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Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1241–1247

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Mémoire original

Observance du traitement antirétroviral de l’adolescent


séropositif pour le VIH
Factors impacting on antiretroviral therapy compliance in HIV
positive adolescents
N. Trocmé *, G. Vaudre, C. Dollfus, G. Leverger
Service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique, hôpital Armand-Trousseau, 75571 Paris cedex 12, France
Reçu le 16 novembre 2001; accepté le 6 septembre 2002

Résumé

Objectifs. – La mauvaise observance fréquemment constatée chez les adolescents séropositifs est-elle due à la dynamique adolescente,
à l’impact du vécu du VIH ou à un manque d’information sur la maladie et le traitement ?
Méthodes. – Vingt-neuf adolescents séropositifs pour le VIH suivis dans notre service ont répondu à un questionnaire. Les entretiens ont
été menés sur une période de quatre mois par la psychologue et l’infirmière de recherche.
Résultats. – Soixante-dix-neuf pour cent n’avaient pas pris leur traitement au moins une fois, pendant l’adolescence (dont un tiers depuis
plus d’un mois). Pourtant trois quarts des adolescents connaissaient les conséquences d’arrêt de traitement et la majorité était bien informée
sur la maladie. Malgré le sentiment de solitude ou de dépression ressentie pour 55 % d’entre eux, les adolescents considéraient en majorité
avoir une vie agréable arguant leur normalité malgré la maladie. Une normalité qu’ils payaient surtout du silence du secret du VIH avec
l’entourage.
Conclusion. – La dépendance au traitement a un impact lourd sur le vécu et les choix délibérés d’arrêts de traitement de l’adolescent
séropositif pour le VIH. Ils sont l’expression de son désir d’autonomie et doivent être pris en compte dans la prise en charge médicale.
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Summary

Is poor treatment observance frequently observed in HIV positive adolescent population, due to the adolescent developmental process,
their experience of living with HIV, or lack of information on the disease or treatment?
Methods. – We interviewed the 29 HIV positive adolescents followed up in one pediatric reference center. Confidential interviews were
performed according to a standard questionnaire by psychologist and research nurse.
Results. – Seventy-nine percent had stopped at least once a time their treatment who was the major barrier to their sense of freedom
behind their adolescence (one-third of them decided to stop it more than one month), although 75% knew the potential consequences and
had a good information about their seeks. Fifty-five percent expressed feelings of loneliness or depression, yet 75% consider they had a
pleasant life because they had a normal life. In fact, the secret and silence about HIV were the price for this normality.

* Auteur correspondant.
Adresses e-mail : nadine.trocme@trs.ap-hop-paris.fr (N. Trocmé), genevieve.vaudre@trs.ap-hop-paris.fr (G. Vaudre).

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.


PII: S 0 9 2 9 - 6 9 3 X ( 0 2 ) 0 0 1 1 3 - 6
1242 N. Trocmé et al. / Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1241–1247

Conclusion. – Being dependent upon a treatment is a major constraint on the lives of HIV positive adolescents. Although they are fully
informed, the deliberate interruption of treatment could attest of their expressed need for autonomy and medical prescription have to be
careful with this problem.
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

Mots clés: Antirétroviraux; Adolescent; Thérapeutique (compliance); Facteur de risque; VIH

Keywords: Anti-HIV agents; Therapeutic use; Patient compliance; Adolescence; Risk factors; Child

