Vous êtes sur la page 1sur 366

Conception de couverture : Hokus Pokus créations

Illustration de couverture : © Fotolia

© Armand Colin, 2016 pour la 2 e édition


© Armand Colin, 2012

Armand Colin est une marque de


Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92247 Malakoff Cedex

ISBN : 978-2-200-61624-3

www.armand-colin.com
SOMMAIRE
Couverture

Page de titre

Page de Copyright

Présentation des auteurs

Introduction générale : sens et portée de l’entretiendans la pratique


clinique (Bernard Chouvier)

PREMIÈRE PARTIE : CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DE


L’ENTRETIEN CLINIQUE (Bernard Chouvier)

1 La singularité de l’approche clinique

1. Les idées fondamentales


2. Champs tensionnels à l’œuvre dans la relation clinique
2 Aux commencements de l’entretie

1. Objectifs et enjeux de la rencontre clinique


2. Le cadre et le métacadre de l’entretien
3 Les spécificités de la position clinique

1. Le savoir clinique
2. Les trois types d’entretien
3. Le savoir observer
4. Les interventions du psychologue
5. La prise en compte des défenses
6. Transfert et contre-transfert
7. La double écoute

DEUXIÈME PARTIE : LES DIFFÉRENTS TYPES D’ENTRETIEN


CLINIQUE

4 L’entretien en périnatalité (Joëlle Rochette-Guglielmi)

1. Les thérapies d’interprétation


2. Les thérapies d’attention
3. Les thérapies groupales ou à modalité ritualisante
4. Une sémiologie dyadique
5. Les affres de la création de l’espace dyadique primaire
6. Situation clinique
5 L’entretien psychanalytique groupal familial (Christiane Joubert)

1. Les fondements théoriques et méthodologiques


2. Le cadre groupal familial
3. Les consultations et l’indication de soins psychiques
4. Situation clinique
6 L’entretien avec l’enfant (Bernard Chouvier)

1. La rencontre avec l’enfant : problème actuel et capacité d’autonomie


2. La position d’enfance du clinicien
3. Jeux et dessins dans l’entretien avec l’enfant
4. Alliance thérapeutique avec l’enfant et alliance thérapeutique avec les
parents
5. À l’épreuve de la temporalité : avant l’après-coup
6. Situation clinique
7 L’entretien avec l’adolescent (Bernard Chouvier)

1. Dépendance et autonomie
2. La quête de l’identité sexuelle
3. Traumatophilie et conduites ordaliques
4. L’idéalité et le groupe
5. La prise en charge et les lieux institutionnels
6. Situation clinique
8 L’entretien clinique et la psychothérapie de l’adolescent (Thomas
Rabeyron)

1. Processus de l’adolescence en souffrance


2. L’aménagement du cadre
3. Principes de l’entretien psychothérapique
4. Situation clinique
9 L’entretien avec l’adolescent aux prises avec sa violence et la
violence de l’environnement (Angélique Gozlan)

Introduction
1. L’agir adolescent
2. L’adolescent et la violence de l’environnement
3. La destructivité du cadre de l’entretien
4. Processus psychiques en jeu dans la relation transféro-contre-
transférentielle
5. La victimisation de l’adolescent en situation de violence
6. Pour une créativité dans la violence
10 L’entretien avec le sujet âgé (Jean-Marc Talpin)

1. Le cadre institutionnel des entretiens


2. La demande d’entretien
3. L’espace et le temps de l’entretien
4. Le corps dans l’entretien
5. Structure d’âge et organisation des transferts
6. L’entretien avec le sujet dément
7. Les visées des entretiens avec les sujets âgés
8. Situation clinique

TROISIÈME PARTIE : LES PRATIQUES INSTITUTIONNELLES


DE L’ENTRETIEN CLINIQUE

11 L’entretien psychologique à l’hôpital général (Nathalie Dumet)

1. Des spécialités médicales à l’unité du sujet malade


2. À la rencontre du malade
3. Situation clinique
12 L’entretien aux confins de la psychose (Patricia Attigui)

1. Préambule
2. Les semblances du connu et la vérité du lointain
3. L’écrit clinique et le récit du cas
4. Le transfert au cœur de l’entretien
5. De la crainte de l’effondrement à l’inquiétante familiarité
6. L’entretien, lieu de construction de l’espace psychique
7. Le désir du thérapeute : filtre et moteur de l’entretien
8. Appréhender les fondements réels du délire
9. L’entretien, par-delà la mémoire
13 L’entretien en prison (Magali Ravit)

1. Contexte de la rencontre clinique


2. Dispositif des entretiens cliniques
3. Relation thérapeutique et travail de mentalisation
4. Situation clinique
14 L’entretien dans la problématique addictive (Anne Brun)

1. Addiction et perspective psychosomatique : le lien corps/psyché


2. La dynamique transféro-contre-transférentielle
3. De la désaffectation au partage d’affect
4. Les différents types de cadres-dispositifs d’entretien
5. Les interventions du clinicien
6. Situation clinique
15 L’entretien avec le sujet suicidant (Joanne André)

1. Le cadre hospitalier
2. La situation et les enjeux de l’entretien clinique
3. Situation clinique
16 L’entretien en réanimation médico-chirurgicale adulte (Raphaël
Minjard)

1. La demande
2. Vie psychique et réanimation
3. Errer et être là
4. Percevoir ou la fonction de témoin
5. Faire des histoires symbolisantes : le travail de passeur
6. Peut-on penser une méthodologie de l’entretien spécifique
en réanimation ?
7. Situation clinique
8. Compréhension et analyse

Conclusion

Bibliographie

Index
PRÉSENTATION
DES AUTEURS

ANDRÉ Joanne , psychologue clinicienne, maître de conférences en


psychopathologie psychanalytique, Université Paris Descartes.
ATTIGUI Patricia , psychologue clinicienne, psychanalyste, professeur de
psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2.
BRUN Anne , psychologue clinicienne, psychanalyste, professeur de
psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2.
CHOUVIER Bernard , psychologue clinicien, psychanalyste, professeur
émérite de psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière
Lyon 2.
DUMET Nathalie , psychologue clinicienne, professeur de psychopathologie
clinique du somatique, Université Lumière Lyon 2.
GOZLAN Angélique , docteur en psychopathologie et psychanalyse,
psychologue clinicienne, chercheuse associée à l’Université Lumière Lyon 2
et à l’Université Paris 7.
GUILLIER-PASUT Nathalie , psychologue clinicienne, chargée de TD,
Université Lumière Lyon 2.
JOUBERT Christiane , psychologue clinicienne, psychanalyste de familles
et de couples, psychanalyste de groupe, professeur de psychologie clinique,
Université de Toulouse Jean Jaurès.
MINJARD Raphaël , psychologue clinicien, maître de conférences en
psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2.
RABEYRON Thomas, psychologue clinicien, maître de conférences en
psychologie clinique, Université de Nantes.
RAVIT Magali , psychologue clinicienne, expert près la cour d’appel de
Lyon, maître de conférences en psychopathologie et psychologie clinique,
Université Lyon 2.
ROCHETTE-GUGLIELMI Joëlle , psychologue clinicienne,
psychanalyste, maître de conférences associée en psychopathologie et
psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2.
TALPIN Jean-Marc , psychologue clinicien, professeur de
psychopathologie et psychologie clinique, Université Lumière Lyon 2.
INTRODUCTION
GÉNÉRALE
SENS ET PORTÉE
DE L’ENTRETIEN
DANS LA PRATIQUE
CLINIQUE

D epuis quelques décennies, la pratique du psychologue clinicien s’est


considérablement étendue. Il n’est quasiment plus de secteur social qui ne
bénéficie de la présence d’un clinicien, sur les lieux mêmes ou en différé
pour une reprise élaborative avec les équipes de terrain.
Dès les années 1970, la psychologie clinique, ayant fait ses preuves dans le
champ psychiatrique, commençait à trouver des applications aussi bien dans
le domaine de la santé que dans celui du travail. Le besoin de prendre en
compte la personne comme une unité subjective, au lieu de se limiter à ses
troubles somatiques ou à ses motivations, s’est fait sentir de façon pressante
et a créé de nouvelles fonctions pour le clinicien. Aujourd’hui, c’est
l’ensemble du corps social qui est concerné. L’armée, la police, les prisons,
les banques et même, depuis peu, les casinos emploient des psychologues
cliniciens pour faire face à des problèmes aussi aigus que divers. Sans parler
du secteur libéral qui, compte tenu d’une demande croissante, s’est également
accru de façon notable.
Une telle extension professionnelle ne va pas sans poser de problèmes. N’y
a-t-il pas un risque de dilution des principes de la clinique devant une
généralisation praticienne ? Le tranchant de la méthode ne s’émousse-t-il pas
au contact de situations professionnelles si différentes ?
Un autre aspect épineux est celui de la formation. Dans le domaine
judiciaire, par exemple, n’est-il pas nécessaire que le clinicien reçoive des
enseignements sur la criminologie ? Ne convient-il pas également de
développer plus avant des spécialités en gérontologie et dans le domaine des
addictions, notamment ?
Quoi qu’il en soit de ces questions cruciales qui préoccupent toutes les
instances formatrices, il importe de définir et de cerner les tâches essentielles
et premières qui caractérisent la pratique de la psychologie clinique. Les deux
outils qui sont incontournables et ne font l’objet d’aucune controverse, ni
d’aucune polémique, sont l’entretien clinique et l’examen psychologique 1.
Cet ouvrage a pour but de dégager les aspects fondamentaux de la méthode
clinique, tels qu’ils sont mis en pratique dans le champ clinique en prenant
appui sur les acquis de la psychanalyse. Dans la mesure où la clinique
s’attache à l’ensemble de la personne, elle ne saurait laisser de côté cette
dimension centrale de la vie psychique découverte et mise en lumière par
Freud qu’est l’inconscient. Pas de psychologie clinique légitime sans prise en
compte des différents niveaux de la vie psychique et, en premier lieu, de celui
qui a si longtemps été oublié par la psychologie parce que
méthodologiquement difficile d’accès puisque, par principe même, il échappe
à la conscience qui veut en prendre connaissance. La psychanalyse nous a
donné les moyens d’accéder de manière indirecte à l’ inconscient et il n’est
pas possible de concevoir une psychologie clinique authentique sans l’apport
du savoir analytique sur les fonctionnements en profondeur de l’appareil
psychique. Cette approche est certes plus complexe qu’une pure et simple
psychologie de la conscience mais, on le comprend, elle est indispensable
pour fonder une écoute réelle et ouvrir à une aide, un accompagnement ou un
suivi thérapeutique.
L’entretien est à la base de la formation du psychologue clinicien. Il
vectorise toute rencontre et se fonde sur l’outil premier mis à la disposition de
chacun, la parole. Et c’est justement cette évidence première qui en constitue
le premier obstacle épistémologique. Puisque tout le monde est doué du
verbe, tout le monde est compétent à manier l’entretien et il n’est pas besoin
de formation particulière pour savoir parler et écouter. Chacun aurait ainsi la
compétence psychologique dans la mesure où il a la compétence langagière.
Les choses sont en réalité un peu plus compliquées que cela et quiconque a
dialogué avec une personne dépressive de son entourage a pu s’en rendre
compte de façon manifeste. Très vite, la conversation s’enlise dans la plainte
ou le ressassement et il n’est plus d’autre issue que de mettre fin à un échange
pénible et douloureux, ne débouchant sur aucune solution pratique. La
nécessité d’une compétence acquise et non plus naturelle se fait jour dès lors
qu’on souhaite réellement qu’un processus de changement se mette en place
pour la personne qui est en souffrance. La reconnaissance même de l’être en
souffrance d’un sujet est d’ailleurs le premier pas de la démarche clinique
elle-même.
Dans une première partie, nous allons présenter et analyser les
caractéristiques générales de l’entretien psychologique basé sur une méthode
clinique et mettant en œuvre, selon un axe psychodynamique, les données du
savoir psychanalytique. Illustré par des exemples simples et concis, chaque
chapitre s’efforce de définir et de développer les concepts organisateurs de
l’approche théorico-clinique de l’entretien, selon une perspective strictement
praticienne.
Le chapitre 1 revient sur les données fondamentales de la méthode
clinique, à savoir l’ intériorité comme point de vue dominant, l’ unicité
indivisible de la personne et la totalité définissant l’approche clinicienne. Le
clinicien met en avant la question de la présence et il privilégie la
compréhension à l’explication. Ce qui est essentiel dans sa démarche, c’est la
tenue paradoxale à laquelle il est confronté entre l’universalité du
fonctionnement psychique et la prise en compte centrale de la dimension
propre de chaque situation particulière. Seront abordées les questions de l’
empathie et de l’ identification, ainsi que la nécessaire implication réciproque
du clinicien et du consultant durant l’entretien.
Dans le chapitre 2, il s’agit de se centrer sur l’importance de la demande et
de définir très précisément le cadre et le métacadre de l’entretien. Le concept
de rencontre et celui de Stimmung permettent de cerner au mieux les enjeux
profonds du fonctionnement psychique. La neutralité et la bienveillance
seront également abordées.
Les spécificités de la position clinique sont traitées au chapitre 3. On
distingue trois types d’entretien : directif, semi-directif et non directif. Le
sens de l’observation est particulièrement sollicité et il est partie intégrante du
savoir clinique. Il importe également de repérer la manière dont le clinicien
intervient et de voir comment se mettent en place le transfert et le contre-
transfert durant l’entretien. Le psychologue doit prendre en compte les
attitudes défensives qui se manifestent dans l’entretien, tout en les respectant.
Il est à l’ écoute à la fois de ce que dit le consultant et de ce qu’il lui fait
ressentir affectivement.
La deuxième partie est consacrée à la spécificité de l’entretien selon les
différents âges de la vie. Si les données fondamentales de l’entretien
demeurent inchangées, un certain nombre de paramètres nouveaux
demandent à être considérés. La dimension plurielle de l’entretien est le
premier registre à souligner. Le clinicien n’a plus seulement affaire à une
personne individuelle, indépendante et autonome, mais il est confronté à une
écoute groupale et multidimensionnelle. Soit plusieurs sujets sont présents au
cours de l’entretien, comme dans la consultation parents-bébé ou dans la
thérapie familiale, soit le clinicien doit fédérer et orchestrer des entretiens à
plusieurs niveaux, comme par exemple entre la famille d’une part, l’ enfant
ou la personne âgée dépendante d’autre part. Le praticien est amené à jouer
sur ces différents niveaux, afin d’assurer l’approche la plus appropriée de la
souffrance du sujet lui-même, comme aussi de celle du groupe familial.
Il est évident que le nombre des aspects qui permettent de différencier des
types particuliers d’entretien en fonction de l’âge est d’une extrême étendue.
Nous nous sommes limités, au cours de ces sept chapitres, aux distinctions
basiques afin de repérer au mieux ce qui peut influer, dans l’entretien, du fait
du degré de maturation psychique du sujet que le clinicien a en face de lui.
Une première question est celle de savoir quel est le degré de
compréhension langagière du sujet. Le bébé est par définition un infans,
c’est-à-dire quelqu’un qui ne possède que peu ou pas le maniement du
langage. Il n’en est pas moins une personne qui demande à être reconnue
pour telle. Entrer en communication avec lui nécessite d’user des divers
canaux sensoriels. De plus, cette communication gagne à être médiatisée et
les manières en sont multiples. Le chapitre 4 s’attache à mettre en lumière ces
diverses questions, en insistant particulièrement sur les liens avec la mère et
aussi avec le père.
L’ enfant, comme le bébé, n’existe pas seul. Son lien avec les parents et la
fratrie est au cœur même de sa problématique. L’entretien familial répond
précisément à ce type d’exigences. Le chapitre 5 en déplie les différents
aspects et niveaux, tout en mettant tout particulièrement l’accent sur la
dimension groupale qui nécessite une approche spécifique.
L’entretien avec l’ enfant ayant acquis l’usage de la parole demande à
prendre en compte le sens propre que revêt le langage selon le niveau de
développement. L’accès au sens et le caractère fonctionnel des mots varient
beaucoup en fonction de la maturation psychique. Le chapitre 6 met en avant
tous ces éléments en proposant les lignes principales qui organisent la
rencontre avec l’ enfant. La mise en œuvre du jeu et du dessin sont deux
prérequis de la dynamique de cet entretien.
Avec l’ adolescent , l’entretien prend une autre tournure. La quête de l’
identité qui l’anime passe d’abord par un processus d’ autonomisation.
Comment se dégager de l’influence des parents et des substituts parentaux ?
À travers l’ écoute qu’il lui prodigue, le clinicien cherche à consolider les
assises narcissiques de l’ adolescent pour lui permettre d’accéder à la
maturation ( chapitre 7). L’ étayage d’une médiation adaptée est à créer dans
l’espace clinique pour être en correspondance avec la nécessaire présence du
groupe des pairs. L’accompagnement de l’adolescent nécessite un certain
nombre d’aménagements du cadre clinique ( chapitre 8). Le chapitre 9 se
consacre à l’entretien clinique avec l’adolescent lorsqu’il est aux prises avec
sa violence et avec la violence de l’environnement.
Quant à l’entretien avec la personne âgée ( chapitre 10), il est fortement
dépendant du cadre institutionnel dans lequel il a lieu. Il importe que le
psychologue tienne compte des circonstances extérieures et qu’il s’appuie sur
les membres de la famille, surtout lorsque l’âgé souffre d’absences et de
troubles mémoriels. Le renforcement des enveloppes psychiques aide à
protéger contre la dépressivité et à prévenir le syndrome de glissement.
La présentation et l’analyse de situations cliniques singulières servent non
seulement à illustrer la démarche spécifique en jeu, mais aussi à mettre en
perspective les concepts théoriques et les données développementales
relatives aux différents âges de la vie. Les exemples d’entretiens choisis sont
directement issus de la pratique, tout en infléchissant quelque peu les données
réelles par souci déontologique, nécessité méthodologique et besoin
didactique. Les commentaires qui suivent les différents cas sont autant de
pistes réflexives et associatives. Ils n’ont aucune finalité exhaustive et sont
essentiellement formulés pour ouvrir à l’échange clinique, aussi bien du côté
de la psychopathologie que de la compréhension méthodologique de la
dynamique d’un entretien.
La troisième partie se centre exclusivement sur les diverses pratiques de la
psychologie clinique au sein des institutions où est dispensé le soin
psychique. Il s’agit de mettre en évidence à la fois la persistance du modèle
psychodynamique de l’entretien, sa résistance à toutes les circonstances
extérieures qui le malmènent et sa souplesse adaptative face aux nécessités
institutionnelles. L’entretien peut fluctuer dans ses modalités, il peut varier
selon le contexte, sans toutefois déroger à ses principes internes et à la
logique constructive dont il émane. Nous avons choisi de retenir six types
d’approche de l’entretien, en lien avec les lieux professionnels les plus
connus dans lesquels exercent les psychologues cliniciens. Nous ne nous
attarderons pas spécialement sur les psychopathologies rencontrées, mais
nous insisterons sur les enjeux propres de la pratique des entretiens dans de
tels lieux.
L’arrivée du psychologue clinicien à l’hôpital général ( chapitre 11) a eu
des effets réels sur la manière de concevoir l’approche des troubles
somatiques. Qu’il s’agisse du traitement de l’ angoisse face aux soins
chirurgicaux et hospitaliers ou des effets dépressifs liés à une dynamique
somato-psychique, l’ écoute clinique retrouve sa signification primitive et
favorise l’ouverture communicationnelle.
Le lieu traditionnel exigeant la présence du psychologue clinicien est
l’hôpital psychiatrique ( chapitre 12). Bien qu’une telle institution ait
beaucoup changé, les patients présentant des troubles psychotiques
demeurent la population la plus souvent traitée. Que ce soit à l’intérieur des
murs ou que ce soit à l’extérieur, dans des structures intermédiaires,
l’entretien demande à être abordé de façon particulière, dans la mesure où il
s’inscrit au sein d’un dispositif global de soin. D’un côté, le besoin d’un
traitement pharmacologique appelle une approche médicale de type
psychiatrique et de l’autre, les effets déstructurants de la psychose, tant au
niveau corporel qu’au niveau social, nécessitent une logique de prise en
charge groupale centrée sur l’utilisation de médiations thérapeutiques.
Dans le cadre pénitentiaire ( chapitre 13), l’entretien prend une tout autre
dimension, compte tenu des contraintes imposées par l’enfermement. Le
clinicien, comme le détenu, est soumis aux strictes règles de la prison, et ce
contexte donne aux entretiens une teneur singulière. Certes ils ont lieu à la
demande du sujet incarcéré, mais il faut toujours avoir à l’esprit qu’ils
reposent sur une structure paradoxale, à savoir l’émergence d’une parole libre
dans un contexte qui ne l’est pas. L’ écoute clinicienne est assujettie à ce
contexte coercitif, dont elle peut malgré tout se dégager en s’appuyant sur les
effets de contenance et de sécurisation narcissique générés par la situation
d’enfermement.
Dans un centre spécialisé sur les addictions ( chapitre 14), service
d’alcoologie ou lieu d’ accueil et de traitement de la toxicomanie, l’entretien
occupe une place privilégiée. La rencontre avec le psychologue permet une
évaluation partagée du désir de sevrage et des capacités subjectives d’y
parvenir. La rencontre clinique est l’occasion d’une prise de conscience de la
situation, sans toutefois préjuger de la possibilité de l’engagement dans un
processus thérapeutique. La dépendance et l’accoutumance rendent difficile
et chaotique la mise en place d’entretiens thérapeutiques réguliers et durables,
seule condition nécessaire pour la réussite d’un traitement.
La présentation des lieux institutionnels spécifiques dans lesquels ont lieu
les entretiens cliniques et qui influent sur leur déroulement se poursuivra par
l’analyse d’un service particulier de l’urgence, l’accueil des sujets suicidants
( chapitre 15). De la recherche du sens à donner à un tel acte, à l’amorce d’un
processus thérapeutique fondé sur la scène suicidaire, la démarche pour se
dégager de la spirale de la souffrance est souvent longue et coûteuse sur le
plan psychique.
Enfin, le dernier chapitre ( chapitre 16) nous propose une méthode
d’entretien clinique pour le psychologue en réanimation auprès de patients au
moment de l’éveil de coma.
Comme dans la partie précédente, les cas choisis pour mettre en évidence
la spécificité de chaque situation sont présentés et analysés de façon claire et
précise, au plus près du vécu transférentiel et contre-transférentiel de chaque
expérience. Bien que leur valeur paradigmatique soit réelle, ils ne préjugent
en rien de l’extrême diversité des situations et des contextes possibles.
À travers les différentes rencontres relatées, le lecteur prend connaissance
d’une grande variété de situations et de cas possibles et il est en mesure de se
rendre compte de la complexité clinique de la démarche d’entretien et de son
extrême fécondité. Rencontre singulière ou plurielle, l’échange avec le
psychologue clinicien est toujours l’occasion d’une reprise de soi pour le
sujet et de la découverte, sinon de l’ exploration, des parts d’altérité qui
l’habitent. L’entretien clinique représente le lieu unitaire de la rencontre dans
lequel le sujet peut se rassembler et amorcer une appropriation subjective de
ses difficultés psychiques, dans une dynamique qui ne s’entreprend qu’en
liaison étroite avec une équipe soignante soucieuse autant du devenir
individuel que des relations intersubjectives des patients entre eux et avec les
membres de l’institution.
PREMIÈRE PARTIE
CARACTÉRISTIQUES
GÉNÉRALES
DE L’ENTRETIEN
Bernard Chouvier
CHAPITRE 1
LA SINGULARITÉ
DE L’APPROCHE
CLINIQUE
1. LES IDÉES FONDAMENTALES
2. CHAMPS TENSIONNELS À L’ŒUVRE DANS LA RELATION
CLINIQUE

1. LES IDÉES FONDAMENTALES


Ce qui définit avant tout l’entretien clinique, c’est sa singularité, qui peut
être reprise sous la forme suivante :
– trois concepts (l’ intériorité, l’ unicité et la totalité),
– deux attitudes (la présence et la compréhension),
– un paradoxe (sur la base d’une rencontre intersubjective, être en lien
avec l’autre tout en percevant l’altérité fondamentale de sa différence).

1.1. L’ INTÉRIORITÉ, L’ UNICITÉ ET LA TOTALITÉ


Le premier concept est celui de l’intériorité, c’est-à-dire le point de vue du
sujet lui-même. Dans le travail clinique, toute situation est appréhendée de
l’intérieur, telle que le sujet la vit ou est censé la vivre au-dedans de lui.
Notre objet de centration en tant que clinicien est celui-ci. Prenons par
exemple la situation du suicide au travail : il y a bien entendu des données
sociologiques, statistiques, extérieures à ce propos. Mais que s’est-il passé
pour que l’employé en vienne à supprimer son existence ? Envisager la
situation sous l’aspect de l’ intériorité, c’est essayer d’écouter le sujet, de
comprendre la logique interne qui l’aura poussé au suicide.
Comprendre, oui, mais aussi en tenant compte du fait que chacun des
sujets que nous rencontrons est unique. L ’unicité de tout être humain est une
vérité clinique, mais c’est également un principe méthodologique
fondamental. Aucun d’entre nous n’a la même histoire, ou plutôt chacun vit
les choses différemment. Chaque vécu est singulier, chaque pathologie est
exprimée personnellement de façon distincte. Une formulation clinique
rapide et approximative serait de dire par exemple : « C’est un cas
d’hystérique. » En réalité, il y a des hystéries et chaque situation individuelle
diffère des autres de manière plus ou moins grande. Il est important pour le
clinicien d’être vierge de tout savoir lors du premier contact et d’être sensible
à ce que chaque personne rencontrée ressent subjectivement.
« Tout m’intéresse. » Ainsi pourrait être formulé le credo du clinicien :
appréhender la vie psychique de l’autre dans sa totalité. Ce point de vue
holistique – du grec holos signifiant « tout » – suppose une considération
globale de la réalité psychique, qui refuse de parcelliser ses connaissances sur
ce que le sujet dit, qui s’oppose à une centration sur tel ou tel aspect de la vie
de celui-ci. Le clinicien n’a pas une compétence en tout mais, en revanche, il
adopte la référence au tout du sujet comme le centre même de sa démarche. Il
ne s’agit pas d’épuiser tous les aspects de la vie psychique, l’ identité
professionnelle, l’ identité relationnelle, l’appartenance familiale ou autres,
mais de chercher intuitivement ce qui fait lien entre toutes ces dimensions.
Cette posture est indispensable dans le travail du clinicien, en tant qu’elle met
en lumière l’importance pour celui-ci de demeurer « sans désir et sans
mémoire » (W.R. Bion, 1970), c’est-à-dire de conserver une position « d’
attention flottante », sans être sous le joug de valeurs ou règles morales,
quelles que soient les siennes propres. Ceci se caractérise concrètement par
l’absence de prise de position quant aux conflits du sujet. Sans données
privilégiées ni hors sujets ni encore exclusives, le travail du clinicien consiste
à laisser libre cours à la parole du consultant, hic et nunc dans la rencontre
clinique.
Ces trois registres basiques de l’ intériorité, de l’unité et de la totalité
débouchent sur deux attitudes caractéristiques de l’entretien clinique.
1.2. LA PRÉSENCE ET LA COMPRÉHENSION
La présence est une donnée essentielle et particulièrement significative de
ce qui constitue l’entretien. Être présent, pour le clinicien, c’est être attentif à
ce qui se dit et à ce qui se passe dans l’infraverbal, la mimo-gestuelle, les
regards, l’ intonation de la voix et l’ensemble de ce que nous apportent nos
sens. Mais c’est aussi être attentif à ses propres mouvements psychiques, à
ses propres éprouvés face à la situation et à ses associations. En d’autres
termes, être présent pour rencontrer l’autre et ressentir les choses au plus
profond de l’expérience, dans une attention psychique en résonnance intime
avec ce que l’autre dit, ne dit pas, semble dire ou voudrait dire. À l’ écoute
d’un discours logorrhéique ou monotone par exemple, face à un écran de
mots pouvant empêcher la rencontre, qu’est-ce que je vis de ce que l’autre me
dit ? Pourquoi m’arrive-t-il de divaguer ? Quels sont les processus
transférentiels et contre-transférentiels en jeu dans ces « moments de
rencontres » (D.N. Stern, 1985) ? Ce qui est primordial effectivement, c’est
ce qui se joue dans l’ici et maintenant entre les deux psychés qui se font face,
qui se confrontent, sans toutefois jamais s’affronter. L’ensemble de ces
données psychiques, qui mobilisent des mouvements affectifs aussi bien
positifs que négatifs, délimite des enjeux existentiels cruciaux. Le consultant
est à même de faire l’expérience de ses propres limites, comme de l’
authenticité de ses choix identitaires, pendant ce temps privilégié de
l’échange avec le clinicien, cet autre qui met à sa disposition ses capacités d’
écoute et d’ attention.
Cette réflexion autour de la présence peut être mise en lien avec une autre
dimension importante dans la posture professionnelle du clinicien : la
compréhension. Au sens étymologique du terme, « comprendre », c’est
« prendre avec ». Chercher à comprendre, c’est saisir dans son ensemble la
complexité de l’autre sans vouloir néanmoins la maîtriser, c’est aller vers
l’autre ou laisser venir à soi ce qui est dit. Comprendre, ce n’est pas
expliquer, ce n’est pas trouver des modes d’explication théorique au
fonctionnement psychique du sujet, mais c’est être impliqué dans la relation.
Comprendre se fait dans un échange, en lien avec une pensée et avec une
personne : c’est le processus d’une écoute globale dans un rapport direct de
psyché à psyché.
L’entretien clinique se définit comme une rencontre intersubjective, au
cours de laquelle c’est une subjectivité qui rencontre une autre subjectivité.
Le contact s’établit au sein précisément de cette communauté humaine que
révèle la rencontre. Le « je » du consultant entre en relation immédiate avec
le « je » du récepteur-clinicien.

1.3. LE PARADOXE ENTRE COMMUNAUTÉ ET ALTÉRITÉ


Cette communication, qui se définit par le rapproché des personnes dans
l’instant, en l’absence de tout intermédiaire, et qui s’opère sur le fond d’une
compréhension universelle, se trouve cependant confrontée au « mur de
l’altérité ». Nous ne pouvons jamais atteindre cette altérité, différence
infranchissable entre soi et l’autre, entre deux psychés individuelles.
Le clinicien va constamment naviguer entre ces deux pôles, entre
universalité et altérité, dans cette opposition entre la reconnaissance de l’autre
et son impossibilité de communiquer totalement avec lui, en composant avec
cette distance irréductible. Cet « obstacle épistémologique » central et
nécessaire dans la connaissance intersubjective (G. Devereux, 1972) peut se
formuler de façon paradoxale : être en lien avec l’autre tout en percevant
l’altérité fondamentale de sa différence.
Le clinicien, par son attitude propre qui tient compte à la fois de ses
compétences acquises et de son expérience, favorise de façon maximale
l’ouverture et la proximité psychique avec le consultant, sans perdre de vue
qu’il existe toujours une barrière naturelle qui le sépare irrévocablement de
l’autre. Cet autre qui est en face de soi dans la consultation, que l’on peut
reconnaître comme un alter ego mais qui n’en reste pas moins un étranger du
fait même qu’il n’est pas identique à soi.
La situation clinique met en lumière de manière manifeste ces jeux
d’opposition entre ce qui est en propre à un sujet, ce qui en fonde l’ identité et
ce qu’il découvre inconsciemment au fond de lui, qui lui paraît incompatible
avec cette même identité. L’intersubjectivité clinique offre à chacun des deux
partenaires de la relation l’occasion d’éprouver ce en quoi il se sent
« étranger à lui-même » (J. Kristeva, 1988) et qui peut générer en lui un
sentiment d’ angoisse que l’ attitude du clinicien a pour fonction de tempérer.
« Je est un autre », constate judicieusement A. Rimbaud (1871). Il ne faut
cependant pas oublier de compléter cette formulation en précisant que tout
autre est aussi un je avec lequel il est possible de communiquer. L’entretien
clinique est la preuve concrète et patente que l’incommunicabilité, pour
profonde qu’elle soit, est pourtant surmontable. C’est en quelque sorte le pari
fondateur de toute rencontre clinique.
Le choc de la rencontre est celui de « la première fois ». L’autre est là,
assis en face de soi, angoissé de ne pas connaître les règles du jeu de
l’entretien. Et de son côté, le clinicien éprouve une certaine appréhension, car
il ne sait rien de cet inconnu qui vient le voir, ni ce qu’il est, ni ce qu’il attend
de lui. Bien que les raisons soient différentes, l’expectative, comme
l’incertitude, est commune. L’instabilité de la relation qui s’instaure est la
condition de la rencontre. Sitôt la relation s’oriente vers du connu, le risque
de la familiarité prend place et la banalisation du contact menace. Si, d’un
côté, le clinicien doit être surpris (Th. Reik, 1935) pour que sa perspicacité
clinique soit mise en éveil, de l’autre, le consultant doit rester inquiet pour
laisser transparaître l’acuité de ses difficultés, sans pour autant être plongé
dans l’insécurité. La présence sereine du clinicien procure un aspect rassurant
suffisant pour qu’un climat de confiance s’installe, tout en laissant la place
nécessaire pour que le mal-être puisse surgir et trouver des moyens d’
expression adéquats. Et, à l’opposé, le praticien est sûr de lui sans manquer
d’être intrigué et de se laisser déstabiliser par le caractère curieux et inattendu
de ce que livre le consultant. Pour le dire autrement, le praticien présente une
quiétude qui rassure et une présence distante qui inquiète, tout en éprouvant
intensément l’impression d’ étrangeté que lui procure cet autre qui vient lui
parler d’une souffrance lui appartenant en propre et étant, à la limite,
irreprésentable et incommunicable.
Par conséquent, l’entretien clinique est la rencontre possible et souhaitée
entre deux points de vue dissemblables qui cherchent leur convergence. Il
serait erroné de parler de techniques de l’entretien, car ce serait réduire ses
enjeux à de simples questions de savoir-faire et de méthodes. Il est préférable
de parler d’un art, dans la mesure où il est question de l’application
subjective de données théoriques, de préceptes déontologiques et d’une
expérience avérée de l’humain.

2. CHAMPS TENSIONNELS À L’ŒUVRE DANS


LA RELATION CLINIQUE
À partir du paradoxe central entre l’universalité et l’altérité dans l’échange,
deux champs tensionnels fondamentaux sont à décliner : d’une part, celui de
l’asymétrie et de l’implication réciproque dans la relation clinique et d’autre
part, celui de l’identification, de l’intuition et de l’empathie.

2.1. A SYMÉTRIE DE RELATION ET IMPLICATION


RÉCIPROQUE
Même si, nous l’avons vu, l’entretien porte sur la relation humaine, au
cœur d’une égalité subjective, il y a toujours une inégalité, une asymétrie
dans la position de chacun des partenaires. Le sujet vient voir un clinicien,
sujet « supposé savoir » dirait J. Lacan, c’est-à-dire quelqu’un qui a été formé
à des pratiques de l’entretien et qui possède un certain savoir clinique. En ce
sens, il est possible de dire que la connaissance de soi passe par le recours à
une personne extérieure, « qui connaît pour soi », c’est-à-dire qui a la
connaissance du fonctionnement psychique et qui, « moi-auxiliaire » au sens
de Freud, permettra un étayage intersubjectif aidant le sujet à maîtriser les
forces internes qui le dépassent et qui créent chez lui de véritables
souffrances. En d’autres termes, la subjectivité se construit dans
l’intersubjectivité, dans cette dialectique entre soi et l’autre.
Cette asymétrie de la relation entre écoutant et écouté est indispensable
dans le travail clinique : il y a quelqu’un qui écoute et quelqu’un qui vient
déposer une plainte, une souffrance, une demande. Le sujet recherche une
écoute spécifique, qui n’est ni celle d’un parent ni celle d’un ami proche. L’
écoute du clinicien se différencie en ce sens qu’elle introduit un écart, une
distance qui doit permettre un recentrement du consultant sur lui-même. Le
clinicien n’est pas connu du consultant, il est pour lui un étranger, avec lequel
du coup il va pouvoir instaurer une relation totalement nouvelle, qui ne
préjuge en rien de ses fonctionnements habituels ni des « travers »
relationnels qui lui sont familiers.
Ce sera dans cet échange asymétrique qu’une élaboration pourra peu à peu
se déployer, ce sera en même temps dans l’ implication réciproque de chacun,
du consultant et du clinicien. L’ implication de ce dernier se définit d’abord
par la négative. Le cadre de cette rencontre clinique n’est pas, en effet, celui
d’un entretien-conseil. Le clinicien répond au sujet sur le mode de l’ écoute
réceptive, sans prendre parti ni donner de marche à suivre. S’impliquer
consiste pour le clinicien à prêter son appareil psychique à l’autre durant le
temps de l’entretien. À avoir une fonction contenante de la parole qui lui est
adressée pendant l’entretien, à tenter de comprendre ce que l’autre vit, dans
une présence physique, en chair et en os. C’est la présence du clinicien qui
détermine son implication : il n’est pas un miroir neutre qui renverrait au
sujet l’image de ce qu’il voit et entend. Non, il reçoit cette image, il contient
cette parole et il est là, dans sa corporéité et dans toute sa vie psychique
propre, avec ses réactions personnelles qui ne seront pas des réactions
d’imitation ou de contagion. C’est dans cette distance décisive par rapport à
la parole de l’autre que la compréhension de la situation peut
progressivement prendre forme dans la psyché du consultant. Cet écart, à mi-
chemin entre la présence et le retrait, laisse ainsi au consultant la place pour
penser, c’est-à-dire pour construire progressivement sa propre réponse, ses
propres solutions aux impasses et aux problèmes qui sont les siens. Par
exemple, une personne dépressive, qui vient déposer pendant un entretien son
mal de vivre et ses malaises au quotidien, parvient peu à peu à se retrouver
elle-même, à renouer avec son soi d’autrefois (son old-self, pour reprendre l’
expression anglaise) et ainsi à pouvoir ouvrir la voie à une reconstruction
lente et progressive de soi.

2.2. E MPATHIE, INTUITION ET IDENTIFICATION


Ce second champ tensionnel est essentiel dans la dynamique de l’entretien
clinique, l’ identification et l’ empathie étant des conditions nécessaires à l’
implication réelle du psychologue dans sa rencontre avec un sujet.
Écouter l’autre, c’est pouvoir se mettre à sa place pour comprendre de
l’intérieur, pour revivre, dans son appareil psychique propre, ce qu’il a pu
vivre et éprouver. C’est la capacité d’ empathie – du grec en, « dans » et
pathein « éprouver, souffrir » – la capacité d’« identification projective
positive », au sens de M. Klein (1921), de pouvoir se mettre à la place de
l’autre, en se projetant dans sa vie, dans la relation présente, au moment où il
nous parle (P. Attigui, A. Cukier et coll., 2011).
Où s’origine cette capacité d’ empathie ? Les travaux neuroscientifiques
ont montré le rôle des neurones miroirs dans le cerveau humain au cœur de la
relation mère/bébé et la manière dont, dans une spirale interactionnelle
(S. Lebovici, 1983), le bébé réagit aux sourires, aux regards de sa mère, celle-
ci réagissant également aux pleurs de son bébé. Cette découverte
fondamentale a mis en évidence qu’il n’y a pas de « fusion » mère-bébé au
sens premier du terme, mais qu’il s’agit d’une communication intense,
réactive et interactive de leurs deux appareils psychiques, le bébé en lien
constant avec les stimulations sensorielles de son environnement maternel.
La capacité d’empathiser trouve donc sa source dans ces données
fondamentales de la communication originaire avec autrui, ainsi que dans
celles du lien d’ attachement (J. Bowlby, 1969) et de la relation de proximité
ou non du bébé avec son environnement premier. Si ces données ont été
faussées, défaillantes, empiétées ou carencées, une difficulté, voire une
impossibilité d’empathiser, se développe, dans les situations de psychopathie
notamment.
Deux dimensions sont à cet égard à distinguer dans l’ empathie : la
dimension cognitive d’abord, qui permet de se saisir des représentations du
sujet, de ses idées, de ses points de vue… mais également, liée à la première,
une dimension affective. Empathiser est aussi tenter de ressentir,
d’appréhender ce que le sujet lui-même ressent, sans pour autant se laisser
déborder par ses croyances et ses affects. Appréhender, ressentir ce que
l’autre lui-même ressent…
On entend souvent dire qu’« être psychologue, c’est avoir de l’intuition ».
Comme dans toute expression populaire, il y a une part de vérité dans cette
formulation. L’ intuition est en effet une autre manière, plus traditionnelle, de
désigner la réalité psychique que recouvre l’ empathie. In-tueor en latin
signifie « fixer », « porter attentivement un regard sur », « voir à l’intérieur ».
L’ intuition, bien qu’elle implique une sorte d’instantanéité, se décompose en
trois temps principaux (J. Guillaumin, 1968) qu’il importe de bien distinguer
pour s’imprégner de la logique implicite du processus qu’elle met en jeu.
Dans un premier temps en effet, le clinicien s’oublie pour être entièrement
dans les propos que l’autre exprime, absorbé qu’il est dans le souci de rendre
compte au plus près de son vécu, de restituer le plus authentiquement ses
éprouvés. Le psychologue se rend le plus possible disponible à la réalité
psychique de l’autre. Il est dans l’autre, en lieu et place de l’autre, en miroir
en quelque sorte avec lui.
Dans un second temps, il éprouve dans son propre appareil psychique les
affects et les émotions de l’autre, mais à distance, c’est-à-dire qu’il les évalue
à l’aune de ses propres affects et émotions éprouvés lors de circonstances
similaires. Cependant, il ne se laisse pas envahir par ses vécus, il est en
mesure de les contenir sans se laisser déborder par eux.
La référence à soi permet ainsi une compréhension à la conduite observée
chez l’autre, jusqu’à ce que les significations obtenues soient réimputées par
la suite de manière structurante à la personne observée, par un mouvement
projectif et non plus assimilateur ou identifiant.
Seront donc restitués à l’autre, dans un troisième temps, ses propres
éprouvés, mais remaniés et quelque peu recadrés de telle sorte que celui-ci ait
le réel sentiment d’avoir été entendu, sinon parfaitement compris.
Un tel ajustement intersubjectif peut être immédiat ou se déployer en
plusieurs étapes successives, l’important étant que la communication puisse
s’accomplir, pas simplement superficiellement, mais véritablement en
profondeur, sur la base d’une réciproque fiabilité.
Il est donc important, en ce sens, de bien faire la distinction entre empathie
et sympathie. L’ empathie n’est pas la sympathie, qui signifie
étymologiquement « souffrir avec », « éprouver avec quelqu’un ». Dans la
relation clinique, il ne s’agit pas de vivre avec l’autre, de partager avec lui ses
sentiments, mais plutôt de pouvoir s’en construire une représentation
suffisamment proche et suffisamment distante à la fois. C’est donc à la
mesure d’une certaine distance qu’un cadre clinique fiable et contenant est
mis en place et que le praticien assure son rôle d’accompagnant et de
thérapeute.
Nous en venons ainsi à la question de l’identification. L’ identification est
la forme la plus archaïque du lien à autrui. Elle trouve son origine dans « l’
incorporation orale de l’ objet » (Freud, 1921). Elle représente un processus
psychologique par lequel un sujet prend possession d’une partie de l’autre et
essaie de se conformer, totalement ou partiellement, à celui-ci. On sait
comment l’ enfant se constitue peu à peu par des identifications successives
qu’il opère autour de lui, d’abord dans le cadre familial, puis dans son
environnement social. C’est cette capacité identificatoire qui est mobilisée de
façon privilégiée au cours de l’entretien par le clinicien. Sans le recours à l’
identification et à ses divers niveaux, il n’est pas possible de mettre en place
une relation clinique authentique.
Si la capacité d’empathiser – dans son oscillation constante entre le
différent et le semblable – peut, comme nous l’avons évoqué, être en défaut
chez certains sujets du fait des défaillances vécues dans leurs interactions
précoces avec leur entourage premier, elle peut parfois aussi être en panne
chez le clinicien lui-même, en particulier dans le cadre de situations extrêmes
où il rencontre un sujet qui se présente à distance de lui, ou qui, sans avoir
conscience des actes qu’il a commis, voire ressentant un plaisir dans la
destructivité ou le sadisme, n’éprouve ni sentiment de culpabilité ou de
remords, ni aucune reconnaissance de la subjectivité de l’autre. Prenons
l’exemple d’une personne qui aurait commis un meurtre et viendrait consulter
dans le cadre d’une injonction de soins. « Suis-je capable d’écouter cette
personne sans a priori, ni appréhension ? » Si le clinicien est davantage dans
l’ identification à la victime, sans potentialité identificatoire au consultant, il
ne pourra le recevoir et sera contraint de décliner cette offre de suivi. Il ne
s’agit pas alors d’une question d’ objectivité, car la relation clinique n’est
jamais objective, mais plus spécifiquement d’une impossibilité de prendre
une position de neutralité suffisante.
Pour qu’un travail clinique puisse s’engager dans ce type de situations, il
faut en effet de la part du clinicien une capacité d’ identification suffisante
avec la personne qu’il reçoit. Rencontrer, derrière le meurtrier, le sujet et son
histoire, c’est-à-dire mettre de côté ce qui a été réellement commis, penser
par-delà l’acte pour pouvoir entendre la souffrance qui est la sienne, qui
l’instaure lui-même, d’une autre manière, en position de victime et qui met en
lumière ses faiblesses et ses fragilités en deçà de l’horreur ou de l’ effroi que
peut susciter le passage à l’acte meurtrier. C’est à partir de cette condition
sine qua non qu’il peut y avoir un début d’ identification à l’autre en tant que
sujet, et que la rencontre clinique devient possible.
L’ implication du clinicien est donc une implication à distance, une
proximité toujours à négocier, ni trop proche ni trop éloignée de l’autre et de
son vécu. Le clinicien incarne en quelque sorte l’oxymore d’une proximité
distanciée dans une rencontre authentique où l’individu est entendu comme
sujet, aussi bien dans sa dimension consciente que dans sa dimension
inconsciente.
Pour parvenir à intégrer cette position, il importe de mettre en place des
échanges singuliers entre pairs, tant au niveau de la formation que du suivi
professionnel ultérieur. L’intérêt de la supervision est à envisager dans ce
sens, pour pouvoir travailler la distance pondérée de ses mouvements tout
autant qu’une proximité indispensable, pour être, en dernière instance,
pleinement impliqué dans son travail professionnel.
CHAPITRE 2
AUX COMMENCEMENTS
DE L’ENTRETIEN
1. OBJECTIFS ET ENJEUX DE LA RENCONTRE CLINIQUE
2. LE CADRE ET LE MÉTACADRE DE L’ENTRETIEN

1. OBJECTIFS ET ENJEUX DE LA RENCONTRE


CLINIQUE
Comment le sujet en souffrance psychique en vient-il à consulter un
clinicien ? De quelle façon se construit, s’organise sa demande d’aide et quel
est le rôle d’autrui dans la mise en forme, au sens fort, de cette demande ?
Comment celle-ci sera-t-elle ensuite reçue, entendue et accompagnée par le
praticien ? Après avoir rappelé les éléments fondamentaux de la singularité
de l’approche clinique, voici les questionnements sur lesquels nous
proposons un éclairage théorico-clinique, en revenant plus précisément « aux
commencements » de la rencontre, pour progressivement déployer les enjeux
de la dynamique de l’entretien lui-même.

1.1. DU BESOIN À LA DEMANDE


La question de la demande d’un suivi psychologique est avant tout socio-
historique. Autrefois, l’encadrement de type familial, local, social et religieux
offrait un étayage aux difficultés psychiques rencontrées par les populations.
De nos jours, la modernité, en lien au repli de la cellule familiale nucléaire, a
peu à peu conduit à la création d’une nouvelle profession, celle des
psychologues cliniciens : on est à présent dans un tout autre système social
d’appréhension et de gestion des difficultés psychiques individuelles et
familiales.
La demande d’aide suppose donc, de par son origine même, le fait pour le
sujet de reconnaître son besoin d’une aide extérieure, de l’appui d’une
personne autre. Comment ce mal-être est-il reconnu ? Comment un sujet
peut-il dire : « Je vais aller voir un psy » ? En d’autres termes, il importe
d’interroger la démarche qui conduit à une demande d’aide adressée à un
clinicien.
De manière générale, nous pouvons dire que ce qui motive initialement la
demande réside souvent dans l’émergence, chez le sujet, d’un sentiment de
malaise, de mal-être, fréquemment lié à des problèmes somatiques, familiaux,
professionnels, sociaux ou autres. La demande de consultation se fait sur la
base de ces situations que vit actuellement le sujet ou qu’il a vécues dans le
passé. Ce sentiment en effet, qui se développe de manière diffuse, n’est pas
nécessairement reconnu au premier abord comme étant de nature psychique.
Les signes et symptômes perçus de l’extérieur ne sont pas superposables avec
la représentation que se fait le sujet de ses difficultés : on peut avoir des
signes extérieurs sans autoperception.
La famille ou l’entourage sont à même de noter les dysfonctionnements
psychiques. Ils remarquent au quotidien le changement, voire la dégradation
des échanges relationnels ou des états émotionnels de leur proche, qui jusque-
là ne posait aucun problème. Ce fils, ce mari ou ce collaborateur devient
irritable, il a tendance à se replier sur lui-même, il est le plus souvent
d’humeur morose… Autant de signes avant-coureurs d’un mal-être diffus qui
ne parvient pas à se dire. S’il paraît nécessaire à tous qu’un soin lui soit
donné pour qu’il retrouve l’intégrité psychique qui était la sienne, le sujet
n’en a aucune conscience claire et il ne supporte pas qu’on lui dise qu’« il
aurait besoin de voir un psy ».
Le besoin ainsi désigné est une donnée objective liée à une perception
extérieure qui échappe au sujet lui-même, n’ayant pas la perception du
changement négatif qui s’est opéré en lui. Si les besoins physiologiques sont
des nécessités internes imposées par le corps, le besoin relationnel est une
nécessité externe imposée par le social.
Néanmoins, il faudra du temps, parfois beaucoup de temps, pour que le
sujet prenne conscience de son problème et puisse s’en faire une
représentation. L’émergence et la construction de la demande peuvent dès
lors se faire parfois en appui sur une personne de l’entourage proche (un
parent ou un ami), ou sur une personne dans un rôle de relais social ou
institutionnel (enseignants, conseillers d’ orientation, médecins de famille,
assistantes sociales). Le proche reçoit la plainte, l’épanchement ou les
récriminations de celui qui vit mal une situation personnelle ou
professionnelle. Il se rend compte que ses conseils sont vains et n’empêchent
nullement la plainte de se réitérer. Avant de se lasser ou de rejeter la
personne, il lui propose d’adresser sa souffrance à quelqu’un qui pourra
l’entendre de manière professionnelle et lui apporter un réel soulagement. Ce
type de relais fonctionne sur la confiance et la proximité affective.
L’intermédiaire institutionnel doit d’abord dépister et ensuite savoir où
adresser un problème psychologique. L’enseignant, dans sa classe, ou le
conseiller d’ orientation peut repérer un élève dont les problèmes ne lui
paraissent pas se limiter aux questions d’apprentissage. Le médecin se rend
compte rapidement que la douleur physique qui lui est présentée a des
origines ou des retentissements de nature psychique. L’assistante sociale est
attentive aux aspects psychologiques des souffrances professionnelles.
À la différence du besoin, le désir correspond à la prise de conscience d’un
manque, ainsi qu’à l’ appropriation subjective de ce manque. Le sujet fait
sien le besoin qu’il éprouve et il se met en quête de moyens pour le satisfaire.
Ainsi l’individu souffrant est-il en mesure, s’il est bien conseillé ou si les
choses se sont aggravées, de se rendre compte du mal-être qui l’habite et de
rechercher comment y remédier. Il n’est plus dans la fuite en avant qui le
pousse vers le pire mais décide de chercher la manière de sortir de l’impasse
où il se trouve. Cette étape de nature réflexive est un temps crucial qu’il
importe de ne pas court-circuiter. Le deuxième temps dans la construction de
la demande est, de fait, celui de la prise de conscience, de l’acceptation de ce
mal-être par le sujet lui-même, cette acceptation évoluant pour prendre
progressivement la forme d’une véritable demande d’aide. Il devient alors
urgent de faire appel à l’autre et à son écoute pour apaiser et traiter la
souffrance ressentie. Avec l’émergence du désir, le sujet accède à la
reconnaissance de son état d’insatisfaction fondamental et de l’interliaison
indispensable qu’il doit mettre en œuvre avec ses semblables. Le désir en
appelle à l’ objet, à l’autre et aux autres.
À partir de ce moment-là, le travail est pour ainsi dire déjà fait pour une
grande part : le sujet a compris qu’il est en difficulté pour gérer sa relation à
autrui, à son environnement familial, au monde social et, en dernière
instance, à lui-même. Cette prise de conscience d’un besoin réel de la
subjectivité qui se transforme en une adresse faite à l’autre est un point
primordial dans la capacité de soin, de traitement des symptômes et de suivi
thérapeutique ultérieur.
Il peut donc y avoir une commande sociale du soin, mais la demande ne
provient que du sujet lui-même qui a manifesté le désir explicite d’être
soigné. La démarche extérieure, qu’elle soit médicale, scolaire ou familiale,
ne saurait se substituer à la démarche subjective et reste, quoi qu’il advienne,
purement incitative. Toute pression à ce stade demeure contre-productive et
menace d’enfermer le sujet souffrant dans un repli défensif qui risque de
durer.
On peut affirmer que ces trois temps de la vie psychique, besoin, désir et
demande, marquent les étapes progressives nécessaires afin que la rencontre
clinique ait réellement lieu et que son effectivité devienne porteuse de sens.
On ne peut bousculer ces étapes sans risque d’échec. Si la personne qui
présente un trouble psychique n’a pas pris conscience des difficultés
profondes dans lesquelles la plonge son malaise interne, si elle n’a pas pris
délibérément la décision de recourir à une aide extérieure, si enfin on ne lui a
pas laissé le temps de cette prise de conscience et de cette décision, le
changement, quand il se produit, reste superficiel et éphémère. D’autres
problèmes, d’autres troubles ne manqueront pas de survenir rapidement et de
venir ruiner le travail apparemment accompli.
Pour le clinicien, il s’agira alors de saisir dans quelle mesure le sujet est
capable de faire une demande authentique, fondée sur sa subjectivité, dans la
reconnaissance de son mal-être. Prenons pour exemple la situation suivante :
un homme d’une quarantaine d’années vient consulter, expliquant qu’il
souhaite faire un travail de psychothérapie. Lorsque le clinicien lui demande
les raisons qui le poussent à vouloir entreprendre cette démarche, cet homme
lui indique : « Tout va bien, c’est ma femme qui m’a dit de venir. Mon patron
me l’a également conseillé. Je fais juste ce qu’on me dit ». Dans ce cas
présent, il n’y a aucune demande personnelle qui est adressée au clinicien : la
demande vient de l’extérieur et le sujet n’exprime aucun affect de souffrance
propre. Il n’y a apparemment pas d’accroche possible pour qu’un suivi
clinique puisse s’engager. Devant cette apparence d’indifférence, le clinicien
a néanmoins l’intuition qu’un travail de préparation préalable peut être
envisagé. Deux séances plus tard, l’homme devient capable de dire :
« J’aimerais que les choses changent ». La communication devient dès lors
possible, après un temps de manifestation défensive première au-delà duquel
le sujet aura pu faire l’expérience d’un lieu, d’un espace sécurisé, et
s’autoriser ainsi à communiquer avec autrui, puis à creuser dans sa vie
inconsciente l’origine de cette situation, pour plus tard renouer des contacts et
des relations affectives avec son entourage. Si le clinicien n’avait pas fait
confiance à son expérience et ne s’était pas donné le temps de « voir venir les
choses », il aurait reporté à plus tard le travail, en proposant au patient de
revenir quand il serait prêt à entreprendre un travail sur lui-même, et il serait
passé à côté d’une demande souterraine et masquée qui avait besoin, pour se
manifester réellement, d’un certain temps de gestation.
Dans d’autres situations, comme par exemple dans le cadre d’une
injonction de soins, le clinicien et le sujet peuvent être contraints à se
rencontrer sans la réelle expression d’une demande. La première réaction
serait de rejeter purement et simplement ce type d’entretien comme une
situation paradoxale ne pouvant conduire qu’à des impasses. Cependant, à y
regarder de plus près, l’injonction de soins peut fonctionner comme le
Surmoi substitutif du patient et l’autoriser en quelque sorte à prendre soin de
lui et à laisser advenir à sa conscience les éléments de son histoire jusqu’ici
clivés ou rejetés. Dans les cas de pédophilie par exemple, on sait combien
cette situation est critique mais ouvre sur des expériences qui au long terme
permettent au sujet de mettre en lien les traumatismes de sa propre enfance
avec ceux qu’il impose aux enfants rencontrés. Dans le meilleur des cas, ce
qui est contrainte devient peu à peu contrainte assumée, une demande
authentique pouvant progressivement se construire, avec l’ouverture d’un
espace transitionnel (D.W. Winnicott, 1971a) entre dedans et dehors, dans ce
jeu possible de la rencontre.
Tout entretien clinique qui ne prend pas en compte cette progression du
besoin au désir et du désir à la demande ne fait que se centrer sur le rationnel
et le comportement, sans mettre en jeu la vie psychique dans son ensemble et
sans mobiliser ses forces vives. Le sujet croit changer parce que ses conduites
en apparence changent, mais les conflits internes qui sont les siens demeurent
inchangés et menacent encore de venir troubler son intégrité. L’entretien n’a
de valeur qu’à partir du moment où le clinicien est capable de permettre au
consultant d’engager une démarche de changement qui mobilise toutes les
couches de son psychisme et qui tiennent tout particulièrement compte de ses
aspirations inconscientes.

1.2. ENTRE ÉVALUATION ET EXPRESSION : LA QUESTION


DU SYMPTÔME
Si demande il y a, les objectifs de l’entretien clinique, bien qu’ils aient une
approche commune, peuvent toutefois être très divers. Par exemple, dans le
cadre d’une consultation en Centre médico-psychologique (CMP), le sujet est
adressé par son médecin traitant, par un tiers ou vient de lui-même. La
situation est très marquée par ce lieu de soins centré spécifiquement sur la
psychopathologie et sur l’éventualité d’un suivi thérapeutique. Dans une
autre situation, comme l’expertise judiciaire, le but de l’entretien devient très
ciblé, l’enjeu sociétal et humain très important : l’objectif n’est plus alors de
soigner, mais d’expertiser, c’est-à-dire de donner un avis circonstancié sur les
troubles psychiques du sujet en vue d’éclairer le juge quant à la responsabilité
engagée de celui-ci dans l’acte criminel ou délictueux commis. D’autres
circonstances peuvent être une demande d’entretien du sujet lui-même pour
faire le point sur une situation traumatique qu’il a vécue : licenciement,
surmenage, divorce ou accident. Il s’agit de comprendre ce qui a engendré
son abattement ou son effondrement, en un mot de saisir ce qui s’est passé
par rapport aux événements qui ont bouleversé sa vie. Mais ce peut être aussi
un entretien clinique réalisé dans le cadre professionnel, suite notamment à
un dépistage de la médecine du travail.
Ainsi, malgré les données caractéristiques fondamentales de l’entretien, il
existe des différences et des approches particulières suivant les visées
initiales, en lien à l’origine de la demande de consultation (C. Rogers, 1942,
1973). Nous proposons de développer ici deux aspects qui explicitent plus
précisément les objectifs de l’entretien : l’évaluation et l’expression.
La question de l’ évaluation et du diagnostic peut être importante dans la
dynamique de l’entretien. Souvent en effet, les premières rencontres cliniques
avec un sujet sont accompagnées d’un bilan psychologique qui s’appuie sur
la passation d’épreuves projectives et intellectuelles multiples.
Concernant le diagnostic psychopathologique et/ou cognitif, il en est
toujours fait une restitution par le clinicien, alors dans le souci d’axer
davantage les résultats obtenus lors des tests sur le qualitatif, la dynamique de
la problématique du sujet, en ne se focalisant pas sur les symptômes présentés
– bien qu’il soit important de les repérer – mais en se centrant plutôt sur les
points forts, positifs, structurants du vécu du sujet. Accorder au diagnostic
une dénomination unique, le classer dans une catégorie nosographique
risqueraient de donner au sujet une étiquette pouvant faire office de pseudo -
identité. Un diagnostic posé de manière brutale et parfois intempestive peut
venir s’inscrire dans la subjectivité, le sujet s’identifiant par là-même à sa
maladie en devenant ainsi le porte-parole de celle-ci.
Il est donc important de donner au sujet des repères internes pour lui
permettre de trouver son point d’équilibre personnel, de viabilité subjective,
où toutes les forces internes de la psyché trouvent une stabilisation de leurs
contre-balancements. L’objectif de la restitution est principalement que le
sujet puisse retrouver une unité subjective qui rendra possible une amorce
dans le processus de sa maturation, de sa construction psychique, et enfin une
résolution de sa souffrance, une fois ce point d’équilibre trouvé.
Et avant même la restitution faite au sujet de ses difficultés, il faut
interroger la manière dont le clinicien prend en compte les symptômes du
patient, des plus silencieux aux plus assourdissants parfois. L’important n’est
pas d’envisager la symptomatologie du sujet comme un mal à supprimer. Le
symptôme a une signification humaine et une valeur symbolique en tant qu’il
est le signe extérieur d’une souffrance, et ce dans deux niveaux de sens :
comme formation de compromis, il est à la fois une création propre du sujet,
mais il est aussi co-créé par son environnement. Le symptôme symbolise un
conflit psychique, il en est la traduction.
Ainsi, s’il faut repérer les données psychopathologiques du vécu psychique
du sujet, c’est surtout dans l’attribution d’une valence psychique à ses
troubles que va se dessiner toute la pertinence de l’ évaluation du clinicien.
Nous pouvons dire que paradoxalement, oublier le symptôme, le reléguer à
l’arrière-plan permet en partie de le traiter, le psychologue se centrant alors
avant tout sur la puissance désirante du sujet, et sur ce que cette puissance
engage dans sa vie quotidienne et dans ses relations avec autrui. C’est donc
bien d’une rencontre avec l’autre par-delà les symptômes dont il s’agit dans
l’entretien clinique.
L’exemple de la rencontre avec le temple grec, telle que l’a décrite
M. Heidegger (1962), est une métaphore parlante pour comprendre la
découverte d’une subjectivité, au-delà de la simple réduction aux symptômes
manifestés par le sujet.
Lors de ses pérégrinations dans la campagne grecque, le promeneur est
amené, au détour d’un chemin au milieu d’une végétation luxuriante, à
découvrir soudain les vestiges majestueux d’un temple grec. Le contraste est
saisissant entre l’apparent chaos de la végétation environnante et
l’ordonnancement rationnel et harmonieux des colonnes et des sculptures de
marbre. On a affaire à des ruines, et pourtant la présence divine qui a présidé
à la construction de ce monument s’impose au regard du visiteur. Les ruines
signifient un certain délabrement psychosomatique représenté par le
symptôme, mais derrière cela, comme l’amateur d’art reconnaît la présence
du dieu malgré l’état ruiné du monument, le clinicien reconnaît la présence
harmonieuse et unitaire d’un sujet capable de se reconstruire. Il anticipe dans
sa psyché cette reconstruction de l’unité et de la majesté du temple grec tel
qu’il a été créé à l’origine. Entendons la présence d’une subjectivité, d’une
humanité au milieu de ce désordre naturel. Comme si l’un représentait le
corps et ses symptômes, et l’autre la présence unitaire d’une personne.
De la dimension artistique à la dimension psychique, M. Heidegger soumet
ainsi l’idée, de façon plus générale, qu’il n’y a pas de psyché sans rapport au
corps, dans ce « décollement » notamment de la dimension humaine par
rapport à une nature purement matérielle. De cette première proposition, une
autre : la subjectivité constitue le point d’accroche fondateur de toute
communication véritable, puis de tout travail thérapeutique, passant de
manière préalable par la capacité du sujet à dire « je », mais aussi par celle
des soignants à reconnaître ce dernier dans son existence à part entière de
personne, et pas seulement de patient. C’est en cela qu’une réanimation de la
vie psychique du sujet est rendue possible.
On peut prolonger la métaphore du temple grec en se référant à Un trouble
de mémoire sur l’Acropole (1936), texte dans lequel Freud décrit
l’impression paradoxale que produit en lui la découverte de ce célèbre lieu de
la Grèce antique. Il éprouve alors un sentiment d’ inquiétante étrangeté, face
à une réalité « trop belle pour être vraie ». Cette déréalisation apparaît comme
un symptôme, en lien avec une imago paternelle dévalorisée. Freud a
surpassé de beaucoup son père dans sa réussite sociale et cette impression de
supériorité déclenche en lui une culpabilité qui lui fait mettre en doute la
réalité qu’il a sous les yeux. La présence des ruines grecques est ici encore
l’occasion d’exprimer une vérité subjective qui nous permet de mieux
comprendre la nature du symptôme : il est un trouble, il est une manifestation
négative dont l’importance est seconde par rapport à la présence centrale du
sujet, capable de le comprendre et de le dépasser.
Quoi qu’il en soit, il est préférable que le temps d’ évaluation dans la
rencontre clinique soit précédé d’un premier entretien libre. Il s’agit pour le
clinicien de ne pas perdre de vue les données cliniques, les processus
psychiques mobilisés dans ces rencontres. En respectant la déontologie
clinique, il faut être précis sur la manière présente dont l’ enfant se conduit
par rapport à lui-même, au monde extérieur et aux autres, et donner des
éléments, toujours en termes évolutifs, sur sa dynamique psychique. Ces
données cliniques sont destinées non à juger l’ enfant, mais à aider les
pédagogues ou les éducateurs dans leur tâche d’accompagnement et
d’encadrement. Métaphoriquement, le travail du clinicien n’est donc pas à la
mesure de celui du géographe, qui dresse une cartographie descriptive des
paysages de la terre. Le psychologue ne s’attache pas au simple repérage
superficiel du symptôme et de son expression, à la manière de la codification
proposée par les classifications diagnostiques. Sa pratique concerne
davantage la géologie de la vie psychique du sujet singulier qu’il rencontre,
c’est-à-dire le dégagement de la signification du symptôme en lien avec les
strates les plus profondes de la vie psychique. Comme un géologue, pourrait-
on dire, qui tente de repérer ce qui a pu créer tel ou tel paysage dans l’histoire
de la terre, le clinicien conçoit le symptôme comme une émergence du conflit
interne et non pas comme un mal externe à éradiquer coûte que coûte.

1.3. LE RESPECT DE LA PAROLE LIBRE


Et ce qui compte avant même le dévoilement par le sujet de son vécu, de sa
souffrance, des enjeux psychiques et des soubassements inconscients de ce
qu’il traverse, ce qui compte avant toute chose, c’est le respect par le
clinicien de la parole exprimée par le sujet. L’entretien clinique, même dans
le cadre d’un bilan, est là pour laisser la libre expression subjective se déplier
dans le jeu des échanges : la parole est donnée, le consultant est libre de la
prendre à sa guise et au moment où il le souhaite.
Un consultant peut être par exemple amené à dire : « Qu’est-ce qu’il faut
que je vous dise ? » ou bien : « Guidez-moi pour que je vous dise les choses
qui vous paraissent importantes ». Si on s’en tenait à la prérogative du
psychologue, l’entretien clinique deviendrait normatif, la personne se
contentant de se couler dans le moule qui lui est proposé. Or justement, la
seule règle énonçable est celle de la parole libre, afin que le sujet trouve sa
propre mesure, son propre rythme et puisse se servir comme il l’entend de ce
temps qui lui est consacré, de s’approprier subjectivement cet espace-là, pour
progressivement développer ses propres potentialités et découvrir l’
authenticité de sa vie affective, au-delà des faux-semblants, des idées reçues,
des pressions venant d’autrui ou de son entourage ou des prêt-à-porter
identitaires.
L’un des buts, des enjeux majeurs de la rencontre clinique est
d’accompagner peu à peu le sujet dans l’ expression d’une parole subjective,
qui ne soit ni une parole de contrainte, ni de conformité, ni même de
circonstance. Le patient n’a pas à chercher à correspondre à ce qu’il imagine
de l’attente du praticien. En d’autres termes, c’est d’une parole sans fard dont
il est question, une parole authentique d’un sujet qui, de manière
fondamentale, apparaît tel qu’il se sent dans et avec le monde extérieur.
Suivant l’occurrence phénoménologique, c’est bien ici de l’épochè clinique
dont il s’agit pour le clinicien, à deux niveaux distincts, qui consiste à mettre
en suspens à la fois son jugement envers la personne qu’il rencontre, mais
aussi l’ensemble des données extérieures et/ou des connaissances théoriques
préalables qu’il peut avoir sur le sujet en question. Qu’il s’agisse de
documents médicaux réalisés par d’autres professionnels, de diagnostics
maintes fois confirmés ou infirmés, d’avis autorisés ou non autorisés inscrits
de façon aléatoire sur les dossiers, il y a nécessité pour le clinicien d’ oublier
ce savoir, de s’en dégager activement, c’est-à-dire de se centrer sur la parole
de l’autre dans son émergence directe au moment de l’échange. Cette attitude
de mise en suspens est à notre sens méthodologique, tout autant qu’éthique,
dans une mise entre parenthèses de positions éventuelles de jugement.
Néanmoins, ce principe méthodologique de la parole libre est un principe a
priori. En effet, certains sujets se trouvent rapidement démunis face à cette
situation : il faut du temps à un adolescent, par exemple, pour que peu à peu
il puisse s’autoriser à une expression authentique de sa souffrance, de ses
éprouvés et de son vécu, ce souvent après un premier moment où il aura peut-
être davantage été dans une expression en faux-self, en conformité à la
supposée attente de l’adulte qui est en face de lui. Dans ces cas, le clinicien
est amené à favoriser la communication pour éviter les impasses et maintenir
un contact toujours vivant avec ce sujet fragilisé qu’est l’ adolescent en
souffrance. Il peut également chercher un terrain commun d’intérêt, un objet
intermédiaire (un livre, un film, une interprétation musicale) qui permette de
faciliter et de fluidifier les échanges. C’est donc à sa sensibilité propre de
percevoir les difficultés du sujet qu’il rencontre et de pouvoir dès lors
favoriser l’ expression de celui-ci. Il lui importera de créer un climat de
confiance qui offre à la subjectivité de l’autre l’opportunité de laisser émerger
sa réalité intime. Se dessine ici l’importance, dans la rencontre clinique, du
cadre, dans ses aspects externe et interne, mais aussi de celle du métacadre
institutionnel dans lequel a lieu l’entretien.

1.4. LA STIMMUNG
Avant même d’aborder ces dimensions du cadre, il s’agit de s’arrêter
quelque peu sur la nécessité, pour le clinicien, de créer une ambiance
sécurisante, une atmos phère accueillante pour la rencontre avec le sujet. La
Stimmung, selon L. Binswanger (1933), désigne l’atmosphère caractéristique
qui accompagne et enveloppe toute expérience humaine. Ce vécu existentiel
représente la climatique propre au sujet, qui se construit en lui et qui donne la
tonalité de ses vécus empiriques. Mais la Stimmung, en tant qu’impression du
dedans, est en lien direct avec ce qui se passe au dehors.
Dans la rencontre clinique, sa prise en compte est nécessaire pour saisir
toutes les nuances affectives qui apparaissent. Elle est à la fois conditionnée
par l’intersubjectivité et par l’espace même où se tient l’entretien. Selon le
lieu où celui-ci se déroule, dans la pénombre d’un bureau ou dans un espace
lumineux, dans un endroit très personnalisé avec un décor harmonieux ou, au
contraire, dans un endroit destiné à l’usage de tous, anonyme et à
l’ameublement standardisé, l’ambiance est déjà connotée et peut orienter la
direction même des interactions.
Ce qui importe au final est la manière dont l’espace clinique est vectorisé
par l’atmosphère qui se dégage de la co-présence du clinicien et du
consultant. La Stimmung partagée au cours de l’entretien va ainsi faciliter ou
entraver l’accordage intersubjectif qui demande à être établi entre le praticien
et le consultant. Pour que cet accordage puisse se réaliser, deux autres
conditions doivent être prises en compte : l’espace de la rencontre doit être
suffisamment neutre et les échanges suffisamment bienveillants.

1.5. NEUTRALITÉ ET BIENVEILLANCE


Parler de neutralité bienveillante apparaît souvent comme un oxymore, le
premier terme semblant de prime abord incompatible avec le second. En fait,
les deux sont complémentaires, dans la mesure où la neutralité ne peut se
suffire à elle-même et que la bienveillance, à elle seule, risquerait de conduire
à une trop grande proximité avec le sujet, proximité qui viendrait mettre à
mal la dimension thérapeutique de l’entretien.
La neutralité est une attitude constante du clinicien qui, durant les
entretiens, se tient à l’écart à la fois de ses propres convictions et de la
situation personnelle du consultant. Elle ne concerne pas directement la
personne du psychologue, mais sa fonction spécifique au cours de l’entretien.
– Il est neutre vis-à-vis des valeurs religieuses, éthiques et sociales, ne
prenant nul parti et ne cherchant pas à illustrer ou valider un quelconque
idéal, professionnel ou théorique. Comme le note Freud (1913) à propos de la
thérapie analytique : « Nous ne cherchons ni à former pour lui son destin, ni à
lui inculquer nos idéaux, ni à le modeler à notre image avec l’orgueil d’un
créateur. »
– Il reste neutre par rapport aux implications dans lesquelles voudrait le
mettre le consultant.
– Il est neutre, en troisième lieu, en ce qui concerne les différents apports
du consultant, c’est-à-dire qu’il ne privilégie aucun aspect dans son discours
et se tient en dehors de toute suggestion pouvant influencer le consultant. Il
accorde la même attention à tout ce qu’il lui est apporté, sans discrimination
évaluative ou signifiante.
La neutralité, nous le voyons, n’est pas une valeur absolue, mais une valeur
relative nullement identifiable à l’objectivité. Par exemple, face à un
adolescent inhibé ou fragile, l’idée d’une neutralité relative prend tout son
sens, dans la mesure où il est nécessaire, pour pouvoir instaurer la
communication avec lui, de trouver un objet partagé, un « objet de relation »
– selon l’ expression de G. Gimenez (2002) – qui lui permette de trouver un
étayage narcissique suffisant à son expressivité. En définitive, la neutralité du
clinicien a pour fonction de permettre au consultant de préserver son
autonomie, protéger son indépendance et lui donner la garantie qu’il puisse
accomplir son travail d’ élaboration, certes avec l’aide du clinicien, mais par
lui-même.
Pour pallier les difficultés d’une neutralité mal comprise, qui conduirait à
une froideur marmoréenne du clinicien réduit à un pur miroir, notons qu’il est
indispensable de pondérer cette attitude par le sentiment de bienveillance.
L’idée de bienveillance est d’abord introduite par E. Bergler en 1937, puis
reprise et développée par D. Lagache en 1947, qui va même jusqu’à utiliser le
terme de bonté. Être bienveillant consiste pour le clinicien à développer une
disposition favorable vis-à-vis de celui qui vient le consulter. Il met en œuvre
une démarche à la fois accueillante et ouverte, mais demeurant implicite. Le
consultant doit se sentir à l’aise, confortablement installé, et prendre
conscience qu’il est attendu. Dès les premiers mots du clinicien, il doit se
rendre compte que tout ce qu’il va dire sera considéré comme une parole
expressive et qu’il sera entendu et compris. Dire : « Je vous écoute » avec un
geste d’ouverture peut être suffisant pour inciter l’autre, de façon
bienveillante, à se dire. Mais être chaleureux a aussi ses limites. Une
bienveillance sans neutralité risquerait de transformer une écoute simplement
chaleureuse en une complicité malvenue, qui pourrait susciter un trop-plein
d’ excitation et pervertir l’échange.

2. LE CADRE ET LE MÉTACADRE
DE L’ENTRETIEN
De l’ expression de la parole libre à la mise en suspens, pour le clinicien,
de son jugement envers la personne qu’il reçoit, mais aussi de l’importance
pour celui-ci de créer une atmosphère propice à sa position de neutralité et à
sa bienveillance, l’ensemble de ces éléments se signifie à partir de
l’instauration d’un cadre, fondamental et fondateur, de la rencontre avec un
sujet. Trois niveaux du cadre sont à distinguer : le cadre externe d’une part,
qui concerne principalement les modalités spatio-temporelles de l’entretien.
Le cadre interne, d’autre part, qui organise la posture professionnelle du
praticien. Et enfin, en articulation avec ces deux premiers niveaux, le cadre
institutionnel ou métacadre, qui comprend autant le contexte institutionnel de
la rencontre que la présence des professionnels qui y travaillent.

2.1. C ADRE EXTERNE


La relation clinique ne se construit pas dans une relation banale,
quotidienne ou familière. Pour que puisse se dérouler l’entretien, pour que
puisse s’y déployer la communication intersubjective, pour que puissent enfin
avoir lieu des effets thérapeutiques, il est nécessaire que soit mis en place un
cadre, qui doit avant tout être « externalisé et matérialisé au-dehors dans un
cadre “externe” » : il apparaît « comme la modalité fixe d’un processus
d’encadrement », écrit R. Roussillon (1995).
Les caractéristiques du cadre concernent avant tout l’espace de la rencontre
(le contexte institutionnel, le lieu, la configuration du bureau et la disposition
des chaises), le temps de la rencontre (fréquence, régularité et durée des
entretiens), mais elles concernent également les particularités de la technique
utilisée.
Selon J. Bleger (1966), le cadre est une variable contrôlée par le clinicien.
Il doit être muet, c’est-à-dire qu’il doit demeurer le plus invariant possible.
De par sa suffisante constance, il fonctionne comme un arrière-fond de la
rencontre sur lequel pourront se produire les phénomènes et processus
psychiques en jeu pour le sujet. En ce sens, « il est l’implicite dont dépend
l’explicite » et ce n’est que lorsqu’un changement a lieu que peut être perçue
son importance. Ce lieu de non-processus, qui renvoie au non-Moi du sujet,
est dépositaire de la part indifférenciée de ses liens symbiotiques primitifs.
À cet égard, un cadre thérapeutique proprement dit s’établit seulement
lorsqu’est rendue possible une relation clinique de confiance, seulement aussi
lorsqu’est construite une alliance entre le consultant et le clinicien. En cela, le
cadre de la rencontre clinique possède plusieurs fonctions :
– Tout d’abord une fonction de contenance, car si le cadre est récepteur des
éprouvés et des angoisses du sujet qu’il reçoit, en tant qu’il est le lieu de
dépôt des parts archaïques du soi, il est également le conteneur des objets
internes et des processus psychiques qui se déroulent pendant l’entretien ;
– Le cadre possède également une fonction limitative, au sens où il donne
un début et une fin à la rencontre clinique, il structure l’espace et le temps de
manière organisatrice. De fait, il garantit l’espace psychique individuel ou
groupal ;
– Il a d’autre part une fonction transitionnelle (D.W. Winnicott, 1971a), en
tant que frontière entre le Moi et le non -Moi, qui ouvre l’espace clinique à
une fantasmatisation possible, selon des modalités ludiques où les enjeux sont
déplacés pour qu’advienne pour le sujet, dans une liberté associative, une
véritable intégration de soi ;
– Et enfin une fonction symboligène, qui se construit autour des règles de
la liberté de parole et de l’abstinence. Le sujet s’exprime sans restriction ni
contrainte, sans toutefois entretenir d’autres relations avec le clinicien que
celle développée dans les entretiens. De plus, le cadre contient en lui-même
une théorie de la symbolisation : « Le cadre symbolise qu’il symbolise »
(R. Roussillon, 1995). Par exemple, lorsque le praticien reçoit un enfant, il lui
signifie que des jouets, des feutres et du papier sont à sa disposition, et qu’il
peut en faire usage. Il se réfère implicitement à cette possibilité de symboliser
que représente le cadre.
L’instauration d’un cadre contenant, structurant et fiable constitue ainsi
l’enveloppe tacite de la rencontre. Le cadre est donc implicitement mais
manifestement proposé. S’il est certes implicite, doivent cependant être
clairement énoncées ses données, importantes sur le plan thérapeutique mais
aussi déontologique, et valables aussi bien pour le sujet que le clinicien, entre
neutralité, mise à distance, écart, assiduité, régularité et durée des séances. Le
psychologue va donc présenter l’ensemble des caractéristiques du cadre qu’il
propose, d’une part en appui sur des éléments théorico-cliniques communs
aux cliniciens, d’autre part suivant sa manière propre de travailler et la
demande qui lui est adressée.
Au sein d’une unité d’ hospitalisation pour adolescents, la psychologue
clinicienne s’est rendue compte qu’il était nécessaire d’adapter le lieu des
rencontres cliniques, afin de créer un espace suffisamment « confortable »
pour permettre à l’ adolescent de retrouver une intimité. Au départ, elle le
recevait dans un lieu trop vaste, trop ouvert, qui générait un sentiment diffus
d’ angoisse chez l’ adolescent, qu’elle percevait dans ses attitudes de mutisme
et de repli. Elle lui proposa alors d’utiliser la médiation du dessin pour
favoriser son expression et, pour ce faire, ils durent changer d’espace et
intégrer une autre salle où était à disposition un petit bureau pouvant
favoriser cette activité. C’est à ce moment qu’elle réalisa que ce nouvel
espace, plus restreint, était plus sécurisant pour l’ adolescent. À partir de là, la
relation thérapeutique s’engagea de manière plus stable et plus féconde.
On comprend à travers cet exemple, l’importance de l’ appropriation
subjective du cadre, à la fois par le clinicien et le consultant. Le cadre est
devenu un espace trouvé-créé, suivant l’ expression de D.W. Winnicott
(1969), et il favorise de ce fait la transitionnalité nécessaire à tout
changement psychique.

2.2. C ADRE INTERNE


Le cadre externe, formé dans l’espace et le temps de la rencontre est,
pourrait-on dire, « facilement » mis en place dans les pratiques classiques de
l’entretien, dans le cadre d’un cabinet privé par exemple. Cependant, en
institution, tout comme au cœur des actuels nouveaux dispositifs
d’accompagnement psychologique, ce même cadre peut être mis à mal,
ébranlé, voire parfois attaqué. Prenons a minima des changements réguliers
de bureau lors de consultations en CMP ou à l’hôpital, le clinicien étant alors
obligé de rencontrer ses patients presque chaque fois dans un bureau
différent. Souvent les patients eux-mêmes en témoignent : « Où va-t-on
encore ? », « On visite, ici ?! ». D’où la nécessité pour le clinicien de se
construire un cadre interne qui lui permette de s’adapter, autant que faire se
peut, aux circonstances aléatoires des lieux dans lesquels il est amené à
intervenir, et ce notamment dans les situations d’urgence qui se développent
tout particulièrement aujourd’hui.
Ce cadre interne consiste en la manière dont le clinicien se représente la
situation de la rencontre et dont il a intégré les données basiques qui
constituent l’entretien clinique, de par sa formation et son expérience. Quel
que soit l’environnement et ses changements, l’important sera que le
clinicien, composant avec les données fondamentales de la relation clinique
qu’il a introjectées, soit dans la même attitude de disponibilité, d’ accueil et
d’ écoute de la parole de l’autre.
Trois conditions sont nécessaires à la construction du cadre interne :
– Une formation théorique de base, acquise durant un cursus universitaire,
qui permet d’intégrer les concepts fondamentaux explicitant le
fonctionnement psychique dans ses dimensions conscientes et inconscientes.
Cette intégration demande à être progressive, pour respecter le temps de la
maturation, mais aussi approfondie, pour accéder au plus près de la
complexité de l’appareil psychique ;
– Une formation praticienne, qui s’acquiert dans des stages d’initiation à
visée d’abord uniquement observatrice, puis lors de stages à visée
participative en compagnie d’un clinicien chevronné, et enfin dans des stages
directement professionnels où l’étudiant est en position réelle de praticien,
sous le contrôle d’un maître de stage ;
– Une formation personnelle enfin, rendant possible un approfondissement
des propres enjeux subjectifs du clinicien en lien avec ses motivations
professionnelles réelles. Cette formation offre la possibilité d’un ajustement
entre les deux, pour parvenir à différencier, très précisément, au niveau des
angoisses, des conflits internes et des positions défensives, ce qui vient du
patient de ce qui provient de la vie psychique du praticien. Et cette
différenciation n’est pas l’ objet d’un clivage ou d’une césure entre soi et
l’autre, mais bien plutôt une véritable articulation des deux psychés, le
clinicien se servant de ses propres éprouvés pour aider le sujet à l’ élaboration
de sa vie psychique et à l’intégration réussie de ses données identitaires.

2.3. M ÉTACADRE INSTITUTIONNEL


Et si, pour reprendre l’exemple d’une consultation en CMP, le sujet va
rencontrer un psychologue, il va également rencontrer différentes personnes
dans plusieurs espaces, rencontres des plus formelles aux plus informelles :
une secrétaire, un(e) infirmier(e), un médecin psychiatre, d’autres parents ou
enfants… mais aussi le secrétariat, la salle d’attente, le bureau du médecin…
S’il y a un cadre à l’entretien, figuré dans le bureau du psychologue, dans le
dispositif mis en place et dans le processus psychique à l’œuvre, il y a aussi
un métacadre, celui de l’institution. Ce métacadre répond à des exigences
institutionnelles différentes qui ne sont pas celles de l’entretien clinique au
départ.
Le métacadre institutionnel a lui aussi une fonction muette, mais il peut
constituer pour certaines familles, en plus d’un lieu de soins, un véritable
étayage en remaillant un contrat narcissique, en retissant une base de liens
bénéfique pour qu’un entretien clinique sur la trame de la souffrance
psychique individuelle puisse avoir lieu. Il n’est pas rare en effet de voir,
dans des contextes personnels, familiaux et/ou sociaux difficiles, sans
potentialité d’ étayage narcissique fiable, des parents investir de manière forte
le lieu institutionnel. On peut prendre pour exemple le cas d’une petite fille
de 8 ans venant régulièrement dans un Centre médico-psycho-pédagogique
(CMPP) pour des problèmes d’immaturité et d’ adaptation scolaire. Elle
rencontre épisodiquement différents membres de l’équipe et a un suivi
régulier avec la psychologue du service. Après quelque temps de prise en
charge, la psychologue s’absente pour plus d’un mois. L’équipe remarque
alors que chaque semaine, à l’heure habituelle de son rendez-vous, la fillette,
accompagnée de sa mère, vient s’installer dans la salle d’attente pendant toute
la durée de consultation prévue d’ordinaire. La secrétaire ayant insisté auprès
de la mère pour lui rappeler l’absence de la psychologue, celle-ci lui répond
que « cela n’a pas d’importance », qu’elle aime bien retrouver « l’ambiance
du CMPP ». À la mesure de l’ investissement du lieu par la mère et la fille se
construit peu à peu une séance de présence institutionnelle en dehors des
entretiens thérapeutiques proprement dits.
Le cadre n’est donc pas ce qui se passe seulement à l’intérieur de l’espace-
clinique. Il prend également en compte les modalités institutionnelles de prise
en charge et du projet thérapeutique pensé par l’institution et ses
professionnels. Ainsi peut-on dire que si les rencontres cliniques sont
soignantes, le métacadre de l’institution lui-même a une valence
thérapeutique complémentaire, en permettant notamment un ancrage
institutionnel à certaines familles. L’institution servirait en ce sens de toile de
fond sur laquelle peut se traduire de manière positive un processus d’
élaboration psychique dans le cadre d’un entretien classique.
De l’ensemble de ces éléments, de la construction de la demande du sujet à
la construction d’un cadre de rencontre par le clinicien, se précise
progressivement la méthode de l’entretien clinique dans sa spécificité,
méthode qui n’est donc pas de l’ordre d’une technicité opératoire, mais bien
davantage d’une position psychodynamique qui pense la subjectivité du sujet,
sa souffrance psychique et sa symptomatologie, mais aussi qui engage le
clinicien dans un véritable travail de double écoute transféro-contre-
transférentielle de ce qui se passe entre lui et l’autre.
CHAPITRE 3
LES SPÉCIFICITÉS
DE LA POSITION
CLINIQUE
1. LE SAVOIR CLINIQUE
2. LES TROIS TYPES D’ENTRETIEN
3. LE SAVOIR OBSERVER
4. LES INTERVENTIONS DU PSYCHOLOGUE
5. LA PRISE EN COMPTE DES DÉFENSES
6. TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT
7. LA DOUBLE ÉCOUTE

P lusieurs éléments structurent la position clinique du praticien. Ce sont à


la fois le savoir clinique, le savoir observer et la manière dont se déploient les
interactions, entre verbal et non verbal, mais aussi la prise en compte des
défenses et des manifestations du narcissisme du sujet par le clinicien, tout
autant que les mouvements transférentiels et contre-transférentiels à l’œuvre
dans la rencontre clinique.

1. LE SAVOIR CLINIQUE
Ce qui définit la position clinique, c’est d’abord l’ensemble des
connaissances qui fondent le savoir du clinicien. Ce savoir n’est opérant
qu’en fonction de l’expérience du psychologue. Il se construit non seulement
par le développement de ses compétences théorico-pratiques, mais aussi par
l’approfondissement de la connaissance de soi. Le savoir clinique est moins
une accumulation d’informations partielles et spécialisées que l’acquisition,
au cours de la formation, d’un savoir- faire ou, mieux, d’un savoir-être qui se
constitue au fil des différentes interrogations et remises en cause qui ne
manquent pas de se produire durant le cursus universitaire et auprès des
praticiens dans les différents lieux de stage. Connaître par exemple le
fonctionnement hystérique ne suffit pas. Il importe également de pouvoir
mettre à l’épreuve les données psychopathologiques sur le terrain, dans la
rencontre réelle avec des patients présentant des troubles de cette nature. De
même, ajoutons qu’il est nécessaire de pouvoir appréhender sur soi-même les
données d’une situation hystéro-phobique.
Le savoir clinique, sous ses diverses formes, conduit à la mise en place de
ce qu’il est convenu d’appeler la position clinicienne. Cette position porte en
elle-même un sens dynamique, stratégique et même un sens spatial, dans les
configurations proposées par les différents dispositifs. Elle introduit en effet
une dynamique intersubjective, dans la mesure où elle permet qu’un
processus d’interrogation et de changement puisse se mettre en œuvre chez le
consultant. Elle représente aussi une orientation stratégique et se spatialise de
façon concrète à l’intérieur des cadres institutionnels rencontrés, que ce soit
au niveau d’un bureau, d’une salle de réunion, d’une chambre d’hôpital ou de
tout autre lieu spécifique. Quelles que soient les circonstances, la position
clinicienne se définit comme cette attitude qui ouvre à un espace psychique
de partage et d’échanges. Pour acquérir et maintenir cette position, c’est-à-
dire pour parvenir à une compréhension de la problématique du sujet, le
clinicien doit être dans sa posture professionnelle ni trop proche ni trop
éloigné de celui qu’il rencontre. En d’autres termes, au-delà du savoir
clinique lui-même, la position clinicienne est une mise en situation d’un
rapport de confiance et de confidentialité permettant l’émergence d’une
parole intime et singulière qui engage à la prise de conscience de soi.

2. LES TROIS TYPES D’ENTRETIEN


On distingue généralement trois types d’entretien, qui se différencient par
la place plus ou moins importante laissée à la liberté d’initiative, tant du
praticien que du consultant.

2.1. L’ ENTRETIEN DIRECTIF


Le premier type est l’entretien directif, soumis à un questionnaire
standardisé. Il ne se comprend qu’à l’intérieur d’une démarche quantitative,
statisticienne et psycho-sociologique portant sur un nombre très important de
sujets, afin de faire apparaître des tendances communes et collectives.
L’accent est moins mis sur l’individuel que sur la généralisation possible d’
attitudes et de conduites à mettre en lumière à des fins d’objectivation, pour
des études épidémiologiques par exemple ou pour souligner certains
déterminants à l’intérieur d’une communauté ou d’un groupe social.

2.2. L’ ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF


Le second type est l’entretien semi-directif qui a pour but d’obtenir, dans
un temps relativement court, des renseignements précis et déterminés sur
l’histoire et la vie actuelle du sujet. Cette démarche est déjà qualitative et tout
en laissant une liberté relative à l’ expression personnelle, elle met en jeu un
certain nombre de questions incontournables, qui devront permettre un
recueil de données psychiques et psychopathologiques suffisantes en lien
avec des exigences sociales contraignantes. Il s’agit par exemple d’un
entretien de recherche, dont le programme et la grille d’entretien sont
déterminés à l’avance, ou d’une expertise psychologique dans le cadre d’un
conflit familial ou d’une affaire judiciaire, ou encore d’un entretien
préliminaire à un examen psychologique général.

