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L’échelle graphique d’autoévaluation de l’humeur (EGEH) :
création et validation en population tunisienne
The mood graphic rate scale (MGRS): Creation and validation in a Tunisian sample
W. Ben Makhlouf *, Z. Choubeni, F. Nacef, S. Douki
Service avicenne, hôpital Razi de Tunis, Tunisie
Reçu le 11 avril 2007 ; accepté le 20 novembre 2007
Disponible sur Internet le 23 septembre 2009
Résumé
Le trouble bipolaire de l’humeur est une pathologie chronique. Sa prise en charge est curative lors des accès et préventive lors des phases
intercritiques. Lors des phases d’euthymie, le praticien reste fortement dépendant de l’insight des patients ou de leurs familles pour détecter les
signes prodromiques des accès. Le but de ce travail porte sur la création d’une échelle destinée à la surveillance des variations de l’humeur au cours
des phases d’euthymie, supposée capable de détecter précocement les accès et d’exposer les résultats de la validation préliminaire. L’échelle a été
créée en s’inspirant du modèle visuel analogique. Elle est constituée de neuf visages exprimant des états d’âme allant de la tristesse à la joie
extrême. La validation a été faite sur un groupe de 77 patients, souffrant en majorité d’un trouble bipolaire type I. La fiabilité a été étudiée selon la
technique du split-half. Les résultats n’ont pas montré de différences significatives entre les sous-groupes. La validité a été faite selon la technique
de validité nomologique avec comme référence le diagnostic clinique selon le DSM-IV. Le coefficient de Cohen était de 0,79. L’étude de la
sensibilité aux variations thymiques montre que l’échelle est plus sensible que l’échelle de Montgomery Asberg et moins sensible que l’échelle de
manie de Young. L’échelle montre une sensibilité à l’entité « humeur pathologique » de 94 % et une spécificité à l’entité « euthymie » de 91,9 %.
Une validation sur un plus large échantillon est nécessaire pour obtenir des résultats plus précis.
# 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.
Abstract
Bipolar disorder is a disease that affects 1% of the general population. It is a great social burden due mostly to temporal disability and to the
medical care it entrains. The management of bipolar disorder is both curative on relapse phases, and preventive on remission ones. Researchers
have insisted on the importance of preventive treatment on the management of bipolar disorders and therefore on the detection of prodromic
symptoms and then on the treatment of relapses before they create functional disability. In their opinion, relapses are a result of an imperfect
management of remissions. In practice, it is difficult to detect prodromic relapse signs, as the practitioner’s diagnosis depends greatly on the
patient’s insight. Thus, a patient may forget to indicate signs that have a pathologic signification. In such a situation, any instrument detecting the
insidious beginning of relapse will be helpful. The aim of this study is to create a scale to detect relapses in bipolar disorders and to proceed to its
preliminary validation. The scale was created based on the visual analogical model. It consisted in nine faces showing emotions grading from
sadness to extreme joy. The patients were invited to choose the face that corresponded to their best mood in the preceding week. In this logic,
detection of relapses is based on detection of pathologic mood variations.The validation was made on a sample of 77 patients suffering mostly from
bipolar disorder subtype I. Two thirds were primary school graduates and 84% were men. Patients were evaluated by the Montgomery Asberg
Depression Rate Scale (MADRS) for those suffering from depression, and the Young Manic Rate Scale (YMRS) for those suffering from manic
episodes. The patients on remitted phases were evaluated by both scales. A total of 94 evaluations were computerized. Twenty four concerning
depressed patients, 26 concerning patients in manic episodes and 44 concerning patients on a remission phase. Reliability was tested using the
‘‘test–retest’’ method. The results showed no statistical difference between the different subgroups. The Gold Standard chosen to assess validation
was the DSM-IV diagnosis and the concordance rate between the MGRS and the DSM-IV diagnosis was 0,79. The sensibility of the MGRS on
diagnosis of ‘‘abnormal mood variation’’ was 94%. Its specificity on the diagnosis of ‘‘normal mood variation’’ was 91,9%. The sensibility to mood
* Auteur correspondant. Unité d’électroconvulsivothérapie, service Deniker, centre hospitalier le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France.
Adresse e-mail : Wissem.BENMAKHLOUF@ch-le-vinatier.fr (W.B. Makhlouf).
0003-4487/$ – see front matter # 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.
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variation was tested on a small sample and patients were evaluated at admission and at discharge. The result showed that the MGRS patients were
more sensible to mood change than the MADRS patients and less sensible than YMRS patients. The analysis of responses relative to gender showed
a significant difference between men and women in the depressed group. That difference may be due to the gender difference in emotion
recognition. The analysis of responses regarding educational level showed no statistical differences. The primary validation shows an encouraging
result. The authors think, however, that a validation on a larger and more homogenous sample is necessary to confirm the results.
