trois
plus populaire dans ce champ de recherche, et selon lequel les groupes de patients en fonction des trajectoires des idées de
sujets présentent un risque de conduite suicidaire majeur au suicide durant trois années (deux années de suivi et l’année
début de l’évolution de la maladie, c’est-à-dire lorsqu’ils sont avant l’entrée dans l’étude). Ces trajectoires conditionnent le
exposés pour la première fois au stress majeur que représente pronostic suicidaire au cours des 10 ans de suivi de cette cohorte.
le trouble psychiatrique [6]. Si l’on considère l’évolution moyenne des idées de suicide sur
Qu’en est-il des autres dimensions du spectre des conduites l’ensemble de la cohorte, les sujets présentent quelques idées
suicidaires ? L’étude OPUS est une étude prospective de suivi de de suicide avant l’entrée dans l’étude, qui décroissent progres-
près de 550 jeunes Danois présentant un PEP. Cette étude fournit sivement au cours des deux premières années de suivi. Plus
un grand nombre de données notamment dans le domaine de intéressant, l’analyse des trajectoires utilisant des méthodes
la prévalence des conduites suicidaires. Ainsi, il est observé que statistiques sophistiquées nous indique trois groupes bien
les deux tiers des sujets ont présenté des idées de suicide durant distincts de patients. Un premier groupe (61 % de l’effectif total)

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qui présente peu d’idées de suicide à l’entrée dans l’étude et adolescents âgés de 9 à 17 ans présentant un PEP, qui ont pu être
quasiment plus après 2 ans de suivi. Un deuxième groupe de suivis pendant 2 ans. Les participants avec un risque suicidaire
sujets (un tiers de l’effectif total) présente des idées de suicide élevé évalué par les cliniciens présentaient un risque de tentative
assez fréquentes à l’entrée, qui sont stables au cours des deux de suicide considérablement élevé [12] !
premières années d’évolution. Un dernier groupe de sujets (6 %)
présente des idées de suicide assez fréquentes à l’entrée dans La dépression est clairement un facteur de risque suicidaire
l’étude qui augmentent au cours des 2 ans de suivi. Ainsi, près majeur chez les sujets présentant un PEP. La méta-analyse récem-
de 40 % des patients souffrant d’un PEP inclus dans l’étude OPUS ment publiée portant sur 13 études longitudinales (suivi médian
présentent des idées de suicide à un niveau relativement élevé, de 24 mois) incluant 3 002 sujets indique que la dépression
d’autant qu’elles restent stables ou s’aggravent. Les facteurs augmente le risque de tentative de suicide (TS) (OR = 1,59) [13].
de risque d’appartenance à ce groupe à haut risque suicidaire Il a été de plus observé dans l’étude prospective de 92 sujets
sont les suivants : sexe féminin, antécédents de tentatives de présentant un PEP que la dépression « prodromale » est le prin-
suicide, désespoir et existence d’hallucinations. Il est important cipal facteur prédictif de survenue ultérieure de dépression et de
de noter, pour la pratique clinique, que le type de traitement TS [14]. En conséquence, les efforts pour prédire et prévenir la
reçu (le programme de soins habituels ou le programme de soins dépression, et traiter les abus de substances, sont indispensables
intégrés) ne variait pas dans les trois groupes. Sans surprise, les pour prévenir les conduites suicidaires dans les PEP.
sujets des deux groupes présentant une trajectoire d’idées de Écoutons à nouveau Antonin Artaud : « … et il avait raison,
suicide « à risque » présentent un risque de continuer à présenter Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini,
des idées de suicide après 5 et 10 ans de suivi avec des odds il y a assez d’infini sur terre et dans les sphères pour rassasier
ratio de 3 à 5, et ils présentent un risque élevé de réaliser une mille grands génies, et si Van Gogh n’a pas pu combler son désir
tentative de suicide après 5 ans de suivi (OR = 6,6) et 10 ans de d’en irradier sa vie entière, c’est que la société le lui a interdit.
suivi (OR = 2,7). La mortalité totale et la mortalité par suicide Carrément et consciemment interdit. » Cette vision centrale
ne diffèrent pas statistiquement du fait du faible nombre de dans l’ouvrage d’Antonin Artaud (Van Gogh ou le Suicidé de la
sujets sur lesquels portent les analyses. Ainsi, il est important société) doit porter notre attention sur le vécu dépressif des sujets
d’identifier des sujets à risque, ici sur la base des trajectoires des présentant un épisode psychotique et sur le fameux insight. La
idées de suicide dans les premières années de suivi, de façon à dépression durant le PEP est associée à davantage d’évaluation
déclencher des interventions spécifiques et ciblées. Ceci semble négative du sentiment de perte, à davantage de honte envers le
préférable aux stratégies de prévention universelle. diagnostic porté de trouble psychotique et à un sentiment d’être
Une méta-analyse nous livre les facteurs de risque de conduite piégé. L’insight est associé au risque de suicide, à la conscience
suicidaire chez les sujets présentant un PEP [11]. Dix-huit études douloureuse de la maladie et des pertes consécutives, à l’autostig-
ont permis l’analyse de la survenue de tentative de suicide avant matisation, aux perturbations des cognitions sociales, qui sont à
traitement (6 962 patients, 943 ayant un antécédent de tentative n’en pas douter des paramètres qu’il sera important d’étudier de
de suicide). Treize études permettaient l’analyse des tentatives façon plus approfondie dans cette problématique. Ceci s’impose
de suicide après traitement (4 846 patients dont 461 avaient d’autant à nous que le vécu des patients souffrant d’un PEP
réalisé une tentative de suicide après le début de la prise en résonne avec la théorie interpersonnelle des conduites suicidaires.
