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ISBN : 978-2-200-61624-3
www.armand-colin.com
SOMMAIRE
Couverture
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1. Le savoir clinique
2. Les trois types d’entretien
3. Le savoir observer
4. Les interventions du psychologue
5. La prise en compte des défenses
6. Transfert et contre-transfert
7. La double écoute
1. Dépendance et autonomie
2. La quête de l’identité sexuelle
3. Traumatophilie et conduites ordaliques
4. L’idéalité et le groupe
5. La prise en charge et les lieux institutionnels
6. Situation clinique
8 L’entretien clinique et la psychothérapie de l’adolescent (Thomas
Rabeyron)
Introduction
1. L’agir adolescent
2. L’adolescent et la violence de l’environnement
3. La destructivité du cadre de l’entretien
4. Processus psychiques en jeu dans la relation transféro-contre-
transférentielle
5. La victimisation de l’adolescent en situation de violence
6. Pour une créativité dans la violence
10 L’entretien avec le sujet âgé (Jean-Marc Talpin)
1. Préambule
2. Les semblances du connu et la vérité du lointain
3. L’écrit clinique et le récit du cas
4. Le transfert au cœur de l’entretien
5. De la crainte de l’effondrement à l’inquiétante familiarité
6. L’entretien, lieu de construction de l’espace psychique
7. Le désir du thérapeute : filtre et moteur de l’entretien
8. Appréhender les fondements réels du délire
9. L’entretien, par-delà la mémoire
13 L’entretien en prison (Magali Ravit)
1. Le cadre hospitalier
2. La situation et les enjeux de l’entretien clinique
3. Situation clinique
16 L’entretien en réanimation médico-chirurgicale adulte (Raphaël
Minjard)
1. La demande
2. Vie psychique et réanimation
3. Errer et être là
4. Percevoir ou la fonction de témoin
5. Faire des histoires symbolisantes : le travail de passeur
6. Peut-on penser une méthodologie de l’entretien spécifique
en réanimation ?
7. Situation clinique
8. Compréhension et analyse
Conclusion
Bibliographie
Index
PRÉSENTATION
DES AUTEURS
1.4. LA STIMMUNG
Avant même d’aborder ces dimensions du cadre, il s’agit de s’arrêter
quelque peu sur la nécessité, pour le clinicien, de créer une ambiance
sécurisante, une atmos phère accueillante pour la rencontre avec le sujet. La
Stimmung, selon L. Binswanger (1933), désigne l’atmosphère caractéristique
qui accompagne et enveloppe toute expérience humaine. Ce vécu existentiel
représente la climatique propre au sujet, qui se construit en lui et qui donne la
tonalité de ses vécus empiriques. Mais la Stimmung, en tant qu’impression du
dedans, est en lien direct avec ce qui se passe au dehors.
Dans la rencontre clinique, sa prise en compte est nécessaire pour saisir
toutes les nuances affectives qui apparaissent. Elle est à la fois conditionnée
par l’intersubjectivité et par l’espace même où se tient l’entretien. Selon le
lieu où celui-ci se déroule, dans la pénombre d’un bureau ou dans un espace
lumineux, dans un endroit très personnalisé avec un décor harmonieux ou, au
contraire, dans un endroit destiné à l’usage de tous, anonyme et à
l’ameublement standardisé, l’ambiance est déjà connotée et peut orienter la
direction même des interactions.
Ce qui importe au final est la manière dont l’espace clinique est vectorisé
par l’atmosphère qui se dégage de la co-présence du clinicien et du
consultant. La Stimmung partagée au cours de l’entretien va ainsi faciliter ou
entraver l’accordage intersubjectif qui demande à être établi entre le praticien
et le consultant. Pour que cet accordage puisse se réaliser, deux autres
conditions doivent être prises en compte : l’espace de la rencontre doit être
suffisamment neutre et les échanges suffisamment bienveillants.
2. LE CADRE ET LE MÉTACADRE
DE L’ENTRETIEN
De l’ expression de la parole libre à la mise en suspens, pour le clinicien,
de son jugement envers la personne qu’il reçoit, mais aussi de l’importance
pour celui-ci de créer une atmosphère propice à sa position de neutralité et à
sa bienveillance, l’ensemble de ces éléments se signifie à partir de
l’instauration d’un cadre, fondamental et fondateur, de la rencontre avec un
sujet. Trois niveaux du cadre sont à distinguer : le cadre externe d’une part,
qui concerne principalement les modalités spatio-temporelles de l’entretien.
Le cadre interne, d’autre part, qui organise la posture professionnelle du
praticien. Et enfin, en articulation avec ces deux premiers niveaux, le cadre
institutionnel ou métacadre, qui comprend autant le contexte institutionnel de
la rencontre que la présence des professionnels qui y travaillent.
1. LE SAVOIR CLINIQUE
Ce qui définit la position clinique, c’est d’abord l’ensemble des
connaissances qui fondent le savoir du clinicien. Ce savoir n’est opérant
qu’en fonction de l’expérience du psychologue. Il se construit non seulement
par le développement de ses compétences théorico-pratiques, mais aussi par
l’approfondissement de la connaissance de soi. Le savoir clinique est moins
une accumulation d’informations partielles et spécialisées que l’acquisition,
au cours de la formation, d’un savoir- faire ou, mieux, d’un savoir-être qui se
constitue au fil des différentes interrogations et remises en cause qui ne
manquent pas de se produire durant le cursus universitaire et auprès des
praticiens dans les différents lieux de stage. Connaître par exemple le
fonctionnement hystérique ne suffit pas. Il importe également de pouvoir
mettre à l’épreuve les données psychopathologiques sur le terrain, dans la
rencontre réelle avec des patients présentant des troubles de cette nature. De
même, ajoutons qu’il est nécessaire de pouvoir appréhender sur soi-même les
données d’une situation hystéro-phobique.
Le savoir clinique, sous ses diverses formes, conduit à la mise en place de
ce qu’il est convenu d’appeler la position clinicienne. Cette position porte en
elle-même un sens dynamique, stratégique et même un sens spatial, dans les
configurations proposées par les différents dispositifs. Elle introduit en effet
une dynamique intersubjective, dans la mesure où elle permet qu’un
processus d’interrogation et de changement puisse se mettre en œuvre chez le
consultant. Elle représente aussi une orientation stratégique et se spatialise de
façon concrète à l’intérieur des cadres institutionnels rencontrés, que ce soit
au niveau d’un bureau, d’une salle de réunion, d’une chambre d’hôpital ou de
tout autre lieu spécifique. Quelles que soient les circonstances, la position
clinicienne se définit comme cette attitude qui ouvre à un espace psychique
de partage et d’échanges. Pour acquérir et maintenir cette position, c’est-à-
dire pour parvenir à une compréhension de la problématique du sujet, le
clinicien doit être dans sa posture professionnelle ni trop proche ni trop
éloigné de celui qu’il rencontre. En d’autres termes, au-delà du savoir
clinique lui-même, la position clinicienne est une mise en situation d’un
rapport de confiance et de confidentialité permettant l’émergence d’une
parole intime et singulière qui engage à la prise de conscience de soi.
3. LE SAVOIR OBSERVER
L’ observation est un élément phare, premier peut-être, de la posture
professionnelle du clinicien (A. Ciccone, 1998). De la mimo-gestuelle aux
mimiques, des intonations de la voix aux contenus des dires du sujet, des
silences aux paroles, le praticien observe à la fois l’ expression du verbal et
du non-verbal, du manifeste et du latent.
3.1. LA MIMO-GESTUELLE
En deçà des paroles prononcées, le clinicien est sensible à toute une série
de signes extérieurs qui positionnent la personne et mettent en évidence le
langage de son corps. Comment la personne va-t-elle s’installer dans le
bureau ? Et à quelle place ? Il est significatif, par exemple, qu’en entrant, une
personne aille s’asseoir d’emblée à la place occupée par le psychologue, pour
ensuite s’excuser et être confuse de s’être mise « par hasard » à cette place
« convoitée ». On notera d’autre part l’ attitude prise, la manière de se tenir
sur la chaise, plus ou moins éloignée du bureau ou, au contraire, en appui sur
celui-ci pour se rapprocher au plus près de la personne du praticien. Certes
ces données spatiales que les ethnologues nomment la « proxémie » sont
culturellement codées, mais on retiendra ici essentiellement ce en quoi ces
attitudes parlent et ressortent du sujet lui-même. Sa manière de découvrir et
d’habiter l’espace est souvent significative de ses positions internes. Ainsi un
adolescent psychotique, lors du premier entretien avec la psychologue
clinicienne, commence par s’agripper aux accoudoirs du fauteuil pour se
donner une contenance et assurer ses assises narcissiques. Puis, par la suite, il
prend confiance en lui et est capable d’affronter la relation, à partir du
moment où la disposition spatiale a été quelque peu aménagée pour éviter les
effets déstabilisants et angoissants pour lui du face à face. D’où la nécessité
pour le praticien d’être très attentif à l’ accueil et à l’installation du sujet dans
l’espace clinique lui-même, afin de percevoir les obstacles et les entraves
extérieures qui viennent d’emblée opacifier la dimension relationnelle elle-
même.
L’entretien est ponctué par des mouvements corporels plus ou moins
incontrôlés, une agitation croissante ou au contraire une immobilité de
sidération. Avant d’interpréter de tels signes, il est important de les repérer et
d’en tenir compte dans la manière même de gérer l’entretien. À ce titre, une
mimique d’étonnement ou d’interrogation mérite d’être soulignée par une
attente silencieuse ou une verbalisation explicitant cette surprise ou ce
questionnement, afin que le sujet puisse en prendre conscience et en dire
éventuellement quelque chose.
4.1. L’ ENTAME
La façon dont le psychologue débute l’entretien est d’une extrême
importance, selon qu’il est actif, réceptif ou dans la sollicitation tempérée. Il
n’y a évidemment aucune norme, aucune consigne à suivre à la lettre pour se
conformer à un modèle préétabli. Dès que le psychologue commence à
répéter la même formulation de départ, on peut d’ores et déjà se demander si
la rencontre n’est pas d’emblée biaisée par ce début conventionnel. Comment
s’attendre, par la suite, à autre chose que des propos convenus ?
La manière d’introduire la communication est cruciale, si elle est vraiment
en phase avec ce qui se passe concrètement dans ce moment unique du
premier contact. Un « Je vous écoute » routinier risque de rejeter au second
plan quelque chose d’important qui, du coup, laisse la place à un discours
préparé qui masque la réalité actuelle des affects éprouvés. À l’inverse, le
total silence du psychologue renforce l’ angoisse ambiante et menace de
limiter les échanges. Au lieu de susciter la libre parole, ce silence initial
pousse du côté de l’ inhibition et de la défense agressive.
Une ouverture discrète à l’ expression du pourquoi de la rencontre est la
meilleure entame possible, pourvu qu’elle soit en appui sur la mimo-gestuelle
culturelle en usage, tout en favorisant un écart suffisant pour que la parole
propre puisse se faire entendre. Tout empressement, toute facilitation
artificielle de la communication court-circuite ce qui a à se dire comme cela
doit être dit dans la spontanéité d’un premier contact, une spontanéité à la fois
retenue et inquiète.