# 2009 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction Høyer et al. [9], dans une étude portant sur 53 466 patients
souffrant de trouble bipolaire, ont observé que le risque
Le trouble bipolaire de l’humeur est une pathologie suicidaire augmente aussi avec le nombre d’hospitalisations
chronique fréquente ; sa prévalence varie selon les études pendant l’année en cours et la présence d’une comorbidité,
entre 0,4 et 1,6 %, alors que son incidence annuelle varie entre surtout toxique.
9,2 et 15,2/100 000 chez l’homme et entre 7,4 et 32,5/100 000 La prise en charge de la maladie bipolaire a été
chez la femme [2]. révolutionnée par l’avènement des molécules thymorégula-
C’est une maladie coûteuse pour la société et pour trices. Elle est curative lors des accès et préventive lors des
l’individu. Unützer et al. [22] ont montré que le coût de la phases intercritiques. Les auteurs insistent de plus en plus sur
maladie bipolaire de l’humeur était deux fois et demi supérieur l’intérêt des techniques psychoéducatives lors de la prise en
à celui d’une maladie organique chronique et Simon et al. [17] charge. Ils insistent aussi sur l’importance de la détection
qu’une comorbidité avec un trouble dépressif majeur majore le précoce des symptômes annonciateurs de rechutes pour
coût des soins de 50 % à 75 %. Cette majoration est due justement prévenir l’installation d’un handicap préjudiciable
essentiellement à la consommation des services de soins, le au patient et à la collectivité [20].
coût des traitements ne représentant que 5 à 10 %. Olfson et al. Lors des phases intercritiques, le praticien reste fortement
[14] ont montré qu’une population souffrant de trouble dépendant de la qualité de reconnaissance de la maladie par les
bipolaire de l’humeur présente sept fois plus d’absentéisme patients et/ou leurs familles et de leurs capacités à reconnaı̂tre
que la population normale et Zwerling et al. [25] que les les symptômes évocateurs, afin de détecter les rechutes.
patients souffrant de troubles bipolaires de l’humeur ont 40 % L’objectivité d’une échelle de mesure nous a semblé être
moins de chance d’avoir un emploi. pertinente dans une telle situation. Or les échelles dont nous
Simon et al. [18], en comparant trois groupes de patients disposons actuellement sont trop compliquées, car trop longues
souffrant de dépression guérie, persistante et en rémission ou non adaptées pour permettre des évaluations fréquentes de
incomplète, ont montré que le groupe guéri de sa dépression l’humeur entre les consultations du praticien.
avait 25 % plus de chance que les autres groupes de trouver ou Le but de ce travail est de créer un outil d’évaluation destiné
de maintenir son emploi. L’absentéisme était dans ce cas trois à la surveillance des variations de l’humeur au cours des phases
fois inférieur. intercritiques. Cet outil devra être d’une utilisation facile par le
Il a été démontré que, comparés aux autres maladies patient, il devra également être capable de mesurer les
somatiques chroniques, les troubles de l’humeur induisent une variations infimes de l’humeur et de fournir des informations
détérioration de la qualité de vie des patients plus importante. fiables aux praticiens.