charge). Près d’un patient sur cinq a réalisé une tentative de T. Joiner propose que le suicide résulte d’un défaut du sentiment
suicide avant la prise en charge du PEP, tandis que 10 % des d’appartenance, d’un sentiment d’être un fardeau pour les autres
sujets présentent une tentative de suicide après l’éclosion du et d’une augmentation de la capacité à passer à l’acte [15]. Les
PEP, lors de la période de psychose non traitée, et un sur dix deux premiers éléments font complètement écho au propos
présente une tentative de suicide après l’instauration de la prise d’Antonin Artaud et à ce qui a été déjà largement observé dans
en charge pour ce PEP. Ceci témoigne à nouveau de la fréquence les troubles psychotiques. L’absence de soutien social, les pertes,
élevée des tentatives de suicide dans cette population. Cette le rejet, le stigma, l’insight, la peur des pertes à venir, sont autant
méta-analyse nous indique également les facteurs de risque de d’expériences négatives vécues par les patients débutant un
tentative de suicide par rapport au début du PEP. Les facteurs trouble psychotique. Les connotations négatives attachées au
de risque majeurs, classiques et non spécifiques au PEP sont diagnostic de troubles psychotiques, le sentiment d’être piégé,
les antécédents de tentative de suicide et l’humeur dépressive. le sentiment de désespoir qui peuvent directement être liés au
Les autres facteurs de risque sont les idées de suicide, l’insight, sentiment d’être un fardeau peuvent conduire au déclenchement
le mésusage d’alcool et de substances, l’âge de début précoce, d’une crise suicidaire chez ces individus. Dans la mesure où nous
l’âge jeune et la durée de psychose non traitée. Spécifiquement, proposons que la sensibilité à l’exclusion sociale représente un
la dépression et le mésusage de substance sont des facteurs de facteur important de vulnérabilité suicidaire, il paraît important
risque de tentative de suicide avant et après l’éclosion du premier d’investiguer sérieusement cette hypothèse et ses déterminants
épisode, tandis que les symptômes négatifs sont un facteur de particuliers chez les sujets présentant un PEP [16].
risque de tentative de suicide une fois le premier épisode éclôt. Si un grand nombre de données nous indique en effet qu’un
L’âge jeune et la durée de psychose non traitée sont des facteurs « bon insight » est un facteur de risque suicidaire, une étude
de risque de tentative de suicide précédant la prise en charge du récente propose une dynamique plus complexe de la relation
premier épisode. Il est important de noter que les symptômes entre insight et crise suicidaire [17]. Une cohorte de 146 sujets
positifs et le fonctionnement ne représentent pas des facteurs présentant un PEP a été évaluée pendant 1 an. Nombreux
de risque de conduite suicidaire chez les sujets présentant un étaient les sujets suicidaires à l’inclusion (37 %) et au cours du
PEP. Citons une étude qui a spécifiquement étudié 110 enfants et suivi (20 %). Les principaux prédictifs du risque suicidaire étaient

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(à nouveau) la durée de psychose non traitée, la dépression avant Ceci devrait être déployé immédiatement, c’est-à-dire dès le
l’épisode psychotique et lors du suivi, et une TS antérieure. Il est premier mois de la prise en charge, compte tenu de l’immédiateté
surtout important de noter que la diminution de l’insight au de la surmortalité sur le risque suicidaire dans cette population.
cours de la première année d’évolution était associée à une Gardons également à l’esprit que le risque de suicide est
augmentation du risque suicidaire lors du suivi, tandis qu’une extraordinairement élevé chez tous les patients psychiatriques
amélioration de l’insight était associée à un risque suicidaire au cours des premiers mois suivant la sortie de l’hôpital [22].
atténué lors du suivi. Ainsi l’association entre insight et idées Ce constat douloureux doit inciter les soignants à proposer des
de suicide pourrait connaître une relation différentielle selon programmes de suivi intensifs dès la sortie des patients et à
les circonstances d’évaluation des sujets. Ceci devrait inciter embrasser les initiatives de recontact et de suivi utilisant les
les cliniciens à monitorer l’insight régulièrement pour propo- outils de la « télémédecine » [23].