Grâce aux avancées thérapeutiques et l’utilisation depuis influence sur un tel comportement. Nous avons retenu trois
1996 de nouvelles molécules comme les inhibiteurs de hypothèses : la mauvaise observance aux traitements anti-
protéase [1], les enfants contaminés par le VIH représentent rétroviraux constatée, était-elle due à un manque d’infor-
aujourd’hui une population d’adolescents de plus en plus mation sur la maladie et/ou le traitement, à l’impact du vécu
importante. du VIH et/ou à la dynamique adolescente avec la notion de
La régularité absolue du traitement reste un enjeu majeur prise de risque et du désir d’autonomie qui la caractérisent.
qui peut être vécu difficilement à l’adolescence. Ce pro-
blème d’observance est retrouvé chez la plupart des adoles-
cents atteints de maladies chroniques comme l’attestent 1. Patients et méthodes
nombre d’études. Certains auteurs élargissent leurs conclu-
sions concernant la mauvaise observance chez l’adolescent Un questionnaire rendu anonyme et détaillé (121 ques-
atteint de maladie chronique à « toute autre forme de soins : tions) a été rempli au cours d’un entretien confidentiel, dont
traitement d’acné, contraception, surveillance d’une sco- la durée pouvait dépasser une heure. Les participants à cette
liose… » souvent ressentie comme « une menace à leur étude ont été sollicités à l’occasion d’une consultation, avec
autonomie » [2]. D’autres auteurs mettent en exergue cer- l’accord de leur(s) parent(s) ou adulte(s) responsables. Les
tains comportements pathologiques, le déni de la maladie, critères d’inclusion étaient d’être suivi régulièrement dans
les ruptures, les conflits « pouvant renforcer la non- un même centre pédiatrique spécialisé, d’être âgé d’au
observance » [3]. D’autres paramètres, comme la durée du moins 13 ans révolus et être censé connaître le diagnostic de
traitement, ou le nombre de médicaments dans des maladies la séropositivité. Pour évaluer la prise de conscience des
comme l’asthme [4] ou la tuberculose [5], peuvent égale- adolescents par rapport au problème de la lipodystrophie,
ment entraver la bonne prise des traitements. Les études nous leur avions demandé, à l’aide d’un schéma corporel
concernant les adolescents contaminés par le VIH, mettent utilisé habituellement pour la douleur, de hachurer par des
également l’accent sur cet aspect des ruptures sociales et couleurs différentes les parties du corps qu’ils aimaient ou
psychologiques [6]. La plupart d’entre elles font état de non.
difficultés d’observance concernant les adolescents infectés Il a été décidé que les entretiens seraient menés par deux
par voie sexuelle ou par injection : certains avancent la personnes ayant une pratique différente : la psychologue
consommation d’alcool ou de substances comme responsa- abordant le vécu et les difficultés psychologiques des
ble de la non-observance [7], d’autres le nombre important adolescents et la technicienne d’études cliniques menant les
de médicaments à prendre quotidiennement [8]. Mais consultations d’observance dans l’unité, évaluant la faisa-
comme le note une équipe de chercheurs américains [9], il bilité et surtout la qualité de prise des traitements. Les
semble que « l’adhésion thérapeutique varie selon la voie de réponses retenues pour cette enquête étaient celles qui
contamination ». revenaient le plus régulièrement et de façon répétitive et qui
La spécificité de notre étude tient à ce fait particulier nous semblaient de ce fait avoir un sens particulier.
qu’elle concernait précisément une population peu étudiée
puisqu’elle avait été essentiellement infectée par contami-
nation maternofœtale et suivie dans le même service depuis 2. Résultats
la petite enfance. Cela nous a permis d’évaluer certains
éléments de la mauvaise observance, avant et après l’ado- Sur la période de l’enquête qui a duré quatre mois
lescence. Cette étude purement descriptive, n’avait pas pour (novembre 2000 à février 2001), 29 adolescents sur les 31
ambition de comprendre les mécanismes complexes et suivis ont accepté l’entretien, un l’a refusé prétextant avoir
multiples de mauvaise observance dans la population ado- déjà trop parlé de la maladie, pour l’autre la mère était
lescente séropositive pour le VIH, mais de comprendre réticente à ce que le diagnostic de séropositivité soit
comment le vécu de la séropositivité pouvait avoir une clairement évoqué avec sa fille âgée de 15 ans.
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Tableau 1 comprimés), réparti en deux prises quotidiennes était en


Caractéristiques Nombre d’adolescents (n = 29) moyenne de 11 par jour (médiane : 13, maximum : 19).
Sexe
Le taux moyen de lymphocytes CD4 était de 588
Féminin 15 cellules/mm3, quatre adolescents sur 29 avaient moins de
Masculin 14 200 CD4/mm3. La médiane de la charge virale était de 907
Âge : Médiane = Moyenne = 15 ans 5 mois copies/ml (2,95 log) avec dans sept cas, une charge virale
Origine ethnique
Afrique subsaharienne 16 indétectable et dans deux cas une charge virale > 30 000
Europe 7 copies/ml.
Maghreb 6
Modes de contamination
Maternofœtal 15
2.5. Connaissance du traitement et de la maladie
Transfusionnel 8 par l’adolescent
Inconnu 6
Âge au moment de l’arrivée en France 2.5.1. Sur la maladie et son suivi
(n = 15 nés hors de France)
Âge minimal 4 mois Vingt et un adolescents sur 29 se considéraient bien
Âge maximal 15 ans 8 mois informés sur le virus et 26 sur 27 sur les modes de
Médiane = 5 ans 8 mois transmission du virus. Les moyens de prévention cités
.
étaient pour presque tous le préservatif et ils connaissaient
les risques de la transmission sanguine. En revanche, 18 sur
2.1. Données démographiques 29 disaient ne pas savoir ce que veut dire « charge virale »
et 24 sur 29 ignoraient ce que voulait dire « taux de CD4 ».
Les caractéristiques des 29 adolescents interrogés figu- En ce qui concerne leurs propres résultats, un seul connais-
rent dans le Tableau 1. sait son taux de CD4 et cinq leur taux de charge virale.