Ainsi Unützer et al. [23], dans une étude faite sous la
supervision de l’OMS, ont montré que la dépression est la 2. Matériel et méthodes
troisième maladie qui altère le plus la qualité de vie des
patients. Elle est devancée par l’arthrite chronique et les Nous nous sommes inspirés du modèle des échelles
cardiopathies. Elle se classe avant des pathologies telles que les analogiques visuelles (EVA), dont l’exemple type reste
pneumopathies obstructives, le diabète, les accidents vascu- l’échelle d’évaluation de la douleur, et notamment celle des
laires cérébraux et les cancers. visages stylisés destinée à l’évaluation de la douleur chez les
Spitzer et al. [19], dans une étude concernant 1000 patients, enfants, pour créer une échelle graphique composée de neuf
ont trouvé que l’altération de la qualité de vie associée à un visages exprimant chacun une tonalité affective allant de la joie
trouble bipolaire de l’humeur était plus importante que celle extrême à la tristesse profonde. L’échelle ainsi créée présente
associée au diabète, à l’arthrite chronique et aux pathologies trois zones de réponses (Fig. 1). On s’est basé sur le phénomène
cardiaques et pulmonaires chroniques. de convergence centrale pour définir l’euthymie. Un protocole
Le coût élevé de la maladie est aussi dû à l’importance du de passation inspiré de celui de la « DISCs » [21] a été mis en
risque suicidaire qui lui est associé. En effet, il a été prouvé que place et les patients ont été invités à répondre à la question
le risque de suicide était plus important chez les patients suivante : « Quel visage correspond au mieux à mon humeur
souffrant de trouble bipolaire que chez les autres malades cette dernière semaine. »
mentaux. Le suicide aurait une incidence sur la vie chez les L’étude de validation a été menée auprès des patients
patients souffrant d’un trouble de l’humeur de 4 à 7 % [1]. consultant ou ayant été hospitalisés dans le service Avicenne de
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l’hôpital Razi (Tunis) et ce, pendant une période de trois mois à présentaient un trouble bipolaire de l’humeur en rémission
partir du 1er juin 2006. clinique. L’échantillon était majoritairement masculin (84,4 %
Les patients qui ont présenté, durant l’étude, un accès d’hommes), d’âge moyen de 36,5 ans. Deux tiers de
maniaque ou hypomaniaque entrant dans le cadre d’un trouble l’échantillon ne dépassaient pas un niveau scolaire secondaire
bipolaire (selon les critères du DSM-IV) avec une humeur gaie, (71,5 %). Quatre-vingts pour cent de l’échantillon souffraient
joviale ou expansive ont été inclus et l’ensemble de leurs d’un trouble bipolaire type I. La durée moyenne d’évolution de
évaluations a constitué le groupe « maniaque ». la maladie bipolaire était, en moyenne, de 5,6 ans, au cours de
Les patients souffrant d’un trouble bipolaire de l’humeur et laquelle les patients ont présenté, en moyenne, deux accès (1,9)
en rémission clinique et qui ne présentaient pas au moment avec une nette majorité pour les accès maniaques (1,3 accès).
de l’examen une humeur perturbée ont été inclus dans l’étude Le dernier accès date en moyenne de 15,6 mois.
et l’ensemble de leurs évaluations a constitué le groupe Sur les 77 patients évalués, 63 ont été évalués à une seule
« témoin ». reprise, 11 à deux reprises et trois à trois reprises, faisant
Les patients ayant présenté un épisode dépressif majeur un total de 94 évaluations. Les intervalles séparant deux
(selon les critères du DSM-IV) entrant dans le cadre d’un évaluations successives étaient au minimum de 15 jours. Sur
trouble bipolaire ou unipolaire de l’humeur ainsi que les le total des 94 évaluations recueillies, 24 ont concerné des
patients présentant un épisode dépressif majeur caractérisé ont patients en accès maniaque, 26 des patients en accès dépressif
été inclus et l’ensemble de leurs évaluations a constitué le et 44 des patients souffrant de trouble bipolaire en rémission
groupe « dépressif ». La qualité morose ou triste de l’humeur clinique.
a été requise comme critère d’inclusion dans le groupe Parmi le total des évaluations, 24 ont rempli les critères du
« dépressif ». diagnostic d’un épisode dépressif majeur selon l’échelle de
Ont été exclus de l’étude les patients souffrant d’un accès Montgomery Asberg (score total 15), 21 ont rempli les
maniaque ou dépressif entrant dans le cadre d’un trouble critères diagnostiques d’un épisode maniaque ou hypoma-
schizo-affectif ou marquant l’évolution d’une schizophrénie. niaque selon l’échelle de manie de Young (score total 15).
Les patients présentant une déficience intellectuelle, qu’elle Quarante-trois évaluations n’avaient pas rempli les critères
soit congénitale ou acquise, ont également été exclus de l’étude. diagnostiques d’un syndrome maniaque ou hypomaniaque ou
Les données telles que l’âge, le sexe, le niveau scolaire, la d’un syndrome dépressif selon ces deux échelles.
durée d’évolution ont été recueillies ainsi que le nombre Deux sujets ont refusé de répondre à la deuxième version de
d’accès antérieurs pour les patients souffrant d’une pathologie l’échelle. Le premier s’est justifié par le fait que son humeur
bipolaire. passait par tous les états décrits par les visages, il n’a pas
Tous les patients ont été évalués par l’échelle graphique voulu choisir un seul visage. Le second s’est refusé à toute
d’autoévaluation de l’humeur et par l’échelle de manie de explication.
Young pour le groupe « maniaque » et l’échelle de dépression La fiabilité a été étudiée selon la technique du split-half.
de Montgomery Asberg pour le groupe « dépressif ». Le groupe Pour ce, les groupes maniaque, dépressif et témoin ont été
« témoin » a été évalué par l’ensemble de ces trois échelles. subdivisés au hasard en deux sous-groupes de taille égale.