2.3. L’ ENTRETIEN NON DIRECTIF


Le troisième type est l’entretien non directif. Ce type d’entretien
caractérise plus spécifiquement la démarche clinique qui cherche à dégager
avant tout la singularité et l’ unicité d’un discours individuel. L’objectif du
clinicien n’est pas de recueillir des informations concrètes sur l’histoire du
sujet ou de dresser son anamnèse. Ces informations sont naturellement
indispensables, mais elles ne doivent pas faire l’ objet de questions
systématiques qui risquent d’obturer l’espace de parole. Elles doivent venir
en leur temps, à l’instigation du clinicien, mais à l’intérieur de la logique
même du développement de la pensée du consultant. Dans une observation
clinique au plus près de ce que choisit d’amener le sujet, le praticien laisse
venir la parole propre de l’autre pour s’imprégner peu à peu de ce qu’elle a
d’authentique, tout en incitant celui-ci à approfondir sa pensée et à aller
jusqu’au bout de ses impressions, de ses ressentis. Cette démarche ne va pas
sans une certaine retenue, un respect de la personne, de ses hésitations, de ses
difficultés d’ expression, de ses silences et de ses non-dits. Au bout du
compte se dessine peu à peu, dans la psyché du clinicien, une image
prégnante de la personnalité de son interlocuteur, de ce dont il souffre, ainsi
que de sa manière d’engager la relation intersubjective.

3. LE SAVOIR OBSERVER
L’ observation est un élément phare, premier peut-être, de la posture
professionnelle du clinicien (A. Ciccone, 1998). De la mimo-gestuelle aux
mimiques, des intonations de la voix aux contenus des dires du sujet, des
silences aux paroles, le praticien observe à la fois l’ expression du verbal et
du non-verbal, du manifeste et du latent.

3.1. LA MIMO-GESTUELLE
En deçà des paroles prononcées, le clinicien est sensible à toute une série
de signes extérieurs qui positionnent la personne et mettent en évidence le
langage de son corps. Comment la personne va-t-elle s’installer dans le
bureau ? Et à quelle place ? Il est significatif, par exemple, qu’en entrant, une
personne aille s’asseoir d’emblée à la place occupée par le psychologue, pour
ensuite s’excuser et être confuse de s’être mise « par hasard » à cette place
« convoitée ». On notera d’autre part l’ attitude prise, la manière de se tenir
sur la chaise, plus ou moins éloignée du bureau ou, au contraire, en appui sur
celui-ci pour se rapprocher au plus près de la personne du praticien. Certes
ces données spatiales que les ethnologues nomment la « proxémie » sont
culturellement codées, mais on retiendra ici essentiellement ce en quoi ces
attitudes parlent et ressortent du sujet lui-même. Sa manière de découvrir et
d’habiter l’espace est souvent significative de ses positions internes. Ainsi un
adolescent psychotique, lors du premier entretien avec la psychologue
clinicienne, commence par s’agripper aux accoudoirs du fauteuil pour se
donner une contenance et assurer ses assises narcissiques. Puis, par la suite, il
prend confiance en lui et est capable d’affronter la relation, à partir du
moment où la disposition spatiale a été quelque peu aménagée pour éviter les
effets déstabilisants et angoissants pour lui du face à face. D’où la nécessité
pour le praticien d’être très attentif à l’ accueil et à l’installation du sujet dans
l’espace clinique lui-même, afin de percevoir les obstacles et les entraves
extérieures qui viennent d’emblée opacifier la dimension relationnelle elle-
même.
L’entretien est ponctué par des mouvements corporels plus ou moins
incontrôlés, une agitation croissante ou au contraire une immobilité de
sidération. Avant d’interpréter de tels signes, il est important de les repérer et
d’en tenir compte dans la manière même de gérer l’entretien. À ce titre, une
mimique d’étonnement ou d’interrogation mérite d’être soulignée par une
attente silencieuse ou une verbalisation explicitant cette surprise ou ce
questionnement, afin que le sujet puisse en prendre conscience et en dire
éventuellement quelque chose.

3.2. I NTONATIONS DE LA VOIX ET RYTHMES DE PAROLE


Ce que les linguistes appellent la prosodie, c’est-à-dire la rythmicité et la
ligne mélodique de la voix, doit être pris en compte de manière toute
particulière. Soit la personne s’exprime avec aisance, sans précipitation et les
mots coulent de façon limpide et naturelle, marquant une bonne intégration
des représentations et des affects, soit, à un moment crucial du discours,
interviennent des ruptures de tonalité et des cassures qui marquent
l’émergence d’une émotion et ont une valeur significative des difficultés
rencontrées ou des conflits internes. La voix est brouillée, elle chute dans son
intensité ou, au contraire, sa modulation est progressive et l’ intonation
devient relativement forte, voire violente. À chaque fois, on note combien
l’affectif vient se greffer sur le contenu même des paroles énoncées. Le sujet
peut par exemple avoir tendance à baisser la voix quand le propos devient
grave et à l’élever quand la charge affective est moins lourde et le ton plus
léger. D’une autre manière, une jeune femme présentant les raisons de sa
venue, en vient à mettre en scène la figure maternelle. Tout à coup, sa voix se
brise et elle peine à retenir un sanglot, alors qu’elle évoquait jusque-là de
manière très neutre cette relation au cours de son enfance. L’ affect vient
alors parler à contre-courant d’un discours en apparence indifférent. Pour
illustrer encore cette dimension, prenons le cas d’une personne logorrhéique
qui vient submerger l’espace intersubjectif par un flot de paroles débitées à
vive allure et avec une grande volubilité. Elle a beaucoup de choses à dire,
mais sa manière de discourir rend ses propos anecdotiques et le sens est noyé
derrière le flux inconsidéré des récits du quotidien.
Si le clinicien n’intervient pas forcément et laisse libre cours à la parole
telle qu’elle se donne de manière spontanée, il entend les autres dimensions
de ce qui est dit, et notamment la présence et la prégnance incontrôlée des
affects. Il saura en tenir compte au moment opportun, c’est-à-dire lorsqu’il
sentira que la personne est prête à affronter la situation difficile qu’elle a
jusqu’ici esquivée ou de laquelle elle s’est protégée.

3.3. LES SILENCES


Les silences sont la ponctuation des propos tenus durant l’entretien. Ils
sont de nature très diverse et leur signification est en lien direct ou indirect
avec ce qui vient d’être évoqué. Soit ils aident le sujet à prendre réellement
conscience de ce qui a été exprimé et à l’approfondir avant de poursuivre
cette évocation. Soit au contraire, ils surviennent de façon impromptue et sont
le fruit d’une irruption soudaine de l’ inconscient. Ils entraînent alors une
rupture dans la chaîne signifiante, ce qui est confirmé par un changement de
tonalité ou de thématique au moment où la parole revient occuper le devant
de la scène.
– L’angoisse silencieuse
Quand le silence est lourd, pesant, on a l’impression que le discours se
poursuit dans l’esprit du sujet, sans qu’il puisse parvenir jusqu’aux lèvres
pour s’exprimer. La charge affective négative est telle qu’elle paralyse
littéralement l’ expression. Tout se passe comme si une chape de plomb était
tombée et que plus rien ne pouvait être dit sur la question entamée
précédemment, comme une situation familiale critique, un deuil ou un
événement douloureux. L’ angoisse prend le dessus et le sens se perd. Le
clinicien sent comme un malaise s’installer, dont il n’a aucune idée de l’issue.
Ce silence saturé d’ angoisse est un silence de sidération que seul le
consultant est à même de rompre, afin d’être attentif au type d’échappatoire
qu’il va privilégier : changement de sujet, reprise banalisante ou au contraire
reprise explicative de ce qui s’est passé pour lui pendant que rien ne se disait.
La puissance de ces silences peut être assourdissante, au point d’envahir
l’espace et de bloquer toute pensée pendant un temps qui semble durer une
éternité.
Ainsi une mère, parlant de l’ inhibition de son fils, est comme saisie du
même trouble et reste muette à regarder le jeune pré -adolescent, affalé sur sa
chaise, totalement absent. Elle se fige à son tour et son regard fixe le vide. Le
clinicien se sent également paralysé, comme si quelque chose de l’
inconscient familial s’était emparé de l’espace clinique et faisait régner une
atmosphère mortifère incommensurable. L’hypothèse qui s’est validée par la
suite est venue à l’esprit du clinicien d’un lien entre l’ inhibition et une
rupture dans la transmission générationnelle. Une telle sidération était en fait
en lien avec une présence fantomatique dans la psyché familiale.
– Le silence d’imprégnation
De même que l’on affirme que le silence qui suit du Mozart est toujours du
Mozart, de même il existe des silences qui sont le prolongement introjectif de
la parole signifiante qui les a précédés. Le sujet a besoin de s’imprégner de ce
qui vient d’être dit pour en ressentir toute l’importance, que ce soit le
consultant ou le clinicien qui ait prononcé cette parole. Les mots ont un poids
que le silence accroît ou renforce.
Une jeune épouse, parlant de son désir d’ enfant, laisse passer un long
silence, avant de reprendre avec un ton grave sur l’avortement que sa mère a
subi quelques années après sa naissance. Un ange est passé qui a fait lien
entre l’ enfant à naître et l’ enfant qui n’a pu naître. Un temps est laissé pour
la poursuite du dialogue interne entre soi et les parts de soi convoquées par le
fil des échanges avec le clinicien, échanges qui reprennent dès que le sujet se
sent prêt à apporter des précisions ou des rectifications sur ce qui a été avancé
auparavant. Le silence a cette fonction aussi de valider des sentiments, des
appréciations ou des questionnements sur soi-même.
– Le silence d’attente
Le consultant a commencé à parler de lui et des raisons qui l’ont amené là.
Il guette une réaction du praticien, des questions pour l’inviter à poursuivre
ou l’inciter à approfondir. En un mot, il attend que le clinicien joue le rôle
d’un guide ou d’un conseiller. Il s’en remet à lui afin qu’il opère un étayage
susceptible de le rassurer. À un moment de son discours, il s’arrête, suspendu
à une éventuelle remarque ou réponse. Le silence consécutif à l’attente
mobilise du même coup toute son attention envers la personne du clinicien.
C’est à présent lui qui observe, qui est prêt à percevoir le moindre signe
d’assentiment ou de rejet à son égard.
Ayant cessé toute activité et ayant des difficultés somatiques importantes,
un chef d’entreprise vient consulter. Il dit se sentir vide et démuni face au
temps libre dont il dispose à présent. Lors des premières rencontres avec le
psychologue, il questionne beaucoup en souhaitant que celui-ci lui donne des
pistes pour organiser ses nouvelles activités. Il pense la rencontre clinique sur
le modèle rationnel qui était le sien pendant toute la durée de son exercice
professionnel. Mais face au silence appuyé du praticien, il comprend très vite
que les échanges avec lui ne sont pas là pour le conseiller mais pour lui
permettre de trouver lui-même ses propres orientations en accord avec sa
personnalité et ses désirs profonds.
Ce temps de silence est crucial pour la suite de l’entretien, car il met en jeu
la représentation imaginaire du clinicien que se forge le consultant. On
remarque que cette attente, dans ces moments-là de communication
silencieuse, est à l’origine de ce qui se mobilise dans le transfert.
– Le silence de résonance
La résonance vient en suite logique de l’imprégnation et de l’attente. Le
ton de l’entretien a été donné, la personne a compris tout l’intérêt qu’elle
pouvait tirer de la rencontre et elle est prête à jouer le jeu du sérieux, tel qu’il
lui est proposé. Ce jeu prend une signification déterminante à partir du
moment où celui de la parole libre est investi pleinement comme l’enjeu du
devenir de soi. La parole du psychologue acquiert une valeur, sinon
oraculaire, du moins porteuse d’un sens à faire sien. Le silence qui prolonge
une telle parole de simple reprise ou d’énonciation d’une vérité psychique
partielle fait résonance dans l’appareil psychique, favorisant ainsi le
processus capital de l’ introjection. La personne reconnaît ce qui vient d’être
dit par l’autre comme quelque chose qui fait un tel écho en elle qu’elle peut,
de manière certes limitative mais constructive, l’intégrer à son être psychique
propre. Le soi ne doit plus craindre ni redouter cette partie flottante de lui-
même, mais au contraire l’assumer pleinement, pour qu’elle finisse par
constituer une partie intégrante de lui-même. Le silence de résonance ouvre
de manière féconde à ce processus.
Lors du premier entretien, un jeune homme venu sur les conseils de son
médecin de famille pour un état de dépression et de confusion, en vient à
faire un bilan négatif de son adolescence. Il a tout raté, pense-t-il : son entrée
dans la vie sexuelle, comme son entrée dans la vie professionnelle. À la
remarque du clinicien qui lui fait prendre conscience que faire un bilan
signifie qu’une étape, pour difficile qu’elle ait été, est passée et dépassée, il
répond, après un long temps de silence réfléchi : « Alors vous croyez que tout
n’est pas foutu pour moi ? ». Une espérance naît de ce constat amer et
douloureux. Une reprise est possible, à condition que soient tirés les
enseignements des échecs analysés comme autant d’expériences révélatrices
de ce que n’est pas l’attente profonde de ce jeune homme.
– Le silence d’apaisement
L’apaisement apparaît en premier lieu lorsque la personne a le sentiment
d’avoir « vidé son sac ». Elle portait depuis trop longtemps seule ce fardeau
qui l’accablait, une culpabilité récurrente, une angoisse, une hantise ou un
malaise persistant. Elle a enfin trouvé un lieu où se poser et un autre à qui se
confier. Cet autre, elle l’a perçu suffisamment semblable à elle pour la
comprendre, et en même temps suffisamment différent pour être en mesure
de l’accompagner. Elle a exposé au plus près son problème et elle s’est sentie
écoutée. Mais surtout, elle a été capable de laisser émerger des affects et des
émotions qu’elle avait habituellement tendance à réprimer, les éprouvant
jusque-là comme des entraves à la communication avec autrui et à la vie
sociale en général. Elle s’en sent soulagée et un sentiment de légèreté
l’envahit à l’idée « de repartir du bon pied ». Le silence qui s’installe ainsi
vers la fin de l’entretien est le signe qu’un obstacle a été franchi ou qu’une
barrière a été levée. L’ abréaction n’a pas encore eu lieu, au sens où elle
représente une décharge émotionnelle suffisante pour libérer le sujet du poids
d’un événement traumatique survenu dans le passé. Ce n’est que dans les
entretiens ultérieurs que l’ abréaction peut s’opérer, dans la mesure où les
réactions affectives qui auraient dû accompagner l’événement traumatique
s’expriment enfin grâce à la dynamique intersubjective de l’entretien, et
conduisent le sujet à se sentir vraiment libéré de cette charge trop lourde pour
acquérir progressivement un sentiment intime de soulagement et de
dépassement d’une situation qui faisait jusqu’ici symptôme.
Le silence d’apaisement correspond à un sentiment irénique qui rend la
situation non seulement supportable, mais ouverte à des échanges élaboratifs
plus sereins et plus réconfortants. Le silence acquiert ainsi une portée
réflexive et devient une ouverture sur les étapes futures de la construction de
soi.

4. LES INTERVENTIONS DU PSYCHOLOGUE


Le psychologue est le garant de la rencontre et de son efficience. Il ne se
réduit pas à une effigie ou à un simple miroir. On a trop souvent campé le
clinicien dans la position énigmatique du Sphinx. Il n’est ni en attente d’une
réponse précise à une question qu’il n’a pas posée, ni à l’affût d’un sens
caché à saisir à l’insu de celui qui parle. Le clinicien est présent au sens fort
du terme, il est là dans l’ici et le maintenant, avec sa réalité psychique et sa
réalité physique, dans l’échange en face à face avec le consultant. Ce qu’il va
dire ou ressentir constitue une donnée décisive de l’entretien, car elle en
détermine aussi bien le contenu que le cours.

4.1. L’ ENTAME
La façon dont le psychologue débute l’entretien est d’une extrême
importance, selon qu’il est actif, réceptif ou dans la sollicitation tempérée. Il
n’y a évidemment aucune norme, aucune consigne à suivre à la lettre pour se
conformer à un modèle préétabli. Dès que le psychologue commence à
répéter la même formulation de départ, on peut d’ores et déjà se demander si
la rencontre n’est pas d’emblée biaisée par ce début conventionnel. Comment
s’attendre, par la suite, à autre chose que des propos convenus ?
La manière d’introduire la communication est cruciale, si elle est vraiment
en phase avec ce qui se passe concrètement dans ce moment unique du
premier contact. Un « Je vous écoute » routinier risque de rejeter au second
plan quelque chose d’important qui, du coup, laisse la place à un discours
préparé qui masque la réalité actuelle des affects éprouvés. À l’inverse, le
total silence du psychologue renforce l’ angoisse ambiante et menace de
limiter les échanges. Au lieu de susciter la libre parole, ce silence initial
pousse du côté de l’ inhibition et de la défense agressive.
Une ouverture discrète à l’ expression du pourquoi de la rencontre est la
meilleure entame possible, pourvu qu’elle soit en appui sur la mimo-gestuelle
culturelle en usage, tout en favorisant un écart suffisant pour que la parole
propre puisse se faire entendre. Tout empressement, toute facilitation
artificielle de la communication court-circuite ce qui a à se dire comme cela
doit être dit dans la spontanéité d’un premier contact, une spontanéité à la fois
retenue et inquiète.

4.2. LA REPRISE
Une fois les premiers mots avancés par le consultant sur sa demande
manifeste, le clinicien intervient pour aider à l’approfondissement du propos.
Naïf, intéressé ou provocateur, il cherche à donner un ton à l’échange, quitte
à introduire par la suite des ruptures et des modifications à la tonalité initiale
de l’entretien. La glace se rompt-elle rapidement ou reste-t-on, a contrario,
dans une distance toujours égale ? L’émotion surgit-elle au détour d’une
phrase ou bien la voix continue-t-elle sur le même ton monocorde ? Les
reprises du clinicien, à partir des premières paroles dites, visent à établir cette
tonalité initiale qui donne le « la » pour la suite de l’entretien. Soit le
praticien reprend les derniers propos du consultant sur un mode interrogateur,
soit il marque son étonnement par une interjection en forme de rupture :
« Ah ! » ou « Ah bon ? ».
Ce type d’intervention permet à la personne de se ressaisir, en infléchissant
son discours vers une tonalité plus sincère et plus directe, ou bien de
réaffirmer son propos de manière franche et impérative, marquant par-là sa
détermination et l’importance pour elle de ce qui est dit.

4.3. LA RECHERCHE INFORMATIVE


Il est des renseignements indispensables pour un entretien psychologique
dans un cadre institutionnel déterminé. Il faut que le clinicien, à un moment
ou à un autre, recueille ces données, sans toutefois que cela n’infère
qu’incidemment sur la rencontre. Si la quête des informations prime sur le
cheminement propre de l’échange, l’entretien devient une pure et simple
formalité qui passe à côté de l’essentiel.
L’entretien doit trouver son rythme propre et prendre un cours tout à fait
singulier. Les informations recherchées pour se faire une idée du parcours et
de l’histoire du sujet peuvent apparaître à l’improviste de façon pertinente
dans le décours représentatif et affectif de l’échange, ou être recueillies tout
simplement en fin de séance pour ne pas troubler le déroulement expressif de
l’entretien.
Dans tous les cas, l’entretien clinique doit garder sa spécificité et éviter le
questionnement direct qui est incompatible avec les visées expressives et
élaboratives de l’entretien. Ces remarques sont plus pertinentes encore
lorsqu’on se trouve dans un entretien préliminaire à un bilan psychologique,
ou à la passation d’un questionnaire. L’entretien demande à être d’autant plus
ouvert que ce qui va suivre est déterminé par un cadre strict et standardisé.
Les résultats recueillis seront également beaucoup plus signifiants si le sujet
ne s’est pas senti contraint et s’il a pu s’exprimer très librement avant de
passer sous les fourches caudines d’un protocole pré-programmé.

4.4. LA RELANCE
Elle est nécessaire dans deux circonstances antagonistes : soit lorsque le
sujet reste en panne et n’est plus en mesure d’amener dans l’échange de quoi
lui donner de la matière et de la consistance, soit lorsque le sujet, trop
volubile, s’égare sur des chemins de traverse ou se cache derrière des
discours-écrans. Le psychologue se fie à son intuition et à son expérience
pour saisir le « moment opportun » (D.N. Stern, 1985) pour stimuler l’
expression ou l’orienter selon l’axe d’un approfondissement, ou dans
l’optique de l’ authenticité. Rien ne sert d’être exhaustif ou strictement
logique dans le déroulement d’une pensée qui se veut rationnelle et
cohérente. Ce qui importe essentiellement est de trouver le ton juste qui
inscrit l’échange dans la reconnaissance des zones de force et des zones de
fragilité du sujet, ainsi que dans l’ expression de ses données conflictuelles
internes et du niveau réel de son malaise, de son anxiété ou de sa souffrance.
Le clinicien tente de relancer la parole autour de ces points sensibles, de ces
failles internes, afin d’apprécier au mieux ce qui résiste, ce qui cède ou ce qui
est en train d’être construit et élaboré.
La relance s’opère à partir d’une phrase ébauchée mais non aboutie, d’un
propos antérieur qui pourrait faire sens avec ce qui est en train de se dire, ou
sur le besoin d’un écart nécessaire afin d’éviter l’enfermement dans une
parole creuse et répétitive, engluée dans une factualité qui provoque l’ennui.
Si la personne venue consulter pour un état dépressif commence à se
perdre dans le récit de ses morosités, la relance va porter sur les moments de
plaisir éprouvés, même et surtout si ces moments sont en quête de points d’
étayage narcissique pour servir d’ ancrage à une écoute signifiante. Pour
jouer son rôle de moi-auxiliaire dans les phases où le sujet est trop en
situation de fragilité, le praticien doit favoriser chez lui l’établissement de
positions internes stables pour parvenir à un remaillage narcissique suffisant.

4.5. LA PONCTUATION
Pour pallier le risque d’un enfermement dans un long monologue lorsque
le consultant relate un fait récent qui a marqué son existence ou lorsqu’il
évoque un événement du passé, le clinicien manifeste son attention par des
ponctuations appropriées. Un « oui » appuyé ou des « hum…hum… »
intermittents sont un accompagnement du propos, sinon une invite à
poursuivre. Dans tous les cas, la présence de celui qui écoute est signifiée,
même dans les moments où cette écoute est silencieuse. Un regard, un signe
de tête, un geste de la main sont autant de façons de s’attacher au fil du
discours. Parfois, les mouvements d’étonnement ou le total silence appellent
à une rupture. Une émotion vient troubler la voix ou une représentation
parasite émerge. Il est alors important d’interrompre le récit et d’échanger sur
ce qui est en train de se passer ici et maintenant, en oubliant le fil de
l’histoire. L’associativité ponctuelle l’emporte sur la logique linéaire.
Nul besoin de relater complètement les faits, le sens survient au détour
d’une phrase sans qu’on n’y prenne garde. C’est cette opportunité-là qui
demande à être saisie et les ponctuations du psychologue ont aussi cette
fonction : arrêter le discours pour favoriser l’ expression d’une réalité
psychique d’autant plus signifiante qu’elle est imprévue. Le consultant la
découvre en même temps que le clinicien et son trouble temporaire constitue
une ouverture à l’ élaboration des véritables enjeux internes qui sont les siens.
Ainsi une jeune personne, venue consulter pour un problème de mal-être
au travail, laisse échapper quelques sanglots au moment où elle rapporte une
réunion importante au cours de laquelle la directrice lui a publiquement
adressé des reproches. La psychologue arrête le récit en marquant sa surprise.
La jeune femme fait alors le lien avec un souvenir douloureux, une violente
dispute avec sa mère au début de son adolescence. Un tel passage du factuel
au traumatique est engagé et facilité par les signes ponctuels de l’ écoute
clinique.

4.6. LA REFORMULATION
Au cours des premiers entretiens, ce qu’exprime le consultant est
informatif et dispersé. Il tend à présenter, à l’occasion de l’exposé de ses
troubles, un portrait plus ou moins exhaustif de lui-même. Il explique quel est
son caractère, ses attitudes habituelles, sa manière de vivre et de réagir aux
événements. Face à ces données hétérogènes, le clinicien est amené à
rassembler certains traits et à en exclure d’autres, proposant ainsi au
consultant une image reconstruite selon sa propre lecture. Soit il l’approuve
soit il la récuse, reprochant au clinicien d’avoir trop mis l’accent sur certains
aspects au détriment d’autres. Un échange a lieu pour convenir d’une
représentation commune pour qu’un contrat clinique puisse se mettre en
place. La reformulation proposée est décisive pour la suite, dans la mesure où
elle comporte déjà une certaine reconnaissance de la conflictualité interne qui
est à mettre au travail.
La reformulation a trait également à un recadrage ou à un repositionnement
proposé par le psychologue. Face à un blocage, une rumination insistante ou
un fourvoiement, le praticien tente de donner au sujet une approche plus
adéquate aux objectifs fixés au départ. Si les résistances sont trop fortes, il ne
sert à rien de réitérer le propos. Il faut laisser du temps pour que le message
envoyé suive son chemin et parvienne « à destination », lorsque le sujet est
prêt à le recevoir.
Freud (1914) nomme perlaboration ce temps complexe de cheminement
intérieur avant qu’une appropriation subjective puisse se mettre en place. Ce
n’est en effet qu’après toute une série, parfois longue, de répétitions et de
remémorations, que le sujet sera en mesure de passer de la simple
conscientisation à une conviction réelle de sa réalité psychique. Il convient
dès lors de faire montre de patience pour laisser à la personne le temps de
faire sienne cette « nouvelle » réalité psychique qu’au départ elle prenait pour
une réalité psychique étrangère, dont elle ne reconnaissait en rien
l’appartenance. Rien ne transparaît puis, soudain, l’évidence se fait jour et
conforte de manière définitive un changement de perspective interne, qui se
concrétise par de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements.
Reformuler signifie en d’autres termes proposer un modèle différent de
l’appréhension de soi, qui ouvre à la prise de conscience.
Au cours du troisième entretien, un consultant revient sur un épisode de sa
vie qui l’a beaucoup marqué. Il a été le témoin d’un grave accident de la route
durant lequel une personne a été tuée. Il ne cesse de revoir le corps
ensanglanté au milieu de la chaussée, sans pouvoir ne rien dire d’autre que
les faits. Cette fois encore, il en parle à la suite de l’évocation d’un souvenir
d’enfance. Il arrête son récit, bouleversé par l’émotion. Au bout d’un silence,
lorsqu’il reprend ses esprits, le psychologue intervient : « Peut-être, à propos
de cet accident, pensez-vous à quelque chose qui s’est produit dans votre
famille… ? ». L’événement traumatique actuel était en lien avec un deuil
ardu qui avait beaucoup fait souffrir sa mère, et il avait lui-même assisté à la
manifestation muette de cette douleur. La reformulation du psychologue lui a
permis de faire des liens et de commencer à donner du sens à la hantise qui
était la sienne.

4.7. L’ INTERPRÉTATION
L’ interprétation est la forme la plus développée de l’ intervention clinique,
en ce qu’elle permet au sujet d’accéder à la signification réelle de l’un de ses
symptômes. Elle consiste dans la mise en lien explicite des données actuelles
avec des événements du passé à valeur traumatique. Elle ne devient effective
que dans le cadre d’un suivi thérapeutique, car elle suppose que la confiance
se soit établie dans la durée et que le sujet soit suffisamment à même de
prendre conscience des conflits internes qui l’habitent. Ainsi peut-on dire que
l’ interprétation se situe au cœur même de l’action thérapeutique, dans la
dynamique transféro-contre-transférentielle. Selon l’état plus ou moins
avancé de son travail psychique, le sujet peut approuver ou refuser l’
interprétation qui lui est proposée. Si celle-ci entre en connexion directe avec
sa vie psychique, il éprouve alors un fort sentiment de justesse au moment où
elle est prononcée. Ceci le conduit à une sorte de prise de conscience
exacerbée, un véritable insight d’une réalité psychique jusqu’ici masquée par
les défenses. Un tel sentiment dépasse la simple compréhension intellectuelle
du processus en jeu. La compréhension prend la force d’une évidence si
profonde qu’elle s’apparente à une révélation ou à une illumination.
Mais parfois, le sujet ne se reconnaît pas dans l’ interprétation qui lui est
fournie et la récuse légitimement. Cependant, cette interprétation lui permet
d’avancer et de mieux être en contact avec ses ressentis et ses affects, qu’il
peut ainsi appréhender grâce à la mise en place d’une « contre -
interprétation » qu’il opère lui-même par la négative.
Le sujet reste le seul à être capable de valider le sens de ses dires, de ses
attitudes et de ses conduites. L’ interprétation ne s’inscrit qu’au sein d’un
cadre thérapeutique, sinon elle est dite « sauvage » et risque d’avoir des effets
déstructurants et de renforcer les défenses du sujet à qui elle est adressée.
Ainsi, lors des entretiens préliminaires, les interventions du clinicien se
feront d’abord essentiellement autour de l’ expression de la demande du
sujet, dans une tentative d’éclaircissement, de précisions quant à la situation
« qui fait problème ». Puis, lorsque sera décidée la mise en place d’un suivi
thérapeutique, les interventions du clinicien seront davantage de l’ordre de
relances, de pistes associatives et interprétatives. Cependant, de manière
générale, c’est « sans intention préalable » (W.R. Bion, 1970) que le clinicien
rencontre le sujet, en lui offrant la possibilité de laisser libre cours à ses
pensées. Chaque intervention du clinicien est porteuse de sens, entendue ou
non par le sujet. Qu’il s’agisse de ponctuer, relancer, accompagner les propos
de ce dernier, le professionnel contrôle plus ou moins ces éléments dans le fil
du discours. Accueillir la parole de l’autre et laisser venir ce qui vient : c’est
dans cette formule que peut être envisagée la position clinique du praticien
dans sa posture professionnelle, dans le lien thérapeutique qui se tisse avec le
sujet.
Dans une compréhension psychanalytique il s’agit bien en effet, non pas
d’un type de pratique lié à un dispositif particulier, mais d’un état d’esprit
général, d’une manière spécifique d’écouter la vie psychique dans l’implicite
du langage, de laisser flotter les représentations pour que puisse se construire
un processus signifiant dans le temps et dans l’espace donnés. Ceci sans
chercher à orienter suivant une intentionnalité précise, sans intention
particulière, sans objectiver l’autre, et en allant à la source du conflit
inconscient pour comprendre les symptômes du sujet et leurs origines.

5. LA PRISE EN COMPTE DES DÉFENSES


Consciemment et inconsciemment, le sujet met en scène son propre
narcissisme lors de sa rencontre avec le clinicien. Comment se met-il en
avant ? Parle-t-il d’emblée de ses fragilités ? Se présente-t-il comme une
surface lisse avec un narcissisme à toute épreuve en cachant ses zones
d’ombre et de faiblesse ? Les manifestations de son narcissisme se repèrent
clairement pendant l’entretien, en termes d’estime de soi, d’exigences de l’
Idéal du Moi ou de scénarii narcissiques à l’œuvre.
Mais si le clinicien doit tenir compte de la symptomatologie du sujet et du
rapport que celui-ci entretient avec elle, s’il doit prendre en compte l’
expression des mouvements narcissiques, il a également à respecter puis à
composer avec les défenses de l’autre qu’il reçoit. Et il est primordial que,
lors des premiers entretiens, les défenses du consultant puissent se manifester
et être respectées avant même que le clinicien ne les pointe, les repérant sans
pour autant les signifier explicitement au consultant. Il s’agit en fait d’abord
de les laisser émerger, de voir comment elles font fonction de protection et d’
expression de la vie psychique et interpersonnelle du sujet, sans les
contrecarrer ni les barrer, pour qu’elles puissent ultérieurement être soumises
à une mise en travail, à un assouplissement et une transformation.
Ceci est déterminant pour la suite, dans la façon dont le sujet peut revenir
dans une temporalité qui lui est propre sur ses positions défensives, sans
forçage ni incitation de la part du thérapeute. La neutralité bienveillante de la
position clinique prend ici tout son sens, dans ce qu’elle permet une véritable
liberté d’ expression pour le sujet et la possibilité pour lui d’évaluer, en son
for intérieur, sa capacité de changement. « For intérieur » est à prendre ici au
sens étymologique du terme, c’est-à-dire au sens de forum interne, espace de
jugement à plusieurs voix permettant au sujet, avec la présence introjectée du
clinicien, de prendre conscience des mécanismes défensifs qu’il met en
œuvre, qui sont peut-être trop rigides et qu’il lui faut adapter ou transformer.
Entre deux entretiens, la personne qui vient consulter est en mesure d’avoir
une pensée réflexive sur ce qui a été abordé et mis en évidence, ce qui lui
offre la possibilité d’une intégration des parts psychiques inconscientes
restées jusqu’ici non intégrées.
Parmi les nombreux types de mécanismes de défense connus, les
principaux qui apparaissent lors des premiers entretiens sont la
rationalisation, le déplacement, la dénégation et le clivage.
5.1. LA RATIONALISATION
La rationalisation consiste à donner une représentation cohérente et logique
aux manifestations symptomatiques rencontrées. Le sujet tente d’expliquer,
avec une argumentation soutenue, ses comportements, ses attitudes, ainsi que
les affects qu’il éprouve, alors que les mobiles susceptibles d’en rendre
réellement compte restent inconscients ou inaccessibles à la prise de
conscience directe. Et entre autres, la référence à l’évidence ou à la réalité
fonctionne comme un « paravent » mis en place pour cacher ou masquer les
motifs psychiques véritables qui ont conduit à telle ou telle action ou
réaction.
Au cours de l’entretien, certaines personnes mettent par exemple en avant
les enquêtes médicales et les risques réels d’infection pour justifier leur
phobie du contact. Elles expliquent comment elles refusent d’embrasser leurs
amis ou leurs parents, ou même de serrer la main à des inconnus, sous
prétexte de risque de contagion et de transmission des épidémies du moment.
Lorsque le sujet s’enferme dans de telles approches rationnelles, le
clinicien cherche peu à peu, tout en donnant un certain assentiment à une telle
forme d’ expression, à souligner le caractère quelque peu artificiel ou répétitif
de ces procédés. Il incite d’autre part le sujet à passer outre ces explications
trop formelles et à les dépasser pour qu’il accède par lui-même aux véritables
sources des processus en jeu. Le clinicien propose donc au sujet de
s’interroger sur les raisons profondes, en lien avec son histoire personnelle,
qui l’ont poussé à craindre, voire à redouter, des situations de proximité
physique.
D’autre part, le sujet peut s’appuyer sur une approche morale ou éthique
d’une situation donnée pour se défendre et se protéger d’émergences
pulsionnelles incontrôlables génératrices d’ angoisse. L’ appel au Surmoi
vient alors rigidifier les positions du Moi et constituer pour le sujet une sorte
de carapace protectrice, souvent réductrice et mal adaptée. Des
comportements figés et récurrents trouvent ainsi une légitimation indiscutable
au niveau des convictions religieuses ou philosophiques.
Certains rituels ou interdits religieux sont de cette façon parfois
massivement mis en avant. Ils servent à masquer des troubles obsessionnels
qui risquent ainsi d’être renforcés et de prendre une allure compulsive.
Dans de tels cas, les interventions du clinicien visent à mettre en évidence
le caractère trop abrupt de telles conduites et à souligner les possibilités
d’assouplissement sans déroger réellement aux convictions profondes du
sujet. Du coup, à l’occasion d’une reprise intersubjective, les arguments
religieux ou philosophiques deviennent discutables en lien direct avec
l’histoire personnelle du sujet et ouvrent ainsi à des perspectives favorables
d’évolution psychique.

5.2. LE DÉPLACEMENT
Défini par Freud comme une base importante de l’ inconscient, le
déplacement est l’un des mécanismes de défense les plus fréquemment
rencontrés dans l’entretien.
Une représentation fortement investie est abandonnée au profit d’une autre,
par le libre jeu de l’énergie psychique. Ainsi, dans la phobie, toute l’ angoisse
est concentrée défensivement sur une représentation, ce qui permet au sujet
de se sentir libéré pour le reste de son activité. Ce n’est qu’au cours du travail
thérapeutique que la véritable représentation génératrice d’ angoisse sera
repérée et identifiée.
Sur un mode similaire, le consultant peut être amené durant l’entretien à
déplacer ses intérêts profonds sur des représentations secondaires et à
marquer une totale indifférence vis-à-vis de ce qui va s’avérer par la suite
central pour prendre conscience de sa propre conflictualité. Ainsi, une
personne insiste constamment sur les insuffisances paternelles, affirmant que
son père n’a jamais eu une présence réelle à la maison, qu’il ne s’occupait pas
de ses enfants et qu’il était uniquement préoccupé par sa tâche
professionnelle. La clinicienne reste dubitative devant de telles insistances,
alors que rien n’est dit – ou seulement des banalités – concernant l’autre
parent. Elle essaie à plusieurs reprises de marquer une ouverture du côté de la
mère, mais le sujet revient massivement à l’incurie d’un père résolument
présenté comme le mauvais objet. Ce n’est qu’au cours du troisième entretien
qu’apparaît de manière évidente ce que masquent les propos itératifs
concernant le père : en fait, ces propos sont la conséquence d’un déplacement
de l’imago maternelle trop fortement présente, en lien avec une mère réelle
trop excitante et qui réveille une grande culpabilité inconsciente.
5.3. LA DÉNÉGATION
Il s’agit d’un procédé complexe selon lequel la personne prend conscience
d’une réalité psychique déterminée, mais sur un mode négatif. Autrement dit,
elle considère que l’idée, l’émotion ou la réaction qui lui vient à l’esprit ne lui
appartient pas personnellement et elle la nie plus ou moins vigoureusement.
Dans un premier temps, le clinicien se contente de noter la présence du
mécanisme de défense, sans en faire expressément état à la personne. Cela
place toutefois le sujet en position de saisir, de façon plus ou moins claire, la
nature du conflit psychique sous-jacent qui ne manquera pas d’apparaître
ultérieurement sous une forme similaire ou différente.
Par exemple, parlant d’une amie de sa famille, une consultante raconte au
psychologue une scène au cours de laquelle elle a été choquée de son
comportement : « Ne croyez pas que je la déteste, mais j’ai préféré quitter la
pièce au moment où elle a repris la parole… ». Les affects refoulés affleurent
à la conscience et sont tolérés dès qu’ils se manifestent par la négative. On
peut également se demander si dans le cas présent la dénégation ne se
conjugue pas avec un déplacement de la figure maternelle sur l’amie en
question. Ces impressions restent flottantes dans la pensée du psychologue,
tant qu’il n’a pas repéré ou entendu d’autres remarques, d’autres propos
susceptibles de corroborer son hypothèse. Ce n’est qu’au terme de l’entretien
qu’il est en mesure de rassembler les données que son intuition lui a fait
pressentir.

5.4. LE CLIVAGE
Le clivage représente de manière très générale la capacité commune à tout
sujet d’opérer un ou des dédoublements à l’intérieur de son appareil
psychique. C’est un processus créateur d’une différenciation interne qui
résulte d’un conflit psychique inconscient sous-jacent. La personne a un
fonctionnement normal jusqu’au moment où se produit dans son existence
l’apparition d’un événement inconciliable avec son fonctionnement habituel.
Cette situation suscite une émotion si intense qu’elle n’est plus en mesure de
pouvoir y faire face, ne se sentant pas capable de trouver une solution
rationnelle à cette contradiction interne. Elle relègue donc l’ensemble de ses
éléments dans le champ inconscient et ainsi s’opère un véritable clivage du
Moi.
Freud définit le clivage du Moi comme une scission interne qui oppose
deux parties du Moi qui coexistent entre elles. L’une accorde satisfaction aux
exigences de la pulsion, alors que l’autre reste parfaitement adaptée à la
réalité morale et sociale. Le clivage du Moi représente une sorte de ruse, qui
propose une résolution provisoire des problèmes, mais qui inscrit de façon
durable une déchirure intérieure dans la vie psychique. Ce mécanisme de
défense se rencontre essentiellement dans les fonctionnements pervers et les
psychoses, bien qu’il apparaisse de manière plus nuancée chez les sujets
névrotiques.
Le clivage de l’objet, selon M. Klein (1921), remonte aux origines du Moi
précoce qui introjecte les bonnes parts de l’ objet et projette à l’extérieur tout
ce qui est mauvais. Le clivage entre le bon objet et le mauvais objet apparaît
de façon massive dans les fonctionnements psychotiques, même s’ils
demeurent présents a minima dans des situations moins pathologiques. Au
sein d’un CMP, un patient souffrant de troubles psychotiques demande
impérativement à rencontrer la psychologue du service. Lors de cet entretien,
il manifeste une très grande hostilité envers la psychiatre qui le suit, en lui
imputant quasiment tous les maux dont il souffre, et en premier lieu un
manque de considération à son égard. Très vite, il témoigne sa gratitude
envers la psychologue qui elle, « au moins », sait écouter et être
bienveillante. On voit combien le sujet fait preuve d’une régression manifeste
au clivage de l’objet. Il convient d’être très attentif à ce type de
fonctionnement qui risque d’avoir des effets délétères sur les mécanismes
institutionnels.

6. T RANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT
Les deux concepts qui régissent le travail thérapeutique, le transfert et le
contre-transfert, selon Freud (1895, 1914), sont fondamentaux dans la
relation qui s’établit entre le clinicien et la personne qui vient le rencontrer.
– Le transfert représente la transposition sur la personne du clinicien d’
affects et d’éprouvés qui ne le concernent pas directement, mais qui sont en
lien avec les personnes investies dans l’histoire propre du consultant. Un tel
report peut s’effectuer selon des modalités très différentes, de façon massive
et immédiate, ou bien de façon latérale ou inversée. Le consultant opère par
déplacement des imagos parentales sur le clinicien et par projection sur la
situation actuelle de ce qu’il a pu vivre autrefois au cours de ses relations
familiales.
– Le contre-transfert représente, à l’opposé, les réactions provoquées dans
le psychisme du clinicien par les projections transférentielles du consultant.
La reconnaissance et la compréhension de telles réactions sont nécessaires
dans le travail clinique afin d’approfondir la connaissance intersubjective
propre à l’entretien.
Dès les premiers entretiens, la dynamique transféro-contre-transférentielle
prend forme autour de ce qui est appelé le pré-transfert. Cette phase
préparatoire est déci sive pour la mise en place d’un cadre thérapeutique
éventuel. Le sujet met en scène quelque chose de ses parts inconscientes
encore non élaborées dans sa rencontre avec le clinicien. Le pré-transfert
s’opère non seulement sur la personne du clinicien, mais aussi sur le cadre
lui-même. Le sujet revit dès lors dans le travail thérapeutique avec le
psychologue certaines de ses propres expériences vécues dans l’enfance.
Le transfert est en ce sens le noyau central de l’échange : que représente le
praticien pour le patient ? Quelles sont les images fantasmatiques qu’il
projette sur lui ? Comment le clinicien devient-il un objet de déplacement d’
affects amoureux ou hostiles ? Quelle est la signifiance de ces projections ?
Ces questionnements rendent compte de l’aspect premier et frontal du travail
thérapeutique à réaliser. D’où l’importance pour le consultant de prendre le
temps de choisir son thérapeute, sans se limiter à un seul entretien. Il doit
véritablement apprécier les conditions de la rencontre et se laisser aller à ses
intuitions premières, conditions nécessaires pour que s’établisse un pré-
transfert positif.
D’autre part, le professionnel a également besoin de savoir comment cette
demande est parvenue jusqu’à lui, afin de mieux comprendre les enjeux
narcissiques et relationnels qui ont présidé à la démarche du consultant.
Aussi, dans certains cas, peut-il avoir à réorienter la personne en fonction
d’une meilleure prise en compte de sa demande dans un cadre libéral ou
institutionnel.
N’oublions pas à cet égard que le clinicien, lui aussi, transfère des parts de
lui-même sur la personne du consultant qu’il rencontre. C’est en ce sens que
le travail de supervision, déjà évoqué, est nécessaire, donnant la possibilité au
praticien d’élaborer ses éprouvés contre-transférentiels, ses propres
mouvements affectifs et ses défenses.

7. LA DOUBLE ÉCOUTE
À la suite de telles considérations, il devient aisé de définir ce qui
caractérise la façon propre d’entendre du clinicien : la double écoute. Le
praticien consacre toute son attention à ce qui est amené par le consultant. Il
est à l’ écoute à la fois du contenu des messages qui lui sont adressés et, en
même temps, il s’attache à repérer la tonalité propre de ces messages et la
teneur affective de ce qui est avancé. Le clinicien est à même d’ entendre le
consultant aux deux sens du terme, écouter et comprendre. Il est capable de le
suivre pas à pas au cours des développements de son discours et à la fois de
saisir le sens implicite de ces mêmes développements.
Mais le clinicien est également à l’ écoute de ce qu’évoquent en lui les
dires du sujet, il demeure attentif à ce que déclenchent en lui le contenu et la
forme des propos du consultant. S’il est séduit par la personnalité atypique de
la personne qu’il rencontre, il devra par la suite analyser ce qui a engendré
pour lui une telle séduction. En revanche, s’il éprouve de l’ennui ou du
désintérêt pour ce qui lui est rapporté, il lui faudra en chercher les causes,
aussi bien dans sa propre capacité d’ écoute que dans la forme trop défensive
des propos de la personne, comme si l’autre se protégeait derrière un masque
et des faux-semblants, empêchant ainsi le praticien d’accéder aux véritables
processus psychiques en jeu.
Quels que soient les sentiments qu’il éprouve, il est important que le
clinicien en prenne conscience et les analyse, car ce sont de tels éprouvés qui
l’informent sur ce que vit et ressent réellement la personne qui est en face de
lui. Cette implication intersubjective est au cœur même de l’entretien. Elle
nécessite de la part du clinicien une capacité de réflexivité interne et de
double réceptivité tout à fait essentielle dans la démarche clinique.
Il ne s’agit donc plus d’opposer simplement non-directivité à directivité
pour se situer dans le champ clinique, mais bien plutôt de différencier une
attention globale d’une attention ciblée, une attention en profondeur à la
réalité psychique de l’autre d’une attention partielle à tel ou tel aspect de ses
vécus ou de son histoire.
DEUXIÈME PARTIE
LES DIFFÉRENTS TYPES
D’ENTRETIEN CLINIQUE
CHAPITRE 4
L’ENTRETIEN
EN PÉRINATALITÉ
Joëlle Rochette-Guglielmi
1. LES THÉRAPIES D’INTERPRÉTATION
2. LES THÉRAPIES D’ATTENTION
3. LES THÉRAPIES GROUPALES OU À MODALITÉ
RITUALISANTE
4. UNE SÉMIOLOGIE DYADIQUE
5. LES AFFRES DE LA CRÉATION DE L’ESPACE DYADIQUE
PRIMAIRE
6. SITUATION CLINIQUE

L a matrice de la vie psychique, subordonnée à l’espace dyadique


fondamental, procède de la complexe alchimie entre la tessiture de
l’investissement maternel et le tempérament et les capacités de régulation du
bébé, sans négliger la structure en abyme qui encadre le maternage. La
communication dyadique entre mère et bébé peut être étudiée comme une
cogenèse transmodale et asymétrique complexe. Cet espace unique et
original, renouvelé à chaque nouvelle naissance, se trame d’une part à partir
des formants de l’investissement maternel, et d’autre part par les solutions
somatopsychiques du bébé, qui fournissent ensemble les combinatoires
nécessaires à la situation maternante.
Après avoir évoqué les grands courants des thérapies mère-bébé,
j’avancerai quelques arguments en faveur d’une sémiologie dyadique de la
souffrance précoce, je donnerai un exemple d’entretien en lien avec le post-
partum immédiat, puis j’évoquerai une situation exemplaire de thérapie à
domicile conduite par Freud auprès d’une jeune accouchée et de son bébé.

1. LES THÉRAPIES D’ INTERPRÉTATION


B. Cramer et F. Palacio-Espasa (1993) ont proposé un modèle détaillé et
approfondi des thérapies mère-bébé dans le cadre d’ interventions
thérapeutiques dites brèves. Deux points sont essentiels pour eux : d’une part,
la nature des projections parentales sur l’ enfant et, d’autre part, le concept de
« séquences interactives symptomatiques », susceptibles de représenter, de
figurer, de matérialiser en quelque sorte la conflictualité psychique des
parents au niveau du comportement de l’ enfant. Certaines des projections
parentales sont absolument nécessaires, structurantes et physiologiques,
tandis que d’autres sont trop intenses ou qualitativement anormales, et alors
capables de gauchir, d’infléchir, d’entraver ou de contraindre le
développement de l’ enfant. La clarification ou l’élucidation de ces
projections par le clinicien permet ici leur réappropriation, leur réintégration
psychique par les parents, ce qui allège leur relation avec l’ enfant dont les
symptômes perdent alors de leur utilité psychodynamique. En France,
S. Lebovici (1998) a souligné l’impact sur le développement du psychisme de
l’ enfant de ce qu’il nomme les « mandats transgénérationnels inconscients ».
Il recourt avec force au concept d’ énaction (participation du contre-transfert
corporel du thérapeute), avec la mise en corps de l’émotion comme préalable
à la compréhension empathique et intuitive. D’où sa référence fréquente à la
notion d’ empathie métaphorisante qui se trouve au cœur même de sa
pratique et de ses ultimes avancées théoriques.
Le mode opératoire du thérapeute de la dyade est alors le registre
interprétatif. Ce registre s’adresse au formant en transmission de l’
investissement maternel.

2. LES THÉRAPIES D’ ATTENTION


La transformation est au cœur de la théorie intersubjective de W.R. Bion
puisqu’il donne à l’ objet une fonction organisatrice, régulatrice, que ni
Freud, ni M. Klein ne prennent en compte. La mère transforme les vécus
bruts du bébé en éléments assimilables. B. Brusset (2005) note que la plus
fréquente référence freudienne chez W.R. Bion est le texte de 1911 sur les
deux principes du cours des événements psychiques, texte où Freud
mentionne que le bébé et la mère forment une entité et que, pour considérer le
petit enfant, il faut « tenir compte des soins qu’il reçoit de sa mère » 1.
B. Brusset souligne que « l’appareil psychique est d’abord produit par les
liens pulsionnels […]. La question devient celle de l’organisation intrinsèque
et de la genèse des liens d’amour, de haine et de connaissance du point de
vue métapsychologique, c’est-à-dire en référence aux processus pulsionnels
de liaison et de déliaison, d’ investissement et de désinvestissement.
Corrélativement, les limites, loin de leur définition seulement spatiale, sont
des interfaces, lieux d’opérations de différenciation susceptibles d’être
modifiés en analyse. La fonction alpha donne un nouveau modèle de l’action
du psychanalyste. » Le concept d’ objet transformationnel de Ch. Bollas
(1989) reprend et complète cette notion. Au sortir de l’indifférenciation, la
subjectivité naissante de l’ enfant reconnaît d’abord la nature de la relation,
cet idiome très personnel que chaque couple mère-bébé développe, et les
qualités objectives de l’ objet restent encore ignorées au profit d’une
connaissance existentielle des états que l’ objet favorise. Avant de représenter
la mère en tant qu’ objet de désir, l’ enfant fait donc l’expérience de celle-ci
en tant qu’ objet transformationnel, c’est-à-dire en tant qu’identifiée à
l’ensemble des processus modifiant l’expérience du self.
D.W. Winnicott (1969), quant à lui, affirme qu’« un bébé seul, ça n’existe
pas » et qu’il n’existe qu’un ensemble nourrisson/environnement maternel.
Dans les thérapies d’ attention à la Tavistock Clinic de Londres, D. Daws
et ses collègues travaillent en référence à la théorie de W.R. Bion. Dans cette
perspective post-kleinienne, le groupe constitué par les parents, le bébé et
le(s) thérapeute(s) est conçu comme fonctionnant comme une sorte de psyché
collective et c’est alors la « capacité de rêverie collective » qui représente le
mécanisme principal de transformation des productions psychiques de l’
enfant, et notamment de ses « éléments bêta ».
L’observation selon E. Bick (et ses applications thérapeutiques) est par
essence une thérapie de la non-interférence qui se base sur l’ attention.
Ici, le mode opératoire du thérapeute est celui d’une réceptivité aux
éléments inélaborés en provenance du bébé, de la mère et des effets que
provoque chez elle l’immaturité psychique du bébé.

3. LES THÉRAPIES GROUPALES


OU À MODALITÉ RITUALISANTE
Les thérapies autour des dysfonctionnements du formant en séduction de l’
investissement maternel se regroupent autour des propositions groupales où
les effets de départicularisation des vécus maternels en termes d’ affects
peuvent relancer la dimension de plaisir partagé, propre à soutenir la
dimension hédonique indispensable au lien mère-bébé. Les médiations par
des techniques corporelles, comme le massage du bébé, le partage rythmique
autour des chants et des modalités rituelles de maternage sont alors d’un
précieux recours.

3.1. D YADE MÈRE-BÉBÉ ET SOUFFRANCE PSYCHIQUE


Par espace psychique dyadique, j’entends une entité intersubjective mais
aussi trans-subjective qui inclut les relations à un autre et à plus d’un autre,
entre la mère, le bébé et le socius, espace psychique qui constitue une matrice
pour la naissance psychique du bébé, pour le devenir parent et pour la
constitution des premiers liens. Loin d’être homogène ou linéaire,
l’édification de la première intersubjectivité dans la rencontre sujet -objet, de
la première intersubjectivation et son épigenèse interactionnelle, et plus
précisément la représentation de cette expérience subjective – tant du point de
vue du bébé que de la mère – se font par paliers. Ces étapes imbriquées,
appelées selon les auteurs phases, lignes de développement, périodes
sensibles ou organisateurs, ont été repérées de façon quelquefois polémique
par les psychanalystes au sujet de la naissance à la vie psychique du sujet, le
plus souvent en lien avec les pathologies régressées de l’enfance telles que
l’autisme et la psychose, plus récemment dans les travaux sur les pathologies
limites. Elles sont de plus en plus regardées du point de vue des capacités
d’intersubjectivité du bébé dans une visée développementale.
3.2. POUR UNE APPROCHE DIFFÉRENTIELLE
DE LA SITUATION MATERNANTE
Mais ces étapes restent finalement peu explorées pour ce qui est de la
posture psychique particulière de la mère requise dans chaque période de la
vie de son bébé et des options thérapeutiques du clinicien en charge des
dysfonctionnements dyadiques. De même que l’expérience du bébé n’est pas
la même à un mois qu’à trois mois de vie et que l’expérience d’un bébé d’un
an est encore autre du fait de son équipement cognitif et affectif, l’expérience
subjective de la mère du nouveau-né est radicalement différente de celle de la
même mère du même bébé plus grand. Nous approcherons la situation
maternante dans sa dimension différentielle et évolutive (J.L. Donnet, 2005).
Ainsi la création d’une relation spéculaire en double, indispensable à la
rencontre entre mère et bébé, issue de la propre relation primaire de la mère
avec sa propre mère du temps où elle était un bébé, va suivre la même
progression que le développement des compétences progrédiantes du bébé le
permet. Être le double d’un bébé d’un mois dans un partage essentiellement
coesthésique et dans un « domaine du lien interpersonnel émergent »
(D.N. Stern, 1985), sous le sceau de la transmodalité, des sensations et des
éprouvés bruts comme les signifiants formels, est une expérience différente
des accordages affectifs possibles dès que le bébé devient un partenaire dans
la danse interactive et émotionnelle. Ces différentes « chorégraphies de la
rencontre » n’obéissent pas à la même partition.
Je me suis penchée sur ces troubles largement décrits dans la littérature
sous la forme des troubles thymiques maternels (blues du post-partum,
dépression post-natale) et des troubles des premiers liens.
La néoténie du bébé représente pour son parent une offense narcissique ou
plus précisément un traumatisme narcissique, dans la mesure où le nouveau-
né, tout en ébranlant les assises identitaires du sujet pris au vif de la
réalisation de son désir d’engendrement – le plaisir de la prolongation de
l’espèce –, et de sa propre renaissance, ne fournit encore pas à l’adulte les
conditions d’une rencontre intersubjective de sujet à sujet. La rencontre
liminaire avec le nouveau-né comporte un paradoxe : l’altérité du bébé (le
bébé n’est pas soi) et en même temps, son faible degré de différenciation.
Quel que soit le modèle épistémologique que l’on emprunte, avec
quelquefois la difficulté à faire dialoguer des champs aussi différents que la
psychanalyse avec la question des pulsions et des fantasmes et l’observation
« naturaliste », la construction d’un nourrisson cliniquement pertinent
reconnaît toujours la néoténie et l’immaturité du bébé à la naissance. Le
faible degré de différenciation, de subjectivation du bébé vient démutiser des
angoisses très archaïques, en particulier des problématiques narcissiques
identitaires chez chacun des protagonistes de la scène de nativité, et soulève
la question des relations interpersonnelles entre mère et bébé, entre adulte et
nouveau-né.

4. UNE SÉMIOLOGIE DYADIQUE


Après une longue période de scotomisation du champ du précoce par la
psychiatrie, la souffrance psychique du bébé intéresse dorénavant la
communauté scientifique à la croisée interdisciplinaire entre neurosciences,
théorie du développement ou de l’ attachement et psychanalyse, comme en
témoigne l’efflorescence récente de travaux sur ce thème. Les troubles de l’
investissement maternel, circonstanciels ou structurels, ont fait l’ objet de
nombreuses recherches sans pour autant être regroupés dans une nosologie
unitaire de la psychopathologie maternelle. Nombre de ces manifestations ont
un caractère transnosographique patent, comme la dépression post-partum,
entité encore mal cartographiée dans la littérature entre le blues sévère, les
troubles border-line ou encore les pathologies dissociatives. Un grand
chantier reste donc ouvert pour qui cherche des repères tant cliniques que
thérapeutiques.
D’autre part, plusieurs facteurs rendent cette période spécifique.
L’immaturité et la néoténie du bébé humain nécessitent l’apport biologique et
psychique d’un « donneur de soin » sans lequel l’entité bébé n’existe pas,
configure d’emblée un système complexe d’emboîtement de deux corps, de
deux psychés et compose chaque fois une nébuleuse intersubjective originale.
Ce n’est pas un hasard si le courant de la psychosomatique a développé des
travaux pionniers en ce sens, dont on cite l’emblématique « colique des trois
mois », prototypique d’un trouble intersubjectif primaire (L. Kreisler, 1999 ;
S. Lebovici et S. Stoléru, 1983). Des recherches récentes (J. Rochette, 2007)
ont mis en valeur la labilité de la souffrance précoce, particulièrement dans la
première année post-partum, avec des effets de rebond de la symptomatologie
qui se « loge » tantôt dans la dysthymie maternelle, tantôt chez le bébé, tantôt
de façon inattendue au cœur même de l’interaction, comme peuvent le
montrer des études prospectives détaillées et outillées de trajectoires de
dyades. L’abord thérapeutique ne peut s’envisager, dès lors, qu’avec une
attention spécifique au triptyque de la mère, du bébé et de l’interaction, et
surtout toujours dans une saisie longitudinale et diachronique.
Mon approche des thérapies mère-bébé plaide donc en faveur d’une
approche sémiologique dyadique qui tend à décrire la psychopathologie de la
dyade mère-bébé (sans négligence du rôle capital du père, de la constellation
maternelle et du socius) d’un point de vue non plus d’une somation de
symptômes mais dans un axe vicariant tenant compte des effets complexes de
la cogénèse interactionnelle. En effet, l’interactionnisme et les avancées
considérables en matière d’épigénèse du lien mère-bébé (J. Cosnier et
M. Charavel, 1996) débouchent sur une conception du copsychique qui
revisite aussi la question de l’ empathie du côté des phénomènes cérébraux.
Avec l’apport de la neurobiologie interpersonnelle, notamment la mise en
évidence d’une communication de cerveau droit à cerveau droit dans les
interactions entre mère et bébé (A.N. Schore, 2001 ; D.J. Siegel, 2001), la
communication dyadique devient qualifiable. E.Z. Tronick et M.K. Weinberg
(1998), par exemple, parlent d’un « état de conscience dyadique », c’est-à-
dire de l’émergence d’un état de conscience singulier cocréé dans l’échange
interactif mère-enfant. Interagir devient alors reconnu comme une nécessité
vitale pour le nourrisson comme pour la mère. Pour le bébé, la mise en place
du système dyadique permet l’expansion de son champ de conscience,
mouvement indispensable à son développement. Ainsi, le risque majeur pour
le bébé d’une mère déprimée, obligée malgré tout d’interagir, est d’intégrer
les éléments dépressifs de l’état de conscience de sa mère qui vont marquer
lourdement, en négatif, sa vie psychique. Pour la mère, le même phénomène
est source d’élation comme en témoigne le plaisir partagé dans les premières
protoconversations – élation comparable au sentiment amoureux où l’on
devient « plus large que soi-même » –, et qui représente un antidote puissant
à la dépressivité du post-partum.

5. LES AFFRES DE LA CRÉATION


DE L’ESPACE DYADIQUE PRIMAIRE
Quelques généralités d’abord, en partant d’un constat : la grande fréquence
(deux tiers des accouchées) dans le post-partum immédiat d’un vécu maternel
subjectif douloureux, d’une souffrance psychique dans ce moment de
réaménagement identitaire. Si la description phénoménologique ou
symptomatologique de ce moment est décevante, c’est qu’elle éclaire mal les
mécanismes intrapsychiques à l’œuvre dans le temps de
désorganisation/réorganisation de la période liminaire de rencontre
inaugurale avec le nouveau-né. L’existence d’un état critique est reconnue
d’assez bon pronostic par plusieurs auteurs (A. Guedeney et coll., 1993 ;
O. Rosenblum et coll., 2004) et plutôt favorable à la mise en relation avec
l’immaturité et l’archaïque du bébé, comme si la mère devait elle-même
passer par l’éprouvé de l’Hilflosigkeit – sentiment de désaide –, pour pouvoir
répondre de façon adéquate à la détresse primitive qui caractérise les
premiers vécus humains autour de la naissance. Après que le blues ait
longtemps été stigmatisé comme un signal propre à alerter sur des difficultés
d’amorçage des premiers liens, voilà que celui-ci devient au contraire le
marqueur d’une régression nécessaire, d’une brèche dans l’organisation et le
fonctionnement défensif habituel, alors utile pour répondre à une situation
exceptionnelle : la naissance d’un nouveau sujet 2. Il entre alors dans la
catégorie d’un mécanisme psychique, « prototype normal d’une affection
pathologique », à la manière dont Freud (1901) range le travail du deuil et
celui de l’état amoureux. Mais cette affinité avec le deuil ne s’arrête pas là et
mérite d’être explorée plus avant. Les auteurs qui ont travaillé sur les
particularités de la folie maternelle ordinaire et ses avatars relèvent « que la
tâche psychique des nouveaux parents est aussi considérable que lors d’un
processus de deuil, mais dans une analogie inverse en miroir : dans le deuil,
le sujet doit abandonner des investissements, alors qu’à la naissance d’un
enfant, il doit en produire » (B. Cramer, F. Palacio-Espasa, 1993). Cette
approche ouvre la question importante du bouleversement de toute
l’économie et de la partition libidinale du nouveau parent, bouleversement
des liens intersubjectifs avec l’ investissement d’un nouveau venu, et de la
dimension intrasubjective, celle du rapport aux objets internes. Ce rapport est
lui aussi modifié, à l’instar précisément des exigences d’un travail
d’appropriation d’une perte/gain au dehors qui est aussi perte/gain au dedans.
L’adjonction du bébé à la psyché parentale ne va pas de soi. Ch. David
(1971) confronte les réactions de l’endeuillé avec celles de l’amoureux pour
parvenir à la conclusion d’une certaine parenté inversée. Si dans le deuil
l’épreuve de réalité est une absence laissant à l’ombre de l’ objet le territoire
autrefois occupé par l’ objet, dans l’événement de la naissance, l’épreuve de
réalité est une présence. Dans le séisme de l’accouchement, le bébé est perçu
sensoriellement avant qu’une représentation en soit possible. Ce primat du
sensoriel va dominer la première scène de rencontre : toucher le bébé, le
humer, le regarder « sous toutes ses coutures », pour pouvoir commencer à
s’approprier sensoriellement, « fragment par fragment », la réalité biologique
d’un nouvel être inédit. Les mutations psychiques du post-partum demandent
d’intégrer le « descellement narcissique » qu’implique la rencontre avec
l’autre à investir, au sens où l’élan amoureux dessoude les éléments jusque-là
immobilisés et les remet dans la balance libidinale. Il montre que la rencontre
amoureuse, nous rajoutons la rencontre avec le nouveau-né aussi, est un
ébranlement narcissique qui confronte le sujet aux formes les plus primitives
de sa pulsionnalité. Cette modification de la donne affective convoque
inévitablement ce que j’appelle ici, avec A. Ciavaldini (2005), la carte
affective primitive, c’est-à-dire les traces des vécus primitifs, des expériences
précoces, notamment dans leurs aspects bruts et essentiellement dans le
registre mimo-gestuo-postural qui engage si profondément la mère dans les
gestes du maternage.
Les gestes de maternage, dans ce qu’ils comportent d’un langage des
modalités du lien premier de la mère à ses propres objets « régulateurs de
soi », sont éloquents pour venir dire ce qui peine à se symboliser dans le lien.
En particulier lorsque les expériences précoces de la jeune mère ont été
marquées par la discontinuité, l’imprévisibilité, voire l’incohérence des soins
lorsqu’elle-même était un bébé, l’ombre de l’ objet grand-maternel est
omniprésente. Activée par le deuil impossible de ce qui n’est pas advenu et
n’a pas en son temps satisfait les besoins du Moi, l’ombre de l’ objet tombe
sur le berceau. Nous remarquons que ces phénomènes ont une intensité
redoutable tant que le processus de subjectivation du bébé – que nous
situerons autour des quarante jours de vie – et ceux subséquents de
maternalisation de la nouvelle mère ne viennent pas « corriger » et démentir
ce retour indésirable de traces précoces et de leurs marqueurs somatiques
inscrits profondément dans le psychisme. En ce sens, le post-partum
immédiat est une période à fort potentiel de désorganisation.

6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL
Pour intervenir dans le périnatum, nos cadres institutionnels classiques
doivent être aménagés pour l’ accueil et le traitement d’une souffrance déjà
opérante, mais en instance de symbolisation. S’il n’y a pas de demande de
soins, pas de conflictualité intrapsychique encore formulable, le travail de
prévention consiste à faire des offres de soins et à « venir près » du bébé et de
ses parents. Attraper et transformer cette demande/non -demande nécessite un
maillage en réseau où des dispositifs inter-institutionnels entre psychiatrie
périnatale et Protection maternelle et infantile (PMI) œuvrent ensemble pour
des actions de prévention et de soin.

6.2. LE CAS MARCUS


La PMI nous demande de recevoir en urgence Mme M. Dès le jour de sa
sortie de maternité, Mme M. a appelé plusieurs fois la PMI et, lors de la visite
à domicile au cinquième jour, la puéricultrice a trouvé une jeune femme
affolée et désorientée, logorrhéique, ne sachant comment s’y prendre avec le
bébé et extrêmement anxieuse, malgré la présence au domicile du père qui
s’était rendu disponible en prenant un congé. La personnalité du père semble
aussi inquiéter la puéricultrice. Réservé et timide, celui-ci bien que présent
reste silencieux pendant la visite, ne s’adressant pas non plus à sa femme, ce
que la puéricultrice comprend comme un mutisme assez hostile. Le bébé
n’est pas inquiétant, mais la puéricultrice remarque qu’il est bien peu habillé
et qu’il risque de prendre froid. Mme M. semble peu identifiée aux besoins de
son bébé et dit qu’elle évite de le porter dans ses bras. Quand il régurgite un
peu de lait, elle l’éloigne d’elle avec une moue de dégoût et le tend à la
puéricultrice. Elle se plaint beaucoup de ne rien comprendre à ce qu’il veut,
mais ne montre pas d’ affect dépressif. Devant ce tableau inquiétant, la
puéricultrice propose de nouvelles visites à domicile, un suivi du bébé en
PMI, et oriente le couple et Marcus vers le Centre thérapeutique parents-
bébé. Cette proposition semble soulager Mme M. qui s’en saisit
immédiatement.
Quand je reçois la dyade Marcus à dix jours, Mme M. a téléphoné deux
fois avant le rendez-vous pour demander s’il fallait venir seule ou avec le
bébé. Le père n’a pas pu venir car il a repris le travail le jour même.
Mme M. entre en consultation avec le landau flambant neuf, tout le matériel
de puériculture dernier cri, et laisse le bébé endormi et emmitouflé sans le
découvrir. Le contact avec moi est direct, presque familier, avec une tonalité
banalisante et hypomane. Mme M. relate son affolement à la sortie de la
maternité. Elle se raconte perdant tous ses moyens et en état de panique. Les
pleurs du bébé, particulièrement, sont insupportables et elle voudrait les faire
taire à tout prix. Elle ne leur attribue aucun sens particulier, « comme s’ils
provenaient d’un jouet mécanique déréglé ». Elle décrit très directement et
sans censure, avec force détails, l’attaque de panique qui s’empare d’elle, son
pouls qui s’accélère, la sueur qu’elle sent monter, les mains moites, l’envie de
fuir ou bien de faire du mal à « l’ enfant ». Elle ne prononce pas une fois le
prénom du bébé, dit « celui-là » ou « l’autre ». Elle me dit avoir rencontré des
psys auparavant avec plusieurs tentatives non abouties de psychothérapies,
lors d’une adolescence perturbée, marquée par des crises de boulimie et, à
l’âge adulte, de plusieurs dépressions, la dernière il y a six ans lors d’une
rupture sentimentale avec son précédent compagnon qu’elle a très mal vécue.
Chaque fois, c’est elle qui arrêtait ou bien les psys qui lui disaient qu’ils ne
pouvaient rien pour elle. Elle évoque son âge déjà avancé – 34 ans –, en
disant qu’elle a bien voulu être enceinte « car c’était le moment », mais
qu’elle n’était pas non plus accrochée à cette idée. Son compagnon, lui,
souhaitait des enfants. La grossesse n’a pas été agréable. Elle ne pouvait pas
manger à cause de reflux gastro-œsophagiens. Elle décrit un sentiment
étrange d’avoir alors été « percutée » par des éléments qui en temps normal la
laissaient indifférente : « C’est comme si je n’étais plus étanche au dehors,
tout rentrait, les odeurs, les sons, j’aurais eu besoin d’être dans un caisson
d’isolation ». Elle-même était devenue bizarre et ne supportait plus, par
exemple, l’odeur de son ami. Elle dit en riant qu’elle ne s’est jamais faite à
l’idée qu’elle avait un bébé dans son ventre et qu’elle se trouvait finalement
surprise quand il bougeait, comme si elle n’avait pas intégré cet état de fait.
L’accouchement a été « express ». Parti dîner au restaurant, le couple a fait
un crochet au retour à la maternité car elle avait des contractions rapprochées.
Ils l’ont gardée et son mari est allé chercher les affaires. « Le temps de quitter
mon pantalon et ma culotte, il était né ». Sans péridurale, la douleur a été
intense. Elle a hurlé.

6.3. P HOBIE D’IMPULSION ET ÉTRANGETÉ DU BÉBÉ


Au début, elle a voulu allaiter mais cette dépendance du bébé l’a
épouvantée. Elle a demandé des médicaments pour couper la montée laiteuse,
pour pouvoir aussi fumer de nouveau et continuer à prendre des
anxiolytiques.
Mme M. me dit qu’elle appréhende la semaine qui commence puisque son
mari est reparti travailler. Elle va sans doute demander à sa mère qui habite
Grenoble de rester avec elle (quand celle-là sera de retour de son voyage en
Chine), mais elle redoute l’ingérence de cette mère « qui a un avis sur tout,
même si elle n’a pas été une mère idéale ». Mme M. m’explique que petite,
elle a été confiée à sa grand-mère maternelle pendant de longues périodes, car
sa mère a toujours suivi son père dans ses déplacements professionnels pour
une activité de commerce international. Elle précise avec ironie et en faisant
référence à l’incongruité de ce voyage en Chine – à 15 jours de la date prévue
de l’accouchement – que sa mère a gardé le goût du luxe et des voyages alors
que son père, lui, a fini clochard, dans la déchéance due à l’alcool.
Comme Marcus se manifeste un peu au fond de la poussette en grognant,
Mme M. sursaute vivement, se crispe et me raconte ce qu’elle vit chaque
matin depuis dix jours. Elle dort profondément (avec ses boules Quiés dans
les oreilles et le Témesta), fait des rêves et, lorsqu’elle émerge, réalise avec
horreur que le bébé est là et que cela ne sera jamais comme avant. Elle
associe directement sur le sentiment très proche qu’elle a ressenti au décès de
son père, dix ans plus tôt. « Tous les matins, cette réalité horrible me sautait à
la figure dès le réveil ». Elle se souvient de ces mêmes réveils angoissés. Ce
qui la panique le plus, c’est de ne pas pouvoir prévoir à l’avance et d’être sur
la brèche sans cesse. Par exemple, la sucette, elle sait qu’il faudrait la tenir
près de sa bouche pour l’endormir, mais jusqu’à quand ! Dans ce sentiment
d’assuétude, elle a l’impression de se dissoudre, de ne plus exister.
La première séance va s’arrêter sans que Marcus ne se soit réveillé. Je
m’intéresse au bébé en me penchant au-dessus du landau. Il s’étire, fait des
petits grognements, se tortille, ouvre un peu les yeux et fait des gaz. Je
suggère à Mme M. de le déshabiller un peu. Elle me regarde le regarder,
comme intriguée de l’intérêt que je lui porte. Sachant que la puéricultrice doit
se rendre à domicile le lendemain, je lui propose un rendez-vous en fin de
semaine et lui dis d’appeler si elle ne se sent pas bien.
Je la reçois deux fois par semaine.
Au fil des séances, Mme M. amorce un mouvement plus dépressif,
inauguré par le récit de la mort tragique de son père cirrhotique, de la colère
qu’elle a ressentie lors de sa déchéance, du rejet qu’elle lui a fait sentir
jusqu’au bout et de la culpabilité qu’elle ressent à ne pas avoir pu faire la paix
avec lui. Elle peut pleurer en évoquant cela et me dit que c’est la première
fois que cela lui arrive depuis la mort du père. Elle reste toujours très
défendue par rapport à Marcus. Les phobies d’impulsion ont cessé et laissent
la place à des préoccupations matérielles encore obsédantes, mais qui offrent
un contour plus identifiable à la panique. Bien qu’opératoires, ces soucis de
puériculture et d’organisation des soins au bébé ancrent quand même ce
dernier dans une réalité.

6.4. T RANSFERT DE LA CONFLICTUALITÉ PSYCHIQUE


SUR LE BÉBÉ
Je relate plus en détail la séance 8.
Je débute la séance avec du retard et m’excuse. J’étais à l’extérieur du
centre et lorsque j’arrive, Mme M. est déjà en salle d’attente. Marcus a
maintenant un mois et deux semaines. Contrairement à d’habitude où elle
installe toujours le bébé dans un transat, Mme M. le garde un peu dans ses
bras puis l’installe sur le tapis face à nous. De façon très nette, il accroche son
regard, gazouille et reste attentif alors qu’elle ne réagit que très peu à ses
invites, si ce n’est par quelques hochements de tête. Mme M. parle du choix
du prénom. Elle voulait un prénom original, avait pensé à Florian, mais « ça
faisait trop bourgeoisie lyonnaise et il y en avait plein ». Elle avait aussi
envisagé Clarence, mais les gens à qui elle en avait parlé associaient tout de
suite au lion loucheur de la série Daktari. Puis elle me dit d’un ton rêveur,
prise dans ses pensées : « C’est curieux, plusieurs fois le prénom qui m’est
venu, c’est Félix ». Je relance « Félix ? ». « Oui, c’est le chat de la famille,
enfin le chat de ma sœur que ma mère garde quand elle part ». Elle enchaîne
en expliquant qu’elle dit quelques fois au bébé d’arrêter de miauler, surtout
au début : « Je me disais, mais ce n’est pas un animal ! Pourtant c’était Félix
qui me venait ». Je commente : « Tant que le bébé ne donne pas le change, on
se demande qui il est ».
Maintenant Marcus regarde un peu, mais si sa mère sort de son champ de
vision, elle pense qu’il ne tourne pas la tête. Elle me demande si je pense que
ces moments d’ attention du bébé sont dus au hasard ou s’il sait déjà qu’il y a
quelqu’un avec lui. « Quelqu’un et pas n’importe qui, vous sa mère ! », dis-
je. Puis j’ajoute : « Avec mon retard de ce matin, est-ce que vous auriez pu
penser que je vous avais oubliée, comme vous auriez pu le ressentir lorsque,
petite fille, votre mère disparaissait ? … Quand vous vous questionnez sur la
possibilité de Marcus de vous reconnaître, est-ce qu’on ne pourrait pas
entendre aussi la crainte qu’il s’attache à vous et que vous pourriez lui
manquer ? » Mme M. est émue, mais silencieuse. Elle poursuit sur le
sentiment de solitude qu’elle a eu à la maternité puis, retrouvant ses défenses
par la dérision et la banalisation de ses affects, elle explique que son ami
n’avait même pas pensé aux fleurs et qu’il était venu avec du champagne et
du whisky alors qu’elle allaitait.
La thérapie mère-bébé vient offrir une scène pour décondenser la
conflictualité à l’égard des imagos parentales intériorisées par Mme M. et
projetées sur le bébé. L’arrivée du bébé revisite le processus de deuil entravé
lors du décès de son père. Au fur et à mesure que la conflictualité va se
mentaliser, ouvrant une voie aux affects dépressifs, les fixations traumatiques
et la répétition du traumatique « dans le lien de maternage » vont laisser place
à une découverte mutuelle de la mère et du bébé.
Dans ces troubles à expression de phobie d’impulsion, le lien mère-bébé
n’est pas suffisamment « tempéré » et la séduction normale entre mère et
bébé, qui vient donner sa teneur hédonique au lien, se trouve entachée des
conflits œdipiens non résolus, comme ici lorsque Mme M. ne peut être en
contact tant avec la rivalité à l’égard d’une mère captant l’ attention du père
qu’avec la déception à l’encontre de ce même père, tombé dans la déchéance.
De façon paradoxale, en ne s’autorisant pas à toucher son bébé et ne
pouvant être « touchée » par lui, les phobies de contact tentent de protéger
cette mère contre l’envahissement d’une hypersexualisation du lien. Le
dégoût du corps à corps avec le bébé vient alors protéger d’une trop grande
proximité. Plus tard dans la thérapie émergeront des souvenirs de séduction
incestueuse du père avec l’évocation d’une relation trop excitante pour la
petite fille qu’elle était lorsque le père, en conflit avec la mère et fuyant la
chambre conjugale, venait entreposer ses vêtements et ses cravates dans
l’armoire de sa fille.
Le bébé est objet de transfert, mais le thérapeute aussi, avec le pari de
défléchir les projections délétères sur le bébé, de reprendre dans le cadre
d’une relation de transfert les traumatismes perdus du passé maternel.

6.5. UN CAS D’AVERSION À L’ALLAITEMENT CHEZ FREUD


(1892)
Un cas clinique marginal dans la pratique de Freud, lorsqu’il tente de
soigner une phobie de contact chez une jeune accouchée souffrant de
vomissements coercitifs et de panne d’allaitement, est exemplaire de la
question de la violence et de la déliaison dans le post-partum immédiat.
En écho avec le cas précédent, nous allons repérer plusieurs niveaux
emboîtés dans ces effets de déliaison : déliaison interne, « contraste
pénible », dit Freud pour la patiente entre la partie d’elle-même qui souhaite
allaiter et celle qui n’y parvient pas, déliaison temporelle entre l’ici et
maintenant de la situation de maternage et les réactivations d’événements
passés, déliaison enfin dans le groupe familial et entre les acteurs de la scène.
Cette jeune femme va souffrir pour ses trois enfants de troubles aigus dans
le post-partum immédiat, avec une mise en échec répétée de l’allaitement et
du premier contact corps à corps avec le bébé. Freud qualifie sa patiente
« d’hystérique d’occasion », puisque les troubles apparaissent sous
l’influence d’une cause occasionnelle : « L’ excitation de la première
délivrance ou l’épuisement après celle-ci ». Il est vrai, rajoute-il, « que la
première délivrance correspond au plus grand ébranlement auquel est exposé
l’organisme féminin, à la suite duquel également la femme produit en général
tous les symptômes névrotiques pour lesquels sommeille en elle une
prédisposition constitutionnelle ».
Freud campe d’abord une sorte de biographie familiale de la patiente dans
une visée quasiment groupaliste. Nous relevons les observations de Freud
d’après ce qui lui a été relaté pour la première naissance – une description
précise mais qui, bien qu’elle ne nous laisse pas entrevoir le nouveau-né, peut
aisément se traduire en termes d’interaction tant réelle qu’imaginaire et sur le
registre fantasmatique. « L’accouchée ne réussit pas, malgré sa constitution
physique favorable, à être une bonne nourricière pour l’ enfant, la mise au
sein provoquait des douleurs, le lait ne venait pas en abondance, l’appétit (de
la patiente) manquait, une inquiétante “contre-volonté” vis-à-vis de
l’absorption de nourriture s’installait, les nuits étaient agitées et sans sommeil
et, pour ne pas mettre plus longtemps en danger mère et enfant, la tentative,
considérée comme un échec, fut interrompue au bout de quinze jours… ».
Conséquence non négligeable devant le manque d’alternative de l’époque par
une substitution par l’allaitement artificiel, le premier bébé fut séparé de sa
mère et confié à une nourrice ! Après quoi Freud rajoute : « Tous les maux de
la mère disparurent rapidement ».
Lors de l’arrivée du deuxième bébé, trois ans plus tard – c’est là seulement
que Freud intervient –, même scénario, mais avec une radicalisation et une
aggravation des symptômes. La jeune femme vomit de façon incoercible à la
seule vue de la nour riture, est très agitée, totalement insomniaque, déprimée
et développe des troubles de la relation sur un mode rejetant, dont Freud fera
les frais lorsqu’il s’approchera d’elle. « Loin de me souhaiter la bienvenue
comme à un sauveur à l’heure de la détresse, on ne m’accueillit
manifestement qu’à contrecœur et je ne pouvais guère compter sur une
grande confiance ». Pour qui connaît bien cette clinique de la non-demande et
les multiples résistances à l’ orientation auxquelles se heurtent les soignants
en première ligne auprès des jeunes accouchées et des bébés, on est frappé
par la modernité de cette remarque. Freud va tenter d’aider cette patiente
« malgré elle », alors qu’elle est agie à l’intérieur même de son psychisme par
une étrange « contre-volonté », caractéristique de l’attaque hystérique. Ces
scénarii de soi à soi que sont ces attaques hystériques, où une partie du sujet
s’adresse en quelque sorte à une autre partie de lui, sont en fait des mises en
figuration de la relation primaire à l’ objet défaillant et tendent à faire revenir
sur un mode hallucinatoire les scènes de la prime enfance qui n’ont pas reçu
de statut psychique (R. Roussillon, 1999). Ici la patiente a bien au niveau
manifeste « le projet » de nourrir son bébé, mais elle se heurte à « des
représentations de contraste opposées au projet », à des motions
inconscientes, parmi lesquelles nous repérons bien la valence agressive, voire
destructrice, à l’égard du même bébé. Freud montre ici comment la
construction phobique, la phobie de la nourriture à laquelle nous rajoutons la
phobie de contact avec le nouveau-né, est édifiée justement dans l’opposition
entre projet et attente, comme pour faire activement échouer le sujet là où il a
autrefois subi passivement l’empêchement ou l’échec. Revu à l’aune de la
dimension intersubjective et groupale qui requalifie le symptôme dans sa
valeur d’appel à l’ objet primaire et à la qualité du lien primaire, de quel
scénario pourrait-il s’agir chez cette patiente ? Un élément de réponse est
donné dans le texte de Freud quelques lignes plus loin. Après la première
hypnose fructueuse, la patiente adresse des remarques acerbes à son
entourage et – fait remarquable que note Freud –, « elle fait des reproches à
sa mère comme cela n’avait jamais été dans sa manière ». Pourrait-on voir là
un effet cathartique pour la constitution du lien avec le bébé ? Le conflit ne
serait pas en fait là où il se manifeste, c’est-à-dire dans le lien mère-bébé,
mais il se situerait dans le lien aux objets internes/externes, en l’occurrence la
mère de la mère dans l’actuel, mais surtout la mère de la mère du temps où
cette jeune femme était un bébé ! Autour du symptôme manifeste – un blues
sévère, dirait-on de nos jours –, on a accès à la complexité d’une
conflictualité psychique et d’une violence qui traverse le niveau
intrapsychique mais aussi intersubjectif et groupal.
En conclusion, dans ces dispositifs d’entretiens proposés dès la sortie de la
maternité pour une prévention primaire des dysthymies maternelles, des
souffrances précoces du bébé et des troubles de l’établissement des premiers
liens, le rôle de l’émotion et du partage d’ affects est un levier du travail de
nativité. On a vu dans le cas clinique de la dyade Marcus que la
symbolisation, le travail de représentation de l’événement de la naissance,
sont au cœur de l’accompagnement périnatal. Une meilleure connaissance de
la temporalité spécifique et des enjeux du post-partum permet d’être attentif
au processus du naître humain et du devenir parent.
CHAPITRE 5
L’ENTRETIEN
PSYCHANALYTIQUE
GROUPAL FAMILIAL
Christiane Joubert
1. LES FONDEMENTS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES
2. LE CADRE GROUPAL FAMILIAL
3. LES CONSULTATIONS ET L’INDICATION DE SOINS
PSYCHIQUES
4. SITUATION CLINIQUE

L ’entretien psychanalytique familial est un entretien groupal et


fantasmatique, impliquant l’interfantasmatisation des membres de la famille.
Inspiré de la conceptualisation et du cadre de la thérapie familiale
psychanalytique, l’entretien familial est enraciné dans la théorie
psychanalytique des groupes et nécessite la prise en compte du lien. De nos
jours, la psychanalyse est ouverte sur l’intersubjectivité et la transsubjectivité.
Le sujet est pensé dans ses liens à l’autre et comme maillon de la
transmission, ce qui était déjà présent dans la pensée freudienne.

1. LES FONDEMENTS THÉORIQUES


ET MÉTHODOLOGIQUES
1.1. LES PARADIGMES DU LIEN
Depuis W.R. Bion (1965) qui a développé une théorie du lien, et
E. Pichon-Rivière (1971) qui disait : « Il n’y a pas de psychisme en dehors du
lien à l’autre », nous retiendrons avec les travaux d’A. Eiguer (1984) que le
lien met en jeu la rencontre entre deux psychismes, qu’il met en jeu aussi l’
identification réciproque (en miroir), qu’il renvoie au narcissisme et qu’il
représente un investissement objectal.
I. Berenstein et J. Puget (2008) disent que la rencontre entre deux sujets ou
plus ne dépend pas seulement de la mise en activité d’une composante
pulsionnelle, mais prend une signification spécifique. Ils privilégient la
présence pour chaque Moi d’un autre réel et extérieur. Ainsi, ils ouvrent
d’une façon plus large les questions relatives à la relation entre deux ou
plusieurs Moi, ne se cantonnant pas seulement à la clas sique théorie de la
relation d’ objet. Leur conception ouvre sur les espaces psychiques dans
lesquels nous vivons : espaces intrasubjectif, intersubjectif, transsubjectif ou
socioculturel. Le lien implique la présence réelle de l’autre ou des autres, y
compris dans le dispositif de thérapie des liens, sur lequel nous reviendrons.
Le lien est fait d’amour et aussi de haine, de conflictualité. La haine est un
organisateur du lien (Ch. Joubert, 2006). Mais lorsqu’il y a déliaison
pulsionnelle, la destructivité au sein du lien est au premier plan. Parfois le
fantasme de mort collective (A. Ruffiot, 1981) envahit les liens, la seule issue
possible étant de mourir tous ensemble. Ce qui se retrouve dans la position
narcissique paradoxale (J.P. Caillot et G. Decherf, 1989), avec : « Vivre
ensemble nous tue, nous séparer est mortel », au premier plan dans les crises
de la famille et du couple.
La famille peut être définie comme un ensemble de liens :
– l ien de couple (d’alliance),
– l iens consanguins (fraternels),
– l iens de filiation,
– l ien de la mère à sa famille d’origine (donc le lien de l’ enfant à la
famille de la mère) ou lien avunculaire (dont l’importance a été mise en
évidence par les psychanalystes argentins),
– l iens généalogiques,
– l iens de cohabitation, pour les familles recomposées,
– l iens du groupe familial par rapport à l’extérieur et à l’enveloppe
culturelle (nous pensons aux contextes d’immigration).
P. Aulagnier (1975, 1984), a montré l’importance du contrat narcissique
pour l’ enfant qui arrive au monde, comment ce dernier est reconnu,
comment il prend sa place au sein des liens familiaux et sociaux.
La famille est le lieu des ressentis, des co-éprouvés, l’un subit, l’autre
ressent, ce qui met en jeu la sensorialité du lien primaire.
Partant de ce concept du lien, on a montré qu’un trauma chez un des
membres de la famille à une génération, ou des traumas cumulatifs,
entraînent des souffrances dans les liens et chez les autres membres de la
lignée (Ch. Joubert et R. Durastante, 2008). Nous entrons dans la
problématique de l’ intergénérationnel et du transgénérationnel, de la
groupalité psychique et des liens familiaux, ainsi que de la transmission
psychique inconsciente entre les générations.
Les modalités du lien dépendent des effets de la transmission psychique
inconsciente, ce que nous nommons la transsubjectivité dans le lien.
Ainsi, ce qui se transmet, c’est la manière d’être en lien, les modalités du
lien qui sont aussi façonnées par les contenus de la transmission. Et ce sont
ces modalités du lien qui se transforment lors de la thérapie familiale
psychanalytique, ou de la thérapie du couple, via la dynamique transféro-
contre-transférentielle et intertransférentielle.