2.2. Données familiales 2.5.2. Sur le traitement


Vingt-sept adolescents sur 29 connaissaient l’intérêt du
Six adolescents seulement vivaient avec leurs deux traitement, savaient à quoi il servait et les conséquences
parents. Plus de la moitié (14 sur 23) étaient orphelins de possibles de la mauvaise observance (19 sur 29), comment
père ou de mère. Huit enfants sur 29 vivaient avec leur père. prendre le traitement et ses effets secondaires (18 sur 29).
Cinq disaient toutefois ne pas vouloir en savoir plus et 16
2.3. Données scolaires sur 29 ne jugeaient pas utile d’avoir un livret explicatif sur
la maladie et le traitement.
Les trois quarts d’entre eux avaient un retard scolaire (21
sur 29), dont dix d’une année. Dans la majorité des cas (17 2.6. Vécu du traitement et de la maladie
sur 29) les redoublements avaient eu lieu pendant la petite
enfance, trois seulement à l’adolescence. Les retards impor 2.6.1. Vécu du traitement
tants étaient essentiellement dus au fait que beaucoup Vingt-quatre adolescents sur 29 prenaient un traitement
d’enfants étaient arrivés d’Afrique avec un niveau scolaire depuis la petite enfance. Un sur trois seulement était
du pays d’origine très différent. d’accord pour le prendre lors de la prescription initiale. Pour
avoir une meilleure perception de ce vécu, nous avons
2.4. Données médicales interrogé l’adolescent sur son enfance et les souvenirs qu’il
avait du traitement et mis en parallèle les réponses qu’il
Au plan médical, leur état général était bon, même si nous faisait, aujourd’hui adolescent par rapport à trois
certains avaient, il y a quelques années, présenté des critères : les difficultés rencontrées avec la thérapeutique,
maladies sévères. Selon la classification CDC d’Atlanta [10] son adhésion et les contraintes liées à ce type de traitement.
13 étaient au stade A, dix au stade B et six au stade C de la Dans l’enfance, sur les 24 qui avaient débuté le traite-
maladie. Ils étaient traités depuis huit ans en moyenne par ment antirétroviral, une majorité évoquait tout particulière-
des traitements antirétroviraux (ARV), l’ancienneté du trai- ment la difficulté liée au mauvais goût de deux médica-
tement allant d’un an à 13 ans et dix mois. Au moment de ments, le Vidext et le Norvirt. On notait par ailleurs que
l’enquête, 16 recevaient une trithérapie, six une quadri- dans la petite enfance, on ne trouvait pas d’arrêt prolongé du
thérapie, quatre une bithérapie. Trois n’avaient pas de traitement AVR. Dix-neuf adolescents sur 24 parlaient
traitement : dans un cas, il s’agissait d’une infection VIH2 d’oublis « involontaires » et la moitié d’oublis « volontai-
peu évolutive, dans deux cas d’une décision d’arrêt de res » en disant ne pas avoir pris certains médicaments en
traitement. Le nombre d’unités de traitement (gélules ou cachette des parents, souvent à cause de difficultés induites
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par la forme galénique évoquée ci-dessus. Les prises à avaient parfois été violentes, allant de l’absence de réaction
l’école se faisaient le plus souvent en cachette, la famille ne [7], à l’étonnement [7], aux pleurs [9] voire au choc ou à la
souhaitant pas en informer l’école. panique [6]. À la question « Qu’est-ce qui vous dérange le
À l’adolescence, 19 sur 29 considéraient ne pas avoir de plus dans le fait d’être séropositif ? », la première des
difficultés de prise ni avoir besoin d’aide pour prendre leur réponses était d’avoir à prendre tous les jours des médica-
traitement (25 sur 29). Dix-huit sur 29 ne signalaient pas ments (15 sur 29), parce qu’il était le révélateur de la
d’effets secondaires, 11 adolescents rapportaient des problè- maladie et une contrainte de chaque jour. Les autres