Des patients hospitalisés ont été évalués à deux reprises, à L’analyse des réponses des différents sous-groupes n’a pas
l’admission et à la sortie. montré de différences significatives (Tableau 1).
Les données ont été saisies et analysées en utilisant le Une validation consensuelle a été sollicitée auprès des
programme EPI INFO.6. Des opérations de comparaisons, de membres du staff médical du service Avicenne pour solliciter
concordances et de régression ont été réalisées. Au cours de l’avis de ses membres concernant la cohérence interne de
l’analyse des données, et pour faciliter l’interprétation des l’échelle. Ils ont validé le fait que les visages dessinés dans
résultats, les visages ont été numérotés. Le chiffre 0 correspond l’échelle graphique d’autoévaluation de l’humeur représen-
au visage central. Les autres visages ont été cotés d’un chiffre taient des états d’âmes différents allant de la joie à la tristesse et
allant de 1 à 4 en partant du visage central, assortis d’un que l’échelle, ainsi créée, était capable de mesurer les variations
signe + pour les visages du versant maniaque et du signe – pour thymiques.
les visages du versant dépressif. La validation externe a été faite selon la technique de
validation nomologique, en testant la relation qui existe entre
3. Résultats une humeur pathologique et le contexte clinique dans lequel
elle s’inscrit. Le Kappa de Cohen, mesurant le taux de
Soixante-dix-sept patients ont été interrogés, 22 souffraient concordance entre le diagnostic clinique (DSM-IV) et les
d’un épisode dépressif, 18 d’un épisode maniaque et 37 résultats obtenus à l’échelle était de 0,79 (Tableau 2).
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Tableau 3
Les coefficients de régression.
Coefficient de régression Intervalle de confiance
Régression entre les scores de la deuxième version de l’échelle et
Le score global à l’échelle de manie de Young 0,59 (0,12 ; 0,54)
Le score à l’item évaluant l’humeur dans l’échelle de Young 0,56 (0,08 ; 0,51)
Le score global à l’échelle de dépression de Montgomery et Asberg 0,85 ( 0,77 ; 0,90)
Le score à l’item évaluant la tristesse apparente à l’échelle de Montgomery Asberg 0,73 ( 0,59 ; 0,54)
Le score à l’item évaluant la tristesse exprimée à l’échelle de Montgomery Asberg 0,83 ( 0,74 ; 0,89)
Tableau 4
Sensibilités, spécificités, valeurs prédictives positives et négatives de l’échelle graphique d’autoévaluation de l’humeur aux différentes entités.
Diagnostics
Manie (%) Dépression (%) Pathologie thymique (%) Euthymie (%)
Sensibilité 95,8 92,3 94 77,3
Spécificité 77,3 100 81,5 91,9
Valeur prédictive positive 69,7 100 82,5 91,9
Valeur prédictive négative 97,1 95,7 93,6 77,3
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Tableau 5
Analyse des réponses à l’échelle graphique d’autoévaluation de l’humeur dans le groupe « dépressif » selon le sexe.
Hommes Femmes p
Échelle graphique d’autoévaluation de l’humeur Pourcentage des répondants dans la « zone dépressive » 89,5 % 100 %
Médiane des réponses 1 2 0,04
Échelle de Montgomery Asperg Moyenne des scores 27,4 27,1 0,72
Moyenne des scores à l’item évaluant la tristesse apparente 2,6 3,3 0,35
Moyenne des scores à l’item évaluant la tristesse exprimée 3,7 3,6 0,5
qu’entité. L’humeur est généralement incluse et étudiée dans le D’autres auteurs affirment que dans le cas particulier des
cadre d’un ensemble syndromique. troubles bipolaires, les femmes sont moins souvent et plus
Les définitions « classiques » de l’humeur sont confuses et tardivement diagnostiquées. Elles sont aussi moins souvent
peu pragmatiques. Cependant, celle de Delay, qui est la plus hospitalisées que les hommes et leurs hospitalisations se font
adaptée, a le bénéfice de rappeler que l’humeur peut varier plus volontiers lors d’un accès dépressif que maniaque [16].