1.2. LA TRANSMISSION PSYCHIQUE INCONSCIENTE ENTRE


LES GÉNÉRATIONS
Le transgénérationnel, formé de cryptes, secrets familiaux (N. Abraham et
M. Torok, 1978), non-dits, deuils non faits, véritables trous dans l’enveloppe
généalogique, fait partie de la transmission. N. Abraham dit qu’être un
« cryptophore », c’est être porteur d’un ou plusieurs secrets et qu’il n’est de
secret qui ne soit à l’origine partagé.
L’ intergénérationnel est constitué de ce qui se transmet consciemment,
s’élabore, se fantasme entre les générations et permet à chaque humain de se
raconter l’histoire de ses origines. Il « coexiste » avec les histoires cachées,
indicibles traumatismes, parfois liés à la grande histoire. Ce tissu familial est
toujours empreint de déchirures, et c’est ce qui permet l’accès à la
fantasmatique. Il faut de « l’en-creux » pour que la fantasmatique puisse
advenir. Mais si « les trous » sont trop grands, la béance bloque tout accès à
la fantasmatique. E. Granjon (1989) propose l’idée d’une pulsion à
transmettre, ce qui implique, dit-elle, que la charge généalogique dont tout
être humain hérite puisse continuer et son histoire et son destin.
R. Kaës (2003) parle d’alliances inconscientes qui organisent le lien
intersubjectif et l’ inconscient des sujets. Il distingue les alliances
inconscientes défensives, le pacte dénégatif : il ne saurait être question de ce
qui lie, la communauté de déni, le contrat pervers et les alliances offensives
aliénantes qui sont sans doute héritières du transgénérationnel, et les alliances
inconscientes structurantes qui impliquent le renoncement à la réalisation
directe des buts pulsionnels.
S. Tisseron (1996) développe, dans ses travaux autour du secret, qu’un
enfant porteur de secret en est affecté dans l’ensemble de sa personnalité, et
que les petits enfants porteurs de secrets peuvent alors développer des
troubles dont le point commun est d’être apparemment dénués de tout sens
(troubles psychotiques, toxicomanie, etc.).
A. Ciccone (1999), montre les mécanismes de l’ identification projective
dans la transmission et parle de fantasme de transmission.
Il y a une part active dans la transmission. Le dépositaire potentiel doit être
en condition de recevoir, d’accueillir et de transformer ce qui lui est transmis.
Il va à la recherche de ce qui lui convient. La transmission se fait dans les
deux sens, du parent vers l’ enfant et, simultanément, de l’ enfant vers le
parent. Nous pensons à la célèbre phrase de Goethe : « Ce que tu as hérité de
tes pères, afin de le posséder, conquiers-le. »
La transmission psychique, en ce qu’elle est imposée au départ à l’ enfant,
est nécessairement violente en soi et ne peut s’élaborer qu’ultérieurement. Il
en est de même des pactes dénégatifs qui sont à la base de tous nos liens, et
qui sont à l’œuvre au sein du lien de couple et de la famille.
Nous avons montré le destin du trauma dans le générationnel (Ch. Joubert,
2002), le rôle du transgénérationnel au sein du lien de couple (2007), ainsi
que l’évolution des modalités de lien et la violence nécessaire dans le lien
(2005, 2010).
2. LE CADRE GROUPAL FAMILIAL
Les consultations familiales sont cadrées, car la famille en crise, en
souffrance, a besoin d’être contenue et sécurisée. Le ou les thérapeutes sont
dans une fonction contenante et sont à l’ écoute de la chaîne associative
groupale familiale.
A. Ruffiot (1981) parle d’une révolution épistémologique à propos de la
thérapie familiale psychanalytique : l’analyste à l’ écoute non de l’
inconscient individuel seulement, mais d’une trame associative groupale
(R. Kaës, 1976), familiale : « Dire ce qui vient à l’esprit en famille et à
propos de la famille », écouter l’ appareil psychique familial en association
libre et dans un setting en face à face, au sein duquel l’émotionnel est donné à
voir de part et d’autre. Il s’agit d’écouter l’ inconscient qui se décline du côté
du groupal familial, de prendre en compte le travail de l’ intertransfert,
lorsqu’on est plusieurs thérapeutes, en plus de la classique dynamique
transféro-contre-transférentielle du groupe -famille diffractée sur le groupe
thérapeutique.
A. Ruffiot parle d’une cure type familiale, d’un inconscient familial duquel
émergeait l’ inconscient individuel. À la différence du groupe en analyse, la
famille vit ensemble en dehors des séances, a une vie affective et sexuelle
(lien de couple). La famille est le lieu de dépôt de la pulsionnalité.
L’analyse de la dynamique transféro-contretransférentielle et
intertransférentielle (en intervision par exemple), est le levier essentiel pour
comprendre ce qui se joue dans les liens intersubjectifs du néogroupe
(E. Granjon, 2005) entre patients et thérapeutes, dans leurs appartenances et
affiliations respectives. Cela permet la fomentation de la mythopoïèse
groupale (A. Ruffiot, 1981, 1984), afin qu’elle devienne une toile de fond
solide et acceptable pour la construction individuelle du psychisme du sujet.
L’arbre généalogique, demandé en début de thérapie, comme parfois le
dessin de la maison, pour les couples et les familles, est un média très
intéressant pour appréhender le fonctionnement psychique inconscient du
groupe (P. Cuynet, 2005, A. Eiguer, 2004, et R. Jaitin, 2006).
Notre cadre interne est psychanalytique groupal avec, comme nous l’avons
déjà dit, les deux règles fondamentales de l’association libre, en famille et à
propos de la famille, en couple et à propos du couple, et de l’ abstinence (y
compris l’ abstinence de donner des conseils aux familles et aux couples).
Cela implique bien sûr la neutralité bienveillante à l’égard des vœux
inconscients de chacun et du groupe -famille ou du couple pris dans leur
dimension d’ objet groupe -famille ou couple. I. Böszörményi Nagy et
B. Krasner (1986) parlaient de « partialité multi-directionnelle » pour bien
montrer comment on doit veiller à rester en empathie et bienveillant à l’égard
de chacun et de tout le groupe, le transfert étant alors diffracté.
Le setting analytique comporte le support du regard puisque le dispositif
est en face à face. Le travail sur la coémotionalité, la rythmicité, en
cothérapie, va permettre l’accès à la symbolisation. À propos du transfert
diffracté en psychanalyse familiale, A. Eiguer (1983) parle de transfert sur le
cadre (régressif), puis sur le processus (investissement du fonctionnement
psychique) et enfin sur les thérapeutes (transfert objectalisé). J. Caillot et
G. Decherf (1984) ont mis en évidence les fonctions du cadre analytique
familial, à savoir la contenance (fonction de type maternel), la fonction
limitative (de type paternel), et la fonction symboligène (signifiant, par les
règles posées, les deux grands interdits fondamentaux de l’inceste et du
meurtre).
L’ affect reprend actuellement toute sa place dans le processus
thérapeutique. L’ interprétation groupale s’enracine en conséquence sur
l’émotionnalité, le ressenti du ou des thérapeutes.

3. LES CONSULTATIONS ET L’ INDICATION


DE SOINS PSYCHIQUES
Lors d’une demande initiale, nous proposons toujours au moins deux
consultations, d’une heure chacune, à quinze jours d’intervalle, afin de se
rencontrer et d’analyser la demande. Lorsque la demande porte sur un enfant
ou un adolescent, nous proposons de rencontrer aussi la famille.
Les consultations (F. Aubertel, 1997) servent à explorer le fonctionnement
familial, à diagnostiquer le type d’ angoisse prévalent, les mécanismes de
défense groupaux et les modalités de liens prévalents (narcissiques ou
objectaux-libidinaux), mais aussi à contenir la souffrance groupale. Nous
sommes à l’ écoute de ce qui se pense, s’éprouve à propos de la crise actuelle,
et aussi ce qui se rejoue de l’infantile des parents, en collusion. Après la
présentation de chacun, y compris du ou des thérapeutes, nous explorons les
symptômes (mais rapidement et nous nous en décentrons). Nous investiguons
pourquoi la demande vient aujourd’hui, par qui ils sont envoyés, puis les
émotions (gaîté, tristesse, colère), l’inquiétude et l’ angoisse, les séparations,
les règles en famille, l’autorité, le sommeil et les rêves, l’alimentation, les
naissances, les diverses maladies et opérations, les accidents éventuels, la
rencontre des parents, la famille élargie (grands-parents et collatéraux), le
type d’habitat. Les questions sont posées à chacun et croisées, on favorise la
trame associative groupale familiale. On est à l’ écoute de la souffrance
familiale, de type groupal, signant la prévalence de l’indifférenciation des
liens (F. André-Fustier, F. Aubertel, Ch. Joubert, 1994).
Enfin, une indication de soins psychiques est donnée. La thérapie proposée
sera individuelle, familiale, en couple, pour la fratrie, en groupe,
psychodrame ou encore groupe à médiation. Et nous parlons du contrat
analytique.
On pose une indication de travail familial lorsque les liens familiaux sont
indifférenciés et que la souffrance familiale est prégnante (cette dernière peut
s’exprimer de différentes manières, par des somatisations, des agirs, des
troubles psychiques graves de la personnalité ou encore verbalement) :
– prévalence des positions narcissiques et de l’ambiguïté (position
narcissique paradoxale, J.-P. Caillot et G. Decherf, 1989) ;
– positions perverses narcissiques (A. Eiguer, 1989) (emprise sur l’autre,
idéalisation, dénigrement, confusion, empiétement, fonctionnement projectif
massif) ;
– angoisses de mort (mort collective, A. Ruffiot, 1981), d’abandon,
prévalentes (type anaclitique) ;
– mode de défense par oscillation (J.-P. Caillot et G. Decherf, 1989),
censure familiale, mode de défense familial archaïque, idéologique
(F. Aubertel, 2007), clivage, déni.
Les défenses sont respectées, ainsi que la théorie qu’offre spontanément la
famille autour des symptômes présentés. Le fonctionnement du groupe
famille lors des consultations est donc respecté.
S’il s’agit d’un travail familial, la consigne est de venir tous ensemble
(tous ceux qui le souhaitent). Nous précisons que cette thérapie n’est pas
incompatible avec un travail individuel, ou en groupe, avec un autre
thérapeute, que le travail ne situe pas au même niveau. Ce travail proposé
peut être une thérapie familiale psychanalytique (une séance par semaine ou
quinzaine) ou un accompagnement familial (plus distancié, une séance par
mois par exemple).
Les règles analytiques sont données : à savoir l’association libre, en famille
et à propos de la famille, la règle d’ abstinence (abstinence de conseil et de
jugement) et la neutralité bienveillante à l’égard de chacun et de la famille.
Il est précisé que le travail se déroulera aussi longtemps qu’ils en
éprouveront le besoin. Il est également convenu que l’on prendra du temps
pour travailler la fin de la thérapie.
Nous distinguons toujours les consultations de l’entrée dans la thérapie,
après accord de la famille. Toute la problématique familiale est déposée au
sein du cadre, lors des consultations. Un pré-transfert se dessine, indicateur
de la suite à donner. Si la famille s’engage dans un soin psychique, alors la
transformation des modalités de liens sera possible ainsi que le déploiement
d’une mythopoïèse groupale inconsciente colorée par la dynamique transféro-
contre-transférentielle et intertransférentielle.
Nous précisons donc que nous travaillons les liens familiaux ; les patients
peuvent aussi venir en couple, sans les enfants, lors de certaines séances,
quand ils évoquent par exemple des soucis spécifiques de couple. S’il s’agit
d’une indication de thérapie de couple, le travail est également ouvert sur la
famille à certaines séances, pour évoquer notamment les problématiques avec
les enfants, qui concernent alors le lien parental.
On observe souvent, dans les débuts, une grande difficulté à accepter un
rythme régulier pour les séances, ce qui signifie la difficulté de la famille à
s’organiser un espace de pensée. Il y a une sorte de « mise en cadre », en
rythmicité progressive. Nous co-construisons le dispositif avec la famille.
Nous parlons de thérapie des liens d’une manière large.
Dans un premier temps, le cadre sert de peau contenante, d’appui et de
limite (fonction limitative) pour les vécus douloureux qui s’y déposent. Le
cadre analytique groupal favorise la régression et la reprise : « C’est un lieu
où l’on peut enfin se parler », dit une famille au sein de laquelle l’agressivité
était massive. Puis la fonction de tierceité du ou des thérapeutes permet un
nouvel espace créatif (fonction conteneur, R. Kaës, 1976), d’incertitude aussi
(pouvoir se laisser surprendre), en lien avec la dynamique transféro-contre-
transférentielle et intertransférentielle. Le ou les thérapeutes occupent des
fonctions imagoïques qui favorisent la transformation des modalités de lien.
Les séances durent une heure et sont suivies d’une post-séance afin
d’analyser la dynamique transféro-contre-transférentielle et
intertransférentielle, lorsqu’il y a plusieurs thérapeutes.

4. SITUATION CLINIQUE
Mme Marin appelle l’Association de thérapie familiale psychanalytique où
nous travaillons pour un entretien, car elle a des inquiétudes au sujet de sa
fille, très angoissée.

4.1. LA FAMILLE MARIN


La famille est formée de Monsieur Marin, 60 ans, en retraite anticipée
d’une fonction de cadre supérieur, son épouse, 45 ans, pharmacienne, et leurs
trois enfants, Max, 17 ans, Sophie, 14 ans et Syndie, 8 ans.
Nous demandons d’emblée que toute la famille soit présente. Lors de la
première consultation, nous les recevons donc tous les cinq.
Nous relatons ici en détail le premier entretien ; quant au second, nous
nous contenterons de le résumer.
Nous sommes deux thérapeutes. Nous prenons des notes en séance et
signifions à la famille qu’elles sont bien sûr confidentielles, mais qu’il s’agit
d’inscrire ce qui se dit et que cela reste ainsi en mémoire.
Après nous être présentées ma collègue et moi-même, nous demandons à
chacun de se présenter ainsi que de dire le motif de la consultation.
Madame : Je m’appelle Brigitte, j’ai 45 ans, je suis mariée avec Paul
depuis vingt ans et nous avons trois enfants : Max, Sophie et Syndie.
Sophie : Nous avons failli être quatre enfants.
Psy : Failli ?
Monsieur : Ma femme a perdu un enfant à la naissance.
Madame : Entre Sophie et Syndie, c’était un garçon.
Monsieur : Moi, j’ai 60 ans, et je ne travaille plus depuis la naissance de
Syndie, il y a huit ans. J’ai pris une retraite anticipée pour m’occuper des
enfants, être à la maison.
Max : Très anticipée…
(Silence)
Madame : C’était un choix du couple. Après le décès du bébé, il y a neuf
ans, j’étais très mal et mon mari était sans cesse en déplacement pour son
travail ; d’ailleurs il était à l’étranger lorsque c’est arrivé et j’étais seule avec
les deux premiers.
Madame pleure. Sophie se lève et va consoler sa mère. Elle a elle aussi les
larmes aux yeux.
Psy : C’est une histoire très douloureuse pour toute la famille.
Syndie dessine une maison avec quatre enfants et les parents. Elle tend le
dessin aux thérapeutes qui le montrent à Syndie d’abord, puis à la famille, en
demandant à quoi cela fait penser.
Syndie : On était quatre, avant.
Monsieur : Il faut aller de l’avant et ne pas toujours ressasser le passé. Le
problème actuel c’est que Max ne fait rien au lycée, c’est une catastrophe.
Psy : Qu’en pensez-vous Max ?
Max : Je redouble la seconde, et j’ai déjà redoublé la sixième. J’ai 17 ans,
et je n’ai qu’une envie : quitter le lycée. L’école me saoule.
Madame : Tu fumes trop et tu ne peux plus te concentrer, je te l’ai déjà
dit.
Psy interrogatif.
Max : Oui, je fume du cannabis, comme tout le monde au lycée, avec mes
potes.
Madame : Et puis Sophie est trop collée à moi et elle surprotège sa petite
sœur. Au collège, les professeurs disent qu’elle est trop timide et qu’elle a
peur de tout.
Psy : En quelle classe êtes-vous, Sophie ?
Madame : Elle est en 3e, elle travaille bien, elle.
Psy à Sophie : Quel âge avez-vous Sophie ?
Sophie : J’ai 14 ans. Ce qui est difficile, c’est que je ne peux jamais sortir
avec mes copines. Les parents ne veulent pas. J’ai souvent peur que ma petite
sœur meure.
Monsieur : Tu es trop jeune pour courir avec les copines.
Sophie : Les autres sortent.
Syndie : Moi, j’ai des copines à la maison.
Psy : En quelle classe es-tu Syndie ?
Syndie : Je suis en CE2 et j’aime bien ma maîtresse.
Madame : Syndie est dans un cours privé et ça se passe bien, ils sont peu
nombreux.
Max : Elle est surprotégée, elle.
Psy : Surprotégée ?
Madame : C’est la petite dernière.
Sophie va prendre Syndie sur ses genoux et elles se câlinent.
Psy : Qui fait respecter les règles à la maison, l’autorité ?
Max : C’est ma mère, elle crie tout le temps.
Psy : Comment se met-on en colère dans la famille ?
Madame : Moi en effet, je crie beaucoup, mais sans résultat. Mon mari,
lui, laisse aller, il ne dit jamais rien ou alors il explose et c’est « sauve-qui-
peut »…
Sophie : Une fois Max et lui se sont frappés, c’était affreux, Maman a dû
les séparer.
Monsieur : Moi, j’encaisse, j’encaisse, puis j’explose. Je peux être très
colérique, mais je me contrôle. Alors, je laisse aller, le reste du temps.
Max : Moi, je suis cool, sauf si on me cherche.
(À son père :) Tu m’avais cherché l’autre fois, j’avais rendez-vous avec
des potes et t’avais décidé que ne je sortirais pas.
Monsieur : T’as vu son bulletin scolaire ?
Max : À 18 ans, je me casse de l’école et vais cultiver mon jardin…
Sophie : De cannabis.
Max : Parfaitement, j’aurai ma maison au milieu de mon champ de
cannabis. La belle vie !
Monsieur : Assez rêvé. Pour l’instant, il faut passer ton bac.
Max : (la tête dans les mains) : C’est toujours la même rengaine…
Psy à Sophie et Syndie : Et vous, comment vous mettez-vous en colère ?
Sophie : Je claque les portes et je vais dans ma chambre. Je pleure très
souvent, sans vraiment de raison.
Madame : Sophie est toujours angoissée.
Sophie : Oui.
Syndie : Je boude et je pleure.
Psy : Comment dit-on qu’on est triste dans la famille ?
Madame : Je pleure, quand je suis seule. Suite à la mort du bébé, j’ai pris
un traitement antidépresseur. Je pleurais tout le temps.
Psy : Prenez-vous toujours un traitement ?
Madame : Oui, le médecin traitant m’en prescrit toujours. Sinon, cela ne
va pas.
Sophie : Quand je te vois pleurer, je vais te consoler. Moi aussi je suis
angoissée, comme toi.
Madame : C’est vrai, Sophie est très gentille avec moi.
Syndie : Quand je pleure, c’est Sophie qui me console.
Monsieur : Sophie console toute la famille.
Psy : Et les hommes, comment disent-ils leur tristesse, leur angoisse ?
Monsieur : Je me renferme, je garde tout pour moi et un jour je craque. À
la mort de mon père, il y a cinq ans, j’ai fait une TS. Je n’en pouvais plus,
j’étais très attaché à mon père (il est mort subitement d’une crise cardiaque à
85 ans). Maintenant ça va mieux. Moi, je ne veux pas de traitement.
Max : Je fume et je vais voir mes potes quand ça ne va pas. Mais je suis
plutôt gai, moi, cool. Je laisse les angoisses aux autres. (Il rit.)
Psy : Qu’est-ce que l’on partage en famille, les moments gais, joyeux ?
Madame : Quand les enfants étaient petits, on allait tous ensemble, le
dimanche, faire des balades en montagne. On aimait bien cela. Mais
maintenant les deux grands, ils ne veulent plus venir, c’est triste.
Max (à sa mère) : Tu nous saoules avec tes ballades. Je n’ai plus l’âge
d’aller avec vous.
Sophie (timidement) : Moi non plus.
Psy : Comment se sépare-t-on dans la famille ?
Madame : C’est très difficile.
Monsieur (en plaisantant) : On ne se sépare pas….
Max : Cet été, je vous le dis, je pars avec mes potes…
Sophie : Et moi, j’aimerais bien aller chez ma copine.
Psy : Il est l’heure aussi de nous séparer aujourd’hui. On vous propose un
deuxième entretien de consultation dans quinze jours, si vous êtes d’accord.
Max : Je ne sais pas si je pourrai venir, à cause des rendez-vous avec les
potes.
Psy : Il est important que vous soyez tous là pour cette deuxième
consultation, et ensuite on vous proposera une prise en charge, nous en
parlerons la prochaine fois, tous ensemble.
Madame : Au CMP qui nous a donné votre adresse, ils nous ont dit que
c’était pour toute la famille.
Sophie : Cela fait du bien de parler tous ensemble.
Lors de la deuxième consultation, toute la famille est là.
À la question : « Qu’est-ce que vous avez pensé depuis cette première
séance, ensemble et chacun ? », Madame dit que Syndie a posé des questions
à propos de la mort du bébé : « C’est la seule qui ne l’a pas vécue. On lui a
expliqué qu’il n’est pas inscrit sur le livret de famille, mais nous faisons les
démarches nécessaires pour le faire. Enfin, c’est moi qui veux faire cela. »
Monsieur dit que si cela la soulage, pourquoi pas, il n’est pas contre.
Le thérapeute demande s’il y a des souvenirs de rêve. Monsieur dit qu’il ne
rêve pas et Madame évoque un cauchemar répétitif et angoissant, elle marche
dans la forêt avec sa famille et soudain elle se retourne et elle est seule. Elle
les cherche, mais ne les retrouve pas.
« Comme le Petit Poucet », dit Syndie, qui parle de ses peurs nocturnes
(peur que ses parents s’en aillent la nuit pendant qu’elle dort). Sophie dit que
parfois elle rêve qu’elle a perdu sa sœur dans l’école.
Le thérapeute pointe que l’on parle là d’ angoisse de perte, d’abandon.
Max dit que lui rêve éveillé, qu’il se voit seul, au milieu de son champ de
cannabis, et que c’est cool. Le père se fâche alors contre lui car il fume trop et
cela l’empêche d’étudier.
Syndie dessine une petite maison, avec une grande clôture autour. Elle dit
que c’est la maison de Papi (le père de Madame). Il y vit seul et il est loin.
« On n’y va pas souvent », dit-elle. Madame dit que son père est seul depuis
la mort de sa femme d’un cancer, au moment de son mariage à elle. Elle
pleure en évoquant la disparition de sa mère, dont elle était très proche. Elle
l’a accompagnée jusqu’à la fin. « J’étais jeune, j’avais 25 ans et cela a été très
dur pour moi. Je terminais mes études de pharmacie pour reprendre la
pharmacie de mes parents, ce que j’ai fait puis, suite à cela, mon père a
déménagé et il est retourné vivre proche d’une de ses sœurs en Normandie. Je
les ai perdus tous les deux ».
Le thérapeute demande alors la configuration familiale de part et d’autre.
Madame a trois sœurs et elle est l’aînée. Ses sœurs sont mariées et ont des
enfants. Elles sont toutes loin, éparpillées, une en Polynésie, une à Paris et
une autre en Normandie, proche du père. Sa mère à elle avait également trois
sœurs et était l’aînée : « Dans la famille maternelle, il n’y avait pas de garçon,
alors quand Max est né, j’étais très contente, mais je ne savais pas faire avec
les bébés garçons. C’est aussi ce que disait ma mère. Avec lui, ça a été
difficile, il pleurait tout le temps et ne voulait pas manger ». « Ça alors ! , dit
Max, je ne savais pas ». « Tu ne voulais jamais me quitter, dit Madame, petit,
tu étais accroché à moi. Avec les filles, cela a été plus facile. Je m’étais déjà
beaucoup occupée de mes sœurs », ajoute Madame. « Maintenant je voudrais
que tu me lâches », dit Max. « On les voit peu, ta famille, dit Sophie, je ne
connais même pas tous mes cousins et cousines ». « Oui, tout s’est compliqué
à la mort de ma mère, avec la pharmacie que j’ai reprise et la maison. Des
histoires de succession. On est un peu fâchés. Du côté de mon père, il a une
sœur qui est célibataire et sans enfant ».
Du côté paternel, Monsieur a encore sa mère qu’il ne voit plus car elle s’est
remise avec un homme qu’il n’apprécie pas et il est en colère contre sa mère
qui, selon lui, ne respecte pas la mémoire de son père : « Mon père était
quelqu’un de bien et très respecté dans son milieu, il avait une petite
entreprise et tous les ouvriers l’aimaient bien. À sa mort, ma mère a tout
vendu. Elle dilapide aujourd’hui l’argent avec ce type… Je suis fils unique et
orphelin, mais à quoi bon revenir sur tout cela ».
Max dit qu’il se souvient de son grand-père paternel, comme d’un homme
exigeant mais avec lequel il aimait passer du temps : « On parlait beaucoup
tous les deux », dit-il. « La mort de mon père, ça a été terrible, dit Monsieur,
d’ailleurs s’il était encore en vie, Max ne fumerait pas autant, car il ne le
tolérerait pas ». « Voilà autre chose », répond Max en soupirant.
Lorsque nous demandons aux parents comment ils se sont rencontrés,
Madame dit que c’est par des amis communs étudiants. Monsieur, lui, dit que
le dévouement de cette fille à sa mère gravement malade, elle-même si digne,
l’a beaucoup touché. Et Madame d’enchaîner : « Il admirait tellement son
père que moi aussi, cela me touchait ; mon beau-père était un homme
extraordinaire, qui inspirait beaucoup de respect. Et puis on avait des valeurs
communes et on pensait que l’on s’entendrait bien. On a très vite vécu
ensemble. Mon mari a été d’un grand soutien à la mort de ma mère », dit
Madame.
Cette deuxième consultation se termine et nous posons une indication de
thérapie familiale psychanalytique pour cette famille, lui signifiant que nous
pensons que cela peut l’aider à reprendre et travailler tous ensemble leurs
vécus douloureux et les amener à se séparer plus facilement. Monsieur se
demande si cela va servir à quelque chose, Madame porte la demande, Max
dit : « Pourquoi pas, on apprend des choses ici ». Sophie dit qu’elle est
d’accord, et Syndie qu’elle veut bien revenir.
Toute la problématique est déposée lors des consultations, la thérapie
consistera à « dérouler la pelote ». Les consultations préliminaires au soin
sont fondamentales, pour le diagnostic sur les modalités de liens, les
symptômes visibles, les angoisses mobilisées et les défenses, mais aussi pour
le dépôt qu’elles induisent et le pré-transfert. C’est alors qu’une indication de
soin peut être proposée.
Après le délai de réflexion classique, la famille va accepter de s’engager
dans un processus thérapeutique au long cours.

4.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


Lors de la postséance de la première consultation (les postséances ont lieu
dans la foulée des séances et font partie du dispositif), ma collègue et moi-
même, éprouvant de l’ empathie pour cette famille, échangeons sur nos vécus
respectifs. Nous faisons d’emblée l’hypothèse que le deuil non fait de ce bébé
a des répercussions importantes sur leur vie familiale actuelle (dépression
maternelle, angoisses de Sophie par rapport à sa petite sœur), et cache
certainement d’autres deuils non faits. Quant à Max, nous nous interrogeons
sur ce comportement addictif à l’égard du cannabis que les parents ne
semblent pas prendre très au sérieux. Il nous vient aussi à l’idée que peut-être
il y aurait un lien avec un deuil non fait (le bébé mort ?) et un père endeuillé
qui n’occupe pas sa fonction paternelle et ne fait pas preuve d’autorité. Le fait
que le fils refuse l’effort scolaire serait-il en partie lié à une identification à ce
père, lui aussi à la maison, et qui ne travaille donc plus ?
Lors de la postséance de la deuxième consultation, nous sommes touchées
par ces deuils non faits dans les lignées respectives. Nous entendons l’impact
du transgénérationnel sur les liens actuels, fusionnels, et sous le primat des
positions narcissiques. L’ angoisse d’abandon est massive (« On ne se sépare
pas », dit le père sur le mode de l’humour) et les défenses se manifestent
parfois par les résistances à revenir sur le passé. Le père semble pour l’instant
le porteur de la résistance du groupe à ce retour sur l’histoire. Au niveau du
lien de couple, le choix d’objet est de type narcissique et anaclitique. Le désir
ne s’y entend pas, sinon tourné vers les imagos parentales (sur le beau-père
du côté de Madame et sur la belle-mère du côté de Monsieur). Les positions
narcissiques sont prévalentes dans cette famille.
L’ étayage du cadre analytique, que nous percevons dans le dessin de
Syndie (le dessin de la clôture), indique que la famille accepte de se livrer
lorsqu’elle est contenue. Les deux dessins de Syndie sont en lien avec ce qui
se trame dans la dynamique de la séance. Le pré-transfert est à l’œuvre dès
les premières consultations, les enfants sont intéressés par ce qui se dit, la
mère porte la demande et le père porte les résistances.
En appui sur le paradigme du lien et de la transmission psychique
inconsciente, l’entretien familial est appréhendé dans la dimension groupale,
favorisant la trame associative groupale. Il est cadré afin de contenir les
éventuels débordements pulsionnels. Nous distinguons les consultations de
l’entrée dans le travail thérapeutique. Nous insistons sur la rencontre dans la
dimension intersubjective et transsubjective, lors de chaque séance, faisant de
la clinique psychanalytique groupale un soin psychique centré sur la
créativité des symptômes et l’ élaboration des traumas, permettant à chacun
de s’approprier une histoire fantasmatique supportable, humaine, là où
l’indicible affleurait.
CHAPITRE 6
L’ENTRETIEN
AVEC L’ENFANT
Bernard Chouvier
1. LA RENCONTRE AVEC L’ENFANT : PROBLÈME ACTUEL ET
CAPACITÉ D’AUTONOMIE
2. LA POSITION D’ENFANCE DU CLINICIEN
3. JEUX ET DESSINS DANS L’ENTRETIEN AVEC L’ENFANT
4. ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE AVEC L’ENFANT ET
ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE AVEC LES PARENTS
5. À L’ÉPREUVE DE LA TEMPORALITÉ : AVANT L’APRÈS-
COUP
6. SITUATION CLINIQUE

L ’entretien avec l’enfant présente une réelle spécificité, qui tient compte
de la plasticité du psychisme de celui-ci et de son niveau d’évolution
développementale. En fonction de l’âge de l’ enfant, suivant qu’il se trouve
dans la période dite de la petite enfance, de la moyenne enfance ou de la
latence (A. Brun et B. Chouvier, 2010), la rencontre se déroule de manière
différente et les modes d’ intervention du clinicien sont utilisés chacun
singulièrement. Plusieurs paradigmes théorico-cliniques peuvent néanmoins
être mis en évidence quant à la particularité de la consultation avec l’ enfant.
1. LA RENCONTRE AVEC L’ ENFANT :
PROBLÈME ACTUEL ET CAPACITÉ
D’AUTONOMIE
Dans la rencontre avec les parents, l’accent a été mis sur les symptômes de
l’ enfant et les difficultés survenues dans l’environnement familial. L’ enfant
reste l’ objet du discours parental, même si le clinicien tente déjà de lui
permettre d’accéder à une position subjective propre, en s’adressant à lui
directement et en l’impliquant dans l’échange avec les parents.
Une fois entendue la demande familiale, une fois reconnues les
circonstances d’apparition des symptômes au cours de l’histoire de la famille
au sens large et de l’ enfant en particulier, le clinicien est en mesure de
rencontrer l’ enfant seul. Rencontrer l’ enfant signifie entrer en
communication directe avec lui et le reconnaître tel qu’il se présente dans son
apparence d’ enfant, sans a priori, sans idées préconçues, dans l’ici et
maintenant de la situation clinique.
En valorisant la capacité d’autonomie de l’ enfant et en tenant compte de
son « problème actuel » (D.W. Winnicott, 1971b), il va s’agir pour le
clinicien de mettre en suspens l’objectivation de l’ enfant réalisée dans la
plainte parentale par la description de ses symptômes, pour venir se centrer
sur l’ enfant lui-même, en tant que sujet, dans l’intersubjectivité de la
rencontre. Tenir compte du problème actuel de l’ enfant, c’est recevoir l’
enfant comme il vient, c’est-à-dire être à l’ écoute de ce qu’il vit en propre,
être sensible à ce qu’il a à nous dire de ses vécus de plaisir et d’ angoisse, aux
prises avec ses joies, ses peurs et sa souffrance, tels qu’il les voit et les
ressent dans sa psyché et dans son corps d’ enfant. Dans le cas du handicap
par exemple, il arrive que les parents mettent en avant les difficultés
d’apprentissage de l’ enfant à l’école, là où celui-ci vit plutôt sa différence
physique comme une blessure narcissique importante, se plaçant du même
coup en retrait dans son contact avec les autres enfants.
Une des principales difficultés qui peuvent entraver la rencontre avec l’
enfant est la différence générationnelle entre le clinicien et lui. L’ enfant a
l’expérience de l’adulte, d’un parent ou d’un substitut parental, de quelqu’un
qui, dans tous les cas, a toujours une attente ou une exigence à son égard. Il
va donc d’emblée chercher à repérer cette attente ou exigence chez le
psychologue pour s’y conformer, communiquant alors seulement sa part
sociale et adaptative dans l’entretien.
L’ enfant a en fait besoin de temps pour s’acclimater à la présence de
l’autre et pour se sentir suffisamment bien dans l’échange. Il est donc
important que le praticien offre à l’ enfant les conditions sensorielles,
motrices et affectives nécessaires à l’établissement d’une communication
authentique avec lui. Et ceci suppose d’abord de laisser l’ enfant explorer
l’espace qu’il est en train de découvrir, sans lui assigner d’emblée une place
ou une chaise sur laquelle s’installer. Ce premier temps d’ exploration s’avère
primordial dans la mise en place d’une relation de confiance avec l’ enfant et
rend également possible pour le clinicien le repérage d’importants indices
cliniques quant à la problématique de l’ enfant et des processus psychiques à
l’œuvre dans la situation. Là où certains enfants explorent intensément le
bureau dans lequel ils se trouvent, inspectant placards et caisses de jeux, et
s’installant tour à tour à divers endroits de la pièce, d’autres, au terme d’une
hâtive exploration, trouvent un espace qui leur convient, pour se mettre
ensuite rapidement à jouer ou à dessiner. D’autres encore, immédiatement
assis en début d’entretien sur une chaise ou un fauteuil, ou dans l’attente que
le psychologue leur indique la place à prendre, restent passivement repliés sur
eux-mêmes.
Trois espaces sont classiquement différenciés dans le lieu de la rencontre
avec le psychologue : l’espace du bureau du clinicien proprement dit, un
second espace qui propose quant à lui de petites chaises et souvent du
matériel pour que l’ enfant puisse dessiner, et un troisième espace, lieu
ludique dans lequel sont à disposition diffé rents jouets. Trois espaces
distincts et complémentaires, trois places et trois manières d’aborder la
relation avec l’ enfant et d’observer la façon dont celui-ci mobilise sa
capacité d’autonomie et de communication.
« C’est petit chez toi ! », dit une jeune adolescente, retournant chez le
psychologue qu’elle avait rencontré huit ans plus tôt, ce durant près d’une
année. L’adolescente revenait voir ce lieu, cet espace dans et au moyen
duquel elle avait travaillé des éléments de son histoire, dans une tentative de
réappropriation subjective de ses vécus familiaux de par le bouleversement
radical de l’adolescence qu’elle était en train de traverser. Clinique de la vie
quotidienne également, dans le retour par exemple à l’âge adulte dans un lieu
connu de l’enfance et dans la surprise suscitée de la dimension « réelle » du
lieu, ou plutôt de la petitesse du regard enfantin. Comme l’évoquait
S. Ferenczi (1926), ce sont les « fantasmes gullivériens » qui témoignent le
mieux du vécu de l’ enfant face à un lieu étranger et face à cette figure de
l’adulte, ce géant inconnu dont il ignore les intentions. Il faut donc souligner
la nécessaire prise de conscience du praticien de sa grandeur par rapport à l’
enfant dans le concret de la situation clinique et, dès lors, prendre en
considération la notion de l’espace pour l’ enfant qui le vit à sa propre portée.
Et si la rencontre avec l’ enfant suppose pour le psychologue, dans les
premiers temps en particulier, d’être sensible à son exploration de l’espace et
de descendre à son niveau sur le plan physique, elle demande également que
le clinicien puisse, par la pensée cette fois, se mettre à la place de l’ enfant sur
le plan psychique : il s’agit là du second point central dans la rencontre
clinique avec l’ enfant.

2. LA POSITION D’ENFANCE DU CLINICIEN


Une des spécificités de la rencontre avec l’ enfant concerne en effet la
mobilisation, chez le praticien lui-même, de sa propre position d’enfance
(B. Chouvier, 2008). Il ne s’agit en rien d’un stade développemental qui
serait à dépasser, d’une régression ou encore d’une position d’imitation de la
part de l’adulte qui « jouerait » à être un pair de l’ enfant, ou qui « ferait l’
enfant » dans un rapproché pouvant générer une grande excitation
pulsionnelle, excitation pouvant elle-même se déliter dans des mouvements
agressifs, voire dans des passages à l’acte à l’endroit du clinicien. La position
d’enfance est, pour le psychologue, la mobilisation en soi de ce que l’ enfant
présent réellement dans la rencontre peut susciter comme mouvement
identificatoire dans les circonstances présentes. C’est bien à partir de sa
propre position d’adulte repérée par l’ enfant, que le clinicien aura la
possibilité de trouver en lui ce qui, de son enfance, resurgit et est réactualisé
par la situation, hic et nunc.
Au cours d’un premier entretien, une petite fille de six ans, présentée par
ses parents comme en rébellion contre tout apprentissage, s’installe dans le
coin jeu du bureau du psychologue. Une fois seule avec le praticien, celui-ci
lui propose de dessiner, puis de jouer avec les petits objets présents sur le
tapis. À l’occasion de ces jeux, le contact avec la petite fille s’établit
progressivement, cette dernière semblant ravie de cette rencontre. Au
moment du départ, la voici qui demande alors au clinicien : « Qu’est-ce que
tu veux faire, toi, quand tu seras grand ? »
De cette question ainsi posée, s’incarne la mise à niveau nécessaire, non
pas de l’appareil psychique du clinicien avec celui de l’ enfant, mais de la
part du Moi du psychologue et de ses vécus psychiques antérieurs en écho
avec le Moi de l’ enfant. Et de cette occasion se construit une compréhension
tangible de la position d’enfance : entrer dans le monde de l’enfance, tout en
restant paradoxalement en dehors en tant qu’adulte. La petite fille a bien sûr
conscience qu’elle ne joue pas avec un autre enfant, mais propose à l’autre
une entrée possible dans son monde. À partir de cette ouverture qui engage la
reconnaissance de la part d’enfance dans l’adulte, l’ enfant peut se livrer avec
sérieux et faire part, à son rythme, des enjeux de sa propre existence d’
enfant. C’est donc dans l’entrée en résonnance, en communication entre la
part de l’ enfant chez l’adulte et « la part adulte » chez l’ enfant que se signe
de manière fondamentale le caractère décisif de ce paradoxe de l’entretien
clinique avec l’ enfant. Dans une transitionnalisation ainsi faite de l’échange,
la position d’enfance permettra d’accompagner l’ enfant dans son
cheminement psychique sur la voie de la symbolisation.

3. J EUX ET DESSINS DANS L’ENTRETIEN


AVEC L’ ENFANT
Pour l’ enfant, la parole a avant tout une valeur fonctionnelle, pragmatique,
qui consiste à nommer les choses et à dire ce qui est. Il est en effet difficile
pour l’ enfant de parler directement de lui-même, de ce qu’il éprouve et de ce
qu’il ressent. Ce qui échappe à son pouvoir d’évocation verbale se trouve
renforcé quand il s’agit d’événements et de situations émotionnelles dans
lesquels il est ou a été impliqué par le passé.
Néanmoins, l’ enfant va pouvoir le signifier de façon indirecte à travers ses
jeux et ses dessins. Aussi importe-t-il au clinicien de pouvoir appréhender et
comprendre ce qui est dit et mis en scène à travers l’ expression ludique et
graphique de l’ enfant.
3.1. DIMENSION LUDIQUE ET PROCESSUS PSYCHIQUES
Le jeu occupe une place prépondérante dans la rencontre avec l’ enfant. Il
constitue en effet pour le praticien un outil de communication et d’échange
essentiel, et il peut être considéré comme le moyen naturel pour l’ enfant de
résoudre ses propres conflits psychiques et intersubjectifs.
Le jeu rend possible un espace de liberté : dans la construction d’un espace
transitionnel, dans cette mise à l’extérieur des éléments internes de sa vie
psychique, pour le dire autrement dans cet entre-deux potentiel entre dedans
et dehors, l’ enfant va pouvoir élaborer son vécu interne et les difficultés
rencontrées dans ses relations avec son entourage. Comme le disait à cet
égard D.W. Winnicott (1971a), c’est souvent dans le véritable playing, par la
créativité fondamentale qu’il propose, que l’ enfant est le plus « sérieux » et
livre le plus profond de son être.
L’ expression ludique de l’ enfant se vérifie dans la rencontre clinique.
D’abord, nous l’avons vu, dans la manière dont l’ enfant va explorer l’espace
qui l’entoure, mais plus encore dans la manière dont il va se saisir des objets
qui vont lui être proposés, mais parfois aussi des objets déjà là qui l’entourent
de leur présence silencieuse. Une petite fille de 8 ans, par exemple,
rencontrée en Maison d’ enfants à caractère social, découvrant le bureau, se
saisit d’abord des objets appartenant à la psychologue (stylos, bloc-notes…)
avant de pouvoir, dans un second temps, s’approcher des jouets plus
directement mis à sa disposition sur une petite table dans un coin de la pièce.
Dans l’entretien clinique, il est important que le praticien soit sensible à la
nature des affects mis en scène dans le jeu : l’ enfant se trouve-t-il dans une
position plaisante, voire jubilatoire ? Quelles sont les qualités affectives
mobilisées dans son jeu ? Qu’il s’agisse de la joie, de la tristesse ou de la
colère, le plaisir est une condition affective sine qua non dans l’ expression
ludique de l’ enfant. Il est donc nécessaire de voir si et comment l’ enfant
trouve un mode de satisfaction substitutif à l’intérieur du jeu ou, au contraire,
s’il est plutôt dans une attaque incessante des objets, dans une position
destructrice. C’est là toute la différence par exemple entre un enfant qui
prend du plaisir à jouer en simulant l’agressivité, la violence et qui, par une
sublimation des pulsions partielles dans l’espace ludique, pourra sortir apaisé
et dépasser positivement le conflit interne mis en jeu, et un enfant qui, dans
une relation davantage de l’ordre du Ça, mettra en scène des jeux devenant
dans certaines situations un véritable enjeu d’ excitation, pouvant alors
conduire à des mouvements de déliaison pulsionnelle et des passages à l’acte.
À ces points de repères dans l’entretien clinique avec l’ enfant, il faut
ajouter l’importance d’être attentif à la façon dont l’ enfant cherche la
communication avec le psychologue, à la façon dont il essaie de rendre, ou
non, le jeu interactif. Certains enfants vont en effet rapidement intégrer le
clinicien dans le jeu qu’ils auront mis en place, là où d’autres s’en
éloigneront complètement, en lui tournant le dos ou en lui montrant qu’il ne
peut pas encore s’approcher trop près, qu’il a besoin de temps dans la
découverte et la construction d’un espace d’intimité, qui passe d’abord par le
rejet premier de la présence de l’autre. Dans d’autres cas encore se met en
scène un véritable jeu autour de la présence-absence du praticien, de son
éloignement versus sa proximité avec, en filigrane, la question winnicottienne
de la capacité pour l’ enfant à être seul en présence de l’adulte, de l’autre.
Parfois néanmoins, on peut observer que l’ enfant ne joue pas, ou se lance
rapidement dans des jeux répétitifs, stéréotypés, qui perdent, de par leur
fixation rigide à une seule thématique, toute leur dimension élaborative et
symbolisante, et du même coup leur portée de maturation psychique.
Comment l’ enfant entre-t-il dans le jeu ? Comment y intègre-t-il ou non le
psychologue ? Que met-il en scène ? Comment sort-il même du jeu ? ….
Autant de niveaux à repérer. Être proche, être à distance, être absorbé, être
capable d’entendre ce qui est dit d’une position extérieure, être dans
l’impossibilité de sortir du jeu quand le moment de s’arrêter est arrivé…
Autant d’éléments de la position de l’ enfant à l’intérieur de l’espace ludique,
véritables indicateurs des différentes phases du jeu pour l’ enfant, de sa
relation entre réel et imaginaire et, en dernière instance, de sa plasticité et de
son développement psychiques.

3.2. LES DESSINS D’ ENFANT


À côté du jeu, le dessin. Dans l’entretien clinique, lorsque le psychologue
propose à l’ enfant de faire un dessin, cette première production va souvent
constituer un dessin convenu, en accord avec le désir supposé de l’adulte
demandeur. Ce dessin, nous dit D.W. Winnicott (1971a), est celui de la
conformité. Ce ne sera que par la suite que l’ enfant se livre à sa libre
inspiration, se laissant alors davantage aller à une expression personnelle de
ce qu’il souhaite dessiner.
Pour comprendre et lire le dessin libre de l’ enfant, plusieurs données et
niveaux de sens sont à considérer : d’une part le contexte de la réalisation du
dessin, d’autre part les éléments d’analyse du dessin proprement dit, et enfin
les fonctions déterminantes de la production graphique (B. Chouvier, 2008).
Chaque dessin s’inscrit dans le contexte de sa réalisation. Un dessin
effectué par exemple au cours d’un premier entretien familial est à mettre
directement ou plus indirectement en lien avec ce qui est dit par les parents,
mais aussi avec les non-dits et les implicites du discours parental. Il est ainsi
possible de définir le dessin comme la part symbolique que l’ enfant prend
dans l’échange de son père et de sa mère avec le psychologue.
À partir de ce premier niveau de sens, différents éléments sont à analyser
dans la production graphique. Il s’agit en particulier de la qualité du trait et de
sa dynamique, constituant le premier fond du dessin, base première dans les
réalisations même les plus élaborées, mais aussi des couleurs utilisées, en
harmonie ou davantage en déséquilibre, des gelstalts originaires et des figures
humaines représentées, et enfin des récits racontés à partir dudit dessin,
fonctionnant à la manière du récit du rêve, tel que l’a développé M. Klein
(1932). À noter également que le contenu manifeste du dessin et du récit ainsi
réalisés se réfère à des contenus latents dont l’ expression et la symbolisation
resteront à décrypter par le clinicien. À noter encore que tous ces éléments
demandent à être compris et analysés en fonction des étapes du
développement de l’ enfant et de sa capacité à mettre en œuvre dans le dessin
des intentions signifiantes précises et déterminées.
Rappelons pour finir les trois fonctions majeures que remplit le dessin
(B. Chouvier, 2002). La première concerne l’expressivité : la production
graphique a d’abord pour objectif de mettre au dehors, par projection hors de
soi, ce qui ne peut plus être contenu au-dedans, dans une portée
prioritairement cathartique. L’ expressivité relève par ailleurs de la décharge
pulsionnelle anale, en tant qu’elle permet la symbolisation et la sublimation
de données brutes de l’analité à travers les règles et limites qu’impose l’
expression graphique.
En second lieu, le dessin remplit une fonction de signifiance. Il dit quelque
chose, exprime un message : chaque production graphique, chaque élément
du dessin a un contenu représentatif auquel est attachée une charge affective,
et peut avoir des significations multiples, diffuses, qui demandent à être
décodées. Le rapport de signifiance concerne avant tout l’ enfant qui est le
seul, rappelons-le, à pouvoir valider l’ interprétation donnée à des éléments
de son dessin.
La troisième et dernière fonction du dessin est relationnelle. Il n’est pas de
production graphique qui ne soit adressée à quelqu’un. L’ enfant commence
par exécuter un dessin pour sa mère, son père, sa maîtresse ou pour toute
autre personne de son entourage proche. Dans l’entretien clinique, le dessin
conserve son adresse : il importe d’en mesurer la portée transférentielle, au
niveau de la forme et du contenu. La signification profonde du dessin
s’inscrit en ce sens dans les projections qu’opère l’ enfant sur la personne du
psychologue.
Dans la rencontre clinique vont ainsi s’actualiser les différents niveaux de
sens que peuvent revêtir les éléments graphiques tracés et colorés, dans le
cœur d’un échange verbal actif au cours duquel l’ enfant va peu à peu
recouvrir les moyens conscients d’une appropriation subjective de l’ensemble
des significations de sa production. Cette réactualisation et cette
appropriation symbolisante pour l’ enfant sont aussi à l’œuvre dans les
processus mis en jeu dans les médiations, qui peuvent également être utilisées
dans l’entretien, comme des marionnettes, des poupées, différents
personnages et animaux dont l’ enfant va se saisir pour ponctuer et dynamiser
ses échanges avec le clinicien.

4. A LLIANCE THÉRAPEUTIQUE AVEC L’


ENFANT ET ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE
AVEC LES PARENTS
« Un enfant seul, ça n’existe pas », disait D.W. Winnicott (1969). S’il est
important de prendre en compte, dans l’ici et maintenant de la rencontre, le
problème actuel de l’ enfant, ses propres affects et sa capacité d’autonomie
potentielle, mais aussi de considérer la dynamique de l’ expression dans le
jeu comme dans le dessin, il est cependant nécessaire de rappeler la position
spécifique, « précaire », de l’ enfant en termes d’évolution psychique. Le
psychisme de l’ enfant, en effet, ne se développe pas dans une linéarité fixe :
son devenir est intrinsèquement lié aux interrogations, fantasmes et angoisses
parentales, l’ enfant restant à cette période de sa vie sous la dépendance
concrète de ses parents, non pas seulement internes, mais bien réels.
Dépendance psychique, affective, économique, sociale… Même s’il est en
voie d’ introjection de ses objets internes, l’ enfant n’a pas encore une
autonomie effective. C’est cette double présence des instances parentales et
de leurs fonctions sociales qui représente la caractéristique la plus importante
du psychisme infantile.
Il s’agit donc pour le clinicien de travailler à deux niveaux, non seulement
en créant une alliance thérapeutique avec l’ enfant, mais également, en
parallèle et suivant le même temps, avec les parents eux-mêmes. Il est en
effet primordial que ceux-ci, dans leur parentalité, puissent être inclus dans la
prise en charge de leur enfant et être accompagnés dans l’évolution du suivi
thérapeutique de ce dernier. Rien finalement ne peut être entrepris pour un
enfant sur le plan thérapeutique sans l’accord implicite, mais également
explicite, des deux parents.
Pour appuyer ce point, prenons l’exemple d’un enfant qui, venu au départ
consulter accompagné de ses parents, est vu régulièrement seul par le
psychologue durant quelques mois. Après un certain temps, les parents
décident, malgré les recommandations du praticien, de mettre un terme
brusque à la prise en charge. L’hypothèse a été faite, en lien avec l’histoire
familiale et les angoisses paranoïdes des parents, que de fortes résistances
étaient alors à l’œuvre devant l’ébauche de la réussite d’un travail
thérapeutique. Les parents étaient alors dans une crainte honteuse d’être de
mauvais parents qui n’avaient pas réussi, eux, à soigner leur enfant. Et l’
enfant, de son côté, était ici dans un conflit de loyauté entre ce qu’il percevait
de l’exigence parentale à son égard et la recherche de son propre mieux-être.
La prise en charge a été mise en échec et le suivi thérapeutique interrompu.
L’idée d’une thérapie individuelle seule avec l’ enfant n’est en ce sens pas
tenable et demeure une illusion, le transfert des parents sur le cadre et sur le
professionnel s’occupant de leur enfant étant particulièrement à prendre en
compte. Il est dès lors possible d’envisager pour le clinicien de recevoir
ponctuellement en entretien les parents avec l’ enfant pour qu’un échange
puisse se faire autour de l’évolution thérapeutique de leur enfant, malgré,
certaines fois aussi, les résistances de l’ enfant lui-même, qui peut alors vivre
cette reprise comme une intrusion, un empiètement dans son espace propre.
Par exemple, dans le suivi individuel d’une petite fille souffrant de problèmes
d’ inhibition, le clinicien propose à la mère de venir quelques instants dans
son bureau. Au bout de quelques minutes à peine, la petite fille tente
d’exclure sa mère, en la repoussant insensiblement vers la porte. Lorsque de
tels phénomènes se produisent, il importe de maintenir d’une autre manière
un lien avec les parents, par exemple en échangeant régulièrement avec eux
par courriers ou par communications téléphoniques. Quelles que soient les
manières de procéder, il est nécessaire de reconnaître et de soutenir la
démarche parentale tout au long de ce travail individuel avec l’ enfant. La
mobilisation active des parents et de l’ensemble de l’entourage éducatif est
indispensable pour rendre effectifs les changements de l’ enfant. C’est le
psychisme tout entier qui est concerné par le travail psychothérapeutique et
plus seulement les aspects affectifs, cognitifs ou comportementaux envisagés
de manière isolée. D’où la nécessité d’avoir en tête cet impératif pour le
clinicien dès le premier entretien familial. Il sait combien il importe de tenir
compte en premier lieu du psychisme familial et d’introduire seulement par la
suite les différenciations individuelles. Dès les premiers échanges, le travail
clinique qui se met en place suppose la prise en compte implicite de
l’appareil psychique familial. Ainsi l’ alliance thérapeutique avec l’ enfant
devient réellement possible, puisqu’elle n’opère pas de clivage entre son
autonomisation et sa dépendance psycho-affective à l’égard des parents.

5. À L’ÉPREUVE DE LA TEMPORALITÉ :
AVANT L’APRÈS-COUP
L’enfance, par définition, doit prendre fin : c’est une position temporaire,
mais une période qui va néanmoins marquer définitivement la vie adulte du
sujet, en tout cas qui va avoir une influence considérable dans la mise en
place et dans la structuration de la vie psychique adulte.
Pour penser les données psychiques propres à l’entrée dans la vie adulte,
S. Freud (1900) emploie le concept d’ après-coup, qui se propose de définir
la manière dont des expériences, des traces psychiques d’événements vécus
dans l’enfance, vont être ultérieurement remaniées, transformées dans un
second temps en fonction des nouvelles expériences que le sujet traverse. Ce
processus à double détente rend compte de l’articulation des deux temps du
traumatisme : une situation traumatogène à l’âge adulte va venir actualiser un
trauma qui était déjà là, sans que cette situation antérieure n’ait pourtant
marqué forcément la vie psychique de l’ enfant à l’époque.
En ce sens et pour conclure, l’enfance peut être appréhendée comme un
temps d’avant, d’un avant l’après-coup, où l’on ne sait pas encore quel sera
l’impact traumatogène de la situation dans le devenir du psychisme de l’
enfant. Sans cet effet de résonnance de l’ après-coup de la situation, généré
notamment par les transformations pubertaires et les bouleversements
psychiques adolescents, le clinicien est confronté à une continuité d’évolution
du grandir. Avec l’ enfant, il est toujours question de préconstructions, de
préorganisations, sans que les choses ne soient jamais fixées définitivement.
Tout travail thérapeutique est redistribué, redéployé, les vécus psychiques
signifiés et transformés. C’est là toute la spécificité et la richesse dans la
rencontre clinique avec l’ enfant.

6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS LUCIE
Lucie a 8 ans lorsque le psychologue la rencontre. C’est une petite fille
alerte et vive, très présente pendant l’entretien préliminaire avec la mère,
Madame F. Elle souffre d’instabilité et d’un manque de concentration en
classe depuis l’année précédente. « Elle s’évade dans un autre monde », dit la
mère. Mais Lucie précise : « La maîtresse a dit que, si je suivais mieux, je
serais la première ». Elle a une sœur aînée qui a 11 ans. Les parents ont
divorcé il y a trois années et Madame F. se plaint depuis lors d’un manque
total de communication avec le père. Lucie va chez lui un week-end sur deux.
Ce dernier s’est remarié et son épouse, déjà mère d’une grande fille, attend un
nouvel enfant. Il trouve que chez lui tout se passe bien avec Lucie et il ne voit
pas l’intérêt d’une consultation pour sa fille. Madame F. passe outre les
réticences de son ex-mari, se rendant bien compte que Lucie a des problèmes.
Un an avant le divorce, le grand-père maternel est mort. Lucie a été très
affectée par cette disparition. En effet, ce grand-père la gardait souvent. Il
vivait avec eux, avant d’être hospitalisé pour un cancer. « Il fumait trop »,
précise à ce moment-là Lucie. C’est à la suite de cela que Lucie est devenue
énurétique jusqu’à ses 7 ans.
Lucie ne s’entend pas avec sa sœur et elle est décrite comme sauvage et
peu sociable. Petite, elle dormait mal et se réveillait toutes les nuits. Elle a été
suivie par une psychothérapeute vers l’âge de 4 ans. Comme cela se passait
mal, la mère a arrêté.
Lucie accepte de rester seule. Le psychologue raccompagne la mère et
s’installe en face de Lucie qui est restée assise à la petite table. Il lui demande
ce qu’elle a envie de faire.
Lucie : Je peux continuer mon dessin ?
Psy : Oui… Tu as aussi des jouets et de la pâte à modeler si tu veux.
Lucie se penche sur sa feuille, très absorbée. Elle dessinait une grande
fleur épanouie pendant que sa mère échangeait avec le clinicien (Dessin 1).
Quand elle a terminé, elle lui tend le dessin.
Psy : Tu m’expliques ?
Lucie se lève et s’approche. Elle montre la partie à droite de la fleur
centrale. Ce sont des traits verticaux, verts et bleus, avec des hachures tout
au long.
Lucie : Là, c’est de l’eau qui coule. Euh, comment on dit déjà ? …. . Ah
oui ! Une cascade, c’est ça !
Psy : La fleur est juste à côté, elle est bien arrosée.
Lucie : J’ai pas fini.
Elle reprend la feuille et commence à dessiner à gauche de la fleur.
Psy : Ta maman disait que tu dormais mal quand tu étais petite.
Lucie : Oui, je ne dormais pas très bien. À l’école, j’avais un copain, Loïc,
et il est parti. (Silence. Lucie s’applique à dessiner.)
Psy : Elle dit aussi que tu aimes rester seule…
Lucie : Non, j’ai deux copines et un copain… Moi, je serai toujours
fâchée contre ça.
Psy : Contre…
Lucie : Contre leur divorce ! J’aurai toujours de la colère. Mais bon, il
fallait bien que ça arrive.
Psy : Que ça arrive ?
Lucie : Ben oui ! Je m’en doutais qu’ils allaient divorcer. Enfin, je le
craignais seulement et ça s’est passé.
Psy : C’est tombé comme une cascade…
Lucie : Ouais. (Silence). Qui c’est qui a fait ce dessin au mur ?
Psy : C’est un garçon qui vient me voir.
Lucie : Il a fait le diable !
Psy : Le divorce, c’est un peu comme le diable, ça fait peur…
Lucie : Le diable, il existe.
Psy : Dieu, le Diable, c’est une histoire de religion.
Lucie : Dieu, j’y crois pas. Je vais plus au catéchisme, ça me saoule.
(Silence.)
Lucie prend une poupée dans la boîte à jouets et commence à la
manipuler, puis elle la pose en prétextant qu’il manque les piles. Elle croise
les bras et elle attend.
Psy : Quel métier tu aimerais faire plus tard ?
Lucie (qui reprend son dessin) : Maîtresse de karaté ou sage-femme. Mais
maman dit que c’est un métier difficile.
Psy : Métier difficile pour enfant difficile.
Lucie : Non, c’est pour les enfants calmes et moi, je ne suis pas calme.
Maman dit que je suis dans un autre monde…
Psy : Ah bon…
Lucie : Un monde où personne ne meurt jamais.
Psy : Ce serait bien. On garderait toujours les gens qu’on aime.
Lucie pose les feutres, se lève et vient montrer son dessin terminé .
Lucie : À gauche de la fleur, j’ai fait la rivière magique en rouge et jaune.
C’est le feu, la lumière bouillante qui a le pouvoir de faire du mal, qui
absorbe l’énergie… C’est la rivière du diable. De l’autre côté, c’est l’eau,
l’amour, l’herbe. C’est la rivière de l’ange.
Psy : La belle fleur, elle est entre les deux. Tantôt elle est mauvaise
comme le diable, tantôt elle est sage comme un ange.
Lucie : Ça dépend, elle fait comme elle veut.
Psy : L’histoire des deux rivières, tu l’as lue quelque part ou tu l’as
inventée ?
Lucie : Je l’ai inventée. J’imagine des choses, comme un panda géant
avec une tête de poisson ou que toute la terre serait une grande famille qui
porterait le même nom.
Psy : Ce serait mieux ?
Lucie : Ben oui, il n’y aurait plus de guerre, car il y aurait un même pays
et ils parleraient tous la même langue.
Psy : Ça serait comme un rêve, il n’y aurait plus de guerre entre les
familles. On pourrait se comprendre.
Lucie : Moi, je fais un cauchemar quand je ferme les yeux et je ne dors
pas encore. Le même cauchemar tous les soirs…
Psy : Tu veux essayer de le dessiner ?
Lucie prend une feuille sans rien dire et commence un nouveau dessin .
Lucie : Je me dessine. Je suis là au milieu… Et là, c’est le maître des
diables qui me met en feu. ( Elle le place juste derrière elle, dans les
flammes, et trace des bulles pour faire parler les deux personnages). Lui, il
rigole, Et moi, je crie… En bas, de chaque côté du feu, il y a les gardiens du
maître des diables. ( Elle dessine deux diablotins rouges à la queue
fourchue).
Psy : Je comprends pourquoi tu n’arrives pas à t’endormir.
Lucie : Après, j’appelle mon Papy. Lui aussi, il est torturé par les
diables…
Psy : C’est quand on fait des bêtises qu’on va en enfer.
Lucie : Je suis comme mon Papy, moi, j’en fais beaucoup !
Psy : Et puis, tu te punis toi-même en te mettant dans le feu de l’enfer.
Lucie : Euh… oui.
Psy : Tu dessines quand tu es à la maison ?
Lucie : Non, j’évite parce que ça me fait penser à mon Papy.
Psy : Ça te rend triste ?
Lucie : Oui. Il avait une pochette où il rangeait sa montre avec les dessins.
Psy : Tu aimais dessiner pour lui.
Lucie : Ouais.
Psy : Est-ce que tu serais d’accord pour revenir me voir ?
Lucie : Je sais pas…

6.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


La rencontre de Lucie et du psychologue est intéressante à plus d’un titre.
D’abord parce qu’elle met en évidence la profonde sagacité de l’ enfant à la
période de latence ; ensuite parce que l’évolution des échanges fait clairement
apparaître les liens directs et indirects entre les manifestations
symptomatologiques et les conflits internes de l’ enfant (R. Misès, 1990) ;
enfin parce qu’elle montre de manière particulièrement intense la spécificité
de la dynamique d’entretien de l’ enfant.
On note d’emblée, dès la présentation de la demande, que Lucie est très
impliquée dans la démarche. Mais nous ne savons pas encore précisément si
cette implication se joue sur un mode positif ou sur un mode négatif.
L’expérience montre qu’une franche opposition au début de l’entretien est
féconde, dans la mesure où la dynamique qui s’engage va, à un moment ou à
un autre, provoquer un retournement en leur contraire des affects négatifs et
engager le transfert.
L’inquiétude maternelle est à l’origine de la démarche, malgré les
réticences paternelles. En vivant au quotidien avec sa fille, Mme F. s’est
rendue compte des bizarreries de Lucie. Et de plus, comme chez la plupart
des parents, les difficultés scolaires sont souvent le moteur conscient de la
consultation. Une fois entendue, la position parentale ouvrant ici à une
alliance thérapeutique probable – à la condition toutefois de pouvoir acquérir
une certaine adhésion paternelle à la démarche, à défaut d’une adhésion
certaine –, il importe de s’attacher à comprendre la position de l’ enfant et de
saisir son évolution tout au long de ces deux niveaux de l’entretien, en
présence de la mère et seule avec le clinicien.
Lucie est très à l’aise en entrant dans le bureau, s’installe confortablement
aux côtés de sa mère et prête une oreille attentive à ce qu’elle dit. Sa première
intervention montre à la fois un caractère affirmé et une préconception
personnelle de la solution du problème. Elle déclare que ses résultats seraient
excellents si elle le décidait. Et ce n’est pas seulement elle qui le croit, c’est
la maîtresse qui le dit ! Dans cette petite phrase, tout est contenu : la
consultation aux yeux de Lucie est inutile puisque la résolution des difficultés
du moment est une simple affaire de volonté. On est, à partir de là, en droit de
penser qu’elle va faire son possible pour mettre en échec cette nouvelle
tentative de mise en place d’une aide thérapeutique.
On constate néanmoins qu’à la fin de l’entretien, les lignes ont bougé pour
Lucie. Dans son dernier dessin, elle lance, de manière détournée, un vibrant
appel « Au secours ! Aidez-moi », aux prises qu’elle est avec ses démons
intérieurs. Demande expressément symbolisée, mais non encore
explicitement conscientisée. Lorsque le praticien lui propose de revenir, elle
répond qu’elle ne sait pas encore. Dans l’appareil psychique de l’ enfant, le
besoin d’une aide extérieure est vivement ressenti, mais il n’est pas encore
concrétisé en une demande explicite vis-à-vis de la présence d’un thérapeute.
Le « Je ne sais pas » de Lucie signifie le trouble dubitatif qui l’envahit après
s’être livrée tout au long des échanges, et on sent vaciller la ferme résolution
initiale de son refus. Cela nous engage à élucider le cheminement de Lucie et
à repérer ce qui a été déterminant dans l’évolution positive des échanges
engagés.
Mettons d’abord l’accent sur la vivacité d’esprit de Lucie. Certes, elle est
particulièrement marquée chez elle, mais il faut savoir qu’on touche à une
caractéristique propre à la période de latence. Vers 6-7 ans, l’ enfant déplace
son énergie psychique du pulsionnel au cognitif. Cette période est
contemporaine de l’émergence de la conscience de soi et de l’ouverture à
l’autre. Comme les enfants de son âge, et sûrement un peu plus qu’eux
compte tenu de sa conflictualité interne, Lucie investit la rationalité et les
processus de pensée.
Si l’on s’en tenait restrictivement à la dénomination pure et simple des
symptômes, on passerait complètement à côté de la véritable problématique
de cette enfant. Manque de concentration, évasion dans l’ imaginaire et
instabilité, tout converge pour classer Lucie à l’intérieur de ce fameux
désordre décrit par le DSM comme la conjonction entre le déficit d’ attention
et l’hyperactivité. Les troubles de Lucie ne relèvent absolument pas d’une
telle typologie réductrice, mais ils sont la résultante d’un conflit entre les
instances psychiques, en lien avec une réalité traumatique cumulative. Les
deux malheurs qui ont frappé consécutivement Lucie l’ont contrainte à des
aménagements défensifs et à une redistribution de ses investissements. La
mort brutale du grand-père et, l’année suivante, la survenue effective du
divorce parental, jusque-là seulement redouté. De tels événements ont des
effets perturbateurs sur l’ enfant, mais entraînent aussi chez lui une précocité
maturative.
Lucie s’évade dans son monde pour se protéger des agressions du monde
extérieur et en particulier de la violence des adultes. Elle se construit une
enveloppe de rêverie à l’intérieur de laquelle elle s’épanouit comme la grande
fleur du dessin qu’elle réalise, pendant que sa mère expose les difficultés de
sa fille et étale les griefs qu’elle a envers elle. Elle semble ainsi dire à sa mère
et au psychologue : « Causez toujours, moi je n’en ai rien à faire, je me
développe toute seule dans ma bulle et je n’ai besoin de personne ».
Cependant, cette défense n’est que partielle et Lucie n’a nullement rompu
avec la réalité extérieure. Elle y puise au contraire tous les éléments pour
nourrir son activité de pensée. Cette activité est même surinvestie chez elle
pour faire face aux attaques venant, cette fois, du dedans.
En privilégiant l’exercice du penser, Lucie mobilise le clivage et l’
idéalisation. Elle profite de la liberté que lui laisse le clinicien pour lui faire
entrevoir les dilemmes qui l’agitent. La fleur est réellement épanouie, mais
elle est confrontée à une alternative difficile, partagée entre l’ange et la bête.
D’un côté, elle est attirée par la douceur angélique qu’elle porte en elle et
qu’elle voudrait entièrement réaliser et, de l’autre, elle se sent possédée par la
force maléfique de son démon intérieur. D’autre part, Lucie se forge un
modèle idéal pour faire face à l’incommunicabilité persistante dans le cadre
familial qui est le sien. Pour pallier les risques de guerre entre les familles
décomposées, elle invente à ses fins propres une véritable utopie, le monde
du nom unique, seul moyen selon elle d’éviter la différence et l’altérité qui
engendrent forcément violence et souffrance.
Ses préoccupations de petite fille sont brisées, comme cette poupée dont
elle se saisit un instant pour constater qu’elle a perdu son énergie propre et
qu’elle repose sans chercher à jouer avec. Lucie s’est prise au jeu de ses
constructions internes clivées en bien et mal et ne peut s’autoriser encore au
jeu qui lui permettrait de se déprendre du sérieux des souffrances qui
l’assaillent. Entre Dieu et le Diable, qui choisir ? Face à ces questionnements
vitaux, Lucie est très éloignée des soucis des fillettes de son âge, ainsi que
des perspectives strictement scolaires. Tant qu’elle n’aura pas dépassé son
recours défensif aux constructions idéales, elle ne pourra se consacrer
pleinement aux tâches quotidiennes et aux investissements cognitifs de base.
Peu à peu, les interventions ouvertes et incitatives du clinicien la
conduisent à l’ expression graphique et verbale de son problème actuel : le
cauchemar récurrent de l’enfer. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un
cauchemar, mais d’un scénario imaginaire qui fonctionne comme une hantise
et qui vient perturber continument son endormissement. On y trouve les
prémices d’une construction fantasmatique et Lucie se montre parfaitement
capable d’en rendre compte par le dessin et la parole. La maîtrise graphique
dont elle fait preuve signe le surinvestissement des domaines affectif et
cognitif. Qu’est-ce que cette famille de diables lui fait payer tous les soirs en
la mettant dans les flammes ? Tout se passe comme si elle devait se purifier
des fautes commises. La culpabilité inconsciente qui l’agite paraît trouver ici
une expression appropriée. Elle se sentirait en partie coupable de la mort de
son grand-père et du divorce de ses parents. Étant une enfant impossible,
ayant des comportements insupportables, elle ne pourrait ainsi qu’engendrer
le malheur et doit, à présent, payer le prix de sa propre méchanceté.
Voilà une hypothèse centrale que seul pourrait valider et développer un
suivi psychothérapique. En tout cas, les qualités expressives et la capacité de
communication de l’ enfant laissent augurer de l’issue favorable d’une prise
en charge de ce type.
CHAPITRE 7
L’ENTRETIEN
AVEC L’ ADOLESCENT
Bernard Chouvier
1. DÉPENDANCE ET AUTONOMIE
2. LA QUÊTE DE L’IDENTITÉ SEXUELLE
3. TRAUMATOPHILIE ET CONDUITES ORDALIQUES
4. L’IDÉALITÉ ET LE GROUPE
5. LA PRISE EN CHARGE ET LES LIEUX INSTITUTIONNELS
6. SITUATION CLINIQUE

C onduire l’entretien avec un adolescent est rendu difficile par le fait que
le clinicien se trouve confronté à une situation d’entre-deux qui génère à la
fois incertitude et instabilité. Les repères habituels de la rencontre clinique
sont mis à mal et les réactions du jeune homme ou de la jeune fille qu’il a en
face de lui restent le plus souvent imprévisibles. Jamais la question de la
surprise et le besoin de créativité ne sont aussi décisifs que dans ce type
d’entretien. Pas de technique appropriée, pas d’expérience qui tienne, la seule
chose qu’exige l’ adolescent est d’entrer en contact avec quelqu’un qui ne
soit rien d’autre que lui-même et surtout qui n’attende rien de lui. Toute
règle, toute consigne sont entendues par lui comme un nouveau carcan qu’on
cherche à lui imposer, bien que sa demande implicite, non encore
conscientisée, soit d’être cadré par un adulte digne de ce nom en qui il a l’
intuition de pouvoir faire totalement confiance. Ce paradoxe est au cœur de la
relation avec l’ adolescent et il n’en finit pas de se décliner sous des formes
toujours renouvelées, au cours du développement des liens qui peu à peu
s’instaurent.

1. D ÉPENDANCE ET AUTONOMIE
Le premier problème qui se pose à l’ adolescent est celui de son
autonomisation. Plus il avance en âge et plus il a besoin de se sentir libre aux
entournures. La présence parentale devient un poids d’autant plus lourd à
porter que la dépendance à son égard – dépendance économique et sociale –
est une réalité incontournable. Ne se sentant pas libre de ses mouvements, l’
adolescent a tendance à avoir des réactions vives et brutales. Son rêve d’
autonomie est constamment attaqué par le retour des réalités quotidiennes. Et
son désir de se sentir libre est d’autant plus puissant que son environnement
lui paraît inamovible. Si rien ne bouge autour de lui et si rien ne semble
pouvoir bouger, l’ adolescent risque de ne pas voir d’autres issues que la fuite
ou la transgression violente. Entre sa volonté de changement et son sentiment
d’inéluctabilité de ce qui est autour de lui, l’écart ne peut se réduire que par
l’apprentissage de la temporisation et de la temporalisation. Trouver des
étapes progressives pour que ça change et savoir user du temps comme
moyen d’action.
L’ adolescent ne supporte plus la présence de l’enfant en lui et tente de
s’en défaire, de façon plus ou moins radicale, en luttant notamment contre la
dépendance parentale. Il vit comme un dilemme ses restes d’enfance qui font
face à des exigences d’adulte déjà fortement installées en lui. La régression à
l’enfance est douce et agréable, mais en prendre conscience est si douloureux
qu’il est parfois nécessaire de poser un acte fort pour s’en déprendre et rendre
impossible le retour en arrière. Compte tenu de ces difficultés et de ces
risques d’impasse, la demande de l’ adolescent a beaucoup de mal à émerger.
Soit il est contraint et il se mure dans la passivité, soit il est actif mais rien ne
le satisfait. D’où les ratés et les malentendus qui ne manquent pas de
survenir, avant que ne s’instaure une relation de confiance, stable et durable.
Myriam, 14 ans, vient au CMP en compagnie de sa mère. Le collège exige
qu’elle rencontre un psychologue car elle se montre très agressive envers ses
camarades. La mère est excédée par les comportements de sa fille et lui
rappelle la menace d’exclusion qui a été signifiée par le principal. Myriam
refuse de coopérer et reste indifférente. Elle est au fait de tout ce qui lui est
reproché, mais n’a rien à en dire de particulier. Restée seule avec le clinicien,
elle se bute et se ferme à toute communication réelle. Elle n’est pour rien
dans ce qui se passe, ce sont les autres qui la « cherchent ». Elle frappe pour
se défendre, c’est elle « la victime », il n’y a rien d’autre à dire. Devant la
position défensive de l’adolescente et la mise en place d’une projection
massive, l’entretien reste sans effet, le clinicien ne peut constater que le refus
et en prendre acte. Il sait que l’ouverture qu’il propose reste bien aléatoire et
qu’il n’y a que très peu de chances que Myriam revienne de son propre chef.
On ne peut pas dire non plus qu’il y ait, dans le cas présent, de support
parental à la demande. Les parents se soumettent à l’exigence de l’institution
scolaire sans se poser de questions particulières sur leur enfant ou sur le
fonctionnement familial. Devant une telle fermeture du côté de l’adolescente,
comme du côté parental, l’approche clinique est sans prise et la parole n’est
pas en mesure de s’instaurer. Ce n’est peut-être qu’à la suite d’un nouveau
passage à l’acte et d’une exclusion du collège qu’une prise de conscience
pourra avoir lieu et qu’une aide pourra être acceptée par Myriam et souhaitée
par sa famille.
Laura, 14 ans, se rend seule à la consultation du CMP. Elle vient d’entrer
en Terminale et suit une scolarité brillante. Élancée et mince, toute vêtue de
noir, elle s’exprime simplement et avec aisance. Son souci, explique-t-elle au
clinicien, est qu’elle n’est plus capable de suivre ses entraînements de
natation. Dès qu’elle est dans l’eau de la piscine, elle a une sensation de froid
persistante qui l’empêche, même au bout d’un certain temps, de nager. La
situation est devenue très pénible, d’autant que la natation correspond pour
elle à un besoin vital. Très vite, elle est agacée par les questions du clinicien
qui lui semblent être des diversions. Il n’y a rien à dire sur sa famille, sur ses
relations amicales, « tout va bien » dans sa vie. Son seul ennui est cette
sensation de froid qui bloque sa vie sportive. Évidemment qu’elle en a parlé à
son médecin, mais il n’a rien compris, se contentant de lui dire de manger
plus. Alors elle pense qu’un psychologue, lui au moins, doit avoir des
solutions. Devant l’invite à parler qui lui est faite, elle hausse les épaules et
prend des airs condescendants, comme si le clinicien était à ses yeux aussi
incompétent que le médecin. Au troisième entretien, elle part en claquant la
porte, disant que, décidément, son père avait raison de dire que les psy ne
servaient à rien. Tout se passe comme si elle avait besoin de confirmer l’avis
paternel pour se conforter dans sa toute-puissance narcissique et s’enfermer
un peu plus dans sa logique anorexique.
Dans le cas de Laura, comme dans celui de Myriam, l’échec de la
rencontre repose sur une non-explicitation possible du besoin d’aide pourtant
présent et pressant dans les deux situations. Chacune persiste dans son
symptôme, sans être en mesure de mettre à profit l’opportunité qui lui est
offerte. La première, Myriam, résiste parce que le choix lui est imposé de
l’extérieur et la seconde, Laura, vient de sa propre initiative mais refuse
d’approfondir son problème, de peur de perdre le contrôle de la situation. La
première est prête à aller jusqu’au bout de sa logique persécutoire, tandis que
la seconde est décidée à ne rien céder pour maintenir son hypercontrôle
phallique. Position passive d’un côté et position active de l’autre se
rejoignent pour conduire au risque d’enkystement du symptôme. Seul un
événement extérieur ou une rencontre imprévisible est en mesure d’ouvrir des
perspectives de changement.
Une autre situation emblématique de l’adolescence est celle de l’
inhibition. Le repli sur soi défensif a pour fonction de préserver le soi fragile
de l’ adolescent, menacé aussi bien par les attaques du monde extérieur que
par les motions pulsionnelles incontrôlables venant de l’intérieur. L’
adolescent se rétracte, resserre au maximum son rapport à l’autre, afin de ne
donner aucune prise à l’ affect et surtout afin de ne pas être effracté.
L’hémorragie narcissique est le risque majeur encouru.
L’ adolescent inhibé ne s’oppose ni n’acquiesce à ce qu’on lui propose. Il
est en retrait, tantôt passif, tantôt ailleurs. Il s’ingénie, quoi qu’il arrive à
épuiser les bonnes volontés et, au bout du parcours, les parents se résignent à
consulter un psychologue pour pouvoir se dire qu’ils ont tout essayé en vain,
sous-entendant par avance que le clinicien ne saurait réussir là où tant
d’autres ont échoué avant lui.
L’ adolescent inhibé répète inlassablement un « je ne sais pas » qui finit
par conduire à une dépressivité inquiétante, si le clinicien ne parvient pas au
final à trouver un objet d’intérêt susceptible d’éveiller son attention. La
solution de la dernière chance est souvent la bonne, car l’ adolescent se rend
alors compte, et seulement à ce moment-là, qu’il risque de perdre la
sollicitude de la dernière personne qui s’intéresse encore à lui. La tentative de
suicide s’inscrit dans une logique de cette nature, qui aspire à une idéalisation
de la communication, sans pour autant renoncer à une autocentration
imaginaire. La pérennité du cadre et la permanence de l’ objet face aux
attaques transférentielles deviennent les garants du suivi thérapeutique.

2. LA QUÊTE DE L’ IDENTITÉ SEXUELLE


L’état de crise est consubstantiel à l’état d’adolescence. Perpétuellement
entre deux situations, entre l’ enfant et l’adulte, entre l’amour et la haine,
entre l’ idéal et la vie concrète, entre l’isolement et le groupe, entre l’ascèse et
l’excès, l’ adolescent ne sait se vivre autrement qu’en crise. Constamment en
balance entre deux choix, l’oscillation est son lot quotidien, ne sachant jamais
de quoi demain sera fait pour lui et espérant sans cesse que du nouveau
survienne afin d’échapper à la hantise d’une routine installée.
Le premier bouleversement subi est de nature physiologique. La puberté
arrive comme un véritable cataclysme dans la vie de l’ enfant qui se croyait à
jamais installé dans cette position de dépendance tranquille et insouciante.
D’un coup, la petite fille découvre sa féminité et le petit garçon apprend qu’il
peut engendrer. Les signes secondaires de la sexualité apparaissent sur leur
corps et deviennent visibles par tous. Le pubertaire est né, il n’est plus un
enfant, mais pas encore un adulte (Ph. Gutton, 2003).
Cette explosion hormonale a des effets psychiques considérables que l’
adolescent a souvent beaucoup de mal à gérer. Il lui faut apprivoiser ce
nouveau corps et s’accoutumer à l’image que lui renvoie autrui et qui est en
complet décalage avec celle qu’il s’est forgé jusqu’ici.
Bérénice a 13 ans. Elle arrive en colère chez la psychologue qui la suit
depuis quelques mois pour des difficultés relationnelles avec son entourage.
Elle se plaint en disant qu’en venant au centre de consultation, tout le monde
la regardait dans la rue. Effectivement, elle arbore ce jour-là une coiffure qui
ne passe pas inaperçue : des cheveux teints en rouge et hérissés comme une
crête de coq. Tout se passe comme si elle déplaçait sur l’extérieur son malaise
interne. Maintenant que chacun peut voir quelque chose de son mal-être, elle
se sent le droit d’exprimer ses sentiments négatifs contre les autres. Un tel
retournement est caractéristique de la position défensive adolescente : mettre
au dehors sa différence pour pouvoir l’assumer.
Ce qui rendait Bérénice mal à l’aise, c’était également le regard des
hommes sur elle. Avoir un corps désirable la renvoyait à une sexualité adulte
non encore maîtrisée. Avec les métamorphoses de la puberté, l’ adolescent se
trouve confronté à la réalisation possible de l’inceste. Il est donc amené à
mettre en place des stratégies nouvelles au secours du refoulement (F. Marty,
2003). Certaines marques de violence vis-à-vis de l’un ou l’autre des parents
sont souvent à comprendre dans ce sens et non comme des signes
d’agressivité pure.
Se détacher des parents est une étape nécessaire dans l’évolution de l’
adolescent. D’où l’intérêt d’évaluer son degré d’ autonomie lors des premiers
entretiens. S’il est en mesure de parler librement du lien à son père et à sa
mère, il est capable d’entreprendre un travail sur lui-même et de mettre en
place une quête identitaire authentique au cours d’une relation thérapeutique.
La question du choix d’objet et de l’ identification est au cœur de cette
démarche (Freud, 1905). Selon une stricte lignée œdipienne, l’ adolescent
cherche ses modèles identificatoires du côté du parent de même sexe et il
choisit l’ objet libidinal du côté du parent de sexe opposé. Mais ce serait
oublier la dimension de la bisexualité psychique que de se limiter à ce
premier niveau (J. Mac Dougall, 1982). L’ identité sexuelle n’est pas donnée
d’emblée, elle se construit tout au long du processus d’adolescence. Les
expériences de chacun sont décisives à ce niveau et viennent confirmer ou
infirmer les choix initiaux hérités du conflit œdipien.

3. TRAUMATOPHILIE ET CONDUITES
ORDALIQUES
Le traumatisme occupe une place importante dans la vie adolescente. Qu’il
en manifeste ou non le désir, qu’il affiche ou non sa volonté de se confronter
aux difficultés, l’ adolescent est attiré par le danger, comme le papillon est
attiré par la flamme. Mettre à l’épreuve ce nouveau corps avec lequel il a du
mal à se familiariser, se brûler les ailes pour mieux se sentir vivre, mais aussi
pour trouver une voie parmi toutes celles qui lui sont proposées et dont il ne
sait laquelle lui convient. La traumatophilie est ce besoin d’un choc salutaire,
cette recherche de la blessure psychique, seule capable de révéler au soi les
valeurs réelles de l’expérience vitale (J. Guillaumin, 2001). En se confrontant
à la dureté du monde et à la réalité des autres, l’ adolescent fait l’épreuve de
la castration et perd ses rêves de toute-puissance. Et les épreuves successives
rencontrées l’aident à amorcer le deuil de l’enfance, deuil indépassable mais
qui reste au cœur du processus de maturation.
Dans les sociétés traditionnelles, le passage de l’enfance à l’âge adulte est
marqué par les rituels initiatiques. La jeune fille est préparée à la sexualité
génitale et à la maternité par le groupe des femmes, alors que le garçon est
accueilli chez les hommes après une série d’épreuves mettant en avant sa
virilité. Aujourd’hui, dans nos sociétés, les rites d’initiation sont dilués dans
le corps social et manquent de repères aisément identifiables. De plus, le
contexte socio-économique tend à renforcer la dépendance réelle vis-à-vis
des parents et à prolonger la situation d’adolescence. De ce fait, il devient
plus difficile d’accéder à l’ autonomie psychique. Les conduites ordaliques
s’inscrivent dans la perspective de la traumatophilie. Prendre des risques,
aller aux extrêmes pour quitter le familier et le routinier. Paradoxalement,
rester dans le cocon familial revient à mourir et flirter avec la mort équivaut à
vivre. La vie est du côté des émotions fortes et de l’extraordinaire, l’ordinaire
étant assimilé au mortifère.
On comprend ainsi combien l’ adolescent est attiré par la transgression de
l’interdit. Passer de l’autre côté de la frontière, c’est s’aventurer dans une
zone qui n’est plus balisée et où l’impression de liberté est garantie. La
question à ce niveau est de savoir où se situe la limite de tolérance, jusqu’où
l’ adolescent est prêt à aller pour éprouver ses propres limites et, en premier
lieu, ses limites corporelles. Au-delà d’un certain seuil, on passe de
l’expérience adolescente à la psychopathologie (D. Marcelli et A. Braconnier,
2008).
Un certain contact avec la drogue, s’il est occasionnel et limité, relève d’un
besoin de libération et non d’une tendance toxicomane. Il est le déclencheur
d’un bouleversement nécessaire dans l’économie familiale au terme duquel l’
adolescent est amené à changer de statut. Il a déjà changé physiquement, le
plus difficile est d’amener les parents à reconnaître qu’il a changé
psychiquement et que les places à l’intérieur de la famille doivent être
redistribuées. Si l’occasion du choc traumatique lié au passage à l’acte n’est
pas saisie, la situation risque de perdurer et de conduire à un engrenage
pathologique. On peut cependant constater des situations qui deviennent de
plus en plus critiques. Ainsi par exemple au collège, lorsque des adolescents
s’alcoolisent de façon massive aux intercours. De paris en provocations, ils
en viennent à des intoxications majeures dont la réversibilité devient
problématique. Par contre, certaines intoxications légères sont liées à des
situations groupales et relèvent d’un désir de convivialité assimilé à la
consommation de certains produits.
Pierre, 14 ans, vient consulter avec sa mère pour un problème de
concentration en cours. Il vient d’entrer en classe de troisième et les parents
s’inquiètent devant un effondrement de ses résultats scolaires à mi-parcours
du premier trimestre. Resté seul avec le psychologue, Pierre lui explique qu’il
n’arrive plus à suivre en classe car il a l’esprit embrumé par l’alcool. Avec
deux de ses camarades, ils jouent à celui qui boira le plus. Ils en sont venus à
avaler une bouteille de pastis à tous les trois, à la récréation de 10 heures.
L’adolescent sent qu’il est parvenu à un seuil critique et il est soulagé de
s’être confié au psychologue. Mais comment se sortir du piège à présent ?
Arrêter est relativement facile si la motivation est présente, mais il importe en
même temps de réfléchir sur ce qui a conduit Pierre à ce besoin soudain
d’évasion. Pierre a eu peur parce qu’il a vu une fois son copain sombrer dans
le délire. Il accepte de parler à ses parents et de débuter une psychothérapie.
Parfois, l’alerte est plus spectaculaire et l’ adolescent ne prend conscience
du problème qu’il traverse qu’à la suite d’un risque létal. Une tentative de
suicide, un accident survenu à la suite d’une conduite extrême, ou un passage
à l’acte de nature délinquante sont autant d’événements dramatiques qui sont,
en même temps, significatifs d’un seuil franchi, d’une borne atteinte. Ainsi
« la répétition des agirs stigmatise les défaillances structurales primaires,
entrave le processus de formation identitaire et enferme l’ adolescent, en
panne de désir, dans un mode d’ expression symptomatique marqué par la
rupture » (Y. Morhain, 2009). Quand de tels actes peuvent être appréhendés
comme l’opportunité d’une mise en sens, l’ adolescent parvient à les intégrer
psychiquement et à les saisir comme une étape maturative de son évolution
vers l’état adulte. Ces épisodes tumultueux ne sont plus compris comme des
passages à l’acte, mais comme des passages par l’acte (R. Roussillon, 1991)
et ils sont à considérer comme des moments cruciaux du processus d’
appropriation subjective (F. Richard, S. Wainrib et coll., 2006).
Certains épisodes psychotiques sont de même nature et ne préjugent en
rien d’une évolution pathologique. Ils présentent en soi une allure inquiétante
et peut-être ont-ils à jouer ce rôle auprès du couple parental, mais ils
débouchent le plus souvent, s’ils sont entendus et traités de manière
satisfaisante, sur une maturation qui les intègre comme un temps d’
historisation. Les moments difficiles et critiques de l’adolescence prennent
place peu à peu dans leur histoire, en même temps qu’ils prennent sens dans
un contexte œdipien. Les blessures se cicatrisent comme des marques de
limitation et de castration qui ouvrent au champ des possibles, par-delà les
rêves et les utopies.

4. L’IDÉALITÉ ET LE GROUPE
Le temps de l’adolescence est le temps de la rébellion et de la révolte. Bien
qu’il ne sache pas précisément contre qui ou contre quoi, l’ adolescent ressent
l’impérieux besoin de s’opposer. Soit il va s’en prendre au monde entier, soit
il va exercer une animosité plus ou moins marquée envers tous ceux qui sont
responsables, entièrement ou en partie, de ce qui arrive ou de ce qui lui
arrive. Cette étape du refus n’est pas sans rappeler l’opposition
caractéristique de l’entrée dans le stade sadique-anal décrit par Freud en
1905. Elle en est comme la résurgence plus ou moins explosive selon le
contexte familial et social, qui met en continuité et en corrélation le rapport à
l’autorité et l’affirmation de soi. Pour ne pas se sentir nié, pour faire face aux
exigences pulsionnelles de plus en plus pressantes et à l’impression de
contraintes externes trop lourdes et trop restrictives, l’ adolescent a envie
d’attaquer les limites et d’imposer sa propre norme, en un mot de mettre le
monde à sa mesure.
L’environnement œdipien règle l’apparition et l’évolution du conflit
adolescent. En fonction des résistances ou des tolérances, l’ adolescent se
détermine et se construit. Si les règles sont trop fortes, il les combat, si elles
manquent, il les cherche. Quoi qu’il en soit, sa quête identitaire nécessite une
confrontation réelle à la loi, c’est-à-dire à cette limite qui est commune à tous
et qui relève du symbolique (J. Lacan, 1953).
Marie, 16 ans, est hospitalisée à la suite d’une overdose dans une boîte de
nuit où elle s’était rendue avec des amis plus âgés. Très vite, elle relate son
histoire à la psychologue qui la reçoit en entretien. Ses parents, très libéraux,
lui ont offert la possibilité de vivre indépendante dès qu’elle a eu ses 15 ans.
Elle s’est alors installée seule dans un studio proche du domicile familial. « À
partir de ce moment-là, dit-elle, j’ai commencé à avoir de mauvaises
fréquentations ». Se sentant partir à la dérive, elle s’est mise à « faire
n’importe quoi ».
Au second entretien, elle vient en compagnie de son père. Celui-ci est très
prolixe et lui répète combien il l’aime. Avec sa mère et ses frères, ils ont
décidé de la reprendre à la maison et de « vivre comme avant ». Mais, à sa
grande surprise, Marie ne lui répond pas et se tourne vers la psychologue
pour lui exprimer avec insistance son souhait d’aller vivre en pension, dans
un lycée éloigné de sa ville natale.
Marie a fait la douloureuse expérience d’un arbitraire sans limites qui l’a
conduite à une impasse dangereuse. Elle ressent à présent l’impérieuse
nécessité d’un cadre extérieur contraignant afin de construire sa propre
subjectivité et de restaurer son soi défaillant dans une sécurité retrouvée.
Paradoxalement, la distance géographique va lui permettre de recouvrer la
proximité avec la cellule familiale, à l’intérieur d’un processus de
différenciation.
L’idéalité est une autre constante de la recherche adolescente. Et la
tendance à l’ idéalisation est d’autant plus forte que la fécalisation du monde
environnant est appuyée. Pour échapper à toutes les compromissions – pour
ne pas dire les corruptions – qu’il constate autour de lui, l’ adolescent se crée
un refuge dans l’ utopie. Enfin un îlot de pureté et de fraternité. Avec la
reconstruction utopique, l’ adolescent peut renouer avec ses rêves. Une étape
est franchie avec l’engagement et la militance. L’indignation ne suffit pas à
apaiser le sentiment d’injustice engendré par la vision de l’inégalité et
exacerbé par le cynisme des puissants. Le désir de changement est vain s’il
ne débouche pas sur une mise en œuvre active de l’ idéal affiché.
L’humanitaire et l’altermondialisme sont des voies aujourd’hui recherchées,
mais l’engagement peut aussi être religieux ou politique. L’ adolescent
cherche dans l’action un moyen de réduire l’écart insoutenable entre ce qui
devrait être et ce qui est réellement observé. Le risque à ce niveau est la
tentation des extrêmes qui peut conduire les plus exaltés jusqu’au fanatisme
(B. Chouvier, 2009). Pour calmer ses angoisses ou pour combler sa solitude,
l’ adolescent se laisse alors séduire par des groupes extrémistes qui lui
promettent le bonheur individuel grâce à une harmonie solidaire entre les
humains. Le groupe sectaire est le modèle de ce type de mouvement. L’
adolescent entre en « servitude volontaire » pour recevoir en échange l’amour
du leader charismatique du groupe et la chaleureuse affection des frères et des
sœurs qui composent la communauté. L’attente et l’espérance sont si grandes
que toute déception menace d’amener à une fin tragique. Ainsi ce jeune
homme inscrit dans une secte d’inspiration macrobiotique qui, au terme d’un
désenchantement de nature mélancolique, vient se pendre dans la maison
familiale avec le lasso offert par son père (R. Ikor, 1981).
Sur le plan politico-religieux, celui qu’on a appelé « le taliban américain »
est un cas exemplaire. Face au laxisme parental et à un désillusionnement
croissant des valeurs familiales, l’ adolescent se réfugie dans une croyance
religieuse de plus en plus exigeante. Aveuglé par les sommations de son
intégrisme, il est entraîné dans une dérive sectaire qui le conduit à adhérer à
Al-Qaida et à passer à l’action terroriste.
L’ idéalisation extrême, on le constate, va de pair avec la participation à
des groupes extrémistes. Il est un fait que le besoin chez l’ adolescent de
refaire le monde est concomitant du besoin de se regrouper. Conscient de sa
fragilité et des incertitudes qui pèsent sur son avenir, il est avide à la fois de
certitude et de solidarité.
La métaphore des hérissons, selon A. Schopenhauer (1818), est ici
particulièrement judicieuse. Les adolescents sont comme les hérissons : seuls,
ils ont froid, alors ils ont tendance à se resserrer en groupe pour trouver un
peu de chaleur. Mais, lorsqu’ils sont trop près les uns des autres, ils se
piquent mutuellement et alors ils s’éloignent, jusqu’à ce que le froid de la
solitude les contraigne à se rassembler encore. Ce nouveau paradoxe
implique une instabilité caractéristique du malaise interne que traverse la
subjectivité adolescente et qu’il lui est nécessaire d’éprouver afin de trouver
la bonne distance entre le soi propre et l’autre, étranger mais indispensable à
la survie subjective.
L’ adolescent s’appuie sur un groupe de pairs dans le but de se sentir plus
fort, mais aussi pour se démarquer le plus possible du monde des adultes,
dont le modèle est le milieu parental. Langage à soi et mode vestimentaire
sont deux paramètres essentiels d’une telle appartenance différenciatrice.
Cependant la violence pulsionnelle ne s’exerce pas exclusivement sur le
monde parental. Elle trouve aussi une expression dans la résurgence de la
rivalité fratrique déportée sur les autres groupes de pairs. Les clans, les
bandes fleurissent autour d’identifiants clairement repérables, tels
l’accoutrement vestimentaire et les choix musicaux. Les adolescents
reproduisent de la sorte et à leur manière les divisions et les clivages qui sont
ceux des regroupements idéologiques entre adultes.