mes digestifs mineurs ou une certaine fatigabilité. Bien que réponses étaient le poids du secret comme ne pas pouvoir en
10 % des adolescents suivis aient présenté des signes parler, mais aussi pouvoir le « refiler » et l’impossibilité
cliniques de lipodystrophie, ils ne reliaient pas ce problème pour eux de songer à fonder une famille ou à avoir des
à un effet secondaire du traitement. À la question : enfants, en fait « ne pas être normal », « comme les autres ».
« Considères-tu que le sida est une maladie comme les Pensaient-ils souvent au virus ? Cinq ont dit « jamais »,
autres ? », l’un d’entre eux a même répondu : « il y a une deux « tous les jours », les autres « de temps en temps »
maladie plus grave que le sida, c’est la lipodystrophie ». Un voire « exceptionnellement », à l’occasion d’émissions de
des problèmes le plus souvent évoqués était celui du goût télévision, ou en prenant leur traitement. S’agissait-il pour
(10 sur 29) et la molécule le plus souvent citée était le eux d’une maladie comme les autres ? les réponses ont été
Viraceptt avant sa forme pelliculée, puis les effets secon- partagées. Certains disaient « Il y a une maladie plus grave
daires [9], les horaires de prise [9], le caractère contraignant comme la vache folle, parce que ça, on en meurt... »,
du traitement [8], évoquant pour ces deux derniers problè- d’autres « ça ne se guérit pas », « ça ne se voit pas », « on
mes leur besoin d’autonomie. D’autres contraintes liées au peut en mourir mais même les autres maladies on peut en
traitement étaient également exprimées, comme ne pas mourir, le cancer par exemple… ». Physiquement les ado-
pouvoir faire le ramadan pour certains et la crainte du regard lescents disaient ne pas se sentir malades (28 sur 29), en
et des questions sur leur traitement par les copains. revanche le mal-être psychologique était souvent cité. En
À l’adolescence les difficultés d’observance persistaient : effet, le poids du secret de la maladie faisait que le plus
23 sur 29 disaient ne pas avoir pris ou avoir oublié au moins souvent ils n’en parlaient jamais aux autres (16 sur 29) d’où
une fois leur traitement, dont 15 volontairement. Ces un sentiment de solitude et d’état dépressif exprimé par la
ruptures de traitement n’étaient pas liées aux formes galé- majorité d’entre eux (19 sur 29). Le plus souvent (21 sur
niques comme cela avait été souvent le cas dans la petite 29), ils estimaient malgré tout leur vie actuelle agréable,
enfance, mais plutôt aux moments de liberté que l’adoles- argumentant leur normalité en disant « j’ai des copains, je
cent voulait s’octroyer, neuf sur 29 étaient dans ce cas. Le suis comme les autres ». Huit ont dit avoir plutôt une vie
ressenti de ces adolescents était alors pour sept d’entre eux difficile essentiellement par rapport aux autres, aux copains
un sentiment de soulagement et de bien être. Leur ressenti parce qu’eux se sentaient différents. La moitié d’entre eux
général par rapport au traitement était une certaine « désil- avaient des hésitations à se projeter dans l’avenir et disaient
lusion » car il ne répondait pas à leur attente. En effet si 27 « plus tard, je voudrais être… mais d’ici là on verra... ».
adolescents sur 29 savaient à quoi sert le traitement en
disant « il sert à endormir le virus, à l’affaiblir », 12 ont dit
attendre qu’il « les guérissent », en sachant que cela n’était
pas possible et cinq « rien du tout ». Quand il y avait eu arrêt 3. Discussion
ou oubli du traitement, la culpabilité était importante, 24 sur
29 ont dit juste y repenser dans l’après-coup mais 15 ont dit En ce qui concerne l’impact émotionnel l’entretien a