4.2. LA REPRISE
Une fois les premiers mots avancés par le consultant sur sa demande
manifeste, le clinicien intervient pour aider à l’approfondissement du propos.
Naïf, intéressé ou provocateur, il cherche à donner un ton à l’échange, quitte
à introduire par la suite des ruptures et des modifications à la tonalité initiale
de l’entretien. La glace se rompt-elle rapidement ou reste-t-on, a contrario,
dans une distance toujours égale ? L’émotion surgit-elle au détour d’une
phrase ou bien la voix continue-t-elle sur le même ton monocorde ? Les
reprises du clinicien, à partir des premières paroles dites, visent à établir cette
tonalité initiale qui donne le « la » pour la suite de l’entretien. Soit le
praticien reprend les derniers propos du consultant sur un mode interrogateur,
soit il marque son étonnement par une interjection en forme de rupture :
« Ah ! » ou « Ah bon ? ».
Ce type d’intervention permet à la personne de se ressaisir, en infléchissant
son discours vers une tonalité plus sincère et plus directe, ou bien de
réaffirmer son propos de manière franche et impérative, marquant par-là sa
détermination et l’importance pour elle de ce qui est dit.
4.4. LA RELANCE
Elle est nécessaire dans deux circonstances antagonistes : soit lorsque le
sujet reste en panne et n’est plus en mesure d’amener dans l’échange de quoi
lui donner de la matière et de la consistance, soit lorsque le sujet, trop
volubile, s’égare sur des chemins de traverse ou se cache derrière des
discours-écrans. Le psychologue se fie à son intuition et à son expérience
pour saisir le « moment opportun » (D.N. Stern, 1985) pour stimuler l’
expression ou l’orienter selon l’axe d’un approfondissement, ou dans
l’optique de l’ authenticité. Rien ne sert d’être exhaustif ou strictement
logique dans le déroulement d’une pensée qui se veut rationnelle et
cohérente. Ce qui importe essentiellement est de trouver le ton juste qui
inscrit l’échange dans la reconnaissance des zones de force et des zones de
fragilité du sujet, ainsi que dans l’ expression de ses données conflictuelles
internes et du niveau réel de son malaise, de son anxiété ou de sa souffrance.
Le clinicien tente de relancer la parole autour de ces points sensibles, de ces
failles internes, afin d’apprécier au mieux ce qui résiste, ce qui cède ou ce qui
est en train d’être construit et élaboré.
La relance s’opère à partir d’une phrase ébauchée mais non aboutie, d’un
propos antérieur qui pourrait faire sens avec ce qui est en train de se dire, ou
sur le besoin d’un écart nécessaire afin d’éviter l’enfermement dans une
parole creuse et répétitive, engluée dans une factualité qui provoque l’ennui.
Si la personne venue consulter pour un état dépressif commence à se
perdre dans le récit de ses morosités, la relance va porter sur les moments de
plaisir éprouvés, même et surtout si ces moments sont en quête de points d’
étayage narcissique pour servir d’ ancrage à une écoute signifiante. Pour
jouer son rôle de moi-auxiliaire dans les phases où le sujet est trop en
situation de fragilité, le praticien doit favoriser chez lui l’établissement de
positions internes stables pour parvenir à un remaillage narcissique suffisant.
4.5. LA PONCTUATION
Pour pallier le risque d’un enfermement dans un long monologue lorsque
le consultant relate un fait récent qui a marqué son existence ou lorsqu’il
évoque un événement du passé, le clinicien manifeste son attention par des
ponctuations appropriées. Un « oui » appuyé ou des « hum…hum… »
intermittents sont un accompagnement du propos, sinon une invite à
poursuivre. Dans tous les cas, la présence de celui qui écoute est signifiée,
même dans les moments où cette écoute est silencieuse. Un regard, un signe
de tête, un geste de la main sont autant de façons de s’attacher au fil du
discours. Parfois, les mouvements d’étonnement ou le total silence appellent
à une rupture. Une émotion vient troubler la voix ou une représentation
parasite émerge. Il est alors important d’interrompre le récit et d’échanger sur
ce qui est en train de se passer ici et maintenant, en oubliant le fil de
l’histoire. L’associativité ponctuelle l’emporte sur la logique linéaire.
Nul besoin de relater complètement les faits, le sens survient au détour
d’une phrase sans qu’on n’y prenne garde. C’est cette opportunité-là qui
demande à être saisie et les ponctuations du psychologue ont aussi cette
fonction : arrêter le discours pour favoriser l’ expression d’une réalité
psychique d’autant plus signifiante qu’elle est imprévue. Le consultant la
découvre en même temps que le clinicien et son trouble temporaire constitue
une ouverture à l’ élaboration des véritables enjeux internes qui sont les siens.
Ainsi une jeune personne, venue consulter pour un problème de mal-être
au travail, laisse échapper quelques sanglots au moment où elle rapporte une
réunion importante au cours de laquelle la directrice lui a publiquement
adressé des reproches. La psychologue arrête le récit en marquant sa surprise.
La jeune femme fait alors le lien avec un souvenir douloureux, une violente
dispute avec sa mère au début de son adolescence. Un tel passage du factuel
au traumatique est engagé et facilité par les signes ponctuels de l’ écoute
clinique.
4.6. LA REFORMULATION
Au cours des premiers entretiens, ce qu’exprime le consultant est
informatif et dispersé. Il tend à présenter, à l’occasion de l’exposé de ses
troubles, un portrait plus ou moins exhaustif de lui-même. Il explique quel est
son caractère, ses attitudes habituelles, sa manière de vivre et de réagir aux
événements. Face à ces données hétérogènes, le clinicien est amené à
rassembler certains traits et à en exclure d’autres, proposant ainsi au
consultant une image reconstruite selon sa propre lecture. Soit il l’approuve
soit il la récuse, reprochant au clinicien d’avoir trop mis l’accent sur certains
aspects au détriment d’autres. Un échange a lieu pour convenir d’une
représentation commune pour qu’un contrat clinique puisse se mettre en
place. La reformulation proposée est décisive pour la suite, dans la mesure où
elle comporte déjà une certaine reconnaissance de la conflictualité interne qui
est à mettre au travail.
La reformulation a trait également à un recadrage ou à un repositionnement
proposé par le psychologue. Face à un blocage, une rumination insistante ou
un fourvoiement, le praticien tente de donner au sujet une approche plus
adéquate aux objectifs fixés au départ. Si les résistances sont trop fortes, il ne
sert à rien de réitérer le propos. Il faut laisser du temps pour que le message
envoyé suive son chemin et parvienne « à destination », lorsque le sujet est
prêt à le recevoir.
Freud (1914) nomme perlaboration ce temps complexe de cheminement
intérieur avant qu’une appropriation subjective puisse se mettre en place. Ce
n’est en effet qu’après toute une série, parfois longue, de répétitions et de
remémorations, que le sujet sera en mesure de passer de la simple
conscientisation à une conviction réelle de sa réalité psychique. Il convient
dès lors de faire montre de patience pour laisser à la personne le temps de
faire sienne cette « nouvelle » réalité psychique qu’au départ elle prenait pour
une réalité psychique étrangère, dont elle ne reconnaissait en rien
l’appartenance. Rien ne transparaît puis, soudain, l’évidence se fait jour et
conforte de manière définitive un changement de perspective interne, qui se
concrétise par de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements.
Reformuler signifie en d’autres termes proposer un modèle différent de
l’appréhension de soi, qui ouvre à la prise de conscience.
Au cours du troisième entretien, un consultant revient sur un épisode de sa
vie qui l’a beaucoup marqué. Il a été le témoin d’un grave accident de la route
durant lequel une personne a été tuée. Il ne cesse de revoir le corps
ensanglanté au milieu de la chaussée, sans pouvoir ne rien dire d’autre que
les faits. Cette fois encore, il en parle à la suite de l’évocation d’un souvenir
d’enfance. Il arrête son récit, bouleversé par l’émotion. Au bout d’un silence,
lorsqu’il reprend ses esprits, le psychologue intervient : « Peut-être, à propos
de cet accident, pensez-vous à quelque chose qui s’est produit dans votre
famille… ? ». L’événement traumatique actuel était en lien avec un deuil
ardu qui avait beaucoup fait souffrir sa mère, et il avait lui-même assisté à la
manifestation muette de cette douleur. La reformulation du psychologue lui a
permis de faire des liens et de commencer à donner du sens à la hantise qui
était la sienne.
4.7. L’ INTERPRÉTATION
L’ interprétation est la forme la plus développée de l’ intervention clinique,
en ce qu’elle permet au sujet d’accéder à la signification réelle de l’un de ses
symptômes. Elle consiste dans la mise en lien explicite des données actuelles
avec des événements du passé à valeur traumatique. Elle ne devient effective
que dans le cadre d’un suivi thérapeutique, car elle suppose que la confiance
se soit établie dans la durée et que le sujet soit suffisamment à même de
prendre conscience des conflits internes qui l’habitent. Ainsi peut-on dire que
l’ interprétation se situe au cœur même de l’action thérapeutique, dans la
dynamique transféro-contre-transférentielle. Selon l’état plus ou moins
avancé de son travail psychique, le sujet peut approuver ou refuser l’
interprétation qui lui est proposée. Si celle-ci entre en connexion directe avec
sa vie psychique, il éprouve alors un fort sentiment de justesse au moment où
elle est prononcée. Ceci le conduit à une sorte de prise de conscience
exacerbée, un véritable insight d’une réalité psychique jusqu’ici masquée par
les défenses. Un tel sentiment dépasse la simple compréhension intellectuelle
du processus en jeu. La compréhension prend la force d’une évidence si
profonde qu’elle s’apparente à une révélation ou à une illumination.
Mais parfois, le sujet ne se reconnaît pas dans l’ interprétation qui lui est
fournie et la récuse légitimement. Cependant, cette interprétation lui permet
d’avancer et de mieux être en contact avec ses ressentis et ses affects, qu’il
peut ainsi appréhender grâce à la mise en place d’une « contre -
interprétation » qu’il opère lui-même par la négative.
Le sujet reste le seul à être capable de valider le sens de ses dires, de ses
attitudes et de ses conduites. L’ interprétation ne s’inscrit qu’au sein d’un
cadre thérapeutique, sinon elle est dite « sauvage » et risque d’avoir des effets
déstructurants et de renforcer les défenses du sujet à qui elle est adressée.
Ainsi, lors des entretiens préliminaires, les interventions du clinicien se
feront d’abord essentiellement autour de l’ expression de la demande du
sujet, dans une tentative d’éclaircissement, de précisions quant à la situation
« qui fait problème ». Puis, lorsque sera décidée la mise en place d’un suivi
thérapeutique, les interventions du clinicien seront davantage de l’ordre de
relances, de pistes associatives et interprétatives. Cependant, de manière
générale, c’est « sans intention préalable » (W.R. Bion, 1970) que le clinicien
rencontre le sujet, en lui offrant la possibilité de laisser libre cours à ses
pensées. Chaque intervention du clinicien est porteuse de sens, entendue ou
non par le sujet. Qu’il s’agisse de ponctuer, relancer, accompagner les propos
de ce dernier, le professionnel contrôle plus ou moins ces éléments dans le fil
du discours. Accueillir la parole de l’autre et laisser venir ce qui vient : c’est
dans cette formule que peut être envisagée la position clinique du praticien
dans sa posture professionnelle, dans le lien thérapeutique qui se tisse avec le
sujet.