5. LA PRISE EN CHARGE ET LES LIEUX


INSTITUTIONNELS
Comme nous venons de le voir, l’ adolescent demande à être entendu dans
sa spécificité et une place à part doit lui être réservée dans la compréhension
du fonctionnement psychique. Cette évidence a mis longtemps à s’imposer
dans le champ du soin. Soit était mis en avant un type de pathologie ou de
handicap sans tenir compte de la différence adolescente, soit l’adolescence
était réduite à n’être que l’étape ultime de l’enfance ou le premier temps de
l’âge adulte. Ce n’est que depuis quelques années que des services spécialisés
se sont créés pour assurer la prise en charge des adolescents nécessitant un
soin.
Les premiers centres spécialisés pour l’adolescence sont apparus pour
prendre en charge ceux qui souffraient de toxicomanie. Puis, peu à peu,
d’autres services se sont consacrés exclusivement aux pathologies
adolescentes dont en particulier les anorexies mentales. Des lieux
expérimentaux se sont mis en place dans certaines régions de France. Ensuite,
ces expériences pilotes se sont étendues. À l’hôpital général, les services de
pédiatrie se sont diversifiés et des services réservés à l’ accueil des
adolescents ont été développés. De même, dans les hôpitaux psychiatriques,
des unités d’ accueil d’ adolescents psychotiques et état limites ont vu le jour.
Ont de plus été créés des centres autonomes proposant l’écoute des
adolescents et leur prise en charge, comme les Maisons des adolescents, par
exemple. Toutes ces initiatives, individuelles et collectives, concourent à
reconnaître la nécessité impérative de consacrer une attention sociale et
psychologique soutenue à la souffrance adolescente, d’autant que dans cette
population, la cause majeure la mortalité est le suicide.

6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS THOMAS
Thomas est un adolescent de 15 ans, pas très grand et un peu fluet. Il vient
à la consultation accompagné par son père, un homme d’une cinquantaine
d’années à la poignée de main ferme et volontaire. Monsieur S. tend une
lettre au clinicien.
M. S. : Une lettre de la part de mon médecin de famille.
Psy : Dites-moi ce dont il s’agit.
M. S. : En principe, tout est écrit là-dedans…
Psy : Je préfère que vous m’expliquiez de vive-voix et que peut-être votre
fils puisse dire lui-même ce qui…
M. S. : Ce qui m’inquiète par rapport à mon fils, c’est que depuis des
années, il a été racketté et que son bulletin scolaire a chuté. Il a été réorienté
dans un autre collège parce qu’il est passé en conseil de discipline.
Psy : En conseil de discipline… Pour quelle raison ?
M. S. : J’ai posé des questions à Thomas. Je lui ai demandé : « Est-ce que
tu fumes ? ». Il m’a répondu : « Oui, mais que du tabac ». Il a vu le médecin
de famille à ma demande. Thomas lui a dit qu’il avait fumé du haschich, mais
que maintenant il n’aimait plus. Mais quand je vais dans sa chambre, ça sent
l’eucalyptus. Une fois, ma femme m’a dit de venir voir la fenêtre de Thomas
et j’ai vu, dans les rainures, des mégots. Une autre fois, je suis rentré et il y
avait une odeur incroyable d’eucalyptus. J’ai encore trouvé des mégots. Il
m’a dit que c’était du tabac et puis du cannabis. Des fois même, j’ai retrouvé
mon paquet de cigarettes vide !
Psy : Vous pourriez dire à Thomas ce que vous attendez de lui ?
M. S. : Écoute Thomas, tu as 15 ans, je vais jouer franc-jeu avec toi. Tu as
reçu deux claques dans ta vie. La première parce que tu as mangé dehors sans
me prévenir et que j’étais angoissé. Et la deuxième fois parce que tu as fumé.
Simplement Thomas, quand je dis blanc, c’est blanc et ce n’est pas noir.
Psy : Votre père vous parlait peut-être comme ça…
M. S. : Oh moi, j’ai eu une adolescence facile. Mon père était représentant
de commerce et je le voyais seulement deux heures tous les quinze jours au
début. Après, j’ai récupéré beaucoup de choses avec lui. À 15 ans, j’ai
commencé à sortir avec mon père. On allait à la pêche ensemble, on faisait
plein de choses.
Psy : Et toi Thomas, tu fais des choses avec ton père ?
Thomas : Oui, on va à la pêche, on va au ciné…
M. S. : Ma femme me dit : « Comment veux-tu que Thomas arrête de
fumer, si toi tu fumes ? ». Mais moi, je sais pourquoi j’ai commencé de
fumer. C’était pour être comme mon père, pour être grand. Lui, il est
incapable de dire pourquoi.
Psy : C’est vrai Thomas ?
Thomas : Oui, je sais pas… J’ai essayé une fois, puis j’ai réessayé…
M. S. : Thomas est très influençable, il fume depuis qu’il est avec son
copain François… Thomas, tu sais, en tant que père, je t’aime. Tu es mon
fils. Moi, c’est une chose que l’on ne m’a jamais dite. Je m’inquiète
beaucoup pour toi… Un jour, mon père m’a donné une claque, mais j’étais
plus jeune. Le tabac à 15 ans, c’est trop tôt, après c’est difficile… Moi, j’ai
fait une crise d’asthme et j’en souffre encore aujourd’hui.
Psy : Quelle solution vous voyez au problème ?
M. S. : C’est mon épouse qui a fait la demande ici au CMP. Moi avant,
j’avais téléphoné à une association où l’on m’a dit : « Monsieur, avez-vous
déjà dit je t’aime à votre fils ? »
M. S. se lève, se dirige vers son fils et le prend dans ses bras en disant :
« Thomas, je t’aime, je t’aime ! ». Thomas se raidit dans une attitude un peu
honteuse.
M. S. : Pour moi, on fait des enfants parce qu’on les aime, pas pour les
haïr…
Thomas s’est à nouveau assis, reste les yeux dans le vague et semble
absent.
Psy : Vous pensez que c’est un manque d’amour…
M. S. : Depuis que je suis au chômage, c’est moi qui m’occupe de
Thomas, car ma femme rentre tard du fait de son métier. Pendant des années,
j’ai pris le martinet pour faire obéir Thomas, mais ça me faisait souffrir…
Aujourd’hui, est-ce qu’il vaut mieux jouer le jeu de la carotte ? De toute
façon, je refuse que Thomas sorte le soir. J’ai peur qu’il fume.
Psy : Il fume, semble-t-il, déjà dans sa chambre.
M. S. : Je voudrais qu’il arrête. À l’association, on m’a dit de signer un
contrat avec lui.
Psy : Tu es d’accord, Thomas ?
Thomas : Je sais pas…
M. S. : Je le signerai aussi… (Silence).
Psy : Vous craignez des séquelles pour Thomas s’il continue de fumer ?
M. S. : Moi je suis devenu asthmatique du jour au lendemain, quand mon
père est mort. Ça a été un choc émotionnel, j’étais très proche de lui. J’ai
seulement appris après que lui aussi avait de l’asthme. Il ne m’en avait jamais
parlé.
Psy : C’était à quelle époque ?
M. S. : C’était il y a 15 ans.
Thomas : J’étais né ?
M. S. : Tu devais avoir à peine un mois…
Thomas : Moi aussi, maintenant, je fais de l’asthme.
M. S. : On a même été obligé de l’hospitaliser une fois quand il avait
13 ans. Il a été mis sous oxygène.
Psy : Fumer et avoir de l’asthme, chez vous c’est une affaire de famille.
Thomas regarde son père en souriant.
M. S. : C’est bizarre, je n’y avais pas pensé !
Psy : Thomas, nous pourrions peut-être revenir sur le contrat dont parlait
tout à l’heure ton père.
Thomas : Moi je veux bien, mais je ne sais pas trop ce que ça veut dire.
Psy : Serais-tu d’accord pour revenir en parler ici ?
Thomas : Il faudrait que ma mère soit là aussi…
M. S. : Ce sera difficile. Tu sais bien qu’en journée elle est prise par son
travail.
Psy : Je crois que Thomas a raison. Il est important que votre femme
puisse venir.
M. S. : Alors on va s’arranger.

6.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


L’entretien avec Thomas et son père met en lumière de nombreux aspects
de la problématique adolescente et, en premier lieu, la question de l’
autonomie. On voit combien Thomas a du mal à assumer sa nouvelle place
dans le cadre familial. Il se montre comme un garçon velléitaire qui cherche à
sortir de son inhibition en posant des actes. Il tente d’abord de se détacher de
l’ emprise parentale en sortant avec ses amis et ensuite en s’évadant par le
recours au tabac et au cannabis. Dans les deux cas, le père répond par un acte
autoritaire qui ne fait que rigidifier le conflit, dans la mesure où aucune
parole ne vient permettre l’ expression du malaise de Thomas. L’ interdit du
père ne fait qu’enkyster les troubles et envenimer la situation, puisque
Thomas se met en échec dans ses études, se replie sur lui-même et menace de
s’enfermer dans l’ addiction.
Il est significatif que Thomas vienne consulter avec son père. Tout se passe
comme si la mère avait eu l’ intuition que le problème était inhérent à la
relation entre le fils et le père, les symptômes du fils venant réactiver les parts
non élaborées de l’histoire paternelle. C’est elle qui prend le rendez-vous et
s’arrange pour que ce soit le père qui accompagne Thomas.
Monsieur S. se montre assez démuni face au désarroi de l’ adolescent. Il
essaie de réagir, mais de manière désordonnée et surtout sans parvenir à
s’impliquer authentiquement lui-même. Le contact initial avec le clinicien est
à cet égard révélateur. Le père cherche d’emblée à faire intervenir entre eux
une autre autorité, celle du médecin de famille. « En principe, tout est écrit là-
dedans ». Il a besoin de se retrancher derrière la parole d’un autre,
certainement d’un substitut paternel, lui-même étant englué dans une relation
adolescente en miroir avec son propre fils. Le recours au discours de
l’association d’aide qu’il a consultée plaide dans le sens de cette hypothèse.
Le psychologue permet de recentrer l’entretien sur la parole propre du père,
en refusant de passer par l’intermédiaire de la lettre. Cette intervention est
décisive car elle rétablit l’axe directeur de la relation de filiation père-fils, qui
peut aussi apparaître comme la dimension centrale pour accéder à la
compréhension de la complexité de la situation.
M. S. résiste un temps, puis accepte de se lancer, non sans maladresse,
mais avec une sincérité non feinte qui va permettre de faire évoluer les
choses. Au cœur de son inquiétude, il évoque d’abord une question ancienne
qui ne sera pas reprise par la suite, mais dont on ne saurait négliger
l’importance : le racket. Dans sa théorie spontanée, c’est parce que Thomas
ne sait pas se défendre qu’il a des problèmes. Sa nature chétive est à l’origine
de ses difficultés. Du coup, les résultats scolaires se sont effondrés et cet
échec est un déclencheur pour tenter de sortir de l’impasse. Mais pour quelles
raisons Thomas a-t-il été exclu de son collège ? M. S. élude la question et ne
donne pas les raisons énoncées par le conseil de discipline. Mais au fond, ce
qu’il évoque, en enchaînant de façon associative, est beaucoup plus important
que toute raison objective.
« Est-ce que tu fumes ? ». Tout tourne autour de cette question de l’acte de
fumer. La première préoccupation de M. S. relève de l’ objet : mais que fume
donc son fils ? Du tabac oui, mais aussi du haschich, du cannabis ? Et
pourtant, l’odeur dominante est l’eucalyptus. L’expression du père de
Thomas est confuse, car il vit une confusion interne qui perturbe beaucoup
son jugement. En premier lieu, un impératif moral : « On ne doit pas fumer à
15 ans », et la sanction corporelle immédiate, la gifle. L’ adolescent doit
comprendre et se soumettre à l’ interdit paternel. Mais très vite, les choses se
compliquent et M. S. perd ses repères. La mère de Thomas s’en mêle,
l’accuse et le met devant l’évidence de la transgression qui ne se limite plus à
l’usage de tabac. Et, à son tour, le collège se manifeste avec l’exclusion de
Thomas. M. S. est dépassé par les événements et essaie de sauver la face
devant son épouse et son fils. Il s’étaye sur une instance compétente,
l’association, pour tâcher de restaurer sa fonction paternelle.
Cette démarche reste vaine, car le noyau actif du conflit relationnel est
celui de l’ identification. Dès que le clinicien invite M. S. à parler de sa
propre adolescence, la perspective se renverse. Fumer est comme un rite
initiatique qui permet de passer du côté des grands. M. S. est prêt à le
reconnaître pour lui et à trouver un sens à son propre tabagisme, mais il le
refuse à son fils, sous prétexte de précocité. Mais le conflit ne se limite pas à
sa forme classique œdipienne, il prend une dimension plus régressive qui met
en jeu la destructivité.
L’intoxication tabagique se complique d’une pathologie asthmatique.
Thomas a fait, il y a deux ans de cela, une grave crise d’asthme qui a
nécessité une hospitalisation. Malgré cette affection importante, il s’est mis à
fumer et à entrer dans un symptôme toxicomaniaque qui s’avère d’autant plus
dangereux pour lui qu’il a déjà un problème pulmonaire.
Au tournant décisif de l’entretien, le père relate l’événement traumatique
qui confère une dimension transgénérationnelle à la situation. Le choc de la
mort de son propre père déclenche chez lui la pathologie asthmatique, juste
après la naissance de Thomas. On est en droit de faire l’hypothèse d’une
présence fantomatique dans les conduites de Thomas. Tout se passe comme
si une répétition morbide se mettait en place dans la transmission, à partir du
deuil non élaboré par le père de Thomas. Le grand-père S. perpétue sa
mémoire négative à travers l’aggravation des difficultés physiques et
psychiques chez Thomas.
La présence du clinicien a permis de médiatiser la relation entre Thomas et
son père. Ce dernier commence par appliquer de façon maladroite et plaquée
l’injonction d’amour préconisée par l’association consultée. Certes l’intention
est bonne, mais la réalisation quelque peu artificielle. M. S. profite de la
présence d’un tiers pour dramatiser sa déclaration d’amour à Thomas, ce qui
produit un sentiment de honte chez l’ adolescent et de gêne chez le
psychologue. L’effet de mise en spectacle de tels conseils, malgré parfois
quelques phénomènes réactionnels positifs immédiats, reste superficiel du fait
de leur caractère factice. Par contre, lorsque M. S. commence à parler de ses
propres émotions et du choc traumatique qu’a été pour lui la mort de son
père, Thomas sort de sa léthargie et montre de l’ attention à l’égard de la
situation, en cherchant un mode d’ implication : il demande à son père s’il
était né à ce moment crucial de l’histoire familiale. Et il manifeste un affect
positif lorsque le clinicien insiste sur la filiation de symptômes comme mode
de transmission générationnelle de la famille S.
À partir de là, semble-t-il, le rapport père-fils est en mesure de se
« détoxiquer ». Les efforts appuyés du père pour créer du lien avec Thomas,
restés jusqu’ici vains, vont pouvoir être féconds car reposant désormais sur
une réalité psychique partagée.
Après quelques entretiens familiaux au cours desquels la mère a pris une
part très active, Thomas a entrepris un suivi psychothérapique individuel qui
lui a permis de s’ouvrir aux autres et de lever les inhibitions qui risquaient de
le conduire vers un enfermement addictif.
CHAPITRE 8
L’ENTRETIEN CLINIQUE
ET LA PSYCHOTHÉRAPIE
DE L’ADOLESCENT
Thomas Rabeyron
1. PROCESSUS DE L’ADOLESCENCE EN SOUFFRANCE
2. L’AMÉNAGEMENT DU CADRE
3. PRINCIPES DE L’ENTRETIEN PSYCHOTHÉRAPIQUE
4. SITUATION CLINIQUE

1. PROCESSUS DE L’ADOLESCENCE
EN SOUFFRANCE
L’entretien clinique avec l’adolescent nous confronte à un certain nombre
de difficultés aussi bien sur le plan de la pratique que de la théorie, comme
vient de le souligner Bernard Chouvier. La clinique adolescente « extrémise »
pratique et théorie, elle « chauffe à blanc », sous le coup des processus
pubertaires (P. Gutton, 1991), les remaniements de la réalité psychique.
L’adolescence est en effet l’occasion d’une reprise et d’un déploiement des
zones de fragilités antérieures et des échecs dans la maturation de ce qui n’a
pu être expérimenté auparavant. Des parties de soi non intégrées font donc
retour dans « le processus de subjectivation » (R. Cahn, 1997). Celles-ci
pourront concerner une remise « en jeu »/en « je » (R. Roussillon, 2008) de
l’ensemble des « strates » de la psyché, l’adolescence produisant ainsi un
effet « grossissant » sur les logiques de symbolisation dans leur ensemble. Ce
nouvel « organisateur psychique » (E. Kestemberg, 1962) reprend donc les
problématiques infantiles demeurées en suspens et relance leurs potentialités
dont le pendant est la situation de « crise » dans laquelle se trouve
l’adolescent.
Les éléments archaïques et préœdipiens trouveront ainsi à s’exprimer à
travers la « part bébé du soi » (A. Ciccone, 2012) qui fera retour à la faveur
des processus pubertaires. Ernest Jones (1922) rappelait ainsi que
« l’adolescent est plus près du premier âge que de la seconde enfance ». En
témoignent les états de « fusion » dans lesquels peuvent se trouver
fréquemment les adolescents avec leurs parents, leurs pairs, leurs amours ou
leurs idoles. Les fondements primaires du fonctionnement psychique
deviennent à nouveau transformables, donnant lieu à l’expression de haines
primitives inexplorées et de logiques de clivage et d’idéalisation
caractéristiques de la position schizo-paranoïde (M. Klein, 1946). La
rencontre avec la sexualité gardera de la même manière l’empreinte des
relations primaires, Freud (1905) soulignant que « trouver l’objet sexuel n’est
en somme que le retrouver ». Ces retrouvailles avec le corps à corps primaire,
complexifiées par la génitalité et de nouvelles logiques du désir, se feront
avec plus ou moins de facilité. Elles viendront notamment questionner
l’homosexualité primaire et la bisexualité psychique invoquées de fait dans la
rencontre amoureuse.
Les logiques infantiles de l’organisation œdipienne sont ainsi resignifiées
dans l’après-coup adolescent et la cohérence de la structuration psychique se
doit de résister à la pulsionnalité : « c’est comme si l’on mettait du vin
nouveau dans de vieilles outres » nous dit Winnicott (1962), qui rappelle
ainsi que l’appareil psychique se trouve mis à rude épreuve sous le coup des
processus pubertaires. Le trouvé-créé adolescent du corps de l’autre se fait
alors de manière plus ou moins harmonieuse selon la capacité à transformer
les identifications parentales en de nouveaux objets d’investissement. Ceux-ci
se doivent d’être paradoxalement suffisamment identiques et différents pour
maintenir le sentiment de continuité d’existence et permettre la construction
d’une identité originale dans la rencontre avec l’autre.
L’adolescent se confronte aussi à ce qui ne lui appartient pas toujours
directement. Il se heurte alors fréquemment au fait qu’il révèle, à son insu, le
fonctionnement familial non symbolisé. Il remet alors malgré lui sur le devant
de la « scène pubertaire » (P. Gutton, 1991) les éléments familiaux et
transgénérationnels inélaborés, produisant parfois en retour un effet de
saisissement chez des parents qui réagissent de manière défensive, en
stigmatisant l’adolescent dont la fonction miroir est difficilement intégrable.
Mais la période de turbulence familiale parfois induite par l’adolescence peut
aussi s’avérer l’occasion, pour les parents, de réélaborer ce qui de leur propre
histoire n’a pu être transformé. L’adolescence apparaît ainsi comme une
période de transformation qui transcende la sphère individuelle et convoque
nécessairement la groupalité psychique.
Face à l’ensemble de ces remaniements, l’adolescent est un être fragile
aussi bien sur le plan narcissique qu’identitaire. L’appareil psychique du
pubère se doit en effet de prendre le relais de l’appareil psychique parental,
non sans heurts. Face à ce travail psychique d’émancipation, l’adolescent
traverse des phases de régression et de repli souvent marquées par l’ennui et
la morosité (P. Mâle, 1971), fruits d’un refus d’investir un monde inquiétant.
Il pourra s’agir à l’inverse d’un hyper-investissement du monde environnant
mettant davantage à l’œuvre les défenses maniaques. Cet investissement
trouvera en particulier à s’exprimer à travers le groupe et la tendance
antisociale (D. W. Winnicott, 1962). Le groupe permet à l’adolescent de se
sentir exister au travers du regard des autres et des expériences partagées et
mises en scène par ses membres. Les comportements extrêmes auxquels il
sera ainsi conduit seront fréquemment associés à certaines formes du
processus de symbolisation adolescent ne pouvant s’exprimer qu’aux limites.
Leur intégration dépendra alors de la qualité du répondant de
l’environnement (D. W. Winnicott, 1956).
Ainsi, ces différentes solutions adolescentes ne seront pas, de par leur
nature même, sans présenter un certain nombre de risques dans ce travail
délicat d’appropriation et de différenciation de soi. La toxicomanie, les
troubles alimentaires, la crise dépressive (A. Braconnier, 1986), les passages
à l’acte marqués par la violence (P. Jeammet, 1997), la dérive idéologique
(B. Chouvier, 1996), les tentatives de suicide, voire, en dernier lieu, les
défenses psychotiques (R. Cahn, 1985) seront différentes formes de réactions
dans le but de se protéger de la souffrance intense ressentie par l’adolescent.
Les évolutions sociales et culturelles viendront également colorer ces
solutions qui ont aussi pour fonction d’interroger la société dans laquelle les
adolescents évoluent. L’usage actuel du virtuel (Facebook, Snapchat, etc.)
complexifie et catalyse ces processus dans un monde truffé d’informations et
de miroirs potentiels. Les solutions trouvées semblent parfois d’autant plus
extrêmes, à l’image du binge drinking ou des research chemicals 1, dans une
recherche effrénée de soi et de ses limites. Il s’agit alors pour une société
d’être en mesure de contenir et d’accepter que ceux qui sont amenés à la
composer aient ainsi besoin de s’écarter de la norme, ce qui s’avère parfois
complexe lorsqu’elle vise à prévenir tout risque potentiel. Le clinicien est
alors celui que l’on vient trouver lorsque la souffrance de l’adolescent et de
ceux qui l’entourent se fait trop grande ou trop bruyante dans le champ
social.

2. L’AMÉNAGEMENT DU CADRE
Ces processus adolescents nécessitent un certain nombre d’aménagements
du cadre clinique. On remarquera tout d’abord une double logique qui n’est
pas toujours simple à manier. Chez un certain nombre de patients adultes, il
s’agit d’aider le sujet à se remettre en contact avec les éléments de sa vie
psychique non intégrés qui le font souffrir. L’adolescent est confronté à la
même problématique, mais celle- ci se double d’un trop plein de réel qui
l’envahit. Il s’agit donc tout à la fois de permettre l’émergence des processus
de symbolisation mais également de les contenir de sorte qu’ils ne deviennent
pas effractants. Ceci explique probablement pourquoi, comme le souligne
Pierre Mâle (1971), l’entretien avec l’adolescent tient davantage du
dialogue que de l’association libre. Pour la même raison, même si les
opinions diffèrent sur ce point, il peut arriver qu’il soit nécessaire – hormis
dans des situations de crise aiguë – de ne pas recevoir de manière trop
rapprochée l’adolescent afin de lui laisser le temps de digérer les entretiens.
Ceux-ci proposeront un environnement suffisamment tempéré. Le risque
est, sinon, de se trouver confronté à l’« adolescent glaçon », coupé de son
vécu, ou à l’« adolescent huître » qui se renferme dès qu’il entrevoit sa
dynamique psychique inconsciente, qui le dépasse autant qu’elle l’inquiète.
La marge de manœuvre du clinicien est d’autant plus réduite que le risque est
grand de perdre le fil de l’alliance thérapeutique, donnant lieu parfois à une
fin prématurée de suivi, comme l’a également souligné Bernard Chouvier. Le
premier contact est souvent essentiel de ce point de vue. Il s’agit de n’être
soi-même ni trop chaud, ni trop froid, une sorte de médium malléable bien
tempéré (M. Milner, 1955) qui agit tout autant comme surface de projection
que comme contenant pour la psyché adolescente. Le tact a également son
importance, d’autant plus qu’il implique souvent une temporalité courte
auprès de l’adolescent qui nécessite une réponse du tac au tac.
Je pense par exemple à cette adolescente, Élodie, que je vois en première
consultation avec sa mère. Hospitalisée suite à des scarifications et des
conduites à risque, les tentatives précédentes de prise en charge individuelles
se sont rapidement révélées un échec. Les parents, eux-mêmes suivis tant leur
souffrance et leur incompréhension sont grandes, sont très inquiets pour leur
fille, qui est sur le point d’être déscolarisée. Quand je vois Élodie seule après
un premier temps en présence de sa mère, l’ambiance est lourde : j’ai le
sentiment qu’elle me fusille du regard et que le moindre mot que je pourrais
dire sera d’emblée voué aux gémonies.
Les situations de ce type ne sont pas rares et nécessitent de la part du
clinicien une capacité à rentrer rapidement en contact avec l’adolescent au
risque de ne pouvoir engager un travail thérapeutique. Il s’agit alors de
respecter l’écosystème psychique de l’adolescent en acceptant son désir de
parler ou non ainsi que son mode d’expression privilégié. En ce sens, il
convient souvent d’être aussi peu directif que possible de manière à se
présenter comme un adulte dont le positionnement est différent de ceux qu’il
peut avoir l’habitude de côtoyer : un adulte non menaçant, qui ne lui promet
et ne lui demande rien, un adulte qui pourra peut-être porter sur lui un regard
différent de celui que lui portent ceux qui l’entourent habituellement. Il
convient ainsi, dès les premiers temps de l’entretien, de se décaler de la
position de l’adulte-éducateur. L’adolescent côtoie en effet fréquemment des
adultes qui lui disent ce qu’il doit faire, qu’il s’agisse de ses parents ou de ses
enseignants. Il faut donc dissiper d’emblée certains malentendus qui
pourraient grever l’alliance thérapeutique. La reprise des règles habituelles du
secret, une explicitation claire du cadre thérapeutique ainsi qu’une grande
malléabilité sont alors essentielles, en particulier en début de suivi. Dans le
même registre, on notera qu’un certain nombre de représentations ou de
fantasmes plus ou moins étranges concernant le clinicien – qui s’occupe des
« fous », qui pourrait lire dans les pensées – pourraient également compliquer
le début du travail psychothérapique s’ils ne sont pas débusqués rapidement.
Il convient aussi de parvenir à se décaler, au moins en partie, de la figure
caricaturale du vieux dans la psyché adolescente en montrant que l’on saisit
suffisamment son univers pour pouvoir s’y glisser sans trop le déranger. Il est
parfois utile d’être un Nebenmensch (S. Freud, 1895), un proche, qui connaît
suffisamment la production artistique d’un Justin Bieber, les personnages de
League of Legend ou la dernière saison de Breaking Bad.
Mais il convient tout autant d’être vigilant concernant l’alliance
thérapeutique avec les parents. Il est essentiel de ne pas donner l’impression
de prendre parti en trouvant une position tierce qui ne vienne renforcer ni les
défenses des parents, ni celles de l’adolescent. C’est souvent de
l’internalisation de cette position par le clinicien que découlent des progrès
thérapeutiques lorsque les difficultés familiales sont au premier plan. Il s’agit
alors de créer une double alliance qui nécessite un certain nombre de
subtilités dans le positionnement clinique. De nombreux cas de figure
peuvent en effet se présenter à la suite du premier entretien. Le suivi pourra
s’orienter davantage vers une prise en charge individuelle de l’adolescent ou,
à l’inverse, impliquer uniquement les parents. Entre ces deux extrêmes, de
multiples nuances seront possibles : suivi familial avec le jeune et les parents,
suivi avec le jeune et l’un des deux parents, etc. Le cadre pourra également
être amené à évoluer au fil du suivi à condition de penser son incidence sur la
dynamique transférentielle. Cette malléabilité du cadre nécessite en
particulier une grande dextérité dans le maniement du secret et le respect de
l’intimité psychique de l’adolescent. Le sentiment d’être sur « le fil du
rasoir », réaction transférentielle au vécu adolescent, peut parfois faire
soudainement retour lors des entretiens, en particulier lors de ce subtil
maniement du cadre.

3. PRINCIPES DE L’ENTRETIEN
PSYCHOTHÉRAPIQUE
Le cœur même des entretiens avec l’adolescent nous confronte à un certain
nombre de questionnements sur le plan psychothérapique dont nous allons
aborder à présent quelques lignes de force. Il s’agit tout d’abord, comme nous
le rappelle Winnicott (1962), de saisir que l’adolescent « ne désire pas être
compris », au sens intellectuel du terme, ce que note aussi Jean Guillaumin
(1985) qui affirme « la priorité accordée par l’adolescence au vivre sur le
comprendre ». L’adolescence est moins le temps de la réflexivité que celui de
l’expérience. Il s’agit donc de l’accompagner dans le « pot au noir »
(D. W. Winnicott, 1962) de manière à l’aider à passer ce cap difficile. On
restera donc sur le pont avec lui durant les intempéries en attendant que
l’orage passe et on s’émerveillera de ses découvertes et de ses potentialités
lorsque se présentera une accalmie. On sera également à ses côtés dans sa
lutte pour se sentir réel, face à cette question fondamentale qui a traversé
chacun d’entre nous : « comment être adolescent au moment de
l’adolescence ? » (D. W. Winnicott, 1962). Vis-à-vis de « l’adolescent
caméléon », tantôt replié sur lui-même, tantôt exubérant, il convient alors de
ne pas chercher une solution pour lui mais avec lui, ce que Evelyne
Kestemberg (1962) résume ainsi : « Si l’adolescent cherche anxieusement sa
forme définitive et si le thérapeute doit l’aider à la trouver, il ne peut en
aucun cas se penser Pygmalion » (p. 324). Le danger est en effet de
reproduire dans la dynamique transférentielle ce qui fait souffrir
l’adolescent : être pris dans les rets de l’emprise et du désir de l’adulte.
Le contact au réel (J. Lacan, 1975) que recherche l’adolescent est d’autant
plus délicat qu’il se situe souvent dans un refus catégorique de fausses
solutions et de compromis aussi bien avec lui-même qu’avec le monde qui
l’entoure. Raison pour laquelle toute solution qui lui est proposée – ce qui
peut être tentant, si intense est parfois sa souffrance – risque d’être prise
d’emblée dans ce refus du compromis associé à une quête effrénée de vérité.
Je pense par exemple à ce jeune garçon de quinze ans que je reçois en
consultation, suite à un bilan cognitif mettant en évidence un quotient
intellectuel exceptionnellement élevé. Décalé par rapport aux adolescents de
son âge, il est envahi d’une grande tristesse, au point qu’il ne parvient plus à
se rendre au lycée. Il reste alors chez lui la journée durant et absorbe, telle
une éponge, tout ce qu’il peut trouver sur internet, cherchant manifestement à
juguler ainsi les angoisses existentielles qui l’assaillent : « Quel est le sens de
la vie ? Pourquoi meurt-on ? Qui suis-je ? » La « fausseté » du monde qu’il
découvre lui est insupportable et le conduit à un sentiment d’absurdité et de
futilité dont il ne parvient pas à se défaire, développant un profond sentiment
d’inutilité qui l’empêche de se projeter dans un futur possible. Cette
préoccupation pour le monde contraste avec le peu d’empathie qu’il éprouve
à l’égard de ses proches et de ses camarades. Il me fait ainsi l’effet d’être
désincarné, semblant fuir les dimensions agressives et sexuelles des
processus pubertaires par une forme d’« ascétisme » bien décrit par Anna
Freud (1958). Cette tentative de neutralisation du pubertaire conduit alors
bien souvent à la dépression car la pulsionnalité sous-jacente ne parvient pas
à s’exprimer convenablement, la colère se transformant progressivement en
une tristesse envahissante.
Ainsi, l’adolescent se trouve-t-il en difficulté de ne savoir comment
accéder à lui-même et il en devient par conséquent difficile d’accès pour les
autres. Il arrive ainsi fréquemment qu’un adolescent se présente en entretien
sans la capacité à entrer en relation avec autrui. Il est alors pris dans un
mouvement paradoxal d’appel à l’aide et de refus de toute aide potentielle,
fruit d’un écart narcissico-objectal et d’un antagonisme dans son rapport à
l’objet (P. Jeammet, 2002) qui donne lieu à un paradoxe que l’on peut
énoncer ainsi : « plus j’ai besoin de toi et plus je souhaite que tu te tiennes à
distance ; plus tu te tiens à distance et plus j’ai besoin de toi ». Lorsque la
relation devient trop intense, elle prend alors le risque d’être prise dans ce
paradoxe qui émerge à la faveur d’un certain degré d’intimité psychique.
L’adolescent a donc parfois besoin, en particulier en suivi individuel, de
pouvoir se dégager d’une relation qu’il pourrait considérer comme trop
proximale.
Prenons à ce propos l’exemple de cet autre adolescent qui régulièrement
me tutoie ou me pose des questions personnelles, semblant ainsi chercher à
briser le caractère asymétrique de la relation thérapeutique pouvant lui
paraître par trop menaçant. Peut-être pour la même raison se refuse-t-il
d’ailleurs, durant les premiers entretiens, à s’asseoir dans le fauteuil de
consultation, préférant se saisir de quelques feuilles de dessin et déambuler
dans le bureau, finissant par se réfugier contre la chaleur rassurante d’un
radiateur.
Les éléments du cadre sont alors essentiels de par leur caractère contenant
car ils aident l’adolescent à élaborer les parts les plus archaïques de sa
personnalité qui viennent s’y loger (J. Bleger, 1966). La contenance du
dispositif aura également une fonction de restauration en écho de la fragilité
narcissique adolescente. Cette contenance se doit d’être suffisamment sécure
pour lui permettre d’explorer son expérience interne par le biais de la
régression au service du moi. Les conditions sont alors réunies pour que
puisse se produire une métamorphose du moi (P. Blos, 1997), mettant en
scène « l’adolescent papillon » pour lequel le travail psychothérapique
devient une deuxième chance. Il convient ainsi d’accompagner cette
transformation sans chercher, une nouvelle fois, à trop la contraindre ou la
modeler. On ne demande pas à une chenille de voler, on l’aide à se protéger
dans l’espace rassurant du cocon. Ainsi, de la même manière que la chenille a
besoin de passer par une étape de désorganisation de sa structure antérieure,
l’adolescent doit pouvoir suffisamment régresser à certaines étapes de son
développement pour organiser la cohérence globale de son être adulte en
devenir. Mauses Laufer (1983) suppose en particulier que cette
métamorphose adolescente passe par une étape d’effondrement ( breakdown)
qui conduit à un transfert d’effondrement ( breakdown transference). Il s’agit
alors d’être en mesure de survivre aux attaques et au dénigrement qui peuvent
émerger au cours de la prise en charge, dont la dimension bifocale sera
parfois un moyen de tempérer les effets, en particulier en milieu institutionnel
(P. Jeammet, 2002).
Le dispositif doit ainsi permettre une certaine latitude pour l’expression
potentielle de mouvements de régression et d’agressivité afin d’éviter que ne
se reproduise à nouveau une contention, voire un retournement de
l’agressivité de l’adolescent contre lui-même. Il est en effet fréquent de
rencontrer des adolescents repliés sur eux-mêmes face à des réactions
inappropriées de l’environnement parental, celui-ci ne comprenant pas les
raisons pour lesquelles leur enfant, pourtant si adorable auparavant, devient
soudainement désagréable et inaccessible. Certains parents, ne sachant
comment réagir, tentent alors des logiques de rétorsions comme ce père qui
demande à son fils d’écrire des centaines de lignes dès lors qu’il devient
insolent, ou, à l’inverse, un rapprochement intrusif, comme cette mère qui
passe de longues heures auprès de sa fille jusqu’à tard dans la nuit, en
attendant que celle-ci lui livre tout et lui dise ce qui ne va pas. Les assises
narcissiques des parents sont elles-mêmes mises à rude épreuve durant cette
période et leurs propres inquiétudes se trouvent ici catalysées : « Suis-je et ai-
je été un bon parent ? Qu’ai-je donc raté dans l’éducation de mon enfant pour
en arriver là ? » La transformation adolescente est, de ce point de vue, une
transformation intersubjective à l’intersection des psychés adolescentes et
parentales, dans un processus de deuil de la position et de l’être de chacun
avant la crise pubertaire. L’adolescent cherche en particulier à tester la
solidité du cadre familial, et il est bien souvent dramatique pour lui que le
couple parental, parfois déjà fragilisé, pour d’autres raisons, ne résiste pas à
la flambée adolescente. La capacité des parents et des soignants à éprouver
une forme de haine dans le contre-transfert est souvent essentielle pour
permettre que ces mouvements agressifs puissent être en retour éprouvés et
transformés par l’adolescent dans la boucle intersubjective.
Il s’agit, là encore, d’accompagner et non de donner des solutions toutes
faites. Mais il convient aussi d’avoir à l’esprit que c’est parfois par le biais de
quelques préconisations et de conseils sur le cadre éducatif que peuvent
émerger de réels progrès sur le plan psychothérapique. Il s’agit ainsi de
limiter les empiétements réciproques, conséquences manifestes des logiques
latentes et incestuelles qui travaillent la psyché de l’adolescent et de ses
parents. Dans les cas les plus extrêmes, il paraît parfois nécessaire de séparer
les combattants, tant la conflictualité est intense. Seule une période de
séparation ouvrira la voie à une élaboration potentielle. L’internat permettra
alors parfois une accalmie nécessaire face à une situation devenue ingérable
et dont la complexité est peu propice aux processus de symbolisation. Il
arrive ainsi fréquemment que le seul moyen trouvé par certains adolescents
pour éviter la séparation psychique soit de développer une érotisation du
rapport conflictuel à ses parents, dont le bénéfice secondaire est un intérêt
quasi exclusif qui lui est porté et que l’on pourrait résumer ainsi : « À défaut
de pouvoir demeurer le petit enfant que j’étais et d’avoir toute ton attention,
je préfère troquer ton amour contre ta haine si celle-ci me permet de garder
un lien intime avec toi ». Je pense par exemple à cette mère aux cheveux
rouges flamboyants que son fils tentait par tous les moyens de provoquer
sous forme de différents passages à l’acte. Le père ne parvenait pas à
s’immiscer dans leur relation comme tiers séparateur et cela a nécessité en
dernier recours le passage par l’internat.
Régression et passage à l’acte sont ainsi deux polarités essentielles à
prendre en compte dans le cadre de la prise en charge des adolescents. Celles-
ci en viendront à s’actualiser par le biais des différents langages dont il faut
savoir reconnaître la spécificité, en particulier le « langage d’action »
(P. Blos, 1997) qui permet de transformer le passage à l’acte en passage par
l’acte (M. Mathieu, 1977 ; R. Roussillon, 1991). Jean Guillaumin (1985) a
également souligné l’appétence « traumatophilique » de l’adolescent.
L’adolescent recherche ainsi une sorte de « choc » avec le réel qui a valeur
d’organisateur : « Il s’agit de se débarrasser d’une vieille peau devenue
gênante et morte, cela au prix d’un certain effort et d’un minimum de
violence » (p. 132). L’élaboration des éléments archaïques et originaires de la
personnalité de l’adolescent nécessite ainsi le recours à l’acte, au corporel et à
la réalité externe. L’expression de la destructivité sera alors essentielle dans
l’appropriation subjective adolescente qui n’est pas sans évoquer à nouveau
le détruit-trouvé de la petite enfance (R. Roussillon, 1991).
Cette importance de la rencontre avec l’objet implique une attention
particulière à l’utilisation des médiations auprès de l’adolescent lorsque
l’associativité verbale semble insuffisante, aussi bien lors d’un suivi
individuel que dans le cadre d’un dispositif groupal. Par exemple, dans le cas
d’Élodie déjà évoqué – qui me fusille du regard lors de notre premier
entretien – je comprends rapidement que l’échange de parole va s’avérer
complexe. Suite à quelques tentatives avortées dans ce registre, je pense
spontanément à un jeu de photolangage et j’improvise le jeu suivant : je
dispose les images au sol et je lui suggère de choisir du regard les trois
images qui lui parlent le plus. De mon côté, je lui propose de faire de même,
si elle est d’accord, à partir de ce que j’ai perçu de ses difficultés et de
l’entretien qui vient de se dérouler en présence de sa mère. Nos choix
d’images se recouvriront suffisamment pour qu’un intérêt pour le dispositif
clinique puisse émerger chez cette jeune fille et qu’un suivi se mette en place.

4. SITUATION CLINIQUE
4.1. CANDICE ET LE LOUP
Je souhaiterais à présent livrer une brève illustration des processus abordés
jusqu’à présent par une situation clinique dans laquelle il m’a semblé
pertinent d’utiliser les rêves comme une forme de médiation. Cette situation
concerne Candice, une jeune fille de 15 ans et demi que je reçois pour un
premier entretien avec ses parents en Centre Médico-Psychologique. Cette
consultation a lieu à la demande aussi bien de la jeune fille que de ses
parents. Ces derniers décrivent leur inquiétude : leur fille semble mal dans sa
peau, communique très peu avec eux et préfère se réfugier dans sa chambre.
Il lui arrive également d’être prise au lycée d’une grande anxiété, associée à
une soudaine fatigue et à une forte envie de vomir, conduisant sa mère à venir
la chercher à l’infirmerie. Des difficultés sont également présentes à
l’endormissement et au cours de la nuit, sous forme de réveils nocturnes
fruits d’une angoisse sans image.
Lorsqu’elle est vue seule, Candice évoque un sentiment de malaise
généralisé, une certaine tristesse et un grand manque de confiance en elle.
Elle associe celui-ci à son « problème de poids » : elle souhaiterait « perdre
dix kilos » et se « sent grosse » 2. Elle pense constamment à ce sujet et ne
s’autorise par, par exemple, à se mettre en maillot de bain. Elle évoque
également quelques petites disputes avec sa mère et une certaine rivalité avec
sa sœur. Cette dernière est d’ailleurs décrite par ses parents comme étant une
« très bonne élève » et comme « n’ayant pas de problèmes de poids ».
Candice associe donc son stress au lycée à sa crainte de ne pas obtenir de
bons résultats. Elle évoque enfin, lors de ce premier entretien, une dispute
douloureuse avec sa meilleure amie, dispute qui s’est déroulée il y a quelques
mois de cela et qui concernait le petit copain de cette dernière.
À la séance suivante, Candice, qui est d’un bon contact et qui me semble
bien investir les entretiens, manifeste néanmoins quelques difficultés à parler
spontanément de ce qui la préoccupe et en reste à une description
relativement opératoire de son ressenti. Elle évoque cependant un rêve récent
qu’elle a fait depuis le premier entretien : « Je suis dans le bus, avec une
copine, elle vient se placer à côté de moi et je suis un peu surprise ». Elle
associe spontanément ce rêve avec un autre rêve « bizarre », datant de l’année
dernière, dans lequel elle était avec deux amies : « Il y avait des maisons, une
rue, et un immense loup qui nous poursuivait. On essayait de se cacher
derrière les maisons, j’étais seule ». Candice ne peut en dire davantage et
n’associe pas plus concernant ces rêves.
Ce rappel et cette description de rêves m’apparaissent alors comme une
voie d’accès à sa vie psychique et une possible médiation pour l’aider à
élaborer les difficultés qu’elle rencontre. Le rêve est en effet à la fois un objet
interne et externe à soi dans la mesure où, s’il est produit par la psyché, ses
causes et ses origines en demeurent mystérieuses. Le rêve est ainsi, lorsqu’il
n’est pas jugé trop intime par l’adolescent, un moyen de parler de soi de
manière suffisamment détournée. Il s’agit alors d’accueillir ces rêves avec
intérêt – en ouvrant sur les associations qui viennent spontanément – sans en
proposer une interprétation qui prendrait le risque de rendre ce matériel trop
chaud. Candice en viendra ainsi à évoquer spontanément durant les entretiens
certains de ses rêves, ceux-ci m’apparaissant alors comme une voie
privilégiée de transformation de son expérience subjective.
Les thématiques de ces premiers rêves (la présence d’une amie, la distance
à l’autre, le loup) feront ainsi retour lors de rêves rapportés au cours des
entretiens qui suivent : « Je suis avec un garçon que je ne connais pas bien,
on est sur une place, je ne me rappelle pas du reste ». Ou encore : « J’étais
dans un parc, avec des amis, et des amis de ma sœur. Elle faisait la tête. Il y
avait aussi l’ex-petit ami de ma sœur, je ne sais pas ce qu’il faisait là ». Un
premier travail de transformation semble alors opérer avec l’émergence de
figures masculines – déjà présentes sous forme du loup dans le premier rêve ?
– et plusieurs figures féminines (son amie, sa sœur). Candice exprime par
ailleurs en entretien la tristesse qui est la sienne de se sentir aussi « grosse »,
ce qui occupe toujours l’essentiel de ses pensées. Elle rapporte également
avoir tenté récemment d’aller courir en compagnie de sa mère car celle-ci
craint qu’il lui arrive quelque chose si elle reste seule. Mais alors qu’elle était
en train de courir, Candice a été prise soudainement d’une grande angoisse et
d’une envie de pleurer l’empêchant de respirer. Elle poursuit en évoquant son
inquiétude de devoir partir en camping l’été suivant, ce qui l’obligerait à se
mettre en maillot de bain…
Les entretiens continuent ainsi durant plusieurs mois, tous les quinze jours,
entretiens durant lesquels Candice évoque ses inquiétudes et ses doutes. Elle
en vient alors à raconter, durant une séance, plusieurs rêves d’une même nuit
qui me semblent particulièrement significatifs. Le premier d’entre eux se
déroule dans un supermarché : « Je suis au supermarché, la nuit, c’est fermé.
Je vois un homme, il y a un loup-garou, l’homme essaye de le tuer, il le
bouge pour voir s’il est mort et le loup lui saute dessus et le tue ». Puis, un
second rêve : « Je suis avec des amis dans la rue, un ami me demande s’il
pourrait sortir avec une amie à moi et me demande ce que j’en pense » et
enfin un troisième rêve, plus complexe : « Je suis avec ma famille – mes
parents et ma sœur –, on est dans un manoir, immense, sombre à l’intérieur,
ma sœur est à l’hôpital pour dormir. À l’hôpital, il y a eu un suicide, il y a des
morts et des gens ont écrit des choses sur les murs. Dans le manoir,
quelqu’un rentre et dit : “courez vite, il arrive !” J’ai peur. Une bête énorme,
un monstre, tout poilu, arrive. Il a une tête de femme normale. Je ne l’ai pas
vu tout de suite et je ne vois plus mes parents. Je vois une femme qui fait la
cuisine dans le manoir et la bête l’a vue aussi et se dirige vers elle ». Candice
rapporte alors s’être réveillée et suppose que « la femme a probablement tué
le monstre ». À la séance suivante, Candice décrit enfin un dernier rêve : « Je
faisais des gâteaux bizarres, mon père me regardait faire et ne disait rien ».
Après quelques mois de prise en charge, Candice me rapporte avoir fêté
son anniversaire avec ses amis et ses parents, ces derniers lui ayant offert à
cette occasion un pyjama, un parfum et de l’argent. Ses résultats scolaires
sont bons, elle dit moins penser à son corps et elle s’est inscrite dans un club
de fitness. Ses relations sont également plus apaisées avec ses parents et la
tristesse qui l’envahissait paraît avoir disparu. Après quelques séances durant
lesquelles nous constatons tous deux cette nette amélioration – confirmée par
un entretien réalisé trois mois plus tard pour faire le point –, nous décidons de
mettre un terme à ce suivi, qui aura duré environ sept mois et une quinzaine
de séances.

4.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


Il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution de ce travail psychothérapique et
sur la richesse des rêves rapportés par Candice. Je me bornerai ici à proposer
quelques éléments de réflexion permettant d’éclairer la thématique de
l’entretien auprès de l’adolescent. Les différents symptômes (angoisse, envie
de vomir, réveils nocturnes, préoccupation pour le poids et la scolarité)
soulignent d’emblée le travail psychique en souffrance. Candice ne semble
pas en mesure de digérer certains éléments de sa dynamique psychique.
Ceux-ci se traduisent par une angoisse et des symptômes corporels que l’on
peut considérer comme une première tentative de transformation de ce qui
l’anime inconsciemment. Candice semble alors partagée entre un désir
d’autonomisation et de mise à distance de ses parents (elle reste dans sa
chambre, leur parle peu) mais aussi de régression et d’étayage qui souligne
paradoxalement son manque d’autonomie (sa mère venant la chercher au
lycée). L’épisode de la course illustre ainsi de quelle manière cet étayage
parental (ainsi que la fantasmatique maternelle) semble en devenir par trop
étouffante.
Le premier entretien donne alors à voir trois thématiques qui se complètent
et viennent mettre en mots les difficultés de Candice : le poids, la rivalité
avec sa sœur et la dispute avec une amie. Ces trois thématiques apparaissent
comme les trois brins d’une même problématique pubertaire qui en vient à se
figurer et à se transformer par le biais de l’activité onirique partagée. Il est
possible de proposer comme hypothèse que les difficultés rencontrées par
Candice aient pour origine l’émergence de la féminité et de la sexualité au
cours du processus adolescent ainsi que la conflictualité psychique sous-
jacente. L’objectif des entretiens fut ainsi, notamment par le biais de ses
rêves, de l’aider à pouvoir jouer suffisamment avec cette conflictualité de
façon à ce qu’elle soit moins transférée sur la scène corporelle. La prise de
poids et les pensées récurrentes à ce sujet (qui l’empêchent, par exemple, de
se mettre en maillot de bain, c’est-à-dire de devenir l’objet d’un désir ou de
se mettre en position d’être désirée) permettraient ainsi de traiter de manière
indirecte la problématique inconsciente qui l’anime. La prise de poids aurait
une valence défensive, étant tout à la fois une protection et une barrière
envers son propre désir et le désir d’autrui. Elle permet aussi de gommer les
traces de la féminité et de mettre à distance une possible relation amoureuse.
Toute tentative pour perdre du poids – comme le fait d’aller courir – sera
d’ailleurs mise en échec.
Ainsi, ce vertex (W. R. Bion, 1965) permet-il de penser l’évolution des
différents rêves au cours des entretiens. Le premier rêve (antérieur au suivi)
met-il en scène cet immense loup (objet de crainte, mais aussi de désir) qui
les poursuit, elle et ses amies ? Ce rêve du loup est invoqué par cette
rencontre-surprise avec une amie qui interroge peut-être aussi la bisexualité
psychique et la constitution future d’un objet amoureux dans le cadre
« contenant » du bus qui met en exergue un registre davantage maternel. Le
loup se transforme par la suite en un garçon rencontré de manière fugace dans
un espace public – la place – qui permet ainsi de figurer une première
expression du désir tout en évitant un cadre laissant libre cours à son
expression. Ainsi, en veut-elle à celles qui s’autorisent ce désir, qu’il s’agisse
de son amie (avec qui elle s’est disputée au sujet de son petit copain) mais
aussi de sa sœur dont le petit ami est convié au rêve suivant. Peut-être
Candice souhaiterait-elle, elle aussi, pouvoir se promener dans un parc avec
un garçon ?
Le rêve du supermarché semble alors mettre en exergue un conflit entre
l’imago masculine effrayante (le loup) et l’objet amoureux possible
(l’homme), le premier prenant cependant le dessus sur le second. Le rêve de
l’ami qui demande à « sortir » avec l’une de ses amies paraît alors davantage
humaniser le désir amoureux, celui-ci restant cependant à distance, s’agissant
d’une demande déposée auprès d’une autre et qui souligne aussi la jalousie
potentielle (se met-elle en position de refuser cette demande, ce qu’elle n’a
pu effectuer dans la réalité concernant son amie ?) . Le rêve du manoir – rêve
d’ailleurs relativement fréquent chez les adolescents 3 – syncrétise les
différentes thématiques travaillées jusqu’alors. Débarrassée de sa sœur (le
suicide à l’hôpital ?) , l’« énorme monstre poilu » (symbole du phallus ?) à
tête de femme (symbolisant la bisexualité ?) les poursuit, elle et ses parents,
avant d’être mis en pièce dans le fantasme. Le dernier rêve des gâteaux – qui
semble la suite logique du loup qui attaque une « femme qui fait la
cuisine » – pourrait alors être interprété comme l’accès à une position
féminine et œdipienne sans que le père n’ait quelque chose à redire.
Ce que l’on peut ainsi saisir par bribes du processus protéiforme qui anime
Candice semble se transformer de sorte qu’elle parvient à sortir de l’échec
scolaire, de l’angoisse et à investir réellement le projet de perte de poids. Le
cap difficile semble passé et la défense par l’excès pondéral ne paraît plus
nécessaire à mesure que les processus de symbolisation opèrent dans l’ombre.
On notera également avec intérêt les cadeaux offerts par ses parents – le
pyjama et le parfum – qui semblent cristalliser dimension enfantine et
séduction, interrogeant en miroir l’élaboration des problématiques
adolescentes dans la psyché parentale. Dans le cas présent, il m’a néanmoins
semblé pertinent de suivre cette adolescente en individuel de manière à ce
qu’elle puisse s’approprier une problématique synonyme d’émancipation. De
ce point de vue, on pourra également remarquer que la dynamique
transférentielle fut probablement un levier important, s’agissant d’une jeune
adolescente qui parvient à raconter ses rêves à un psychologue homme. Ce
partage d’intimité, dans le cadre sécure des entretiens, a peut-être aussi aidé
Candice à l’internalisation d’une imago masculine qui soit moins menaçante.
Enfin, si François Marty (2005) souligne qu’une adolescence réussie permet
de conserver vivant l’enfant en soi, on peut aussi espérer que l’avenir de
Candice vienne illustrer, en suivant Alfred de Vigny, comment « une vie
réussie est un rêve d’adolescent réalisé dans l’âge mûr ».
CHAPITRE 9
L’ENTRETIEN
AVEC L’ADOLESCENT
AUX PRISES AVEC
SA VIOLENCE
ET LA VIOLENCE
DE L’ENVIRONNEMENT
Angélique Gozlan
1. L’AGIR ADOLESCENT
2. L’ADOLESCENT ET LA VIOLENCE DE L’ENVIRONNEMENT
3. LA DESTRUCTIVITÉ DU CADRE DE L’ENTRETIEN
4. PROCESSUS PSYCHIQUES EN JEU DANS LA RELATION
TRANSFÉRO-CONTRE-TRANSFÉRENTIELLE
5. LA VICTIMISATION DE L’ADOLESCENT EN SITUATION DE
VIOLENCE
6. POUR UNE CRÉATIVITÉ DANS LA VIOLENCE

« Il est essentiel et vital de comprendre que l’acte antisocial exprime un


espoir, car il arrive souvent qu’on laisse ce moment d’espoir se perdre ou se
gâcher par intolérance ou parce qu’on ne prend pas les choses en main
comme il convient. »
D.W. Winnicott
INTRODUCTION
L’adolescent face à la violence évoque tout d’abord la violence de la
poussée pubertaire faite au corps de l’enfant et la nécessité impérieuse du
remaniement psychique propre à ce moment. Advient alors un moment
d’incertitude, de perte de repères, d’incompréhension de soi et du monde qui
l’entoure. Ce moment adolescent apparaît souvent comme un « passage
d’existence » certes difficile mais contenu par un environnement stable et
sécurisant. Lorsque l’environnement de l’adolescent ne peut contenir ce
débordement pulsionnel et ce remaniement identitaire, l’adolescent se trouve
dans un hors-limite qui peut faire place à des comportements empreints d’une
grande violence faite à l’autre mais toujours, finalement, faite à soi. Il est ici,
peut-être plus que dans d’autres situations cliniques, important d’entendre
l’articulation de l’environnement avec la souffrance de l’adolescent qui
s’exprime par l’agir violent et au sein d’un environnement dont la teneur
destructrice a été ou est toujours existante.
Parler de l’adolescent aux prises avec la violence implique à mon sens
d’évoquer deux points de vue : celui dit de l’agresseur et celui dit de la
victime. L’entretien clinique selon l’une ou l’autre de ces subjectivités mises
en avant ne se conduira pas de la même façon. Une des raisons
fondamentales est que très souvent, l’adolescent victime de violence est
demandeur d’un espace thérapeutique, alors que l’adolescent dit agresseur ne
l’est pas. Ce dernier, se présentera en général au centre de consultations avec
ses parents, souvent désemparés, ou sans parents, à la suite d’un conseil de
discipline, d’une exclusion définitive, ou encore d’un acte qui a impliqué une
action en justice et une injonction de soin. Dans ce dernier cas, il sera
accompagné par les éducateurs en charge de son dossier. La question qui se
pose à nous est alors : comment rencontrer l’adolescent dans un tel contexte,
empreint d’une violence agie.

1. L’AGIR ADOLESCENT
La violence de l’adolescent est souvent pensée à travers le prisme des
pathologies de l’agir. L’agir, en ce moment adolescent, symbolise l’Être sujet
(S. Lesourd, 2001). Certes, selon S. Lesourd, l’agir adolescent apparaît
comme un passage nécessaire pour remanier son positionnement face à son
désir et à ses fantasmes œdipiens. Par l’agir, l’adolescent trouve un moyen de
se représenter aux yeux des autres tout en posant une vérité sur ce qu’il est.
P. Jeammet note que l’agir adolescent advient lorsque l’appareil psychique
est débordé par l’ensemble des modifications pubertaires (physiologique,
psychique, environnementale). Il permet de réguler la distance avec autrui
(P. Jeammet, 1995). Il indique également que l’activité subordonnée à ces
comportements contrecarre le vécu de passivité de l’adolescent face aux
changements corporels et psychiques qui lui échappent. Dans cette
perspective, l’agir apparaît comme une défense contre la dépression. Mais,
pour certains adolescents, l’agir est plus qu’une modalité d’affirmation de sa
subjectivité ou encore le signe d’un processus adolescent en cours
d’accomplissement. Il devient une modalité de l’être-sujet, de sa souffrance,
voire de sa détresse. Winnicott (1956) note que la tendance antisociale, pour
reprendre ses termes, est liée à une déprivation affective de l’environnement
vers la fin de la première année ou au cours de la seconde. Il pointe à travers
ce terme de « déprivation » une perte originaire et fondamentale pour l’enfant
qui ne peut la mentaliser. L’agir revêt alors la quête désespérée de ce qui a été
perdu. Deux enjeux apparaissent comme essentiels et accentués chez ces
patients : l’enjeu narcissique et l’enjeu objectal. Les assises narcissiques se
révèlent d’une grande précarité et l’adolescent est aux prises entre sa quête
d’un amour objectal réparateur et sa crainte de l’abandon. La relation d’objet
est avidement recherchée et en même temps redoutée.
Les traces mnésiques du traumatisme des premiers temps font retour dans
le passage à l’acte, et la compulsion de répétition, dans l’actuel, est une
tentative de mise en sens d’un impensé. La répétition des agirs et leur
tendance destructrice sont donc à articuler à un défaut d’élaboration, comme
l’avait souligné Freud (1914) dans son texte « Remémoration, répétition et
perlaboration ».
Ce qui opère dans l’agir adolescent est le travail de déliaison pulsionnelle
se traduisant par une rupture des investissements, des liens avec
l’environnement, le préservant de son avidité de la relation d’objet. Dans le
même temps, l’agir confronte le jeune à la Loi, et c’est en un sens ce qu’il
recherche : faire face à une limite, celle incarnée par la fonction paternelle,
souvent défaillante dans son environnement proche.
L’expression de cette violence à l’adolescence est hétérogène : elle peut se
traduire par l’hétéroagressivité (agressions verbales ou physiques),
l’autoagressivité, le vol, les abus (sexuels, mais aussi d’ordre
toxicomaniaques), ou encore les conduites délictueuses. Ainsi, « Les
pathologies de l’agir peuvent être comprises comme des conduites à risque à
visée ordalique où un fantasme de toute-puissance cherche à se subjectiver,
entre angoisse de castration et angoisse de néantisation » (F. Richard, 1998).
Du fait d’assises narcissiques qui n’ont pu se constituer pleinement,
l’adolescent tentera par ses agirs à retrouver l’omnipotence infantile, dans ce
que F. Richard a nommé une « jouissance narcissique de l’instant ».

2. L’ADOLESCENT ET LA VIOLENCE
DE L’ENVIRONNEMENT
Un point qu’il me paraît important à relever et que Winnicott avait
souligné dans son texte « La tendance antisociale » (1956) est l’impact de
l’environnement sur l’adolescent violent. À la faillite primaire de
l’environnement, s’ajoute bien souvent un environnement actuel également
en faillite. Ces jeunes aux prises avec la violence ne peuvent s’étayer sur un
environnement familial suffisamment bon, car celui-ci apparaît défaillant,
encrypté dans des traumatismes transgénérationnels de perte (deuil, exil), de
maltraitance, ou de maladie mentale. Ceci s’accompagne d’un environnement
médiatique de plus en plus violent en libre accès : images trash (vidéo,
images diffusées sur les réseaux sociaux), jeux vidéo violents,
cyberpornographie.
Un exemple clinique paradigmatique de ces enjeux, et sans vouloir
stigmatiser ces jeunes, est donné par certains adolescents habitant au cœur
des cités, vivant quotidiennement dans un environnement hostile, voire
toxique, où la condition même de l’être est corrélée à la survie.
Alim, Patrick, Mamadou, 13 ans et Vincent, 14 ans, échangent sur les aléas
de la cité, lors du groupe parole « Accueil Ado » qui a lieu chaque semaine
au CMP. S’ouvre à nous l’ampleur d’un environnement qui ne touche pas
seulement à la sphère familiale, mais qui s’étend au-delà de celle-ci, à
l’ensemble de la cité. L’environnement familial est déjà décrit par chacun
d’eux comme un lieu fait d’injures, de maltraitance, d’injustice au quotidien.
Vincent raconte en rigolant que les « grands frères » l’ont un jour roué de
coups dans le ventre, « juste pour rire », « car je me trouvais là ». Sidération
de la pensée. « Juste pour rire ? Des coups ? » « Oui c’est comme ça en bas
de l’immeuble, ils nous élèvent à la dure, c’est pour faire face à la vie ».
Mamadou associe : « Moi, un jour, je n’ai pas voulu aller leur chercher un
Kebab, je devais aller chercher du pain pour ma mère, je me suis retrouvé
enfermé dans le coffre de leur voiture. » Ils rient. Alim ose dire : « J’avoue
j’ai un peu peur, mais au fond ils sont sympas, des fois, ils nous laissent la
monnaie quand on va leur chercher une cannette. » Ces histoires nous sont
racontées quotidiennement par les adolescents rencontrés au CMP. Par un
phénomène de groupe, la terreur se propage, mais pour survivre à celle-ci,
des mécanismes de défense se mettent en place : annulation, retournement en
son contraire, identification à l’agresseur. L’adolescent, pour survivre,
s’engage dans un cercle vicieux, le cercle de la répétition traumatique, dans
lequel il devient lui-même acteur de la violence.
Ainsi, chaque lieu de vie de l’adolescent réactive la violence primaire : la
famille, la cité, le collège, la bande de copains. Tous ces lieux sont infiltrés
d’une répétition traumatique dont il est difficile pour l’adolescent de se
dégager, car à ceci s’ajoutent des enjeux de pouvoir et de survie. Là où Freud
avait analysé le fondement de la civilisation comme renoncement aux
pulsions sexuelles et aux tendances agressives de tout homme (Freud, 1929),
la cité tend à réaménager un espace du « vivre ensemble » réinstaurant la loi
archaïque du plus fort.
Dans ce contexte, il peut s’entendre un autre aspect de la difficulté du
jeune à investir un lieu de soin, démarche qui pourrait le stigmatiser au sein
du groupe de pairs comme bouc émissaire. Lorsque le jeune arrive à passer
les portes du centre, suite notamment à une exclusion du collège qui mobilise
l’environnement familial, il vient rarement seul, accompagné le plus souvent
soit d’un parent, soit d’un ou plusieurs copains de la cité. Le travail de
l’entretien clinique ne se limite donc pas à l’espace du bureau. Il est essentiel
de tisser le cadre en lien avec l’équipe pluridisciplinaire afin de constituer un
lieu suffisamment solide, rassurant et bienveillant pour que l’adolescent
puisse y déposer quelque chose. En ce sens, face aux adolescents pris dans
des situations de violence, l’entretien clinique se conçoit comme une partie
d’une prise en charge globale et multifocale. Il est souhaitable que l’équipe
entière se mobilise : la secrétaire pour l’accueil, les éducateurs dans les lieux
d’interstices (couloirs, salle d’attente), le pédopsychiatre comme consultant
pour recevoir la famille ou les personnes en charge de l’adolescent
(éducateurs de l’Aide Sociale à l’Enfance, de la PJJ, assistante maternelle)
prenant ainsi en charge la réalité extérieure, et le psychologue clinicien,
s’occupant davantage de la réalité interne. Ces divers points de référence
instaurent des espaces différenciés soutenant la fonction tierce. En effet,
l’existence du tiers dans la relation thérapeutique qu’il soit incarné par
l’institution, le consultant, ou les partenaires extérieurs, protège le jeune
d’une distance trop rapprochée et préserve de la crainte d’une relation
d’emprise séductrice. Ainsi, le jeune pourra introjecter des repères
organisateurs d’un espace tant physique que psychique, d’une institution
comme lieu d’un vivre avec les autres. L’enjeu est ici de rendre tolérable la
conflictualité psychique, sans que celle-ci passe nécessairement par l’acte.
L’institution se formalise alors comme un pare-excitations auxiliaire, comme
une membrane entre le dedans et le dehors pouvant accueillir les projections
diffractées du jeune. Cette pluralité des investissements rend plus supportable
pour l’adolescent la relation à l’objet et atténue les menaces sous-jacentes
qu’elle représente (fascination et dépendance), tout en permettant de travailler
l’intersubjectivité.

3. LA DESTRUCTIVITÉ DU CADRE
DE L’ENTRETIEN
L’adolescent face à la violence mobilise la mise en place d’une technique
spécifique qui s’articule autour de la notion de cadre thérapeutique. Celui-ci
englobe le clinicien (gestualité, attitude globale, interventions verbales), mais
aussi l’espace physique (les murs, les sièges, le bureau, les objets de la pièce),
le temps (heure et jour de rendez-vous, durée de la séance), car l’ensemble de
ces éléments pourra être convoqué, utilisé par l’adolescent pour se dire, se
raconter à défaut d’avoir un accès aux processus de symbolisation.
Le cadre de l’entretien clinique demandera à être aménagé afin de contenir
les débordements pulsionnels, les émergences d’angoisses projetées sur celui-
ci avec une destructivité à la hauteur du ressenti. Dès lors, le thérapeute sera
convoqué pleinement dans sa fonction de contenance. Mais pour ne pas
basculer dans ce que nous pourrions nommer la contention psychique, il sera
nécessaire de dégager un espace autre, espace de rêverie. La parole du
thérapeute, ses interventions sur une modalité active, susciteront un « à
côté », ou un « hors de » la violence, ce « hors de » étant la condition même
du sujet, celle d’ex-sister, c’est-à-dire être placé (du latin sistere) hors de (
ex). F. Richard (1998) avait très justement remarqué que « ceci relève de la
technique active préconisée par Ferenczi et du maniement du holding et du
playing théorisés par Winnicott ».
Le cadre sera très souvent malmené. Les retards, les absences sont autant
d’attaques que celles où le jeune se mure dans un silence d’opposition ou
encore frappe dans les murs, dans les chaises. La parole n’advient pas d’elle-
même, le récit est dans les premiers temps impossible. Les « je ne sais pas »
fortifient une position défensive où l’autre est mis à distance. Le corps se
tend, les bras se croisent, la tête se baisse ou le regard affronte, détaille, se
voile, se détourne, mais ne s’attache pas. Face à un jeune aux prises avec la
violence, le psychologue clinicien est d’abord face à un insaisissable, à la
peur, à l’angoisse, à l’impuissance aussi. L’ensemble de ces vécus
transférentiels permettra de saisir la portée de l’anéantissement sous-jacent à
cette modalité d’existence.
Dès lors, le clinicien sera amené à supporter l’impulsivité des
comportements, leur teneur destructive, agressive. La ponctualité, la
régularité et la permanence du cadre seront sans cesse rappelées à
l’adolescent, car elles seront en quelque sorte les garants d’une expérience
possible de la stabilité de l’environnement. L’adolescent pourra alors intégrer
une figure fiable, solide et sécure qui survit à sa destructivité. Ici le clinicien
est constamment convoqué dans sa fonction d’utilisation de l’objet et sa
fonction de survivance (D. W. Winnicott, 1969) qui permettent à l’adolescent
de rejouer le détruit/trouvé (R. Roussillon, 1991).
John est un adolescent de 14 ans qui arrive au CMP suite à une exclusion
d’abord provisoire qui se soldera par une exclusion définitive pour insultes
aux professeurs et comportements violents au collège. Le consultant, après
avoir vu le père et l’adolescent, me l’adresse pour un premier entretien
clinique. John est apparemment demandeur d’un espace pour « parler de ses
difficultés ». Sa situation familiale est compliquée : il vit avec son père, au
chômage avec de graves problèmes de santé, et ses deux petits frère et sœur.
Sa mère a quitté son père il y a plusieurs années en abandonnant ses enfants.
Le père a très mal vécu ce départ et a eu une longue période de dépression.
La mère a refondé une famille avec 7 autres enfants et revient à présent pour
récupérer la garde de John, de son frère et de sa sœur. Actuellement, il voit sa
mère un week-end sur deux. Le conflit parental est encore très vif. Entre la
maladie chronique de son père, la présence discontinue de sa mère, John est
très souvent livré à lui-même : il s’occupe des repas, va chercher son petit
frère à l’école, puis traîne « en bas » dans la cité jusqu’à une heure tardive. Il
se met dans des situations à risque, conduisant des scooters volés ou des
motos avec les « grands de la cité », fumant cigarettes et cannabis.
Lors du premier entretien, John convoque en moi une grande tendresse, il
n’apparaît pas comme le caïd décrit par le collège mais comme un adolescent
recroquevillé sur lui-même, le regard baissé, ce qui lui donne une apparence
chétive. Il dit ne pas savoir ce qu’il se passe dans sa tête quand il « part en
vrille », « ça part, c’est tout ». Il dit prendre conscience qu’il a « dépassé les
bornes » en insultant le professeur, mais la parole n’est pas fluide, ponctuée
de « je ne sais pas ». Il semble répondre en faux-self aux questions que je lui
pose, donnant l’étrange impression de me faire entendre ce qu’il imagine
qu’un psychologue aimerait entendre. La demande apparaît vite, non pas
comme la sienne propre, mais comme une tentative de réparation vis-à-vis de
son père. « Je ne dois plus le fâcher… avec sa tension, il risque de mourir. »
S’expriment aussi ici l’angoisse d’une répétition de l’abandon et une
culpabilité sous-jacente à celui-ci.
En réponse à ma question sur ce qu’il aime, il répond : les tags. Je lui
propose d’en dessiner sur papier en lui proposant divers supports et matériaux
(feuilles blanches, de couleur, petits/grands formats, feutres, crayons de
couleur, peinture, etc.). Ici, s’opère un changement dans l’entretien, la
rencontre a lieu sur un médium connu de lui. Il accepte de taguer sur papier.
Il souhaite alors inscrire les noms des personnes croisées au CMP : le
médecin, la secrétaire, la psychologue, mais aussi le médecin scolaire et
l’infirmière scolaire, la principale du collège. Malgré la pauvreté du discours,
la charge affective est importante, interpellant la préoccupation maternelle
primaire du clinicien. Il accepte de revenir me voir. Très vite, les entretiens
s’appauvrissent, il arrive en retard ou ne vient pas, imposant un rythme d’une
semaine sur deux. La réalité extérieure prend le pas sur l’espace de
l’entretien. Le clinicien face à cette clinique se trouve sans cesse appelé par
une réalité extérieure qui vient intruser l’espace psychique. L’absence de
cadre, le hors-limite du dehors se répercute sur l’espace du dedans. Le lieu de
l’entretien devient un lieu à la temporalité distendue, où le cadre apparaît
comme une surface de projection des attaques.
John est venu de suite transférer sur le cadre et le clinicien les enjeux de sa
vie psychique. Le clinicien devra osciller entre une fonction maternelle
primaire de holding, de rêverie et une fonction paternelle de rappel du cadre,
soutenue par la fonction tierce du consultant. Dans ces mouvements
transféro-contre-transférentiels animés également par l’absence et la présence
du patient, émergent le profond mal-être de l’adolescent et tout l’enjeu de la
demande affective du tout petit enfant.
Dans d’autres situations, l’actualisation de la haine en séance est telle que
la séance devient le lieu même de la violence.
Sam a 15 ans quand je le reçois pour la première fois. Son frère est suivi
depuis longtemps au CMP pour des troubles dits « envahissants du
développement ». Sam vit avec sa mère et son frère, son père est reparti au
pays lorsqu’il avait 6 ans. Il l’a retrouvé au pays vers ses 7-8 ans, moment où
éclate la guerre civile. Il voit alors sous ses yeux son oncle se faire assassiner
d’une balle dans la tempe, alors qu’il était caché derrière le canapé. Sa mère
reviendra en France avec ses deux enfants, seule, le père ne voulant pas
laisser son pays et investir la France, où il ne se reconnaît pas et n’arrive pas
à s’inscrire. Dès lors, les relations avec le père deviennent quasi inexistantes.
Sa mère se démène pour faire vivre sa famille mais ils vivent dans une misère
sociale importante, elle aide toute sa famille jusqu’à ne plus rien avoir pour
elle-même. Sam racontera qu’elle se prostituera pour pouvoir donner à
manger à ses enfants. Dans un tel contexte, où tout le monde dort chez eux,
sans espace pour chacun, les uns sur les autres, Sam est victime d’abus sexuel
par son cousin quand il avait 9 ans. Quand je rencontre Sam, sa mère
commence à en avoir peur : il est grand et fort, il commence à faire des
« crises » dans lesquelles il injurie sa mère, frappe les murs, les vitres et peut
lancer des chaises sur son entourage. Les voisins en ont peur et ne veulent
plus parler à la famille.
Les premiers entretiens avec Sam sont quasi exemplaires pour des
entretiens avec un adolescent, il vient chaque semaine, il raconte ses
angoisses, sa difficulté à vivre au quotidien avec sa mère et son frère, son
impossibilité à parler en public, à se faire des amis. Le transfert s’installe et
permettra l’éclatement de la haine en séance. Il ne s’assoit plus, il bouge
comme un lion en cage ou il se lève de sa chaise brutalement, il crie que je ne
comprends rien. Tout en moi l’agace, notamment mon regard posé sur lui. Il
hurle « j’aimerais vous envoyer ces crayons dans la gueule », car je ne fais
rien : je n’agis pas. Il lui arrive de m’injurier. Éclate ici un transfert massif
qui dépose en moi les éléments de l’imago maternel couplé à celui du père,
qui en effet, bien loin, ne fait rien pour aider son fils. La violence en séance
se traduit comme l’expression de la haine envers l’objet. L’entretien
s’imprègne d’une grande tension dans laquelle les fantasmes de meurtre
originaire sont réactivés. Les collègues des bureaux d’à côté s’inquiètent.
Sam mobilise transférentiellement l’ensemble du centre. La psychologue
tient, mais l’institution tisse également une enveloppe de liens. Il y a ici une
mise en abyme de la fonction de contenance. La neutralité est bien entendu de
mise dans une telle situation, même si la neutralité est attaquée pleinement
dans le discours du patient et même si celui-ci nous fait vivre un état
d’angoisse d’anéantissement majeure. Ici, la survivance de l’objet thérapeute
à la destructivité du patient et l’interprétation au patient des mouvements
transférentiels ouvrent une expérience du trouvé/détruit dans laquelle l’objet
est « à la fois atteint (détruit) et non détruit. Atteint pour donner valeur et
réalité à la destructivité – la reconnaître – et non détruit pour la localiser dans
le domaine de la vie psychique. C’est le sens de survivre » (R. Roussillon,
1991). Cette expérience donnera sens aux mouvements de destructivité du
patient, et sera l’amorce d’une distinction entre attaque réelle et
fantasmatique, permettant de ressaisir une intériorité.
L’entretien clinique avec des adolescents aux prises avec la violence tend à
la réminiscence agie de la relation à l’objet, souvent dans une expression de
haine envers celui-ci ; l’enjeu étant que le patient puisse utiliser autrement
l’objet, en faire une expérience autre, intégrant le jeu de l’ambivalence. La
malléabilité du thérapeute soutiendra ainsi la relance d’une plasticité
psychique chez le patient.

4. PROCESSUS PSYCHIQUES EN JEU DANS


LA RELATION TRANSFÉRO-CONTRE-
TRANSFÉRENTIELLE
Même si tout entretien témoigne de la singularité de chacun des sujets,
nous pouvons remarquer deux modalités d’investissement de l’entretien à ses
débuts. L’une de ces modalités se situe dans la mise à distance soutenue par
des éléments de persécution. De ce fait, dans les premiers temps de la
rencontre, l’atmosphère de l’entretien pourra être tendue, l’adolescent prenant
une position de défiance et de méfiance face au clinicien. L’autre modalité
rend compte de la mise en place d’un transfert immédiat et massif, soutenant
ici un mouvement symbiotique dans la relation. Le risque est alors de
basculer dans un silence persécutant ou une attitude interventionniste,
position défensive face à ces deux modalités paradoxales. Ces deux aspects
peuvent induire une absence d’empathie ou une empathie débordante qui doit
pousser le clinicien à s’interroger sur son contre-transfert.
L’adolescent pourra quelque fois instrumentaliser le clinicien en formulant
des demandes d’attestation de suivi pour le juge, pour le principal du collège
ou encore des demandes d’aide pour le dégager de situations extérieures
complexes.
Ainsi, John, après sa seconde exclusion du collège pour insultes au
professeur et comportement inadapté, et suite à quatre semaines d’absence en
entretien, arrive au centre, une heure avant son rendez-vous. Il veut que le
psychologue l’aide à écrire une lettre d’excuses que le principal lui a
demandée pour le conseil de discipline. Il est convaincu de la nécessité de
cette lettre et que celle-ci le sauvera de l’exclusion définitive. Il ne veut pas
revenir sur son passage à l’acte, il veut juste écrire cette lettre mais ne sait pas
quoi écrire. Le clinicien est ici pris dans l’urgence manifestée par John d’une
situation encore aux prises avec la réalité. Afin de se défendre de la relation à
autrui, l’autre est objectalisé : le principal réduit à la lettre, le professeur à
l’injure, et le clinicien à la plume. Mais finalement, tout est question de
demande et d’adresse à l’objet : se positionner contre le professeur comme
recherche de la fonction paternelle, être pris dans la demande de réparation
du principal, y répondre le « mieux possible » pour assouvir sa quête de
l’objet maternel, et enfin poser le clinicien face à une demande, demande qui,
dans le transfert, appelle aux soins maternels primaires. Le clinicien ne
répondant pas en miroir à la demande impatiente de John, il se met à écrire
seul sa lettre, en demandant l’aval de ce qu’il écrit au clinicien. Malgré la
difficulté de trouver les mots, l’écriture de la lettre d’excuses sera l’occasion
pour John de donner forme aux émois conflictuels et réaliser un après-coup
de l’acte, tout en soutenant l’inscription dans le lien social. Le clinicien, en se
situant « à côté » de la demande et en étayant l’écriture, réinstaure la
dimension subjectale.
Le clinicien s’apparente en quelque sorte à un équilibriste en résonance
avec les mouvements et contre-mouvements de l’adolescent, jonglant avec
l’excitation, les angoisses assaillantes et la persécution de celui-ci. Trouver
l’équilibre tout en opérant des passages entre la fonction maternelle et
paternelle semble bel et bien l’enjeu dans une telle situation clinique afin de
sauvegarder le narcissisme de l’adolescent.
Le contenu des entretiens est souvent pauvre, dénué de dimension
imaginaire, d’autres fois, il va au contraire abonder dans des détails d’une
réalité violente, décrivant l’acte sans pour autant que ce récit puisse soutenir
l’ insight du patient. L’accès à la réalité psychique est difficile, sans cesse
entravé par la réalité matérielle. A. Green (2006) avait noté ce double
mouvement auquel fait face le psychologue : « Le vide a appelé l’afflux du
plein, le trop-plein a suscité l’évidement. » Le psychologue clinicien se
trouve alors devant un vide psychique, une incapacité à penser. Il bute sur
l’actuel et son « trop-plein » au détriment de la réalité interne. Le travail de
déliaison sous-jacent se traduit par cet appauvrissement de la pensée, de la
gestuelle, mais aussi, parfois, par l’excitation débordante. L’entretien est,
chaque semaine, remis en question venant alors interroger la possibilité de la
mise en place d’un travail thérapeutique. Entre interruption, investissement
massif, l’adolescent fait vivre au clinicien l’oscillation entre désir d’un retour
à une illusion primitive, à un amour absolu et la crainte du désaide, cette
détresse archaïque qui le pousse à rompre le lien. Dans cette expérimentation
de la relation d’objet au sein de la relation thérapeutique, le clinicien est
convoqué dans ses défaillances : l’adolescent violent met à mal son supposé
savoir et le clinicien est sans cesse amené à recréer, réaménager, supporter,
tenir son cadre. L’adolescent lui renverra qu’il n’est pas là où il devrait,
pointant la défaillance de l’objet. Comme dans le cas des entretiens cliniques
avec l’adolescent, le clinicien devra être vigilant à ne pas basculer dans une
parole trop séductrice ou au contraire dans un cadre trop rigide. Il va dès lors
naviguer lui aussi entre dépendance et autonomie, à l’image du conflit
adolescent dans lequel l’adolescent cherche à se dégager de la réminiscence
des fantasmes œdipiens et à faire le deuil de l’enfance. Il s’agit d’entrer en
résonance avec les mouvements ambivalents de l’adolescent, tout en prenant
conscience de ses propres mouvements ambivalents face à l’adolescent,
mouvements pris entre désir de réparation et rejet hostile. Le clinicien
s’engage dans « une traversée de la négativité » comme le nomme F. Richard
(2009), qui pourra se transformer en positivité – instant de saisissement
psychique – lorsque le patient comprend qu’il fait vivre au clinicien ce qu’il a
lui-même vécu ou subi.
Du côté du clinicien, la fascination pour l’agir adolescent est un autre
travers de ces situations, notamment face à des adolescents qui se
complaisent à raconter en surenchérissant la violence de leurs actes. Le
clinicien est alors pris dans une dimen sion manipulatrice de l’adolescent de
l’ordre d’une séduction par la terreur ou encore dans le désir de couplage
sous la forme actif/passif, voyeurisme/exhibitionnisme.
Cynthia est une adolescente de 17 ans, incarcérée en établissement
pénitencier. Lors du premier entretien, elle se trouve dans une excitation
débordante. Elle s’assoit face au clinicien, le regarde droit dans les yeux et lui
pose une question sur ce qu’il fait ici. D’emblée, la posture agressive de
l’adolescente suscite un climat de tension dans lequel l’adolescente tente
d’asseoir son omnipotence en déniant la différence générationnelle. Elle entre
ensuite dans une logorrhée de ces actes violents, mimant certains gestes tels
que son envie de frapper sa victime. La haine déborde dans son corps, la
mâchoire se crispe, les yeux roulent, elle rit de façon sarcastique. Le contenu
de son récit sidère la pensée, tandis que la jouissance racontée dans l’acte
éveille une certaine fascination. Cynthia immobilise le clinicien par « la seule
puissance du regard » (C. Desprats-Pequignot, 2005), par la capture par
l’acte. Le récit logorrhéique et jouissif peut se comparer au phénomène de la
paralysie. Freud (1918) avait noté que la fascination s’apparente à la
« sujétion amoureuse », c’est-à-dire à un état « d’assujettissement et de
dépendance vis-à-vis d’une autre personne avec laquelle elle entretient un
commerce sexuel ». Le clinicien se doit dès lors de reposer la distance entre
soi et l’autre au risque d’être réduit à un objet et d’être enfermé dans une
relation d’emprise séductrice. Cynthia, aux prises avec son désir de maîtrise
de son environnement, termine l’entretien en disant : « Je vous ai choqué,
hein ? », question relevant du défi mais aussi de la crainte de perdre l’objet.
Elle se trouve alors décontenancée par la réaction du clinicien qui lui renvoie
autre chose qu’une terreur en miroir, mais une position d’écoute bienveillante
et sans jugement. Elle souhaitera alors partir de l’entretien avec quelque
chose pour sa cellule, évoquant dans le transfert l’idée du doudou, pour
apaiser l’angoisse de séparation. Le dégagement du clinicien de la terreur
imposée par l’adolescente et de la fascination permettra à celle-ci de renouer
avec une position infantile, réinstaurant la différence générationnelle et
permettant dès lors de se dégager elle-même, par la réflexivité, d’une relation
d’objet dominant/dominé.
Ainsi, la mise en paroles des éprouvés contre-transférentiels sera
essentielle dans le lien avec l’adolescent car elle lui ouvrira la voie à une
pensée et à la reconnaissance de la détresse première. Le clinicien incarne ici
la fonction phorique de porte-parole et la fonction de traducteur des agirs
adolescents. Il s’agit de mettre en sens l’agir et sa violence pour que
l’adolescent puisse se ressaisir et saisir l’effet de réactivation d’un
traumatisme précoce dans ces agirs.

5. LA VICTIMISATION DE L’ADOLESCENT
EN SITUATION DE VIOLENCE
Le clinicien reçoit également des adolescents victimes de violences
(sexuelles, comportementales ou encore injurieuses). L’entretien clinique ne
se tiendra pas dans la même perspective que précédemment. Dans un premier
temps, l’adolescent victime se montre généralement demandeur d’un espace
de parole. Mais, par la suite, le clinicien pourra se trouver face à une
difficulté de penser de la part de l’adolescent, effet sidérant du traumatisme.
Les traces de la violence subie entravent le processus de symbolisation. Suite
au traumatisme vécu en ce moment adolescent, lui-même traumatique, la
construction des assises narcissiques et identitaires se trouve
fondamentalement remise en question. L’adolescent peut sombrer dans une
désorganisation psychique à forte teneur dépressive. Le clinicien sera alors
face à un adolescent dont le Moi se trouve dans une telle atteinte qu’il est
d’autant plus important ici de suivre le rythme de celui-ci.
Lisa est une jeune fille de 15 ans. Sa mère appelle le centre car Lisa depuis
deux mois se renferme sur elle, dans un profond sentiment de tristesse. Lisa
vient seule à son premier rendez-vous. Elle évoque de suite ses symptômes :
elle a du mal à dormir, aimerait rester dans son lit toute la journée, se sent
angoissée à l’idée d’aller au collège, est submergée par un sentiment de
tristesse. Elle évoque ensuite la cause de cette détresse. Suite à son premier
rapport sexuel avec un garçon dont elle était amoureuse, ce dernier dévoile
l’acte à l’ensemble du collège. À partir de ce moment, elle se fait insulter
quotidiennement autant par les filles que par les garçons. Ces derniers la
considèrent comme une « proie facile » et s’en suit un harcèlement quotidien
allant jusqu’à la bloquer physiquement contre un mur pour la toucher. Elle
réussit à se dégager de ses agresseurs et ira porter plainte avec ses parents.
Elle arrive à ce premier entretien dans un état de dépression grave.
Les premiers entretiens se formalisent autour du recueil du vécu
traumatique, quand celui-ci peut se mettre en mot. Le clinicien prend une
fonction de « témoignaire » (R. Waintrater, 2000), celui qui recueille le récit.
L’écoute sera, dans un premier temps, testimoniale afin d’éviter toute
réactivation de la violence du traumatisme par une interprétation trop rapide
dans le processus d’appropriation de l’histoire. Il s’agit d’un partage de
l’expérience sans interprétation, étayant une résonance identificatoire, que
R. Waintrater rapproche de l’accordage affectif. Le clinicien est interpellé à
la fois dans une fonction maternelle dans ce qu’il étaye le sentiment de
continuité d’existence et dans une fonction paternelle dans le regard porté sur
l’adolescent qui distancie de son vécu et du néant. Dans ce va-et-vient entre
soi et l’autre, le sujet trouve une nouvelle réalisation de soi. Le clinicien en
tant que témoin porte et soutient la parole de celui qui témoigne. Ce premier
temps du partage de l’expérience traumatique ouvre un espace d’échange,
laissant une trace de son vécu. Ce travail mémoriel introduit un point
d’ancrage pour l’adolescent. Il est source d’élaboration de son vécu.
Suite à ce premier temps des entretiens, Lisa associe à d’autres éléments
qui l’affectent. Elle raconte alors qu’elle vit mal le fait « que le sang de mon
père ne coule pas dans mes veines ». Les parents de Lisa, suite à l’infertilité
du père, ont engagé des démarches pour une fécondation in vitro. Quelques
années après la naissance de Lisa, sa sœur naît de façon naturelle. Émerge en
séance son questionnement sur ses origines, sa filiation, sa légitimité dans la
famille, les conflits familiaux du côté maternel qui la privent de sa grand-
mère, la rivalité avec sa sœur et son devenir femme. La violence actuelle en
lien avec la sexualité ouvre la voie à l’associativité sur un questionnement
identitaire proprement adolescent. P. Roman (2004) a indiqué que « la
pulsion traumatophillique engagée dans ces violences pourrait alors avoir une
fonction de liaison, au service de l’élaboration d’une “représentation par le
traumatisme” ».
Il me semble ainsi important que le clinicien veille à rester dans une double
écoute : écoute du vécu actuel traumatique et écoute des processus
adolescents ; car le traumatisme vient s’intriquer au trauma adolescent. Chez
Lisa, la chute violente de l’idéalité amoureuse suivie des rumeurs et du
harcèlement, ce « trop-dit » entre en résonance et se heurte à la résurgence de
l’œdipe dans un contexte familial conflictuel, encrypté dans un non-dit où
prédomine une interrogation sur l’origine.
Il arrive aussi que l’adolescent vienne consulter non pas dans une position
de victime mais d’agresseur, alors même que cette position vient occulter la
première.
Nicolas, 15 ans, consulte au centre suite au signalement de son
comportement violent par le collège. Les parents sont d’accord pour la mise
en place de la prise en charge, néanmoins, Nicolas vient seul à ses entretiens
et de manière très régulière.
Il parle volontiers des événements qui ont eu lieu au collège. Il dit ne pas
pouvoir s’empêcher de « taquiner » un jeune 6 e, Enzo. La taquinerie
implique qu’à chaque récréation ou sortie de collège, il lui donne des
« petites tapes » sur la tête, l’interpelle, le pousse, etc. Enzo s’est plaint au
principal et souhaite porter plainte pour harcèlement. Nicolas manifeste une
grande incompréhension face à la situation : il ne comprend pas pourquoi il
en est arrivé là, pourquoi il ne peut pas s’arrêter. D’autres manifestations
apparaissent au cours des séances : il arrive avec des plaintes : « j’ai mal au
dos, je suis tombé de mon lit (?) Non je n’ai pas été voir le médecin, mes
parents ne s’en sont pas occupés », « je me suis pris un mur aujourd’hui »
« Ah ! Cette semaine ! J’ai encore merdé ! Je me suis battu avec un mec,
punaise, je m’en suis pris plein la gueule. Mais je me suis relevé, je lui ai mis
un de ces coups dans la gueule !! Puis j’ai couru… ». Il se présente en
entretien avec des bleus, des plaies un peu partout sur les bras et le visage. À
ceci, s’ajoute une appréhension de l’espace qui l’entoure tout à fait
particulière, si bien qu’à chaque fois qu’il se lève de sa chaise ou sort du
bureau, il se cogne quelque part. Les murs du couloir deviennent presque un
soutien vertical pour lui.
L’incompréhension de son comportement et le questionnement même
partiel qu’il apporte se comprennent comme un intérêt pour sa vie intérieure
et donne lieu à des entretiens psychothérapeutiques. La répétition chaque
semaine de comportements dont il n’arrive pas à saisir le sens montre à quel
point la compulsion de répétition agit comme tentative de mentalisation d’un
impensé. Dans le transfert, Nicolas se positionne non pas comme un
adolescent aux prises avec l’agir, mais comme un enfant, réitérant chaque
semaine les retrouvailles avec un objet maternant qui pourrait enfin prendre
soin de lui, attester de ses douleurs physiques et entendre sa souffrance
psychique.
Le clinicien est interpellé dans sa fonction de traducteur mais aussi de
porte-mémoire, au sens de soutenir l’historicisation et les liens entre l’actuel
et l’infantile.
Après avoir été le dépositaire de la violence vécue par Nicolas, violence
qui apparaît bien plus vécue qu’agie dans son discours, le clinicien tentera de
relancer le processus associatif. Se dévoile alors l’histoire de Nicolas. Il
associe sur le fait qu’Enzo est en 6 e et que lui-même, à son arrivée en 6 e, a
été « la victime d’un grand de 3 e » durant toute l’année scolaire. Nicolas se
saisit dans un grand étonnement de la reformulation du clinicien en disant :
« Mince, je fais ce qu’on m’a fait, c’est comme si j’étais Kylian ». Il oscillera
par la suite entre la narrativité de ses actes et un intérêt grandissant pour sa
réalité psychique. À un retour de vacances passées chez son grand frère,
Nicolas s’effondre en pleurs. Son frère n’a cessé de lui faire peur en lui
imposant le visionnage de films d’horreur, en venant le réveiller en sursaut la
nuit ; il lui a aussi répété plusieurs fois : « Je m’en fous si tu meurs, au moins
on sera tranquille ». Nicolas, dans ses sanglots, dit : « Je n’en peux plus, il
s’en fout de moi, il ne m’aime pas ». La blessure narcissique et la détresse
première se dévoilent de façon béante. Se révèle la violence du frère sur
Nicolas depuis son plus jeune âge, violence verbale et corporelle. C’est avec
l’entrée dans la puberté et le passage en 5 e qui le dégage de la position du
« plus petit », que les troubles du comportement s’aggravent dans un
renversement en son contraire de la passivité en activité. Pour éviter d’être
agi, comme le dirait P. Jeammet (1995), Nicolas va agir. Bien sûr, l’agir rend
compte du débordement pulsionnel de l’appareil psychique, mais ce qui est
également sous-jacent à ce renversement est l’identification à l’agresseur
premier, le frère.
L’enjeu de l’entretien clinique est ici de mettre en lumière cette position
première de victime et la répétition transgénérationnelle des phénomènes de
maltraitance afin de relancer le processus de subjectivation.