se sentir coupables. parfois suscité beaucoup d’émotions tant la question du
secret de la contamination est essentielle. Malgré cela, la
2.6.2. Vécu de la maladie majorité des adolescents ont dit l’avoir vécu de façon
Vingt-trois adolescents sur 29 se souvenaient du moment positive dans la mesure où ils pouvaient pour la première
où ils avaient appris leur séropositivité : pour la moitié fois, faire le point sur la maladie. Par ailleurs, pour que
d’entre eux après l’âge de dix ans. Cette annonce leur avait l’entretien ait lieu dans un climat de confiance, il avait été
été faite le plus souvent par le médecin (15 sur 29) et/ou la précisé à l’adolescent qu’aucun renseignement le concer-
famille. Certains l’avaient découverte seuls en lisant les nant ne serait divulgué à son médecin et qu’un retour de
notices de médicaments ou en regardant des émissions à la l’enquête serait fait de façon globale à tous les participants
télévision. La majorité (21 sur 29) savaient également (et à leur famille) s’ils le souhaitaient, ce qui a été réalisé en
comment ils avaient été contaminés. Le moment de l’an- fin d’étude. En reprenant chacune de nos trois hypothèses
nonce était un moment important, d’une part parce que la retenues comme point de départ de notre étude nous avons
majorité s’en souvenait et que, d’autre part, les réactions maintenant certains éléments de réponses.
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3.1. Informations sur le traitement et la maladie montrait déjà l’enquête menée en 1997 [15,16]. À l’adoles-
cence si le problème du goût reste évoqué, il y a de façon
L’information sur la maladie et le traitement était en générale, peu de problèmes de prise. Les effets secondaires
général très bon et ce n’était donc pas par manque de ne sont pas, contrairement à ce qui est observé chez l’adulte,
connaissance qu’avaient eu lieu les dérapages qui s’étaient une cause fréquente de la mauvaise observance. En effet,
traduits par la non-observance thérapeutique. Les adoles- l’étude de l’observance au sein de la cohorte adulte
cents disaient d’ailleurs ne pas avoir besoin d’aide pour la APROCO a montré que ceux-ci constituaient la première
prise des traitements. Par cette étude, nous avons vu que la cause d’arrêt des traitements [17]. Dans notre étude, les
problématique de l’observance ne se situe pas qu’au niveau lipodystrophies n’étaient pas identifiées par les adolescents
du savoir mais aussi au niveau du pouvoir et du vouloir [11]. comme liées au traitement même si elles étaient parfois
Chez l’adolescent les décisions thérapeutiques sont trop repérées, l’adolescent considérant plutôt ces modifications
souvent vécues comme « une soumission passive » et nom- corporelles comme étant liées à l’adolescence.
breux sont ceux qui disent ne pas avoir eu le choix lors de Pour l’adolescent les préoccupations sont donc tout
l’initiation du traitement. Il n’y a alors pas d’explication autres. Quand il va mal, c’est contre son traitement qu’il
causale de l’action, on prend des traitements souvent sans y s’en prend d’où les choix délibérés d’arrêt des médicaments.
croire et sans désir [12]. Cette place leur donne peu Le problème de la non-observance est chez lui quelque
l’occasion de se positionner en tant que « sujet » face aux chose de déterminé. Chez l’adolescent le rejet de la maladie
décisions thérapeutiques, générant parfois une certaine pas- se focalise sur les médicaments qui deviennent « ce qui
sivité dans le suivi de la maladie. Nous avons vu le nombre dérange le plus dans la séropositivité ». En effet, ces
important d’adolescents restant à l’écart de la connaissance derniers sont non seulement la preuve de la maladie, mais ils