d’une tonalité normale jusqu’à des extrêmes pathologiques. Les chiffres relatifs au niveau scolaire de nos patients sont
Cette définition offre une schématisation des variations aussi ceux que l’on retrouve généralement lors des études
thymiques qui se fait entre deux extrêmes opposés. Schéma portant sur des populations tunisiennes. Dans la même étude de
qui a été adopté dans la création de notre outil d’évaluation. Ghachem et al. [7], en comparant des patients tunisiens et
Lors de la création de l’outil, et pour pallier ses insuffisances français souffrant de trouble bipolaire de l’humeur, ont trouvé
conceptuelles qui ne sont en réalité que le reflet de l’état de nos que chez les patients tunisiens, 83,4 % n’avaient pas accédé à
connaissances actuelles sur l’humeur, nous nous sommes basés des études supérieures. En revanche, 60 % des patients français
sur le phénomène de convergence centrale pour définir avaient un niveau d’étude supérieur.
l’euthymie. Le phénomène de convergence centrale se vérifie L’étude de la fiabilité selon la technique du split-half n’a pas
dans le cas des items à nombre de réponses impair. En effet, montré de différences significatives entre les réponses des
lorsque le répondant ne trouve aucune réponse qui correspond à différents sous-groupes des groupes « maniaque », « dépressif »
son opinion ou à son état d’âme, il choisit généralement la et « témoin ». Ces résultats montrent que l’échelle est fiable.
réponse du milieu. La définition de l’euthymie par cette Les études de validité, notamment externes, ont montré une
technique est critiquable sur le plan méthodologique car nous forte concordance entre les diagnostics cliniques sur la base du
avons mesuré une entité que nous n’avons pas définie au DSM-IV et la qualité de l’humeur identifiée par la deuxième
préalable. version de l’échelle.
La création a abouti à un outil qui en un seul item explore à la L’étude de régression a montré des coefficients positifs
fois l’humeur normale et pathologique. La validation de l’outil entre les réponses à l’échelle graphique d’autoévaluation de
a posé quelques problèmes, car sous la dimension humeur, il l’humeur et les scores obtenus à l’échelle de manie de Young
existait trois sous-dimensions correspondant à l’euthymie et ainsi que ceux de son item évaluant l’humeur. Ce qui signifie
aux humeurs dépressive et maniaque qu’il fallait valider que plus les scores à l’échelle de manie et de son item évaluant
chacune à part. L’absence d’autres instruments évaluant la seule l’humeur sont importants, plus les réponses à la deuxième
dimension « humeur » nous a poussés à abandonner les version de l’échelle tendent vers les extrêmes « maniaques ».
techniques destinées à asseoir la fiabilité et la validité basées sur De même, la régression entre les scores obtenus à l’échelle
le principe de la multiméthode. Notre souhait que l’échelle soit graphique d’autoévaluation de l’humeur et ceux de l’échelle de
sensible aux variations thymiques nous a, aussi, poussés à ne dépression de Montgomery Asberg et de ses deux items
pas utiliser la technique du test retest (ou reliability) pour évaluant l’humeur exprimée et ressentie montre des coef-
asseoir la fiabilité. Les étapes de validation utilisées se sont ficients négatifs. Ce qui signifie que plus les scores de
ainsi imposées par éliminations successives des techniques de dépression de Montgomery Asberg et de ses items évaluant
validation jugées inadéquates par rapport à nos objectifs ou l’humeur sont élevés et plus les réponses à l’échelle graphique
impossibles à appliquer. d’autoévaluation de l’humeur tendent vers les extrêmes
L’échantillon de la phase de validation était constitué d’une « dépressif ». L’analyse des opérations de régression montre
population hospitalière ayant une nette prédominance mascu- aussi que, bien que l’échelle graphique d’autoévaluation de
line. Le niveau scolaire du groupe ne dépassait pas le l’humeur soit créée pour n’évaluer que l’humeur, elle semble
secondaire pour la majorité. Cette disproportion entre les être un bon témoin du syndrome dépressif et maniaque dans sa
sexes de la population hospitalière tunisienne a été rapportée globalité.
par Ghachem et al. [7] et décrite comme étant la conséquence Des études basées sur les techniques d’induction des
d’une stigmatisation sociale plus accrue de la femme malade émotions, utilisant comme stimulus la vision répétée de visages
mentale propre à la culture tunisienne. Selon ces auteurs, cette tristes ou heureux, ont montré, effectivement, que les réactions
disproportion n’est pas spécifique de la maladie bipolaire. En des sujets souffrant de troubles bipolaires en réponse à la vision
effet, le pourcentage de femmes hospitalisées dans l’hôpital des visages exprimant plusieurs types d’émotions variaient
Razi de Tunis, pendant six mois, était le tiers de celui des selon que les patients étaient euthymiques, en accès maniaque
hommes, toutes pathologies confondues. ou en accès dépressif.
W.B. Makhlouf et al. / Annales Médico-Psychologiques 168 (2010) 120–126 125
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