6. POUR UNE CRÉATIVITÉ DANS


LA VIOLENCE
Winnicott dans son texte « La tendance antisociale » avait noté
l’importance de l’environnement dans ces situations cliniques. L’adolescent
appelle inconsciemment un autre, qui pourrait l’aider et prendre soin de lui.
Nous pourrions quasiment dire que ses agirs sont une demande de soin au
sens du take care of.
Dans ce contexte, l’appareil à penser du clinicien va être mobilisé dans sa
capacité de rêverie et sa potentialité créatrice. Ce va-et-vient constant entre
l’agir, le bouillonnement pulsionnel du dedans mis au dehors ; entre un
dedans effracté, effractable et un dehors agi, violent, donne à penser la
dimension de l’entre-deux. C’est dans cet interstice que la relation
thérapeutique peut prendre place en offrant la possibilité d’un ailleurs,
ouvrant un espace de jeu, un espace de l’entre-deux, pour penser la résonance
du dedans et du dehors. Le clinicien, dont la malléabilité est sans cesse
sollicitée dans cette clinique, est appelé à penser le va-et-vient entre ce
dedans et ce dehors, car ce qui se joue à l’intérieur de l’espace thérapeutique
permet de comprendre les agirs qui ont lieu à l’extérieur.
Au-delà de la fonction de contenance de la destructivité, le clinicien est
interpellé dans sa potentialité créatrice pour à la fois soutenir la créativité
après la destructivité mais aussi étayer la création adolescente au sens de
P. Gutton. Le lieu de l’entretien clinique peut devenir le lieu d’un « espace
psychique élargi » (P. Jeammet), en ce sens que la fragilité du Moi, propre au
moment adolescent et particulièrement chez les adolescents en situation de
violence, nécessite un étayage sur la réalité externe, sur l’environnement pour
éviter la désorganisation qui le menace. L’enjeu de l’extérieur est, chez ces
adolescents, essentiel comme nous l’avons vu, mais pour que l’adolescent
constitue son Je, et ne se perde et s’encrypte dans la violence, le Moi doit
trouver une assise extérieure (P. Gutton, 2003) et doit trouver de l’amour en
l’objet extérieur pour se maintenir ; c’est « la fonction narcissique de l’objet »
(ibid.) . Le clinicien prend cette fonction, en proposant un lieu qui crée l’écart
nécessaire pour qu’un je(u) puisse se réaliser en préservant le narcissisme de
l’adolescent. L’entretien clinique avec les adolescents en situation de
violence aura pour visée celle de la création d’un lieu subjectal (P. Gutton,
2008) afin que l’adolescent naisse à lui-même.
Pour soutenir cette créativité, le clinicien peut s’appuyer sur les objets
culturels comme objet de relation. Ainsi, les mangas, les séries, les jeux
vidéo, les chansons écoutées par l’adolescent sont autant de supports de lien,
permettant d’inscrire la rencontre et de la réguler. L’écoute de musique, par
exemple, et le travail sur les paroles des textes, peut relancer l’associativité.
Ces objets de partage, par leur nature biface (l’une tournée vers le patient,
l’autre vers le clinicien, comme nous l’apprend G. Gimenez) devient le
support d’un nouage associatif, qui permettra l’articulation relationnelle
(entre soi et l’autre) et l’articulation émotionnelle (entre l’interne et
l’externe). « Il est ainsi un “révélateur”, un “précipitateur”, un “catalyseur” de
la relation transféro-contre-transférentielle » (G. Gimenez, 2003). De ce fait,
l’objet culturel de relation fonctionne comme facilitateur de la relation
clinique, tout en posant une distance suffisamment bonne entre le thérapeute
et le patient adolescent, afin d’éviter l’angoisse d’un rapproché trop grand.
Sidibé a 14 ans. Il se présente comme un petit caïd de la cité. Sa scolarité
est difficile, marquée par des troubles de l’apprentissage et du comportement.
Sa mère, schizophrène, l’a abandonné avec son frère en le laissant au père,
alors qu’il avait 2 ans. Malgré une grande préoccupation paternelle pour ses
enfants, le père de Sidibé a des contraintes financières qui l’oblige à travailler
à partir de la fin d’après-midi jusqu’au matin, il dort ensuite la journée.
Sidibé « traîne » donc souvent dans la cité. Il s’y sent en sécurité, entouré,
mais est aussi en contact direct avec les multiples délits effectués par les
« grands frères ». Après plusieurs mois d’attaque du cadre et du lien, Sidibé
consent à venir à l’heure à sa séance et chaque semaine. Il se mure dans un
silence oppositionnel, bras croisés, tête baissée ou dans un regard
franchement offensif. Les questions que je lui pose semblent profondément
l’ennuyer, si ce n’est l’agacer. Il ne peut y répondre que par de brèves
interjections. Les entretiens sont tendus, ennuyants, voire angoissants
tellement le lien est fragile. En introduisant la thématique des jeux vidéo,
Sidibé s’anime, ne laissant toutefois pas trop paraître son vif intérêt, sous
peine de réactiver la dépendance à l’objet. Il joue avec son frère à la console.
Il se tourne vers l’ordinateur du bureau et lance un « Vous avez des jeux ici ?
».
Je lui propose de jouer aux Sim’s. Cette ouverture vers un espace connu
diminue la tension d’autant plus que l’entretien se passe alors en côte-à-côte
et non plus en face-à-face, ce qui apaise la dimension persécutive de l’espace
psychothérapeutique et permet un espace de jeu. Sidibé crée un personnage
virtuel qui porte son prénom, il le choisit jeune adulte. À chaque séance, il
viendra avec le désir de continuer à jouer, mais il faudra plusieurs séances
pour qu’il puisse formuler ce désir.
Au fil du jeu, la parole se déliera pour faire place à un ensemble de
questionnements : « Est-ce qu’il peut voler mon personnage dans le jeu ? Et
qu’est-ce qu’il se passerait ? La police interviendrait ? (…) Et si je tape
quelqu’un ? (…) Vous pensez qu’il peut devenir fou ? Comment je peux
faire ? (…) Attendez, j’aimerais bien avoir une voiture ? Je peux la voler ?
Ah mince, je n’ai pas assez d’argent pour l’acheter (…) Ah non mais si je fais
ça dans la vraie vie, ça craint, non ? » L’espace du jeu devient un espace de
projection dans lequel le jeune évolue, et le thérapeute assis à côté de lui, fait
fonction de double, comme au psychodrame, afin de traduire les éléments du
jeu, d’étayer l’adolescent dans la mise en mots de ce qu’il joue à l’écran. À
travers le jeu, Sidibé interroge et fait l’expérience de la Loi, de la limite, dans
la demande à l’adulte. Le jeu vidéo en séance offre une surface de projection
imaginaire et non plus réelle de la violence. Ici, opère ce que F. Tordo (2012)
a appelé l’auto-empathie virtuelle, à savoir « la projection d’une partie de soi
dans un objet virtuel d’apparence humanoïde, personnage virtuel qui permet
de se penser soi-même en se voyant dans une image ». À travers son avatar,
Sidibé se voit, en partie, lui-même. Il met en forme au-devant de lui ses
fantasmes, ses angoisses. En ce sens, le virtuel, dans la relation thérapeutique
devient « une activation technologique du monde fantasmatique » (P. Attigui,
2003) qui ouvre sur « l’autre scène ». Cette mise en forme du fantasme à
travers l’avatar soutient le travail d’élaboration et le processus de
subjectivation ; ceci, d’une part, car la machine virtuelle permet de contenir
une part de l’excitation libidinale (ibid.) et donc de dégager les processus de
pensée de l’excès de déplaisir l’entravant, et d’autre part, car le thérapeute se
situe ici dans une attention conjointe et partagée sur un même objet (le jeu
vidéo) ce qui permet à l’adolescent d’éprouver une « sécurité » prenant sa
source psychique dans les éprouvés infantiles (B. Virole, 2011). L’utilisation
du jeu vidéo vient dans un premier temps répondre à la toute-puissance
infantile, en créant à l’écran une représentation du moi idéal incarné par
l’avatar qui aurait la possibilité d’assouvir tous ses désirs, mais les questions
formulées au thérapeute lors du jeu viennent interpeller dans un second temps
la quête de limites et d’une contenance, défaillantes dans le monde qui
l’entoure. Les expériences vécues à travers l’avatar dans le jeu et dans
l’étayage thérapeutique côte-à-côte, favorisent le remaniement pulsionnel et
identificatoire de l’adolescent. Sidibé, après l’expérimentation des limites de
son personnage au sein du jeu, aura comme projet de construire une maison
en étant attentif à la décoration intérieure…
Dans ce cadre d’entretien avec des adolescents en situation de violence,
l’utilisation d’un objet culturel permet de créer une expérience partagée au
sein d’une aire transitionnelle et de relancer le processus de symbolisation.
Nous pouvons ici nous référer à Winnicott qui écrit dans Jeu et Réalité : « La
psychothérapie se situe entre deux aires où l’on joue : celle du patient et celle
du thérapeute. La psychothérapie s’adresse à deux personnes qui jouent
ensemble. On peut en déduire que s’il y a impossibilité de jouer, le thérapeute
doit s’efforcer de faire passer le patient de l’état où il est incapable de jouer à
l’état où il sera en mesure de le faire ». Et ici, alors même que le face-à-face
soulève des angoisses terrifiantes entre dépendance et destructivité, les objets
culturels de relation permettent à la fois de créer un lien avec un autre dans
une distance suffisamment bonne mais aussi d’étayer la mise en sens, la
rêverie, la parole et le jeu en présence d’un autre, pour ouvrir à un au-delà de
la destructivité.
CHAPITRE 10
L’ENTRETIEN
AVEC LE SUJET ÂGÉ
Jean-Marc Talpin
1. LE CADRE INSTITUTIONNEL DES ENTRETIENS
2. LA DEMANDE D’ENTRETIEN
3. L’ESPACE ET LE TEMPS DE L’ENTRETIEN
4. LE CORPS DANS L’ENTRETIEN
5. STRUCTURE D’ÂGE ET ORGANISATION DES TRANSFERTS
6. L’ENTRETIEN AVEC LE SUJET DÉMENT
7. LES VISÉES DES ENTRETIENS AVEC LES SUJETS ÂGÉS
8. SITUATION CLINIQUE

À l’échelle de la psychologie clinique, la clinique du sujet âgé est récente.


Elle a longtemps été limitée d’une part par la critique freudienne (passé
cinquante ans, il y aurait trop de matériel et la libido deviendrait trop
« visqueuse », donc trop difficilement mobilisable et déplaçable), d’autre part
par les représentations sociales péjoratives d’une vieillesse rabattue sur la
dimension du déficit (physique et/ou cognitif en particulier dans la
perspective de la maladie d’Alzheimer), de la fin de vie et de la mort, ce qui
est « tuer » les vieux un peu vite et occulter les spécificités de cet âge. Cette
clinique doit être pensée au point de tension de l’organisation psychique du
sujet, telle qu’elle se stabilise au sortir de l’adolescence, et des spécificités du
vieillissement (J.-M. Talpin, 2005). Le vieillissement se manifeste sur le plan
somatique, cognitif, social, des objets d’amour et, reprenant tout cela avec
plus ou moins de succès ou de souffrance, sur le plan intrapsychique.
En France, le développement de la clinique gérontologique (vieillissement
normal) et gériatrique (vieillissement pathologique) a émergé avec la création
de dispositifs spécifiques par des praticiens-théoriciens tels que C. Balier
(1976), L. Ploton (2010), P.-M. Charazac (2009) 1.
Les entretiens cliniques individuels relèvent tout à la fois d’une indication
spécifique (au regard des entretiens familiaux et des dispositifs de groupe) et
de la réalité de la situation : bien des âgés sont seuls, certains n’ont plus de
famille, ou plus de lien avec celle-ci, ou encore celle-ci refuse de s’impliquer
(J.-M. Talpin, 2012).
Après une rapide présentation des différents cadres institutionnels dans
lesquels ces entretiens s’inscrivent, nous envisagerons les différentes voies
conduisant à l’entretien clinique. Nous verrons ensuite le dispositif spatio-
temporel de ceux-ci, puis la question de la présence à l’autre dans ses
dimensions corporelles, motrices et sensorielles. Ceci conduira à développer,
en particulier compte-tenu des problématiques spécifiques et de la structure
d’âge patient-praticien, les enjeux transféro-contre-transférentiels. Nous nous
arrêterons ensuite sur la problématique spécifique de l’entretien avec des
sujets âgés présentant des symptômes de démence sénile de type Alzheimer
(DSTA). Nous conclurons en reprenant de manière synthétique les principaux
objectifs possibles des entretiens cliniques avec des sujets âgés.

1. LE CADRE INSTITUTIONNEL
DES ENTRETIENS
Les personnes âgées ne sont pas souvent les demandeuses de l’entretien, ce
qui fait que l’on en rencontre assez rarement dans les pratiques libérales ou
en CMP, à moins que ce ne soit à la suite d’une hospitalisation. Les
demandes directes se font plus fréquemment dans les « Centres mémoire »,
avec une attente et une offre explicitement centrées sur les troubles cognitifs ;
alors les entretiens encadrent et accompagnent les bilans cognitifs. Il en va
généralement de même dans les dispositifs de prévention, principalement
proposés par les mutuelles à leurs adhérents au moment de leur retraite
(C. Roos, 2011). Dans tous ces cas, il s’agit d’entretiens peu nombreux et peu
étalés dans le temps ; si un suivi s’avère utile, les sujets sont orientés vers des
dispositifs ad hoc.
Les entretiens s’inscrivent donc le plus souvent dans le cadre du passage
du sujet âgé dans une institution. Seront ici distinguées d’une part les
hospitalisations de courte ou de moyenne durée, d’autre part les
hospitalisations longues et les entrées dans des lieux de vie.
Les entretiens lors d’ hospitalisation en service de gérontopsychiatrie (ou à
défaut de psychiatrie) relèvent des pratiques classiques des psychologues
avec, nous le verrons plus loin, un certain nombre de spécificités liées à la
situation : soutien à domicile, entrée en institution, dépendance motrice et/ou
sensorielle et/ou cognitive et/ou affective…
De nombreux services dans les hôpitaux généraux accueillent (avec plus
ou moins d’intérêt et de plaisir !) des patients âgés pour des problèmes
somatiques de divers ordres, relevant souvent de la polypathologie ou encore
de l’accident, à commencer par les chutes. La prise en charge purement
médicale s’avérant bien souvent insuffisante, nombre de services ont recours
à des psychologues, soit en appui sur d’autres services soit, de plus en plus
souvent, en créant des temps de psychologue. L’âgé n’est que rarement le
demandeur de l’entretien et l’attente institutionnelle est forte. Dans ce cadre,
le psychologue a à penser à des entretiens brefs (car les séjours ne durent pas
longtemps) et ciblés. De plus, ces entretiens, que ce soit en court séjour ou en
service de soins de suite et de réadaptation (SRR), ont une fonction
d’accompagnement, de transition.
Ces entretiens peuvent aussi s’inscrire dans le cadre d’une institution qui
devient le lieu de vie du sujet âgé, ce qui comporte toujours une dimension
traumatique, même lorsque l’âgé en est demandeur (en particulier lorsqu’il se
vit comme étant en insécurité chez lui, que ce soit à la suite d’une perte,
d’une chute, d’une agression…). L’entretien psychologique peut avoir lieu
lors de l’entrée du sujet ou ultérieurement, en particulier si apparaissent des
difficultés d’ adaptation, c’est-à-dire de deuil et d’ investissement.

2. LA DEMANDE D’ENTRETIEN
Comme bien d’autres populations, les sujets âgés ne sont que rarement
demandeurs d’entretiens psychologiques, au moins dans un premier temps,
un peu par méconnaissance de ce qu’ils recouvrent, beaucoup par inquiétude
(qu’imaginent-ils ? que projettent-ils ?) , donc par résistance.
De plus, les demandes spontanées prennent rarement une forme explicite,
elles passent plus souvent par une interpellation : M. A. demande au
psychologue qui passe devant lui : « Que faites-vous ici ? », ou M. B. lui
demande de l’aider à aller dans sa chambre.
Les entretiens relèvent le plus souvent d’une des deux logiques suivantes.
Dans la première, l’entretien est systématiquement proposé, que le cadre en
soit une hospitalisation ou une entrée dans un lieu de vie. L’offre précède
donc la demande mais, pour qu’il y ait demande, encore faut-il connaître
l’offre. Il n’est pas si simple pour un sujet (âgé ou non au demeurant) de s’y
retrouver dans la multitude des offres et des intervenants au sein d’une
institution. Cette proposition ne débouche pas forcément sur un entretien, ou
pas forcément tout de suite, elle permet un premier contact, une certaine
familiarisation.
Dans la seconde, la demande passe par un tiers qui peut être institutionnel
(médecin, équipe soignante, animateur…) ou familial (conjoint, enfant le plus
souvent). S’il importe d’évaluer les enjeux de cette demande, il importe tout
autant de montrer qu’elle a été entendue, ce qui ne veut pas forcément dire
qu’il y soit immédiatement répondu par un entretien. En effet, ces demandes
véhiculées par des tiers sont porteuses des préoccupations (angoisses,
fantasmes…) propres à ces tiers, mais elles sont aussi porteuses de ce que le
sujet âgé a déposé dans ces tiers de ses propres préoccupations qu’il ne
parvient pas à verbaliser explicitement. L’équipe est alors le porte-parole
(E. Pichon-Rivière, 1979) du sujet âgé, de son malaise et de sa demande
d’aide.
Une équipe de long séjour sollicite le psychologue pour qu’il « voie »
Mme C. qui semble se « laisser couler » (faisant craindre un syndrome de
glissement) depuis son entrée dans le service. L’équipe a peur qu’elle se
laisse mourir et demande donc de l’aide pour elle-même (« Que pouvons-
nous faire ? ») et pour la patiente (« Comment peut-elle réinvestir la vie ? »).
Un mari demande à la psychologue de rencontrer sa femme car depuis
qu’il l’a faite hospitaliser suite à une chute qui a provoqué une fracture, celle-
ci l’insulte, l’accuse de s’être débarrassé d’elle pour voir ses maîtresses, ce
qui choque beaucoup cet homme de presque 90 ans qui dit tristement :
« Vous imaginez, à mon âge… ».
Les entretiens qui font suite à la demande d’un tiers posent deux questions
techniques :
– celle de l’entrée en matière avec l’âgé ;
– celle de ce que le psychologue sait de l’âgé (que l’âgé ne sait a priori pas
qu’il sait), savoir qui relève des représentations que ces tiers (familiaux ou
professionnels) se sont construites de l’âgé.
L’exposé à l’âgé de l’origine de la demande et de ce qui la motive offre
l’avantage (au moins quant à l’ idéal du Moi du psychologue) de la clarté. Il
peut aussi médiatiser pour l’âgé l’ expression du souci que ces tiers se font
pour lui, au risque de s’entendre opposer un vigoureux démenti, voire un
déni. Il offre aussi l’inconvénient de polariser l’entretien sur des points
significatifs pour ces tiers, souvent du côté de ce qui se manifeste et gêne
famille ou professionnels. Or, ce qui fait la fécondité de l’entretien clinique
est a contrario sa capacité à demeurer ouvert, à laisser émerger l’inattendu, la
surprise.
Ainsi appartient-il au psychologue d’évaluer ce qui lui semble judicieux de
communiquer à son patient, en particulier en se situant autour d’un axe
dépression (le souci de l’autre peut alors avoir valeur de soutien narcissique) /
persécution (le souci de l’autre peut entraîner une méfiance dans laquelle le
psychologue peut se trouver englobé). En tout état de cause, il importera de
ne pas être trop précis, trop focalisé, afin que le sujet puisse s’approprier
l’espace-temps de l’entretien, l’orienter en fonction de sa propre dynamique
psychique. Ceci signifie aussi que la réalité (du moins telle que perçue par
des tiers) ne doit pas recouvrir, voire étouffer, la réalité psychique du sujet.
Ce point est d’autant plus important que l’entretien s’inscrit dans un lieu de
vie, lieu toujours plus ou moins totalitaire (au sens d’I. Goffmann (1959),
c’est-à-dire un lieu total, avec pas ou peu d’extériorité) : l’âgé vit sous le
regard des soignants, il n’a guère d’espace propre. Dès lors le repli sur son
monde interne comme espace du secret (P. Castoriadis-Aulagnier, 1976) est
une défense à respecter, et ce d’autant plus que le psychologue appartient lui-
même à l’institution, à l’équipe.

3. L’ESPACE ET LE TEMPS DE L’ENTRETIEN


L’entretien psychologique est donc un espace spécifique, différencié, au
sein de la globalité de l’ accueil et de la prise en charge institutionnelle. Il est
un lieu d’ intimité, un lieu dans lequel le sujet âgé peut exprimer sa
singularité alors que l’institution pense plutôt en termes de collectif, de
catégories (les vieux, les déments…). Ceci va mobiliser des enjeux sur deux
plans : d’une part celui du dispositif de l’entretien (en particulier quant au
lieu et à sa confidentialité), d’autre part quant à l’articulation avec le travail
en équipe (confidentialité et secret partagé).
Dans les institutions gériatriques où travaillent des psychologues, ceux-ci
ne bénéficient pas toujours de leurs propres bureaux, voire même d’un
bureau, ce qui pose des problèmes quant à la rencontre, à son cadre et
éventuellement à sa confidentialité. Nous différencierons alors
schématiquement deux grands types de pratiques.
La première, fréquente, est l’entretien dans la chambre. Quand il s’agit
d’une chambre à deux (ou plus !) , une première solution consiste à demander
à l’autre occupant de bien vouloir sortir en lui expliquant pourquoi, ce qui
n’est pas toujours simple, le résident se voyant invité à quitter son « chez
lui ». De plus, l’acceptation reste aléatoire et peut être culpabilisante pour
celui qui va bénéficier de l’entretien. Il n’est de ce fait pas rare soit que des
patients refusent la poursuite des entretiens, soit qu’ils proposent de les faire
en présence du voisin de chambre. Alors le psychologue risque et doit inhiber
ses interventions et questionnements afin que le patient ne s’expose pas trop.
Lorsqu’il s’agit donc d’une chambre seule, nous retrouvons en bonne partie
les questions qui se posent au psychologue dans les pratiques à domicile
(hospitalisations à domicile [HAD], soins palliatifs…). L’entretien n’a plus
lieu dans un espace organisé par le psychologue, mais par le patient lui-
même : c’est un chez lui dans lequel il peut ou non accepter la présence du
psychologue qui, lui, devra faire valoir la spécificité du cadre de l’entretien
par rapport à une visite de courtoisie. Ainsi, bien des personnes âgées en
maison de retraite peuvent-elles dire au psychologue « passez me rendre
visite quand vous voulez, cela me fait de la compagnie », en lui offrant
boissons, gâteaux ou bonbons. Il y a là un enjeu important : différencier la
pratique clinique de la sociabilité ordinaire est d’autant plus difficile que le
psychologue est parfois la seule visite que reçoivent certains âgés, ce qui pose
aussi question quant à l’ indication de la prise en charge et quant à son arrêt.
Que la personne âgée n’ait rien à faire, qu’elle se dise disponible tout le
temps rend d’autant plus nécessaire l’instauration d’un cadre clair et
explicite : rendez-vous fixé à l’avance, durée et fréquence établies, etc.
La seconde pratique est celle de l’entretien dans des espaces communs de
l’institution : salon, salle à manger… Ceci pose encore la question de la
privatisation de cet espace par le clinicien le temps des entretiens, ce qui veut
dire qu’il en exclut les autres résidents. Lorsque tel n’est pas le cas (y
compris parce que ce n’est pas toujours possible), se pose alors le problème
d’une confidentialité réduite. Dans un tel cadre, il peut y avoir prise de
contact ou relation sociale mais pas véritablement entretien (de même que
dans la chambre lorsque l’autre habitant y reste), avec ce que cela entraîne d’
implication personnelle sur le plan des affects et des représentations.
S’il est important de repérer les éléments de réalité et leurs incidences sur
le cadre des entretiens, il est tout autant nécessaire de prendre la mesure de la
manière dont les sujets âgés les investissent dans la dynamique de leur
fonctionnement propre. Retenons ici deux cas de figure. La personne âgée
peut investir l’entretien en présence de son voisin de chambre ou dans un
espace commun à des fins de mise en scène d’elle-même (I. Goffmann, 1959)
et/ou d’ exhibition dans des logiques qui peuvent être hystériques ou
perverses, à moins qu’elles ne relèvent de la perte des limites et de la
différenciation des espaces réels et psychiques dans le cas de patients atteints
de DSTA.
La personne âgée peut également utiliser la présence de tiers à des fins de
réassurance ou de résistance. Je pense ici à une personne âgée qui n’accepta
les entretiens dans le bureau qu’après trois rencontres dans un espace de
passage au sein du service. Les premiers entretiens eurent une fonction de
transition vers une privatisation et une singularisation de la relation qui dut
d’abord avoir lieu sur fond de la présence du groupe. Dans d’autres cas
encore, cette présence permet à l’âgé d’en rester à une relation de surface, de
ne pas s’engager vers des éléments plus personnels, plus souffrants aussi. Il
peut alors être important que le psychologue le lui signifie et arrête ces
rencontres afin de ne pas conforter le patient dans ce type de résistance à la
rencontre clinique en appui sur des éléments de la réalité externe.
La fréquence des entretiens va dépendre principalement de deux éléments :
l’ indication clinique et la disponibilité du psychologue, critères qui
interviendront aussi quant à la durée de chaque séance et de l’ensemble du
suivi. L’ indication clinique est à évaluer au cas par cas, une fréquence trop
faible gênant l’ investissement et la mobilisation psychique du patient (mais
aussi du psychologue), une fréquence trop importante (au moins une fois par
semaine) pouvant, elle, susciter une angoisse difficile à contenir, ce qui aura
en outre des effets sur le retour institutionnel quant au travail du psychologue.
Cette fréquence est aussi liée à la quotité de temps de travail du clinicien qui
va du temps complet à des temps très partiels. La durée du suivi dépend elle
aussi d’abord de l’ indication clinique et de la visée de ces entretiens :
dépassement d’un moment de crise, travail ponctuel, travail plus approfondi
autour d’un bilan de vie… S’y ajoutent des dimensions plus sociales, tel le
fait que l’âgé n’a pas d’autres visites : ceci fait sans doute dévier la dimension
clinique de l’entretien, mais fait aussi ressortir le psychologue comme objet
s’offrant à l’ investissement de l’âgé. De plus, il n’est pas rare que les
cliniciens associent l’arrêt du suivi soit à un abandon (effet d’une
identification projective venant du patient ?) , soit à la mort de ceux-ci. Alors,
le clinicien se vit comme celui qui maintient l’âgé en vie, qui le porte. Il lui
est dès lors bien difficile d’envisager l’arrêt d’un tel suivi, tant pour la vie du
patient que pour la gratification narcissique qu’il en retire.
La durée de chaque séance dépend elle aussi de la disponibilité, réelle mais
aussi psychique, du clinicien : il est des patients avec lesquels quarante-cinq
minutes peuvent paraître particulièrement éprouvantes, ce qui est à analyser
contre-transférentiellement. Elle dépend aussi de la capacité d’investissement
des patients. Quoi qu’il en soit, il importe de fixer une durée à ces entretiens.
Cette durée témoigne de l’ investissement du psychologue (« Je vous
consacre X minutes, elles sont pour vous, même si vous les interrompez,
quittez le bureau ou me demandez de partir de votre chambre ») et d’une
limite. En effet, s’il est des âgés qui abrègent les entretiens (forme classique
de résistance à l’ investissement et à l’émergence d’éléments souffrants), il en
est d’autres qui garderaient volontiers le psychologue auprès d’eux pendant
des heures. La question est alors d’autant plus compliquée que l’entretien a
lieu dans la chambre.

4. LE CORPS DANS L’ENTRETIEN


Si la question du corps se pose dans toutes les pratiques d’entretien
clinique, elle revêt un certain nombre de spécificités avec les âgés sur le plan
de la motricité, de la sensorialité et de la relation.
Bien des âgés en institution rencontrent des difficultés locomotrices qui
seront à la fois à lire sur le plan de la réalité corporelle, sur celui de l’
investissement de son corps par l’âgé et sur celui de la mobilisation de ce
corps dans la relation au clinicien.
La première question est de savoir si, et comment, l’âgé peut se déplacer.
Un certain nombre d’entretiens ont lieu dans sa chambre parce qu’il est dans
l’incapacité (temporaire ou de longue durée) de quitter son lit ou son fauteuil.
De tels éléments participent au dispositif et seront si possible à interroger
dans la dynamique de l’entretien. Il peut être difficile pour le psychologue
d’évaluer la réalité de la mobilité d’un âgé. Ainsi d’un monsieur qui exigeait
que le psychologue l’emmène en entretien en fauteuil roulant alors qu’il
aurait pu se déplacer seul, mais avec difficulté. Ainsi encore d’une dame qui
demanda au psychologue de lui donner le bras pour la soutenir, ce que
l’équipe releva avec humour en lui disant qu’« elle profitait de la présence
d’un beau jeune homme ». Si ceci mit un peu le psychologue dans
l’embarras, la personne âgée en conçut visiblement une certaine fierté. Ces
deux brefs exemples font ressortir et la manière dont l’âgé investit ses
difficultés motrices, et celle dont il inscrit cet investissement dans la relation
à un professionnel qui n’est pas un spécialiste du corps fonctionnel. Si le
monsieur, dans le fauteuil, revendiquait une certaine dépendance, donnait à
voir un corps blessé, diminué, la dame hystérisait suffisamment ses
difficultés de marche. Ces questions, lors des entretiens, se posent donc pour
les déplacements mais aussi pour l’installation (aide pour s’assoir, se lever,
etc.).
Les limites de la motricité peuvent poser question durant l’entretien.
Lorsque le patient est mobile et qu’il dit vouloir quitter l’entretien mais qu’il
n’agit pas le départ, le clinicien peut comprendre que ce qui se joue relève de
l’ ambivalence ou de la vérification par le patient de l’ investissement de sa
présence par le psychologue. Lorsque le patient n’est pas mobile de façon
autonome, son éventuelle ambivalence est plus difficile à évaluer et met
aisément le psychologue dans une position de toute-puissance à entendre en
écho à celle d’impotence, de toute-impuissance vécue par le patient. Il est
donc indispensable d’inscrire la demande de ce patient de mettre fin à
l’entretien dans le cadre de ce que lui fait vivre le fait d’être dépendant de
l’autre. Cela fait partie des situations dans lesquelles la malléabilité du
clinicien est particulièrement importante.
Les difficultés corporelles des âgés peuvent aussi relever de la sphère
sensorielle 2, en particulier visuelle et auditive, qui auront toutes deux de
réelles incidences dans les entretiens. Nous nous arrêterons particulièrement
sur la déficience auditive qui touche le canal de communication privilégié
dans les entretiens. L’une et l’autre de ces déficiences entraînent souvent une
plus grande proximité avec les âgés, généralement à la demande de ceux-ci.
La déficience auditive, souvent majorée par le refus des âgés d’avoir une
prothèse auditive ou de l’utiliser, produit des effets complexes pour le
clinicien qui peut être conduit soit à parler très fort (au risque d’un manque de
confidentialité des entretiens), soit à restreindre ses interventions qui, n’étant
pas comprises, peuvent augmenter l’ angoisse et l’atteinte narcissique du
patient, soit encore à faire preuve de créativité en recourant par exemple à
l’écrit (lorsque l’âgé n’éprouve pas de difficulté visuelle ou cognitive), au
dessin. Dans le même registre, le psychologue peut être confronté à des
troubles de l’ élocution de l’âgé suite à un accident vasculaire cérébral ou à
une démence par exemple. Il est alors bien souvent difficile de maintenir une
écoute suffisamment flottante, le risque étant de beaucoup recourir à la
reformulation -répétition de ce que l’on croit avoir compris. Si ceci peut
comporter des effets positifs (le patient percevant qu’il est compris) dans une
logique écholalique, dans un miroir sonore, ceci comporte néanmoins aussi la
limite d’une centration cognitive sur l’énoncé plus que sur la dynamique
relationnelle d’ensemble (problématique que l’on retrouve aussi dans la
clinique de certains handicaps). Dans la rencontre avec des patients
présentant des troubles de l’ élocution, des difficultés de langage, il est là
aussi fondamental de faire preuve de créativité en mettant à disposition
d’autres modes d’ expression, des supports de médiation (dessin, peinture,
terre, objets…).
Souvent en appui sur leurs difficultés motrices ou sensorielles, les âgés
sollicitent le contact ou la proximité physique du clinicien : la main serrée
pour dire bonjour ou au revoir est longuement retenue, témoignant du besoin
de concrétiser le lien par (et de l’ étayage sur) un contact corporel. Cette main
est non seulement tenue mais aussi caressée, parfois avec des commentaires
sur la chaleur, la douceur, disant le besoin de recharge pulsionnelle favorisé
par ce contact. Ceci peut mettre le clinicien mal à l’aise car quelque chose de
l’ investissement érotique se dit explicitement et s’agit. Le fauteuil est
rapproché de celui du psychologue, voire mis tout contre celui-ci, abolissant
la concrétisation de la distance professionnelle habituelle.

5. STRUCTURE D’ÂGE ET ORGANISATION


DES TRANSFERTS
Si les entretiens avec les âgés sont caractérisés par la logique des
inscriptions et organisations institutionnelles et par celle des corps, ils le sont
aussi par la structure d’âge, de même mais à l’opposé qu’en clinique de l’
enfant ou de l’ adolescent. En effet le clinicien y est toujours plus jeune que
son patient, ce qui implique que le patient a vécu/vit des choses que le
psychologue n’a pas encore vécues. Ceci peut, comme au demeurant toute
autre différence, être utilisé défensivement par le patient sur le mode de :
« Vous ne pouvez pas me comprendre, parce que vous êtes (encore) jeune,
parce que vous ne savez pas ce que c’est qu’être vieux ». Certes, mais ce qui
fait l’écoute clinique n’est pas d’avoir eu la même expérience que l’autre
(c’est impossible et comporte par ailleurs un risque d’ identification
narcissique important), c’est le partage d’ affects et de représentations à partir
de ce que le patient apporte.
S’il importe de repérer les enjeux transféro-contre-transférentiels mobilisés
par la différence d’âge au cours des entretiens cliniques, il importe tout autant
de ne pas s’y fixer car cela reviendrait à ne rencontrer le sujet que comme
sujet âgé, c’est-à-dire à n’entendre sa problématique psychique que dans la
perspective de son âge.
Ainsi est-il possible de dégager deux grands mouvements transférentiels
chez les âgés au cours des entretiens cliniques : le transfert filial et le
transfert parental (J.-M. Talpin, 2005).
Conformément à la structure de la différence d’âge, l’âgé peut développer
un transfert filial : il met alors le clinicien en position d’ enfant ou de petit-
enfant. Cette dimension permet de mettre en travail la transmission et ses
ratés, que l’âgé n’ait pas eu d’ enfant (pas voulu ou pas pu en avoir) ou que
ceux-ci, de son point de vue, se soient avérés décevants, voire défaillants. Le
clinicien en est souvent pris à témoin, au risque d’être mis en place d’ enfant
idéal. Pour autant que le clinicien entende ces défaillances des enfants comme
parlant des objets internes de l’âgé, il peut permettre dans les entretiens un
travail sur les attentes narcissiques de l’âgé vis-à-vis d’eux, en particulier
dans la logique d’une nouvelle (et ultime ?) occasion de transmission. Le
clinicien lui-même peut être mis en position de récepteur de cette
transmission, justement parce qu’il est plus jeune, ce qui est pour le patient
un gage qu’il lui survivra et conservera au-delà de sa disparition ce qu’il a
déposé en lui à des fins de conservation et/ou de transformation. Ceci est
particulièrement marqué dans le travail clinique avec les déments : ces
derniers vont utiliser les cliniciens comme porte-mémoire alors même qu’ils
sont confrontés à l’atteinte progressive de celle-ci.
Le transfert filial participe aussi à la résistance en s’accrochant à la réalité
et en permettant à l’âgé de maîtriser la situation au nom de sa vieillesse,
d’une expérience et d’un savoir que lui seul possède(rait). Le clinicien peut
valoriser l’expérience du patient en le sollicitant à en faire part. Ce transfert
filial peut alors n’être que le premier temps d’un développement
transférentiel plus complexe une fois que l’âgé se sera familiarisé avec l’
étrangeté de ce qu’il découvre de et en lui-même.
Le transfert parental (classique) ne tient pas compte de la différence d’âge
ni de sexe, et consiste en un investissement et en une répétition sur le
thérapeute des problématiques infantiles et archaïques. Ceci est tout
particulièrement lié chez les âgés à la réactivation des enjeux narcissiques
(C. Balier, 1976) et de la détresse (l’ Hilflosigkeit de Freud, 1926, P.-L.
Assoun, 1983) par la dépendance et l’impuissance suscitées par les
défaillances motrices, sensorielles, cognitives et par les pertes d’ objet. Il est
toujours surprenant pour le clinicien de constater combien des souffrances
infantiles, parfois vieilles de plus de quatre-vingts ans, peuvent rejaillir soit
dans les représentations soit dans le transfert : ainsi le clinicien qui se voit
accusé par un patient d’en préférer un autre, de ne pas être attentif, de ne pas
être disponible, de ne rien comprendre… plaintes qui, à travers lui,
s’adressent à telle ou telle figure parentale.
Ce transfert va être le lieu d’un investissement parfois important du
clinicien sur le mode de l’ objet clé (M. de M’Uzan, 1977), objet pris dans le
mouvement d’expansion narcissique du sujet âgé. Les questions du sens de la
vie et de la mort peuvent alors se mettre en travail durant les entretiens du fait
de leur régularité, la présence même du clinicien étant une première réponse
dans la mesure où elle témoigne de son investissement du sujet âgé et du fait
qu’il le voit comme un sujet vivant, plus que seulement un être pour la mort,
tel le sujet dément.

6. L’ENTRETIEN AVEC LE SUJET DÉMENT


La clinique des sujets déments est riche, variée et complexe, mais souvent
aussi inquiétante pour le psychologue. Sa position fait qu’il essaie toujours de
considérer le sujet plutôt que le déficit – sans nier celui-ci pour autant –, mais
en cherchant à comprendre sa fonction psychique et comment le sujet y
réagit. C’est ce positionnement qui fait parler de « sujet dément » (J.-M.
Talpin, 2012). La clinique de ces sujets varie certes selon qu’ils entrent dans
la démence ou que celle-ci est évoluée, elle varie surtout beaucoup en
fonction de la manière dont le sujet dément est accueilli et accompagné dans
l’entretien. G. Le Gouès (1991) ou M. Péruchon (2011) ont particulièrement
bien montré que la présentation clinique d’un dément n’est pas constante et,
qu’au cours d’un entretien attentif, le sujet dément recouvre une certaine
fluidité verbale, mnésique, bref, associative.
Il est donc nécessaire que le clinicien ne se fixe pas sur la seule dimension
des difficultés mnésiques et cognitives, pas plus que sur la seule dimension
des représentations, a fortiori uniquement verbales. La dimension affective
est plus importante, son investissement pouvant venir étayer le recrutement
représentationnel en choses et en mots. Ceci suppose tout à la fois que le
clinicien renfloue le narcissisme du sujet dément, qu’il prête son appareil
psychique, mais aussi qu’il se retienne de combler les lacunes du discours
manifeste du patient ou de reconstituer une temporalité chaotique, confuse.
Mme V. dit à la psychologue qu’elle ne peut pas rester longtemps en
entretien car sa maman l’attend et va se faire du souci. La psychologue
reprend autour de l’importance de cette maman (décédée depuis longtemps),
sur le fait qu’il s’agit d’une maman attentive : cette reprise peut permettre de
passer d’une quasi-hallucination à une évocation en représentations, la
psychologue se positionnant elle-même en mère attentive.
Les entretiens réguliers avec des sujets déments permettent la construction
d’un lien et la remobilisation, au moins dans ce cadre, d’une activité
psychique préconsciente, quand ce n’est pas un travail sur les mouvements
dépressifs profonds que l’organisation du sujet sur un mode démentiel permet
plus ou moins d’éviter.

7. LES VISÉES DES ENTRETIENS AVEC


LES SUJETS ÂGÉS
Pour conclure, nous allons reprendre de manière systématisée les
principales visées des entretiens avec des sujets âgés.
L’entretien peut être ponctuel dans le temps : il permet à l’âgé de faire la
connaissance du psychologue, de savoir qu’il existe et qu’il peut faire appel à
lui s’il en ressent le besoin.
Il peut aussi être ponctuel au sens qu’il vise un point précis de la
problématique du sujet : une maladie, un accident, une entrée en institution,
une perte d’ objet… Ce point de fixation peut être actuel, ainsi que les
exemples précédents en témoignent. Il a en effet sa valeur propre, mais il a
aussi une valeur d’ après-coup : il convoque et prend sens d’un événement du
passé refoulé, jamais élaboré. Ceci peut conduire à ce que le point se déplace
d’un événement actuel à un événement du passé.
Cette « ponctualité » peut être imposée par la brièveté du séjour (en
médecine ou en SSR), elle peut aussi l’être par le sujet âgé qui dit ou
manifeste, d’une manière ou d’une autre, les limites de ce qu’il entend mettre
au travail. Ceci peut être posé par l’âgé au début, au cours ou à la fin du suivi,
et peut aussi évoluer au fil des entretiens qui ont donc une fonction
transitionnelle de dépassement d’un temps de crise (R. Kaës, 1979).
L’entretien peut s’inscrire dans une logique d’accompagnement, ce qui
suppose une dimension d’ étayage : accompagnement de vie et pas seulement
de fin de vie. L’accompagnement est potentiellement préalable à la mise en
place d’un travail psychique plus approfondi.
L’entretien peut enfin avoir une visée plus large, quant à ce qu’elle
embrasse et mobilise de la vie d’un sujet, et plus profonde. Ainsi des
entretiens qui participent d’un bilan de vie, celui-ci ayant moins une fonction
de clôture du vécu qu’une fonction de relecture, de confrontation à l’ idéal du
Moi et de relance d’ investissement de vie dans la vieillesse. Ces entretiens
participent alors à des processus de réaménagements psychiques tardifs
aidant les sujets à vivre leur vieillesse.
Quelles que soient les visées des entretiens, visées qui peuvent se
réorienter au cours de leur déroulement, le rapport du psychologue au temps
et à son propre vieillissement est aussi mobilisé : contre-transférentiellement,
c’est un effet pour comprendre ce qui est mobilisé par le vieillissement pour
chaque sujet rencontré.

8. SITUATION CLINIQUE
8.1. LE CAS MME JEANNE
La psychologue salariée à temps partiel d’une maison de retraite reçoit en
entretien Mme Jeanne suite à la sollicitation de l’équipe qui, la trouvant
repliée sur elle-même, se demande si cette dame n’entre pas dans la démence.
Mme Jeanne est entrée en maison de retraite à titre définitif suite à une chute
ayant entraîné une fracture maintenant résorbée mais qui lui laisse une
claudication. Elle a encore sa maison dont un couple de voisins-amis
s’occupe. La psychologue est passée trois jours plus tôt lui proposer un
entretien, elle lui a répondu qu’elle pensait que cela ne lui servirait pas à
grand-chose mais a accepté.
À l’heure dite, la psychologue va la chercher dans sa chambre, lui en
rappelant la raison.
Mme Jeanne : Oui, oui, je me souviens, je ne perds pas la boule, vous
savez !
Mme Jeanne suit la psychologue dans son bureau, laissant sa canne dans
sa chambre et prenant le bras de celle-ci. Une fois dans le bureau, la
psychologue désigne une chaise de la main à Mme Jeanne qui la tire près de
celle sur laquelle la psychologue s’apprête à s’assoir. Elles sont de trois
quarts l’une par rapport à l’autre.
Mme Jeanne (reprenant d’emblée la parole) : Vous savez, il ne fait pas
bon devenir vieux ! On ne vous écoute plus, on fait de vous ce qu’on veut.
C’est une vraie misère… J’ai une jolie maison, c’est celle que mes parents
avaient achetée quand j’avais dix ans. Je l’ai un peu quittée au début de ma
carrière, j’étais postière à L., à quatre-vingts kilomètres d’ici. Puis, après
quelques années, j’ai eu ma mutation et je n’ai plus bougé d’ici… On est
venu y habiter avec mon mari à la mort de mon père, ma mère ne voulait pas
rester toute seule… et puis, on n’avait pas pu avoir d’ enfant… On
m’empêche d’y retourner, je me demande bien pourquoi ! ( Le ton monte un
peu quand elle dit cela). Heureusement que j’ai les Y. ( voisins) depuis que
mon mari est parti… Ils sont gentils, ils aèrent, ils arrosent vu qu’il fait sec en
ce moment. J’ai des fleurs, et puis des herbes, quelques légumes… Ce n’est
pas pour ce que je mange maintenant, mais bon… ( Silence, elle semble
rêveuse)… Ça dépanne, et puis j’en donne un peu quand j’ai de la visite,
surtout Maryse et Jean-Claude, ma nièce et son mari…
La psychologue regarde Mme Jeanne, laisse un peu de temps à celle-ci qui
parle aisément et qui, de temps en temps, rapproche encore un peu plus sa
chaise. Pendant qu’elle continue, la psychologue hoche un peu la tête pour
marquer son attention.
Mme Jeanne : C’est la fille de mon frère… Le pauvre, il est parti aussi. Il
était divorcé depuis longtemps, il ne s’est jamais remis avec quelqu’un…
Maryse, c’est un peu comme une fille…
( Silence plus long).
Psy : Oui…
Mme Jeanne : Vous avez l’air bien gentille, vous allez m’aider à rentrer
chez moi, hein ?
Psy (un peu surprise, embarrassée) : Euh, vous savez, on verra, il faut
d’abord qu’on fasse connaissance… que vous m’expliquiez ce qui se passe
pour vous…
Mme Jeanne : C’est pas compliqué, mon petit ! J’étais en train de
ramasser des cerises, l’échelle, oh ! une toute petite échelle, a glissé sur la
branche et je me suis retrouvée par terre ! Les Y. m’ont entendue crier et ils
sont tout de suite venus. Comme j’avais très mal, ils ont appelé les pompiers
qui m’ont emmenée à l’hôpital, disant que j’avais dû me casser quelque
chose… « Fracture, m’a dit le médecin, vous allez rester avec nous un
moment ». Puis il m’a dit : « Vous n’avez plus l’âge de monter aux échelles,
ma petite dame ! ». Je me suis retenue de lui dire ce que j’en pensais… Y’a
un âge pour monter aux échelles, maintenant ? Ça fait soixante-dix ans que je
monte, alors… Et puis « ma petite dame ! », on n’a pas gardé les cochons
ensemble !
Psy : Tout cela vous a contrariée…
Mme Jeanne : Mais ça n’est rien ! Après la chirurgie, rééducation ! Deux
bons mois à l’hôpital ! J’ai cru devenir folle, coincée dans ma chambre avec
des petits vieux partout… Vous auriez vu ça. Enfin, vous voyez, vu qu’il y a
plein de gâteux ici ! ( Puis, triste) Vous voyez bien que je n’ai pas ma place
ici…
Psy : Vous n’avez pas fait de connaissances ?
Mme Jeanne : Heureusement qu’ils m’ont donné une chambre seule,
sinon je me serais sauvée ou je serais devenue folle !
( Long silence).
Psy : Vous croyez ?
Mme Jeanne : Ça fait peur, j’espère que je ne deviendrai pas comme ça…
(Silence, Mme Jeanne semble rêveuse. Puis, se reprenant ) Bon, vous voyez
qu’il faut que je rentre chez moi …
Psy : Vous y êtes déjà retournée depuis que vous êtes ici ?
Mme Jeanne : On m’a proposé mais je ne préfère pas… (Silence, elle a
les larmes aux yeux)… Je m’excuse…
Psy : Vous pouvez être triste, il se passe beaucoup de choses dans votre
vie en ce moment…
Mme Jeanne : Je ne préfère pas parce que j’ai peur que ça me remue trop,
je n’arriverai pas à revenir ici… Bon, les infirmières sont gentilles, hein…
Psy : Je vous propose que nous nous rencontrions pendant quelque temps,
une fois par semaine, autour de trois quarts d’heure. Jeudi prochain à la
même heure, cela vous irait ?
Mme Jeanne : Il n’y a pas que moi ici, je ne voudrais pas vous faire
perdre votre temps…
Psy : Ne vous inquiétez pas pour cela, j’ai du temps pour tous ceux qui en
ont besoin. Alors, à la semaine prochaine, Mme P. ?
Mme Jeanne : Oh, pas de Mme P., appelez-moi Jeanne… Et vous, c’est
comment, votre petit nom ?
Psy : Je m’appelle Christelle Dupont-Dubois.
Mme Jeanne : C’est joli… Au revoir… ».

8.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


À l’issue de ce premier entretien, il ne semble pas que Mme Jeanne
présente une psychopathologie franche. Du point de vue de la psychologue,
on peut noter un écart (qui aura potentiellement une incidence contre-
transférentielle) entre la description des soignants (crainte d’une démence) et
le tableau clinique. Mme Jeanne ne présente ni trouble mnésique ni trouble de
l’ orientation. De plus, percevant sans doute cela, et en réaction à certains
autres pensionnaires, elle se défend vigoureusement de « perdre la boule »
dès avant le début de l’entretien.
Schématiquement, plusieurs axes peuvent être repérés :
– Il y a la présence évidente d’éléments traumatiques actuels : l’accident, l’
hospitalisation en court séjour puis en SSR, enfin l’entrée en maison de
retraite, ce que la psychologue reprend en disant : « Il se passe beaucoup de
choses dans votre vie en ce moment ». Ces éléments réactivent des enjeux d’
investissements anciens, en particulier des parents à travers la maison qui fut
celle d’une partie de l’enfance de Mme Jeanne. Ils réactivent aussi des
angoisses de passivation dont elle se défend par un certain activisme dans les
propos ainsi que par de la revendication (échange avec le médecin). Il
découle de ces confrontations à des événements traumatiques un clivage
avec, d’une part, idéalisation de l’avant (représenté en particulier par la vie
dans la maison) et, d’autre part, péjoration de l’actuel (l’hôpital, la maison de
retraite « pleine de gâteux ») ;
– Ces traumatismes répétés en peu de temps laissent une blessure
narcissique très liée au vieillissement. Malgré l’accident, Mme Jeanne peine à
penser son vieillissement, voire le dénie : ainsi dit-elle qu’il n’y a pas d’âge
pour monter à l’échelle. De plus, elle supporte mal d’être mise dans la même
catégorie que les autres résidents dans lesquels elle ne se reconnaît pas et sur
lesquels elle porte un regard péjoratif ;
– Des éléments dépressifs sont retenus, peu exprimés directement, avec
une légère défense maniaque (Mme Jeanne parle beaucoup en début
d’entretien). Dans cette logique, on peut noter un évitement de la mort (elle
dit de son mari et de son frère qu’ils sont « partis », ce qui engendre de
l’ambiguïté). Ceci fait se poser la question du deuil chez cette femme
confrontée (comme nombre de personnes âgées) à de multiples pertes : le
père, la mère (mais elle n’en dit rien), le mari, le frère et, dans un autre
registre, les enfants qu’elle n’a pas pu avoir. La crainte de faire perdre son
temps à la psychologue peut aussi se lire comme relevant de la problématique
dépressive dans une logique de dévalorisation ;
– D’autres éléments sont teintés de persécution autour du fait que, lorsque
l’on vieillit, les autres décident pour soi (ce que la réalité vient ici alimenter,
quand bien même ces décisions sont « pour le bien » du sujet). Mme Jeanne
est très réactive à ce qui est décidé pour elle, sauf à la fin où elle laisse
émerger son besoin de sécurité.
En ce qui concerne la dynamique de l’entretien, ce qui est particulièrement
frappant est la manière dont la psychologue est investie d’emblée, alors que
la description par les soignants aurait pu faire craindre un refus de la
proposition d’entretien. Cet investissement se manifeste d’abord par
l’acceptation, puis par la reconnaissance de la psychologue quelques jours
plus tard, enfin par le fait que Mme Jeanne commence à parler dès qu’elle est
assise, qu’elle n’a pas besoin que la psychologue initie l’échange. Le début
de l’entretien, avec une reprise par la suite (« Vous voyez bien que je n’ai pas
ma place ici »), témoigne que Mme Jeanne essaie d’en tirer un bénéfice direct
(quitter la maison de retraite) en instrumentalisant la psychologue.
Cependant, un véritable retournement s’opère à la fin de l’entretien, à partir
de la question de la psychologue qui propose de sortir du tout ou rien (maison
de retraite/domicile) mis en place par Mme Jeanne. En effet la psychologue,
en lui demandant si elle est déjà retournée chez elle, lui dit implicitement
qu’elle n’est pas enfermée à la maison de retraite. La réponse de Mme Jeanne
(« Je ne préfère pas parce que j’ai peur que ça me remue trop, je n’arriverai
pas à revenir ici… Bon, les infirmières sont gentilles ».) montre qu’alors elle
peut laisser explicitement émerger la dimension dépressive liée à la prise en
compte de la réalité de sa dépendance.
L’ investissement transférentiel est très rapide : Mme Jeanne reconnaît la
psychologue, lui prend le bras, rapproche plusieurs fois sa chaise, lui parle
d’emblée. De même, à la fin, elle propose d’être appelée par son prénom et
demande le sien à la psychologue. Toutefois, on peut noter un mouvement d’
inhibition car elle n’utilise pas ce prénom, peut-être parce que la psychologue
a donné prénom et nom, marquant ainsi symboliquement un écart par rapport
à la demande de Mme Jeanne. Dès le début, et plusieurs fois par la suite, elle
prend la psychologue à témoin de sa situation et essaie de l’instrumentaliser
pour la faire sortir, mais elle n’insiste jamais, comme si elle n’y croyait pas
vraiment mais avait besoin de vérifier la réponse qui lui était faite, réponse
qui, ici, n’est jamais frontale, ce qui ouvre l’entretien.
Dans un premier temps s’instaure un transfert filial, Mme Jeanne appelant
la psychologue « mon petit », puis lui disant qu’elle a l’air gentille juste après
avoir évoqué sa nièce qui est « un peu comme ma fille ». La demande de
prénom à la fin peut s’entendre dans le même sens d’une recherche de
familiarité. Mais entre-temps a émergé un mouvement transférentiel parental,
la psychologue étant vécue comme une figure réconfortante à laquelle il est
possible de confier ses blessures. On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit d’une
figure maternelle mais cela resterait à vérifier au cours des entretiens
suivants, selon les figures parentales et la nature des relations avec chacune
d’entre elles.
Ainsi, au cours de l’entretien, Mme Jeanne passe d’une position de
maîtrise dans laquelle elle veut imposer sa solution à une position dans
laquelle elle peut parler de sa détresse actuelle d’être en maison de retraite
puis, enfin, à une dernière position dans laquelle elle dit, sur le mode négatif
(« je n’arriverai pas à revenir / les infirmières sont bien gentilles »), qu’elle
sait qu’elle est mieux à la maison de retraite mais que c’est difficile de le
reconnaître, car c’est aussi reconnaître du même coup sa dépendance et les
bénéfices qu’elle retire de la vie en institution, de la présence constante de
figures maternantes (les infirmières). Elle renonce alors à sa revendication
(dimension plus agressive), ce qui permet à un mouvement dépressif
d’émerger : avec le « Vous pouvez être triste », la psychologue propose à la
fois une qualification de l’ affect et une légitimation de celui-ci en soulignant
à Mme Jeanne qu’elle a vécu bien des choses difficiles ces derniers temps.
Au cours de cet entretien, les mouvements psychiques sont complexes : à
côté des positions tranchées affleurent des apartés qui relèvent de la pensée
associative et des affects. Durant ce premier entretien, Mme Jeanne témoigne
d’une réelle mobilité psychique qui est de bon augure pour la suite des
entretiens dans lesquels elle pourra travailler les pertes et le travail de deuil :
celui de ses objets d’amour, celui aussi de sa jeunesse, de son corps valide et
celui de sa maison qui symbolise un peu tout cela. L’ investissement très
rapide de la psychologue montre que quelque chose était en attente chez
Mme Jeanne et rend compte d’une appétence relationnelle qui s’oppose aux
mouvements dépressifs et va potentiellement permettre à ceux-ci de se dire
dans le lien à la psychologue.
TROISIÈME PARTIE
LES PRATIQUES
INSTITUTIONNELLES
DE L’ENTRETIEN
CLINIQUE
CHAPITRE 11
L’ENTRETIEN
PSYCHOLOGIQUE
À L’HÔPITAL GÉNÉRAL
Nathalie Dumet
1. DES SPÉCIALITÉS MÉDICALES À L’UNITÉ DU SUJET
MALADE
2. À LA RENCONTRE DU MALADE
3. SITUATION CLINIQUE

« … force est de constater que l’ attention portée au malade en tant que


personne non seulement ne contrarie ni les soins ni l’évolution de la maladie
vers la guérison mais, au contraire, la favorise la plupart du temps. D’où
l’intérêt de la présence d’un psychologue à l’hôpital. »
F. Marty, 2007

1. DES SPÉCIALITÉS MÉDICALES À L’UNITÉ


DU SUJET MALADE
Si l’hôpital est une seule et même institution, il est toutefois organisé en
différents services correspondant aux nombreuses spécialités médicales, telles
que l’obstétrique et la périnatalité, la chirurgie, la cardiologie, la
pneumologie, l’endocrinologie, la neurologie, la médecine interne, les
urgences, la pédiatrie, la psychiatrie de liaison, l’oncologie, les soins
palliatifs, pour citer les principales d’entre elles. Autant dire que la place, la
position, la pratique, voire les techniques d’ intervention – sans parler de la
reconnaissance même du travail – du psychologue clinicien diffèrent, parfois
considérablement, selon l’unité médicale dans lequel ce professionnel
intervient. De prime abord en effet, et pour ne prendre qu’un exemple, quelle
distance entre l’entretien psychologique réalisé en service pédiatrique auprès
d’un enfant malade hospitalisé, destiné à élucider et apaiser les anxiétés que
cet enfant présente face aux réalités médicales, et l’entretien psychologique
qui sera, lui, conduit en service de soins palliatifs auprès d’un patient, jeune
ou âgé, atteint d’un cancer en phase terminale auquel la médecine ne peut
plus apporter de guérison ? Autant la première situation, l’ intervention
psychologique en pédiatrie, est tournée majoritairement du côté de la vie
(psychique comme somatique) du jeune patient, autant la seconde, en service
de soins palliatifs, conduit – praticien, soignants et patient – à faire face à la
réalité parfois imminente de la mort. L’accompagnement ou la relation d’aide
psychologique doit donc toujours commencer, peu ou prou, par s’ajuster aux
réalités sinon aux spécificités somatiques, voire médicales, qui touchent le
patient, un patient certes qui n’en est pas moins toujours singulier. C’est
justement cette singularité de l’être, de sa subjectivité, de sa vie, psychique
comme somatique, de sa réalité, externe comme interne, présente comme
passée, de son histoire et de ses souffrances, quelle que soit au fond la nature
ou la déclinaison clinique de celles-ci (somatiques, comportementales,
psychopathologiques, liées à l’âge, à des moments particuliers de sa vie
comme la maternité, une intervention chirurgicale, une perte physique ou
relationnelle, etc.) qui, au final, va être l’ objet de l’ attention et de l’
intervention du psychologue auprès de lui. À ce titre, et alors bien au-delà
des éléments de réalité médicale comme institutionnelle, l’entretien
psychologique mené à l’hôpital auprès du malade aura fondamentalement
pour but l’écoute du sujet (concerné par la maladie, la sienne ou celle d’un
proche) dans la totalité et dans l’unicité de sa personne. Veiller au respect et
à l’ expression de la singularité du vécu, voire des souffrances psychiques, du
sujet rencontré à l’hôpital pour les motifs qui sont les siens en cet instant
présent mais dans la continuité de son histoire, tel constitue le fil rouge de
l’entretien psychologique conduit dans ce contexte institutionnel. Ce
contexte, il faut bien le dire, est profondément caractérisé par un primat du
somatique sur le psychique ; et il n’y a d’ailleurs rien de bien étonnant à cela.
Conformément à sa tâche primaire – être fondamentalement au service de la
vie et de son maintien chez l’Homme – l’Hôpital est d’abord et surtout un
espace consacré aux soins et à la guérison 1 du corps, soit le terrain privilégié
des acteurs médicaux et paramédicaux, soit encore le lieu du savoir médical
ainsi que de la – haute et bien souvent sophistiquée – technologie mise au
service de la médecine (depuis le diagnostic jusqu’à la thérapeutique). Dans
cet univers très médicalisé, technicisé, aseptisé, essentiellement centré sur la
réalité organique, l’individu se (re)trouve alors objet de l’investigation et de
l’instrumentation (voire instrumentalisation…) médicales, et de ce fait bien
souvent réduit à sa seule dimension de corps, de corps morcelé, malade,
parfois même d’organe à réparer 2, en somme un être dépouillé de sa
subjectivité, de sa vie psychoaffective. Comme l’écrivent R. Gori et M.-J.
Del Volgo (2008), à l’hôpital l’homme est un « exilé de l’intime », et cette
tendance va en s’accentuant dans le contexte contemporain occidental de « la
médicalisation de l’existence », toujours selon ces mêmes auteurs (R. Gori,
M.-J. Del Volgo, 2005).
À cela s’ajoute, en milieu médical, le refoulement sinon le déni plus ou
moins massif de la psychosexualité du sujet. En effet, si les réalités
pulsionnelles de vie et de mort sont massivement engagées sur le terrain de
l’institution hospitalière, elles ne sont nullement exemptes d’enjeux
pulsionnels sexuels (des plus archaïques aux plus génitalisés). La pulsion
sexuelle participe pourtant pleinement de la pulsion de vie, ainsi que l’a
stipulé Freud (1905). Elle coexiste à côté du registre pulsionnel proprement
autoconservatoire ; elle s’intrique à celui-ci, modifie voire perturbe le
fonctionnement biologique, le subvertit même (C. Dejours, 1989, 2001,
2009). Mais de cela, l’hôpital n’a que faire : en ce lieu le registre de
l’autoconservation – autrement dit le somatique – l’emporte ; et le courant
pulsionnel sexuel, pourtant étroitement intriqué au dynamisme pulsionnel
vital/mortifère et donnant ainsi une coloration toute personnelle à la maladie,
aux traitements, à la relation soignant-soigné comme à leurs vécus, est peu
sinon pas pris en considération. Sachant encore que cette vie pulsionnelle et
désirante existe du côté du patient comme du côté du soignant…
L’entretien psychologique en milieu hospitalier – toutes spécialités
médicales confondues – révèle alors sa et même ses raisons d’être. La
spécificité de l’entretien psychologique à l’hôpital consiste en effet à
réintroduire cette part absente, oubliée, déniée – et pourtant bien réelle et
bien vivante – du sujet, sa vie psychoaffective ou psychosexuelle. Elle
consiste à favoriser l’ appropriation (ou réappropriation) psychique et
subjective de ce que le malade éprouve dans sa chair, et même plus largement
dans son « psychosoma » (J. Mac Dougall, 1982). C’est dire comment
l’entretien psychologique à l’hôpital s’ancre, certes, dans la prise en compte
de l’événementialité somatique qui a conduit le sujet en ce lieu, mais sans s’y
réduire cependant. L’entretien psychologique est en effet pour le patient
« l’instant de dire » (M.-J. Del Volgo, 1997), l’instant de se dire même,
c’est-à-dire l’occasion de mettre en mots ce qui se passe pour lui, en lui, dans
cet espace médical/médicalisé, de mettre des mots sur cette épreuve
d’actualité, parfois véritable épreuve traumatique que constitue la maladie
somatique (certaines maladies plus que d’autres, telles que la leucémie, le
cancer, des maladies neurologiques et dégénératives, comme la maladie
d’Alzheimer, etc.). Mais sans oublier pour le psychologue que cette actualité
va/peut aussi être propice à la résurgence chez le patient de situations
(personnelles, interpersonnelles, familiales) et de vécus passés, propice en
somme à la réactualisation de conflits, souffrances, angoisses antérieures
appartenant à l’histoire passée, éléments refoulés ou même impensés en
certains cas. Notons-le dès à présent : certaines souffrances en effet, ne
pouvant être exprimées verbalement ou ne pouvant faire l’ objet d’une mise
en représentations mentales chez le sujet, sont susceptibles de faire retour
chez lui à travers et avec les maux du corps ; des souffrances ou des vécus
impensés peuvent se frayer un chemin à la faveur des douleurs et des
maladies somatiques. À cet égard, loin de seulement favoriser l’ identification
et l’ expression de ces souffrances et vécus psychiques, passés et actuels,
incorporés et/ou réactualisés par la voie du corps, l’entretien psychologique
pourra aussi constituer pour le patient un moment parfois crucial dans ses
processus d’élaboration et de symbolisation de ses souffrances, concourant
par là même à l’ historicisation de celles-ci.
Mais avant ce possible effet thérapeutique de l’entretien psychologique,
comment celui-ci advient-il et se met-il en place ?

2. À LA RENCONTRE DU MALADE
Où le psychologue reçoit-il son interlocuteur ? Quel est d’ailleurs celui-ci ?
Le patient seulement ? Ses proches ? Les professionnels autour de lui ? Qui
formule la demande d’entretien à l’hôpital et quelles sont les finalités de cet
entretien psychologique ? Qu’apporte-t-il au sujet qui en bénéficie ? En
retour, que suscite l’entretien chez le praticien lui-même ? Quelles modalités
voire spécificités de la relation transféro -contre-transférentielle caractérisent,
ou non, l’entretien psychologique en milieu hospitalier ? Tel est ce que la
suite de ce chapitre se propose d’envisager maintenant plus précisément.

2.1. LES LIEUX DE L’ENTRETIEN


À l’hôpital, le psychologue dispose rarement d’un bureau personnel pour
recevoir les patients. Parfois, il peut utiliser un bureau servant à plusieurs
professionnalités (psychologue, infirmière, assistante sociale…) sinon même
il doit partager un bureau de consultation médicale, agencé en conséquence
au regard des nécessités institutionnelles, le soin somatique. Ce local – le
bureau de consultation médicale – est donc peu propice de prime abord à
l’approche psychologique, car il s’agit d’un lieu peu neutre, fort chargé en
symboles et objets appartenant à l’environnement médical (brancard,
instruments et appareils médicaux…), lesquels peuvent en conséquence
rappeler la réalité médicale à laquelle est confronté le patient et susciter en
réaction chez lui froideur, angoisse sinon aversion de sa part (voire aussi du
clinicien…). Or on sait l’importance du cadre matériel, celle de
l’aménagement de l’espace dans lequel le patient va être reçu pour instaurer
un climat de confiance propice à l’avènement de la parole, de la libre et
authentique parole du consultant. En principe, il importe donc que l’espace de
consultation soit aménagé de façon suffisamment agréable et sécurisante pour
favoriser l’ accueil du patient, souvent anxieux sinon défensif face à ce qu’il
ne connaît pas (l’entretien psychologique). C’est dire ici combien le
psychologue hospitalier va devoir composer avec certaines réalités frustrantes
ou précaires, le principe de réalité tout simplement ! Parfois même la
rencontre dans un dispositif institué tel qu’un bureau de consultation ne peut
avoir lieu ; la réalité somatique du patient, les modalités de sa prise en charge
hospitalière ne le permettent pas ; celles-ci contraignent en effet le patient à
être alité, sous perfusion, dans l’impossibilité motrice de se déplacer.
L’entretien clinique sera alors conduit par le professionnel directement au
chevet du patient, au sens le plus littéral et même étymologique du terme
« clinique ». À défaut d’un cadre matériel avéré, permanent, qui lui est
spécifiquement alloué sur lequel s’appuyer, le psychologue en milieu
hospitalier devra donc bien souvent compter essentiellement sur son cadre
interne. C’est-à-dire qu’à défaut de ce cadre externe, il sera amené, certes à
réaménager matériellement le lieu autant que faire se peut (disposer, par
exemple, des fauteuils en face à face sinon en côte à côte), mais plus encore à
aménager psychiquement l’espace dans lequel il recevra le patient. C’est par
la (sa) parole et par son attitude relationnelle, accueillante, invitante mais
évitant les écueils de l’ emprise, de l’ intrusion et de la séduction, que le
praticien saura établir le climat de confiance et de sécurité favorable à une
authentique rencontre clinique et à l’échange intersubjectif. Mais comment
advient justement cet entretien ? Qu’est-ce qui préside à celui-ci ? Qui le
demande, sinon l’initie ?

2.2. DE LA (NON-) DEMANDE DU PATIENT


À CELLE DE SON ENTOURAGE
À l’hôpital général, le malade somatique est rarement spontanément
demandeur d’une aide psychologique. Il vient consulter, voire est hospitalisé,
pour des motifs médicaux ou chirurgicaux, vient requérir des soins de même
nature ; tout au plus peut-il éventuellement 3, secondairement et au regard de
ce à quoi l’investigation ou la thérapeutique médicale l’aura confronté,
solliciter le psychologue pour exprimer sa plainte, son désarroi, sa peur, sa
colère… Autrement dit, tous affects liés à l’annonce et/ou au vécu tant de sa
maladie, parfois grave, invalidante voire incurable, que de ses traitements
eux-mêmes (potentiellement ou réellement) douloureux, invasifs, mutilants,
aux effets curatifs incertains et rendant même parfois le patient malade ou
plus malade qu’il ne l’était avant de se rendre à l’hôpital. C’est le cas par
exemple de traitements chimiothérapiques anticancéreux, à l’occasion
desquels l’individu ressent des symptômes particulièrement désagréables
(fatigue, troubles digestifs, douleurs, etc.) liés à la thérapeutique alors qu’il
n’était jusqu’alors pas gêné par la présence – souterraine et silencieuse – de
son cancer ; comme l’a montré par exemple M. Charavel (2002), c’est ici le
traitement qui rend malade le sujet, non la maladie.
Le patient à l’hôpital se trouve donc bien souvent dans une non-demande
vis-à-vis du psychologue. Ce sont alors des tiers – qu’il s’agisse de parents
membres de l’entourage familial ou affectif du patient ou bien alors des
soignants eux-mêmes (médecin, infirmières…) – qui vont venir, voire même
vont avoir pour rôle d’initier, de faire émerger et de soutenir la demande chez
le sujet malade. Dans certains cas, ces tiers vont même se faire porte-parole
pour le patient, porte-parole du besoin psychique (ou du besoin de soins
psychiques) existant chez lui, besoin non formulé car non reconnu, mais
perçu par l’autre à partir de signes plus ou moins perceptibles chez lui (cf.
exemple suivant de Mme A.). Loin d’attendre la demande explicite et
clairement verbalisée du patient, le psychologue en milieu hospitalier est
conduit bon nombre de fois à aller lui-même à la rencontre du patient 4, à
prendre l’initiative de cette rencontre clinique, en veillant à n’être pas
intrusif, à respecter les défenses inconsciemment mises en place par le patient
tout en essayant de mobiliser l’ attention de celui-ci sur son intériorité, sur ses
difficultés, leur prise de conscience et leur verbalisation. C’est dire encore
combien, dans un tel contexte de non -demande ou de non-reconnaissance
des difficultés, voire souffrances psychiques existant chez lui, le patient va
convoquer les autres autour de lui – entourage personnel mais plus encore
entourage soignant – dans une fonction psychique relevant à bien des égards
de la « préoccupation maternelle primaire » (D.W. Winnicott, 1969). Cette
préoccupation désigne l’ attitude de la mère particulièrement empathique à
l’égard de son bébé auquel elle s’identifie intensément, ce qui lui permet ainsi
de décrypter ses besoins, de s’y ajuster, c’est-à-dire de répondre
adéquatement aux demandes de son enfant, trop immature pour pouvoir
s’exprimer autrement que par des signes physiques ou comportementaux.
Cette même fonction, véritable fonction psychique maternelle, est
particulièrement mobilisée, requise chez les soignants 5 et même chez le
psychologue (P. Marty, 1980, 1990 ; M.-C. Célérier, 1989 ; R. Debray,
2001 ; N. Dumet, 2002) auprès de malades somatiques à l’hôpital. Certains
patients, en effet, se trouvent dans un état d’inorganisation psychique
(compte tenu des aléas survenus dans leur histoire, durant la psychogenèse,
ayant ainsi entraîné au plan psychologique la constitution de personnalités
peu enclines à avoir conscience de leur monde interne et à pouvoir le décrire ;
cf. par exemple P. Marty, 1991). D’autres se retrouvent dans un état de
désorganisation et de sidération psychiques du fait de l’annonce d’une
maladie grave au pronostic létal, ou d’un traitement particulièrement
éprouvant (chirurgie castratrice, effets secondaires de traitements
chimiothérapiques, angoisse de mort…). Sur le plan technique, l’entretien
psychologique, loin d’être un simple entretien d’investigation (entretien
diagnostique par exemple au plan psychique ou psycho pathologique), loin de
consister encore en de simples relances associatives, va donc se présenter ici
sous une tout autre modalité et va aussi avoir une tout autre finalité que de
permettre la seule verbalisation du vécu ou des difficultés. En effet, auprès
d’un de ces patients présentant un appareil psychique rudimentaire ou
précaire, structurellement ou conjoncturellement (individus sous l’effet d’un
traumatisme, au sens freudien d’un excès d’ excitations débordant le
psychisme), c’est à l’Autre se trouvant en face de lui – ici le soignant, a
fortiori le psychologue – de mobiliser son psychisme, et même son propre
« appareil à éprouver » (N. Dumet, 2004), pour le penser, pour décoder et
traduire ses réalités psychiques, affectives, voire somatiques qui ne peuvent,
par lui seul, être reconnues sinon même sont occultées, déniées car sources d’
angoisses hautement désorganisatrices. En pareille situation clinique, il va
s’agir pour le psychologue au cours de l’entretien de prêter son propre
appareil psychique au patient démuni ou carencé psychiquement, pour l’aider
à se penser lui-même (ou par lui-même), c’est-à-dire pour l’amener à
percevoir, reconnaître ce qui existe en lui, non seulement ce qui est refoulé
mais aussi ce qui s’avère dénié, ou même ce qui se trouve forclos, c’est-à-dire
évacué de lui, ce qui n’est pas identifié, pas perçu, pas subjectivé, ce qui
encore est impensé, impensable au-dedans de lui. C’est ici que face au vide
psychique manifeste du patient, face à son alexithymie 6 (J.C. Nemiah et
P.E. Sifneos, 1970 ; G. Pirlot et M. Corcos, 2011) et/ou à son mode
opératoire 7 (P. Marty et M. de M’Uzan, 1963) – toutes manifestations
résultant de l’action de puissants et drastiques mécanismes défensifs destinés
à couper le sujet de sa subjectivité souffrante, tels que le clivage, la
répression (des affects comme des représentations ; cf. C. Parat, 1995), la
forclusion –, l’entretien psychologique va donc consister, au fil du suivi
clinique, à proposer au patient des représentations à partir de ce que le
psychologue aura pu décoder, comprendre de son patient et de son monde
interne, à partir de son propre éprouvé dans la rencontre avec lui, en d’autres
termes à partir de son contre-transfert. Dans ce type d’entretien, mené auprès
du sujet amoindri, amputé, carencé dans son fonctionnement psychique, il va
donc s’agir pour le psychologue de penser et parler 8 à la place du patient,
c’est-à-dire de penser devant lui, pour lui, et ce pour l’aider à se familiariser
avec son monde interne, à apprivoiser sa vie psychique souvent source d’
affects difficiles sinon de souffrances. Il s’agit par là de l’aider à pouvoir
identifier et contenir ses réalités psychiques au-dedans de lui, à les
reconnaître, les éprouver mais également, et seulement ensuite, les exprimer,
les communiquer, les verbaliser, les symboliser. M. Aisenstein (1991) parle
de « l’art de la conversation » avec ce type de patients. Cette formulation dit
comment et combien, dans ces situations cliniques, l’entretien psychologique
et plus largement la relation clinique ont pour objet et finalité d’intéresser le
patient à sa vie psychique, de l’éveiller à sa subjectivité avant tout travail
psychologique centré sur l’analyse des souffrances de son histoire, de ses
conflits intrapsychiques ou intersubjectifs. Auprès de tels patients, on doit
alors reconnaître une valeur toute particulière à l’entretien réalisé par le
psychologue en milieu médical. En effet, c’est souvent là, auprès de ce
professionnel, que les patients vont expérimenter, parfois pour la première
fois depuis l’advenue de leurs difficultés, une écoute empathique, une
identification à leur monde interne perçu comme étrange pour ne pas dire
étranger à eux-mêmes. La reconnaissance par un autre – véritable double
narcissique (au sens d’un autre, même que soi mais fondamentalement
distinct de soi) – de leurs vécus mais aussi l’expérience de l’intérêt porté par
cet autre à leur être psychique vont possiblement permettre d’initier ce
mouvement d’éveil à soi, d’introspection, et susciter alors potentiellement
une demande de travail psychologique ou psychothérapique (laquelle sera en
général adressée auprès d’un professionnel extérieur à l’hôpital).
Le patient n’est toutefois pas le seul personnage de la communauté
hospitalière à laquelle le psychologue a à faire. L’entretien psychologique
peut en effet être conduit auprès de personnes appartenant à l’entourage
(familial, amical) du patient, se trouvant plus ou moins démunies, en détresse
devant la situation médicale de son proche. Cet entretien pourra alors avoir
une visée de soutien auprès de ces personnes, sous réserve qu’il n’y ait pas de
prise en charge psychothérapique du patient dans le service car, pour des
raisons déontologiques, un même psychologue praticien ne peut suivre
plusieurs membres d’une même famille 9. Si tel était le cas, alors l’entretien
psychologique aurait une finalité d’ orientation de ces personnes.
Enfin, des entretiens là encore de soutien ou bien alors d’éclairage d’une
situation clinique peuvent aussi être conduits auprès des professionnels du
service, les membres de l’équipe soignante aux prises avec le patient (et sa
famille). Certains patients, rétifs ou non compliants aux traitements, dans le
déni des soins, ou tout simplement présentant des comportements difficiles
(agressivité, mutisme, retrait, troubles psychopathologiques…) s’avèrent
difficiles à gérer par et pour les soignants. La relation soignante peut alors
être mise à mal, compromettant la prise en charge et même son efficacité
thérapeutique. L’éclairage du psychologue à l’occasion d’entretiens ponctuels
avec un soignant ou même d’échanges formels ou informels avec une partie
sinon l’ensemble du groupe soignant peut alors être un outil précieux pour
désamorcer ces situations problématiques (sinon susceptibles de le devenir et
être préjudiciables au soin). Mais nous touchons là à un autre registre
d’activités du psychologue en milieu hospitalier, à savoir l’analyse de la
pratique, la supervision des professionnels de santé, l’animation de groupes
Balint (M. Balint, 1955), destinés à travailler sur les enjeux psychiques de la
relation au malade. Ces éléments conduisent alors à l’évocation d’un autre
aspect de l’entretien psychologique, à savoir la dynamique transféro -contre-
transférentielle ; celle-ci sera abordée après en avoir évoqué un dernier, à
savoir l’usage et la transmission des données issues de l’entretien
psychologique.

2.3. DEVENIR DE L’ENTRETIEN PSYCHOLOGIQUE : ENTRE


SECRET PROFESSIONNEL ET TRANSMISSION
À la suite des entretiens menés par le psychologue se posent alors pour lui
les questions de la communication et de la restitution des éléments issus de sa
rencontre avec le patient et/ou sa famille, de son écoute psychologique auprès
d’eux. À qui communiquer ? Que transmettre au juste ? Et comment, sous
quelle forme restituer : oralement ? par écrit ? À l’heure du dossier de soin
accessible au patient et à son entourage médical (médecin traitant par
exemple) d’une part, et en regard des règles de confidentialité inhérentes au
travail psychologique d’autre part, la question n’est pas simple. Il importe de
rappeler le respect du secret professionnel auquel est tenu le psychologue et
qui conditionne sa pratique ; cette règle de confidentialité est même à la base
de toute relation de confiance entre lui et son patient. Il ne saurait donc être
question pour ce professionnel de communiquer le contenu de ses entretiens,
ou même de divulguer les paroles du patient. Néanmoins, en milieu médical,
le psychologue travaille rarement seul ; membre d’une équipe
pluridisciplinaire, l’intérêt de son approche est loin de concerner les seuls
patients, ou plutôt son approche peut servir à ces derniers non seulement de
façon directe mais également indirecte. Les analyses du psychologue peuvent
ainsi contribuer à comprendre les situations médicales et les relations
soignantes avec le patient, elles peuvent à cet égard contribuer à l’éclairage
du processus thérapeutique global du patient.
Il convient alors de discriminer clairement le(s) destinataire(s) de la
transmission du psychologue : celui-ci ne relate pas la même chose ni de la
même manière selon qu’il s’adresse au patient lui-même, à sa famille ou aux
soignants de l’équipe. En tout état de cause, il convient pour le psychologue
de s’ajuster à ses interlocuteurs, tant au niveau du contenu de sa restitution
(respectueuse du secret) que dans le choix de ses mots, de manière à être
entendu/entendable et surtout compris par celui/ceux au(x)quel(s) il
s’adresse.

2.4. DE LA SPÉCIFICITÉ DES ENJEUX TRANSFÉRO -


CONTRE-TRANSFÉRENTIELS DANS LA CLINIQUE
DU SOMATIQUE
À l’hôpital, une équipe de professionnels de la santé (principalement mais
pas exclusivement) gravite autour du patient, celui-ci entretient donc des
relations plurielles et surtout de nature différente (verbale, non verbale,
médiatisée, centrée sur le soma, etc.) avec ces différents interlocuteurs
(médecin, chirurgien, infirmière, assistante sociale, secrétaire,
psychologue…). En conséquence, le transfert du patient, lequel n’est au
demeurant jamais uniforme, se trouve certes pluriel, mais surtout diffracté
sur ces différentes figures de la réalité externe, réalité hospitalière ici. Ce qui
peut à certains égards rendre malaisé le repérage des enjeux psychiques
actualisés dans la relation soignante (car celle-ci est plurielle) ; mais tout
autant, cela offre, à l’inverse, la possibilité d’avoir accès de manière plus
visible et même nettement différenciée à toutes les facettes de ce transfert.
Celui-ci est en quelque sorte décondensé de la seule figure du praticien et les
projections imagoïques, l’ imaginaire affectif du patient ainsi déployé sur des
personnes différentes peuvent alors parfois être décryptés plus facilement et
favoriser la compréhension de la vie psychique du patient, de sa
problématique interne.
Qu’en est-il du côté du praticien lui-même ?
Si le milieu médical – la clinique du somatique, peut-on dire encore –
apparaît comme un lieu de pratique professionnelle ordinaire ou banal pour
un psychologue, les situations cliniques rencontrées sont pourtant loin d’être
anodines. Observer, en service de néonatologie, des enfants très grands
prématurés dont la vie ne tient qu’à un fil, celui qui de leur couveuse les relie
à des machines assurant leur survie, se tenir à côté de leurs mères éplorées,
traumatisées par un accouchement survenu brutalement, accompagner un
patient auquel vient d’être annoncé un diagnostic de maladie génétique au
cours irréversible ou bien encore un sombre pronostic, recevoir en service
d’oncologie pédiatrique la famille d’un enfant cancéreux dont les jours sont
comptés, conduire des entretiens auprès de patients insuffisants rénaux en
dialyse, reliés à une machine là encore qui purifie le sang en dehors de
l’organisme du sujet à défaut de pouvoir être désormais filtré à l’intérieur par
les reins du patient lui-même, être exposé aux amputations ou à l’hémiplégie
de patients accidentés, ou aux cris, gesticulations et incohérences d’une
patiente atteinte de démence, être présent au chevet d’un malade en fin de vie
et l’accompagner jusqu’au bout de celle-ci justement, telles sont quelques-
unes seulement de ces situations qui constituent l’ordinaire de la pratique du
psychologue à l’hôpital. Comme on le voit, il s’agit là de situations de
maladie ou de vulnérabilité au plan somatique, teintées à des degrés divers de
morbidité (voire débouchant sur une issue fatale à brève échéance). Ces
situations ont alors en commun d’être sources d’ excitations traumatiques
pour le psychologue et, à cet égard, elles ne sont pas sans incidence sur son
propre équilibre psychosomatique. Comme l’écrit C. Parat (1995), « le
patient porteur d’un risque pour sa propre vie est aussi porteur de risque
d’échec et d’atteinte narcissique pour son thérapeute » ; c’est dire combien l’
écoute et l’accompagnement psychologiques de tels patients en milieu
médical supposent un engagement et une disponibilité du psychologue – il ne
saurait en effet être question d’abandonner le patient malade en cours de
traitement car, ainsi que l’a très bien mis en évidence M.-C. Célérier (1997),
cela risquerait de lui faire encourir un risque supplémentaire pour sa santé.
Ces éléments permettent d’entr’apercevoir ici que la maladie, réalité
éminemment centrale à l’hôpital général, produit forcément, inévitablement,
des effets conscients mais aussi inconscients sur celui qui va être amené à
recevoir, écouter, suivre et s’entretenir avec le patient. Ils permettent aussi
d’entr’apercevoir le rôle, clef parfois, que joue l’autre – ici le psychologue –
auprès du malade, dans sa restauration physique et pas seulement psychique.
C’est reconnaître alors combien la question de la guérison symptomatique, de
la guérison somatique est loin d’être une question superflue ou anodine pour
le clinicien (N. Dumet et H. Rousset, 2011), comme certains l’ont pourtant
longtemps affirmé (telle que l’exprime la célèbre formule lacanienne selon
laquelle « la guérison vient de surcroît »). Le psychologue ne peut rester
neutre ni indifférent au rétablissement de ses patients, même s’il convient de
reconnaître que le désir de guérison peut être fortement ambivalent chez
certains d’entre eux (le désir conscient de guérir coexistant avec une
résistance inconsciente ; il s’agit alors, sur le plan contre-transférentiel, de
parvenir pour le psychologue à s’identifier à chacune de ces parties des
patients).
Plus précisément encore, cette question de la guérison somatique est loin
d’être une réalité négligeable dans le choix des modalités d’ intervention du
clinicien et dans la conduite elle-même d’entretien auprès du patient dont
l’équilibre somatique est fragile ou menacé. Car dans l’entretien, il s’agit tout
à la fois pour le psychologue de veiller à assurer et maintenir auprès du
patient une fonction de pare-excitation suffi sante (face à des contenus
traumatiques qui pourraient déborder l’appareil psychique et par voie de
conséquence l’appareil somatique) et une fonction de stimulation de la vie
psychique. Autrement dit, il s’agit simultanément de contenir et d’exciter (A.-
M. Merle-Béral, 1994), de trouver « des mots qui touchent » (D. Quinodoz,
2002), mais ne déstabilisent pas ; telle est la crête parfois périlleuse sur
laquelle se tient le psychologue dans l’exercice de l’entretien.
Si le contre-transfert du psychologue a fondamentalement à voir avec les
particularités de la rencontre clinique avec le patient singulier, en
l’occurrence ici avec certaines réalités inhérentes au monde médico-
hospitalier, les éléments précédemment évoqués laissent alors bien apparaître
qu’il a tout autant à voir avec les convictions théoriques, voire idéologiques,
du praticien (N. Dumet, 2011) – la question de la prise en compte ou non de
la guérison constituant un exemple parmi d’autres. Les convictions du
praticien guident sinon déterminent profondément en retour sa pratique, à
commencer aussi par son usage et son maniement de la technique de
l’entretien psychologique.
À ce titre, si l’entretien apparaît comme une méthode fondamentale, une
méthode princeps même de l’exercice psychologique, il s’inscrit
fondamentalement et prend sens au sein des théories de référence du
praticien, qu’il s’agisse d’abord des approches et courants de pensée auxquels
celui-ci se réfère, mais aussi d’une théorie de la pratique sinon d’une théorie
du soin, celles que le praticien, chaque praticien singulièrement, aura forgées
au creuset de sa rencontre clinique avec les patients, ici ceux souffrant dans
leur psychosoma.