de leur charge virale ou de leur CD4 comme si le discours empêchent l’adolescent de faire « comme les autres », ils
médical d’adulte ne semblait pas les concerner. sont une astreinte de chaque jour.
Le propre de la dynamique adolescente ne se situe-t-il Malgré la qualité de leur information sur la maladie et
pas avant tout dans l’émergence d’un désir propre qui se l’intérêt du traitement, beaucoup dédramatisaient la maladie
confronte alors au désir de l’adulte pour lui [13]. Désir du et aucun d’entre eux ne disait se sentir malade. Leurs
parent, désir du médecin avec parfois pour l’adolescent la attentes vis-à-vis du traitement étaient modestes voire
sensation d’être exclu du discours qu’il entend de lui. M. inexistantes. Certains n’avaient pas conscience de leur non
exprime bien comment il ressent le discours adulte en observance : ainsi ce garçon qui disait prendre son traite-
restant totalement à l’écart de ce discours là : « ils disent ment régulièrement ajoutait « que des fois il ne le prenait
que ça fait dormir le virus.. je viens parce qu’ils me disent pas plusieurs fois par mois ».
de venir ».
3.4. La spécificité de la mauvaise observance
3.2. Impact du vécu du VIH sur la mauvaise observance chez l’adolescent séropositif se situe au carrefour de deux
problématiques identitaires qui se conjuguent :
L’adolescent se sent dépendant du traitement parce qu’il
le vécu du VIH et l’adolescence
l’empêche de sortir du quotidien et de goûter à la liberté à
laquelle il aspire, mais aussi il est ce qu’il doit cacher pour 3.4.1. La non-observance comme prise de risque
que le secret de la séropositivité soit gardé. La plupart des
Les adolescents savent qu’en ne prenant pas leur médi-
adolescents interrogés évoquaient le fait de se cacher des
cament, ils prennent un risque considérable, celui de la
autres. Se protéger soi mais aussi sa famille restait une
maladie. Celle-ci est totalement imbriquée dans leur his-
préoccupation de tous les instants. Avoir des copains
toire, dont on ne parle jamais dans leur famille. Ceux qui
« même si ce n’est pas toujours facile avec eux », c’est la
arrêtent leur traitement sont informés sur les conséquences
preuve qu’ils vivent normalement en faisant comme les
possibles d’un tel passage à l’acte et pourtant dans un
autres, craignant toujours l’exclusion du groupe [14]. Ainsi
premier temps, c’est surtout une sensation de liberté qui est
ils racontaient qu’ils enlevaient les étiquettes des boîtes de
décrite. C’est ainsi que la décision d’arrêter le traitement est
médicaments, ou les mettaient dans un « plastique noir »
souvent prise au moment où l’adolescent veut se sentir bien,
pour éviter le regard d’un copain mais aussi d’un frère ou
libéré, aspirant à son autonomie [18,19]. Connaissant les
d’un oncle, vivant sous leur propre toit, mais non informé.
conséquences d’un tel acte, c’est dans l’après–coup qu’un
3.3. La dynamique adolescente renvoie à la dynamique sentiment de culpabilité émerge pour certains d’entre eux et
de l’observance qui est différente selon les âges de la vie l’arrêt est la plupart du temps temporaire. Plusieurs nous ont
raconté comment ils attendaient le verdict médical après
Cette étude a montré que les causes de mauvaise obser- l’arrêt, les limites en quelque sorte que le pédiatre mettrait
vance dans la petite enfance étaient essentiellement liées au à leur transgression, avec parfois une déception : le médecin
problème de la forme galénique des médicaments, comme le n’avait pas remarqué.
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3.4.2. Relations entre secret et prise de risque : une 4. Conclusion et perspectives