Dans une compréhension psychanalytique il s’agit bien en effet, non pas
d’un type de pratique lié à un dispositif particulier, mais d’un état d’esprit
général, d’une manière spécifique d’écouter la vie psychique dans l’implicite
du langage, de laisser flotter les représentations pour que puisse se construire
un processus signifiant dans le temps et dans l’espace donnés. Ceci sans
chercher à orienter suivant une intentionnalité précise, sans intention
particulière, sans objectiver l’autre, et en allant à la source du conflit
inconscient pour comprendre les symptômes du sujet et leurs origines.
5.2. LE DÉPLACEMENT
Défini par Freud comme une base importante de l’ inconscient, le
déplacement est l’un des mécanismes de défense les plus fréquemment
rencontrés dans l’entretien.
Une représentation fortement investie est abandonnée au profit d’une autre,
par le libre jeu de l’énergie psychique. Ainsi, dans la phobie, toute l’ angoisse
est concentrée défensivement sur une représentation, ce qui permet au sujet
de se sentir libéré pour le reste de son activité. Ce n’est qu’au cours du travail
thérapeutique que la véritable représentation génératrice d’ angoisse sera
repérée et identifiée.
Sur un mode similaire, le consultant peut être amené durant l’entretien à
déplacer ses intérêts profonds sur des représentations secondaires et à
marquer une totale indifférence vis-à-vis de ce qui va s’avérer par la suite
central pour prendre conscience de sa propre conflictualité. Ainsi, une
personne insiste constamment sur les insuffisances paternelles, affirmant que
son père n’a jamais eu une présence réelle à la maison, qu’il ne s’occupait pas
de ses enfants et qu’il était uniquement préoccupé par sa tâche
professionnelle. La clinicienne reste dubitative devant de telles insistances,
alors que rien n’est dit – ou seulement des banalités – concernant l’autre
parent. Elle essaie à plusieurs reprises de marquer une ouverture du côté de la
mère, mais le sujet revient massivement à l’incurie d’un père résolument
présenté comme le mauvais objet. Ce n’est qu’au cours du troisième entretien
qu’apparaît de manière évidente ce que masquent les propos itératifs
concernant le père : en fait, ces propos sont la conséquence d’un déplacement
de l’imago maternelle trop fortement présente, en lien avec une mère réelle
trop excitante et qui réveille une grande culpabilité inconsciente.
5.3. LA DÉNÉGATION
Il s’agit d’un procédé complexe selon lequel la personne prend conscience
d’une réalité psychique déterminée, mais sur un mode négatif. Autrement dit,
elle considère que l’idée, l’émotion ou la réaction qui lui vient à l’esprit ne lui
appartient pas personnellement et elle la nie plus ou moins vigoureusement.
Dans un premier temps, le clinicien se contente de noter la présence du
mécanisme de défense, sans en faire expressément état à la personne. Cela
place toutefois le sujet en position de saisir, de façon plus ou moins claire, la
nature du conflit psychique sous-jacent qui ne manquera pas d’apparaître
ultérieurement sous une forme similaire ou différente.
Par exemple, parlant d’une amie de sa famille, une consultante raconte au
psychologue une scène au cours de laquelle elle a été choquée de son
comportement : « Ne croyez pas que je la déteste, mais j’ai préféré quitter la
pièce au moment où elle a repris la parole… ». Les affects refoulés affleurent
à la conscience et sont tolérés dès qu’ils se manifestent par la négative. On
peut également se demander si dans le cas présent la dénégation ne se
conjugue pas avec un déplacement de la figure maternelle sur l’amie en
question. Ces impressions restent flottantes dans la pensée du psychologue,
tant qu’il n’a pas repéré ou entendu d’autres remarques, d’autres propos
susceptibles de corroborer son hypothèse. Ce n’est qu’au terme de l’entretien
qu’il est en mesure de rassembler les données que son intuition lui a fait
pressentir.
5.4. LE CLIVAGE
Le clivage représente de manière très générale la capacité commune à tout
sujet d’opérer un ou des dédoublements à l’intérieur de son appareil
psychique. C’est un processus créateur d’une différenciation interne qui
résulte d’un conflit psychique inconscient sous-jacent. La personne a un
fonctionnement normal jusqu’au moment où se produit dans son existence
l’apparition d’un événement inconciliable avec son fonctionnement habituel.
Cette situation suscite une émotion si intense qu’elle n’est plus en mesure de
pouvoir y faire face, ne se sentant pas capable de trouver une solution
rationnelle à cette contradiction interne. Elle relègue donc l’ensemble de ses
éléments dans le champ inconscient et ainsi s’opère un véritable clivage du
Moi.
Freud définit le clivage du Moi comme une scission interne qui oppose
deux parties du Moi qui coexistent entre elles. L’une accorde satisfaction aux
exigences de la pulsion, alors que l’autre reste parfaitement adaptée à la
réalité morale et sociale. Le clivage du Moi représente une sorte de ruse, qui
propose une résolution provisoire des problèmes, mais qui inscrit de façon
durable une déchirure intérieure dans la vie psychique. Ce mécanisme de
défense se rencontre essentiellement dans les fonctionnements pervers et les
psychoses, bien qu’il apparaisse de manière plus nuancée chez les sujets
névrotiques.
Le clivage de l’objet, selon M. Klein (1921), remonte aux origines du Moi
précoce qui introjecte les bonnes parts de l’ objet et projette à l’extérieur tout
ce qui est mauvais. Le clivage entre le bon objet et le mauvais objet apparaît
de façon massive dans les fonctionnements psychotiques, même s’ils
demeurent présents a minima dans des situations moins pathologiques. Au
sein d’un CMP, un patient souffrant de troubles psychotiques demande
impérativement à rencontrer la psychologue du service. Lors de cet entretien,
il manifeste une très grande hostilité envers la psychiatre qui le suit, en lui
imputant quasiment tous les maux dont il souffre, et en premier lieu un
manque de considération à son égard. Très vite, il témoigne sa gratitude
envers la psychologue qui elle, « au moins », sait écouter et être
bienveillante. On voit combien le sujet fait preuve d’une régression manifeste
au clivage de l’objet. Il convient d’être très attentif à ce type de
fonctionnement qui risque d’avoir des effets délétères sur les mécanismes
institutionnels.
6. T RANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT
Les deux concepts qui régissent le travail thérapeutique, le transfert et le
contre-transfert, selon Freud (1895, 1914), sont fondamentaux dans la
relation qui s’établit entre le clinicien et la personne qui vient le rencontrer.
– Le transfert représente la transposition sur la personne du clinicien d’
affects et d’éprouvés qui ne le concernent pas directement, mais qui sont en
lien avec les personnes investies dans l’histoire propre du consultant. Un tel
report peut s’effectuer selon des modalités très différentes, de façon massive
et immédiate, ou bien de façon latérale ou inversée. Le consultant opère par
déplacement des imagos parentales sur le clinicien et par projection sur la
situation actuelle de ce qu’il a pu vivre autrefois au cours de ses relations
familiales.
– Le contre-transfert représente, à l’opposé, les réactions provoquées dans
le psychisme du clinicien par les projections transférentielles du consultant.
La reconnaissance et la compréhension de telles réactions sont nécessaires
dans le travail clinique afin d’approfondir la connaissance intersubjective
propre à l’entretien.
Dès les premiers entretiens, la dynamique transféro-contre-transférentielle
prend forme autour de ce qui est appelé le pré-transfert. Cette phase
préparatoire est déci sive pour la mise en place d’un cadre thérapeutique
éventuel. Le sujet met en scène quelque chose de ses parts inconscientes
encore non élaborées dans sa rencontre avec le clinicien. Le pré-transfert
s’opère non seulement sur la personne du clinicien, mais aussi sur le cadre
lui-même. Le sujet revit dès lors dans le travail thérapeutique avec le
psychologue certaines de ses propres expériences vécues dans l’enfance.
Le transfert est en ce sens le noyau central de l’échange : que représente le
praticien pour le patient ? Quelles sont les images fantasmatiques qu’il
projette sur lui ? Comment le clinicien devient-il un objet de déplacement d’
affects amoureux ou hostiles ? Quelle est la signifiance de ces projections ?
Ces questionnements rendent compte de l’aspect premier et frontal du travail
thérapeutique à réaliser. D’où l’importance pour le consultant de prendre le
temps de choisir son thérapeute, sans se limiter à un seul entretien. Il doit
véritablement apprécier les conditions de la rencontre et se laisser aller à ses
intuitions premières, conditions nécessaires pour que s’établisse un pré-
transfert positif.
D’autre part, le professionnel a également besoin de savoir comment cette
demande est parvenue jusqu’à lui, afin de mieux comprendre les enjeux
narcissiques et relationnels qui ont présidé à la démarche du consultant.
Aussi, dans certains cas, peut-il avoir à réorienter la personne en fonction
d’une meilleure prise en compte de sa demande dans un cadre libéral ou
institutionnel.
N’oublions pas à cet égard que le clinicien, lui aussi, transfère des parts de
lui-même sur la personne du consultant qu’il rencontre. C’est en ce sens que
le travail de supervision, déjà évoqué, est nécessaire, donnant la possibilité au
praticien d’élaborer ses éprouvés contre-transférentiels, ses propres
mouvements affectifs et ses défenses.
7. LA DOUBLE ÉCOUTE
À la suite de telles considérations, il devient aisé de définir ce qui
caractérise la façon propre d’entendre du clinicien : la double écoute. Le
praticien consacre toute son attention à ce qui est amené par le consultant. Il
est à l’ écoute à la fois du contenu des messages qui lui sont adressés et, en
même temps, il s’attache à repérer la tonalité propre de ces messages et la
teneur affective de ce qui est avancé. Le clinicien est à même d’ entendre le
consultant aux deux sens du terme, écouter et comprendre. Il est capable de le
suivre pas à pas au cours des développements de son discours et à la fois de
saisir le sens implicite de ces mêmes développements.
Mais le clinicien est également à l’ écoute de ce qu’évoquent en lui les
dires du sujet, il demeure attentif à ce que déclenchent en lui le contenu et la
forme des propos du consultant. S’il est séduit par la personnalité atypique de
la personne qu’il rencontre, il devra par la suite analyser ce qui a engendré
pour lui une telle séduction. En revanche, s’il éprouve de l’ennui ou du
désintérêt pour ce qui lui est rapporté, il lui faudra en chercher les causes,
aussi bien dans sa propre capacité d’ écoute que dans la forme trop défensive
des propos de la personne, comme si l’autre se protégeait derrière un masque
et des faux-semblants, empêchant ainsi le praticien d’accéder aux véritables
processus psychiques en jeu.