3. SITUATION CLINIQUE
3.1. LE CAS MME A.
Mme A., âgée de 45 ans, est hospitalisée pour quelques jours en service
d’endocrinologie et de nutrition afin de réaliser une série d’ examens. Elle
présente en effet des troubles du comportement alimentaire de type
hyperphagique, mais surtout une obésité assez récente et résistante aux
entreprises amaigrissantes, et pour laquelle une investigation endocrinienne
est donc demandée. Ce sont les infirmières du service qui, inquiètes devant le
comportement de la patiente, ont sollicité la psychologue à l’occasion d’un
temps de synthèse en équipe, afin que celle-ci la rencontre. Depuis son
admission réalisée dans le service deux jours plus tôt, Mme A. demeure en
chemise de nuit, constamment couchée, répondant à peine aux questions des
soignants. Ceux-ci la trouvent triste, très repliée sur elle. Nantie de ces
quelques éléments d’information, la psychologue va dans la journée même à
la rencontre de Mme A. Elle frappe à la porte de sa chambre et trouve en effet
la patiente telle qu’elle lui a été décrite : allongée dans son lit, un air triste sur
le visage.
Psy : Mme A ? Bonjour, je suis Mme P., la psychologue du service. Les
infirmières m’ont indiqué votre présence dans le service, aussi je passe faire
votre connaissance. Vous voulez bien qu’on parle un peu ensemble ?
Mme A. (sans bouger de son lit et sur un ton très léger, à peine audible) :
Hmm… oui.
Psy (en approchant une chaise du lit) : Vous permettez ?
Mme A., toujours laconiquement, fait le même « Hmm » que
précédemment. Avant de s’asseoir, la psychologue tend toutefois la main en
direction de Mme A. pour la saluer. Péniblement, celle-ci se redresse un peu
et serre mollement la main qui lui est tendue .
Psy : Les infirmières m’ont dit que vous êtes arrivée ici il y a deux jours
maintenant, Madame A., comment cela se passe dans le service ?
Mme A. : Ça va, ça va (le ton est toujours très sourd).
Psy : Ça va, hum (court silence). Vous dites que ça va, mais le cœur n’y
est pas vraiment, semble-t-il ? ( Pas de réponse de Mme A., qui n’exprime
par ailleurs aucune mimique, son visage est fermé, sombre ; la psychologue
poursuit alors). Vous pouvez me dire ce qui vous a amenée ici à l’hôpital ?
Mme A. (se redressant pour se mettre en position assise dans son lit) :
C’est mon médecin. Il voulait en savoir plus… faire un bilan endocrinien,
pour qu’on voit… pour qu’on sache pourquoi je maigris pas ( silence). Moi je
ne voulais pas, mais il a insisté ( silence). Il a dit que ça me ferait sûrement
du bien. Qu’une rupture du quotidien, ça m’aiderait peut-être.
Mme A. s’arrête de parler. Quelques minutes s’écoulent, elle a le regard
baissé.
Psy : Que ça vous aiderait peut-être, oui, c’est-à-dire ?
Mme A reste silencieuse, le regard toujours baissé, elle semble perdue
dans ses pensées.
Psy (après quelques instants) : Vous disiez que votre médecin pensait que
vous aviez besoin d’aide, et vous, vous en pensez quoi ?
Mme A. (revenant dans l’échange, et relevant la tête) : Non, j’ai pas
besoin. Ça va… enfin, je n’aime pas trop être à l’hôpital.
Psy : Oui, c’est vrai que l’hôpital, on y vient pas forcément par plaisir.
Vous, Mme A., vous êtes déjà venue dans cet hôpital ou dans un autre ?
Mme A. : Hmm. Pas dans ce service, dans un autre oui.
Mme A. a repris son visage sombre, s’est comme refermée. Silence un peu
plus long que les précédents, la psychologue ressent soudain une sensation
de froideur, l’atmosphère lui paraît pesante ; elle relance rapidement.
Psy : Oui ? Vous pouvez m’en dire plus ?
Mme A. : C’était en face, en service de chirurgie d’abord et puis après en
gynéco, j’ai été opérée.
Psy : Oui ?
Mme A. : C’était une… une… une opération de … je n’ai pas le mot.
Psy : Une opération … qui concerne les femmes … seulement les
femmes ?
Mme A. : Oui. Ils m’ont trouvé des cellules cancéreuses après un examen
gynécologique et ils ont dit qu’il fallait opérer en urgence. Comme j’avais
déjà mon fils, et que je ne voulais pas d’autre enfant, ils ont tout enlevé.
Psy : C’est donc peut-être une ablation de l’utérus que vous avez eue, une
hystérectomie ?
Mme A. : Oui c’est ça (le ton de la voix s’atténue, la psychologue, bien
que très près du lit de Mme A., peine à l’entendre). Ils ont enlevé l’utérus…
et les ovaires aussi… « Sinon c’était risqué », ils m’avaient dit à l’hôpital.
La voix de Mme A. laisse entendre comme des sanglots étouffés.
Psy : Être ici à l’hôpital aujourd’hui, cela vous rappelle donc cette fois
précédente où vous avez été hospitalisée pour cette intervention en urgence,
où l’on vous a découvert des cellules inquiétantes et où l’on vous a donc
enlevé cette partie de votre anatomie féminine. Il y a de quoi vous sentir mal
à l’aise, inquiète et même triste alors de revenir à l’hôpital…
À ces paroles de la psychologue, les yeux de Mme A. s’embuent, puis de
grosses larmes roulent sur ses joues, silencieusement d’abord, puis la
patiente laisse éclater sa peine, sa douleur ; elle se met à sangloter très fort.
Cela dure plusieurs longues minutes.
Psy (doucement) : Évoquer ces moments, ces souvenirs, est très
douloureux, tout comme ce que vous avez vécu à ce moment-là a aussi été
douloureux… Pleurer, quand on a perdu quelque chose, quelqu’un, c’est
justement une façon de réagir à cette souffrance, à ce chagrin, comme ceux
qui sont restés en vous depuis ce moment, semble-t-il…
Quelques minutes passent, quelques larmes coulent encore puis Mme A.
s’apaise, elle essuie son visage.
Mme A. : Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça, je croyais que c’était
passé (court silence). J’avais jamais parlé de cette opération, enfin de ce que
cela m’avait fait. Et j’ai jamais pleuré pour ça. Non, jamais, il fallait que je
sois forte, pour mon fils, pour ma famille, et je l’ai été. Il fallait que je
reprenne vite mon travail. J’ai tout gardé en moi, j’ai tout absorbé.
Psy : Tout gardé au-dedans de vous, tout absorbé, hum. Et aujourd’hui
vous êtes justement hospitalisée pour des soucis d’ordre alimentaire, pour des
kilos que votre corps a emmagasiné…
Mme A. : C’est vrai… Maintenant que vous l’évoquez, j’ai pris du poids
depuis trois ans, et mon opération c’était aussi il y a un peu plus de trois
ans… Je n’avais pas pensé que ça pouvait être lié… Vous pensez, vous, que
ça peut être en lien ?
Psy : En tout cas vous y songez maintenant, semble-t-il. Comme notre
entretien arrive à son terme, si vous voulez Madame A., nous pouvons
envisager un autre temps de rencontre, pour continuer à parler de tout ça,
comme on vient de le faire ?
Mme A. : Ah ben oui, je veux bien. Je me rends compte que cela m’a fait
du bien de vous voir. J’aurai pas pensé. Je n’ai jamais vu de psychologue
avant vous. Je n’ai jamais pensé que je pouvais en avoir besoin.
L’entretien s’arrête alors. Madame A. et la psychologue conviennent d’un
nouvel entretien pour le surlendemain, qui aura cette fois lieu dans le bureau
de la psychologue.

3.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


La retranscription du déroulement de cet entretien met en évidence le
changement advenu avec rapidité chez une patiente lors d’un premier
entretien psychologique. Cette situation clinique, qui s’annonçait au départ
sous les signes du repli et de la fermeture de la patiente vis-à-vis de
l’extérieur, a basculé au décours de l’entretien, amenant une transformation
dans son comportement, en l’occurrence favorisant l’expression verbale de
celle-ci, et plus encore la découverte, le décryptage d’un événement de vie
(hystérectomie) resté chez elle traumatique et venant à être réactivé (revenant
en somme…) à l’occasion de son hospitalisation présente. Plus précisément
encore, se découvre au fil de l’entretien le lien existant entre les troubles
(alimentaires, pondéraux) pour lesquels la patiente est venue consulter avec
l’impact de cette expérience antérieure désorganisatrice et les modalités alors
aménagées à l’époque pour y faire face, à savoir des solutions par l’ agir, agir
comportemental (hyperphagie) et corporel (surpoids), soit encore des
incorporations, au plan physique mais également psychique (avec l’éjection,
la mise de côté des pensées douloureuses, le refoulement des affects et la
répression du vécu dépressif antérieur).
On reprendra ici le déroulement des moments cruciaux de cette rencontre.
Tout d’abord, il faut noter que l’entretien psychologique n’est absolument
pas demandé par la patiente. Ce sont les infirmières du service, inquiètes du
comportement de Mme A., et plus précisément ici des manifestations
dépressives qu’elle présente (aboulie, tristesse, repli sur soi, manque de
communication verbale), qui les conduisent à solliciter la psychologue du
service. Attendre ici une demande émanant de la patiente aurait sans doute
été dommageable (sinon vain) pour celle-ci au regard de son état psychique,
de la souffrance psychique que son comportement révèle et que la patiente
n’a visiblement pu identifier comme tel jusqu’alors, et vis-à-vis de laquelle
elle est même dans l’impuissance expressive sur le plan verbal. Dans cette
situation clinique, la psychologue va donc au-devant de la demande, à la
rencontre de la patiente, et conduit même son entretien au chevet de celle-ci
(Mme A. est hospitalisée et dans son lit, alors qu’il n’y a pas véritablement de
motif somatique ou médical avéré qui justifie cet alitement). Le praticien
s’invite donc dans cet espace (la chambre) porteur d’une part d’intime du
sujet, il doit même composer avec une part de l’ intimité corporelle de
Mme A. (couchée et en chemise de nuit). Cela revient à souligner comment et
combien le psychologue doit ici s’ajuster tant aux conditions de
l’environnement hospitalier qu’aux singularités de sa patiente.
Pour autant, la psychologue ne renonce pas à interpeller la patiente sur son
désir à son égard (« Je passe faire votre connaissance. Vous voulez bien
qu’on parle un peu ensemble ? », « Vous permettez ? ») et lui tend même la
main pour la saluer – cette poignée de main constituant aussi un indice, non
verbal, des dispositions internes dans lesquelles se trouve la patiente. En
l’occurrence la mollesse de sa main rejoint les autres manifestations
observées, confirmant la tonalité dépressive sinon le manque d’allant ou
d’élan de la patiente à l’égard des objets de la réalité extérieure (ici la
psychologue, fusse-t-elle un objet venant à sa rencontre comme on l’a dit).
Ce que confirment à leur tour le ton faiblard ou « sourd », le visage sombre et
fermé, les phrases courtes, laconiques sinon les « hmm » de Mme A., toutes
expressions qui de prime abord pourraient faire obstacle à la rencontre
clinique. Or la psychologue ne s’arrête pas à ces manifestations somme toute
défensives de la patiente (révélatrices de l’état psychique de celle-ci et
destinées donc à limiter le contact avec elle) ; elle s’installe près de Mme A.
et s’enquiert de « sa » réalité (ce qui l’a conduite à l’hôpital). L’intérêt
manifesté par son interlocutrice semble toucher Mme A. qui se redresse alors
physiquement et entreprend d’expliquer, certes succinctement, l’origine de
son hospitalisation (initiative de son médecin, investigation sur ses troubles
du poids et difficultés à maigrir). L’idée de « l’aide », pourtant amenée par
Mme A. elle-même, suscite de nouveau un mouvement de retrait chez elle.
Qui dit aide, dit en effet difficultés ; quelles difficultés sont-elles alors si
sombres pour que Mme A. en soit affectée et se défende de leur expression
verbale ? La même scène se répète avec l’évocation de l’hôpital : la patiente
se réfugie de nouveau dans l’absence, le silence, la fermeture. Devant cette
répétition (observation de ces séquences de l’entretien) et en lien avec son
ressenti contre-transférentiel (sensation de froid, atmosphère pesante), la
psychologue perçoit, pressent, décode un sentiment de gravité, du coup elle
ne laisse pas s’installer le silence (ou la patiente dans celui-ci), elle relance la
patiente, l’invite à dire, et celle-ci va poursuivre sa narration, bien que
péniblement au début. Mais il n’y a pas ici d’ alexithymie majeure chez la
patiente : même si celle-ci butte sur des mots, des phrases, on assiste plutôt
d’une part à une levée progressive du refoulement, comme l’atteste l’ acte
manqué (ici l’oubli du mot utérus) et, d’autre part, à une mise en
représentation et en mots de cette expérience traumatique passée qu’a
constituée pour elle l’hystérectomie vécue presque trois ans plus tôt, dans un
contexte de pathologie cancéreuse qui plus est. À cet égard, difficile de dire
ce qui de ces deux expériences, maladie cancéreuse ou intervention
chirurgicale, a été la plus angoissante et déstabilisante pour la patiente ; les
deux sont intimement liées et ont sans doute eu un caractère cumulatif. Sans
oublier le rôle qu’ont pu aussi jouer un Surmoi et un idéal du Moi exigeants
(il fallait à la patiente être forte, reprendre vite son travail après son
hospitalisation).
La psychologue va dès lors aider sa patiente dans la suite de l’entretien à la
reconnaissance et à la nomination (lui proposant des mots, des
représentations, une mise en sens) de cette expérience désorganisatrice,
mutilante (ayant sans doute réveillé au passage des vécus de castration et de
perte), à la qualification de cette expérience passée et de ce qui lui est lié dans
l’actualité (venue à l’hôpital).
On peut dire ici que les traces psychiques, certaines perçues, refoulées,
d’autres plus traumatiques (et alors peu pensables jusque-là), laissées par
l’expérience d’ hospitalisation trois ans plus tôt, sont venues faire retour dans
la psyché de Mme A. à l’occasion de sa nouvelle hospitalisation, vécu
suscitant sans claire conscience chez elle quelques manifestations dépressives
(de type retrait, aboulie, repli sur soi) mais plus profondément une lutte
contre l’émergence de la souffrance dépressive. Or celle-ci va justement
jaillir à un moment de l’entretien et elle peut sans doute jaillir parce que la
patiente est accompagnée, soutenue dans cette expression, elle peut ainsi
lâcher ses défenses pour enfin extérioriser au dehors ce qu’elle a jusqu’alors
absorbé, incorporé, gardé et stocké au-dedans d’elle. L’apparition et l’
expression de ces affects dépressifs signent alors aussi l’émergence d’un
début de travail du deuil sinon d’élaboration de certaines pertes et castrations
vécues.
Nul doute qu’un cheminement, une mobilisation de la vie psychique est en
marche, qui ne demande qu’à se poursuivre chez la patiente : celle-ci accepte
facilement la proposition qui lui est faite par la psychologue d’un deuxième
entretien. La localisation de celui-ci – dans le bureau de la psychologue et
non plus dans la chambre de la patiente – invite Mme A. à sortir de l’univers
confiné tant de sa chambre d’hôpital que de son retrait dépressif, pour aller de
l’avant, pour extérioriser et traiter autrement ses réalités difficiles jusqu’alors
indicibles, en l’occurrence les verbaliser.
CHAPITRE 12
L’ENTRETIEN
AUX CONFINS
DE LA PSYCHOSE
Patricia Attigui
1. PRÉAMBULE
2. LES SEMBLANCES DU CONNU ET LA VÉRITÉ DU LOINTAIN
3. L’ÉCRIT CLINIQUE ET LE RÉCIT DE CAS
4. LE TRANSFERT AU CŒUR DE L’ENTRETIEN
5. DE LA CRAINTE DE L’EFFONDREMENT À L’INQUIÉTANTE
FAMILIARITÉ
6. L’ENTRETIEN, LIEU DE CONSTRUCTION DE L’ESPACE
PSYCHIQUE
7. LE DÉSIR DU THÉRAPEUTE : FILTRE ET MOTEUR DE
L’ENTRETIEN
8. APPRÉHENDER LES FONDEMENTS RÉELS DU DÉLIRE
9. L’ENTRETIEN PAR-DELÀ LA MÉMOIRE

« En Afrique la mort n’est pas une fin mais un passage


vers un autre état […]
les morts reviennent tout le temps dans la vie des gens
à travers les rêves,
les hallucinations et les présages »
J.-M. Gibbal, 1982

« Car un patient jamais n’oublie ce qu’il a découvert


dans le transfert.
Cette découverte a une force de conviction plus grande
que tout ce qu’il peut acquérir par d’autres moyens »
Freud, 1938

1. PRÉAMBULE
Un récit clinique implique toujours que nous puissions au préalable
préciser les contours du cadre tel qu’il fut nécessaire de l’adapter au cas d’un
patient. Adèle, la patiente psychotique dont il sera ici question, jusque-là
stabilisée, a brutalement traversé un épisode délirant d’allure mélancolique.
La soudaineté énigmatique de cet épisode de décompensation laissa l’équipe
hospitalière qui la suivait en hôpital de jour depuis de nombreuses années
dans un grand désarroi, une réelle inquiétude. Or, il se trouvait qu’en tant que
psychologue et psychothérapeute dans ce service, je connaissais bien Adèle
pour l’avoir accompagnée dans un travail ludique et théâtral dont elle avait
tiré de grands bénéfices. J’aurai l’occasion de donner de plus amples
précisions à ce sujet, mais il suffit de dire pour le moment qu’il existait entre
nous une réelle communication, nous avions des rapports ouverts, vivants et
authentiques. Au sein de la Compagnie théâtrale Le Toucan Bleu 1, elle avait
incarné de nombreux premiers rôles, son appréciation du jeu théâtral était
assez sûre et depuis plus de dix ans que nous travaillions ensemble, l’équipe
et moi-même avions constaté qu’elle avait beaucoup évolué, qu’elle s’était,
pour ainsi dire, transformée, à un point tel que nous avions presque oublié la
violence des attaques délirantes dont elle avait été la proie bien des années
auparavant.
En tout état de cause, la brutalité de son état exigeait du collectif soignant
un intense travail de réflexion afin de l’accompagner dans ce mouvement
régressif. Le délire est, de toutes les façons, un moment très délicat où l’
angoisse est à son maximum et met souvent les soignants en grande difficulté
dans la mesure où il peut plonger tout un collectif dans la culpabilité, et
provoque surtout des mouvements psychiques difficiles à analyser. Pourtant,
aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est souvent vital de reconnaître ces
difficultés d’ élaboration. C’est de cette reconnaissance que va dépendre
l’effet thérapeutique. Le collectif soignant doit alors effectuer un véritable
travail de transformation visant les éléments toxiques de la psyché, restés
jusque-là étrangers au sujet lui-même. W.R. Bion nous aide à penser ces
phénomènes grâce à sa conceptualisation de la fonction alpha. Tout ce qui
n’aura pu être psychisé, et tout d’abord par les thérapeutes, va bloquer les
capacités de représentation, et les contenus délirants resteront inaccessibles
pour le patient. La psyché, y compris celle des soignants, est envahie d’
éléments-bêtas, toxiques par définition. Tout le travail analytique au sein
d’équipes pluridisciplinaires et hospitalières vise donc à permettre ce travail
d’analyse, souvent proche de la capacité de rêverie à laquelle W.R. Bion
s’attachera largement, sur laquelle le patient peut prendre appui et qui doit
l’aider progressivement à sortir de son abîme, surtout lorsqu’il est effrayé par
sa folie, effroi qu’il arrive à faire partager bien souvent tant au thérapeute
qu’à l’institution.
Remarquons ici que travailler avec nos failles est souvent salvateur pour
les patients et réhumanise le soin psychique. Peut-être faut-il accepter d’être
suffisamment bon, mais pas plus… ? Alors que la psychologie clinique
« armée » des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et autres
brimborions semés à tout va dans le petit monde enchanté de la psychiatrie
cognitiviste tend à occuper de plus en plus le terrain, il est grand temps de
revendiquer que l’approche psychanalytique, du lieu même de son
extraterritorialité, spécifiquement distincte de la formation médicale, puisse
contribuer à l’enrichissement de nos pratiques de soins, et ce notamment
auprès de patients psychotiques parfois très chronicisés et que les équipes ont
tendance à délaisser, comme si elles étaient contaminées par le renoncement à
vivre dont les patients sont eux-mêmes porteurs. Le travail de détoxication se
trouve là également.
Sans pour autant établir un récit idéalisé de ce que fut ma pratique pendant
près d’une quinzaine d’années, il m’est apparu absolument nécessaire de
prendre la mesure de ce qui s’était déposé dans les groupes et leur psyché.
Concernant Adèle, il était évident que je devais la considérer tout d’abord
pour elle-même, mais aussi dans le groupe où elle avait eu l’habitude
d’évoluer ces dernières années, en l’occurrence ici la troupe théâtrale, mais
aussi les autres environnements dans lesquels elle vivait. L’approche
groupale et l’analyse des transferts latéraux tels qu’ils se déploient à
l’intérieur des groupes m’ont permis de préciser l’importance de la corporéité
des soins psychiques et de m’orienter vers l’aire des phénomènes culturels.
De même, l’analyse des effets de coexcitation ou de codépression dont les
soignants sont partie prenante m’a aidée à structurer le paysage quotidien de
ma pratique et m’a permis de cheminer aux côtés de cette patiente. Grâce à l’
attention portée à l’ensemble de ces phénomènes que D.W. Winnicott
(1971a) aurait qualifiés de transitionnels, intégrant avec souplesse et liberté
plusieurs cadres (individuel et groupal), j’ai vu se dessiner les éléments
fondateurs de ce que devait devenir ma clinique. C’est donc de cela que je
vais tenter de rendre compte, car c’est du jeu et de la complémentarité de ces
deux approches qu’il fut possible de tirer profit. L’exposé du cas devrait en
porter témoignage. Face aux organisations psycho pathologiques résistantes
aux dispositifs classiques, il m’est apparu utile, voire indispensable afin
d’activer les capacités symbolisantes de cette patiente, de m’appuyer sur les
mouvements transférentiels tels qu’ils se présentaient alors. C’est ainsi que le
trauma a pu être élaboré en des termes nouveaux, ne serait-ce que parce que
le travail groupal et théâtral a aidé la patiente à se sentir suffisamment
protégée pour me confier les éléments constitutifs de son délire. Grâce à
l’étayage suffisamment bon produit par le travail groupal, et malgré un
contexte témoignant de l’ angoisse extrême dans laquelle elle se trouvait au
moment de l’éclatement de son délire, Adèle avait-elle pu se constituer une
nouvelle peau psychique qui aurait, au moins pour un temps, fait office
d’enveloppe contenante ? C’est probable, mais il aura aussi fallu rester à son
chevet, sensible aux non-dits, à la nécessité du silence, ainsi qu’à ces
expressions discrètes de contact émanant du corps de la patiente et venant
résonner dans le corps du thérapeute.
Un tel travail ne pouvait trouver de lieu pour se vivre qu’à la condition
d’être soutenu par l’institution et par une confiance réciproque ayant pour
fondements non seulement le lien de la patiente avec son thérapeute mais
aussi le lien que le thérapeute avait su tisser avec l’équipe soignante et
l’institution. Rien ne saurait aboutir dans le traitement des patients
psychotiques en dehors de cet intérêt thérapeutique pour les liens
institutionnels, groupaux, familiaux et individuels. Seule une même
dynamique peut présider à ces processus où la réalité des perceptions, et les
différentes composantes de la personnalité du thérapeute, jouent un rôle
décisif dans l’univers délirant du patient, ainsi que dans l’évolution du
traitement de celui-ci. Si l’on veut avoir une chance de faire aboutir le
traitement de ces pathologies que sont les psychoses, il convient de ne pas
perdre de vue la nécessaire simultanéité de ces aspects de la relation
thérapeutique. L’espoir d’aider les patients à devenir non psychotiques joue
ici un rôle des plus importants. Les auteurs anglo-saxons nous permettent de
penser l’ensemble de ces phénomènes complexes non dans l’exclusive, mais
au contraire dans une multiplicité d’approches, nous invitant dès lors à une
réelle créativité. C’est en m’inspirant de leurs travaux que je pense être
devenue plus familière de l’univers intrapsychique de l’autre, lequel nous
semble souvent trop lointain. Mais sans les efforts conjoints du collectif
soignant, ainsi que des patients qui travaillaient avec moi et l’équipe au sein
de la compagnie théâtrale, donc sans la reconnaissance de la nécessité de
faire travailler plusieurs cadres simultanément, l’acharnement morbide dont
la conviction délirante d’Adèle avait été le reflet aurait gagné la partie et nous
aurait plongés dans un profond désarroi. Peut-être enfin fallait-il que, de mon
côté, je laisse se déployer une certaine forme de déni, à la hauteur de celui de
la patiente, pour que je puisse avancer parfois loin d’elle, et parfois à ses
côtés.

2. LES SEMBLANCES DU CONNU ET LA


VÉRITÉ DU LOINTAIN
Lorsque le patient, au cours d’un épisode de décompensation psychotique
aigüe, accepte de nous livrer le cœur des éléments énigmatiques qui viennent
composer son délire, il faut nous interroger sur ce qui a été mis en dépôt dans
le cadre d’un entretien en phase aiguë, dépôt révélateur de ce qui a été tu,
caché, retenu jusqu’au moment de l’efflorescence délirante. « Je ne peux tout
de même pas vous laisser ici tous mes sacs poubelle ! » , m’avait dit une
patiente au cours d’un entretien, suggérant qu’il y a en effet quelque chose
qui s’apparente dans l’écoute au retraitement des déchets. Le patient ne peut
se livrer à autrui que s’il est assuré de l’absence de tout jugement vis-à-vis de
ce qu’il aura énoncé. Si ce qui semble voué à être déchargé laisse
probablement au sujet la possibilité réelle d’user de façon nouvelle d’une
liberté d’ expression, il reste qu’il pourrait y avoir derrière ce souhait de se
délivrer du poids de ce que l’on peine à reconnaître un processus de clivage,
comme s’il fallait séparer le bon grain de l’ivraie. En effet, certains patients
aux prises avec des mécanismes de clivage et de déni extrêmement puissants
ne peuvent décharger ce qui fait conflit qu’au prix d’une expression
cataclysmique et délirante de leurs représentations impensables, contenus de
pensées considérées comme honteuses, répréhensibles, car souvent très
agressives, voire haineuses. Si à la décharge correspond le cataclysme, c’est
qu’il est devenu impossible au sujet d’appréhender les sources conflictuelles
(sexuelles ou identitaires) qui l’animent autrement que par l’ agir ou l’activité
délirante.
L’entretien devrait alors permettre de construire un cadre dans un espace
resté jusque-là sans limites. Pourtant, nous savons que le délire vient révéler
ce qui s’est tramé de longue date et qui apparaît soudainement, comme une
sorte de désastre au sein de la psyché contre lequel le sujet a longuement lutté
jusqu’à épuisement. L’ angoisse trop forte l’a emporté, et ce qu’il ne pouvait
fixer du regard s’est imposé à lui, a éclaté en son Moi, comme un cauchemar
sans nom, à la fois étrange et familier. Il faut alors que le clinicien entre dans
le cercle maléfique du trauma sans pour autant violer les frontières derrières
lesquelles le sujet a mis tant de temps à se barricader. Les vécus imminents
de catastrophe, d’ effondrement, sont à respecter au plus haut point dans la
mesure où le sujet en a eu un terrible besoin pour se maintenir en vie.
Tout l’enjeu réside donc dans la possibilité pour le thérapeute d’offrir au
patient un lieu psychique, un espace/temps pour déposer la matière brute du
délire dans le cadre de l’entretien, constituée d’éléments encore inconscients,
voire forclos, que le sujet n’est pas encore en mesure de reconnaître comme
lui appartenant, car considérés comme trop toxiques. Bien souvent, les
patients psychotiques ne livrent ces contenus délirants qu’avec une grande
réticence car ils craignent la contrainte du traitement chimiothérapeutique.
Aller au contact du patient psychotique lorsqu’il est en pleine
décompensation représente pour le psychologue clinicien un enjeu qui peut
s’avérer très risqué. Il y a un défi à relever car il n’est bien sûr pas question
de parler avec le patient la langue de son délire. Pas plus qu’il n’est question
de vouloir le ramener de force à la réalité, trop préoccupé que nous serions
alors par l’idée de la norme. Car si le délire s’exprime, c’est qu’il s’inscrit
dans une économie particulière, celle du sujet et de son histoire encore très
énigmatiques pour le clinicien.

3. L’ÉCRIT CLINIQUE ET LE RÉCIT DU CAS


La rédaction d’un cas vient préciser le tracé entre différents moments
d’une prise en charge psychothérapeutique, elle ouvre les souvenirs,
présentifie les mouvements pulsionnels au plus près de leur réalité psychique
et restitue dans leurs multiples ajustements la recherche de distance. La
connaissance du psychisme que mobilise l’approche psychanalytique,
particulièrement en matière de psychose, n’est pas exactement d’ordre
intellectuel, elle est tout d’abord d’ordre identificatoire, et « doit être aussi
pour ceux qui l’exercent une expérience vécue au sens le plus plein du terme
et non en un sens limité et partiel. La profondeur d’une connaissance n’est
pas indépendante de la voie par laquelle on y est arrivé » (T. Reik, 1935).
Cette connaissance que nous offre le travail analytique est aussi de l’ordre de
la traduction, celle des messages énigmatiques (J. Laplanche, 1987) délivrés
en cours de traitement, bordant ainsi cette expérience singulière de l’infantile
qui ne cesse de se réactualiser dans le transfert.
S’entretenir avec un patient perdu dans une histoire qu’il peine à nommer
autrement que par le recours à une langue hallucinatoire est un lent exercice
qui nous force à des ajustements dans lesquels nous sommes bien souvent
engagés au-delà de ce que nous pensions. Cette juste distance, s’il en est,
nous oblige à définir les contours délicats de ce que l’on pourrait presque
nommer une anthropologie de l’immédiateté. Pour reprendre les travaux de
J.-M. Gibbal (1982) qui a sans relâche, jusqu’à ses derniers jours, tenté
« d’aller plus profond […] avec quelques éclairs de vérité fragile […] (pour)
dire jusqu’au bout quelque chose qui s’échappe, insaisissable », l’écriture
aura été, sans conteste, le moyen de s’ « extraire de l’atmosphère si
prégnante des cultes ». Elle sera aussi pour moi le moyen de préciser la
multiplicité des places auxquelles j’ai été conviée, incarnant de fait les
différentes figures d’un transfert qui, en matière de psychose, peut frôler
parfois des zones incontrôlées de notre psyché.

4. LE TRANSFERT AU CŒUR DE L’ENTRETIEN


Placer la question du transfert au cœur de l’entretien avec des patients
psychotiques nous mène à considérer avec beaucoup d’ attention les
processus symbiotiques dans lesquels nous pourrions nous trouver pris alors
que la haine et l’amour n’y sont pas nettement différenciés. Ces processus
sont des indices très précieux pour notre compréhension psychologique. Les
éléments transférentiels et contre-transférentiels qui constituent la trame des
entretiens m’ont permis, grâce à une vigilance aiguë, d’entrer dans les
méandres de la psyché d’une patiente que je connaissais depuis déjà plusieurs
années dans le cadre du travail théâtral remarquable qu’elle y avait accompli.
Pourtant, par crainte ou défiance, Adèle n’avait jamais souhaité engager un
travail plus individuel sur le plan psychothérapeutique. C’est lors de sa
décompensation mélancolique, intervenue peu avant l’été, soit quelques
semaines après la fin de la saison théâtrale dans laquelle, comme chaque
année depuis près de douze ans, elle s’était beaucoup investie, qu’il m’a fallu
réfléchir à la nature du travail psychique qu’elle avait engagé et qui s’était
joué sur plusieurs niveaux simultanés. D’une part, son histoire semblait
« sans histoire », et Adèle ne souhaitait pas trop l’évoquer. Les trente années
passées en psychiatrie ne pouvaient, en revanche, qu’éveiller ma curiosité
clinique. Sa vie semblait terriblement banale et il était difficile de savoir
pourquoi, au fond, elle était là depuis si longtemps. D’autre part, le travail
ludique et théâtral dans lequel elle s’était entièrement engagée semblait la
rendre assez heureuse et nous liait fortement, à l’évidence, sur le plan
institutionnel. Peut-être espérait-elle inconsciemment échapper au conflit
enclavé dans son Moi pour ne jamais y éclater, quitte à payer le prix d’un
séjour psychiatrique à temps plein de plusieurs années ? L’histoire en a
pourtant décidé autrement puisque, en ce début d’été, alors que depuis toutes
ces années elle s’était stabilisée et ne fréquentait plus l’hôpital qu’à temps
très partiel, pour son activité au sein de la compagnie théâtrale, Adèle se
retrouvait finalement aux prises avec la virulence de son délire.
Freud a déclaré à plusieurs reprises n’avoir eu que de rares occasions de
rencontrer des patients psychotiques dans sa clientèle. Son argument central
tenait à ce qu’il considérait ces patients comme incapables de transfert, par
conséquent inaccessibles au traitement analytique. Pour tenter d’aller au-delà,
il recourut aux Écrits d’un névropathe (Freud, 1911). Peut-être que
« l’inadéquation du processus psychotique à la cure, son impossible
conversion en processus analytique tiennent, pour Freud […], au fait que
plusieurs moi habitent la personne du psychotique et lui demeurent
étrangers. (Mais) si Freud renonce à l’analyse de la psychose, il ne
renoncera pas à explorer les conditions psychologiques de son instauration »
(J.-C. Rolland, 1998). De plus, il laissera les perspectives théoriques et
cliniques ouvertes, et c’est dans cette direction que nous chercherons à nous
orienter. Sa théorisation face à la réalité de la psychose elle-même, bien que
parfois douloureuse, car elle le laissa sur quelques insatisfactions, nous a
permis ensuite, notamment grâce aux travaux de H. Searles (1965),
W.R. Bion (1970), P.-C. Racamier (1973) et D. Anzieu (1985), d’aller un
peu plus loin car chacun à sa manière m’aura aidée à penser la violence
délirante de la psychose au-delà des préceptes de « neutralité bienveillante »
et d’« attention flottante » qui n’ont été, il faut bien le dire, que de peu de
secours. Car que pouvons-nous savoir de la psychose si ce n’est l’effet
qu’elle produit en nous ? L’ attention portée au contre-transfert est donc ici
une évidence clinique qui peut nous permettre d’atteindre par plans
successifs, de plus en plus secrets, la vérité de la parole de l’autre. Pour en
pénétrer les arcanes, encore faut-il pouvoir accueillir cette parole de façon à
ce qu’elle puisse se penser en nous, que nous en soyons le siège, laissant ainsi
travailler cette pensée jusqu’à son ultime point d’incarnation. Être l’interprète
de la pensée d’autrui, la lui représenter, jouer, interpréter, représenter, tels
sont les points d’incidence auxquels il faut pouvoir se tenir.
Même si pour J. Lacan, l’impossible, c’est le réel, soulignant ainsi la
radicale incompatibilité entre réel et réalité, il semble que la clinique puisse
nous indiquer qu’il y a peut-être une issue à ce divorce majeur où la question
de l’environnement, notamment en matière de psychose, mais pas
uniquement, a un rôle crucial à jouer. La multiplicité des registres n’est pas à
redouter et peut même devenir une alliée de choix car elle nous aide à
réorienter le cours d’un scénario inconscient dont les patients sont
prisonniers, ainsi qu’à franchir les murs de leur enfermement. C’est ce
mouvement fondamental allant du conscient à l’ inconscient qui enraye
l’inéluctable répétition morbide, il est vital de le laisser jouer dans tout
entretien. Pourtant, des générations de cliniciens se sont soumis aux
sentences lacaniennes excessivement déterministes, telles qu’elles se sont
formulées au sujet de la psychose notamment. Et même si les catégories
lacaniennes du réel, du symbolique et de l’ imaginaire sont pertinentes, voire
indispensables pour penser la psychose, lorsque J. Lacan (1955) précise par
exemple que « ce qui n’est pas venu au jour du symbolique, apparaît dans le
réel », il n’en reste pas moins que pour lui les perspectives thérapeutiques
restent sombres. Sans penser pour autant qu’il soit possible de changer de
structure psychique, les évolutions de plusieurs patients montrent aujourd’hui
qu’il est concevable d’introduire du jeu dans la mécanique psychotique.
L’histoire d’Adèle, même si elle révèle les accrocs du réel, en apporte
néanmoins la preuve.
C’est à partir de son expérience qu’elle qualifie elle-même de limite et qui
est celle d’une mise à l’épreuve que M. Little (1986) rend compte de ce
qu’elle a appris in vivo dans son analyse avec D.W. Winnicott. Savoir
montrer de la psychanalyse un visage plus humain que celui que nous avons
l’habitude de connaître et où le corps et la sensori-motricité jouent un rôle
majeur ne signifie pas forcément prendre le risque de mettre en péril la
rigueur de la technique telle qu’enseignée par Freud. Pour avancer sur la
question du transfert et du contre-transfert, il nous faut lire Freud à livre
ouvert, en un lieu où clinique et théorie convergent, afin d’en discerner peut-
être les points restés aveugles, tant du côté de la clinique que de la théorie.
Certaines élaborations théoriques, en vogue dans les années 1970-1980,
concernant notamment l’éthique et le transfert, ont généré d’éventuelles
obscurités conceptuelles, sources de malentendus, provoquant dans la
pratique de véritables difficultés dont les patients firent parfois les frais. Le
désir de faire science, tel que Freud l’avait engagé, tendit à faire place à
l’idéologie, confinant l’analyste à la seule et unique place du mort.
L’exemple de M. Little vient précisément prouver que si le cadre doit être
stable et sans ambiguïté majeure, il ne faut pas qu’un dogmatisme quel qu’il
soit vienne le rigidifier. Travailler aux abords de la psychose nous contraint à
une certaine créativité clinique, c’est le message que M. Little nous transmet
et dont, en tant que patiente, elle a bénéficié grâce à la grande liberté de
D.W. Winnicott.
Débattre de la question du transfert dans la psychose, c’est tenter de rendre
compte de la multiplicité des visages de celle-ci, c’est aussi vouloir
poursuivre l’ exploration des conditions psychologiques qui la motivent. Ne
doit-on considérer la psychose que dans sa phase ultime, réduite à la seule
activité délirante ou hallucinatoire ? Nous savons qu’il y a dans la plupart des
institutions des patients psychotiques stabilisés qui, s’ils ont vu
l’efflorescence de leurs manifestations délirantes se calmer (sous l’impact de
la chimie), n’ont parfois jamais trouvé de lieu pour penser l’ impensable. Ce
qui va suivre ici est une proposition métapsychologique, non pas pour établir
le protocole mythique d’une guérison magique, mais plutôt pour tenter
d’approcher la psychose en ses terres, pour signifier qu’il est possible de
s’entretenir avec elle, sans pour autant sombrer dans l’illusion naïve de
prétendre vouloir parler son langage, encore moins de parler à sa place. Pour
cela, comme je l’ai à maintes reprises exprimé, il convient de laisser advenir
ludiquement tous ces Moi qui habitent la personne du psychotique, afin qu’ils
cessent de lui être étrangers (pour reprendre la conception freudienne). C’est
de la tolérance psychique à cette pluralité que le patient psychotique peut tirer
profit. Et nous verrons que si Adèle, femme d’une soixantaine d’années au
passé psychiatrique très lourd, car elle fut hospitalisée la première fois pour
une psychose maniaco-dépressive aigüe alors qu’elle avait tout juste dix-huit
ans, a pu s’en remettre à moi, c’est parce que nous avions eu ensemble un
véritable parcours où la confiance avait été très forte. Elle avait incarné de
nombreux rôles-titres 2, elle avait surtout été le pivot du travail théâtral que
j’avais développé pendant toutes ces années de pratique hospitalière et, c’est
parce qu’elle s’était risquée à mes côtés au jeu des identifications ludiques,
effectuées celles-là dans le champ de la conscience, qu’il lui devint
progressivement possible de dialoguer à l’intérieur du jeu lui-même avec les
fantômes de son histoire. Ce travail était tellement impressionnant du point
de vue strictement théâtral (P. Attigui, 1993a, b) qu’il avait fini par me
convaincre qu’une prise en charge individuelle s’avèrerait, dans son cas,
peut-être superflue… jusqu’au matin où elle arriva avec un délire armé de
pied en cap.
Exposer ce cas pourrait, aux yeux de lecteurs non avertis, remettre en cause
la valeur thérapeutique du travail théâtral tel que je l’ai développé
cliniquement et théorisé depuis toutes ces années. Or, nous verrons qu’il n’en
est rien car cet accident dans la trajectoire d’Adèle aurait pu être bien plus
grave si elle n’avait pu déposer en moi tout un lot de questions qui la
tourmentaient à l’excès.

5. DE LA CRAINTE DE L’EFFONDREMENT
À L’INQUIÉTANTE FAMILIARITÉ 3
Avant d’entrer dans le détail de ce délire et de ses motivations
inconscientes, il convient de s’arrêter aux travaux de D.W. Winnicott (1972)
sur la crainte de l’effondrement. Sa thèse, particulièrement éclairante sur le
plan clinique, désigne comme crainte d’un effondrement la crainte de quelque
chose qui aurait en fait déjà été éprouvé. Tout le phénomène psychotique
correspondrait à une organisation défensive en vue de réduire cette crainte de
l’ agonie originelle. Or, « si le patient est prêt à accepter quelque peu cette
vérité d’un type bizarre – que ce qui n’est pas encore éprouvé s’est
néanmoins déjà produit dans le passé –, alors la voie se trouve ouverte pour
que cette agonie soit éprouvée dans le transfert, en réaction aux défaillances
et erreurs de l’analyste » (D.W. Winnicott, 1972). Si la reconnaissance des
défaillances du clinicien peut s’avérer comme un levier décisif dans la
dynamique de l’entretien, la remémoration de l’ agonie primitive du
psychotique doit, quant à elle, et si l’on veut éviter de buter sur une
éventuelle futilité de la relation thérapeutique, être vécue dans le présent. Le
transfert donne, à partir de cet instant, un sens au cadre dans lequel il se joue.
Aider le patient psychotique à sortir de son abîme, c’est aussi le confronter à
l’absolue nécessité d’éprouver dans la réalité le vécu de ses émotions. Mais
encore faut-il que le thérapeute soit lui aussi, et pour lui-même, en mesure de
traverser ces épreuves émotionnelles, donnant ainsi au patient la possibilité
de faire l’épreuve de la chose redoutée.
Adèle avait bénéficié pendant près d’une douzaine d’années de ce que
j’appellerai un holding fictionnel (P. Attigui, 1998). La mise en place du jeu
m’avait, au fil du temps et des propositions ludiques, permis d’évaluer peu à
peu, à l’intérieur du jeu lui-même, la nature des traumas dont elle avait été
victime. Ces jeux du théâtre et de la fiction mêlés à son histoire avaient
enrichi mes intuitions cliniques, contribué à élaborer un véritable climat de
confiance et confirmé la proposition winnicottienne concernant les traces
traumatiques que les patients peuvent conserver inconsciemment. En effet,
« l’effondrement a pu avoir lieu vers les débuts de la vie du sujet, (…) Le
patient doit s’en “souvenir”, mais il n’est pas possible de se souvenir de
quelque chose qui n’a pas encore eu lieu, et cette chose du passé n’a pas
encore eu lieu parce que le sujet n’était pas là pour que ça ait lieu en lui.
Dans ce cas, la seule façon de se souvenir est que le patient fasse pour la
première fois, dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert, l’épreuve de
cette chose passée. Cette chose passée et à venir devient alors une question
d’ici et maintenant, éprouvée pour la première fois. C’est l’équivalent de la
remémoration, et ce dénouement est l’équivalent de la levée du refoulement
qui survient dans l’analyse des patients névrosés » (D.W. Winnicott, 1972).
Ce travail théâtral avait ainsi permis à Adèle de se souvenir ludiquement,
comme par petites touches, en grande partie grâce aux personnages qu’elle
avait incarnés durant toutes ces années et qui lui ont permis de développer
une « virtualité saine » (J.E. Garcia Badaracco, 1999) sur laquelle elle put
prendre appui. Sans doute, ce travail n’aurait pas été possible sans un
accompagnement s’inscrivant dans une distance suffisamment bonne de ma
part et c’est l’ensemble de tous ces éléments qui fut reconvoqué au moment
de l’éclosion délirante. Il ne tenait qu’au clinicien de savoir s’en saisir, à
condition « d’écouter la matérialité psychique de toute parole comme
s’écoute un rêve » (P. Fédida, 2000) et toutes les manifestations psychiques,
comme les symp tômes, mais aussi les phénomènes sublimatoires tels que la
créativité et le jeu qui font partie intégrante de cette matérialité et constituent,
au même titre que le rêve, un matériau de choix pour l’ exploration
inconsciente du sujet. Je tentai donc, au cours des entretiens, de relever le défi
qu’Adèle me lança, pour y « inventer un jeu de langage, là même où la
parole n’a plus cours » (F. Davoine et J.-M. Gaudillière, 2006). Adèle avait
été contrainte d’utiliser des défenses plus primitives et fonctionnellement plus
coûteuses, et de facto avait sauté de l’autre côté du miroir sans intermédiaire,
quittant les berges du conflit pour rejoindre celles de la solution délirante où
l’objectif et l’objectal s’écroulent ensemble (S. Nacht et P.-C. Racamier,
1971).
Lorsque Freud (1939) nous dit qu’ « un morceau de vérité oubliée réside
dans l’histoire délirante, lequel, en revenant, a dû subir des déformations et a
été mal compris, et que la conviction contraignante qui se constitue en délire
part de ce noyau de vérité et s’étend sur les erreurs qui l’entourent », il nous
permet ainsi d’associer folie et trauma. Mais il ne faut pas nous fier aux
lueurs trompeuses du trauma comme s’il était la clef de toute interprétation.
En effet, il nous appartient en tant que clinicien de continuer à questionner ce
qui nous est montré, questionnement qui ne peut s’accomplir qu’à partir du
point même de notre étrangeté. C’est en avançant sur ces terrae incognitae
que le transfert va faire ses premières armes. Les ressorts mêmes de la
forclusion telle que nous la rencontrons dans la psychose sont à situer du côté
de « ce qui entre en scène aux confins de l’humain et de l’inhumain (et qui)
ne relève pas de la psychologie des personnages, mais d’un événement qui
n’a jamais reçu droit de cité. Dans le travail analytique, ce théâtre-là
constitue la voie royale d’accès à l’ inconscient retranché, au même titre que
l ’interprétation des rêves donne accès à l ’inconscient refoulé » (F. Davoine
et J.-M. Gaudillière, 2006).

6. L’ENTRETIEN, LIEU DE CONSTRUCTION


DE L’ESPACE PSYCHIQUE
Pour parvenir avec le patient psychotique à élaborer et rendre partageables,
décollées de toute tonalité persécutive, les expériences les plus indicibles,
voire inconcevables, il convient de nous laisser emmener avec lui aux confins
de territoires improbables, parfois inquiétants, dans une véritable aventure
transférentielle qui passe souvent par la sensorialité.
Ce décollement, s’il devient progressivement possible, doit permettre au
sujet de (re)trouver une parole enfin déconnectée de toute emprise, le libérant
de ce dans quoi il était jusqu’alors captif. L’effectivité de ce travail, analogue
en quelque sorte à un véritable processus de perlaboration, ne devient réelle
que dans la mesure où elle aide le patient à reconquérir les territoires désertés
de son Moi. Ce processus de reconquête profondément tributaire de la
relation transférentielle ne devient tangible que lorsque l’individu s’aperçoit
qu’une confiance en l’autre peut s’établir, jusques et y compris dans la réalité
matérielle et partagée. Cette mise en œuvre du processus exige tout d’abord
comme préalable l’instauration d’un espace de jeu, au sens de l’espace
intermédiaire winnicottien, et que le cadre, mis en place et soutenu par le lien
transférentiel, « nourrisse » le tissu conjonctif de l’expérience psychotique
jusqu’à ce que se constitue la trame d’une structure peu à peu symbolisable.
Ce travail répond à des nécessités et à des compétences cliniques souvent très
inconscientes, de peu de rapport avec un savoir ou une technique et qui,
presque sans le vouloir, finissent par enrichir les deux sujets en présence. Si
nous évoquons les vertus d’un engagement conjoint, c’est que la rencontre
clinique peut enfin avoir lieu et laisser les deux interlocuteurs, à l’issue de ce
dialogue, profondément changés. L’enjeu est d’aider le patient à s’éloigner
peu à peu de cette place de figurant prédestiné (P.-C. Racamier, 1992), fixé à
une position immuable où jusqu’alors il présentait, en tant qu’ objet fétiche de
l’un ou l’autre des parents, « la double et singulière propriété d’être à la fois
vivant et inanimé ».
Chacun sait que s’entretenir avec un patient psychotique n’est pas chose
aisée, le terrain est miné et nous avons beau nous croire familiers de l’univers
qu’il nous présente, il est en réalité bien souvent impénétrable. Autour de lui,
des remparts, et nous sommes là, comme le dit P.-C. Racamier (1992), à
patauger dans les douves. Ces citadelles imprenables que constituent toutes
ces expressions de la psychose auxquelles nous sommes confrontés en tant
que soignants, la force incroyable des systèmes derrière lesquels les patients
sont retranchés, m’ont parfois découragée, mais je me suis toujours fiée à leur
énergie hautement paradoxale qui témoigne qu’il y a encore du vivant, même
s’il est voué aux abîmes d’une clandestinité qu’il ne faut pas dévoiler
hâtivement par crainte de priver le sujet de l’usage pathologique de ses
défenses. Car pour survivre à ces expériences délirantes, quitte à être un mort
parmi les vivants, les patients psychotiques persistent pourtant à suivre la
trace méconnaissable et indélébile de leur désir, enchâssé dans une fêlure
profonde, et auquel ils n’ont que très douloureusement accès. Le patient est le
porteur désigné des deuils non achevés de sa mère ou de la famille tout
entière. Et pour que la catastrophe psychotique n’ait pas raison de nous, pour
qu’à la place des événements de la biographie de ces sujets, il n’y ait pas
qu’un cratère vide, il convient d’être à la hauteur de l’ interprétation
passionnée du figurant prédestiné. P.-C. Racamier nous donne ici sa
définition : « Je donne la définition de figurant prédestiné à celui, à celle,
dans une famille, qui porte à son insu la charge de représenter et d’incarner,
pour le meilleur et pour le pire, l’idéal maternel et familial. Il est figurant, en
ce qu’il configure cet idéal ; et prédestiné, en ce qu’il n’a pas lui-même
choisi ce rôle, que cependant il adopte avec une sorte de passion » . Dans cet
espace psychique d’une extraordinaire matérialité, le thérapeute se distingue
par le fait qu’ « il porte la parole » (J. Lacan, 1955) de son patient jusqu’à ce
que celui-ci finisse par s’entendre avec lui-même.

7. LE DÉSIR DU THÉRAPEUTE : FILTRE


ET MOTEUR DE L’ENTRETIEN
Même s’il ne se présente pas à visage découvert, le désir du thérapeute est
profondément mobilisé par le processus thérapeutique et son écoute en sera
inévitablement façonnée. Autant dire, exercice fort difficile, qu’il lui faut à la
fois s’y laisser prendre et pouvoir simultanément s’en déprendre. Ce plan
constitue indéniablement un des aspects de ce travail. L’ objet est ici le dire
de l’ inconscient avec ses butées, ses errances, les heurts de l’interpénétration
psychique et ses mouvements régressifs. Le thérapeute inspiré par la
psychanalyse, et pour ne pas dire modelé par elle, se doit d’accompagner ce
processus, tout en sachant que, d’une certaine façon, « la psychanalyse ne
crée rien. Elle permet à de nouveaux buts et objets pulsionnels de se
développer comme des voies nouvelles qui se substituent partiellement aux
voies anciennes. Il reste à définir quel système pulsionnel subit ce processus
de changement. Pour les uns, il s’agit de l’ensemble complexe des pulsions
partielles prégénitales qui sont normalement appelées à s’intégrer dans le
système génital. Pour les autres, il s’agit de l’antagonisme fondamental qui
marque pulsions de vie et pulsions de mort » (D. Widlöcher, 1994). C’est en
effet la question de cet antagonisme qui permet de serrer au plus près les
mécanismes de liaison et de déliaison de l’activité pulsionnelle, telle qu’elle
s’est jouée dans l’histoire d’Adèle. Le pouvoir d’attraction morbide sera au
cœur du récit clinique que je vais maintenant développer, chronique et reflet
d’un long compagnonnage qui m’a beaucoup appris sur la nature des
processus en jeu dans le traitement des psychoses. J’aurai ainsi eu accès à
différents niveaux de profondeur psychique, expérience qui m’a aidée à
comprendre qu’un sujet pouvait s’adapter à un niveau de réalité tout en
préservant, en eau profonde, des sédiments pathologiques qui ne pourront
s’activer que sous l’impact de l’événement traumatique. Le délire, une fois
élucidé, nous permettra de mesurer l’ampleur des résistances et la manière
qu’elles auront eu, dans le processus, d’y jouer leurs rôles.

8. APPRÉHENDER LES FONDEMENTS RÉELS


DU DÉLIRE
Adèle est depuis plusieurs jours réhospitalisée à temps plein dans le service
où, depuis de nombreuses années, elle était en hôpital de jour à temps de plus
en plus partiel, car elle avait tiré grand profit du travail théâtral qu’elle avait
beaucoup investi et qui avait fait d’elle une des figures de proue de la
compagnie Le Toucan Bleu. Les soignants du service me rapportent qu’« elle
va très mal, elle délire, et personne n’y comprend rien… ». Je décide d’aller
m’entretenir avec elle, après une discussion en équipe.
Adèle est dans son lit, presque prostrée, et me voyant arriver auprès d’elle,
elle me reconnaît suffisamment pour que je puisse lui demander l’autorisation
de m’asseoir à son chevet. Elle murmure difficilement de telle façon qu’elle
est presque inaudible. Je suis donc obligée de m’approcher d’elle pour qu’elle
puisse me dire quelques mots chuchotés à mon oreille. Et s’engage le
dialogue suivant où Adèle me demande : « Est-ce qu’ils nous écoutent ? » Sa
question me surprend suffisamment pour lui demander à qui elle pense en me
parlant ainsi : « Ceux qui veulent me faire rôtir ! » , et ses paroles sont
accompagnées d’un rictus traduisant son effroi. Je comprends alors l’ampleur
de son angoisse et tente de lui manifester mon empathie en lui prenant la
main et cela sans rien dire pendant un temps suffisamment long. Puis, je me
risque à lui demander si elle sait pourquoi on veut lui faire autant de mal. Elle
me répond alors, avec une certaine méfiance : « C’est de ma faute… – De
votre faute ? – Oui, ils se vengent, je suis allée trop loin… – … ? » Mon
silence interrogateur est accompagné d’un bref échange de regards qui
contraste terriblement avec la nature des échanges chaleureux que nous avons
pu avoir durant toutes ces années dans le cadre de notre travail théâtral.
J’étais là, bel et bien, confrontée à cette inquiétante familiarité que j’évoquais
plus haut et qui me plongeait dans les abîmes de ma culpabilité. Qu’avais-je
fait ou plutôt qu’avais-je raté pour qu’elle soit dans cet état ? Son regard était
glacé et glaçant, et j’étais là, à ses côtés, mes pensées totalement
embrouillées, pataugeant dans les douves de mes souvenirs la concernant.
Puis, je tente de m’ajuster et ose lui demander de préciser un peu plus son
propos car je lui fais comprendre que moi et les membres de la compagnie
nous nous inquiétons pour elle, et que nous avons besoin d’elle pour
continuer après l’été notre travail. Elle semble assez indifférente à tout cela,
mais me dit qu’elle ne rentrera plus chez elle. « Pourquoi ? » . Ce à quoi elle
répond que ce n’est plus possible : « Je n’ai plus de maison… ! » . C’est
alors que je décide de pousser un peu plus le dialogue, prenant ses propos non
plus comme des éléments délirants et confus, mais plutôt comme des
éléments de réalité noyés dans un océan visant à nous perdre, et surtout à
perdre le sujet lui-même. Je ne perds pas de vue en tout cas que si délire il y
a, il a été édifié à des fins défensives et que je ne dois, en aucun cas, venir
brusquer cet édifice dont Adèle a besoin en ce moment pour se tenir en vie.
Je n’oublie pas non plus que le tumulte qui l’assaille est fortement anxiogène,
à tel point qu’elle ne sait vraiment plus ce qu’elle est, ni qui elle est. Adèle
me semble bien dans un mouvement de désinvestissement objectal, car si elle
consent à me parler, tout ce à quoi elle tenait au cours de ces dernières
années, le théâtre dont elle avait tant rêvé jeune fille et qui avait enrichi sa
vie, semble s’être effrité. Son repli narcissique, la perte d’une certaine réalité
et sa manière à elle de reconstruire son monde sur un mode persécutif, tout
est là pour que nous soyons assurés d’être face à une décompensation de type
psychotique. Et si, pour paraphraser Freud, le sujet délirant revient à la
réalité, c’est pour la reconstruire, c’est-à-dire la construire autrement.
Seulement, pour Adèle, cette réalité est devenue invivable. Son seul refuge,
c’est cette chambre d’hôpital où elle est cachée sous ses couvertures, blême,
peut-être aux prises avec une tentative d’auto guérison, même si la crainte de
mourir brûlée la tourmente au plus haut point. Il est bien sûr très difficile
d’appréhender en un seul mouvement tous les aspects d’un délire et je ne
pourrais prendre en compte ici que cet épisode saillant de l’histoire
pathologique d’Adèle qui a commencé très tôt. Mais il est probable qu’il fait
dramatiquement écho à un temps capital de l’évolution de son histoire
infantile. Suis-je pour autant obligée d’en conclure que tout le travail de
symbolisation qui a été accompli durant toutes ces années se verrait
brusquement aboli ? Je préfère, au cours de l’entretien, m’appuyer sur ce qui
existe, sa parole. Adèle consent à m’en dire plus, alors que les soignants
m’ont informée de son silence qui indique son refus de communiquer. Qu’y
a-t-il d’aussi vertigineux pour qu’elle ait à nouveau besoin de ces
travestissements de la pensée où le paysage qu’elle me présente est, bien que
surprenant, surtout effrayant ? Me vient alors l’idée de lui dire, lorsqu’elle
prétend n’avoir plus de maison, que je lui connaissais son petit appartement
dans une commune avoisinante, et c’est là que, dans un mouvement assez
cinglant, elle rétorque : « Non, ce n’est plus à moi, c’est à mon frère… ».
Ce n’est pas le délire qui s’impose au fil de l’entretien, mais plutôt la
réalité, une réalité transfigurée par le travail du délire. Les modalités
délirantes de sa pensée la contraignent, au moins temporairement (enfin, c’est
ce que j’espère…), à me dire qu’elle est devenue tellement mauvaise qu’elle
doit être châtiée. Mais du côté de la réalité, il apparaît bien autre chose. Elle
finit par m’avouer à voix de plus en plus basse tant elle est terrifiée, comme si
elle attend de moi que je lui fasse écho, que son frère veut lui prendre son
bien, sous-entendu son appartement. Cela lui est apparu comme impensable
et elle se sentait dans une telle insécurité qu’elle a été submergée par une
angoisse, une terreur sans nom (W.R. Bion, 1962). Pourtant, grâce à la
confiance qu’elle plaça en moi depuis longtemps, elle finit par nommer peu à
peu cette réalité qui lui est d’abord apparue comme impossible à regarder, à
identifier. En écoutant ses énigmes, parmi lesquelles son bien qui va peut-être
disparaître… j’associe alors à ce frère, venu profiter de la fragilité de sa sœur,
les figures d’une rivalité haineuse dans la fratrie. Je pense aussi à lui, mais en
tant que petit frère qu’il a été, son cadet d’une dizaine d’années, et qui lors de
la décompensation de sa sœur aînée s’est peut-être senti délaissé…
abandonné ?
Mais, aujourd’hui, il a été impossible pour Adèle de résister à l’appel de
ses sirènes. Elle a repris les vieux habits de son fonctionnement défensif où le
délire persécutif d’allure mélancolique vient de retrouver sa loge. La suite de
nos échanges me fait comprendre que ce frère qui est, depuis plusieurs
années, son tuteur, veut récupérer l’appartement de sa sœur aînée pour y
loger un de ses fils étudiant. Être délogée , voilà ce qui lui est – à juste titre –
insupportable, et qui l’a mise hors d’elle-même. Les conflits ont été, semble-
t-il, tellement intenses qu’Adèle a repris, selon les vieux plis de sa psyché, les
oripeaux de son ancien fonctionnement pathologique. Le seul refuge est à
nouveau le délire et sa conséquence logique, l’hôpital. Terrible retour en
arrière, comme si depuis rien de nouveau n’avait eu lieu dans son existence.
C’était là la clef du problème, elle retrouve quelque chose d’amèrement
familier et qui l’a pourtant laissée vivre tranquillement pendant près de
quinze années, comme si elle avait laissé fonctionner en elle plusieurs
régimes psychiques simultanés. Il me faut, dès lors, être attentive à ce
retournement de la haine contre le sujet lui-même. Ceci m’est d’autant plus
facile que la métamorphose à laquelle j’assiste est à l’opposé de ce que j’ai
l’habitude de connaître chez Adèle qui est devenue, au fil de ces années, une
femme gaie, pleine d’humour et sympathique. Ce retournement est, pour le
moins, des plus spectaculaires ! C’est grâce à ma surprise qui est grande que
je peux me risquer à reprendre cette remarque restée là en attente de
signification : « Mais comment se fait-il qu’on vous veuille autant de mal ?
». Ainsi, je lui fais part de mon étonnement car je trouve que tous les maux
dont elle s’accable ont quelque chose de disproportionné. Freud (1917) parle
de « diminution extraordinaire (du) sentiment d’estime du Moi, (d’) un
immense appauvrissement du Moi… », ajoutant que « dans la mélancolie
c’est le Moi lui-même » qui est devenu « pauvre et vide ». Et lorsqu’il parle
d’une « défaite de la pulsion qui oblige tout vivant à tenir bon à la vie », il est
au plus près cliniquement de ce que j’ai constaté en m’entretenant ainsi avec
Adèle. Mais la clef du tableau clinique tel que Freud le dépeint est contenue
dans ce qui vient au premier plan : « l’aversion morale du malade à l’égard
de son propre Moi ». Lorsque je lui formule que tout ce dont elle se plaint ne
me paraît pas vraiment lui correspondre, mais que peut-être cela aurait pu
concerner justement son frère, ou en d’autres termes, et pour rejoindre Freud,
que « les autoreproches sont des reproches contre un objet d’amour, qui sont
renversés de celui-ci sur le moi-propre », elle se redresse alors dans son lit et
paraît sortir d’un cauchemar. À cet instant-là, c’est le corps dans son lien
intime à la psyché qui est mobilisé. Cette liaison ne peut avoir lieu que parce
que la psyché primordiale (W.R. Bion, 1962) est atteinte, nous obligeant à
nous constituer nous-même comme « appareil à penser les pensées »
(W.R. Bion, 1987) d’autrui, tant que celui-ci n’est pas encore en mesure de
les reconnaître comme lui appartenant et de les assumer lui-même. Face à ces
mouvements psychiques, il m’a fallu développer une « capacité
d’alphabétisation suffisante » (A. Ferro, 2004), m’amenant à « communiquer
avec les parties les plus archaïques » de son appareil psychique. Pourtant, je
persiste à m’interroger : comment est-il possible qu’ayant travaillé à renforcer
son Moi durant toutes ces années, je me retrouve presque au point de départ
avec Adèle ? Le « presque » a ici son importance car, sans ces années passées
à faire sa connaissance jusqu’à parvenir à transformer en terrain de jeu ce qui
avait été déserté, je n’aurais probablement pas pu l’aider à se sortir aussi
rapidement de son état, et à résorber son accès mélancolique et délirant.
Lorsqu’il a été possible de remettre en ordre, avec son aide, tous les éléments
épars de ses messages au départ très énigmatiques pour moi, et de lui
formuler, et pour elle et pour moi, ce qui s’était rejoué cette fois dans la
réalité, elle a pu dans les jours qui ont suivi mettre spontanément des mots sur
ce qui était jusque-là demeuré impensable. À l’issue de ce cataclysme, elle
était bien sûr fatiguée, mais pourtant renforcée, car elle avait compris le
fonctionnement de son mécanisme de défense encore pathologique, tel qu’il
s’était déployé à la hauteur de la violence qui lui avait été infligée. Adèle,
restée soumise à la violence de l’impact, ne pouvait faire autrement que
d’assister passive au drame qui se rejouait en elle. Les plis de sa structure
mentale étaient, à un niveau très profond, restés partiellement intacts. Les
couches les moins profondes avaient pourtant été modifiées, ce qui lui avait
permis de faire ce travail de création théâtrale et d’y prendre appui, mais ses
modalités défensives se remobilisaient pour repartir au combat, et ceci à la
hauteur du traumatisme et de l’attaque. Ainsi, le délire s’était à nouveau frayé
un chemin, en se mettant au service d’un devenir agressif de la libido, liant de
facto mélancolie et mouvement paranoïaque. Tout en se plaignant d’elle-
même – « la plus mauvaise de tous… » –, elle nous donnait à entendre qu’elle
avait un compte à régler, et ses « plaintes (étaient) des plaintes portées
contre, selon le vieux sens du mot allemand : Anklage 4 » (Freud, 1917).
L’entretien et ceux qui suivirent permirent de mettre en lumière une plainte
devenue méconnaissable, masquée par les habits du délire. Cet éclairage ne
fut possible que grâce à l’ écoute, et surtout à la présence que je lui avais
apportée, donnant à ce travail la dimension d’une corporéité psychique.
Secondairement, le travail de perlaboration l’aida à reconnaître les
mécanismes de défense qui étaient les siens et donc à comprendre que ses
plaintes étaient bien sûr portées contre ce frère « abuseur », mais peut-être
aussi contre moi, ou contre l’institution qui n’avait pas su la protéger, en
anticipant, telle une mère suffisamment bonne, les affres de ce calvaire.
Anticiper veut dire qu’il aurait fallu être beaucoup plus attentif à son
environnement, ce qui, selon elle, n’avait pas été assez le cas. Les entretiens
qui suivirent nous ont apporté la possibilité de mettre des mots sur la
nécessaire reconnaissance des défaillances primaires dont elle s’était sentie
victime depuis toujours, et qui venaient se cristalliser autour des défaillances
thérapeutiques. Dans ce mouvement de perlaboration, elle dut reconnaître et
admettre les nombreux renoncements qui avaient jalonné son existence, à
commencer par ce qui aurait pu faire la joie/la jouissance… de sa vie de jeune
femme, rayée d’un trait pour d’obscures raisons. Tous ces éléments
reconvoqués et intensément revécus nous permirent de faire avec elle
l’épreuve de la chose redoutée. Seul le théâtre lui avait, depuis ces dernières
années, donné la possibilité de vivre ce dont elle n’osait rêver : être une
femme pour un homme, avoir des enfants… L’infantile et la souffrance, la
détresse archaïque revécues hic et nunc, telles furent les étapes à retraverser
dans le transfert.
L’expérience menée auprès des patients psychotiques m’a montré que
ceux-ci s’absentaient de la réalité à chaque fois qu’elle s’avérait intolérable.
Dans cette optique, il a donc été absolument nécessaire de tenir, ou plus
exactement de ne pas lâcher le passé ludique qui nous avait réunies à maintes
reprises. Je ne pouvais d’ailleurs pas oublier ce qu’elle était lorsque je l’avais
rencontrée pour la première fois. Enfermée dans un corps massif avec des
stéréotypies très appauvrissantes, elle s’était néanmoins saisie de ce projet
théâtral comme d’une bouée lancée à la mer. Jouer pourrait peut-être la
sauver, avais-je probablement pensé… considérant le jeu comme un modèle
du soin psychique. Elle qui rêvait de faire du théâtre et qui avait décompensé
lorsqu’elle s’était opposée à sa famille qui lui avait interdit de rentrer seule, le
soir, après son cours de théâtre… Sa vie s’était progressivement restreinte
sans réelle possibilité d’ autonomie. Le délire dans sa forme mélancolique se
voulait porteur d’une réfutation radicale de la réalité.
Quand Freud réfléchit à l’essence du masochisme moral, il considère
d’abord qu’il est l’effet d’un désir inconscient d’être puni. Les victimes de ce
processus sont donc, par définition, ignorantes de cette mécanique. Elles
peuvent en revanche en vérifier les effets évidents dans leur vie, dans leurs
actions et leurs pensées. Auprès de patients démunis de capacités de
symbolisation, il convient de s’appuyer sur tous les éléments venus composer
le cadre. Ces éléments peuvent être très concrets, physiques, voire corporels.
La qualité de la présence joue un rôle majeur et requiert l’abandon des faux-
semblants car l’ élaboration de la perte ne peut s’accomplir sur un registre
symbolique, elle est en quelque sorte agie. Tout ce qui sonne faux est donc à
proscrire.

9. L’ENTRETIEN, PAR-DELÀ LA MÉMOIRE


Si la psychanalyse a le pouvoir de convoquer les figures fantomatiques de
tous les personnages qui peuplent notre théâtre intérieur, il reste qu’avec
Adèle, j’ai été confrontée à cette forme de possession si fréquemment
rencontrée dans l’expérience de nos patients, héritiers involontaires,
« possédés » par le scénario inconscient de leurs parents. De nombreuses
années me séparent de ces évocations, elles ont pourtant laissé en moi une
empreinte suffisamment forte pour que je souhaite y revenir. Mais le
paradoxe veut que sorties du contexte, les pensées et interprétations
s’évaporent, la matière est instable. Peut-être cela tient-il à la nature même du
transfert ? Pourtant, quand une interprétation sonne juste pour les deux
interlocuteurs, patient et thérapeute, elle laisse dans la psyché une trace
indélébile qui va bien au-delà du langage articulé. Chez Adèle, c’est le corps
entier qui se redresse lorsque je lui restitue les éléments épars et forclos de
son histoire. Encore fallait-il ne pas avoir « peur d’attraper au vol des
paroles gelées, paroles retranchées sans bouche, ni sujet… » (F. Davoine et
J.-M. Gaudillière, 2006).
La tradition orale de notre métier sollicite sans cesse notre mémoire qui ne
peut prétendre à l’objectivité. Les microhistoires (F. Davoine et J.-M.
Gaudillière, 2006) que nous relatons dans nos écrits cliniques, même si
l’écriture vient en fixer la forme, sont par essence éphémères, elles nous
traversent et nous aident à saisir les lueurs du réel, faisant de chaque analyste
un conteur. Mais que raconter lorsque nous devons nous déplacer encore et
toujours sur la multiplicité des scènes psychiques qui nous sont proposées,
surtout lorsque, selon la proposition lacanienne, nous devons reconnaître à
chaque fois que la résistance du patient est avant tout la nôtre. Le lien tissé
avec le patient au cours de l’entretien est à entendre comme une lutte, ou
comme l’ expression imagée de ce qui se passe dans le transfert. Car « les
émois inconscients tendent à échapper à la remémoration voulue par le
traitement, mais cherchent à se reproduire suivant le mépris du temps et la
faculté d’hallucination propres à l’inconscient. Comme dans les rêves, le
patient […] veut mettre en actes ses passions, sans tenir compte de la
situation réelle. Or le médecin cherche à le contraindre à intégrer ses émois
dans le traitement et l’histoire de sa vie, à les soumettre à la réflexion et à les
apprécier selon leur réelle valeur psychique. Cette lutte entre le médecin et le
patient, entre l’intellect et les forces instinctuelles, entre le discernement et le
besoin de décharge se joue presque exclusivement dans les phénomènes du
transfert ». Cette scène transférentielle telle que Freud (1912) la décrit, si elle
peut véhiculer violence ou sauvagerie, nous amène à comprendre enfin que
les mots qui viennent frapper à notre porte sont « des mots réels, chargés de
chair et d’affects » (F. Davoine et J.-M. Gaudillière, 2006).
CHAPITRE 13
L’ENTRETIEN
EN PRISON
Magali Ravit
1. CONTEXTE DE LA RENCONTRE CLINIQUE
2. DISPOSITIF DES ENTRETIENS CLINIQUES
3. RELATION THÉRAPEUTIQUE ET TRAVAIL DE
MENTALISATION
4. SITUATION CLINIQUE

« Il peut paraître surprenant que nous employions l’ expression


“psychanalyse des comportements” […] Tout comportement cache un sens en
même temps qu’il le révèle, du moins pour le psychanalyste. L’intérêt n’étant
pas le sens en lui-même, mais la démarche pour y parvenir, à travers une
rencontre, qui passe nécessairement par des remaniements économiques
avant que l’individu devienne sujet de son histoire »
C. Balier, 1988

L a pratique du psychologue clinicien en milieu carcéral ne peut se limiter


au travail de la symbolisation stricto sensu. Les conditions de soin et d’
écoute sont traversées aussi bien par la manière dont le clinicien « s’arrange »
avec le cadre pénitentiaire, que par la réalité matérielle des conditions de la
rencontre liées à l’enfermement. Il existe non pas « une » mais « des »
pratiques cliniques en institution carcérale.
Le champ de compétences du clinicien est étroitement lié à son
appartenance institutionnelle : rattaché au ministère de la Justice, sa mission
est de soutenir les équipes de surveillance et de prendre en charge
(consultations et orientations) la souffrance du personnel pénitentiaire ;
rattaché au ministère de la Santé, sa position clinique envisage la santé et le
soin du détenu, ce que je propose ici d’envisager.
Le dispositif législatif de 1994 prévoit que « le service public hospitalier
assure les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu
pénitentiaire et si nécessaire en milieu hospitalier. Il concourt dans les mêmes
conditions aux actions de prévention et d’éducation pour la santé organisées
dans les établissements pénitentiaires » (loi n o 94-43 du 18 janvier 1994).
Cette réforme s’inscrit dans un contexte international face aux
recommandations du Conseil de l’Europe qui rappellent que la peine
privative de liberté ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes aux
détenus. En termes d’accès aux soins, le patient détenu dispose des mêmes
droits que tout citoyen. L’exercice de ces droits n’est cependant pas total, en
particulier concernant les situations d’hospitalisation. Dans une approche
différente et différenciée des pratiques soignantes, les unités de consultation
et de soins ambu latoires (UCSA) et les services médicaux psychologiques
régionaux (SMPR) veillent idéalement à une répartition des soins somatiques
et psychiatriques. Le décret du 10 mai 1995 fixe l’existence de vingt-six
SMPR qui sont des structures psychiatriques implantées dans des maisons
d’arrêt constituant le premier lieu d’ accueil des détenus. Ces SMPR sont
rattachés à l’établissement psychiatrique du secteur et possèdent pour la
plupart des chambres/cellules permettant de favoriser une meilleure prise en
charge des détenus « en crise ». Outre la prise en charge des patients
hospitalisés au SMPR, les professionnels de ces services (psychiatres,
psychologues, infirmiers, psychomotriciens, éducateurs) assurent également
le suivi des autres détenus souhaitant rencontrer un professionnel. Si le
service pénitentiaire et le SMPR fonctionnent de manière relativement
autonome dans la répartition de leurs rôles et fonctions, un travail en réseau
se révèle indispensable puisque l’accès aux soins s’effectue par
l’intermédiaire du personnel de surveillance : tout détenu peut écrire à l’unité
de soins de la prison afin d’être reçu, mais ce sera le surveillant de prison qui
régulera le mouvement en détention pour en permettre l’accès. Aussi, toute
demande passe obligatoirement par une demande écrite et par la
« médiation » du personnel de surveillance.

1. C ONTEXTE DE LA RENCONTRE CLINIQUE


En prison, tout mouvement est structuré en un espace et un temps
appréciables et ostensibles, c’est-à-dire repérables architecturalement, comme
le signalait M. Foucault (1975) à partir de l’analyse du système panoptique de
Bentham. Dans ce sens, l’équipement matériel, les ressources humaines et les
règles qui gèrent le quotidien du détenu doivent soutenir en permanence
l’idée que la surveillance est continue dans ses effets, même si elle est
discontinue dans son action. Le regard, élément de l’appareil d’ emprise, est
omniprésent. L’espace intime est sans cesse fragilisé, fissuré, jusque dans la
gestion des opérations corporelles les plus primitives où les sujets sont
confrontés à de multiples empiètements (fouilles corporelles, douches
collectives, changements impromptus de cellule, nourritures imposées, etc.).
L’ emprise carcérale est avant tout une prise sur le corps, une perte de
contrôle de son usage et de ses rapports à l’environnement (D. Lhuilier,
2000).
L’appareil carcéral doit garder la mainmise sur le temps, l’espace et le
mouvement, ceux-ci s’entremêlant, s’écrasant dans une même logique, celle
susceptible d’organiser les opérations du corps et de la collectivité. L’espace
privé et le temps semblent mis en sommeil. « Ici, on vit entre parenthèses, le
temps s’est arrêté », répètent souvent nos patients. Le temps en tant
qu’organisateur social du dehors disparaît au profit de l’instauration d’une
cyclicité institutionnelle : heures des parloirs, temps des prome nades,
moments des repas, horaires des activités, etc. Cette exclusion du temps,
comme l’indique D. Lhuilier (2000), produit un télescopage temporo-spatial
qui donne un effet d’immobilisation. Les multiples intrusions de l’appareil
carcéral s’offrent comme une légitimité imposée dont l’ adaptation nécessite
une appropriation de ses impératifs drastiques. Aussi, comme l’indique
E. Goffman (1961) dont les travaux restent toujours d’actualité, le principe
dynamique de la vie sociale dans ce type d’institution totalitaire induit une
« logique de survie » qui se traduit par l’intériorisation de la contrainte. L’«
autonomie » et l’ adaptation sociale du sujet se présentent sous le statut
paradoxal d’une symbiose parfaite avec la structure carcérale, ceci afin de
répondre aux diverses formes d’ intrusion. Cette topologie institutionnelle
n’est pas sans rappeler la configuration du cadre telle que l’envisage J. Bleger
(1966) dans laquelle le corps (Moi) devient le prolongement du cadre carcéral
(non -Moi). Il n’est donc pas surprenant d’observer l’apparition
d’automutilations (coupures ou estafilades) qui semblent être pour certains
détenus le seul moyen d’attaquer l’immuabilité du système tout entier. C’est
ainsi que l’on observe toute une culture du tatouage où la peau (lieu de
passage entre le dedans et le dehors) est le support électif du témoignage et de
la dépossession. La rupture temporelle et l’atteinte de l’ intimité se présentent
comme autant de « zones » d’infiltration et d’envahissement du dedans par le
dehors. La continuité d’existence reste dépendante de la capacité pour chaque
sujet détenu à vivre en institution et en groupe. L’« appareil carcéral »
mobilise une « pseudo -identité » qui repose sur des identifications très
archaïques et défensives en lien avec le concept d’ identité de groupe, tel que
l’a développé F. Bégoin-Guignard (1991). Pour certains détenus, la vie
carcérale peut donc être un point d’ ancrage et d’ attachement faisant germer
la sensation d’être contenu de l’intérieur par l’extérieur. C’est en partie ce
que disent certains patients toxicomanes pour qui le seul « sevrage » peut
s’effectuer en détention.
Dans cet espace clos sur lui-même, le psychisme et le travail de pensée qui
individualise et rend « autonome » peuvent être porteurs de fantasmes de
subversion vis-à-vis du pouvoir de l’institution pénitentiaire. Aussi la mise en
place d’un travail psychique, qui suppose une mise en mouvement de
l’organisation interne (c’est-à-dire une reprise des enjeux pulsionnels et
affectifs), se situe à l’opposé des exigences carcérales qui figent tout
mouvement et travaillent à renforcer « l’adhésion » à l’institution.
L’amenuisement de la position identitaire ne réside pas seulement dans les
conditions de contrainte (corporelle et morale) qu’exerce en permanence la
prison sur les détenus. La précarité de l’ identité est aussi en lien avec le
vacillement de la pensée et de la position subjective dans les conjectures
cliniques de ces sujets.
Il est donc nécessaire que le dispositif clinique puisse s’adapter aussi bien
à la « demande » des sujets incarcérés, à la fois dans ce temps particulier de
leur parcours pénal avec tout ce que celui-ci implique (placement des enfants,
séparation d’avec l’environnement extérieur, instruction en cours, par
exemple), mais aussi en regard de leur régime de fonctionnement psychique
privilégiant le recours à la motricité et à l’action, à défaut de capacités de
mentalisation suffisamment organisées et construites. L’activité de
représentation elle-même est synonyme de peur, voire de terreur, de
sensations de solitude intense, voire de rupture. Pour la plupart des sujets
incarcérés, les déséquilibres survenus dans la construction de la subjectivité,
les difficultés relationnelles, l’intolérance aux contraintes et aux frustrations,
impliquent une prise en charge complexe et délicate. Aussi, la relation
thérapeutique devra remobiliser et contenir toute la tonalité émotionnelle qui
n’a pu être traduite et intégrée à l’histoire subjective. En somme, il s’agit là
pour le thérapeute de remobiliser le souvenir, en deçà des mots, en deçà des
maux…

2. DISPOSITIF DES ENTRETIENS CLINIQUES


Dans ce temps singulier du parcours pénal, la relation thérapeutique
s’ajuste à la durée de détention qui est très variable selon l’infraction
commise (de nature correctionnelle ou criminelle) et la peine prononcée. Les
demandes adressées aux cliniciens peuvent s’effectuer soit dans le temps qui
précède le jugement, soit une fois le jugement rendu. À chaque étape de la
procédure, le détenu peut faire l’ objet d’une remise en liberté ou d’un départ
pour une autre prison auxquels le clinicien n’a pas accès : liberté provisoire
(avant le jugement), liberté conditionnelle (après condamnation), transferts
dans d’autres établissements pour peine à tout moment du parcours judiciaire.
De la sorte, si le clinicien reste relativement « libre » du dispositif, il est
dépendant des systèmes judiciaire et carcéral dans la gestion temporelle de la
prise en charge.
Il n’existe aucune obligation de soins en prison. Quand celle-ci est
prononcée, au moment du jugement, elle prend effet à la libération du détenu.
Pour autant, le travail et l’« adhésion » au soin sont des critères retenus
concourant à des remises de peine.
Les demandes de soin émanent des seuls intéressés. Le travail en équipe
est fondamental puisqu’il permet d’appréhender de manière pluridisciplinaire
le contexte social et thérapeutique du patient. La fréquence des entretiens est
variable : elle n’est malheureusement pas que fonction de la cohérence de la
prise en charge, mais tient compte aussi du nombre important des demandes
adressées au SMPR. Ces demandes peuvent être « ponctuelles » ; il peut
s’agir d’une demande de soutien ou d’un temps d’échange sans lendemain.
La plupart du temps, la consultation a pour visée de penser un « projet de
thérapeutique » (entretien hebdomadaire en face à face, avec ou sans
médiation et/ou groupe thérapeutique à médiation) en concertation avec les
autres partenaires du soin. Le travail thérapeutique, en laissant libre cours à la
parole, permet au sujet d’appréhender son histoire comme il le souhaite. La
nature du passage à l’acte n’est pas d’emblée évoquée. C’est en ce point qu’il
convient de différencier l’entretien clinique thérapeutique (mis en place au
service de soin UCSA ou SMPR) de l’entretien clinique expertal émanant du
cadre judiciaire et dans lequel l’expert-psychologue, mandaté par le juge
d’instruction, doit faire état des modalités d’organisation psychique du sujet
dans ses enjeux avec le passage à l’acte.
Certains patients présentent un état de choc et de sidération à la suite des
faits commis (infanticide, crime passionnel, viol, actes commis sous
l’« influence » d’alcool et/ou de drogues, par exemple) et du fait de
l’incarcération qui représente une rupture dans leur vie. La narration répétée
des faits qui sont alors redéployés en présence du clinicien demeure une
tentative désespérée d’accroche et d’adresse pour border un vécu ineffable d’
effondrement et de chaos interne qui prend différents chemins dans la prise
en charge.
Je me souviens de cette jeune fille ayant tué sa voisine de palier. Celle-ci
l’avait surprise « la main dans son sac » et la menaçait d’appeler la police. En
riposte, et terrorisée par l’idée d’aller s’expliquer au poste de police, elle
n’avait pas trouvé de meilleure solution que d’assommer la vieille dame à
coups de combiné téléphonique. Des coups mortels. Ma patiente avait
présenté son incarcération comme faisant suite à « une bêtise ». Je ne l’avais
pas particulièrement invitée à me raconter la scène, qu’elle me répétait sans
cesse, comme coupée d’elle-même, sans émotion ni affect. C’était alors une
scène qui défilait sous ses yeux, sous les miens, à laquelle elle ne pouvait
subjectivement prendre part. Le travail clinique qu’elle poursuivit durant ses
trois années de détention lui a permis de s’inscrire dans une histoire infantile
difficile. Au terme de sa prise en charge, peu avant son transfert pour un
centre de détention, elle envisageait son passage de l’acte comme « quelque
chose d’horrible, ç’aurait pu être ma grand-mère ». La relation thérapeutique
lui avait permis de remobiliser des expériences enkystées dans son histoire
qui continuaient de la hanter. Elle avait pu « utiliser », au sens winnicottien,
les objets thérapeutiques pour s’éprouver et penser son désespoir et sa terreur.
Se situer dans un lien d’ empathie lui devenait alors possible en même temps
que son vécu d’ effondrement nous mobilisait plus que jamais dans
l’aménagement de consultations quotidiennes.
Telle aussi cette autre patiente incarcérée pour avoir tué sa fille de quatre
ans. Son « enfant préférée », me disait-elle. L’ enfant était là durant les
premiers temps de consultation, parlée au présent. Ma patiente avait besoin
de me parler et de me faire sentir « sa moitié manquante », manquante depuis
toujours et à jamais.
Et puis, il y a ces autres patients qui viennent pour ainsi dire « se frotter »
aux murs de la prison, ceux qui ont l’habitude de revenir, qui sont écroués
pour vols, trafic de drogue ou autres. Ceux pour qui le tissu relationnel
carcéral épouse les formes d’un espoir, d’une promesse d’un à-venir meilleur.
D.W. Winnicott (1969) cerne dans la « tendance antisociale » l’importance de
l’environnement : « Le malade oblige quelqu’un, par des pulsions
inconscientes, à le prendre en main. » Pour être investi et/ou aimé, pour
acquérir une place significative, ces patients-détenus ont besoin d’être avant
tout « saisis ». Tels ces patients extrêmement demandeurs de tout et de
n’importe quoi pourvu qu’ils existent dans le regard de l’autre. Tels ces
détenus belliqueux que l’on place en cellule d’isolement pour être mieux
surveillés.
Le monde carcéral constitue un catalyseur des relations de dépendance
auxquelles s’abouchent des mouvements de régression. Cependant, ces
derniers ne peuvent être ramenés et confondus aux simples effets de la prison.
C. Balier (1988) a longuement étudié l’importance de la régression et de la
passivité liées aux conditions d’incarcération, mais il ajoute qu’« il faut des
conditions extrêmes pour affirmer qu’elle [la prison] crée à elle seule de
toutes pièces des troubles qui ne préexistaient pas sous une forme ou sous une
autre, avant l’incarcération ». Très souvent, lors des entretiens, les patients
viennent aborder leur statut juridique et institutionnel : remise potentielle de
la peine, liberté conditionnelle, appartenance aux activités et/ou travaux
proposés, distribution des repas, etc. S’ils se montrent très enthousiastes dans
un premier temps à l’idée d’une « prise en charge », très vite la magie de la
rencontre tombe dans les oubliettes de la pensée opératoire qui vient
colmater, tel un enduit, l’ impensable de la relation. Le cadre pénitentiaire,
avec ses repères immuables, semble alors faire retour dans le dispositif
clinique comme pour « porter »/« supporter » l’espace et le lieu de la
rencontre.

3. R ELATION THÉRAPEUTIQUE ET TRAVAIL


DE MENTALISATION
Le SMPR représente pour les patients une première barrière de protection,
une sorte de « sas intermédiaire » permettant aux dispositifs thérapeutiques
de ne pas être directement englobés et confondus avec l’ enceinte carcérale.
Cependant, la composante paradoxale fondée sur l’incompatibilité entre le
soin et la répression semble parfois être une condition d’exil pour la pensée.
La clinique des sujets incarcérés est marquée par l’importance de l’acte et
du comportement. Leur vie s’organise sous le primat de la rupture et de la
répétition. Le cadre de la consultation, bien sûr, est dépositaire d’un certain
type d’expérience du lien, d’un certain rapport à l’ objet.
Le positionnement interne du clinicien, et en particulier la suspension du
jugement, est parfois difficile à tenir de par les importants mouvements
identificatoires suscités. C’est avant tout le sexe et la mort qui se livrent dans
toutes leurs dérives, dans leurs points de bascule difficilement pensables,
oscillant entre excitation, traumatisme et fascination. C’est une clinique de
l’innommable, de l’épreuve et de la mise à l’épreuve ; clinique de la
sensorialité plus que celle de la pensée associative. Aussi le clinicien et le
groupe des soignants vont mobiliser tout un aréopage défensif permettant de
maintenir le lien thérapeutique.
Un premier constat fut ma difficulté à retranscrire les entretiens en mots
selon les lois du langage et la scansion du temps. Du patient que j’avais reçu
en consultation, il semblait ne rien me rester, aucune trace. Des impressions.
Des sensations diffuses. Des bribes. Peu d’associations pensables… Dans les
corridors du soin, la salle de relève des soignants, on se faisait plaisir : du
chocolat, beaucoup ; des gâteaux, faits maison surtout ; des caresses pour la
langue qui ne peut se délier ; des plaisirs auto-érotiques que le groupe des
soignants se donne et se formule à bas bruit. C’est bien sûr, en partie, de «
ça » dont il s’agit, d’un plaisir subversif qui fait à la fois écho aux pathologies
« narcissiques-identitaires » (R. Roussillon, 1991) pour qui l’expérience de
satisfaction demeure illégitime, mais aussi d’un plaisir impropre pour le
soignant qui se pense manipulé, comme s’il devait se retirer d’une alliance
thérapeutique toujours nourrie en fond sonore par les aspects dramatiques et
destructeurs du passage à l’acte. Le cadre de la rencontre infesté d’éléments
morbides signe parfois l’échec thérapeutique. La pratique du soin dans ses
aspects transféro -contre-transférentiels est celle de se sentir vivant, face à un
héros thanatique vous annonçant l’apocalypse. La mortification de la psyché
à laquelle le soignant tente d’échapper s’imprime en partie par une absence
totale d’ affects et de représentants psychiques. Le blanc, le vide,
l’inconsistance de la pensée sont évocateurs de la discontinuité primitive et
de la mise à mort ponctuelle des contenus psychiques. Si cette clinique
convoque l’ impensable comme un temps inaugural, cet impensable délimite
déjà un espace pour la pensée. Le négatif éprouvé par le clinicien est en
rapport avec une rupture du lien avec soi-même et avec l’autre, P. Aulagnier
(1979) en témoignait l’humaine condition : « L’aliénation concrétise une
tentation qui a été et reste présente dans l’activité de pensée de tout Je :
retrouver la certitude, exclure et le doute et le conflit ». Elle ajoute que le
travail du clinicien n’est pas de détourner son regard de sa propre
méconnaissance, mais de rendre pensable l’état d’aliénation.
L’irreprésentable, l’ impensable, le blanc, sont des indices de mort de la
pensée qui reste chez ces patients un moyen de préserver et de méconnaître
ce qui dans le passé est survenu comme un accident incommunicable, donné
à éprouver abusivement sur la personne du thérapeute. C’est en ces termes
que l’on peut parler avec R. Roussillon (1991) d’une modalité de « transfert
par retournement ».
Le potentiel de dangerosité et de sidération que convoque cette clinique
appelle bien souvent des stratégies défensives dans le groupe des
professionnels du soin psychique. Sans doute que la désignation, seule et
exclusive, de « patients » (et non « détenus ») concourt à évacuer aussi bien
le cadre pénitentiaire que le potentiel de violence et de danger inhérents à la
rencontre. Je me souviens de cette patiente incarcérée pour « homicide
volontaire ». Elle avait tué son conjoint de 53 coups de couteau alors qu’elle
était alcoolisée. Ses enfants avaient grandi et venaient de quitter le « nid »
familial qu’elle avait tricoté et autour duquel elle s’était construite durant des
années. Très déprimée par ces récents départs, elle se retrouvait seule avec
son mari qui représentait pour elle à la fois un solide appui et un agresseur
tant la sexualité lui faisait horreur. Le couple avait bu. Elle avait d’abord
tenté de repousser les sollicitations de son mari entreprenant. Ne voyant
aucune échappatoire possible, elle avait pris un couteau de cuisine et « frappé
jusqu’à ce que ça cesse ». Elle était arrivée en détention, suite à une
hospitalisation, dans un état de stupeur et de sidération, souhaitant en finir.
Durant son incarcération, elle avait su mobiliser les soignants et se situer dans
ce qu’il est convenu d’appeler une « bonne » alliance thérapeutique. Elle a été
prise en charge durant trois années au SMPR. Son jugement approchait. Elle
était inquiète, nous aussi. Le couperet tombait : elle était condamnée à vingt
ans de prison. La sentence était irrecevable pour les soignants, irrecevable
sans doute aussi parce que chacun avait pu s’identifier à cette dame dans son
parcours de vie et jusqu’au passage à l’acte. Or, dans la réalité, la peine
n’était pas exemplaire. L’établissement d’un consensus destiné à préserver la
continuité des soins est ce que R. Kaës (1993) traduit sous le terme de «
pacte dénégatif », comme une organisation biface qui assure des fonctions
spécifiques dans l’espace intrapsychique et qui soutient en même temps la
mise en jeu des liens intersubjectifs. Le pacte dénégatif est une formation
défensive qui permet d’organiser des alliances inconscientes, assurant une
sorte de contrat narcissique entre ses membres et rendant possible le maintien
de la tâche primaire institutionnelle, ici le soin. En somme, le groupe des
soignants rejette et dénie ce qui n’est pas pensable et reste inacceptable dans
la relation, au profit justement de la relation thérapeutique. Il en est, il en a
été ainsi, avec nombre de patientes dans notre difficulté d’admettre leur
violence dévastatrice.
Dans une autre version, le contre-transfert peut aussi être refusé parce qu’il
constitue un moment fusionnel extrêmement confus. Travailler avec cette
phase symbiotique semble une condition sine qua non de la rencontre
thérapeutique. H. Searles (1973) suggère que « ce que l’analyste offre au
patient de nouveau et de thérapeutique, à cet égard, c’est qu’au lieu d’éviter
le développement d’une dépendance symbiotique et réciproque avec le
patient, il l’accepte ». Travailler les vicissitudes et les avatars de cette
clinique est une position inconfortable voire contraignante, puisqu’elle
pousse le clinicien à interroger la limite de ses outils, de sa pensée. C’est en
ces termes que R. Moury (1989) articule la double rencontre diachronique,
celle du patient et celle du soignant, nécessaire à la reconnaissance de la
réalité psychique du sujet : « De tels patients poussent les analystes aux
limites de leur fonctionnement psychique et il leur faut, comme le préconisait
W.R. Bion, abandonner tout souvenir, tout désir, et surtout toute application
d’un savoir théorique pour se porter […] à l’écoute de la relation d’inconnu :
la sienne et celle du patient ». Par ailleurs, A. Green (1974) propose un
modèle théorique pour interpréter le déplacement des conflits internes à la
limite du champ psychique. Il décrit par la suite (en 1982) la relation
d’apparence fusionnelle visant à entériner le contenu dépressif.
Personnellement, j’ajouterais que la fascination exercée par cette clinique
devient un « empêcheur à penser », si justement elle est refusée et n’est pas
interprétée comme une modalité de rencontre avec la « non-pensée ». Je
conçois les enjeux de la fascination comme une réponse psychique (non
pensable mais éprouvable) venant border, voire contenir un vécu de
sidération interne qui résonne avec l’état de détresse et d’ anéantissement de
la subjectivité du patient. La sidération ébranle et met à mal nos capacités de
liaison interne. Elle agit comme une onde de choc traumatique et signe la
manière dont le clinicien devient vampirisé, comme vidé de ses contenus
internes, dans un silence abrasant tout mouvement de vie. La sidération signe
aussi l’ anéantissement des fonctions de liaison psychique. La figure de
Méduse en est la métaphore. Objet d’épouvante et d’horreur, elle est celle qui
fige d’ effroi, glaçant le sujet dans une expérience de contrainte et de
passivation où seule la mort psychique fait écho. L’ affect est ici balayé,
évincé de la subjectivité littéralement effondrée. Plus de scène, ni perceptive
ni figurative. Seul l’effacement demeure dans un envahissement
catastrophique. Le clinicien, bon gré mal gré, engage la rencontre à travers
cette étape et ce vécu d’impuissance contre-transférentielle qui dénonce
toutes les dimensions toxiques et souffrantes de la construction subjective,
étape hantée par le blanc livré là comme le linceul de la position subjective.
Face à l’intense effet traumatique, face à l’état de sidération premièrement
ressenti, la fascination opère alors et ensuite chez le thérapeute comme une
réaction défensive d’urgence qui permet une remobilisation intense consistant
dans le redéploiement actif des éléments perceptifs. C’est avec une
surabondance d’éléments sensoriels que la scène du drame se déroule à
nouveau. Comme dans l’œil du cyclone, le clinicien reconstruit une scène,
aveuglante, qui recouvre et permet de drainer les expressions négatives du
traumatisme. Cette scène serait issue d’un travail défensif antitraumatique
pour lutter contre un fort vécu d’ intrusion psychique. Autrement dit, la
fascination qui œuvre chez le clinicien opérerait comme une érotisation du
violent, érotisation du traumatique alors mis en figuration dans une
surenchère du sensoriel, face à la mort. La fascination serait là marquée par
une prime de satisfaction à pouvoir survivre au désespoir là où il y a eu
desêtre. L’aveuglement perceptif par et dans le plaisir serait un indicateur
pour le Moi de sa potentialité à faire entrer dans le narcissisme une
expérience intense d’ effroi. De la sorte, la fascination agirait comme un
contrepoids, une contremesure pour lutter contre la sidération. Dans ce
prolongement, nous pensons que la fascination se situe comme « un signal d’
investissement psychique », là où œuvre la pulsion de mort et où
s’agglutinent toutes les expériences les plus dénarcissisantes pour le sujet. Le
contenu de la scène ne semble pas tant investi que l’intensité de cet
investissement lui-même, dans une violence, pourrait-on dire, proportionnelle
à l’irreprésentable de la scène. Et c’est bien par là qu’il nous faut passer,
lorsque maintes fois répétées, les scènes d’horreur reviennent et assaillent les
soignants avec la menace de perdre pied.
Enfin, et en dernière analyse, j’évoquerai combien la disposition interne du
clinicien interroge le rapport que celui-ci entretient avec les contraintes
qu’exercent sur lui les règles du milieu carcéral. Comme tout personnel
travaillant en détention, il doit passer un certain nombre de portes avant de
regagner son lieu de consultation ; il doit décliner son identité à la porte
d’entrée ; enlever chaussures, bijoux, boucles de ceinture ou tout autre et
quelconque objet métallique avant de s’engager sous un portique identifiant
un poids de métal. Les fenêtres de son bureau sont aussi munies de barreaux
ou de grillages, selon des règles sécuritaires précises. Voir l’horizon n’est pas
toujours possible. Il y a les bruits, aussi. Ceux des clés, pléthoriques, qui
s’entrechoquent et que les surveillants portent à leur ceinture, le bruit des
sondages qui sont des vérifications quotidiennes de l’état des barreaux de
chaque cellule. Les mouvements des promenades. Les cris parfois. Les
sonneries d’alarme, plus rares. Le bruit des systèmes de surveillance
électronique des portes. Et puis il y a les heures des consultations qui doivent
suivre la rythmicité du système, comme les promenades, les parloirs, le
travail aux ateliers ou les heures des repas. La rencontre clinique est prise
dans ce système vertical aux murs droits érigés. Le clinicien, qu’il le veuille
ou non, subit cette contrainte. Or le travail clinique implique une certaine
malléabilité, de se prêter au jeu de la rencontre, c’est-à-dire de se rendre
utilisable. Cela suppose, et en particulier dans ces conjonctures cliniques, de
laisser aller ses sensations, de s’appuyer sur sa réceptivité, ce qui représente
un travail d’articulation entre les éprouvés corporels et la mise en pensée. Ce
travail est ce que l’on pourrait appeler l’organisation de la passivité. Il
s’appuie sur le féminin du clinicien dans ce que celui-ci convoque de son
intériorité et du travail d’intériorisation possible. L’ écoute clinique, la
résonance avec l’autre marquent cette disposition psychique et cette
disponibilité thérapeutique. Parfois les contraintes objectives et matérielles du
cadre pénitentiaire vont à l’encontre de cette souplesse interne. Le clinicien se
verra lutter contre le cadre, ce qui produira inévitablement des déplacements
sur le dispositif clinique. Il pourra se sentir manipulé par son patient, il
voudra comprendre la réalité des faits, à la manière d’un enquêteur, il voudra
agir à défaut de pouvoir penser, ou encore, il fétichisera la pensée comme un
objet totémique de puissance pour lutter de manière verticale contre l’état de
passivation insupportable que le cadre lui impose.