spécificité de l’adolescent séropositif
En recherchant les déterminants spécifiques de cette Malgré une longue histoire avec la maladie, les adoles-
non-observance chez les adolescents séropositifs nous cents suivis depuis la petite enfance pour une infection à
avons distingué trois groupes d’adolescents : un groupe VIH vont bien sur le plan clinique et mènent une vie
important d’adolescents (17 sur 29) qui seraient tous plus ou apparemment normale malgré leur parcours de vie familiale
moins non observant à un moment donné, un groupe de trois souvent difficile [21]. Les adolescents contre toute attente
adolescents qui n’étaient pas toujours observant et complè- disent d’ailleurs avoir une vie agréable, « malgré tout »
tement repliés sur eux mêmes dans le déni de leur maladie, même si la souffrance est par ailleurs présente. Cependant
inhibés et immatures, à l’écart du processus adolescent et un au vu de cette étude qui a montré combien la mauvaise
groupe de neuf adolescents qui s’autorise un arrêt de observance est un passage à l’acte fréquent dans cette
traitement supérieur à un mois, dans une rupture plus population, parfois important et relativement inévitable,
catégorique avec le suivi médical. En nous arrêtant tout nous devons considérer de nouvelles perspectives thérapeu-
particulièrement sur ce dernier groupe, nous nous sommes tiques et médicales.
rendus compte que ce qui faisait sa spécificité c’était la La crédibilité du médecin (et de l’adulte qu’il est) passe
sensibilité particulièrement aiguë de ces adolescents au par la nécessité d’un repérage de la non-observance de
problème du secret. l’adolescent et par sa capacité de l’en informer immédiate-
La maladie du sida enferme avec elle les secrets de ment. En effet, comprendre la non observance dans une
famille dont l’adolescent ne peut parler depuis la petite dynamique adolescente ne doit pas faire oublier que la prise
enfance [20]. Moins on parle de la maladie, plus on est en de risque peut être importante chez l’adolescent et nous
rupture avec elle ; être en rupture c’est refuser son exis- échapper : nous devons utiliser un langage simple et décul-
tence : on ne veut rien savoir et on s’enferme dans un pabilisant, partager l’évolution du traitement qui doit pren-
évitement de toute situation qui met en danger le non savoir. dre sens pour lui et entendre sa souffrance. Ne devons-nous
Le mutisme des familles accompagne celui de leurs adoles- pas éviter de prescrire certaines classes de molécules (celles
cents et le « ne pas savoir » concerne autant le VIH que pour qui le risque de mutation est rapide) pendant cette
l’adolescence. L’adolescence devient la période de tous les période de l’adolescence ?
dangers comme répétition et comme révélation possible du
traumatisme de la contamination d’autant que les structures Éventuellement quand les difficultés d’observance per-
familiales sont souvent fragilisées par l’absence fréquente sistent et quand les résultats biologiques et cliniques le
des pères. permettent, on pourrait envisager une interruption thérapeu-
tique temporaire concertée avec surveillance attentive de
En mettant en scène la sexualité et les passages à l’acte l’évolution clinique et immunologique, après avoir fixé les
possibles les adolescents ravivent les blessures parentales critères de reprise. En effet, un traitement mal pris favorise
surtout chez les parents contaminés par voie sexuelle. Les l’émergence de résistances aux médicaments antirétrovi-
adolescents qui échappent souvent à toute verbalisation de raux, compromettant les ressources thérapeutiques ultérieu-
la souffrance ont ce point commun : faire comme si de rien res, alors que l’espérance de vie actuelle des adolescents
n’était, dans un déni très fort de la séropositivité. Ainsi ceux séropositifs en France, pourrait être de plusieurs décennies.
qui arrêtaient le plus et le plus longtemps leur médicament
étaient aussi ceux qui ne venaient pas régulièrement aux Enfin, il nous semble à la lumière de cette étude et dans
consultations, ceux qui souvent n’étaient pas partis avec les un travail constant de prévention, qu’il est nécessaire dès le
autres en colonie ou en classe de nature, ceux qui ne début de la prise en charge de l’enfant séropositif, de le
parlaient jamais du virus et dans les familles desquels on préparer à vivre avec le VIH et son traitement, de limiter le
n’en n’avait jamais parlé depuis toujours et enfin ceux qui poids du secret : une relation de confiance est nécessaire
disaient « ne jamais y penser ». Ils pouvaient réagir pourtant pour aider l’enfant et sa famille à en parler le plus possible
parfois violemment, exprimant un vécu d’abandon extrême- et le plus tôt possible.
ment important, leur souffrance évidente pour tous passant
inaperçue au sein de leur famille.
Beaucoup n’utilisaient pas le préservatif tant de fois Références
conseillé (trop probablement) et même si ce n’était pas
l’apanage de notre population, cela prenait évidemment un
[1] Steven L, Gortmaker, Hugues M, Ceria J, Brady M, John-
sens particulier. Entre autres, prendre un médicament ou son GM, et al. Effect of combination therapy including protease
utiliser un préservatif devant l’autre, c’était trahir sa séro- inhibitors on mortality among children and adolescents infected with
positivité. HIV-1. N Engl J Med 2001;345:1522–8.
N. Trocmé et al. / Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1241–1247 1247

[2] Alvin P, Basquin M, Marcelli D. Observance thérapeutique et [12] Certain A. Observance thérapeutique dans l’infection par le VIH : un
relation de soins à l’adolescence. Entretiens de Bichat. défi multidisciplinaire. La lettre de la FNCLS 2000;13:8.
Thérapeutique/Tables rondes. Paris: Expansion Scientifique [13] Forget JM. Ces ados qui nous prennent la tête. Le métier de parents.
Française; 1997. p. 1–9. Paris: Editions Fleurus; 1999.
[3] Marcelli D. Adolescence et psychopathologie. Collection : les âges
[14] Trocmé N. Un groupe de rencontres d’adolescents séropositifs au
de la vie. 5e édition. Paris: Masson; 1999. p. 508–26.
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