Quels que soient les sentiments qu’il éprouve, il est important que le
clinicien en prenne conscience et les analyse, car ce sont de tels éprouvés qui
l’informent sur ce que vit et ressent réellement la personne qui est en face de
lui. Cette implication intersubjective est au cœur même de l’entretien. Elle
nécessite de la part du clinicien une capacité de réflexivité interne et de
double réceptivité tout à fait essentielle dans la démarche clinique.
Il ne s’agit donc plus d’opposer simplement non-directivité à directivité
pour se situer dans le champ clinique, mais bien plutôt de différencier une
attention globale d’une attention ciblée, une attention en profondeur à la
réalité psychique de l’autre d’une attention partielle à tel ou tel aspect de ses
vécus ou de son histoire.
DEUXIÈME PARTIE
LES DIFFÉRENTS TYPES
D’ENTRETIEN CLINIQUE
CHAPITRE 4
L’ENTRETIEN
EN PÉRINATALITÉ
Joëlle Rochette-Guglielmi
1. LES THÉRAPIES D’INTERPRÉTATION
2. LES THÉRAPIES D’ATTENTION
3. LES THÉRAPIES GROUPALES OU À MODALITÉ
RITUALISANTE
4. UNE SÉMIOLOGIE DYADIQUE
5. LES AFFRES DE LA CRÉATION DE L’ESPACE DYADIQUE
PRIMAIRE
6. SITUATION CLINIQUE
6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL
Pour intervenir dans le périnatum, nos cadres institutionnels classiques
doivent être aménagés pour l’ accueil et le traitement d’une souffrance déjà
opérante, mais en instance de symbolisation. S’il n’y a pas de demande de
soins, pas de conflictualité intrapsychique encore formulable, le travail de
prévention consiste à faire des offres de soins et à « venir près » du bébé et de
ses parents. Attraper et transformer cette demande/non -demande nécessite un
maillage en réseau où des dispositifs inter-institutionnels entre psychiatrie
périnatale et Protection maternelle et infantile (PMI) œuvrent ensemble pour
des actions de prévention et de soin.
4. SITUATION CLINIQUE
Mme Marin appelle l’Association de thérapie familiale psychanalytique où
nous travaillons pour un entretien, car elle a des inquiétudes au sujet de sa
fille, très angoissée.
L ’entretien avec l’enfant présente une réelle spécificité, qui tient compte
de la plasticité du psychisme de celui-ci et de son niveau d’évolution
développementale. En fonction de l’âge de l’ enfant, suivant qu’il se trouve
dans la période dite de la petite enfance, de la moyenne enfance ou de la
latence (A. Brun et B. Chouvier, 2010), la rencontre se déroule de manière
différente et les modes d’ intervention du clinicien sont utilisés chacun
singulièrement. Plusieurs paradigmes théorico-cliniques peuvent néanmoins
être mis en évidence quant à la particularité de la consultation avec l’ enfant.
1. LA RENCONTRE AVEC L’ ENFANT :
PROBLÈME ACTUEL ET CAPACITÉ
D’AUTONOMIE
Dans la rencontre avec les parents, l’accent a été mis sur les symptômes de
l’ enfant et les difficultés survenues dans l’environnement familial. L’ enfant
reste l’ objet du discours parental, même si le clinicien tente déjà de lui
permettre d’accéder à une position subjective propre, en s’adressant à lui
directement et en l’impliquant dans l’échange avec les parents.
Une fois entendue la demande familiale, une fois reconnues les
circonstances d’apparition des symptômes au cours de l’histoire de la famille
au sens large et de l’ enfant en particulier, le clinicien est en mesure de
rencontrer l’ enfant seul. Rencontrer l’ enfant signifie entrer en
communication directe avec lui et le reconnaître tel qu’il se présente dans son
apparence d’ enfant, sans a priori, sans idées préconçues, dans l’ici et
maintenant de la situation clinique.
En valorisant la capacité d’autonomie de l’ enfant et en tenant compte de
son « problème actuel » (D.W. Winnicott, 1971b), il va s’agir pour le
clinicien de mettre en suspens l’objectivation de l’ enfant réalisée dans la
plainte parentale par la description de ses symptômes, pour venir se centrer
sur l’ enfant lui-même, en tant que sujet, dans l’intersubjectivité de la
rencontre. Tenir compte du problème actuel de l’ enfant, c’est recevoir l’
enfant comme il vient, c’est-à-dire être à l’ écoute de ce qu’il vit en propre,
être sensible à ce qu’il a à nous dire de ses vécus de plaisir et d’ angoisse, aux
prises avec ses joies, ses peurs et sa souffrance, tels qu’il les voit et les
ressent dans sa psyché et dans son corps d’ enfant. Dans le cas du handicap
par exemple, il arrive que les parents mettent en avant les difficultés
d’apprentissage de l’ enfant à l’école, là où celui-ci vit plutôt sa différence
physique comme une blessure narcissique importante, se plaçant du même
coup en retrait dans son contact avec les autres enfants.
Une des principales difficultés qui peuvent entraver la rencontre avec l’
enfant est la différence générationnelle entre le clinicien et lui. L’ enfant a
l’expérience de l’adulte, d’un parent ou d’un substitut parental, de quelqu’un
qui, dans tous les cas, a toujours une attente ou une exigence à son égard. Il
va donc d’emblée chercher à repérer cette attente ou exigence chez le
psychologue pour s’y conformer, communiquant alors seulement sa part
sociale et adaptative dans l’entretien.
L’ enfant a en fait besoin de temps pour s’acclimater à la présence de
l’autre et pour se sentir suffisamment bien dans l’échange. Il est donc
important que le praticien offre à l’ enfant les conditions sensorielles,
motrices et affectives nécessaires à l’établissement d’une communication
authentique avec lui. Et ceci suppose d’abord de laisser l’ enfant explorer
l’espace qu’il est en train de découvrir, sans lui assigner d’emblée une place
ou une chaise sur laquelle s’installer. Ce premier temps d’ exploration s’avère
primordial dans la mise en place d’une relation de confiance avec l’ enfant et
rend également possible pour le clinicien le repérage d’importants indices
cliniques quant à la problématique de l’ enfant et des processus psychiques à
l’œuvre dans la situation. Là où certains enfants explorent intensément le
bureau dans lequel ils se trouvent, inspectant placards et caisses de jeux, et
s’installant tour à tour à divers endroits de la pièce, d’autres, au terme d’une
hâtive exploration, trouvent un espace qui leur convient, pour se mettre
ensuite rapidement à jouer ou à dessiner. D’autres encore, immédiatement
assis en début d’entretien sur une chaise ou un fauteuil, ou dans l’attente que
le psychologue leur indique la place à prendre, restent passivement repliés sur
eux-mêmes.
Trois espaces sont classiquement différenciés dans le lieu de la rencontre
avec le psychologue : l’espace du bureau du clinicien proprement dit, un
second espace qui propose quant à lui de petites chaises et souvent du
matériel pour que l’ enfant puisse dessiner, et un troisième espace, lieu
ludique dans lequel sont à disposition diffé rents jouets. Trois espaces
distincts et complémentaires, trois places et trois manières d’aborder la
relation avec l’ enfant et d’observer la façon dont celui-ci mobilise sa
capacité d’autonomie et de communication.
« C’est petit chez toi ! », dit une jeune adolescente, retournant chez le
psychologue qu’elle avait rencontré huit ans plus tôt, ce durant près d’une
année. L’adolescente revenait voir ce lieu, cet espace dans et au moyen
duquel elle avait travaillé des éléments de son histoire, dans une tentative de
réappropriation subjective de ses vécus familiaux de par le bouleversement
radical de l’adolescence qu’elle était en train de traverser. Clinique de la vie
quotidienne également, dans le retour par exemple à l’âge adulte dans un lieu
connu de l’enfance et dans la surprise suscitée de la dimension « réelle » du
lieu, ou plutôt de la petitesse du regard enfantin. Comme l’évoquait
S. Ferenczi (1926), ce sont les « fantasmes gullivériens » qui témoignent le
mieux du vécu de l’ enfant face à un lieu étranger et face à cette figure de
l’adulte, ce géant inconnu dont il ignore les intentions. Il faut donc souligner
la nécessaire prise de conscience du praticien de sa grandeur par rapport à l’
enfant dans le concret de la situation clinique et, dès lors, prendre en
considération la notion de l’espace pour l’ enfant qui le vit à sa propre portée.
Et si la rencontre avec l’ enfant suppose pour le psychologue, dans les
premiers temps en particulier, d’être sensible à son exploration de l’espace et
de descendre à son niveau sur le plan physique, elle demande également que
le clinicien puisse, par la pensée cette fois, se mettre à la place de l’ enfant sur
le plan psychique : il s’agit là du second point central dans la rencontre
clinique avec l’ enfant.
5. À L’ÉPREUVE DE LA TEMPORALITÉ :
AVANT L’APRÈS-COUP
L’enfance, par définition, doit prendre fin : c’est une position temporaire,
mais une période qui va néanmoins marquer définitivement la vie adulte du
sujet, en tout cas qui va avoir une influence considérable dans la mise en
place et dans la structuration de la vie psychique adulte.
Pour penser les données psychiques propres à l’entrée dans la vie adulte,
S. Freud (1900) emploie le concept d’ après-coup, qui se propose de définir
la manière dont des expériences, des traces psychiques d’événements vécus
dans l’enfance, vont être ultérieurement remaniées, transformées dans un
second temps en fonction des nouvelles expériences que le sujet traverse. Ce
processus à double détente rend compte de l’articulation des deux temps du
traumatisme : une situation traumatogène à l’âge adulte va venir actualiser un
trauma qui était déjà là, sans que cette situation antérieure n’ait pourtant
marqué forcément la vie psychique de l’ enfant à l’époque.
En ce sens et pour conclure, l’enfance peut être appréhendée comme un
temps d’avant, d’un avant l’après-coup, où l’on ne sait pas encore quel sera
l’impact traumatogène de la situation dans le devenir du psychisme de l’
enfant. Sans cet effet de résonnance de l’ après-coup de la situation, généré
notamment par les transformations pubertaires et les bouleversements
psychiques adolescents, le clinicien est confronté à une continuité d’évolution
du grandir. Avec l’ enfant, il est toujours question de préconstructions, de
préorganisations, sans que les choses ne soient jamais fixées définitivement.
Tout travail thérapeutique est redistribué, redéployé, les vécus psychiques
signifiés et transformés. C’est là toute la spécificité et la richesse dans la
rencontre clinique avec l’ enfant.
6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS LUCIE
Lucie a 8 ans lorsque le psychologue la rencontre. C’est une petite fille
alerte et vive, très présente pendant l’entretien préliminaire avec la mère,
Madame F. Elle souffre d’instabilité et d’un manque de concentration en
classe depuis l’année précédente. « Elle s’évade dans un autre monde », dit la
mère. Mais Lucie précise : « La maîtresse a dit que, si je suivais mieux, je
serais la première ». Elle a une sœur aînée qui a 11 ans. Les parents ont
divorcé il y a trois années et Madame F. se plaint depuis lors d’un manque
total de communication avec le père. Lucie va chez lui un week-end sur deux.