4. SITUATION CLINIQUE
4.1. LE CAS SONIA
Sonia a 17 ans lorsque je la rencontre dans le cadre d’un suivi
psychologique mis en place à sa demande au SMPR. Elle est incarcérée pour
avoir commis des actes criminels d’une grande cruauté alors qu’elle avait
15 ans : Sonia a participé à un viol en réunion en ayant au préalable séquestré
sa victime, une jeune fille d’un an sa cadette.
La jeune femme se présente en consultation selon son bon vouloir, quand
elle le souhaite, cherchant à contrôler les enjeux relationnels. Durant les
premières rencontres, elle me fait partager sa vie en cellule, voulant que
j’interfère auprès des surveillantes, m’agressant lorsqu’elle ne peut m’utiliser
à sa guise :
Sonia : Je viens vous voir parce que j’ai des problèmes avec mes
codétenues, je voudrais changer de cellule, je voudrais que vous en parliez à
une surveillante.
Psy : Vous voulez que je fasse quelque chose pour vous. Mais vous savez
bien que les soignants ne peuvent pas intervenir dans les mouvements de
cellule.
Sonia : Mais alors, à quoi vous servez ? ! Je viens vous voir parce que je
suis mal et vous me répondez que vous n’y pouvez rien ! C’est quoi alors un
psychologue ? !
Psy : C’est quelqu’un avec qui vous pouvez parler de ce que vous voulez,
qui est tenu par le secret professionnel, mais qui ne peut pas aller avec vous
en détention. Par contre, vous pouvez me parler de ce qui se passe dans votre
cellule.
Sonia : Elles sont infectes avec moi. Je ne les supporte plus… ( Sonia
suce alors son pouce.) Dehors elles n’en mèneraient pas large.
Psy : Ce sont des filles, des femmes, que vous auriez pu rencontrer
dehors ?
Sonia : Ce sont des filles qui ne pensent qu’à ça. Elles passent leur temps
à se maquiller, à se regarder dans la glace. Moi je ne porte pas de jupes, je ne
me maquille pas. Je préfère m’habiller en jogging et baskets Nike ou Reebok,
parce que ce sont les salopes qui veulent aguicher les hommes et chercher les
emmerdes qui portent des talons et des jupes.
Psy : Et dehors, vous ne portiez pas de jupes ?
Sonia : Non ! ( Sonia me jette alors à la figure tout un tas d’injures). Je
suis jeune et je n’ai jamais eu de relations sexuelles. Je réserve ma virginité à
l’homme qui deviendra mon mari. Je ne suis pas comme les autres filles de
mon quartier qui ont une vie sexuelle, ce sont des salopes.
Sonia suce toujours son pouce et va ensuite me parler de sa mère qui vient
régulièrement la voir aux parloirs. C’est, semble-t-il, la seule personne qui
trouve grâce à ses yeux.
Sonia : Ma mère me porte toujours des gâteaux pour l’Aïd. Dehors, je les
faisais avec elle. Je suis sa seule fille. Mon père n’est jamais la maison, je ne
sais pas ce qu’il fait. Il est toujours sur le canapé… Il boit.
Psy : Votre mère vous manque. Elle vous apporte des gâteaux que vous
auriez aimé faire avec elle… ( silence). Vous vous faites du souci pour elle.
Sonia : Avec mon père, c’est compliqué… (Sonia va alors « vomir » des
scènes de terreur non ressenties comme telles)… Il m’a menacée d’un
couteau en me courant derrière dans l’appartement, et une fois, il m’a
menacée d’un fusil de chasse, il a mis le fusil sur ma tempe en me disant que,
si je bougeais, il tirerait.
Psy : Vous deviez être terrorisée… en larmes…?
Sonia : Non ! Pas du tout ( rire). Je me suis blottie dans un coin de la
pièce et j’ai attendu qu’il se calme…
Psy : Mais est-ce qu’il y a eu des moments où vous pouviez discuter ou
passer un bon moment avec lui, aller au cinéma par exemple…?
Sonia : Une fois je lui ai demandé de l’argent pour aller au cinéma. Il était
très en colère, il est devenu rouge et m’a dit que si je voulais de l’argent, je
n’avais qu’à me prostituer.
Dans les entretiens qui ont suivi, Sonia revient sur son histoire adolescente
et sa sexualité.
Sonia : J’ai eu mes règles à 12 ans, je m’en souviens parce que c’est le
moment où mon père est revenu vivre à la maison.
Psy : C’est à cette époque que vous aviez envie de sortir, d’aller au
cinéma ?
Sonia : Oui, mais mon père ne voulait pas que je sorte. Il ne voulait pas
me voir traîner avec les autres filles dans le quartier. Pour lui, c’étaient des
salopes. Mais je m’en foutais. Je sortais et j’ai eu des petits copains (…).
Mais je ne suis pas une gouine, ni une salope, je suis une fille mais qui fait
comme les garçons, après l’amour, je me lave et je pars. Je ne veux pas
montrer que je suis attachée, c’est un truc de fille, ça.
Au fil du temps qui passe, après plus d’une année de rencontres où elle
tisse, file et tente de couper ce lien, Sonia va utiliser les consultations comme
des moments de « complicité féminine ». Elle me fait part des produits de
maquillage qu’elle a cantiné, me demande mon avis et ne convoque que très
rarement des épisodes de son enfance. Elle a « tout oublié » et clame toujours
son innocence.

4.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


Ce qui m’a interpellé chez Sonia était son allure protéiforme, se présentant
durant le temps des consultations soit comme un gros bébé suçant son pouce,
soit comme un caïd menaçant, roulant les mécaniques (une sorte de « vrai
mec », me disais-je), mais jamais comme une jeune fille, une jeune femme.
Gros bébé suçant son pouce, elle se présente dans ce temps de l’innocence
infantile exhibant non pas un plaisir érotique mais autosensuel. En tant que
caïd menaçant, elle s’attache à trouver une place, la plus active qui soit et la
plus phallique, face à moi, face à une femme. Sonia retrace souvent ses
relations conflictuelles avec ses codétenues, se comportant comme une enfant
tyrannique ou comme une rivale cruelle. Elle joue de ces mêmes exigences
dans le cadre thérapeutique, repartant à sa guise avant la fin de la
consultation, jouant avec mes capacités à supporter son agressivité. Sonia
aborde sa vie comme une succession d’instants, une ligne de fuite
perpétuelle. Elle ne parle jamais de son passage à l’acte.
La clinique de Sonia laisse une impression d’inachevé, en partie liée aux
conditions de la rencontre clinique dans ce temps particulier de sa détention
et de son adolescence. Mais cette forme inachevée de la rencontre laisse
entendre ce qu’A. Ciavaldini (2005) présente comme une construction
inachevée de l’ affect, ne permettant pas de discrimination ni de
reconnaissance des éprouvés présents chez le sujet et donc chez l’autre. Ce
qui se joue là dans l’espace thérapeutique avec une figure féminine excitante,
que Sonia désavoue et attaque activement, est évocateur des éléments qui
vont initier son passage à l’acte. L’ excitation et la fascination, ainsi que la
terreur sont suscitées par la rencontre avec un objet perceptif, identifié
comme l’élément externe désorganisateur et donc impropre (sale et
dégoûtant) pour le psychisme qui ne parvient pas à traiter ses données en
propre.
Sonia se décrit comme « une fille qui fait comme un garçon ». L’action est
ainsi choisie dans ce qu’elle permet d’éviter toute position réceptive féminine
dans le lien relationnel. Dans le discours de Sonia, la femme est sévèrement
attaquée et disqualifiée, dans la mesure où celle-ci est porteuse d’ excitations
impensables, malpropres et qui ne peuvent entrer au service du fantasme et
de la séduction. Le passage à l’acte est ainsi construit comme une scène de
châtiment, de rétorsion, face à un sexuel non libidinal vécu comme une
impureté, une salissure, avec la crainte d’en être contaminé. La femme
provoque fascination et terreur.
Sonia ne parvient pas à se situer dans un travail de « passivité » (A. Green,
1999) vis-à-vis de l’organisation pulsionnelle, toujours constituée par une
double dimension, à la fois passive et active. Le travail de la passivité est
celui qui organise la construction du corps libidinal, du corps qui s’est senti
touché, aimé et vécu dans les premières expressions de la rencontre. La
qualité de ce premier tissage permet au corps de s’éprouver dans une série
d’interactions signifiantes comportant des réponses adéquates de l’ objet. La
version passive est véhiculée par le jeu des sensations, des émotions qui sont
engendrées à partir des premières expériences de corps à corps. Là, le sujet se
sent, s’éprouve à partir d’une rencontre, d’une relation qui le transforme et
qui va construire le socle des contenus représentationnels. Le travail de
passivité pulsionnelle suppose donc une gestion acceptable de la tension
psychique qui peut être sentie et vécue dans une intimité en soi, pour soi, en
propre. Elle implique l’intériorisation du pôle relationnel dans la relation
identitaire. La dimension active, quant à elle, est plus à situer du côté de
l’acte, de l’action, de la maîtrise.
Le passage à l’acte de Sonia témoigne en ce sens de la manière dont elle ne
peut organiser à la fois la scène de séduction et la sexualité qui est vécue
comme une contrainte, un acte d’attentat. Elle « vomit » sa sexualité durant
les consultations. Sonia banalisera les faits commis, en me disant que cette
fille « l’avait bien cherché », qu’elle « portait une jupe » et qu’elle devait
accepter « sa punition ». À l’initiative de Sonia, la victime sera séquestrée,
humiliée, terrorisée et violée à plusieurs reprises, essentiellement des
fellations, ce qui lui fait dire : « On ne l’a pas violée. » Dans les
consultations qui vont suivre l’évocation du passage à l’acte, Sonia s’habille
à nouveau « en garçon » et déverse son animosité à l’encontre des femmes. Il
lui est de plus en plus difficile de me rencontrer, son jugement approchant.
Elle est condamnée à une peine de quinze ans d’emprisonnement. Sonia met
alors un terme à nos rencontres. Elle ne veut plus rencontrer de soignants.
Elle ne souhaite plus aborder son histoire, cette histoire.
La manière dont Sonia ne parvient pas à identifier sa place dans le passage
à l’acte n’est pas seulement liée à la crainte de son jugement. Il y va de son
vacillement identitaire, l’acte vectorisant des éléments diffractés de sa
dynamique interne. En ce sens, la scène externe est dépositaire d’éléments
psychiques qui ne peuvent ni se rencontrer ni se scénariser dans la dynamique
interne. Le groupe, en tant que « caisse de résonance » de son intimité
(R. Kaës, 1993), condense et rassemble différentes facettes du traitement
impossible des excitations. S’y déploient tous les excès dans ses implications
pulsionnelles sous formes active et passive réengageant le lien à l’autre :
– Dans sa version passive : c’est la position de passivation de la victime
qui doit se taire et se soumettre pour survivre. La victime est plongée dans la
terreur et le traumatisme, sans issue possible, utilisée comme objet de
décharge et d’ excitations. La torpeur de la victime n’est pas sans lien avec
les scènes de violence que Sonia subissait, sans aucune échappatoire, de la
part de son père. Scènes de terreur qu’elle vivait comme « décentrée » d’elle-
même ;
– Dans sa version active : c’est la position « maniaque » (F. Néau, 2005)
des hommes qui sont dans une excitation incontrôlable. Là aussi, Sonia
s’identifie à l’agresseur ; « On ne l’a pas violée » me dit-elle ; « on » dans
lequel elle se situe en position active masculine. Durant le déroulement des
faits, elle exercera d’ailleurs vis-à-vis de celle-ci une emprise d’autant plus
forte quand il s’agira de creuser encore plus l’écart qui pourrait la faire
basculer dans la position de « femme-victime ».
La situation de plaisir se rejoue à l’adolescence dans un contexte où le
sexuel et le réinvestissement des zones érogènes mobilisent en creux le
féminin et le travail de la passivité, c’est-à-dire l’organisation d’une intimité
liée au plaisir. Sonia refuse cette passivité qui semblerait entrer en résonance
avec des scènes d’incapacité et de blessures traumatiques que représentent les
scènes de terreur où elle est exposée à la violence de son père. Le
saisissement du sexuel à l’adolescence accentue les menaces de
désorganisation et de débordement vis-à-vis du travail de l’ excitation imposé
par les pulsions sexuelles. Les perceptions intérieures et leur identification en
termes d’expérience d’ excitation liée à l’autre vont soutenir la représentation
d’une scène de séduction qui renferme un noyau traumatique, c’est-à-dire une
scène de contrainte et de passivation pulsionnelle. C. Chabert (2003)
reparcourt les fantasmes de séduction en insistant sur le fait que la
construction de ces fantasmes repose sur la nécessité d’accepter que l’action
séductrice vienne de l’autre, et de cet autre engendrant un plaisir. Ceci
implique une reconnaissance de « l’effet de l’autre » lié à la position passive.
C’est cette reconnaissance du rôle passif dans la scène qui permet d’assurer le
passage à la représentation et aux fantasmes. Dans le cas de Sonia, la
construction d’une passivité tempérée est pour ainsi dire barrée. La figure
féminine est l’agent de la séduction, l’ auteur d’ excitations qui doit pour cela
être puni. La mise à mort de ce féminin fautif et coupable est ce que l’on
retrouve dans bien d’autres passages à l’acte sexuels violents, ce que je
propose de désigner sous le terme de « féminicide ». Régler son compte au
féminin serait une manière drastique à la fois d’exclure tout mouvement
introjectif (en évitant toute confrontation à la différence des sexes), de bannir
le plaisir parce qu’il est ressenti comme un courant effracteur et in fine de se
défendre contre un pulsionnel inqualifiable et monstrueux.
CHAPITRE 14
L’ENTRETIEN DANS
LA PROBLÉMATIQUE
ADDICTIVE
Anne Brun
1. ADDICTION ET PERSPECTIVE PSYCHOSOMATIQUE : LE
LIEN CORPS/PSYCHÉ
2. LA DYNAMIQUE TRANSFÉRO-CONTRE-
TRANSFÉRENTIELLE
3. DE LA DÉSAFFECTATION AU PARTAGE D’AFFECT
4. LES DIFFÉRENTS TYPES DE CADRES-DISPOSITIFS
D’ENTRETIEN
5. LES INTERVENTIONS DU CLINICIEN
6. SITUATION CLINIQUE

D ans la problématique addictive où le traitement des patients est réputé


difficile, les spécificités de la technique de l’entretien s’articulent autour de la
prise en compte par le clinicien d’un paradoxe au centre des conduites de
dépendance : l’addiction renvoie à un refus de la dépendance à autrui et au
relationnel. La conduite addictive correspond en effet à une défense contre la
dépendance affective et à une tentative d’échapper à la dépendance vis-à-vis
des objets. C’est la raison pour laquelle les entretiens cliniques, fondés sur le
lien intersubjectif, s’inscrivent d’emblée au cœur de cette problématique
relationnelle qui doit être soulignée par le clinicien.
Dans ce contexte, les points forts de l’entretien clinique correspondront à
l’observation des modalités d’articulation entre psyché et soma chez le
patient, à la prise en compte de la question de l’ affect, au repérage des
modalités addictives de la relation à l’ objet transférées sur le clinicien, qui
suppose une attention particulière aux vécus contre-transférentiels. Ces
entretiens cliniques s’inscriront dans une palette spécifique de dispositifs qui
détermineront les modalités d’ intervention du clinicien.

1. A DDICTION ET PERSPECTIVE
PSYCHOSOMATIQUE : LE LIEN CORPS
/PSYCHÉ
Les addictions touchent le lien entre psyché et soma et correspondent à une
tentative d’échapper à la douleur psychique, en la traitant comme une douleur
physique : il s’agit d’un traitement du corps qui suppose la transformation
d’un état de tension psychique en besoin somatique. On regroupe sous le
terme d’ addiction les formes classiques de la dépendance, comme l’alcool, la
drogue, le tabac mais aussi des formes par extension, sans drogue, souvent
nommées addictions comportementales, comme les troubles alimentaires
compulsifs (anorexie, boulimie), le jeu pathologique, l’ addiction au sport, la
sexualité addictive, et aussi l’ addiction au travail, aux achats compulsifs, à
certaines conduites à risque, voire aux tentatives de suicide. Cette extension
du concept d’ addiction ne va pas sans poser problème et B. Brusset (1998)
souligne l’intérêt de recentrer l’ addiction sur la toxicomanie, la boulimie,
l’anorexie et l’alcoolisme.
Les conduites addictives débutent souvent brutalement à l’adolescence. Le
rôle de la poussée sexuelle pubertaire est central dans le processus addictif,
mais l’adolescence apparaît comme le second acte d’une pièce qui s’est déjà
jouée dans l’enfance : ce second temps réorganise un temps plus archaïque,
qui renvoie à un dysfonctionnement dans les interrelations précoces remis en
jeu à l’adolescence. La puberté joue ainsi le rôle d’ après-coup traumatique,
avec la question de la sexualisation des liens à l’autre et des identifications
sexuelles. Comme l’écrit R. Cahn (1998), l’ adolescent addicté est confronté
à un trop-plein d’ excitations et son équilibre dépendra en grande partie de l’
objet externe et de sa distance avec lui : la déliaison prédomine dans les cas
où l’ objet se dérobe ou l’envahit. Dans la problématique addictive, le jeune
peut rejeter son corps sexué et refuser la génitalité, voire attaquer son corps
devenu étrangement inquiétant : M. Laufer et M.E. Laufer (1984) ont
notamment décrit le refus du pubertaire et son recours à la drogue comme
défense contre le lien incestuel à la mère. La drogue a alors une fonction
d’écran, de tiers protecteur, et les sensations qu’elle donne permettent à l’
adolescent de se sentir sans besoins, autrement dit de se défendre contre le
désir de fusion avec la mère.
Cet excès d’ excitation peut aussi se comprendre comme la présence en
creux dans le sujet d’un effondrement mélancolique. Face au danger
d’activation d’un noyau mélancolique, l’ agir addictif serait une manière de
projeter l’ objet interne mélancolique vers l’extérieur pour tenter de le traiter.
On constate par ailleurs des réversibilités entre addiction et somatisation, et
plusieurs somaticiens font l’hypothèse que le recours à une addiction peut
éviter, à court terme, des désorganisations psychosomatiques : une addiction
peut prendre la suite d’une pathologie somatique de l’enfance qui peut alors
disparaître ou, inversement, le sevrage d’une addiction peut s’accompagner à
long terme de pathologies organiques, sur le modèle du delirium tremens.
Ainsi, des maladies psychosomatiques comme l’asthme, l’eczéma, le
psoriasis, peuvent disparaître avec le début de l’ addiction à l’héroïne
(G. Pirlot, 2009). On gagnera aussi à observer les procédés autocalmants,
fréquents dans les conduites addictives (F. Duparc, 1997).
L’ensemble des auteurs s’accordent à mettre au centre de la problématique
addictive les relations précoces du bébé à son environnement. Dans une
perspective psychosomatique, le symptôme addictif serait à référer aux toutes
premières expériences d’ investissement du soi somatique par la mère.
M. Corcos (2005) a notamment développé l’idée d’une transmission « corps
à corps » et fait l’hypothèse que, dans les relations primaires à son
environnement du sujet futur addictif, la constitution du soi somatique serait
défectueuse du fait de la perturbation des interrelations corporelles mère
/enfant. Il y aurait une absence de cohésion ou d’intégration psychosomatique
et un clivage entre corps et psyché liés à un dysfonctionnement dans la
relation transcorporelle mère /enfant. Dans la problématique addictive, cette
« transmission corps à corps » peut prendre deux formes : celle d’une trop
grande distance, avec un investissement maternel (voire parental) en carence
ou, au contraire, celle d’une trop grande proximité, avec un investissement
maternel en excès. L’ investissement maternel en carence correspond à une
insuffisance ou à une discontinuité de l’ investissement du corps de l’ enfant,
par exemple dans des soins mécaniques, et ces expériences de non-vécu ou de
non-éprouvé corporel peuvent être à l’origine d’un clivage entre corps et
psyché. Le corps non lié à la psyché se dépersonnalise, perd son unité et son
sentiment de continuité. Donc plus tard, l’addicté a besoin de l’ excitation
produite par l’ objet addictif pour tenter de relibidinaliser le corps, pour
pouvoir figurer des zones corporelles non investies, voire pour se sentir
exister. L’ investissement maternel en excès est au contraire accompagné de
soins corporels intrusifs ou trop excitants et ces effractions corporelles
provoquent des angoisses archaïques d’ intrusion et de pénétration. Il est
aussi possible que des parents aient un excès de désir pour le corps de leur
enfant, avec un surinvestissement érotique : le sujet va alors désexualiser
activement son corps susceptible d’être désirable. Le traumatisme d’une
excitation prématurée peut favoriser une régression du corps libidinal au
corps biologique et les sensations pulsionnelles de l’adolescence vont être
remplacées par celles données par l’ objet addictif, utilisé comme pare-
excitation de la dimension incestueuse.
Plus tard, par le recours à l’ addiction, le sujet se protègera donc du lien à
l’autre qui apparaît soit comme anéantissement, soit comme envahissement.
La conduite addictive se présente ainsi comme une solution face aux deux
dangers précédemment évoqués, le danger d’absence de l’ objet ou le danger
de sa présence trop excitante. Dans cette perspective, la problématique
addictive n’est pas la plupart du temps liée à un facteur traumatique central,
mais plutôt à une succession de microtraumatismes qui renvoient à des
perturbations des échanges sensoriels qui empêchent l’ enfant de ressentir des
éprouvés internes de rassemblement. Ces diverses modalités de lien dans les
interactions précoces peuvent faire l’ objet, à partir des données de l’entre
tien clinique, d’hypothèses qui permettront d’adapter les modalités d’
intervention du clinicien.
La clinique des sujets addictifs apparaît donc comme le traitement d’une
pathologie du lien et non du conflit, évacué car lié à l’ objet.
2. LA DYNAMIQUE TRANSFÉRO -CONTRE-
TRANSFÉRENTIELLE
Dans le cadre thérapeutique (comme dans les relations courantes), la
relation avec ces patients relève souvent de la dimension narcissique : ils sont
très dépendants de l’autre, qui est essentiellement investi comme un
pourvoyeur de leurs besoins. Les premiers contacts relèvent souvent d’une
sorte d’« emballement relationnel », avec une grande proximité, qui peut
prendre la forme d’une verbalisation logorrhéique avec beaucoup de
« confidences ». Cet investissement massif peut être suivi d’un
désinvestissement très rapide, voire d’un rejet. Il arrive aussi que ces patients
donnent l’impression d’avoir oublié le contenu des entretiens précédents.
Le plus souvent, ils semblent à la recherche d’un contact dans l’urgence,
plutôt que d’un lien avec un autre reconnu en tant que tel. Ils peuvent par
exemple se « déverser » dans le cadre institutionnel auprès d’un grand
nombre d’interlocuteurs, sans poursuivre le lien avec chacun ensuite, ni
différencier le cadre de l’entretien clinique. L’autre ne semble pas reconnu
dans sa différence, comme lui-même enfant n’a pas pu être investi en
fonction de ses propres besoins et désirs, mais comme un prolongement
narcissique d’un ou des parents par exemple, selon un cas de figure fréquent.
En miroir, le sujet addictif ne reconnaît pas l’autre avec des besoins et des
désirs propres.
Au fil des entretiens, l’ addiction apparaît comme une négation de cette
dépendance affective, perçue comme une menace pour l’ identité même du
sujet, ou comme une sorte d’aliénation aux objets d’ attachement, mais elle
introduit paradoxalement une autre dépendance. Tout se passe toutefois
comme si l’addicté pouvait mieux maîtriser la dépendance à l’ objet d’
addiction que la dépendance à l’autre. Le sujet addictif va donc essayer de
remplacer les liens affectifs relationnels vécus comme menaçants par des
liens de maîtrise et d’ emprise, d’où sa recherche d’ objets substitutifs qu’il
pense maîtriser, comme la nourriture dans la boulimie ou la drogue dans la
toxicomanie. L’ objet d’ addiction se présente donc comme un néo-objet de
substitution sous emprise.
Dans un tel contexte, souvent la dépendance addictive ne peut être
abandonnée que pour une forme de dépendance affective trouvée dans le lien
au thérapeute ou, de façon concomitante, retrouvée dans le lien aux objets.
Le contre-transfert avec des patients addictifs est souvent caractérisé par
des affects négatifs : le thérapeute se sent lui-même désaffecté, incapable
d’analyser ses affects et d’en souffrir. Il peut ressentir de l’ennui, de
l’irritation, de la lassitude, du découragement et de la déception. Tous les
affects extrêmes que le patient porte en lui, comme la détresse, le désespoir,
le sentiment de vide ou de mort psychique, vont se retrouver chez le
thérapeute. Celui-ci pourra se sentir paralysé dans sa fonction de penser et
d’associer. Souvent, le patient ne tient pas un discours véritablement
associatif, mais un discours plat, collé à la réalité, avec beaucoup de
banalités, proche de la pensée opératoire. Il s’agit finalement pour ces
patients bien moins de communiquer des pensées ou des affects, que de faire
éprouver au thérapeute ce qu’ils n’ont pas encore pu éprouver ou ressentir, ce
qui n’a pas encore de nom. Le sujet vient faire vivre au clinicien ce qu’il n’a
pas pu vivre de son histoire, selon un transfert par retournement décrit par
R. Roussillon (1999). Le patient addictif demande en quelque sorte au
thérapeute d’être le miroir de ce qui n’a pas été senti, vu ou entendu de soi,
ou du mal senti, mal vu ou mal entendu de soi.
Au centre du transfert, comme nous l’avons vu, la défense contre la
dépendance affective, perçue comme une menace pour l’ identité, les incite à
soumettre le thérapeute dont ils sont dépendants, en miroir, à une dépendance
semblable à leur égard. C’est une défense identitaire de sauvegarde du Moi
car la dépendance à l’autre est vécue comme insupportable (Ph. Jeammet,
2000). Ainsi s’expliquent par exemple la prolifération des rendez-vous
manqués, des retards, le fait qu’ils viennent quand on ne les attend pas ou
insistent sur leur mal-être et l’inutilité de la thérapie, autant de formes de la
réaction thérapeutique négative décrite par Freud (1912). Le thérapeute est
mis dans l’impuissance. En même temps, il existe souvent une relation de
cramponnement au thérapeute, une tendance addictive vis-à-vis de la
thérapie : il s’agit de maintenir le contact par un lien fondu à l’autre, la
séparation est vécue comme une mort psychique. Fréquentes sont les attaques
du cadre, les ruptures du suivi, voire le clivage entre le suivi qui se poursuit et
la conduite addictive qui reste inchangée ou aggravée. Cette défense se
rencontre souvent dans le soin aux patients alcooliques et s’explique par un
clivage, décrit par A. de Mijolla et S.A. Shentoub (1973), entre la partie
alcoolique du Moi et la partie non alcoolique.
On peut regrouper ces difficultés autour d’une sorte de phobie du
transfert : c’est une phobie du contact affectif, qui suppose l’émotion et un
travail d’introjection, justement ce que ces patients ne supportent pas. Le
sujet addictif va donc tenter de neutraliser le transfert en le mettant sous
emprise (attaques du cadre, disqualifications…).
Le patient oscille ainsi entre deux difficultés majeures que le clinicien doit
impérativement prendre en compte : le risque de dépression, si l’ objet investi
s’absente ou s’éloigne, et le risque d’être débordé par des affects excitants,
s’il rencontre l’ objet qu’il peut vivre comme potentiellement incestueux ou
aliénant.

3. DE LA DÉSAFFECTATION AU PARTAGE D’
AFFECT
La dynamique de l’entretien dans la problématique addictive apparaît
marquée par le traitement de l’ affect : du côté des patients, la question de la
désaffectation (J. Mac Dougall, 1989) est centrale et, du côté du clinicien, la
prise en compte de l’ alexithymie des sujets addictifs impose des modalités d’
intervention particulières. J. Mac Dougall (1996) a avancé qu’un des buts du
comportement addictif serait justement de se débarrasser de ses affects, de
sentiments qui font souffrir comme l’ angoisse, la colère, la culpabilité, la
tristesse, mais aussi de sentiments apparemment agréables ou excitants, qui
peuvent néanmoins être vécus inconsciemment comme dangereux, trop
débordants ou défendus. La solution addictive s’impose pour les patients face
à toute expérience émotionnelle de souffrance psychique, mais aussi
d’expérience pouvant entraîner un débordement émotionnel, du côté de
l’euphorie par exemple. La désaffectation désigne non pas une incapacité à
ressentir, mais plutôt une impossibilité radicale à contenir un excès
d’expérience affective. Ainsi, la désaffectation est un système de défense
inconscient par rapport à des vécus traumatiques : les sujets addictifs auraient
précocement fait l’expérience d’émotions intenses, très violentes, qui
menaçaient leur sentiment d’intégrité ou d’ identité, et auraient alors érigé
une sorte de rempart contre les émotions, comme une cuirasse, un blindage,
une carapace, pour se protéger du retour de vécus traumatiques, synonymes
d’ anéantissement. Il s’agit d’ affect étranglé, étouffé, aplati, gelé, détruit et
même forclos.
Comment définir la nature de ces vécus d’ordre traumatique ? Cela peut
être des vécus d’implosion, de morcellement, d’ intrusion, des angoisses
archaïques de liquéfaction, de vidage, des terreurs très primitives qui
concernent l’identité et les limites corporelles. Ce processus de défense
contre le retour d’ angoisses de néantisation irreprésentables, indicibles,
évoque en définitive ce que D.W. Winnicott (1972) désigne comme des
agonies primitives, c’est-à-dire des expériences de mort psychique, d’
anéantissement de la subjectivité, expériences telles que, pour survivre, le
sujet se retire de l’expérience traumatique primaire et se coupe d’une partie
de sa subjectivité pour ne pas l’éprouver. Cette destruction de l’ affect
s’associe donc à un sentiment de perte d’ identité : c’est ce qu’on entend dans
la clinique sous la forme de « je me sens vide ». Ces patients expriment
souvent une sensation de vide immense accompagnée d’un sentiment de mort
intérieure. Si cette expérience traumatique primaire laisse des traces
perceptives, elle n’est toutefois pas représentée ni appropriée : c’est pourquoi
l’ affect reste en deçà de la représentation, à un niveau quantitatif comme une
charge pulsionnelle débordante. La pulsion cherche une décharge sans
représentation, une quantité énorme d’ excitation non liée à des images ou
des représentations, incontrôlable, sinon par l’ addiction. « La pulsion est
devenue force », comme le souligne A. Green.
Ainsi la défense par désaffectation s’avère à double tranchant : le sujet
bénéficie d’un écran protecteur, d’un plâtrage contre une éventuelle
implosion qui serait provoquée par des affects débordants, mais il se coupe
du même coup d’une grande partie de sa réalité interne d’où le danger du
sevrage ; si on enlève la fonction anesthésiante du produit, des angoisses
massives peuvent survenir, qui peuvent mettre en danger le sujet.
Quelle est l’origine de cette éjection de l’ affect ? Il s’agit d’une
défaillance dans l’ accordage affectif primordial. La problématique clinique
de la dépendance s’articule à la dépendance primitive et à la relation
homosexuelle primaire en double, soit au fond de relation première entre la
mère ou son substitut et le bébé, qui reste active toute la vie. Le partage de
plaisir entre l’ enfant et la mère ou son substitut est nécessaire pour que l’
affect de plaisir puisse être éprouvé comme tel, c’est-à-dire qu’il se compose,
qu’il construise des représentants psychiques. Quand cette fonction de
régulateur affectif de l’ objet premier est insuffisante ou désorganisée, l’
affect non réfléchi prend un caractère passionnel et potentiellement menaçant.
Il faut alors le réprimer ou le maîtriser. C’est précisément l’ addiction qui
tente de contrôler le caractère passionnel de l’ affect, elle le maîtrise dans le
déplacement sur l’ objet ou sur le comportement addictif. Autrement dit, cette
forme passionnelle de l’ affect se caractérise par le fait de ne pas être
réfléchie, ni partagée. Les dépendances pathologiques seraient donc liées aux
formes de plaisir sans satisfaction, sans partage.
Pour cette raison, le clinicien est attentif à mobiliser différentes modalités
de partage d’affect avec le patient, afin de permettre à celui-ci d’accéder en
miroir à une composition possible de l’ affect, à la possibilité d’exprimer ses
émotions sans en être submergé.
Ces caractéristiques de la clinique des patients addictifs ont des
conséquences concrètes sur les approches thérapeutiques et la construction
des dispositifs de prise en charge.

4. LES DIFFÉRENTS TYPES DE CADRES -


DISPOSITIFS D’ENTRETIEN
Il s’agit d’abord d’offrir au sujet addictif des investissements suffisamment
différenciés pour qu’il ne se sente pas menacé par une relation transférentielle
trop massive avec le seul clinicien. C’est la raison pour laquelle il convient
d’utiliser avec prudence la relation duelle et de solliciter, dans la mesure du
possible, le support d’une fonction tierce. Dans un cadre institutionnel
(sevrage, postcure, etc.), il est possible d’aménager une relation avec un
référent institutionnel, ou une insertion dans des groupes, conjointement aux
entretiens cliniques avec un psychologue. Il convient en effet de ne pas
oublier que si le transfert est trop massif, le recours à la conduite addictive
devient la seule protection possible à ce transfert vécu comme menaçant pour
le patient.
Dans ce contexte, l’intérêt des thérapies bi- ou multifocales est
incontestable : psychodrame, thérapie familiale, support institutionnel,
groupes à médiation… C’est le moyen de poser des différences dans la
réalité, et de diversifier les investissements du patient pour les rendre plus
tolérables. Il convient de susciter des différences pour éviter d’entrer dans
une relation totalitaire : les médiations thérapeutiques sont utiles pour créer
un lien sans avoir cependant à le reconnaître.
Le clinicien privilégie dans ces diverses modalités de psychothérapie un
travail de restauration des contenants avant toute interprétation de contenus :
il s’agit de restaurer l’activité de représentation et le plaisir de penser, le
plaisir à éprouver et à nommer ses affects, avant l’ interprétation des conflits.
S’impose donc d’abord un temps de restauration des assises narcissiques et
d’aménagement de l’espace et de la distance aux objets.

5. LES INTERVENTIONS DU CLINICIEN


Le travail d’ interprétation du clinicien porte bien moins sur une analyse
classique des contenus inconscients que sur une approche des altérations du
contenant. Autrement dit, ses interventions ne s’articuleront pas autour de la
mise au jour d’éléments psychiques individuels refoulés, mais se centreront
davantage sur la dynamique des processus qui visent à restaurer les
défaillances des enveloppes psychiques individuelles et groupales. Tout se
passe comme si un travail sur les contenus de l’ inconscient ne pouvait
s’engager qu’à partir du processus de restauration des contenants. Tel
pourrait être le sens d’une activité d’écriture proposée aux patients
alcooliques, pendant et après l’ hospitalisation, transition préalable à un
travail psychothérapique souvent difficile à aborder immédiatement après le
sevrage. Il s’agirait de remplacer la fonction de liaison de l’alcool par celle du
travail groupal d’écriture et de reconstituer ainsi les défaillances des
enveloppes psychiques, en incitant à la symbolisation de vécus corporels
archaïques, infigurables jusqu’alors.

6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS FRANÇOIS
Nous avons choisi un entretien avec un adolescent toxicomane, mais il
convient de ne pas oublier que chaque entretien clinique présente des
spécificités propres selon les formes de l’ addiction (alcoolisme, toxicomanie,
troubles alimentaires compulsifs…), l’histoire du sujet et le type de dispositif.
François, âgé de 20 ans, a accepté de s’engager dans une hospitalisation
pour sevrage, suite à un entretien familial initié par ses parents avec un
psychiatre responsable d’un service hospitalier spécialisé dans la prise en
charge des addictions. Après trois jours de sevrage dans ce cadre hospitalier,
François rencontre pour la première fois la psychologue du service. Il lui dit
qu’il préfère qu’elle lui pose des questions ; il parle d’un ton atone, peu
expressif et donne l’impression à la psychologue d’avoir affaire à un
somnambule. Il est d’abord question de la difficulté de la cure de sevrage.
François : C’est très dur… Une très grande solitude psychologique. Le
plus difficile, c’est le psychologique. Le sevrage, c’est comme si on enlevait
à un bébé son biberon ou à un chien sa pâtée et qu’il continue à aboyer… La
nuit dernière, je ne pouvais pas dormir, je l’ai dit à une infirmière, elle n’a
rien fait ! J’aurais voulu un somnifère et elle a refusé !
Il évoque alors ses prises d’héroïne et parfois de cocaïne .
François : J’en avais besoin pour être normal, sinon je ne bougeais pas…
Psy : Comme si vous n’étiez pas complet sans la drogue.
François : Pas complet, c’est ça oui. Il y avait deux cas : j’en prenais pour
être normal, pour pouvoir bouger, sinon c’était insupportable, et si j’en
prenais davantage, je piquais du nez, je n’étais plus dans la pièce… Je ne suis
pas en état d’apesanteur, non, mais je flotte… Je ne pense plus à rien… Avec
l’héroïne, on plane, c’est comme si on était sur un nuage. J’en ai besoin pour
ne plus souffrir, ne plus penser, me sentir fort, faire face aux autres. Au
début, ça fait du bien, et après plus rien, on n’a même pas de plaisir et c’est
pas bien… Quand j’en ai pris, le lendemain je me dégoûte quoi, je suis pas
bien, « tu t’es encore drogué hier soir », après on est en manque, on essaie de
ne plus y penser mais on peut pas s’empêcher… La drogue, c’est comme si
j’avais été malade.
Psy : Malade ?
François : Une faiblesse dans le corps, c’est comme si on avait mal à la
tête, on prend de l’aspirine, là c’est pareil, ça va pas et c’est automatique, on
finit par prendre de la drogue.
Psy : La drogue alors, pour vous, c’est un médicament ?
François : Oui.
Psy : Pour une maladie du corps et pas de la tête ?
François : Si, c’est lié, quand on est faible, on ne peut plus bien penser.
La cocaïne, j’en prends quand y’a un blanc…
Quand François évoque sa famille, composée de trois enfants, il commence
par ces mots : « Je suis l’aîné et l’exemple à ne pas suivre, enfin non, je suis
le deuxième, mais enfin… c’est comme si j’étais le premier… ma sœur avant
moi est morte, on n’en avait jamais parlé, je l’ai su avec le livret de famille
par hasard, elle a dû mourir entre un et deux ans de maladie, ma mère était
enceinte de moi… Je n’en parle pas à ma mère pour ne pas lui rappeler… Ma
mère m’aime beaucoup, normal, je suis le premier ».
Le jeune homme décrit alors une enfance sans problèmes, avec une mère
qui l’a « dorloté » ; François souffrant d’eczéma, celle-ci lui a longtemps fait
des soins pour sa peau. Depuis ses premières prises d’héroïne, il n’a plus
d’eczéma. Sa mère a toujours été très proche de lui, mais quand il a
commencé à être adolescent, il détestait qu’elle le « colle » et lui demande
toujours des « câlins ». Il évoque un très mauvais souvenir, à 7 ans, quand sa
mère est restée trois mois à l’hôpital, il ne sait plus pourquoi ; il était, avec
son frère et sa sœur, placé chez son oncle et sa tante et il pleurait tous les
jours. Il se décrit comme un « enfant modèle » qui était sage, réservé, timide,
qui avait « de bons rapports avec tout le monde » et ne se disputait avec
personne.
Sa mère ne travaille pas, elle a élevé ses enfants et son père dirige une
petite entreprise, il est très pris par son travail et peu souvent à la maison :
« Ça a toujours été avec lui “bonjour, bonsoir”, parfois une petite engueulade
très rapide et je m’en allais… ». François avait alors besoin de la drogue pour
oublier ces « engueulades ». Il a essayé deux fois de partir de chez ses
parents, mais il s’est encore plus drogué… Il a déçu son père qui attendait
beaucoup de lui, surtout au niveau des études. Sans la drogue, il aurait pu,
dit-il, « devenir un autre », il en avait les possibilités. Il a beaucoup manqué
l’école et a finalement abandonné ses études à 17 ans avant de passer le bac.
Il souhaiterait créer une entreprise, comme son père, il a des projets mais il ne
fait rien, il se dit qu’il a le temps, qu’il est jeune, il rêve à ce qu’il veut faire
après, c’est comme si c’était plus important, mais il n’en a plus envie… Son
père ne lui a pas souvent parlé de la drogue et, quand il le faisait, il lui disait
d’arrêter, que ça n’irait plus s’il allait plus loin… Son père a préféré lui
donner de l’argent, « sans rien dire », plutôt que son fils cherche à se procurer
de la drogue par n’importe quel moyen, en volant par exemple…
La psychologue se sent captée par le regard de François, qui ne la quitte
pas des yeux. Elle a l’impression que le patient est si collé à elle qu’elle
n’arrive plus à penser.
François poursuit en disant qu’il a eu une amie, toxicomane elle aussi.
« On était plus ensemble pour pas être seuls chacun dans notre coin… Il y
avait la came qui nous rapprochait. On était plus copains qu’amoureux. On a
eu des relations sexuelles, mais après ça ne devient pas important, c’est plat,
avec la drogue, on ne s’y intéresse plus, c’est secondaire ». Maintenant il n’a
plus que ses copains de drogue, rencontrés dans des bars, « mais ce ne sont
pas des amis ». Il se sent vide : « Un camé n’est plus rien. On n’existe plus.
Ça m’a tué ». Il évoque son espoir d’en finir avec la drogue, mais il sait que
ça va être dur. Sa mère lui a promis de partir une dizaine de jours en vacances
avec lui, après son hospitalisation, pour l’aider à s’en sortir. Son père
s’occupera de son frère et de sa sœur pendant ce temps.
La psychologue éprouve de la difficulté à clore l’entretien car elle se sent
envahie par un flot de paroles qu’elle ne parvient pas à interrompre. Bien que
le patient n’ait pas arrêté de lui parler, elle n’éprouve pas le sentiment
d’exister comme interlocuteur différencié. Quand elle propose à François, à la
fin de l’entretien, un autre rendez-vous deux jours plus tard, au décours de
son hospitalisation, et éventuellement la possibilité d’un suivi individuel
postérieur à l’ hospitalisation (un suivi familial est par ailleurs prévu avec le
psychiatre), François lui répond : « Oui, comme vous voulez », et continue le
fil de son discours.
Après son départ, la psychologue, quoique très intéressée par ce patient, ne
se sent pas vraiment affectée par cette rencontre, elle éprouve un sentiment de
vide, de lassitude et un découragement par rapport au projet de soin.

6.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


À partir de cet entretien, nous dégagerons une méthodologie d’analyse de
l’entretien dans la problématique addictive selon six axes principaux : les
modalités d’articulation entre la psyché et le soma, la dynamique du
fonctionnement psychique du patient, la dynamique transféro -contre-
transférentielle, la spécificité de la relation d’ objet, les fonctions du
comportement addictif et les perspectives thérapeutiques.
– Articulation psyché/soma dans la toxicomanie de François
Le comportement addictif de François, qui recherche une sorte
d’anesthésie dans la prise de drogue (« ne plus souffrir »), apparaît comme
une autothérapie. Il s’agit d’un traitement de son corps comme s’il était une
machine, avec une tentative de suppression toxique de la douleur (S. Le
Poulichet, 1987) et un déplacement de la douleur psychique sur la douleur
physique (le manque, maladie « du corps, pas de la tête ») : François a besoin
d’une prothèse chimique pour se sentir normal, pour que son organisme
fonctionne normalement. Tout se passe comme si le corps était à refaire, à
recréer chaque jour. On relève l’importance de l’ investissement du registre
sensori-moteur (répétition de « bouger »). D’autre part, pendant les prises
d’héroïne, le niveau de la représentation est dissous dans la sensation : le
blanc représentatif prédomine.
Les prises de cocaïne, « quand y’a un blanc », servent à la fois à lutter
contre des angoisses de vide et d’absence de pensée, et à retrouver la
possibilité de penser. Quant à l’héroïne, elle le renvoie visiblement à la
nostalgie d’un temps archaïque, fœtal (« je flotte »). Les paroles du jeune
homme évoquent une régression à l’espace des premières relations objectales,
avec un effacement des distinctions entre interne et externe et une illusion
d’indifférenciation dehors/dedans (« on n’est plus dans la pièce », « on est sur
un nuage »…). Il décrit un processus de désincarnation (« on plane »,
« nuage ») et de désidentification.
Chez François, la prise de drogue a une répercussion importante sur son
fonctionnement somatique : on constate une réversibilité entre addiction et
somatisation, une contiguïté entre une pathologie organique de l’enfance
(eczéma et peau à peau avec la mère) et la prise de drogue (fin de la
somatisation avec l’ addiction).
Par ailleurs, les images du bébé et du biberon, du chien et de sa pâtée, dans
le registre de la satisfaction orale et, plus précisément, avec la satisfaction du
besoin alimentaire, dans le registre de l’autoconservation, soulignent un
écrasement du désir dans un processus de rabattement sur le besoin. Cette
dynamique évoque les néobesoins définis par M. Fain et D. Braunschweig
Demay (1975), comme un court-circuitage de la formation d’hallucination de
désir par la mère qui rabat l’ enfant sur la réalité de la satisfaction corporelle.
On peut faire l’hypothèse d’un recours au toxique comme tentative de se
débarrasser du sexuel, du désir, afin de revenir à une satisfaction directe du
besoin dans un processus caractéristique d’un désétayage ou d’un étayage
inversé (F. Gébérovich, 2003).
– Dynamique du fonctionnement psychique de François
Le jeune homme évoque ses actes plutôt que ses affects (par exemple se
droguer encore plus au moment des séparations d’avec sa famille, ou au
moment des disputes…) et le registre de la désaffectation apparaît
prédominant, en écho au vécu contre-transférentiel de la psychologue, qui
évoque aussi une sidération du registre de l’ affect. François semble vivre une
forme de perception hallucinatoire (il rêve à la réalisation de son désir comme
dans le rêve de créer une entreprise comme son père et, après sa rêverie, il
n’en a plus le désir…). Il présente d’ailleurs l’apparence d’un somnambule,
entre sommeil et veille, et son fonctionnement indique des modalités de
satisfaction hallucinatoire du désir.
Des angoisses archaïques de vide, d’annihilation, de néantisation du type
des agonies primitives apparaissent au premier plan et la prise de drogue
semble actualiser des angoisses archaïques (« Un camé n’est plus rien. On
n’existe plus. Ça m’a tué »).
François a été un enfant apparemment sans conflit, sans problème, un
enfant « image », davantage dans le registre de l’imitation que dans celui de
l’ identification. Devenu adolescent, il semble coupé de la vie pulsionnelle
avec une difficile expression de l’agressivité, une apparente soumission au
désir de l’autre, un « collage » à son entourage. François utilise beaucoup de
formulations impersonnelles dans son discours, le « je » est court-circuité par
le « on » : il parle au nom du « toxicomane », jamais en son propre nom.
– La spécificité de la relation d’objet
La relation d’objet est marquée par un tel lien de codépendance entre
François et sa mère qu’on peut avancer l’hypothèse d’une relation addictive
entre mère et bébé. François a sans doute colmaté un processus dépressif chez
la mère (deuil de l’ enfant précédent pendant sa grossesse). Un excès de
proximité entre la mère et l’ enfant apparaît aussi sous la forme d’une
intrusion physique et psychique à l’adolescence (demande de « câlins »,
« collage »…), dans une relation trop excitante, avec une dimension
incestuelle (le voyage prévu avec la mère, après le sevrage, comme une lune
de miel, qui transforme le sevrage en prétexte à un rapprochement de type
incestuel).
Quant au père, il semble souvent absent, complice de la relation incestuelle
mère/fils (il favorise ledit voyage), et il paraît pris dans la spirale de la
dépendance en donnant de l’argent sans rien dire. Par ailleurs, ses
interventions à propos du comportement addictif de son fils apparaissent très
modérées, ce qui peut renvoyer à un certain déni. Ce père semble aussi pris
dans un mouvement d’ idéalisation par rapport au fils, avec son corollaire, la
désillusion.
Dans ce contexte, le processus de séparation/individuation est impossible
(départs associés à des prises de drogue) à aborder chez le patient.
Sa relation de couple avec son amie est essentiellement définie par un
rapproché pour éviter les angoisses liées à la solitude et à la séparation. Cette
relation est médiatisée, puis peu à peu remplacée par le toxique : ce
« couple » est relié par la « came », le lien de dépendance est déplacé du lien
à l’autre à la dépendance à la drogue, à un objet inanimé, sans désir propre,
toujours à disposition. On peut rapprocher ce type de couple avec celui du
film Requiem for a dream de D. Aronofsky (2001). En définitive, les liens
affectifs relationnels sont remplacés par le lien à l’ objet d’ addiction.
– Dynamique transféro-contre-transférentielle
Ce premier entretien s’inscrit dans une dynamique de l’ordre de l’
agrippement par le regard et du besoin d’ étayage.
En écho au processus de désaffectation dans lequel le patient semble pris,
la psychologue ressent très peu d’ implication affective. Elle a l’impression
de ne pas exister : on peut avancer l’hypothèse d’une sorte de retournement
passif/actif dans lequel François fait vivre à la psychologue la façon dont il a
été investi dans son enfance, moins en fonction de ses propres besoins et
désirs que comme prolongement narcissique de ses parents. En miroir,
François ne pourrait pas reconnaître l’autre dans sa différence. Ce vécu
contre-transférentiel de non-existence pourrait aussi faire écho aux angoisses
de néantisation de François.
La psychologue se sent paralysée dans sa possibilité de penser et
d’associer, en écho à la difficulté de penser du patient qui, plus qu’il ne
communique à la clinicienne des pensées ou des affects, lui fait éprouver sa
propre paralysie psychique et sa détresse.
– Fonctions du comportement addictif
Le recours à la drogue semble vécu par François comme un pare-excitation
vis-à-vis de la dimension incestuelle avec sa mère et une modalité de lutte
contre la menace d’envahissement par le maternel : la drogue a ainsi une
fonction de tiers protecteur par rapport au lien incestuel, et renvoie aussi à un
fantasme de fusion avec la mère. Il s’agit aussi pour François de se protéger
de l’ angoisse de séparation ou de néantisation.
Il s’agirait d’un enfant investi comme un objet de complétude par sa mère
(et par son père ?) , pour obturer un processus de dépression et de deuil de la
sœur aînée pendant la grossesse de la mère de François. Cette hypothèse est
confortée par le fait que ce deuil ne soit pas parlé à François, qui le découvre
« par hasard », dit-il, par l’intermédiaire du livret de famille. Porteur du
fantôme de la sœur décédée, François devient une figure de l’idole du
maternel, qui projette une image idéale sur l’ enfant. Dans ce processus, l’
enfant ne trouve sa place que dans l’optique du maternel, comme objet
narcissique de sa mère. La thérapie sera alors centrée sur le deuil à faire par l’
adolescent d’un « Moi Idole » pour l’un et/ou l’autre des parents.
– Perspectives thérapeutiques
Un suivi individuel donnerait la possibilité de substituer à la dépendance
addictive une dépendance affective au thérapeute, mais la relation duelle
exclusive pourrait être vécue comme menaçante avec un risque d’
investissement et de désinvestissement rapide de la relation : la psychologue
éprouve d’ailleurs un vécu de découragement par avance. Il est donc
nécessaire de différencier dans la problématique addictive les prises en
charge.
Il serait pertinent de proposer deux types de suivi, comme une thérapie
familiale et une thérapie individuelle. Si le métacadre institutionnel le permet,
un travail thérapeutique dans le contexte de thérapies groupales à médiations
serait une excellente indication.
CHAPITRE 15
L’ENTRETIEN
AVEC LE SUJET
SUICIDANT
Joanne André
1. LE CADRE HOSPITALIER
2. LA SITUATION ET LES ENJEUX DE L’ENTRETIEN
CLINIQUE
3. SITUATION CLINIQUE

L e sujet dit « suicidant » est celui qui se réveille suite à son geste
suicidaire. Plus largement, le suicidant est celui qui s’est manifesté par un
acte auto-agressif à visée plus ou moins autolytique. Ma contribution
s’appuie sur ma pratique aux urgences d’un hôpital général à l’ écoute de
sujets au lendemain de leur geste suicidaire. Ce sont essentiellement des
femmes dont la tentative de suicide résulte d’une « ingestion médicamenteuse
volontaire » (IMV). Cette appellation prend la suite, dans la pratique des
urgences, de la « tentative de suicide d’appel », qui elle-même a relayé en son
temps la « TS hystérique ». Ces différentes appellations, et leur évolution,
montrent bien la difficulté de nommer un acte qui reste énigmatique malgré
les essais théoriques pour le circonscrire, et la problématique rencontrée dans
les services d’urgence face à des sujets qui ont mis « volontairement » leurs
jours en danger. Effectivement, l’idée véhiculée par ces appellations dans la
pratique des urgences est celle d’une moindre gravité de la tentative de
suicide. Elles rendent compte des résistances à penser un acte mystérieux, et
constituent un mode de défense face à l’insaisissable « désir de mourir » qui
serait sous-tendu par le geste suicidaire.
L’ingestion médicamenteuse volontaire, qui est le terme actuellement usité,
rend compte de l’acte lui-même et lui donne un caractère volontaire tout en
éludant l’idée de la mort comme étant sa finalité. Ceci résulte en partie sans
doute des études sur la question du suicide et de ses tentatives, qui mettent en
évidence l’aspect définitivement énigmatique de l’acte suicidaire. En fait,
seul le sujet peut en dire quelque chose, et bien souvent il évoque un « désir
de dormir », « d’avoir la paix » associé au sentiment « d’être à bout », « de
n’en plus pouvoir », bien plus qu’il n’énonce un « désir de mourir ». Si ces
énoncés, couramment entendus au réveil des patients suicidants, peuvent
rendre compte d’un certain déni, ou plus justement d’un rétablissement des
mécanismes de défense, leur répétition laisse supposer aussi qu’ils
contiennent une part de vérité.
Avant de développer plus longuement cette question, et de proposer des
voies de réflexion quant à ce qui sous-tendrait un geste suicidaire, il est
important de bien situer le contexte et les enjeux de l’entretien psychologique
avec le sujet suicidant aux urgences d’un hôpital général.

1. LE CADRE HOSPITALIER
1.1. LE PROTOCOLE
La conférence de consensus intitulée La Crise suicidaire : reconnaître et
prendre en charge, qui a eu lieu à Paris en 2000, a proposé la définition
suivante : « La crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur
est le suicide » (Conférence de consensus, 2001). Cette définition aux
sonorités tautologiques est à l’image de l’impasse vécue par le sujet en «
crise » ; sans issue, il tourne en rond, il répète inlassablement. Le suicide,
comme sa tentative, serait une issue à cet état de crise psychique, une issue
assurément risquée. Face à ce risque, « un avis spécialisé ou une
hospitalisation brève est recommandé en principe de référence » ( ibid.) afin
d’évaluer l’état psychique du sujet suicidant qui arrive aux urgences et de
définir une orientation 1. Ainsi, le sujet qui se présente aux urgences suite à
un geste suicidaire est, en règle générale, hospitalisé vingt-quatre heures et
bénéficie, dans ce temps, d’une évaluation de son état physique et psychique.
En fonction d’une première évaluation faite par les somaticiens, le patient
rencontrera un psychiatre ou un psychologue. Si certaines indications
nécessitent clairement une consultation psychiatrique (troubles du
comportement à type d’agitation, troubles psychiatriques graves ou encore
demande d’ hospitalisation sans consentement), nombreux sont les sujets
suicidants qui pourront être pris en charge par un psychologue. Le
psychologue clinicien pourra rencontrer, lors d’un entretien individuel, les
sujets ne présentant pas, a priori, de troubles psychiatriques et dont le geste
suicidaire paraît réactionnel à des événements de vie plus ou moins récents
(deuil, séparation, difficultés familiales ou liées au travail ou encore
problèmes sociaux). Ce bref descriptif de la situation montre essentiellement
la nécessité d’un travail pluridisciplinaire entre urgentiste, psychiatre et
psychologue, en amont et en aval de la rencontre entre le sujet suicidant et le
« psy ».
Dans les textes, la consultation psychologique a pour but un avis sur l’
orientation. Avis demandé par le médecin urgentiste référent du patient, et sur
lequel il s’appuiera pour prendre une décision médicale ; tout patient
hospitalisé est sous la responsabilité du corps médical, et toute décision est de
la responsabilité du médecin référent du patient et de sa prise en charge. Ceci
est important à souligner, car si la clarté des positions de chacun permet de
travailler ensemble, la confusion entre les positions des uns et des autres est
source de difficultés, voire d’impossibilité à ce même travail. Il est donc
essentiel pour le psychologue clinicien qui intervient dans un service
d’urgence d’affirmer et de tenir sa position dans toute sa spécificité. Afin de
mieux en rendre compte, je vais plus particulièrement décrire le service dans
lequel j’interviens et la forme de mes interventions. Si tout service d’urgence
a ses spécificités, chacun est confronté à une même réalité qui rythme en
grande partie les pratiques, celle de l’urgence, du temps éphémère, du
manque de temps qui pousse à agir, à faire plus qu’à penser et à laisser faire.

1.2. DANS LA PRATIQUE


Dans le cadre de mon travail de psychologue clinicienne en psychiatrie
adulte, j’interviens au service des urgences d’un hôpital général. Ce service
se divise en deux lieux, l’ accueil (dits « les boxes ») et l’ hospitalisation en
Unité de courte urgence (UHCD), qui diffèrent dans l’espace – quoique
adjacents, ils sont séparés –, et dans le temps. Dans le premier, les patients
sont accueillis, les actes médicaux d’urgence posés ; dans le second, le sujet
souffrant est mis en observation afin de penser l’ orientation la plus adaptée.
Dans le cas de sujets venus aux urgences suite à un geste suicidaire, l’
hospitalisation dans l’UHCD pour vingt-quatre heures minimum est la règle.
L’UHCD est une unité d’urgence où le temps donné fait partie du soin :
donner du temps à une situation, celle de l’urgence et de la crise qui, par
définition, n’en dispose pas.
L’UHCD propose un espace et un temps pour penser un ailleurs, une suite.
Le retour au domicile avec suivi ambulatoire et l’ hospitalisation en milieu
spécialisé sont les orientations les plus courantes. Les variantes peuvent être :
– le maintien de l’ hospitalisation en attente d’une place en milieu
spécialisé ;
– le retour au domicile en attendant une hospitalisation avec la possibilité
de proposer au patient des consultations dites en post-urgence.
Trois fois par semaine, en début de matinée, l’équipe médicale du service
d’ hospitalisation des urgences est susceptible de me demander d’intervenir
auprès de patients suicidants hospitalisés à l’UHCD depuis la veille ou plus,
en fonction de l’état physique du patient et de sa capacité à se mobiliser pour
un entretien. Celui-ci a lieu dans un bureau, « le bureau des psy », qui se situe
entre les deux espaces du service des urgences que j’évoquais précédemment.
Cette situation géographique amène psy et patient à participer à l’atmosphère
des urgences : du calme où apparemment rien ne se passe à une activité en
apparence désordonnée, du vide des couloirs aux brancards à déplacer pour
atteindre le bureau, de l’absence d’urgence à l’urgence. Cette traversée de
couloirs pour atteindre le bureau n’est pas sans incidence sur la rencontre qui
suit entre le patient et le psy. Cette rencontre a lieu dans un cadre particulier
pour le sujet qui se réveille après un geste suicidaire. Il est hospitalisé, il a
bénéficié des soins somatiques nécessaires et souvent sort de sa chambre pour
la première fois. La plupart des patients ont du mal à se repérer spatialement.
L’une des difficultés est de prendre en compte l’urgence sans être soi-même
dans l’urgence : donner du temps à la situation, remettre des mots dans le
temps et dans l’espace, ouvrir sur un ailleurs sans précipitation tant auprès de
l’équipe médicale que du sujet souffrant.
Les entretiens cliniques avec le psychologue clinicien ont pour objectif
l’énoncé d’un « avis psy » sur la suite à donner à la prise en charge. Cette
attente est celle de l’équipe soignante des urgences. De mon point de vue, et
au-delà de cet avis sur l’ orientation qui est nécessaire, il s’agit d’une
possibilité de rencontre avec un sujet qui a posé un acte plus qu’une parole,
acte qui le conduit, nous conduit, à cette rencontre. L’histoire récente du
passage à l’acte et l’histoire du sujet qui en est l’auteur sont celles que je
tente d’interroger, de mettre au travail avec et par le sujet. Ces rencontres
sont de qualités très incertaines, elles dépendent de facteurs multiples et
aléatoires, comme l’état d’urgence qui règne ou non dans le service, les
conditions d’ accueil du patient la veille, l’heure à laquelle je suis disponible
et, bien entendu, la résistance du patient à se mettre en mots. Au fil de mon
expérience, j’ai choisi de consulter les dossiers des patients avant l’entretien
car face à des sujets effondrés, ne se souvenant pas, ou déniant les causes de
leur hospitalisation, avoir connaissance de leur histoire médicale, qu’elle soit
longue ou non, me permet une première représentation de ce qui se joue.
Au-delà de ce premier entretien clinique, il n’y a pas de protocole. En
fonction des situations, je peux rencontrer dans le même cadre des proches ou
joindre des partenaires par téléphone. Je tisse, à partir de ce que le sujet
amène de sa vie, un début de trame pour une histoire qui se poursuivra
ailleurs.
À propos de l’ intervention des psy dans ce cadre, le terme parfois employé
de « réanimation psychique », après la « réanimation somatique », renvoie à
la restauration du refoulement. Effectivement, la prise en charge des patients
au cours de l’ hospitalisation tend à restaurer les liens intrapsychiques et à
rétablir les relations aux objets familiaux en s’appuyant sur le refoulement de
l’impulsion suicidaire. Pour autant, si la rencontre avec le sujet suicidant ne
s’inscrit pas dans un travail qui tendrait à la levée du refoulement, il est
important d’entendre ce que le patient lui-même ne peut ou refuse de
comprendre, refus qui pour partie lui permet cette « renaissance ». Cette
compréhension me permet de penser ma position et la nature de la prise en
charge qui peut être proposée à chaque sujet.
« Rien ne sert d’opposer l’urgence à traiter à la nécessité de prendre le
temps d’élaborer. Les deux positions thérapeutiques, loin d’être antagonistes,
demandent au contraire à être articulées organiquement. Arrêter l’hémorragie
symptomatologique pour amorcer le questionnement sur les formations
inconscientes sous-jacentes, devient le maître mot de l’ intervention clinique,
sinon l’apaisement obtenu reste illusoire et artificiel et risque de pousser
insensiblement le sujet vers une adaptation en faux self » (B. Chouvier,
2008).

2. LA SITUATION ET LES ENJEUX


DE L’ENTRETIEN CLINIQUE
Cette rencontre a lieu car l’un n’a plus voulu être, elle a lieu dans le temps
de l’urgence, et l’un de ses enjeux est d’inscrire le geste suicidaire dans
l’histoire du sujet. Pour cela il faut qu’une rencontre ait lieu, c’est-à-dire que
tout ne soit pas dit mais que des zones d’ombre, des zones d’inconnu soient
reconnues comme telles. Les premières rencontres aux urgences ne sont pas
des moments de vérité, de certitude ou encore de réponse. Et pourtant, le
psychologue se doit de répondre à la demande des urgentistes, il faut qu’il
émette un avis sur l’état clinique du sujet et sur la suite de sa prise en charge.
On peut ici évoquer une double écoute, ou double construction : d’une part de
ce qui ne peut se dire et qui nécessite de rester suffisamment silencieux, et
d’autre part de la réalité concrète du sujet, de sa vie et de ses difficultés
actuelles. Si l’avis sur l’ orientation est nécessaire, il ne peut constituer le seul
enjeu de l’entretien clinique sauf à participer à ce qui sous-tend le geste
suicidaire, n’en rien savoir et passer à autre chose. Ainsi au-delà de l’avis à
donner sur l’état clinique du sujet, l’enjeu est de construire un projet avec le
sujet suicidant. Un projet à court ou moyen terme, un projet qui tente d’ouvrir
sur le sens plus que de clore l’épisode suicidaire.

2.1. É COUTE DE L’INSAISISSABLE


Le geste suicidaire signe un moment d’incertitude, de doute dont le sujet
tente de s’extraire et dont il ne veut rien savoir. Les rationalisations au réveil
sont monnaie courante, elles sont parfois « inébranlables » et laissent
supposer la nature du doute qu’elles recouvrent, voire enterrent. Ces
rationalisations, s’il n’est pas question de les battre en brèche, ne sont pas
plus à renforcer ; elles appartiennent aux mécanismes de défense du sujet, à
leur reconstitution, alors que le geste suicidaire signe leur fragilisation. Elles
sont à entendre comme des mouvements de réassurance psychique.
La rencontre a lieu car l’un n’a plus voulu être. Cet élément est à prendre
en compte dans le déroulement de l’entretien : est-il présent ou nié, que peut
dire le sujet de son « désir de mourir » ?
Les mots au réveil suivant un geste suicidaire, « je n’en pouvais plus »,
« j’étais à bout », ne cherchent pas encore le sens, ils en expriment le
manque, l’absence. Manque et absence de mots pour dire le sentiment vécu,
dont la trace est parfois inaccessible au souvenir. Le sujet ne peut se
remémorer le moment du passage à l’acte, la pensée qui l’a accompagné :
bien au contraire, l’acte signe l’ impensable, l’insensé. Plus qu’à un « désir
de mourir », le geste suicidaire répond à la nécessité de « faire taire » quelque
chose de soi, en soi. Ainsi, si l’entretien clinique avec un sujet suicidant doit
inclure la question de l’acte suicidaire, il ne peut s’y cantonner. Pour qu’une
rencontre ait lieu, il faut que le clinicien se dégage de ce que le sujet a fait
pour entendre qui il est.
La présentation des sujets est très variable, elle va de l’ effondrement
dépressif, où tout est incertitude, à une rationalisation excessive qui ne laisse
place à aucun doute. Dans tous les cas, un effet d’ étrangeté, inhérent sans nul
doute à la situation de la rencontre, est présent. Si cet effet d’ étrangeté n’est
pas toujours saisissable, à être saisi à deux, il constitue une potentielle
ouverture psychique. L’effet d’ étrangeté résulte de l’émergence au sein du
Moi de ce qui devait rester caché ; à l’insu des mots peuvent surgir des liens
intrapsychiques. Les entretiens au lendemain d’un geste suicidaire sont des
moments propices à ce surgissement. Effectivement, le geste suicidaire signe
une déstabilisation des mécanismes de défense habituels du sujet, le maillage
s’est desserré, la construction vacille, elle laisse filtrer ce qu’elle renferme.
Mais ce qui se révèle là, le sujet n’est pas prêt à se l’approprier, tout juste
peut-il l’entendre, se le murmurer, ce n’est qu’une esquisse incertaine quant à
son devenir : retour au placard ou nouvel espace de création.
« Serait unheimlich tout ce qui devait rester un secret, rester dans le monde
du caché, et qui est venu au jour. L’inquiétant est dans ce cas aussi le chez-
soi d’autrefois, l’anciennement familier. Quant au préfixe “un” dans ce mot,
il est la marque du refoulement. […] l’ Unheimlich provient de l’ Heimisch
[de chez soi] refoulé », (Freud, 1919). Dans les cas de geste suicidaire, la
qualité de refoulé est à travailler singulièrement ; dans cette clinique, la
qualité de l’ Unheimlich est plus proche de l’expérience vécue, non éprouvée
dont parle D.W. Winnicott (1972), il relève davantage du surgissement du
clivé que du retour du refoulé. Le caractère commun reste l’expérience d’un
éprouvé inquiétant, effroyable, relative à la venue au jour, à la conscience, de
ce qui devait rester caché, tu, exclu du champ de la conscience. Au lendemain
d’un geste suicidaire, il peut en rester des traces plus ou moins repérables par
le clinicien et par le sujet. Seulement des traces quand le geste suicidaire n’a
pas « tout fait taire » de la scène intrapsychique qui s’est (re)jouée à l’insu du
sujet lui-même, et dans laquelle il n’a pu se (re)connaître. Des traces que l’on
peut entendre sous forme d’échos de la scène interne dont le sujet, par son
geste, a voulu s’extraire, à laquelle il a tenté de mettre fin.
L’ Unheimlich est à la fois connu et non su, intime et étranger, à l’intérieur
et en deçà des limites appréhendables. Il est ce qui devait rester inaccessible
et qui s’est frayé une voie jusqu’à la conscience, provoquant une intrusion
interne par un corps étranger d’être trop intime. Le geste suicidaire tente de
clore ce qui se déroule sur le théâtre interne par une cessation du penser,
« que ça s’arrête » en est l’ expression souvent entendue au réveil des sujets
suicidants. Comment le sujet pourrait-il se remémorer une scène dont
justement il s’est extrait pour n’en rien savoir ? L’enjeu de l’entretien
clinique au lendemain d’un geste suicidaire n’est pas la remémoration, pas
plus que l’oubli, il se situe entre les deux : laisser émerger, parfois juste
affleurer ce qui se découvre et qui peut constituer une ouverture psychique.
Ceci a pour corollaire que l’entretien prend fin sur un doute, non sur un
savoir, du côté du patient et du psychologue. Au-delà de l’évidence de
l’énoncé, la réalité de la clinique auprès de patients au lendemain d’un geste
suicidaire nous confronte à l’ angoisse face à l’incertitude. Quand celle-ci met
en jeu la vie elle-même, est-elle encore permise ?
La position clinique aux urgences est difficile à tenir, il est tentant de
répondre à la demande des urgentistes : celle d’une intervention de
« sachant » à la recherche d’un savoir transmissible et solide, objet quasi
concret. Le terme de « TS d’appel » remplit souvent ce rôle et constitue un
diagnostic qui inclut le traitement. Ce terme oblitère la question de la mort,
de la fin, pour se tourner exclusivement vers la suite. Plus que l’appel ou la
mort comme intention de l’acte suicidaire, on peut entendre la nécessité pour
le sujet de s’extraire de la scène qui se déroule sur le théâtre psychique et qui
déborde sa capacité de traitement ; le moi se retire pour survivre
psychiquement. De cette scène, le sujet ne veut rien savoir, et c’est d’un
savoir sur lui-même dont il tente de se couper. Un savoir qui le fait douter au-
delà de ses capacités psychiques de traitement, ce qui est souvent repris par
l’idée d’un vacillement du sentiment d’exister, du sentiment d’être.
La situation et l’enjeu de l’entretien clinique avec un sujet suicidant
s’opposent : la situation relève de l’urgence face à un sujet qui par son geste
signe son désir de ne rien savoir, tandis que l’enjeu est celui d’inscrire ce
même geste, et ce qui l’origine, dans l’histoire du sujet, et donc d’en savoir
quelque chose. Pour cela, il faut s’extraire de l’urgence, de la position active
qu’elle implique pour soutenir une position de passivité – se laisser atteindre
par ce qui se dévoile d’énigmatique –, du côté du sujet et du psychologue.

2.2. À PROPOS DE L’ ORIENTATION


En règle générale, la suite à proposer à la prise en charge du sujet suicidant
se construit avec lui au fil de l’entretien. L’enjeu peut être celui d’une
hospitalisation en milieu spécialisé, ou l’engagement du sujet dans un suivi
ambulatoire. Il arrive qu’aucune de ces deux possibilités ne soit envisageable
quand le rétablissement des mécanismes de défense ne permet plus au doute
de s’immiscer et que les rationalisations, « bouche-trous » de la
représentation, constituent de trop solides pansements sur une blessure dont
le sujet craint, plus que la répétition, l’hémorragie. Ce n’est qu’après-coup
que l’entretien clinique pourra parfois révéler ses effets, quand le sujet, après
quelque temps, reprend contact avec le clinicien. Il arrive également qu’une
seconde rencontre ait lieu à l’occasion d’une nouvelle hospitalisation, ce qui
là encore interroge les effets de la première rencontre. Il est ainsi des cas où
la question d’une orientation échoue dans l’immédiat, il faut parfois du temps
et de la répétition pour que l’idée d’un possible changement prenne forme.
Pour qu’un projet de soin se construise dans le cours de l’entretien
clinique, il faut qu’une rencontre ait lieu : il ne s’agit pas seulement de
donner une adresse, il faut que le sujet éprouve, même a minima, ce qui
pourrait s’y passer s’il s’y rendait. La difficulté n’est pas des moindres car,
dans le fond, un geste suicidaire qui signe l’émergence d’un savoir dont le
sujet ne veut rien avoir à connaître peut difficilement être l’origine d’une
demande d’un travail psychique dont on peut espérer un savoir sur soi-même.
Le sujet est plus prêt à oublier qu’à se remémorer. Il faut donc que la
rencontre trouve une autre cause que l’acte suicidaire, il lui faut trouver une
raison. Ce cheminement de l’acte vers l’histoire ancienne et actuelle permet
dans le cours de l’entretien de construire un projet de soin, quand le sujet
parvient à éprouver et à entendre quelque chose de sa propre histoire, de ce
qu’elle a de souffrant ou en souffrance. Quand l’espoir d’un changement est
présent, un projet peut être construit. La pratique montre que s’il n’est pas
aisé d’adresser le sujet suicidant vers un ailleurs – le geste suicidaire peut
difficilement être à l’origine d’une démarche psychothérapique –, il est
possible que s’engage avec le psychologue rencontré aux urgences un travail
de cette nature, quand le premier entretien a été l’occasion que se dessine une
demande liée non à l’acte mais à ce qui l’a sous-tendu.
Ainsi, il serait important de considérer l’entretien aux urgences avec le
sujet suicidant comme le moment premier d’un engagement
psychothérapique. Ceci conduirait à penser la « nécessité d’un avis
spécialisé », non seulement vis-à-vis de l’acte posé, mais surtout en lien avec
ce dont il est potentiellement porteur, car c’est dans le cadre d’une relation
transférentielle que cet espoir de changement peut prendre la forme d’un
mouvement d’ historisation qui passe par la reprise d’une histoire qui, pour
autant, ne fait pas encore histoire.

3. SITUATION CLINIQUE
3.1. LE CAS CÉCILE
Cécile a 45 ans, elle est hospitalisée depuis la veille au soir suite à une
« IMV plus alcool ». L’équipe soignante m’informe de son désir de partir. On
lui a demandé de m’attendre tandis que, pour l’équipe et d’un point de vue
somatique, elle est « sortante ». Elle leur a dit très peu de choses, elle paraît
fuyante et assure que tout va bien. Il s’agit d’une première hospitalisation
pour cette patiente, Cécile n’a pas de dossier médical antérieur. J’apprends
qu’elle est mariée, mère de trois enfants et que sa famille ne semble pas avoir
pris de nouvelles d’elle. Je vais à sa rencontre alors qu’elle est dans le
couloir, effectivement prête à partir. Son attitude évoque la fuite face au
danger qu’il y aurait à rester là, à être vue là par les siens. Ce qu’elle a fait,
son geste, semble avoir le caractère d’une transgression.
D’abord résistante à l’idée d’un entretien avec moi, Cécile l’accepte tout de
même, et se raconte ensuite quasiment sans intervention de ma part. Ses
propos ne sont teintés d’aucun affect, elle se raconte à distance, ce pourrait
être l’histoire d’une autre. Pourtant, à l’évocation de ce qu’elle ressent dans la
relation avec son mari, elle est atteinte par ses propres mots et par l’éprouvé
d’un sentiment qu’elle repère comme appartenant à son histoire. Ce moment
est assez furtif mais essentiel dans le cours de cet entretien et pour la suite de
la prise en charge de Cécile.
Psy (dans le couloir) : Bonjour Madame, je suis psychologue…
Cécile (l’air inquiet) : Je vais bien… je veux rentrer chez moi.
Psy : Vous pourrez partir, là n’est pas l’enjeu, il est simplement important
que vous me parliez de vous, de ce qui s’est passé pour vous…
Cécile (hésitante) : Oui… d’accord.
Nous nous dirigeons vers le bureau des psy et nous nous installons.
Psy : Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé pour vous ?
Cécile : Je ne comprends pas… je veux rentrer chez moi.
Psy : Votre famille vient vous chercher ?
Cécile : Non… je ne veux pas…
( Long silence durant lequel Cécile semble s’absenter, elle est tendue et
paraît soucieuse.)
Psy : Vous vivez avec votre mari et vos enfants ?
Cécile : Oui… ça fait un an qu’on a déménagé… Mon second fils a eu du
mal à s’adapter, une phobie scolaire, je m’en suis beaucoup occupée à la
maison, il a suivi sa scolarité par correspondance… Il va mieux, il est
retourné au lycée… Je ne connais personne dans la région…
Psy : Vous travaillez ?
Cécile : On vivait dans le Nord, mon mari a été muté… J’étais
institutrice… J’ai démissionné il y a trois ans…
( Silence).
Psy : Démissionné…
Cécile : En fait c’est là que ça a commencé… J’ai fait des crises de
panique, je me sentais plus à la hauteur… J’ai demandé ma démission de
l’Éducation nationale… J’étais directrice dans une école maternelle, dans un
petit village… Je connaissais tout le monde, j’étais très occupée… Tout allait
bien…
Psy : Des crises de panique ?
Cécile : …Quand j’ai découvert que mon mari me trompait, il a laissé
traîner un papier, une facture je crois… Je l’ai trouvée dans la voiture…
Après, j’ai demandé ma démission… Je ne me sentais plus à ma place… Puis
mon mari a été muté une première fois, il ne revenait que le week-end… À
cette époque, je me suis occupée de ma belle-sœur qui avait un cancer… Elle
est décédée…
Psy : Tout cela a dû être difficile et douloureux…
Cécile : Oui… Et maintenant, on est tous ici… Pour l’aîné ça a été
difficile mais moins que pour le second… Ma fille, elle s’est bien adaptée…
Elle est plus jeune… Avec mon mari, c’est difficile, notre relation n’est pas
satisfaisante… Je ne me sens pas reconnue pour ce que je fais… J’ai
l’impression qu’il me juge… Je me sens seule… Je ne comprends pas ce qui
s’est passé… Hier, je n’allais pas plus mal que les autres jours… C’est vrai
qu’on s’est disputé avec mon mari… Il disait que la porte n’était pas réparée,
je l’ai pris comme un reproche… En fait, je me sens insignifiante face à lui…
C’est insupportable… Ça me met hors de moi…
Psy : C’est un sentiment que vous avez déjà éprouvé ?
Cécile (surprise) : …Oui, déjà avant…
Psy : Avant…
(S ilence durant lequel Cécile est plus présente, elle lève le regard.)
Cécile : Le plus insupportable, c’est ce sentiment de n’être rien… Hier
soir, ils sont sortis, ils allaient à une soirée… J’ai préféré ne pas y aller… Je
suis restée à la maison… Ça allait… Je ne sais pas ce qui s’est passé, ça a été
comme un flash…
Psy : Un flash…
Cécile : Je lisais allongée dans une chaise longue dehors… J’étais bien…
Enfin je crois… Je me suis levée, j’ai pris une bouteille de champagne et tous
les cachets… Je n’ai pas l’habitude de boire… J’ai pris les cachets que j’avais
avant pour mes crises de panique… Je ne comprends pas… (Cécile me
regarde presque fixement.) Je crois qu’ils sont rentrés plus tôt que prévu…
Psy : Votre mari a appelé les pompiers ?
Cécile : Je crois… il y avait mes enfants aussi… Je ne me rappelle pas…
Je veux rentrer… Je ne veux pas qu’ils me voient ici… Je voudrais voir mes
enfants…
Psy : Seriez-vous d’accord pour revenir dans quelques jours ? Il est
important qu’on essaie de comprendre ce que vous appelez un flash… ce qui
s’est passé pour vous…
Cécile : Oui… dites-moi quand.
Nous fixons un rendez-vous trois jours après. Cécile y viendra et nous
continuerons nos entretiens quelque temps encore.

3.2. COMMENTAIRES ET ANALYSES


– La demande
L’une des particularités des entretiens cliniques avec les sujets suicidants
est la forme que prend la demande. Le sujet a posé un acte, celui-ci peut-il
constituer une demande ? C’est ce que laisse entendre le protocole et la
« nécessité d’une consultation spécialisée », mais à condition d’entendre
l’origine de la demande qui est celle de l’équipe soignante, même si elle
traduit une autre demande, celle du sujet qui, faute de pouvoir l’énoncer,
l’agit. Dans le cas de Cécile, la demande est clairement portée par l’équipe
soignante qui lui « demande de m’attendre ». Sans cela, Cécile serait
assurément partie avant que je n’arrive. Malgré son hésitation, Cécile accepte
notre entretien. L’un des éléments qui le lui permet est sans doute le caractère
rassurant de mes propos, « Vous pourrez partir, là n’est pas l’enjeu » ;
l’entretien n’a pas pour but de la retenir, c’est-à-dire de la sanctionner alors
qu’elle vit son geste comme une transgression, il s’agit de l’entendre et non
de lui dire. Dans ce cas, une demande se dessine dans le cours de l’entretien,
une raison à cette rencontre prend forme, la forme d’un sentiment
insupportable de « n’être rien ».
Dans la réalité, peu de sujets refusent l’entretien clinique qui leur est
proposé, mais cela arrive parfois. Par contre, les résistances à se mettre en
mots sont souvent un obstacle important au déroulement de l’entretien,
obstacle qui, pour être franchi au moins partiellement, demande un temps
plus ou moins long de réassurance du sujet de la part du psychologue. Ceci
est corrélatif de ce qui sous-tend le geste suicidaire, c’est-à-dire l’émergence
au sein du Moi de ce qui devait rester tu, silencieux ou encore caché, secret :
comment se mettre en mots de façon suffisamment assurée quand on se
réveille après une expérience de débordement liée au dévoilement d’une part
de soi jusque-là ignorée ?
– L’éprouvé de honte
La question du dévoilement amène naturellement celle de la honte. Celle-ci
est très présente dans le cas de Cécile qui ne veut pas être vue là par les siens.
La honte est à entendre comme le signal d’un double risque : celui de la perte,
par son dévoilement d’un objet interne, et celui d’une « déshumanisation » de
cet objet ainsi mis à nu ; il est perdu et renvoyé au statut de déchet. L’ objet
dévoilé, parce qu’il est investi narcissiquement, constitue une perte
insupportable, et quand il a cette qualité particulière de relever de l’intime,
son dévoilement fait craindre sa déchéance. On rejoint là la question de la
mélancolie. Dans le cas de Cécile, et à partir du premier entretien, la honte
qu’elle éprouve est à rapprocher de son sentiment d’être « insignifiante » face
à l’autre, de « n’être rien », voire moins que rien quand la honte s’en mêle. La
porte non réparée évoque la négligence du mari qui a amené Cécile à voir son
infidélité, à voir son désir pour une autre ou simplement son désir. La porte
non réparée, ou mal refermée suite à la négligence du mari de Cécile, laisse
entrevoir ce qu’elle maintenait suffisamment inaccessible. Ici, plus qu’une
porte, c’est sans doute un gouffre qui s’est ouvert, provoquant ce que Cécile
repère comme le début de son histoire suicidaire, des crises de panique et sa
démission liée au sentiment de ne « plus être à la hauteur », « de ne plus être
à sa place ».
– Le récit désaffectivé et l’effet d’étrangeté
Le récit désaffectivé peut constituer une forme de résistance au
dévoilement : ce qui est énoncé semble l’histoire d’un autre, une histoire dont
les effets sur celui qui en est l’auteur et l’acteur semblent absents ; il ne se
laisse pas toucher, pas atteindre. Cécile efface d’abord, par sa réponse, la
proposition faite, au travers de mon intervention, de reconnaître ce qui a été
douloureux. Puis c’est l’ objet de sa douleur actuelle qu’elle exprime : « se
sentir insignifiante ». Si le récit désaffectivé provoque en lui-même un effet
d’ étrangeté, celui-ci se saisit d’autant plus quand les affects surgissent à
l’insu du sujet. C’est ce qui se passe pour Cécile de façon furtive, et difficile
à transmettre, quand elle reconnaît le sentiment de « n’être rien » comme
appartenant à son histoire. Là, elle se laisse toucher par ce qui de l’intérieur
vient de se dévoiler, un « déjà avant » qui signe une répétition, quelque chose
de connu dont pourtant elle ne savait rien. Dans le cours de l’entretien, c’est à
ce moment, à cet endroit que l’effet d’ étrangeté est saisissant et saisissable
par les deux protagonistes. Sans doute est-ce ici relatif au contraste entre le
discours sans affect et le débordement affectif, aussi furtif soit-il, lié à un
« déjà avant » historique et chargé d’ affects douloureux. Au-delà de ce
moment, Cécile est plus présente, elle raconte la scène suicidaire avec toute
sa part énigmatique, elle « ne comprend pas », et termine par une formule
dans laquelle s’entend l’espoir d’un changement : « Je crois qu’ils sont
rentrés plus tôt que prévu ».
Pour que l’effet d’ étrangeté soit saisissable, il faut que le sujet l’éprouve,
qu’il en fasse l’expérience, et pour cela il faut qu’il soutienne la position de
passivité, c’est-à-dire qu’il se laisse exciter par ce qui émerge de l’intérieur.
Parallèlement, le psychologue doit lui aussi maintenir une position passive, d’
écoute passive des effets de l’autre sur et en lui. Ses interventions ne sont pas
de nature interprétative, elles tendent plus à soutenir le discours du sujet en le
relançant à partir d’un mot, ou encore en proposant des ouvertures quand le
sujet semble ne pas trouver d’issue à son propre discours. Mais la passivité
n’est pas facile à traiter et à tenir dans le cadre de l’urgence qui tend au
contraire à l’agir : face à l’urgence, la passivité est potentiellement
dangereuse, elle dévoile plus d’incertitudes qu’elle ne trouve de réponses.
L’entretien clinique avec Cécile prend fin sur un doute, rien n’est moins sûr
que le fait qu’elle se présente au rendez-vous proposé, mais c’est aussi ce
doute laissé qui peut être le moteur d’un engagement dans un travail
psychothérapique.
L’acte suicidaire s’oppose à la mise en scène et à la mise en sens : il met
fin à la scène interne, il est contre le sens. C’est cette question, celle du sens,
qui nécessite d’être réintroduite au cours de l’entretien clinique avec le sujet
suicidant. Ceci est parfois possible à partir de la remémoration de la scène
suicidaire, à condition que cette remémoration soit vécue et éprouvée, et non
seulement « racontée ». Il faut souvent du temps car le sujet est plus prêt à
oublier qu’à se remémorer. Cette potentialité du geste suicidaire est relative à
la « tentation d’hystérisation » qu’il contient, telle la répétition, il contient
l’espoir d’un changement ; que l’intraitable change de signe et devienne en
partie accessible au traitement psychique. La tentation d’hystérisation peut
être énoncée comme la tentation de se laisser exciter par ce qui est issu du
théâtre interne et qui se déploie dans la vie fantasmatique, ceci au risque pour
le Moi d’être débordé dans sa capacité de traitement, c’est ce que vient
signifier le geste suicidaire.
Dans la relation transférentielle, la scène peut faire l’ objet d’une reprise et,
à cette occasion, s’hystériser alors que la scène initiale n’était pas une scène à
proprement parler « hystérique ». L’occasion lui est donnée d’une préliaison,
d’une présymbolisation nécessaires pour qu’un traitement sous la domination
du principe de plaisir s’opère. Ce qui n’avait pas d’histoire s’inscrit sur le
modèle de l’ après-coup, c’est-à-dire acquiert une signification en lien avec
un événement actuel. « Au fur et à mesure que le symptôme redevient
métaphore et que le souvenir se reconstruit, l’inacceptable et l’insensé du
passé changent de signe » (J. Mac Dougall, 1982). L’acte suicidaire n’est plus
entendu exclusivement dans sa visée de décharge, « que ça s’arrête », mais
aussi dans la fuite et la quête qu’il tente, et que l’on peut entrevoir dans le cas
de Cécile quand elle dit : « Je crois qu’ils sont rentrés plus tôt ».
CHAPITRE 16
L’ENTRETIEN
EN RÉANIMATION
MÉDICO-CHIRURGICALE
ADULTE
Raphaël Minjard
1. LA DEMANDE
2. VIE PSYCHIQUE ET RÉANIMATION
3. ERRER ET ÊTRE LÀ
4. PERCEVOIR OU LA FONCTION DE TÉMOIN
5. FAIRE DES HISTOIRES SYMBOLISANTES : LE TRAVAIL DE
PASSEUR
6. PEUT-ON PENSER UNE MÉTHODOLOGIE DE L’ENTRETIEN
SPÉCIFIQUE EN RÉANIMATION ?
7. SITUATION CLINIQUE
8. COMPRÉHENSION ET ANALYSE

« La réanimation est un théâtre où l’on remonte parfois sur les planches pour
une pirouette ou pour un deuxième acte après avoir joué presque
complètement sa mort “pour de vrai”. On y ressuscite parfois comme au
théâtre. On peut se trouver à jouer selon les circonstances le rôle de
ressuscitateur ou de ressuscité.
La réanimation est un lieu de guerre qui suscite dans l’âme de tous les
participants, qu’ils soient soignants ou soignés, une menace de rupture de
notre système défensif devant la mort – fondée sur sa négation pratique. »
J. Gazengel, 2014

C e chapitre propose des éléments pour une méthode d’entretien clinique


pour le psychologue en réanimation au travers d’une modélisation
métapsychologique et théorico-clinique des processus psychiques à l’œuvre
au moment de l’éveil de coma. Les réflexions théoriques ainsi que les
séquences cliniques sont issues d’une expérience de psychologue clinicien en
immersion au sein d’un service de réanimation médico-chirurgicale adulte
auprès de patients qui ont traversé une période de coma artificiel ou un état de
débâcle corporelle (P. Spoljar, 2001) et du travail mensuel du Collectif
PsyRea 1.
Le dictionnaire décrit l’impressionnisme comme un mouvement pictural
notamment caractérisé par des tableaux de petit format et des traits de
pinceau visibles. La composition est ouverte et le peintre utilise des angles de
vue inhabituels. Il se dégage de ces tableaux une tendance à noter les
impressions fugitives, la mobilité des phénomènes climatiques et lumineux et
à les reporter directement sur la toile, délaissant l’aspect stable et conceptuel
des choses. Le travail du psychologue clinicien en réanimation tient en partie
à cette attention particulière à « l’être là », au perçu et à la compréhension –
au sens du saisissement – du fonctionnement d’un ensemble tourné vers un
objet fragile. La réanimation est un lieu où la sensorialité est sollicitée de
manière permanente, l’éveil est à la fois à la sensorialité et dans la
sensorialité.
Les réanimations ont pour tâche primaire (R. Kaës, 1995) d’accueillir, de
préserver ou redonner la vie à des patients en état de grande détresse
somatique pour lesquels l’homéostasie est rompue. Cet état fait appel à des
techniques de soins souvent très invasives et traumatogènes pour le sujet.
Entrer dans un service de réanimation c’est plonger dans un univers étrange
et familier où humain et technologie œuvrent de concert pour préserver ou
redonner la vie à un être en état d’extrême fragilité somatique et psychique.
Chaque professionnel de ces services exerce sa pratique selon des tâches bien
définies, orchestrées au plus près des besoins des patients. Le travail est
minutieux et demande une grande expertise dans un temps d’action très court.
Les réanimations sont des lieux dans lesquels se trouvent condensés des états
de crise somatique aigus nécessitant des compétences médicales élevées et
des actions rapides avec en même temps la mise au repos du corps.
Évoquer le travail en réanimation porte inévitablement à parler de cet état
du corps, cette débâcle corporelle (R. Minjard et al., 2013) ainsi que de coma
et d’éveil. Si la réanimation interpelle par la primauté de la débâcle
somatique et l’urgence relative à l’activité biologique, il n’en reste pas moins
que cet état fait écho à des vécus psychiques dominés par la déliaison et
l’effondrement. Le travail du psychologue émerge là, au carrefour de faits
somatiques traumatiques et de mouvements psychiques allant de
l’effondrement des frontières du moi révélant le fond hallucinatoire de la
psyché jusqu’à la relance de l’activité de symbolisation dont le délire et la
fonction de témoin en sont les jalons.