ser des interventions adéquates. Ces résultats sont d’ailleurs Terminons avec des stratégies situées bien en amont, et qui
cohérents avec ceux de Bourgeois et al. dans l’étude InterSePT semblent se développer dans les services de psychiatrie. Les
où il était observé que l’augmentation de l’insight au cours des dispositifs de détection précoce des troubles psychotiques ont-ils
2 ans de traitement était associée à une diminution du risque un intérêt pour la prévention du suicide dans cette population ?
suicidaire [18]. Il semble en effet que ces organisations des soins, associant des
Pour conclure, avons-nous à l’heure actuelle des solutions campagnes d’information du public et un accès facilité aux
pour prévenir le suicide chez les sujets présentant un PEP ? équipes cliniques de détection, sont bénéfiques en termes de
L’étude observationnelle d’une cohorte de sujets présentant un diminution de la durée de psychose non traitée et aussi que
PEP, étude prospective longitudinale de 1 an, nous indique que les patients diagnostiqués sont peu symptomatiques et peu
15 % des sujets avaient réalisé une TS avant l’entrée dans l’étude suicidaires [24].
et seulement 2,9 % au cours de l’année de suivi [19]. Il serait
ainsi suggéré que la prise en charge des premiers épisodes En conclusion, les PEP s’accompagnent d’un risque majeur
psychotiques s’accompagne d’une prévention des conduites de suicide. Si la prise en charge de l’épisode psychotique occupe
suicidaires… La seule étude contrôlée est l’étude OPUS, dont les psychiatres, il serait raisonnable de procéder immédiatement
l’objectif principal n’était pas la réduction des risques suicidaires. à la prévention du suicide. Les facteurs de risque majeurs de
Malgré tout, il s’agit d’une étude comparant de façon randomisée suicide dans cette population particulière sont eux, classiques :
l’efficacité d’un traitement intégré au traitement habituel. Dans antécédents de TS, dépression et abus de substances. Le vécu
cette étude dans laquelle on dénombre 1,3 % de suicides à 5 ans, « d’exclusion sociale » de la maladie représente également une
le traitement intégré est plus efficace que le traitement habituel cible thérapeutique d’intérêt majeur, et aussi une perspective de
vis-à-vis des conduites suicidaires [20]. recherche très actuelle. La prise en compte de ces impératifs doit
Face à l’absence de « preuves » nous indiquant des straté- déboucher naturellement sur des études évaluant les stratégies
gies de soins adaptées à l’appréhension du suicide dans cette de soins et leur rôle potentiel dans la prévention du suicide. Que
population spécifique, nous pouvons nous référer à des recom- de perspectives heureuses pour les nombreux élèves et disciples
mandations proposées par des auteurs australiens qui se basent de Jean-Michel Azorin !
sur les résultats de plusieurs études observationnelles chez les
sujets présentant un PEP. Les données du projet « FEP » montrent
que 12 % des sujets réalisent un comportement suicidaire
Déclaration des liens d’intérêts
pendant le traitement (3 ans) et que le risque est majeur dès le P. C. déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
premier mois de traitement. La majorité (64 %) des conduites
suicidaires sont des surdoses médicamenteuses (notamment par Ce supplément a été réalisé avec le soutien institutionnel
antipsychotiques) et 20 % surviennent dans les unités de soins des laboratoires Otsuka/Lundbeck.
(pendaison). La plupart des conduites suicidaires sont impulsives,
intentionnelles et précipitées par des stresseurs psychosociaux.
Enfin, 78 % des sujets avec un PEP et qui réalisent une conduite Références
suicidaire ont des contacts réguliers avec les cliniciens, 49 % ont [1] Nordentoft M, Mortensen PB, Pedersen CB. Absolute risk of suicide after
first hospital contact in mental disorder. Arch Gen Psychiatry 2011
exprimé leur intention, et 11 % ont cherché de l’aide.
Oct;68(10):1058‑64.
En conséquence, Fedyszyn et al. proposent de : [2] Dutta R, Murray RM, Allardyce J, et al. Mortality in first-contact
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Aug;42(8):1649‑61.
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[3] Dutta R, Murray RM, Allardyce J, et al. Early risk factors for suicide in
——monitorer le risque suicidaire avec des outils cliniques an epidemiological first episode psychosis cohort. Schizophr Res 2011
standardisés ; Mar;126(1‑3):11‑9.
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——proposer des programmes de psychoéducation aux membres phrenia: a reexamination. Arch Gen Psychiatry 2005 Mar;62(3):247‑53.
de la famille de tous les nouveaux patients, avec reconnaissance [5] Dutta R, Murray RM, Hotopf M, et al. Reassessing the long-term risk
et gestion du risque de suicide ; of suicide after a first episode of psychosis. Arch Gen Psychiatry 2010
Dec;67(12):1230‑7.
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nouveaux patients admis ; A Developing Model for Suicidal Risk. In: Cannon K, Hudzik T, editors.
——développer des programmes promouvant les compétences Suicide: Phenomenology and Neurobiology. Springer, Cham.
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vis-à-vis de la tolérance à la détresse, la résolution de pro- lity in first-episode psychosis: the OPUS trial. Br J Psychiatry Suppl 2007
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