Ce dernier s’est remarié et son épouse, déjà mère d’une grande fille, attend un
nouvel enfant. Il trouve que chez lui tout se passe bien avec Lucie et il ne voit
pas l’intérêt d’une consultation pour sa fille. Madame F. passe outre les
réticences de son ex-mari, se rendant bien compte que Lucie a des problèmes.
Un an avant le divorce, le grand-père maternel est mort. Lucie a été très
affectée par cette disparition. En effet, ce grand-père la gardait souvent. Il
vivait avec eux, avant d’être hospitalisé pour un cancer. « Il fumait trop »,
précise à ce moment-là Lucie. C’est à la suite de cela que Lucie est devenue
énurétique jusqu’à ses 7 ans.
Lucie ne s’entend pas avec sa sœur et elle est décrite comme sauvage et
peu sociable. Petite, elle dormait mal et se réveillait toutes les nuits. Elle a été
suivie par une psychothérapeute vers l’âge de 4 ans. Comme cela se passait
mal, la mère a arrêté.
Lucie accepte de rester seule. Le psychologue raccompagne la mère et
s’installe en face de Lucie qui est restée assise à la petite table. Il lui demande
ce qu’elle a envie de faire.
Lucie : Je peux continuer mon dessin ?
Psy : Oui… Tu as aussi des jouets et de la pâte à modeler si tu veux.
Lucie se penche sur sa feuille, très absorbée. Elle dessinait une grande
fleur épanouie pendant que sa mère échangeait avec le clinicien (Dessin 1).
Quand elle a terminé, elle lui tend le dessin.
Psy : Tu m’expliques ?
Lucie se lève et s’approche. Elle montre la partie à droite de la fleur
centrale. Ce sont des traits verticaux, verts et bleus, avec des hachures tout
au long.
Lucie : Là, c’est de l’eau qui coule. Euh, comment on dit déjà ? …. . Ah
oui ! Une cascade, c’est ça !
Psy : La fleur est juste à côté, elle est bien arrosée.
Lucie : J’ai pas fini.
Elle reprend la feuille et commence à dessiner à gauche de la fleur.
Psy : Ta maman disait que tu dormais mal quand tu étais petite.
Lucie : Oui, je ne dormais pas très bien. À l’école, j’avais un copain, Loïc,
et il est parti. (Silence. Lucie s’applique à dessiner.)
Psy : Elle dit aussi que tu aimes rester seule…
Lucie : Non, j’ai deux copines et un copain… Moi, je serai toujours
fâchée contre ça.
Psy : Contre…
Lucie : Contre leur divorce ! J’aurai toujours de la colère. Mais bon, il
fallait bien que ça arrive.
Psy : Que ça arrive ?
Lucie : Ben oui ! Je m’en doutais qu’ils allaient divorcer. Enfin, je le
craignais seulement et ça s’est passé.
Psy : C’est tombé comme une cascade…
Lucie : Ouais. (Silence). Qui c’est qui a fait ce dessin au mur ?
Psy : C’est un garçon qui vient me voir.
Lucie : Il a fait le diable !
Psy : Le divorce, c’est un peu comme le diable, ça fait peur…
Lucie : Le diable, il existe.
Psy : Dieu, le Diable, c’est une histoire de religion.
Lucie : Dieu, j’y crois pas. Je vais plus au catéchisme, ça me saoule.
(Silence.)
Lucie prend une poupée dans la boîte à jouets et commence à la
manipuler, puis elle la pose en prétextant qu’il manque les piles. Elle croise
les bras et elle attend.
Psy : Quel métier tu aimerais faire plus tard ?
Lucie (qui reprend son dessin) : Maîtresse de karaté ou sage-femme. Mais
maman dit que c’est un métier difficile.
Psy : Métier difficile pour enfant difficile.
Lucie : Non, c’est pour les enfants calmes et moi, je ne suis pas calme.
Maman dit que je suis dans un autre monde…
Psy : Ah bon…
Lucie : Un monde où personne ne meurt jamais.
Psy : Ce serait bien. On garderait toujours les gens qu’on aime.
Lucie pose les feutres, se lève et vient montrer son dessin terminé .
Lucie : À gauche de la fleur, j’ai fait la rivière magique en rouge et jaune.
C’est le feu, la lumière bouillante qui a le pouvoir de faire du mal, qui
absorbe l’énergie… C’est la rivière du diable. De l’autre côté, c’est l’eau,
l’amour, l’herbe. C’est la rivière de l’ange.
Psy : La belle fleur, elle est entre les deux. Tantôt elle est mauvaise
comme le diable, tantôt elle est sage comme un ange.
Lucie : Ça dépend, elle fait comme elle veut.
Psy : L’histoire des deux rivières, tu l’as lue quelque part ou tu l’as
inventée ?
Lucie : Je l’ai inventée. J’imagine des choses, comme un panda géant
avec une tête de poisson ou que toute la terre serait une grande famille qui
porterait le même nom.
Psy : Ce serait mieux ?
Lucie : Ben oui, il n’y aurait plus de guerre, car il y aurait un même pays
et ils parleraient tous la même langue.
Psy : Ça serait comme un rêve, il n’y aurait plus de guerre entre les
familles. On pourrait se comprendre.
Lucie : Moi, je fais un cauchemar quand je ferme les yeux et je ne dors
pas encore. Le même cauchemar tous les soirs…
Psy : Tu veux essayer de le dessiner ?
Lucie prend une feuille sans rien dire et commence un nouveau dessin .
Lucie : Je me dessine. Je suis là au milieu… Et là, c’est le maître des
diables qui me met en feu. ( Elle le place juste derrière elle, dans les
flammes, et trace des bulles pour faire parler les deux personnages). Lui, il
rigole, Et moi, je crie… En bas, de chaque côté du feu, il y a les gardiens du
maître des diables. ( Elle dessine deux diablotins rouges à la queue
fourchue).
Psy : Je comprends pourquoi tu n’arrives pas à t’endormir.
Lucie : Après, j’appelle mon Papy. Lui aussi, il est torturé par les
diables…
Psy : C’est quand on fait des bêtises qu’on va en enfer.
Lucie : Je suis comme mon Papy, moi, j’en fais beaucoup !
Psy : Et puis, tu te punis toi-même en te mettant dans le feu de l’enfer.
Lucie : Euh… oui.
Psy : Tu dessines quand tu es à la maison ?
Lucie : Non, j’évite parce que ça me fait penser à mon Papy.
Psy : Ça te rend triste ?
Lucie : Oui. Il avait une pochette où il rangeait sa montre avec les dessins.
Psy : Tu aimais dessiner pour lui.
Lucie : Ouais.
Psy : Est-ce que tu serais d’accord pour revenir me voir ?
Lucie : Je sais pas…
C onduire l’entretien avec un adolescent est rendu difficile par le fait que
le clinicien se trouve confronté à une situation d’entre-deux qui génère à la
fois incertitude et instabilité. Les repères habituels de la rencontre clinique
sont mis à mal et les réactions du jeune homme ou de la jeune fille qu’il a en
face de lui restent le plus souvent imprévisibles. Jamais la question de la
surprise et le besoin de créativité ne sont aussi décisifs que dans ce type
d’entretien. Pas de technique appropriée, pas d’expérience qui tienne, la seule
chose qu’exige l’ adolescent est d’entrer en contact avec quelqu’un qui ne
soit rien d’autre que lui-même et surtout qui n’attende rien de lui. Toute
règle, toute consigne sont entendues par lui comme un nouveau carcan qu’on
cherche à lui imposer, bien que sa demande implicite, non encore
conscientisée, soit d’être cadré par un adulte digne de ce nom en qui il a l’
intuition de pouvoir faire totalement confiance. Ce paradoxe est au cœur de la
relation avec l’ adolescent et il n’en finit pas de se décliner sous des formes
toujours renouvelées, au cours du développement des liens qui peu à peu
s’instaurent.
1. D ÉPENDANCE ET AUTONOMIE
Le premier problème qui se pose à l’ adolescent est celui de son
autonomisation. Plus il avance en âge et plus il a besoin de se sentir libre aux
entournures. La présence parentale devient un poids d’autant plus lourd à
porter que la dépendance à son égard – dépendance économique et sociale –
est une réalité incontournable. Ne se sentant pas libre de ses mouvements, l’
adolescent a tendance à avoir des réactions vives et brutales. Son rêve d’
autonomie est constamment attaqué par le retour des réalités quotidiennes. Et
son désir de se sentir libre est d’autant plus puissant que son environnement
lui paraît inamovible. Si rien ne bouge autour de lui et si rien ne semble
pouvoir bouger, l’ adolescent risque de ne pas voir d’autres issues que la fuite
ou la transgression violente. Entre sa volonté de changement et son sentiment
d’inéluctabilité de ce qui est autour de lui, l’écart ne peut se réduire que par
l’apprentissage de la temporisation et de la temporalisation. Trouver des
étapes progressives pour que ça change et savoir user du temps comme
moyen d’action.
L’ adolescent ne supporte plus la présence de l’enfant en lui et tente de
s’en défaire, de façon plus ou moins radicale, en luttant notamment contre la
dépendance parentale. Il vit comme un dilemme ses restes d’enfance qui font
face à des exigences d’adulte déjà fortement installées en lui. La régression à
l’enfance est douce et agréable, mais en prendre conscience est si douloureux
qu’il est parfois nécessaire de poser un acte fort pour s’en déprendre et rendre
impossible le retour en arrière. Compte tenu de ces difficultés et de ces
risques d’impasse, la demande de l’ adolescent a beaucoup de mal à émerger.
Soit il est contraint et il se mure dans la passivité, soit il est actif mais rien ne
le satisfait. D’où les ratés et les malentendus qui ne manquent pas de
survenir, avant que ne s’instaure une relation de confiance, stable et durable.
Myriam, 14 ans, vient au CMP en compagnie de sa mère. Le collège exige
qu’elle rencontre un psychologue car elle se montre très agressive envers ses
camarades. La mère est excédée par les comportements de sa fille et lui
rappelle la menace d’exclusion qui a été signifiée par le principal. Myriam
refuse de coopérer et reste indifférente. Elle est au fait de tout ce qui lui est
reproché, mais n’a rien à en dire de particulier. Restée seule avec le clinicien,
elle se bute et se ferme à toute communication réelle. Elle n’est pour rien
dans ce qui se passe, ce sont les autres qui la « cherchent ». Elle frappe pour
se défendre, c’est elle « la victime », il n’y a rien d’autre à dire. Devant la
position défensive de l’adolescente et la mise en place d’une projection
massive, l’entretien reste sans effet, le clinicien ne peut constater que le refus
et en prendre acte. Il sait que l’ouverture qu’il propose reste bien aléatoire et
qu’il n’y a que très peu de chances que Myriam revienne de son propre chef.
On ne peut pas dire non plus qu’il y ait, dans le cas présent, de support
parental à la demande. Les parents se soumettent à l’exigence de l’institution
scolaire sans se poser de questions particulières sur leur enfant ou sur le
fonctionnement familial. Devant une telle fermeture du côté de l’adolescente,
comme du côté parental, l’approche clinique est sans prise et la parole n’est
pas en mesure de s’instaurer. Ce n’est peut-être qu’à la suite d’un nouveau
passage à l’acte et d’une exclusion du collège qu’une prise de conscience
pourra avoir lieu et qu’une aide pourra être acceptée par Myriam et souhaitée
par sa famille.