1. LA DEMANDE
« C’est dommage que tu n’aies pas pu être là hier, parce que nous aurions eu
bien besoin de toi ! Aujourd’hui c’est plutôt calme. »

Cette parole d’une soignante laisse à penser plusieurs mouvements. Le


premier tient plus de la défense, comme une tentative d’évitement, de mise à
distance de la rencontre. Le second nomme l’absence et la demande de
permanence dans un lieu où tout change très vite et où l’oubli est un
mécanisme de défense. Le troisième, semblable à une tentative d’annulation,
fait vivre au psychologue un sentiment d’inutilité. La demande au sein de
l’équipe soignante est donc à construire ou à révéler en restant à l’écoute des
défenses des soignants.
Du côté des patients il n’y a que très rarement de demandes, leur état ne
leur permettant souvent pas d’exprimer leurs désirs. Les demandes de
rencontres avec le psychologue émergent de points d’accroche comme un
regard, un son lancés par le patient vers celui qui saura le voir ou l’entendre,
vers celui qui saura « être là ». Les demandes sont également issues de
l’observation journalière des soignants, transmises soit directement au
psychologue, soit par l’intermédiaire des réunions de service. Enfin, les
familles sollicitent le psychologue pour apporter un soutien à leur proche
pendant leur absence. Quand la rencontre a lieu, elle est souvent brève,
parfois unique, et doit s’accorder avec l’état du patient et la courte durée du
séjour.

2. VIE PSYCHIQUE ET RÉANIMATION


« Je sais pas comment vous faites, vous les psys, nous au moins on a les
perfusions pour se protéger. »

Ces propos très honnêtes tenus par une infirmière de réanimation montrent
combien la vie psychique et affective peut être envahissante pour les
professionnels en réanimation.
Face à la grande fragilité des patients et l’omniprésence de la mort, les
soignants doivent entretenir un système de défenses solide permettant à la
fois d’effectuer des actes de soins précis et rapides et en même temps se
protéger d’un envahissement affectif qui viendrait perturber leur capacité à
effectuer ces actes.
Les services de réanimation sont conçus pour subvenir aux besoins vitaux
des patients en danger de mort. Face à l’obligation de moyens, le corps
médical met tout en œuvre pour permettre aux patients de dépasser la crise
somatique aiguë. Ce qui soulève des questions d’ordre éthique qui ont trait à
la notion de limite thérapeutique nécessitant une distinction entre le
traitement – référé à une démarche active au travers d’une thérapeutique à
visée curative ou à une technique de suppléance d’une défaillance d’organe –
et les soins de base, « de confort », « de support » qui associent les soins
d’hygiène, la prise en charge de la douleur et de la souffrance.
En pratique, les deux types de prise en charge coexistent en permanence et
s’il est possible d’interrompre certains traitements, les soins devront toujours
être poursuivis.
Les patients de ces services sont placés sous haute surveillance, reliés à des
machines elles-mêmes relayant les constantes ou états corporels aux
soignants par des moniteurs sonnants et oscillants. Les informations
concernant les patients sont doublées voire redoublées et, comme si cela ne
suffisait pas, les soignants entretiennent une très grande proximité avec les
patients tout au long de leur hospitalisation. La surveillance est ici du côté de
l’entretien du souffle de vie dans un enchevêtrement de techniques médicales
et de relations au réel du corps.
C’est également là que se dessine la place du psychologue, représentant de
la vie psychique.
Le psychologue occupe une place qui reflète la fragilité des patients. Il est
à la fois attendu par les soignants comme celui qui va pouvoir apporter un
soulagement lors de situations familiales ou individuelles complexes mais il
est également redouté car sa parole ouvre sur la difficile rencontre de sujets
qui mobilise chacun vers des mouvements introspectifs potentiellement
déstabilisants. Le psychologue représente le risque d’une parole affectée, une
parole qui dérange, qui déséquilibre… mais aussi qui potentiellement peut
faire cheminer (C. Doucet, 2008 ; M. Grosclaude, 2002). Au long terme, il
peut être totalement intégré à l’équipe soignante. Il est un « aidant », un
« soignant » parmi les autres, et fait partie de l’équipe pluridisciplinaire qui
gravite autour du patient. Son action complète, avec ses outils, l’action des
soignants.
Cette pluriprofessionnalité n’est pas donnée d’emblée, elle se construit.
Elle nécessite un travail d’apprivoisement, de reconnaissance du travail et de
la spécificité de l’autre.
Cette construction s’effectue autour du patient dans une rencontre de sujets
là où toute subjectivité semble abolie. Le psychologue doit « être là et aller
vers… », là où se trouvent le patient et ceux qui s’occupent de lui. Cette
notion souligne la place de l’objet (psychologue), et la nécessité de sa
malléabilité au moment de l’éveil ainsi que sa fonction de témoin parlant au
long de l’hospitalisation du malade.
Sur le plan des processus psychiques, l’inquiétante étrangeté vécue par les
patients au moment de l’éveil relève du télescopage entre percepts actuels et
traces mnésiques éparses et réactualisées par le vécu du coma (R. Minjard,
2014). Les patients se trouvent pris dans un espace de césure qui demande un
passage par l’autre pour qu’une mise en récit ait lieu et soit appropriable par
le moi renaissant à la conscience (R. Minjard, 2014). L’autre, représenté alors
par l’entourage proche (soignants, parents, psychologue), reprend vie pour le
patient au travers des mouvements d’actualisation et d’échanges autour du
vécu du patient. Cette traversée représente un enjeu majeur de la question de
la vie psychique et de son accompagnement lors du coma et de l’éveil et
demande souvent un accompagnement au-delà du somatique.
L’entourage médical, paramédical et familial du patient forme par cette
prise en charge globale une enveloppe physique et psychique se rapprochant
des besoins physiologiques primaires des patients. Cet ensemble vivant
hétéromorphe et variable représente, par les échanges avec le corps du
patient, un appareil psychique externe qui lui servira d’espace de projection et
d’élaboration de son vécu. Ainsi, comme les constantes relayées par les
moniteurs, les différentes variations du corps sont doublées par les
interprétations de l’entourage, véritable peau psychique du comateux.

« Je ne sais pas où j’étais, mais ce n’était pas moi… »

L’expérience du coma désorganise le sujet et pose la question du


fonctionnement de l’appareil psychique dans le cadre de traumatismes
engendrant une défaillance organique vitale.
Peu de services de réanimation médico-chirurgicale adulte sont pourvus de
psychologues en France. Lorsque le besoin s’en fait ressentir, les équipes de
réanimation font appel aux services de psychiatrie de liaison. Ces demandes
ponctuelles s’inscrivent souvent dans le cadre de tentatives de suicide et de
situations individuelles ou familiales complexes. Ce dispositif, évidemment
nécessaire au regard de la gravité des situations présentées, ne permet
cependant pas le travail de proximité, de présence et de continuité qu’exige
l’accompagnement du patient comateux.
« La réanimation est un des lieux les plus fous de la planète » dit Joseph
Gazengel (2012), la violence des situations vécues (accidents, tentative de
suicide, diabète, alcoolisme, etc.) entraîne des répercussions dans l’appareil
psychique qui tend à développer des logiques de survie faisant appel à des
mouvements régressifs extrêmes laissant envisager une coupure ou une
suspension d’activité de relation avec le monde extérieur, dans un
mouvement de désintrication pulsionnelle, de désinvestissement du monde
extérieur (S. Freud, 1923).
La tâche primaire du psychologue en réanimation est donc, en se tenant au
plus près du corps, de permettre la relance des processus de symbolisation par
le travail du lien, un lien humanisant poussant à une ré-intrication
pulsionnelle, passant par l’utilisation de « mots-corps » de manière à
accrocher et affecter ce souffle de vie. Ce travail de lien est primordial à la
fois dans l’entre-deux du patient et du psychologue, et entre le psychologue et
l’ensemble des professionnels du service.

3. ERRER ET ÊTRE LÀ
L’unité de lieu devient un espace variable. Il est encore rare que les
psychologues disposent de bureaux attitrés dans les services de réanimation.
Ne pas avoir de lieu fixe renvoie à une position d’« errance ». Celle-ci, tout
d’abord malaisée à tenir, rend d’autant plus disponible et malléable. Cette
« adaptation maximale » renvoie inévitablement par retournement, en négatif,
au fonctionnement opératoire du service. Le psychologue est investi d’une
part immatérielle, non opératoire, le rendant porteur du lien entre les
différents éléments du service. Cette règle fait écho à l’hyper-investissement
médical qui dénie toute pudeur : la rencontre du corps nu ne doit pas être
pensée du côté de l’affect, mais du côté de la survie, le désir est ainsi expulsé
et remplacé par l’excitation à redonner la vie. La position d’errance est à
entendre du côté d’une disponibilité et d’une ouverture rendant le
psychologue « saisissable » par l’autre. L’errance s’associe ainsi à l’être-là,
un être là en creux, un féminin archaïque enveloppant.
Errer en réanimation demande au psychologue de s’autoriser une place
interdite, non opérante mais signifiante, symbolisante. Il doit se laisser
pénétrer et transformer par le champ des autres, les lieux, les objets. Il peut se
donner le temps et l’espace pour comprendre et penser au plus près du rythme
psychique du sujet. Il se fait également réceptacle du négatif, du non-pensé,
de l’intraduisible. L’écoute clinique en réanimation se situe au carrefour de
l’acte et de la pensée, de l’agir et de la vie psychique, au point d’émergence
de l’affect.
La notion d’errance renvoie à une représentation non liée à un quantum
d’affect. Le service n’a de cesse de fonctionner qu’afin que les affects
n’émergent pas et ne puissent pas s’associer à des représentations. Le
psychologue représente le spectre des affects (R. Minjard, 2014), il flotte
dans le service en attente de s’accrocher/être accroché, d’être trouvé/créé par
le patient en éveil. Ce qui inquiète les soignants est que le psychologue porte
ce rôle de matière liante, il accompagne l’émergence des affects et permet un
travail de liaison avec des représentations. Ce travail demande la plus grande
prudence tant, dans ces services, les défenses contre les éléments mortifères
sont mobilisées, ce qui nous laisse parfois entendre des paroles de soignants
tels que :

« Je préfère quand ils dorment, au moins ils ne râlent pas quand on les soigne.
»

Ce ne sont pas seulement les défenses des soignants qui rendent la liaison
entre affect et représentation difficile. Les rencontres sont d’autant plus
intenses que les durées de séjour sont courtes et l’état des patients grave. Les
soignants préfèrent donc se tenir à distance d’un investissement affectif trop
fort. De plus, le fonctionnement du service, par mesure de protection en
aseptisant 2 les chambres, en ôtant toute trace du passage des patients, efface
sa propre mémoire. Ce mouvement est à l’image de l’amnésie antérograde
vécue par de nombreux patients en sortant du service.
Cet effacement passe aussi par le non-penser, une nouvelle entrée entraîne
du côté de la vie et fait pare excitation face aux affects mobilisés par le départ
du patient précédent. Le négatif est au travail, le « faire » remplace le travail
de symbolisation qui, comme le présente J.-P. Pinel (1996), entraîne des
mouvements de déliaisons pathologiques. Le travail avec les équipes
soignantes de réanimation montre que les affects peuvent émerger s’ils sont
contenus par des paroles liantes, des « mots corps » qui vont, par touches
successives, mobiliser les ressentis des soignants, éveiller leur pensée,
comme lors de l’éveil de coma où le patient s’éveille dans un monde qu’il
connaît mais sans savoir où il est.
Pour le patient, l’éveil est lent et nécessite de nombreux et longs temps de
sommeil. Le travail auprès de l’équipe soignante est du même ordre. Ce
travail dans l’errance – errance dans les couloirs, échange de mots de-ci de-là,
lors d’une pause, à la porte d’une chambre, avec l’infirmière et le patient, un
médecin… – permet de construire des ponts avec ce spectre qui reprend corps
doucement.
La présence du psychologue lors des réunions d’équipe permet d’ouvrir
des réflexions sur l’environnement familial, l’état de santé mentale du patient,
son anamnèse. Les patients qui arrivent en réanimation sont pris en charge
pour des aspects très spécifiques de leur état de santé, la question de
l’anamnèse n’est que rarement posée, les patients n’ont pour ainsi dire pas
d’histoire hormis celle traumatique qui les entraîne en réanimation.
Recevoir le vécu des soignants ne veut pas uniquement dire les écouter, il
faut aussi savoir entendre les actes comme éléments de paroles, comme
éléments facilitateurs de parole. Ainsi, il n’est pas rare qu’un soignant parle
de certaines situations difficiles tout en préparant les perfusions, qu’il « parle
en faisant », comme pour se retrouver dans un contexte suffisamment proche
de celui qu’il a vécu pour que ses actes fassent mémoire et qu’il puisse se
remémorer la scène. Entendre les soignants, c’est être mis en position de
porte-affect, de répondant de l’affect. La difficulté est alors de supporter,
transformer et proposer une réflexion permettant de dégager ensemble des
outils, des moyens pour faire face aux angoisses des soignants et aux vécus
des patients.
Être là au cœur du chaos et de l’intrication pulsionnelle comme
représentant de l’affect, c’est ainsi que se définit la fonction du psychologue
en réanimation (R. Minjard, 2015).
L’être là du psychologue en réanimation se décline à la fois sur le plan
institutionnel dans une dimension d’immersion au sein de l’équipe soignante
et dans l’espace de la rencontre singulière de sujets au fondement de ce qui
détermine l’être humain. Le psychologue est funambule, témoin vivant du
vécu des patients, ni soignant opérant, ni observateur passif. Cette position le
dispose à un rôle d’accompagnant à la relance des processus de
symbolisation, un travail à la fois d’archéologue et d’architecte, entendant le
délire des profondeurs, accueillant le vécu actuel et s’affectant du malade pris
dans une histoire qui le dépasse. Il effectue un travail d’interface patient,
soignant, famille quel que soit le devenir du malade. Le psychologue doit
dans cette interface faire preuve d’imagination, de créativité pour « inscrire »,
laisser une trace du et pour le patient. Être là suppose également que le
psychologue accepte cette rencontre qui dénude, qui emmène au plus proche
du réel dans lequel se trouve le patient, là où les mots manquent mais où la
vie psychique bat « en corps ».
4. PERCEVOIR OU LA FONCTION DE TÉMOIN
La réanimation confronte la sensorialité à des extrêmes. Les sons, les
odeurs, la vision sont en tension permanente. L’écoute clinique médicale et
soignante est exercée de manière à percevoir les signes cliniques les plus
infimes traduisant le fonctionnement du corps du patient. Pour le
psychologue, le regard et l’écoute sont toujours articulés à une position de
chercheur/créateur. L’éveil se fait dans la sensorialité et l’inquiétante
étrangeté. Les difficultés traversées par les patients poussent le psychologue à
trouver/créer de nouveaux dispositifs de rencontre : écrire sur une ardoise,
cligner des yeux, serrer la main, bouger un doigt, entretenir un journal de
bord, passer de la musique… Tous les moyens sont bons pour que le contact
puisse advenir. Le psychologue doit également partager avec les équipes le
fruit de son travail. Pour cela il lui faut trouver des moyens de
communication : participer aux relèves, écrire dans les cahiers de
transmission, mettre en place un cahier de liaison psy…
L’écoute en réanimation est orientée d’emblée vers le corps, le réel
effractant/effracté du corps souffrant. Pour être opérante, l’écoute demande
un travail de décollage, de désaliénation d’un corps qui envahit tout l’espace.
Le psychologue doit pouvoir traverser la question corporelle pour se rendre
sur les lieux du sujet, il doit travailler à entendre la reviviscence de la
sensorialité qui parle du sujet, de son histoire. Le paradoxe en réanimation est
qu’en étant omniprésent le corps empêche de voir et d’entendre le corps
sensible, affecté.
Cette écoute affectée va se transmettre et solliciter les proches à évoquer
des moments de vie relatifs à la relance de l’activité de perception. Une mère
embrassant son enfant réanimé disait qu’elle comprenait que les poils de
celui-ci se hérissent lorsqu’elle l’embrasse car il n’avait jamais aimé qu’elle
le fasse. Elle disait cela auprès de son fils, à son chevet. Cette parole, toute
interprétative qu’elle soit, donne à ce corps une dimension supplémentaire à
celle d’un amas de cellules organiques prise par un réflexe sensitivomoteur.

5. FAIRE DES HISTOIRES SYMBOLISANTES :


LE TRAVAIL DE PASSEUR
Parler pour symboliser, parler pour s’éveiller, parler pour survivre !
Le traumatisme engendrant le coma peut être pensé selon le modèle décrit
par D. W. Winnicott (1971a, p. 177) comme un temps de détresse et de
manque de l’objet qui dure au-delà du supportable et qui engendre un état de
« traumatique primaire ». Comme le montre R. Roussillon (1999), les traces
de l’expérience traumatique primaire sont au-delà du principe du plaisir-
déplaisir. C’est la défense qui est sous le primat du principe de plaisir et qui
le représente ; les traces perceptives sont soumises à la contrainte de
répétition, ce qui veut dire qu’elles vont régulièrement être réactivées sous la
poussée de celle-ci, qu’elles vont donc tendre à être hallucinatoirement
régulièrement réinvesties. Ainsi, les rêveries dramatiques, appelées « vécus
oniroïdes » (P. Spoljar, 2001) rapportées par les malades, sont les
représentantes de la mise en œuvre de cette répétition au sein d’un espace
fantasmatique, d’une interface support en creux d’éléments et d’événements
de vie vécus et investis par des fragments du moi comme salutaires.
La subjectivité est de nouveau menacée par le retour de l’expérience
traumatique, ce qui se passe nécessairement lors de l’éveil que nous
entendons dans la question fréquente : « que m’est-il arrivé ? ». L’éveil
représente le chemin dans lequel le patient doit s’engager, au risque de la
répétition de l’expérience traumatique, à la rencontre d’un objet dans la
réalité (soignants, familles…) et de ses objets internes. Il apparaît que, pour
réenclencher le lien à l’objet, le moi doit pouvoir supporter la répétition de
cette expérience traumatique pour offrir un premier espace de symbolisation
qui sera investi par la parole du patient confrontée à celle des autres
(soignants, familles…). L’éveil est un passage complexe et douloureux pour
le patient, qui oscille entre des moments de veille et de sommeil, de
réappropriation subjective et de vécus oniriques. L’éveil condense et révèle à
la fois car il porte la trace de la perte et questionne les potentialités
traumatiques de l’origine du coma.
L’éveil s’annonce comme un choc, celui de la rencontre avec le réel : « où
suis-je ? », « que m’est-il arrivé ? » L’éveil est le lieu de la réintrication
pulsionnelle et de la relance des processus auto-. Il se joue à la fois des
tentatives de liaison de la part du moi réinvestissant la conscience et des
effets de déliaison comme des répercussions de la charge traumatique que
représente le coma. Le patient est poussé à raconter, à énoncer un discours
construit et reconstruit au fil des échanges avec les autres et au rythme des
fluctuations physiologiques de l’éveil qui va lui permettre de se réinscrire
dans une réalité et une temporalité partageable. Ces « histoires » ont un
pouvoir symbolisant car elles permettent un lien entre le vécu du coma et
celui de la vie de veille. Elles contiennent les angoisses archaïques des
patients. Le rôle du psychologue est d’accompagner cette mise en récit et
d’aider le patient à l’interroger dans un mouvement
d’appropriation/différenciation visant à relancer l’activité de symbolisation.

6. PEUT-ON PENSER UNE MÉTHODOLOGIE


DE L’ENTRETIEN SPÉCIFIQUE
EN RÉANIMATION ?
Penser à partir de sa pratique prend tout son sens en réanimation tant
l’expérience de tels services est singulière et confronte le psychologue
clinicien à sa propre réflexion sur la vie et la mort. Travailler avec les
« pensées vagabondes », terme que je reprends à Bion (1977), montre qu’en
« rêvant là où ça ne rêve pas » (T. Ogden, 2007), le psychologue propose un
dispositif clinique, en appui sur le contre-transfert. L’hypothèse avancée ici
est que l’hyper-médicalisation ne peut se passer de professionnels pour traiter
avec l’affect en déconstruction/reconstruction.
La place du psychologue s’inscrit dans la césure de l’éveil, au plus proche
du patient, au cœur d’un environnement très médicalisé et pris par des
contraintes institutionnelles et de politique de santé. Le travail du
psychologue vise la réinstitution du vécu du patient en réanimation au sein de
son « parcours hospitalier » et de son histoire de vie. Cette proposition
rencontre des résistances car elle demande un travail de considération de la
personne dans sa globalité, comme sujet, et non de se focaliser sur une
« variable » ou de faire du patient un objet de soins répondant à un modèle de
fonctionnement hospitalier qui coupe et clive. Cette proposition questionne le
fonctionnement du lien entre les services, la transmission du vécu du patient,
la place des familles et le rôle qu’on leur accorde dans l’accompagnement de
leur proche.
Face à l’indécidable que renvoie le patient comateux, le psychologue se
positionne du côté de la vie psychique, pour accueillir et transformer ce qui
se présente comme matière brute, c’est-à-dire effectuer un travail de ressentis,
de mise en mots, de lien, de mémoire et de stimulation dans un lieu où
l’affect peut émerger. Pour accueillir et mobiliser ces mouvements
complexes, il faut en passer par une déconstruction de nos dispositifs
cliniques souvent préétablis et inadaptés à de telles rencontres et à de tels
lieux, pour tendre vers un dispositif à géométrie variable (P. Dubor, 1996) qui
permet au psychologue d’être là et de s’adapter au moment de la rencontre
pour offrir, par la dynamique transférentielle ainsi créée, la possibilité de
saisir le surgissement des mouvements pulsionnels renaissants.
Pour cela le psychologue quitte pour un temps sa position d’extériorité,
c’est dans l’immersion que l’appareil psychique du psychologue
« s’appareille » à celui du patient, en restant près du soignant pour entendre le
discours médical et le faire résonner dans un décalage susceptible de relancer
l’activité de symbolisation en s’accordant à l’éveil de la sensorialité ; c’est le
lieu des « mots corps ».
Cette disponibilité fait du psychologue en réanimation un soutien pour
l’équipe et le patient, un ancrage dans la vie psychique au plus près du
fonctionnement biologique. Pour les patients dans le coma, cette même
disponibilité donne à cet ancrage une dimension de conteneur des traces
d’une forme de relation primaire dont le psychologue sera porteur, témoin et
capable de restitution au patient en éveil, comme un premier fait de mémoire.
La rencontre avec le patient comateux ne peut avoir lieu que si l’on accepte
de penser que, pour le malade, les frontières du moi sont abaissées
(P. Fédern, 1979), et que l’espace corporel peut s’étendre au-delà de sa
corporéité. Le travail auprès du patient comateux est dans la prise avec la
chose brute, l’élément bêta de Bion. Le psychologue prend cette place de
surface externe pour recevoir les projections des patients et accompagner
leurs transformations. Le moi du patient est tout d’abord amputé de son
appareillage interne et externe, c’est-à-dire qu’il ne peut prendre appui ni sur
ses perceptions intérieures, ni sur celles venues de l’extérieur.
Il s’agit donc pour le psychologue de travailler dans la continuité
psychique au plus près des ressentis afin de permettre l’appropriation de ce
moment vécu comme un trou, de replacer le coma et ses représentations dans
l’histoire du patient, au-delà de son histoire dans le service.
Travailler dans la continuité psychique, c’est prendre en compte que, pour
les patients ayant vécu une période de réanimation et/ou de coma, le
problème n’est pas l’oubli en lui-même, mais le fait de savoir que quelque
chose de vécu a été oublié et auquel ils n’auront pas accès. Il y a donc, dans
cette mise en abyme du souvenir, une construction à potentialité
mélancolique qui peut être évitée si la prise en charge permet un travail sur la
continuité psychique, autrement dit si le dispositif reste ouvert et offre un
accompagnement transversal donnant une continuité au vécu du patient.

7. SITUATION CLINIQUE
Le médecin réanimateur me présente avec une certaine froideur, presque
une sorte d’inimitié, la situation d’un homme d’une quarantaine d’années qui,
dit-il, s’est « cru tout-puissant » et a voulu arrêter une voiture avec le bras.
Saisi par la représentation que je me fais de la scène, je décide d’aller
rencontrer le patient.
J’apprends dans les couloirs par les échanges avec d’autres soignants que
ce monsieur s’est fait renverser sur la voie publique en traversant sur un
passage piétons. Il aurait traversé sans prendre grande attention à la
circulation. Le choc aurait été violent et le patient se serait fait rouler dessus
par les deux roues de la voiture. Tout en comprenant les propos du
réanimateur quant à l’imprudence du patient et le travail que cela engendre
pour les soignants, je ne peux m’empêcher de ressentir un certain effroi en
visualisant la scène. Pourtant au fil des échanges avec les soignants je
comprends que le patient va s’en tirer avec quelques côtes cassées, un léger
traumatisme crânien et plusieurs contusions. Un bilan assez faible au vu de
l’accident.
Je ne rencontrerais donc monsieur K qu’après ces multiples échanges. Lors
de mon premier passage il est endormi artificiellement, intubé et ventilé. Je
suis impressionné par son physique, grand, fort et dégageant une certaine
puissance. Je vais me présenter et rester quelques minutes auprès de lui, en
lui parlant doucement de ce qui se passe autour de lui comme je le fais
habituellement pour les patients que je rencontre.
Le lendemain il est éveillé, extubé. Je me représente à lui. C’est tout
d’abord son regard qui m’interpelle, un regard sombre, mais une intention
que je sens mêlée de colère et de grande tristesse. Notre première rencontre
est courte car il s’endort rapidement. Il ne dit que quelques mots comme son
nom et « accélère » ou encore « odeur ». Il me tient la main durant tout le
temps de ma présence serrant parfois fort. Le lendemain il est éveillé et peut
un peu plus parler malgré un souffle très court dû à plusieurs côtes brisées. Il
raconte son accident : il traversait et la voiture accélérait. Ce sont les seuls
éléments de l’histoire qu’il peut rapporter dans les premières rencontres. Au
fil des rencontres des mots vont émerger, nous incitant à mettre bout à bout
des bribes : accélère, odeur, ciel, crie, tape… De mon côté je m’essaie avec
lui à mettre du liant en associant les mots à ce que je vois de son corps et aux
récits des médecins.
J’apprends que cet homme d’une cinquantaine d’années, originaire du
Kosovo, s’est fait renverser alors qu’il se rendait à son travail de vigile de
boîte de nuit. En France depuis une douzaine d’années, il est fier de dire qu’il
a appris à parler français au fil des rencontres et des emplois qu’il a pu
trouver. De son accident, monsieur K ne se souvient que de peu de choses, il
évoque la perception de l’odeur de sa peau en train de brûler sous le pot
d’échappement de la voiture associée au son d’un moteur qui accélère et
d’une roue qui patine sur lui. En évoquant ces images il gesticule de manière
impulsive. Cette perception va rester pendant de nombreuses rencontres.
Rapidement je vais me sentir accroché par ce patient. Accroché comme le
morceau de ciel bleu auquel il s’est accroché pour ne pas perdre connaissance
sous cette voiture et dans cette sombre histoire. Je vais sentir son besoin de
dire pour comprendre, même si l’histoire au début paraît peu cohérente. Ce
morceau de ciel bleu était celui sur lequel il fixait toute son attention lorsqu’il
était coincé sous la voiture. Il lui semble être resté plus de 30 minutes dans
cette position à sentir sa peau brûler et le moteur accélérer. Ce coin de ciel
bleu devient au fil de nos courts échanges le visage de sa fille pour laquelle il
travaille jour et nuit afin de financer ses études et un bon train de vie.
Après quelques jours, son état de santé s’améliorant, monsieur K doit être
transféré dans un autre service. Il me demande de l’aide pour faire cesser les
images traumatiques qui l’assaillent. Il refuse ma proposition de le confier à
un collègue de l’hôpital prétextant qu’il ne veut pas recommencer son histoire
avec quelqu’un d’autre. Nous réfléchissons ensemble et avec le chef de
service et nous créons un dispositif qui lui permet de venir me rencontrer
dans un bureau en réanimation une fois par semaine dès sa sortie
d’hospitalisation.
Les séances suivantes me font rencontrer un homme très soucieux de son
unique fille et de son ex-femme. Un homme généreux au narcissisme fragile
ne supportant pas les imprévus. Un homme sensible et ancré dans la
sensorialité. Sensorialité qui lui a permis d’exercer les arts martiaux de
nombreuses années. Il finit par dire que ce jour-là il n’avait pas entendu la
voiture venir…
Lors d’un rendez-vous post-hospitalisation et tout en évoquant les images
récurrentes et les perceptions envahissantes qui reviennent en rêves
régulièrement, il fait une confusion entre cet accident et un autre survenu
quelques années auparavant. C’est en l’interrogeant sur cette confusion
qu’émerge un précédent accident qui a failli lui coûter la vie.
À l’époque, il est en France depuis une année et travaille déjà comme
vigile. Au petit matin, un collègue lui propose de le ramener. Monsieur K.
s’endort dans la voiture conduite par son collègue. Cette voiture, quelques
kilomètres plus loin, va s’encastrer sous un camion. Monsieur K effectue un
mois de coma et s’en sort avec de nombreuses fractures ainsi qu’une
commotion cérébrale. Sa bonne santé physique, son énergie vitale, une
rééducation intensive et un soutien psychologique lui permettent à l’époque
de rapidement se rétablir.
Nous allons passer un grand nombre de séances à différencier ces deux
accidents, à les réinscrire dans une temporalité, à reconstruire un discours qui
fera sens pour lui. Le plus difficile a été de remettre en mouvement le
traumatisme traduit par le bruit de la voiture qui accélère et l’odeur de la peau
brûlée qui ne le quittent pas, qui l’empêchent de dormir, le font sursauter
dans la rue, et l’obligent à se terrer chez lui, lui qui était un homme habitué au
public.
Au fil de ces séances, il retrouve un peu le sommeil et conserve comme
seule trace de son vécu une hypersensibilité au bruit.

8. COMPRÉHENSION ET ANALYSE
La rencontre de Monsieur K s’est faite au fil de l’éveil, au fil de ses
capacités à se réapproprier une sensorialité, une parole. Pour accompagner
monsieur K, il a fallu « être là », au plus proche de son rythme. Il a fallu
également entendre le discours des soignants, leurs résistances compte tenu
de « son geste », ce bras tendu de défi devant la voiture devenu bras tendu
pour se protéger et main tendue pour demander de l’aide. Le dispositif a donc
varié selon son état de santé, en s’accordant aux mouvements de son corps et
au rythme des soins. Il a également été amené à changer de lieu : de la
chambre du patient nous sommes passés à la salle d’entretien de la
réanimation. Ces variations autour du cadre ont été l’occasion pour monsieur
K de revivre les entrées et sorties de la réanimation, interrogeant par là le
processus thérapeutique en cours (A. Abella, 2015).
La pulsionnalité et l’impulsivité de Monsieur K lui ont très certainement
joué un tour, le faisant oublier, l’espace d’un instant, les autres et le monde
qui l’entoure. Cet instant a été tragique pour lui : heurté par cette voiture il ne
gardera comme souvenir que l’expérience perceptive et sensorielle de cette
peau brûlée et le son de cette accélération de moteur. Ses perceptions vont
évoluer au fil de séances, montrant la manière dont il va se réapproprier son
corps en l’inscrivant dans une histoire. Les mots étaient rares au début, puis
son discours s’est enrichi, mais des points d’ancrages, des télescopages
(R. Minjard, 2014) sont restés, bien précis.
Notre rencontre lui a permis d’abord de ne pas rester seul avec cet
événement ainsi qu’avec ce service et son fonctionnement. Ces rencontres,
aussi brèves fussent-elles, lui ont permis de donner du sens, et de comprendre
ce qui dans cet instant s’est joué pour lui.
Ce patient a fait l’objet d’une présentation en équipe dans laquelle le rôle
du psychologue a été de désengager le jugement moral pour faire réémerger
l’homme, le sujet dans sa complexité. C’est alors qu’il m’a fallu prendre soin
des soignants autant que du patient (A. Mimouni, R. Scelles, 2013). Les
peaux fragiles des soignants demandent à être pare-excitées, contenues dans
leurs inquiétudes.
L’émergence du premier accident a été déjà un premier pas vers le
désemboîtement du traumatisme. Le premier accident qu’il n’a pas pu voir
venir puisqu’il dormait fait écho à cette position de passivité insupportable
pour lui dans laquelle il se trouve au moment de son réveil – les mains
attachées à son lit – comme lorsqu’il était coincé sous cette voiture. Cette
passivité vient directement en écho avec son impulsivité. Cette impulsivité se
représente de nombreuses fois au cours des séances dans lesquelles il doit se
lever et mimer par des gestes les combats qu’il a pu faire, montrer les
cicatrices sur son corps, les décalages entre un os de l’épaule et l’autre,
remettre en scène, répéter le moment du choc lors de ce dernier accident.
Mon travail a été de contenir, de mettre des mots sur ce corps qui se dénudait
devant moi, de chercher avec le patient à différencier les cicatrices à la
manière d’une mère qui écoute son enfant raconter l’histoire de la blessure
contenue dans une cicatrice au genou.
Son corps est devenu une carte sur laquelle s’est inscrite la trajectoire de
son histoire de vie de jeune homme jardinant dans la maison familiale à ce
respectable homme connu de tous et toutes du milieu de la nuit. Lors de nos
rencontres, Monsieur K effectue un travail de mémoire (R. Minjard, 2014).
Ce travail est tout à fait empreint de ses mouvements corporels. Il ne me
ménage pas. Son impulsivité va jusqu’à m’effrayer, même si elle ne se dirige
jamais contre moi.
Cet accident le porte à une réflexion concernant son âge et son rapport aux
femmes. Il évite ces dernières avec des sentiments de honte et de colère plus
présents depuis le deuxième accident. Il se sent étouffer lorsqu’elles se
rapprochent de lui et il en perd son érection.
Le bruit de l’accélération, qui ne le lâche pas, nous permet d’associer
également avec une vie « sans arrêt » associée à son travail « jour et nuit ».
Monsieur K avait déjà eu l’idée d’une reconversion mais s’était trouvé face à
la crainte de ne pas savoir quoi faire. Son niveau de français n’étant pas
suffisant, il ne pouvait se reconvertir ailleurs que dans un travail manuel.
C’est du moins ce qu’il pensait. Il se trouve, quelque temps avant l’accident,
perturbé par ces réflexions. Très soucieux de donner à sa fille toutes ses
chances, il enchaîne les missions sans compter sa peine.
Pour garder la métaphore, sa peau était usée, malmenée depuis de
nombreuses années. Monsieur K le savait, le sentait, mais ne pouvait
s’autoriser à effectuer un quelconque changement. La traversée de cette
épreuve a servi d’injonction pour qu’il arrête son travail. Il associe cette
percée de ciel bleu à la fois à sa fille mais aussi, dans notre rencontre, à cet
espace de parole pour lui, espace dans lequel se croisent ses pensées et une
sensorialité souvent complexe, parfois décalée.
CONCLUSION

L ’entretien clinique a été abordé, au fil de ces pages, sous toutes ses
formes et à travers un nombre important de situations distinctes. Chaque
chapitre s’est efforcé de souligner une ou plusieurs caractéristiques
relevant à la fois de la démarche clinique elle-même et de la rencontre en
face à face avec un sujet ou un groupe familial, en prenant comme outil
principal la parole.
Nous avons vu combien il était important de différencier les types
d’entretien clinique en fonction des âges de la vie. La personne du bébé est à
prendre en compte de manière directe dans l’entretien avec la mère ou les
deux parents. Les modes de communication primaire interfèrent à ce niveau
avec les données classiques du dialogue et viennent vectoriser de manière
singulière les échanges avec le clinicien. Avec l’ enfant qui a acquis le
langage, nous avons vu que la rencontre était possible à condition de se
mettre sensoriellement et cognitivement en phase avec lui. Ce dernier devient
capable de s’exprimer durant l’entretien par le truchement de médiations
telles que le dessin et le jeu. Nous nous sommes centrés essentiellement sur
les conditions de l’entretien qui favorisent l’ autonomisation de l’ enfant. Il
est évident que de plus amples développements sont nécessaires pour
déployer toute la richesse et la complexité du travail thérapeutique avec l’
enfant. Entre la sortie de l’infans et la fin de la période de latence, nombre de
situations différentes demandent à être analysées pour mettre en évidence la
créativité et la maturation propres à chacun des stades de l’évolution
psychique. L’entretien avec l’ adolescent a été abordé et analysé sur quelques
situations concrètes qui pourront être complétées par la lecture des recherches
spécifiques consacrées au parcours adolescent. Enfin, nous avons tenu à
réserver un chapitre à la question de l’entretien avec le sujet âgé, car la
demande clinique tend à s’accroître dans les établissements spécialisés et l’on
découvre aujourd’hui, de plus en plus, combien le soin psychique est
indispensable pour cette population, aussi bien dans les résidences
spécialisées que dans les unités hospitalières.
Il était aussi important à nos yeux de consacrer quelques réflexions à l’
adaptation de l’entretien aux différents styles institutionnels. En effet, ce n’est
pas la même chose d’écouter un sujet souffrant dans le cadre de l’hôpital
général ou de l’hôpital psychiatrique, à l’intérieur d’une prison, d’un centre
de consultation spécialisé au niveau des addictions ou d’un service
d’urgences. On n’insistera jamais assez sur la nécessité de prendre en compte
ces différences de spécialisation. Le psychologue clinicien travaille avec des
équipes soignantes dont les exigences propres sont très marquées et il est
amené, non pas à se métamorphoser, mais à avoir une écoute clinique de ces
différences et à les intégrer de manière créative et dynamique dans la pratique
qui est la sienne. D’où l’importance du concept de cadre interne que nous
avons développé au cours de la première partie. Ainsi, le psychologue
clinicien trouve en lui les moyens de s’intégrer au sein de chaque lieu
institutionnel, sans y perdre ni ses principes théoriques ni ses compétences
praticiennes. Dans un lieu comme la prison ou dans des lieux qui ne sont pas
consacrés spécialement au soin, mais où sa place est rendue importante à
cause des difficultés inhérentes aux conditions de travail, le psychologue
clinicien a, avec l’entretien, l’outil le plus adéquat pour répondre aux
demandes qui lui sont faites par les lieux professionnels où il est inséré.
L’entretien clinique, par sa souplesse et son cadre même, peut prendre une
place centrale au sein d’une pratique clinicienne justement décentrée par
rapport à ses fonctionnements traditionnels.
Étudier et analyser des situations concrètes a mis en évidence la singularité
et la complexité de chaque cas. Même si parfois la thématique est semblable,
on découvre que la signification d’éléments similaires est radicalement
différente selon le contexte familial ou selon la problématique personnelle.
Ainsi, certains des cas présentés dans l’ouvrage ont montré la diversité de
l’implication adolescente dans les conduites toxicomanes. La sensibilité
clinique se forme à l’ écoute spécifique des différences, par-delà les données
basiques communes du fonctionnement psychique. Comme le souligne Freud
à propos du rêve, il existe une symbolique repérable, mais chacun la module
en fonction des circonstances extérieures et de sa propre histoire. Aussi ne
peut-il pas y avoir d’ interprétation unique, mais forcément des lectures
multiples et polysémiques selon l’ unicité de chaque situation individuelle. La
réalité psychique est si complexe et si dense qu’elle nécessite des approches
diversifiées et multifocales au sein desquelles cependant l’entretien occupe
toujours une place privilégiée.
Pour étendu qu’il soit et malgré l’ampleur des situations traitées, cet
ouvrage ne saurait prétendre à l’exhaustivité. De nombreuses situations, dans
lesquelles le clinicien déploie son activité professionnelle, restent encore à
explorer. Elles feront l’ objet de recherches ultérieures mettant en lumière
toute la fécondité de la méthode d’entretien que la créativité et la souplesse d’
adaptation de la démarche clinique d’inspiration psychanalytique permet.
BIBLIOGRAPHIE

A BELLA A. (2015), « Différentes conceptions du cadre en psychanalyse et en


psychothérapie », in Le Carnet Psy, 194, 29-35.
A BRAHAM N., T OROK M. (1978), L’Écorce et le noyau, Paris, Flammarion.
A ISENSTEIN M. (1991), « Entre psychanalyse et besoin de guérison : le
modèle du psychodrame ouvre-t-il une voie pour aborder des patients
somatiques ? », in Revue française de psychanalyse, 55, 3, 647-658.
A NDRÉ-F USTIER F., A UBERTEL F., J OUBERT Ch. (1994), « Écouter la
souffrance familiale », in Gruppo, 10, 28-40.
A NZIEU D. (1975), Le Groupe et l’inconscient, Paris, Dunod.
A NZIEU D. (1985), Le Moi-Peau, Paris, Dunod.
A NZIEU D. et coll. (1987), Les Enveloppes psychiques, Paris, Dunod.
A NZIEU A. et coll. (1996), Le Travail du dessin en psychothérapie de
l’enfant, Paris, Dunod.
A SSOUN P.-L. (1983), « Le vieillissement saisi par la psychanalyse », in
Communications, 37, 167-180.
A TTIGUI P. (1993a), De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique, Jeu,
transfert et psychose, Paris, Denoël.
A TTIGUI P. (1993b), « Théâtre du réel », in L’Évolution Psychiatrique, 58, 2,
303-310.
A TTIGUI P. (1998), « Quand le jeu théâtral ouvre l’espace thérapeutique »,
L’art questionne la psychanalyse, in Art et Thérapie, Paris, 74-87.
A TTIGUI P. (2003), « Le sexuel.com ? Une activation technologique du
fantasme », in Actes du Congrès du LASI, Le virtuel : la présence de
l’absent, Paris, EDK. coll. Pluriels de la psyché, 2001, 75-86.
A TTIGUI P., C UKIER A. et coll. (2011), Les Paradoxes de l’empathie.
Philosophie, psychanalyse, sciences sociales , Paris, Éd. du CNRS.
A UBERTEL F. (1997), « Le “patient famille” en consultation », in L’Enfant et
sa famille, entre pédagogie et psychanalyse, Ramonville Saint-Agne, Erès,
179-186.
A UBERTEL F. (2007), « Censure, idéologie, transmission et liens familiaux »,
in L EMAIRE J.-G. et coll., L’Inconscient dans la famille, Paris, Dunod, 135-
188.
A ULAGNIER P. (1975), La Violence de l’interprétation. Du pictogramme à
l’énoncé , Paris, PUF.
A ULAGNIER P. (1979), Les Destins du plaisir. Aliénation, amour, passion ,
Paris, PUF.
A ULAGNIER P. (1984), L’Apprenti historien et le maître sorcier, Paris, PUF.
B ALIER C. (1976), « Éléments pour une théorie narcissique du
vieillissement », in Cahiers de gérontologie, Fondation nationale de
gérontologie.
B ALIER C. (1988), Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF.
B ALINT M. (1955), Le Médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot.
B ÉGOIN-G UIGNARD F. (1991), « Identification projective et identité de
groupe », in Journal de la psychanalyse de l’enfant, 10, 23-45.
B ERENSTEIN I., P UGET J. (2008), Psychanalyse du lien, Ramonville Saint-
Agne, Erès.
B INSWANGER L. (1933), Sur la fuite des idées, Grenoble, Éditions Jérôme
Millon, 2000.
B ION W.R. (1962), Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1979.
B ION W.R. (1965), Recherche sur les petits groupes, Paris, PUF.
B ION W.R. (1965), Transformations, passage de l’apprentissage à la
croissance, Paris, PUF.
B ION W.R. (1970), L’Attention et l’interprétation, Paris, Payot.
B ION W. R. (1977), « Sans titre », in Pensée sauvage. Pensée apprivoisée,
Paris, Ed. du Hublot, 1998.
B ION W.R. (1987), Séminaires cliniques, Paris, Les Éditions d’Ithaque, 2008.
B ION W.-R. (2003), Aux sources de l’expérience, trad. de l’anglais par
François Robert, Paris, PUF.
B IRRAUX A. (1994), « De l’objet culturel », Adolescence, 27, t. 14, 114-119.
B LÉGER J. (1966), « Psychanalyse du cadre psychanalytique », in K AES R. et
coll. (1979), Crise, rupture, dépassement, Paris, Dunod, 257-276.
B LOS P. (1997), « Adolescence et second processus d’individuation », in P
ERRET-
B OLLAS Ch. (1989), « L’objet transformationnel », in Revue française de
psychanalyse, 53 (4), 1181-1199.
B OWLBY J. (1969), Attachement et perte, Paris, PUF.
B ÖSZÖRMENYI N AGY I., K RASNER B. (1986), Between Give and Take,
Brunner-Mazel.
B RACONNIER A. (1986), « La dépression à l’adolescence : un avatar de la
transformation de l’objet d’amour », Adolescence, 4, 2, 263-273
B RUN A., C HOUVIER B. (2010), La Sexualité infantile, Paris, Dunod.
B RUSSET B. (1998), Psychopathologie de l’anorexie mentale, Paris, Dunod.
B RUSSET B. (2005), Psychanalyse du lien. Les relations d’objet , Paris, PUF.
C AHN R. (1985), « Les déliaisons dangereuses : du risque psychotique à
l’adolescence », Topique, 35-36, 182-205.
C AHN R. (1997), « Le processus de subjectivation », in P ERRET-C ATIPOVIC
M. et L ADAME F., Adolescence et psychanalyse : une histoire, Lausanne,
Delachaux et Niestlé, 213-227.
C AHN R. (1998), L’Adolescent dans la psychanalyse, Paris, PUF.
C AILLOT J.-P., D ECHERF G. (1982), Thérapie familiale psychanalytique et
paradoxalité, Paris, Clancier.
C AILLOT J.-P., D ECHERF G. (1984), « Le cadre de la thérapie familiale
psychanalytique », in Revue française de psychanalyse, 48, 6, Paris, PUF.
C AILLOT J.-P., D ECHERF G. (1989), Psychanalyse du couple et de la famille,
Paris, APG.
C ASTORIADIS-A ULAGNIER P. (1976), « Le droit au secret : condition pour
pouvoir penser », in Nouvelle Revue de psychanalyse, 14, Paris, Gallimard,
141-158.
C ÉLÉRIER M.-C. (1989), Corps et fantasme. Pathologie du psychosomatique ,
Paris, Dunod.
C ÉLÉRIER M.-C. (1997), Psychothérapie des troubles somatiques, Paris,
Dunod.
C HABERT C. (2003), Le Féminin mélancolique, Paris, PUF.
C HARAVEL M. (2002), « Participation des patientes au choix thérapeutique en
cancérologie », in D UMET N., B ROYER G. et coll., Avoir ou être un corps ? ,
Lyon-Limonest, L’interdisciplinaire, 63-70.
C HARAZAC P.-M. (2009), Soigner la maladie d’Alzheimer, Paris, Dunod.
C HOUVIER B. (1996), « Une alliance paradoxale : L’adolescent et le passage
par la secte », Adolescence, 27, 133-148.
C HOUVIER B. (2008), Cinq cas cliniques en psychopathologie de l’enfant,
Paris, Dunod.
C HOUVIER B. (2009), Les Fanatiques, Paris, Odile Jacob.
C HOUVIER B., R OUSSILLON R. et coll. (2008), Corps, acte, et symbolisation,
Bruxelles, De Boeck.
C HOUVIER B. et coll. (1998), Symbolisation et processus de création, Paris,
Dunod.
C HOUVIER B. et coll. (2002), Les Processus psychiques de la médiation,
Paris, Dunod.
C IAVALDINI A. (2005), « L’agir, un affect inachevé », in B OUHSIRA J., P ARAT
H. et coll., L’Affect, Paris, PUF, 137-161.
C ICCONE A. (1998), L’Observation clinique, Paris, Dunod.
C ICCONE A. (1999), La Transmission psychique inconsciente. Identification
projective et fantasme de transmission , Paris, Dunod.
C ICCONE A. et coll. (2012), La part bébé du soi – Approche clinique, Paris,
Dunod.
Conférence de consensus (2001), La Crise suicidaire est une crise psychique
dont le risque majeur est le suicide, Montrouge, J. Libbey, Eurotext.
C ORCOS M. (2005), Le Corps insoumis. Psychopathologie des troubles des
conduites alimentaires , Paris, Dunod.
C OSNIER J., C HARAVEL M. (1996), « Développement théorico-clinique du
concept d’épigénèse interactionnelle », in Psychiatrie française, XXIX, 3,
79-87, 1998.
C OURTY B. (2007), « Skateboard et adolescence », Adolescence, 2007/3, t.
25, p. 691-698.
C RAMER B., P ALACIO-E SPASA F. (1993), La Pratique des psychothérapies
mère-bébé, Paris, PUF.
C UYNET P. (2005), « L’image inconsciente du corps familial », in Le Divan
familial, 15, Paris, In Press.
D AVID Ch. (1971), L’État amoureux, Paris, PBP.
D AVOINE F., G AUDILLIERE J.-M. (2006), Histoire et trauma. La folie des
guerres , Paris, Stock.
D EBRAY R. (2001), Épître à ceux qui somatisent, Paris, PUF.
D EJOURS C. (1989), Recherches psychanalytiques sur le corps. Répression et
subversion en psychosomatique , Paris, Payot.
D EJOURS C. (2001), Le Corps, d’abord, Paris, Payot.
D EJOURS C. (2009), Les Dissonances du corps, Paris, Payot.
D ELEUZE G. (1983), L’image-mouvement, Paris, Editions de Minuit.
D EL V OLGO M.-J. (1997), L’Instant de dire, Ramonville Saint-Agne, Erès.
D ESPRATS-P EQUIGNOT C. (2005), « Fascination », in Dictionnaire
international de psychanalyse, sous la dir. de A. de M IJOLLA, Paris, Hachette
Littératures, 613.
D EVEREUX G. (1972), Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris,
Flammarion.
D ONNET J.-L. (2005), La Situation analysante, Paris, PUF.
D OUCET C. (2008), Le psychologue en service de médecine, Paris, Masson.
D UBOR P. (1996), « Le cadre à “géométrie variable” », in Nouvelle Revue de
Psychanalyse, 1996/2, 401-428.
D UMET N. (2002), Clinique des troubles psychosomatiques. Approche
psychanalytique , Paris, Dunod.
D UMET N. (2004), « Le corps du thérapeute, lieu d’actualisation transféro-
contre transférentielle », in Filigrane, 13, 2, 81-95.
D UMET N. (2011), « Corps et contre-transfert en psychanalyse : quelles
idéologies à l’œuvre ? La théorie à l’épreuve de la clinique », in Cahiers de
psychologie clinique, 36, 167-189.
D UMET N., R OUSSET H. (2011), Soigner ou guérir ? , Toulouse, Erès.
D UPARC F. (1997), « Hallucination négative, formes motrices et procédés
autocalmants », in Cliniques psychosomatiques, Monographies de la Revue
française de psychanalyse, 91-115.
E IGUER A. (1983), Un divan pour la famille, Paris, Le Centurion.
E IGUER A. (1984), « Le lien d’alliance, la psychanalyse et la thérapie de
couple », in La Thérapie psychanalytique du couple, Paris, Dunod, 1-83.
E IGUER A. (1989), Le Pervers narcissique et son complice, Paris, Dunod.
E IGUER A. (2004), L’Inconscient de la maison, Paris, Dunod.
F AIN M., B RAUNSCHWEIG-D EMAY D. (1975), La Nuit, le jour : essai
psychanalytique sur le fonctionnement mental, Paris, PUF.
F EDERN P. (1979), La Psychologie du moi et les Psychoses, Paris, PUF.
F EDIDA P. (2000), Par où commence le corps humain. Retour sur la
régression , Paris, PUF.
F ERENCZI S. (1926), « Fantasmes gullivériens », in Œuvres complètes, 3,
Paris, Payot, 410-427.
F ERRO A. (2004), Facteurs de maladie, Facteurs de guérison, Genèse de la
souffrance et cure psychanalytique, Paris, In Press.
F OUCAULT M. (1975), Surveiller et punir. Naissance de la prison , Paris,
Gallimard.
F REUD A. (1958), « L’adolescence », in L’enfant dans l’adolescence, Paris,
Gallimard, 1976, 244-266.
F REUD A. (1968), L’Enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard.
F REUD S. (1887-1902), La Naissance de la psychanalyse, Paris PUF.
F REUD S. (1890-1938), Résultats, Idées, Problèmes, Paris, PUF.
F REUD S. (1892-1893), « Un cas de guérison hypnotique avec des remarques
sur l’apparition de symptômes hystériques par la “contre-volonté” », in
Études sur l’hystérie, Paris, PUF.
F REUD S. (1895), « Esquisse d’une psychologie scientifique », in La
naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1969, 307-396.
F REUD S. (1904), La Technique psychanalytique, Paris, PUF.
F REUD S. (1905), Cinq Psychanalyses, Paris, PUF.
F REUD S. (1905), Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Paris, PUF.
F REUD S. (1905), « Les reconfigurations de la puberté », in Trois essais sur
la théorie sexuelle, Œuvres complètes, VI, Paris, PUF, 2006, 145-181.
F REUD S. (1907), Névrose, Psychose et Perversion, Paris, PUF.
F REUD S. (1914), « Remémoration, répétition et perlaboration », in La
technique psychanalytique, trad. de l’allemand par Janine Altounian et al.,
Paris, PUF, 2 e éd., 2010.
F REUD S. (1918), « Le tabou de la virginité » (« Das Tabu der Virginität »),
in La vie sexuelle, trad. de l’allemand par Denise Berger, Jean Laplanche et
coll., Paris, PUF, 2004, 66.
F REUD S. (1919), L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard.
F REUD S. (1921), « Psychologie des foules et analyse du moi », in Essais de
psychanalyse, Paris, Payot.
F REUD S. (1923b), « Le Moi et le Ça », in Essais de psychanalyse, trad. fr.,
1981, Paris, Payot, 2001.
F REUD S. (1926), Inhibition, Symptôme et Angoisse, Paris, PUF.
F REUD S. (1936), « Un trouble de mémoire sur l’Acropole », lettre à Romain
Rolland, in Correspondance 1923-1936, Paris, PUF, 1993.
F REUD S. (1938), Abrégé de psychanalyse, trad. A. Berman, Paris, PUF.
F REUD S. (1939), L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris,
Gallimard.
F REUD S. (1940), Métapsychologie, Paris, Gallimard.
G AZENGEL J. (2014), Vivre en réanimation ; Lazare ou « le prix à payer »,
Paris, L’Harmattan.
G ARCIA B ADARACCO J.-E. (1999), Psychanalyse multifamiliale. La
communauté thérapeutique psychanalytique à structure familiale multiple ,
Paris, PUF.
G ÉBEROVICH F. (2003), No satisfaction. Psychanalyse du toxicomane , Paris,
Albin Michel.
G IBBAL J.-M. (1982), Tambours d’eau. Journal et enquête sur un culte de
possession au Mali occidental , Paris, Éd. Le Sycomore.
G IMENEZ G. (2002), « Les objets de relation », in C HOUVIER B. et coll., Les
Processus psychiques de la médiation, Paris, Dunod.
G IMENEZ G. (2003), « L’objet de relation dans la thérapie individuelle et
groupale de patients schizophrènes », Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe, 2003/2, 44.
G OFFMAN E. (1961), Asiles. Études sur la condition sociale des malades
mentaux , Paris, Éd. de Minuit.
G OFFMANN I. (1959), La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éd. de
Minuit.
G ORI R., D EL V OLGO M.-J. (2005), La Santé totalitaire. Essai sur la
médicalisation de l’existence , Paris, Denoël.
G ORI R., D EL V OLGO M.-J. (2008), Exilés de l’intime, Paris, Denoël.
G RANJON E. (1989), « Héritage généalogique, famille et thérapie familiale
analytique », in Cahiers de psychologie clinique, Grenoble, 59-68.
G RANJON E. (2005), « L’enveloppe généalogique familiale », in D ECHERF
G., D ARCHIS E., Crises familiales : violence et reconstruction, Paris, In
Press, 69-86.
G REEN A. (1974), « L’analyste, la symbolisation et l’absence dans le cadre
analytique », in Nouvelle Revue de psychanalyse, 10.
G REEN A. (1982), « La double limite », in Nouvelle Revue de psychanalyse,
25.
G REEN A. (1999), « Passivité-passivation : jouissance et détresse », in Revue
française de psychanalyse, 53, 5.
G REEN A. (2006), « L’analyste, la symbolisation et l’absence de cadre
analytique », La folie privée. Paris, Folio essais, 93.
G ROSCLAUDE M. (2002), Réanimation et coma. Soin psychique et vécu du
patient, Paris, Masson.
G UEDENEY A., B UNGENER C., W IDLÖCHER D. (1993) : « Le post-partum
blues : une revue critique de la littérature », in La Psychiatrie de l’enfant,
36 (1) : 329-354.
G UILLAUMIN J. (1968), « La signification scientifique de la psychologie
clinique », in Bulletin de psychologie, 270, 21, 936-949.
G UILLAUMIN J. (1985), « Besoin de traumatisme et adolescence. Hypothèse
psychanalytique sur une dimension cachée de l’instinct de vie »,
Adolescence, 3, 1, 127-137.
G UILLAUMIN J. (2001), Adolescence et Désenchantement, Paris, L’Esprit du
temps.
G UTTON P. (1991), « La scène pubertaire aura-t-elle lieu ? », Adolescence, 9,
1, 61-81.
G UTTON P. (2003), Le pubertaire, Paris, PUF, Quadrige.
G UTTON P. (2008), Le génie adolescent, Paris, Odile Jacob.
H EIDEGGER M. (1962), « L’origine de l’œuvre d’art », in Chemins qui ne
mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1986.
H OUZEL D. et coll. (2000), Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et
de l’adolescent, Paris, PUF.
I KOR R., (1981), Je porte plainte, Paris, Albin Michel.
J AITIN R. (2006) , Clinique de l’inceste fraternel, Paris, Dunod.
J EAMMET P. (1997), « La violence à l’adolescence. Défense identitaire et
processus de figuration », Adolescence, 15, 2, 1-26.
J EAMMET P. (2000), « Les conduites addictives : un pansement pour la
psyché », in L E P OULICHET S. et coll., Les addictions, Monographie de
psychopathologie, Paris, PUF, 93-108.
J EAMMET P. (2002), « Spécificité de la psychothérapie psychanalytique à
l’adolescence », Psychothérapies, 22, 2, 77-87.
J ONES E. (1922). « L’adolescence et quelques-uns de ses problèmes », in
Théorie et pratique de la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, 357-371.
J OUBERT Ch. (2002), « Le destin du traumatique dans le générationnel en
thérapie familiale psychanalytique », in Perspectives psychiatriques, 41, 2,
109-112.
J OUBERT Ch. (2002), « Le destin du traumatique dans le générationnel en
thérapie familiale psychanalytique », Perspectives psychiatriques, vol. 41, n
o 2, 109-112.

J OUBERT Ch. (2005), « L’évolution du lien en thérapie familiale


psychanalytique », in Le Divan familial, 14, in Press, 111-122
J OUBERT Ch. (2006), « La haine, un organisateur du lien familial », in D
ECHERF G., B LANCHARD A.M. et D ARCHIS E., Amour, haine et tyrannie dans
la famille, Paris, In Press, 195-203.
J OUBERT Ch. (2007), « Le rôle du transgénérationnel dans le lien de couple »,
Le Divan familial, 18, 69-79.
J OUBERT Ch., D URASTANTE R. (2008), « Le cadre en tuilage : place et
reconnaissance de l’adolescent en famille », in Le Divan familial, 21, 67-80.
J OUBERT Ch. (2010), « La transmission : une violence nécessaire dans les
liens », in Le Divan familial, 24, in Press, 71-82
K AËS R. (1976), L’Appareil psychique groupal. Constructions du groupe ,
Paris, Dunod.
K AËS R. (1993), Le Groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod.
K AËS R. (1995), Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels,
Paris, Dunod.
K AËS R. et coll. (1979), Crise, Rupture, Dépassement, Paris, Dunod.
K AËS R. et coll. (2003), Transmission de la vie psychique entre générations,
Paris, Dunod.
K ESTEMBERG E. (1962), « L’identité et l’identification chez les adolescents ».
Problèmes théoriques et techniques, La psychiatrie de l’enfant, 5, 2, 441-522.
K LEIN M. (1921-1945), Essais de psychanalyse, Paris, Payot.
K LEIN M. (1932), La Psychanalyse des enfants, Paris, PUF.
K LEIN M. (1946). « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes », in
Développements de la psychanalyse, Paris, PUF, 274-300.
K REISLER L., F AIN M., S OULE M. (1999), L’Enfant et son corps, Paris, PUF.
K RISTEVA J. (1988), Étrangers à nous-mêmes, Paris, Fayard.
L ACAN J. (1953), Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud,
Paris, Seuil.
L ACAN J. (1955), Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil.
L ACAN J. (1966), Écrits, Paris, Seuil.
L ACAN J. (1975-1976), Le Séminaire, livre XXIII. Le synthome , Paris, Seuil,
2005.
L AGACHE D. (1947), « Le psychologue et le criminel », in Œuvres, tome 2,
Paris, PUF (1984).
L APLANCHE J. (1987), Nouveaux Fondements pour la psychanalyse, Paris,
PUF.
L AUFER M. (1983), « The Breakdown », Adolescence, 1, 1, 63-70.
L AUFER M., L AUFER M.-E. (1984). Adolescence et rupture du développement
, Paris, PUF.
L E G OUES G. (1991), Le Psychanalyste et le vieillard, Paris, PUF.
L E P OULICHET S. (1987), Toxicomanie et psychanalyse, Les narcoses du
désir, Paris, PUF.
L EBOVICI S., S TOLÉRU S. (1983), Le Nourrisson, sa mère et le psychanalyste.
Paris, Paidos, Bayard Presse.
L ESOURD S. (2001), Le féminin : un concept adolescent ? , sous la dir. de
S. Lesourd, Ramonville-Saint-Agne, Erès.
L HUILIER D. (2000), « La santé en prison : permanence et changement », in
La Prison en changement, Ramonville Saint-Agne, Eres, 187-216.
L ITTLE M. (1986) « Un témoignage – en analyse avec Winnicott », in
Nouvelle Revue de psychanalyse, 33, Paris, Gallimard.
M’U ZAN M. de (1977), De l’art à la mort, Paris, Gallimard.
M AC D OUGALL J. (1982), Théâtres du je, Paris, Gallimard.
M AC D OUGALL J. (1989), Théâtres du corps, Paris, Gallimard.
M AC D OUGALL J. (1996), Éros aux mille et un visages, Paris, Gallimard.
M ALE P. (1971), « Quelques aspects de la psychopathologie et de la
psychothérapie à l’adolescence », in La crise Juvénile, Œuvres complètes,
Paris, Payot, t. I, 1982.
M ARCELLI D. et B RACONNIER A. (2008), Adolescence et Psychopathologie,
Paris, Masson.
M ARTY F. (2003), L’Adolescence dans l’histoire de la psychanalyse, Paris, In
Press.
M ARTY F. et coll. (2004). L’adolescence dans l’histoire de la psychanalyse ,
Paris, In Press.
M ARTY F. et coll. (2007), Le Psychologue à l’hôpital, Paris, In Press.
M ARTY P. (1980), L’Ordre psychosomatique. Tome 2, « Désorganisations et
régressions », Paris, Payot.
M ARTY P. (1990), La Psychosomatique de l’adulte, Paris, PUF.
M ARTY P. (1991), Mentalisation et Psychosomatique, Paris, Les empêcheurs
de penser en rond.
M ARTY P., M’U ZAN P. de (1963), « La pensée opératoire », in Revue
française de psychanalyse, 27, 345-356.
M ATHIEU M. (1977), « Dont acte », in A NZIEU D. et coll., Psychanalyse et
langage, du corps à la parole, Paris, Dunod, 139-162.
M ERLE-B ÉRAL A.-M. (1994), Le Corps de la cure, Paris, PUF.
M IJOLLA A. de, S HENTOUB S.A. (1973), Pour une psychanalyse de
l’alcoolisme, Paris, Payot.
M ILNER M. (1955). « Le rôle de l’illusion dans la formation du symbole », tr.
fr. Revue française de psychanalyse, 1979, no 5-6, repris in CHOUVIER B. et
coll. (1998), Matière à symbolisation, Art, création et psychanalyse, Paris,
Delachaux et Niestlé.
M IMOUNI A., S CELLES R. (2013), « Psychologues en service d’éveil de
coma : complexité et diversité des missions », in Bulletin de Psychologie,
523, 77-85.
M INJARD R. (2014), L’éveil du coma. Approche psychanalytique , Paris,
Dunod.
M INJARD R. (2014), « Coma : une absence de soi à soi ? » in Cliniques
méditerranéennes, 89, 121-129.
M INJARD R. (2015), « Le travail de l’éveil : un psychologue en
réanimation » ? in C HAHRAOUI K ., L URENT A ., B IOY A. et al., Vulnérabilité
psychique et clinique de l’extrême en réanimation ? Paris, Duond.
M INJARD R., T ALPIN J.M., F ERRANT A. (2013), « Les familles en
réanimation : un soutien pour l’éveil de coma ? » in Dialogue, 199, 119-129.
M ISES R. (1990), Les Pathologies limites de l’enfance, Paris, PUF.
M ORHAIN Y., R OUSSILLON R. et coll. (2009), Actualités psychopathologiques
de l’adolescence, Bruxelles, De Boeck.
M OURY R., 1989, « L’emprise du visuel ou le déni de la perte », in M
ISSENARD A. et coll., Le Négatif. Figures et modalités , Paris, Dunod.
N ACHT S. et R ACAMIER P.-C. (1971), Guérir avec Freud, Paris, PBP.
N EAU F. (2005), « Masculin maniaque ? » in Psychologie clinique et
projective, 11.
N EMIAH J.-C., S IFNEOS P.-E. (1970), « Affect and Fantasy in Patients with
Psycho-somatic Disorders », in H ILL O.W. et coll., Modern Trends in
Psychosomatic Medicine 2, London, Butterworths, 26-34.
O GDEN T. (2007), « Enseigner la psychanalyse », in Année Psychanalytique
Internationale, 119-136.
P ARAT C. (1995), L’Affect partagé, Paris, PUF.
P ERUCHON M. (2011), La Maladie d’Alzheimer. Entre psychosomatique et
neuropsychanalyse. Nouvelles perspectives , Paris, Hermann.
P ICHON-R IVIÈRE E. (1971), De la psychanalyse à la psychologie sociale,
Buenos Aires, Galerna.
P ICHON-R IVIÈRE E. (1971), Théorie du lien, Paris, Erès.
P INEL J.-P. (1996), « La déliaison pathologique des liens institutionnels dans
les institutions de soins et de rééducation », in K AËS R., Souffrance et
psychopathologie des liens institutionnels, Paris, Dunod, 2005.
P IRLOT G. (2009), Psychanalyse des addictions, Paris, Armand Colin.
P IRLOT G., C ORCOS M. (2011), Qu’est-ce que l’alexithymie ? , Paris, Dunod.
P LOTON L. (2010), Ce que nous enseignent les malades d’Alzheimer, Lyon,
Chronique sociale.
Q UINODOZ D. (2002), Des mots qui touchent, Paris, PUF.
R ACAMIER P.-C. (1973), Le Psychanalyste sans divan, Paris, Payot.
R ACAMIER P.-C. (1992), Le Génie des origines, psychanalyse et psychoses,
Paris, Payot.
R EIK T. (1935). Le Psychologue surpris , Paris, Denoël.
R ICHARD F. (1998), Les troubles psychiques à l’adolescence, Paris, Dunod.
R ICHARD F. (2001), Le processus de subjectivation à l’adolescence, Paris,
Dunod.
R ICHARD F. (2012), « Les pathologies en extériorité : le sexuel en état
limite », Le Carnet Psy, 2012/2, n o 160, p. 30-35.
R ICHARD F., W AINRIB S. et coll. (2006), La Subjectivation, Paris, Dunod.
R IMBAUD A. (1871), Lettre du « Voyant », in Œuvres complètes, Paris,
Gallimard.
R OCHETTE J., M ELLIER D. (2007), « Transformation des souffrances de la
dyade mère-bébé dans la première année post-partum : stratégies préventives
pour un travail en réseau », in Devenir, vol. 19, 2, 81-108.
R OCHETTE-G UGLIELMI J. (2011), « La création de l’espace dyadique
fondamental : un, deux, trois, “Soleil” ! Variations sur le “soi-reflet” », in D
UGNAT M. et coll., Féminin, Masculin, Bébé, Toulouse, Erès.
R OGERS C. (1942), La Relation d’aide et la psychothérapie, Paris, ESF.
R OGERS C. (1973), Psychothérapies et relations humaines, Paris,
Neuwelaerts.
R OLLAND J.C. (1998), Guérir du mal d’aimer, Paris, Gallimard.
R OMAN P. (2004), « La violence sexuelle et le processus adolescent.
Dynamique des aménagements psychiques, des auteurs aux victimes de
violence sexuelle. L’apport des méthodes projectives », Psychologie clinique
et projective, 1, n o 10, 113-146.
R OOS C. (2011), « De faut pas en faux pas », in Actes de la 23e journée
d’études de l’ARAGP, Lyon, 15 janvier 2010, 34-47.
R OSENBLUM O., C ONQUY L., L ATOCH J., et coll., (2004), « La dépression
maternelle du post-partum, figure paradigmatique d’un dysfonctionnement
interactif affectif », in Perspectives psychiatriques, vol. 43, n o 3, 204-209.
R OUSSILLON R. (1991), Paradoxes et situations limites de la psychanalyse,
Paris, PUF.
R OUSSILLON R. (1995), Logiques et archéologiques du cadre
psychanalytique, Paris, PUF.
R OUSSILLON R. (1999), Agonie, clivage, symbolisation, Paris, PUF.
R OUSSILLON R. (2008), Le jeu et l’entre-je(u), Paris, PUF.
R OUSSILLON R. (2011), « Propositions pour une théorie des dispositifs
thérapeutiques à médiations » in A. B RUN, Les médiations thérapeutiques,
Ramonville-Saint-Agne, Erès, 21-35.
R OUSSILLON R. et coll. (2007), Manuel de psychologie et psychopathologie
clinique, Paris, Masson.
R UFFIOT A. et coll. (1981), La Thérapie familiale psychanalytique, Paris,
Dunod.
R UFFIOT A. (1984), « Le couple et l’amour. De l’originaire au groupal », in
La Thérapie psychanalytique du couple, Paris, Dunod, 85-146.
S CHOPENHAUER A. (1818), Métaphysique de l’amour, métaphysique de la
mort, Paris, Éd. Âge.
S CHORE A.N. (2001), « The Affects of Early Relational Trauma on Right
Brain Development, Affect Regulation, and Infant Mental Health » in Infant
Mental Health Journal, 22, 1-2.
S EARLES H. (1965), L’Effort pour rendre l’autre fou, Paris, Gallimard.
S EARLES H. (1973), Le Contre-transfert, Paris, Gallimard.
S IEGEL D.J. (2001), « Toward an Interpersonal Neurobiology of the
Developing Mind : Attachment, “Mindsight” and Neural Integration », in
Infant Mental Health Journal, 22, 67-96.
S POLJAR P. (2001), Problématique de la reconstruction du lien en service de
réanimation, thèse de psychologie, Paris, Université Paris-VII.
S TERN D.N. (1985), Le Monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF.
T ALPIN J.-M. (2005), Cinq Paradigmes cliniques du vieillissement, Paris,
Dunod.
T ALPIN J.-M. (2005), « La haine de la descendance ou le fantasme de la
bombe à retardement », in Le Divan familial, 15, 167-176.
T ALPIN J.-M. (2012), « L’intervention du psychologue auprès des familles »,
in V ERDON B. et coll., Cliniques du sujet âgé, Paris, Armand Colin.
T ALPIN J.-M. (2012), « La sexualité, entre renoncement et idéalisation », in
Gérontologie et société.
T ISSERON S. (1996), Secrets de famille, mode d’emploi, Paris, Ramsay.
T ORDO F. (2012), « Psychanalyse de l’action dans le jeu vidéo »,
Adolescence, 1 n o 79, 120.
T RONICK E.Z., W EINBERG M.K. (1998), « À propos des conséquences
toxiques psychiques de la dépression maternelle sur la régulation
émotionnelle mutuelle des interactions mère-bébé », in M AZET P., L EBOVICI
S. et coll. (1998), Psychiatrie périnatale, Paris, PUF.
V IROLE B. (2001), La complexité de soi, Paris, Charielleditions.
W IDLÖCHER D. et coll. (1994), Traité de psychopathologie, Paris, PUF.
W INNICOTT D.W. (1956), « La tendance antisociale », in Déprivation et
délinquance, Paris, Payot, 1994.
W INNICOTT D.W. (1962), « L’adolescence », in De la pédiatrie à la
psychanalyse, Paris, Broché, 1989, 398-408.
W INNICOTT D. W. (1969), De la pédiatrie à la psychanalyse, trad. de
l’anglais par Janine Kalmanovitch, Paris, Payot, 1989.
W INNICOTT D.W. (1969), De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot.
W INNICOTT D.W. (1971a), Jeu et réalité. L’espace potentiel , Paris,
Gallimard (1975).
W INNICOTT D.W. (1971b), La Consultation thérapeutique et l’enfant, Paris,
Gallimard (1979).
W INNICOTT D.W. (1972), La Crainte de l’effondrement et autres situations
cliniques, Paris, Gallimard (2000).
W INNICOTT D. W. (1988), Conversations ordinaires, trad. de l’anglais par
Brigitte Bost, Paris, Gallimard.
INDEX

A
Abréaction 1, 2
Abstinence 1, 2, 3, 4, 5
Accordage affectif 1, 2
Accordage intersubjectif 1
Accueil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Acte manqué 1
Adaptation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Addiction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Adolescent 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73
Affect 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68
Agir 1, 2, 3, 4, 5
Agonie 1, 2, 3, 4, 5
Agrippement 1
Alexithymie 1, 2, 3, 4
Alliance thérapeutique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Ambivalence 1, 2
Ancrage 1, 2, 3
Anéantissement 1, 2, 3, 4, 5
Angoisse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48
Angoisse archaïque 1, 2, 3, 4, 5
Appareil psychique familial 1
Appel au Surmoi 1
Appropriation subjective 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Après-coup 1, 2, 3, 4, 5
Asymétrie 1, 2, 3, 4
Attachement 1, 2, 3, 4
Attention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Attitude 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
Authenticité 1, 2, 3
Autonomie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Autonomisation 1, 2, 3, 4
Avant l’après-coup 1, 2, 3

B
Besoin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
Besoin du Moi 1
Bienveillance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Bisexualité psychique 1
Bonne distance 1

C
Ça 1, 2
Cadre externe 1, 2, 3, 4, 5, 6
Cadre groupal familial 1, 2, 3
Cadre interne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Capacité d’autonomie 1, 2, 3, 4, 5
Castration 1, 2, 3, 4
Choix d’objet 1, 2
Climat 1, 2, 3
Clivage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Clivage de l’objet 1, 2, 3
Clivage du moi 1, 2, 3
Co-présence 1
Communauté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Comportement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25
Compréhension 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20
Conduites ordaliques 1, 2, 3
Confiance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Confidentialité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Conflit 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Conflit de loyauté 1
Contenance 1, 2, 3, 4
Contexte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Contrat clinique 1
Contre-transfert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24
Contre-volonté 1, 2
Conviction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Corporéité 1, 2, 3
Corps 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70
Crainte de l’effondrement 1, 2, 3, 4
Créativité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Crise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22
Culpabilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9

D
Décharge 1, 2, 3, 4, 5
Décollement 1
Défaillance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Défenses 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Déficience 1, 2, 3
Déliaison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Délire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23
Demande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99
Démence 1, 2, 3, 4, 5, 6
Dénégation 1, 2, 3
Déni 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Dépendance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41
Déplacement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Dépression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Dépressivité 1, 2, 3
Désaffectation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Désaide 1
Désir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50
Dessin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44
Destructivité 1, 2, 3
Détention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Deuil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27
Dévoilement 1, 2, 3, 4, 5, 6
Diagnostic 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Différenciation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Discontinuité 1
Disponibilité 1, 2, 3, 4, 5
Dispositif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Distance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Double écoute 1, 2, 3, 4, 5
Drogue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27
Dyade 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Dynamique psychique 1
E
Écoute 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41
Effondrement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Effroi 1, 2, 3, 4, 5
Élaboration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Élocution 1, 2
Empathie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Empathie métaphorisante 1
Emprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Énaction 1
Enfant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153,
154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167,
168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181,
182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195,
196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209,
210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219
Entame 1, 2
Entre-deux 1, 2
Entretien directif 1, 2, 3
Entretien non directif 1, 2, 3
Entretien semi-directif 1, 2, 3
Époché clinique 1
Étayage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Étrangeté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Être en souffrance 1
Évaluation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Examen psychologique 1, 2, 3
Excitation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Exhibition 1
Exploration 1, 2, 3, 4, 5, 6
Expression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57
Expression ludique 1, 2, 3
Expressivité 1, 2, 3

F
Famille 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95
Fascination 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Féminin 1, 2, 3, 4, 5
Figuration 1
Fixation 1, 2, 3
Folie 1, 2, 3
Fonction alpha 1, 2
Fonction de signifiance 1
Fonction limitative 1, 2, 3
Fonction relationnelle 1
Fonction transitionnelle 1, 2
Fonctionnement familial 1, 2
Forum interne 1
Fratrie 1, 2, 3

G
Gériatrie 1
Gérontologie 1
Gratification 1
Groupalité 1
Groupe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44
Guérison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

H
Haine 1, 2, 3, 4, 5, 6
Historicisation 1
Historisation 1, 2
Honte 1, 2, 3, 4
Hospitalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33

I
Idéal 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Idéal du moi 1, 2, 3
Idéalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Identification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25
Identité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
Illusion 1
Imaginaire 1, 2, 3, 4, 5
Impensable 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Implication 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Implication réciproque 1, 2, 3
Incestuel 1, 2, 3
Inconscient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23
Incorporation 1, 2
Indication 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Infans 1, 2
Inhibition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Inquiétante étrangeté 1
Inscription 1
Insight 1
Interdit 1, 2, 3, 4
Intergénérationnel 1, 2
Intériorité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Interprétation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Intertransfert 1
Intervention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35
Intervision 1
Intimité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Intonation 1, 2, 3, 4
Introjection 1, 2
Intrusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Intuition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Investissement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44, 45

J
Jeu 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51

L
Langage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Liberté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Liberté associative 1
Lien 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139
Limite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Loi 1, 2, 3

M
Maîtrise 1, 2, 3
Malléabilité 1, 2
Médiation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Médical 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Mélancolie 1, 2, 3
Mentalisation 1, 2, 3
Métacadre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Milieu carcéral 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Mimo-gestuelle 1, 2, 3, 4
Mobilisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Moi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
Moi auxiliaire 1, 2
Moment opportun 1
Monde interne 1, 2, 3, 4, 5
Motricité 1, 2

N
Négatif 1
Neutralité bienveillante 1, 2, 3, 4, 5
Non-demande 1, 2, 3, 4
Norme 1, 2, 3

O
Objet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102
Objet interne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Orientation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16

P
Pacte dénégatif 1, 2, 3, 4
Pare-excitation 1, 2, 3
Parole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61
Parole libre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Partage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Passage à l’acte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Passage par l’acte 1, 2
Passivation 1, 2, 3, 4, 5
Passivité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Pathologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Pathologique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Pensée associative 1, 2
Perlaboration 1, 2, 3, 4
Persécution 1, 2
Perte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Phobie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Plaisir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26
Pluralité 1
Ponctuation 1, 2, 3, 4
Porte-parole 1, 2, 3, 4
Position clinicienne 1, 2, 3, 4
Position clinique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Position d’enfance 1, 2, 3, 4, 5, 6
Postséance 1, 2, 3, 4
Préoccupation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Présence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60
Présence institutionnelle 1
Prétransfert 1, 2, 3, 4, 5, 6
Principe de plaisir 1
Principe de réalité 1
Prison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Privatisation 1
Problème actuel 1, 2, 3, 4, 5
Psyché 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36
Psychose 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22
Psychosexualité 1
Pubertaire 1, 2, 3
Puberté 1, 2, 3
Pulsion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18

R
Rationalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Réalité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86
Réalité externe 1, 2, 3, 4
Réalité interne 1, 2
Réassurance 1
Recherche informative 1
Réel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Reformulation 1, 2, 3, 4, 5
Refoulement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Régression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Relance 1, 2, 3, 4, 5, 6
Relation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115
Relation d’objet 1, 2, 3
Relation thérapeutique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Remémoration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Rencontre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153,
154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165
Répétition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Représentation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41
Répression 1, 2, 3
Reprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Résistance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Restauration 1, 2, 3, 4, 5
Rite 1
Rythme 1, 2, 3, 4, 5

S
Savoir-être 1
Savoir-faire 1, 2
Savoir clinique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Savoir observer 1, 2, 3
Scénario 1, 2, 3, 4, 5
Secret 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Sensori-motricité 1
Sensorialité 1, 2, 3, 4
Setting 1, 2
Sexuel 1, 2, 3, 4
Sidération 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Signifiance 1, 2
Signification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Silence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49
Sollicitation 1, 2, 3
Somatisation 1, 2, 3, 4
Souffrance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55
Stimmung 1, 2, 3, 4, 5
Stupeur 1
Subjectivité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24
Suicide 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Surmoi 1, 2
Surprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Suspension du jugement 1
Symbiose 1
Symbolique 1
Symptôme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40
Syndrome de glissement 1, 2

T
Temporalité 1, 2, 3, 4, 5
Tentative de suicide 1, 2
Théâtre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Théorie du soin 1, 2, 3
Thérapie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46
Tiercéité 1
Tiers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Tolérance 1, 2, 3
Ton 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Tonalité initiale 1, 2
Totalité 1, 2, 3, 4, 5, 6
Toute-puissance 1, 2, 3
Toxicomanie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Toxique 1, 2, 3, 4, 5, 6
Traduction 1, 2
Transfert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62
Transgénérationnel 1, 2, 3, 4
Transitionnalité 1
Transmission psychique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Transmission psychique inconsciente 1, 2
Trauma 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Traumatisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Travail de nativité 1

U
Unicité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Utopie 1, 2, 3

V
Vérité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Vide 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Vieillissement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Notes
1 . Outre cet ouvrage, les éditions Armand Colin proposent dans la même collection L’ examen
psychologique au fil des âges, sous la direction de M. Ravit.
Notes
1 . . « On objectera à juste titre qu’une organisation qui est l’esclave du principe de plaisir et néglige la
réalité du monde extérieur ne pouvait subsister pour un laps de temps aussi bref soit-il, si bien qu’il ne
lui aurait même pas été possible de se former. Le recours à une fiction de ce genre se justifie
néanmoins, si l’on considère que le petit enfant – pour peu qu’on tienne compte aussi des soins qu’il
reçoit de sa mère – réalise presque un état mental de ce type. » Formulation concernant les deux
principes du fonctionnement psychique, Freud (1911).
2 . Nos propres recherches sur l’efficience d’un dispositif en réseau entre psychiatrie périnatale et
Protection maternelle infantile – PMI – (J. Rochette et D. Mellier, 2007) avec le suivi longitudinal de
52 dyades mère-bébé de la naissance à un an, notamment autour de la recherche des signes d’appel
dans le post-partum immédiat (PPI) d’un éventuel trouble de l’interaction à un an, sont parvenues aux
mêmes conclusions : les troubles thymiques « légers » et réversibles du PPI ne sont pas un signe
péjoratif pour l’établissement futur des premiers liens.
Notes
1 . Les research chemicals désignent de nouvelles substances psychoactives développées à partir de
diverses molécules composant des drogues illégales existantes. Leur fabrication, leur consommation et
leur vente sur internet sont en plein développement, notamment auprès des adolescents.
2 . Si Candice a effectivement quelques rondeurs, on ne peut pas parler d’un réel problème de poids.
3 . De même que les univers gothiques, qui soulignent souvent les dimensions transgénérationnelles. A
ce propos, le fait qu’il y ait dans ce rêve « des morts et des gens (qui) ont écrit des choses sur les murs »
pourrait aussi s’entendre de ce point de vue.
Notes
1 . Nous avons pris le parti de renvoyer aux travaux récents de ces auteurs, sauf pour C. Balier qui
changea de clinique.
2 . Nous renvoyons, pour les dimensions de la maladie et de l’hypochondrie, c’est-à-dire des discours
sur le corps, à nos articles de 2008 et 2012.
Notes
1 . Hormis en service de soins palliatifs.
2 . N’entend-on pas parfois parler d’un malade en termes de « le foie de la 36 » pour désigner le patient
de la chambre 36 ou pareillement « le cœur de la 22 », toutes expressions qui disent certes le
morcellement du sujet mais aussi les défenses des soignants à voir et penser l’humain – l’humain en
souffrance assurément – derrière cet organe foie ou cœur.
3 . La rencontre psychologique n’a en effet aucun caractère d’obligation et ne peut d’ailleurs être
conçue comme telle, en tout cas à l’hôpital général. Toutefois, du fait de la présence encore trop rare
sinon inexistante des psychologues en services hospitaliers, les patients ne sont pas incités à aller
chercher de l’aide psychologique.
4 . Ce qui contraste, déroge fortement d’avec certaine conception psychologique traditionnelle de
l’existence nécessaire d’une demande explicite, reconnue et surtout verbalisée, adressée au
professionnel. Aujourd’hui, face à de nombreuses personnalités carencées dans leur histoire et dans leur
autoréflexivité, si le clinicien ne vient pas à elles, alors elles risquent fort de rester répétitivement
confrontées à un objet désespérément absent et ne jamais pouvoir en conséquence bénéficier d’un
espace psychique propice à favoriser l’introspection.
5 . Même si ceux-ci ne sont pas aussi démunis que des nourrissons, ne serait-ce que sur le plan
langagier, encore que…
6 . L’ alexithymie désigne l’incapacité dans laquelle se trouve le sujet à discriminer ses émotions ou
états internes, à les communiquer.
7 . La « pensée opératoire » décrite par ces auteurs désigne une pensée concrète, tournée sur le factuel,
le présent, sans connexions associatives avec d’autres contenus psychiques ; elle est traduite par le
patient dans un langage pauvre et désaffectivé.
8 . Sans excès cependant, car il ne s’agit nullement pour le psychologue de remplir le vide du patient
par une surabondance de paroles, ce qui constituerait alors une activité défensive du praticien.
9 . À l’exception de dispositifs psychologiques spécifiques conçus pour le couple ou le groupe familial,
lesquels dispositifs incluent d’ailleurs un couple de thérapeutes.
Notes
1 . La compagnie du Toucan Bleu était la troupe que j’avais créée en 1982 dans un service de
psychiatrie adulte au CHG Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (93), troupe au sein de laquelle Adèle
avait tenu une place importante, incarnant le rôle éponyme de nombreuses mises en scène.
2 . Argan dans Le Malade imaginaire de Molière, Madame Boulingrin dans Les Boulingrins de
Courteline, la Maman dans L’Azote de René de Obaldia, Madame Follavoine dans On purge Bébé de
Feydeau, le chef d’orchestre dans Le Bastringue de Karl Valentin, Pistetairos dans Les Oiseaux
d’Aristophane…
3 . . « L’inquiétante familiarité » est une notion développée par F. Davoine et J.-M. Gaudillière
(2006).
4 . . « Ihre Klagen sind Anklagen. » Anklage, ancien terme juridique signifiant : mise en accusation,
plainte portée contre quelqu’un.
Notes
1 . Il faut noter que, suite à une tentative de suicide, tous les sujets n’ont pas recours aux services
d’urgence.
Notes
1 . Le Collectif PsyRea est une association créée en 2013 et constituée de psychologues cliniciens, de
praticiens, de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, d’orientation psychanalytique et
neuropsychologique et de psychologues en fin de formation universitaire. C'est un lieu d’échanges et de
formation théorico-pratique sur différents thèmes qui touchent l’accompagnement des patients et de
leurs proches, ainsi que la pratique soignante en réanimation. L'objet de ce groupe est de mieux former
les futurs psychologues amenés à travailler en service de médecine par une plus large compréhension
des pratiques soignantes de ces services en croisant les regards et les modèles des praticiens et des
théoriciens, en partageant sur les pratiques de différents services.
2 . La désinfection immobilise la chambre durant 3 heures avant qu’elle puisse être de nouveau utilisée.

Vous aimerez peut-être aussi