Laura, 14 ans, se rend seule à la consultation du CMP. Elle vient d’entrer
en Terminale et suit une scolarité brillante. Élancée et mince, toute vêtue de
noir, elle s’exprime simplement et avec aisance. Son souci, explique-t-elle au
clinicien, est qu’elle n’est plus capable de suivre ses entraînements de
natation. Dès qu’elle est dans l’eau de la piscine, elle a une sensation de froid
persistante qui l’empêche, même au bout d’un certain temps, de nager. La
situation est devenue très pénible, d’autant que la natation correspond pour
elle à un besoin vital. Très vite, elle est agacée par les questions du clinicien
qui lui semblent être des diversions. Il n’y a rien à dire sur sa famille, sur ses
relations amicales, « tout va bien » dans sa vie. Son seul ennui est cette
sensation de froid qui bloque sa vie sportive. Évidemment qu’elle en a parlé à
son médecin, mais il n’a rien compris, se contentant de lui dire de manger
plus. Alors elle pense qu’un psychologue, lui au moins, doit avoir des
solutions. Devant l’invite à parler qui lui est faite, elle hausse les épaules et
prend des airs condescendants, comme si le clinicien était à ses yeux aussi
incompétent que le médecin. Au troisième entretien, elle part en claquant la
porte, disant que, décidément, son père avait raison de dire que les psy ne
servaient à rien. Tout se passe comme si elle avait besoin de confirmer l’avis
paternel pour se conforter dans sa toute-puissance narcissique et s’enfermer
un peu plus dans sa logique anorexique.
Dans le cas de Laura, comme dans celui de Myriam, l’échec de la
rencontre repose sur une non-explicitation possible du besoin d’aide pourtant
présent et pressant dans les deux situations. Chacune persiste dans son
symptôme, sans être en mesure de mettre à profit l’opportunité qui lui est
offerte. La première, Myriam, résiste parce que le choix lui est imposé de
l’extérieur et la seconde, Laura, vient de sa propre initiative mais refuse
d’approfondir son problème, de peur de perdre le contrôle de la situation. La
première est prête à aller jusqu’au bout de sa logique persécutoire, tandis que
la seconde est décidée à ne rien céder pour maintenir son hypercontrôle
phallique. Position passive d’un côté et position active de l’autre se
rejoignent pour conduire au risque d’enkystement du symptôme. Seul un
événement extérieur ou une rencontre imprévisible est en mesure d’ouvrir des
perspectives de changement.
Une autre situation emblématique de l’adolescence est celle de l’
inhibition. Le repli sur soi défensif a pour fonction de préserver le soi fragile
de l’ adolescent, menacé aussi bien par les attaques du monde extérieur que
par les motions pulsionnelles incontrôlables venant de l’intérieur. L’
adolescent se rétracte, resserre au maximum son rapport à l’autre, afin de ne
donner aucune prise à l’ affect et surtout afin de ne pas être effracté.
L’hémorragie narcissique est le risque majeur encouru.
L’ adolescent inhibé ne s’oppose ni n’acquiesce à ce qu’on lui propose. Il
est en retrait, tantôt passif, tantôt ailleurs. Il s’ingénie, quoi qu’il arrive à
épuiser les bonnes volontés et, au bout du parcours, les parents se résignent à
consulter un psychologue pour pouvoir se dire qu’ils ont tout essayé en vain,
sous-entendant par avance que le clinicien ne saurait réussir là où tant
d’autres ont échoué avant lui.
L’ adolescent inhibé répète inlassablement un « je ne sais pas » qui finit
par conduire à une dépressivité inquiétante, si le clinicien ne parvient pas au
final à trouver un objet d’intérêt susceptible d’éveiller son attention. La
solution de la dernière chance est souvent la bonne, car l’ adolescent se rend
alors compte, et seulement à ce moment-là, qu’il risque de perdre la
sollicitude de la dernière personne qui s’intéresse encore à lui. La tentative de
suicide s’inscrit dans une logique de cette nature, qui aspire à une idéalisation
de la communication, sans pour autant renoncer à une autocentration
imaginaire. La pérennité du cadre et la permanence de l’ objet face aux
attaques transférentielles deviennent les garants du suivi thérapeutique.
3. TRAUMATOPHILIE ET CONDUITES
ORDALIQUES
Le traumatisme occupe une place importante dans la vie adolescente. Qu’il
en manifeste ou non le désir, qu’il affiche ou non sa volonté de se confronter
aux difficultés, l’ adolescent est attiré par le danger, comme le papillon est
attiré par la flamme. Mettre à l’épreuve ce nouveau corps avec lequel il a du
mal à se familiariser, se brûler les ailes pour mieux se sentir vivre, mais aussi
pour trouver une voie parmi toutes celles qui lui sont proposées et dont il ne
sait laquelle lui convient. La traumatophilie est ce besoin d’un choc salutaire,
cette recherche de la blessure psychique, seule capable de révéler au soi les
valeurs réelles de l’expérience vitale (J. Guillaumin, 2001). En se confrontant
à la dureté du monde et à la réalité des autres, l’ adolescent fait l’épreuve de
la castration et perd ses rêves de toute-puissance. Et les épreuves successives
rencontrées l’aident à amorcer le deuil de l’enfance, deuil indépassable mais
qui reste au cœur du processus de maturation.
Dans les sociétés traditionnelles, le passage de l’enfance à l’âge adulte est
marqué par les rituels initiatiques. La jeune fille est préparée à la sexualité
génitale et à la maternité par le groupe des femmes, alors que le garçon est
accueilli chez les hommes après une série d’épreuves mettant en avant sa
virilité. Aujourd’hui, dans nos sociétés, les rites d’initiation sont dilués dans
le corps social et manquent de repères aisément identifiables. De plus, le
contexte socio-économique tend à renforcer la dépendance réelle vis-à-vis
des parents et à prolonger la situation d’adolescence. De ce fait, il devient
plus difficile d’accéder à l’ autonomie psychique. Les conduites ordaliques
s’inscrivent dans la perspective de la traumatophilie. Prendre des risques,
aller aux extrêmes pour quitter le familier et le routinier. Paradoxalement,
rester dans le cocon familial revient à mourir et flirter avec la mort équivaut à
vivre. La vie est du côté des émotions fortes et de l’extraordinaire, l’ordinaire
étant assimilé au mortifère.
On comprend ainsi combien l’ adolescent est attiré par la transgression de
l’interdit. Passer de l’autre côté de la frontière, c’est s’aventurer dans une
zone qui n’est plus balisée et où l’impression de liberté est garantie. La
question à ce niveau est de savoir où se situe la limite de tolérance, jusqu’où
l’ adolescent est prêt à aller pour éprouver ses propres limites et, en premier
lieu, ses limites corporelles. Au-delà d’un certain seuil, on passe de
l’expérience adolescente à la psychopathologie (D. Marcelli et A. Braconnier,
2008).
Un certain contact avec la drogue, s’il est occasionnel et limité, relève d’un
besoin de libération et non d’une tendance toxicomane. Il est le déclencheur
d’un bouleversement nécessaire dans l’économie familiale au terme duquel l’
adolescent est amené à changer de statut. Il a déjà changé physiquement, le
plus difficile est d’amener les parents à reconnaître qu’il a changé
psychiquement et que les places à l’intérieur de la famille doivent être
redistribuées. Si l’occasion du choc traumatique lié au passage à l’acte n’est
pas saisie, la situation risque de perdurer et de conduire à un engrenage
pathologique. On peut cependant constater des situations qui deviennent de
plus en plus critiques. Ainsi par exemple au collège, lorsque des adolescents
s’alcoolisent de façon massive aux intercours. De paris en provocations, ils
en viennent à des intoxications majeures dont la réversibilité devient
problématique. Par contre, certaines intoxications légères sont liées à des
situations groupales et relèvent d’un désir de convivialité assimilé à la
consommation de certains produits.
Pierre, 14 ans, vient consulter avec sa mère pour un problème de
concentration en cours. Il vient d’entrer en classe de troisième et les parents
s’inquiètent devant un effondrement de ses résultats scolaires à mi-parcours
du premier trimestre. Resté seul avec le psychologue, Pierre lui explique qu’il
n’arrive plus à suivre en classe car il a l’esprit embrumé par l’alcool. Avec
deux de ses camarades, ils jouent à celui qui boira le plus. Ils en sont venus à
avaler une bouteille de pastis à tous les trois, à la récréation de 10 heures.
L’adolescent sent qu’il est parvenu à un seuil critique et il est soulagé de
s’être confié au psychologue. Mais comment se sortir du piège à présent ?
Arrêter est relativement facile si la motivation est présente, mais il importe en
même temps de réfléchir sur ce qui a conduit Pierre à ce besoin soudain
d’évasion. Pierre a eu peur parce qu’il a vu une fois son copain sombrer dans
le délire. Il accepte de parler à ses parents et de débuter une psychothérapie.
Parfois, l’alerte est plus spectaculaire et l’ adolescent ne prend conscience
du problème qu’il traverse qu’à la suite d’un risque létal. Une tentative de
suicide, un accident survenu à la suite d’une conduite extrême, ou un passage
à l’acte de nature délinquante sont autant d’événements dramatiques qui sont,
en même temps, significatifs d’un seuil franchi, d’une borne atteinte. Ainsi
« la répétition des agirs stigmatise les défaillances structurales primaires,
entrave le processus de formation identitaire et enferme l’ adolescent, en
panne de désir, dans un mode d’ expression symptomatique marqué par la
rupture » (Y. Morhain, 2009). Quand de tels actes peuvent être appréhendés
comme l’opportunité d’une mise en sens, l’ adolescent parvient à les intégrer
psychiquement et à les saisir comme une étape maturative de son évolution
vers l’état adulte. Ces épisodes tumultueux ne sont plus compris comme des
passages à l’acte, mais comme des passages par l’acte (R. Roussillon, 1991)
et ils sont à considérer comme des moments cruciaux du processus d’
appropriation subjective (F. Richard, S. Wainrib et coll., 2006).
Certains épisodes psychotiques sont de même nature et ne préjugent en
rien d’une évolution pathologique. Ils présentent en soi une allure inquiétante
et peut-être ont-ils à jouer ce rôle auprès du couple parental, mais ils
débouchent le plus souvent, s’ils sont entendus et traités de manière
satisfaisante, sur une maturation qui les intègre comme un temps d’
historisation. Les moments difficiles et critiques de l’adolescence prennent
place peu à peu dans leur histoire, en même temps qu’ils prennent sens dans
un contexte œdipien. Les blessures se cicatrisent comme des marques de
limitation et de castration qui ouvrent au champ des possibles, par-delà les
rêves et les utopies.
4. L’IDÉALITÉ ET LE GROUPE
Le temps de l’adolescence est le temps de la rébellion et de la révolte. Bien
qu’il ne sache pas précisément contre qui ou contre quoi, l’ adolescent ressent
l’impérieux besoin de s’opposer. Soit il va s’en prendre au monde entier, soit
il va exercer une animosité plus ou moins marquée envers tous ceux qui sont
responsables, entièrement ou en partie, de ce qui arrive ou de ce qui lui
arrive. Cette étape du refus n’est pas sans rappeler l’opposition
caractéristique de l’entrée dans le stade sadique-anal décrit par Freud en
1905. Elle en est comme la résurgence plus ou moins explosive selon le
contexte familial et social, qui met en continuité et en corrélation le rapport à
l’autorité et l’affirmation de soi. Pour ne pas se sentir nié, pour faire face aux
exigences pulsionnelles de plus en plus pressantes et à l’impression de
contraintes externes trop lourdes et trop restrictives, l’ adolescent a envie
d’attaquer les limites et d’imposer sa propre norme, en un mot de mettre le
monde à sa mesure.
L’environnement œdipien règle l’apparition et l’évolution du conflit
adolescent. En fonction des résistances ou des tolérances, l’ adolescent se
détermine et se construit. Si les règles sont trop fortes, il les combat, si elles
manquent, il les cherche. Quoi qu’il en soit, sa quête identitaire nécessite une
confrontation réelle à la loi, c’est-à-dire à cette limite qui est commune à tous
et qui relève du symbolique (J. Lacan, 1953).
Marie, 16 ans, est hospitalisée à la suite d’une overdose dans une boîte de
nuit où elle s’était rendue avec des amis plus âgés. Très vite, elle relate son
histoire à la psychologue qui la reçoit en entretien. Ses parents, très libéraux,
lui ont offert la possibilité de vivre indépendante dès qu’elle a eu ses 15 ans.
Elle s’est alors installée seule dans un studio proche du domicile familial. « À
partir de ce moment-là, dit-elle, j’ai commencé à avoir de mauvaises
fréquentations ». Se sentant partir à la dérive, elle s’est mise à « faire
n’importe quoi ».
Au second entretien, elle vient en compagnie de son père. Celui-ci est très
prolixe et lui répète combien il l’aime. Avec sa mère et ses frères, ils ont
décidé de la reprendre à la maison et de « vivre comme avant ». Mais, à sa
grande surprise, Marie ne lui répond pas et se tourne vers la psychologue
pour lui exprimer avec insistance son souhait d’aller vivre en pension, dans
un lycée éloigné de sa ville natale.
Marie a fait la douloureuse expérience d’un arbitraire sans limites qui l’a
conduite à une impasse dangereuse. Elle ressent à présent l’impérieuse
nécessité d’un cadre extérieur contraignant afin de construire sa propre
subjectivité et de restaurer son soi défaillant dans une sécurité retrouvée.
Paradoxalement, la distance géographique va lui permettre de recouvrer la
proximité avec la cellule familiale, à l’intérieur d’un processus de
différenciation.
L’idéalité est une autre constante de la recherche adolescente. Et la
tendance à l’ idéalisation est d’autant plus forte que la fécalisation du monde
environnant est appuyée. Pour échapper à toutes les compromissions – pour
ne pas dire les corruptions – qu’il constate autour de lui, l’ adolescent se crée
un refuge dans l’ utopie. Enfin un îlot de pureté et de fraternité. Avec la
reconstruction utopique, l’ adolescent peut renouer avec ses rêves. Une étape
est franchie avec l’engagement et la militance. L’indignation ne suffit pas à
apaiser le sentiment d’injustice engendré par la vision de l’inégalité et
exacerbé par le cynisme des puissants. Le désir de changement est vain s’il
ne débouche pas sur une mise en œuvre active de l’ idéal affiché.
L’humanitaire et l’altermondialisme sont des voies aujourd’hui recherchées,
mais l’engagement peut aussi être religieux ou politique. L’ adolescent
cherche dans l’action un moyen de réduire l’écart insoutenable entre ce qui
devrait être et ce qui est réellement observé. Le risque à ce niveau est la
tentation des extrêmes qui peut conduire les plus exaltés jusqu’au fanatisme
(B. Chouvier, 2009). Pour calmer ses angoisses ou pour combler sa solitude,
l’ adolescent se laisse alors séduire par des groupes extrémistes qui lui
promettent le bonheur individuel grâce à une harmonie solidaire entre les
humains. Le groupe sectaire est le modèle de ce type de mouvement. L’
adolescent entre en « servitude volontaire » pour recevoir en échange l’amour
du leader charismatique du groupe et la chaleureuse affection des frères et des
sœurs qui composent la communauté. L’attente et l’espérance sont si grandes
que toute déception menace d’amener à une fin tragique. Ainsi ce jeune
homme inscrit dans une secte d’inspiration macrobiotique qui, au terme d’un
désenchantement de nature mélancolique, vient se pendre dans la maison
familiale avec le lasso offert par son père (R. Ikor, 1981).
Sur le plan politico-religieux, celui qu’on a appelé « le taliban américain »
est un cas exemplaire. Face au laxisme parental et à un désillusionnement
croissant des valeurs familiales, l’ adolescent se réfugie dans une croyance
religieuse de plus en plus exigeante. Aveuglé par les sommations de son
intégrisme, il est entraîné dans une dérive sectaire qui le conduit à adhérer à
Al-Qaida et à passer à l’action terroriste.
L’ idéalisation extrême, on le constate, va de pair avec la participation à
des groupes extrémistes. Il est un fait que le besoin chez l’ adolescent de
refaire le monde est concomitant du besoin de se regrouper. Conscient de sa
fragilité et des incertitudes qui pèsent sur son avenir, il est avide à la fois de
certitude et de solidarité.
La métaphore des hérissons, selon A. Schopenhauer (1818), est ici
particulièrement judicieuse. Les adolescents sont comme les hérissons : seuls,
ils ont froid, alors ils ont tendance à se resserrer en groupe pour trouver un
peu de chaleur. Mais, lorsqu’ils sont trop près les uns des autres, ils se
piquent mutuellement et alors ils s’éloignent, jusqu’à ce que le froid de la
solitude les contraigne à se rassembler encore. Ce nouveau paradoxe
implique une instabilité caractéristique du malaise interne que traverse la
subjectivité adolescente et qu’il lui est nécessaire d’éprouver afin de trouver
la bonne distance entre le soi propre et l’autre, étranger mais indispensable à
la survie subjective.
L’ adolescent s’appuie sur un groupe de pairs dans le but de se sentir plus
fort, mais aussi pour se démarquer le plus possible du monde des adultes,
dont le modèle est le milieu parental. Langage à soi et mode vestimentaire
sont deux paramètres essentiels d’une telle appartenance différenciatrice.
Cependant la violence pulsionnelle ne s’exerce pas exclusivement sur le
monde parental. Elle trouve aussi une expression dans la résurgence de la
rivalité fratrique déportée sur les autres groupes de pairs. Les clans, les
bandes fleurissent autour d’identifiants clairement repérables, tels
l’accoutrement vestimentaire et les choix musicaux. Les adolescents
reproduisent de la sorte et à leur manière les divisions et les clivages qui sont
ceux des regroupements idéologiques entre adultes.
6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS THOMAS
Thomas est un adolescent de 15 ans, pas très grand et un peu fluet. Il vient
à la consultation accompagné par son père, un homme d’une cinquantaine
d’années à la poignée de main ferme et volontaire. Monsieur S. tend une
lettre au clinicien.
M. S. : Une lettre de la part de mon médecin de famille.
Psy : Dites-moi ce dont il s’agit.
M. S. : En principe, tout est écrit là-dedans…
Psy : Je préfère que vous m’expliquiez de vive-voix et que peut-être votre
fils puisse dire lui-même ce qui…
M. S. : Ce qui m’inquiète par rapport à mon fils, c’est que depuis des
années, il a été racketté et que son bulletin scolaire a chuté. Il a été réorienté
dans un autre collège parce qu’il est passé en conseil de discipline.
Psy : En conseil de discipline… Pour quelle raison ?
M. S. : J’ai posé des questions à Thomas. Je lui ai demandé : « Est-ce que
tu fumes ? ». Il m’a répondu : « Oui, mais que du tabac ». Il a vu le médecin
de famille à ma demande. Thomas lui a dit qu’il avait fumé du haschich, mais
que maintenant il n’aimait plus. Mais quand je vais dans sa chambre, ça sent
l’eucalyptus. Une fois, ma femme m’a dit de venir voir la fenêtre de Thomas
et j’ai vu, dans les rainures, des mégots. Une autre fois, je suis rentré et il y
avait une odeur incroyable d’eucalyptus. J’ai encore trouvé des mégots. Il
m’a dit que c’était du tabac et puis du cannabis. Des fois même, j’ai retrouvé
mon paquet de cigarettes vide !
Psy : Vous pourriez dire à Thomas ce que vous attendez de lui ?
M. S. : Écoute Thomas, tu as 15 ans, je vais jouer franc-jeu avec toi. Tu as
reçu deux claques dans ta vie. La première parce que tu as mangé dehors sans
me prévenir et que j’étais angoissé. Et la deuxième fois parce que tu as fumé.
Simplement Thomas, quand je dis blanc, c’est blanc et ce n’est pas noir.
Psy : Votre père vous parlait peut-être comme ça…
M. S. : Oh moi, j’ai eu une adolescence facile. Mon père était représentant
de commerce et je le voyais seulement deux heures tous les quinze jours au
début. Après, j’ai récupéré beaucoup de choses avec lui. À 15 ans, j’ai
commencé à sortir avec mon père. On allait à la pêche ensemble, on faisait
plein de choses.
Psy : Et toi Thomas, tu fais des choses avec ton père ?
Thomas : Oui, on va à la pêche, on va au ciné…
M. S. : Ma femme me dit : « Comment veux-tu que Thomas arrête de
fumer, si toi tu fumes ? ». Mais moi, je sais pourquoi j’ai commencé de
fumer. C’était pour être comme mon père, pour être grand. Lui, il est
incapable de dire pourquoi.
Psy : C’est vrai Thomas ?
Thomas : Oui, je sais pas… J’ai essayé une fois, puis j’ai réessayé…
M. S. : Thomas est très influençable, il fume depuis qu’il est avec son
copain François… Thomas, tu sais, en tant que père, je t’aime. Tu es mon
fils. Moi, c’est une chose que l’on ne m’a jamais dite. Je m’inquiète
beaucoup pour toi… Un jour, mon père m’a donné une claque, mais j’étais
plus jeune. Le tabac à 15 ans, c’est trop tôt, après c’est difficile… Moi, j’ai
fait une crise d’asthme et j’en souffre encore aujourd’hui.
Psy : Quelle solution vous voyez au problème ?
M. S. : C’est mon épouse qui a fait la demande ici au CMP. Moi avant,
j’avais téléphoné à une association où l’on m’a dit : « Monsieur, avez-vous
déjà dit je t’aime à votre fils ? »
M. S. se lève, se dirige vers son fils et le prend dans ses bras en disant :
« Thomas, je t’aime, je t’aime ! ». Thomas se raidit dans une attitude un peu
honteuse.
M. S. : Pour moi, on fait des enfants parce qu’on les aime, pas pour les
haïr…
Thomas s’est à nouveau assis, reste les yeux dans le vague et semble
absent.
Psy : Vous pensez que c’est un manque d’amour…
M. S. : Depuis que je suis au chômage, c’est moi qui m’occupe de
Thomas, car ma femme rentre tard du fait de son métier. Pendant des années,
j’ai pris le martinet pour faire obéir Thomas, mais ça me faisait souffrir…
Aujourd’hui, est-ce qu’il vaut mieux jouer le jeu de la carotte ? De toute
façon, je refuse que Thomas sorte le soir. J’ai peur qu’il fume.
Psy : Il fume, semble-t-il, déjà dans sa chambre.
M. S. : Je voudrais qu’il arrête. À l’association, on m’a dit de signer un
contrat avec lui.
Psy : Tu es d’accord, Thomas ?
Thomas : Je sais pas…
M. S. : Je le signerai aussi… (Silence).
Psy : Vous craignez des séquelles pour Thomas s’il continue de fumer ?
M. S. : Moi je suis devenu asthmatique du jour au lendemain, quand mon
père est mort. Ça a été un choc émotionnel, j’étais très proche de lui. J’ai
seulement appris après que lui aussi avait de l’asthme. Il ne m’en avait jamais
parlé.
Psy : C’était à quelle époque ?
M. S. : C’était il y a 15 ans.
Thomas : J’étais né ?
M. S. : Tu devais avoir à peine un mois…
Thomas : Moi aussi, maintenant, je fais de l’asthme.
M. S. : On a même été obligé de l’hospitaliser une fois quand il avait
13 ans. Il a été mis sous oxygène.
Psy : Fumer et avoir de l’asthme, chez vous c’est une affaire de famille.
Thomas regarde son père en souriant.
M. S. : C’est bizarre, je n’y avais pas pensé !
Psy : Thomas, nous pourrions peut-être revenir sur le contrat dont parlait
tout à l’heure ton père.
Thomas : Moi je veux bien, mais je ne sais pas trop ce que ça veut dire.
Psy : Serais-tu d’accord pour revenir en parler ici ?
Thomas : Il faudrait que ma mère soit là aussi…
M. S. : Ce sera difficile. Tu sais bien qu’en journée elle est prise par son
travail.
Psy : Je crois que Thomas a raison. Il est important que votre femme
puisse venir.
M. S. : Alors on va s’arranger.
1. PROCESSUS DE L’ADOLESCENCE
EN SOUFFRANCE
L’entretien clinique avec l’adolescent nous confronte à un certain nombre
de difficultés aussi bien sur le plan de la pratique que de la théorie, comme
vient de le souligner Bernard Chouvier. La clinique adolescente « extrémise »
pratique et théorie, elle « chauffe à blanc », sous le coup des processus
pubertaires (P. Gutton, 1991), les remaniements de la réalité psychique.
L’adolescence est en effet l’occasion d’une reprise et d’un déploiement des
zones de fragilités antérieures et des échecs dans la maturation de ce qui n’a
pu être expérimenté auparavant. Des parties de soi non intégrées font donc
retour dans « le processus de subjectivation » (R. Cahn, 1997). Celles-ci
pourront concerner une remise « en jeu »/en « je » (R. Roussillon, 2008) de
l’ensemble des « strates » de la psyché, l’adolescence produisant ainsi un
effet « grossissant » sur les logiques de symbolisation dans leur ensemble. Ce
nouvel « organisateur psychique » (E. Kestemberg, 1962) reprend donc les
problématiques infantiles demeurées en suspens et relance leurs potentialités
dont le pendant est la situation de « crise » dans laquelle se trouve
l’adolescent.
Les éléments archaïques et préœdipiens trouveront ainsi à s’exprimer à
travers la « part bébé du soi » (A. Ciccone, 2012) qui fera retour à la faveur
des processus pubertaires. Ernest Jones (1922) rappelait ainsi que
« l’adolescent est plus près du premier âge que de la seconde enfance ». En
témoignent les états de « fusion » dans lesquels peuvent se trouver
fréquemment les adolescents avec leurs parents, leurs pairs, leurs amours ou
leurs idoles. Les fondements primaires du fonctionnement psychique
deviennent à nouveau transformables, donnant lieu à l’expression de haines
primitives inexplorées et de logiques de clivage et d’idéalisation
caractéristiques de la position schizo-paranoïde (M. Klein, 1946). La
rencontre avec la sexualité gardera de la même manière l’empreinte des
relations primaires, Freud (1905) soulignant que « trouver l’objet sexuel n’est
en somme que le retrouver ». Ces retrouvailles avec le corps à corps primaire,
complexifiées par la génitalité et de nouvelles logiques du désir, se feront
avec plus ou moins de facilité. Elles viendront notamment questionner
l’homosexualité primaire et la bisexualité psychique invoquées de fait dans la
rencontre amoureuse.
Les logiques infantiles de l’organisation œdipienne sont ainsi resignifiées
dans l’après-coup adolescent et la cohérence de la structuration psychique se
doit de résister à la pulsionnalité : « c’est comme si l’on mettait du vin
nouveau dans de vieilles outres » nous dit Winnicott (1962), qui rappelle
ainsi que l’appareil psychique se trouve mis à rude épreuve sous le coup des
processus pubertaires. Le trouvé-créé adolescent du corps de l’autre se fait
alors de manière plus ou moins harmonieuse selon la capacité à transformer
les identifications parentales en de nouveaux objets d’investissement. Ceux-ci
se doivent d’être paradoxalement suffisamment identiques et différents pour
maintenir le sentiment de continuité d’existence et permettre la construction
d’une identité originale dans la rencontre avec l’autre.
L’adolescent se confronte aussi à ce qui ne lui appartient pas toujours
directement. Il se heurte alors fréquemment au fait qu’il révèle, à son insu, le
fonctionnement familial non symbolisé. Il remet alors malgré lui sur le devant
de la « scène pubertaire » (P. Gutton, 1991) les éléments familiaux et
transgénérationnels inélaborés, produisant parfois en retour un effet de
saisissement chez des parents qui réagissent de manière défensive, en
stigmatisant l’adolescent dont la fonction miroir est difficilement intégrable.
Mais la période de turbulence familiale parfois induite par l’adolescence peut
aussi s’avérer l’occasion, pour les parents, de réélaborer ce qui de leur propre
histoire n’a pu être transformé. L’adolescence apparaît ainsi comme une
période de transformation qui transcende la sphère individuelle et convoque
nécessairement la groupalité psychique.
Face à l’ensemble de ces remaniements, l’adolescent est un être fragile
aussi bien sur le plan narcissique qu’identitaire. L’appareil psychique du
pubère se doit en effet de prendre le relais de l’appareil psychique parental,
non sans heurts. Face à ce travail psychique d’émancipation, l’adolescent
traverse des phases de régression et de repli souvent marquées par l’ennui et
la morosité (P. Mâle, 1971), fruits d’un refus d’investir un monde inquiétant.
Il pourra s’agir à l’inverse d’un hyper-investissement du monde environnant
mettant davantage à l’œuvre les défenses maniaques. Cet investissement
trouvera en particulier à s’exprimer à travers le groupe et la tendance
antisociale (D. W. Winnicott, 1962). Le groupe permet à l’adolescent de se
sentir exister au travers du regard des autres et des expériences partagées et
mises en scène par ses membres. Les comportements extrêmes auxquels il
sera ainsi conduit seront fréquemment associés à certaines formes du
processus de symbolisation adolescent ne pouvant s’exprimer qu’aux limites.
Leur intégration dépendra alors de la qualité du répondant de
l’environnement (D. W. Winnicott, 1956).
Ainsi, ces différentes solutions adolescentes ne seront pas, de par leur
nature même, sans présenter un certain nombre de risques dans ce travail
délicat d’appropriation et de différenciation de soi. La toxicomanie, les
troubles alimentaires, la crise dépressive (A. Braconnier, 1986), les passages
à l’acte marqués par la violence (P. Jeammet, 1997), la dérive idéologique
(B. Chouvier, 1996), les tentatives de suicide, voire, en dernier lieu, les
défenses psychotiques (R. Cahn, 1985) seront différentes formes de réactions
dans le but de se protéger de la souffrance intense ressentie par l’adolescent.
Les évolutions sociales et culturelles viendront également colorer ces
solutions qui ont aussi pour fonction d’interroger la société dans laquelle les
adolescents évoluent. L’usage actuel du virtuel (Facebook, Snapchat, etc.)
complexifie et catalyse ces processus dans un monde truffé d’informations et
de miroirs potentiels. Les solutions trouvées semblent parfois d’autant plus
extrêmes, à l’image du binge drinking ou des research chemicals 1, dans une
recherche effrénée de soi et de ses limites. Il s’agit alors pour une société
d’être en mesure de contenir et d’accepter que ceux qui sont amenés à la
composer aient ainsi besoin de s’écarter de la norme, ce qui s’avère parfois
complexe lorsqu’elle vise à prévenir tout risque potentiel. Le clinicien est
alors celui que l’on vient trouver lorsque la souffrance de l’adolescent et de
ceux qui l’entourent se fait trop grande ou trop bruyante dans le champ
social.
2. L’AMÉNAGEMENT DU CADRE
Ces processus adolescents nécessitent un certain nombre d’aménagements
du cadre clinique. On remarquera tout d’abord une double logique qui n’est
pas toujours simple à manier. Chez un certain nombre de patients adultes, il
s’agit d’aider le sujet à se remettre en contact avec les éléments de sa vie
psychique non intégrés qui le font souffrir. L’adolescent est confronté à la
même problématique, mais celle- ci se double d’un trop plein de réel qui
l’envahit. Il s’agit donc tout à la fois de permettre l’émergence des processus
de symbolisation mais également de les contenir de sorte qu’ils ne deviennent
pas effractants. Ceci explique probablement pourquoi, comme le souligne
Pierre Mâle (1971), l’entretien avec l’adolescent tient davantage du
dialogue que de l’association libre. Pour la même raison, même si les
opinions diffèrent sur ce point, il peut arriver qu’il soit nécessaire – hormis
dans des situations de crise aiguë – de ne pas recevoir de manière trop
rapprochée l’adolescent afin de lui laisser le temps de digérer les entretiens.
Ceux-ci proposeront un environnement suffisamment tempéré. Le risque
est, sinon, de se trouver confronté à l’« adolescent glaçon », coupé de son
vécu, ou à l’« adolescent huître » qui se renferme dès qu’il entrevoit sa
dynamique psychique inconsciente, qui le dépasse autant qu’elle l’inquiète.
La marge de manœuvre du clinicien est d’autant plus réduite que le risque est
grand de perdre le fil de l’alliance thérapeutique, donnant lieu parfois à une
fin prématurée de suivi, comme l’a également souligné Bernard Chouvier. Le
premier contact est souvent essentiel de ce point de vue. Il s’agit de n’être
soi-même ni trop chaud, ni trop froid, une sorte de médium malléable bien
tempéré (M. Milner, 1955) qui agit tout autant comme surface de projection
que comme contenant pour la psyché adolescente. Le tact a également son
importance, d’autant plus qu’il implique souvent une temporalité courte
auprès de l’adolescent qui nécessite une réponse du tac au tac.
Je pense par exemple à cette adolescente, Élodie, que je vois en première
consultation avec sa mère. Hospitalisée suite à des scarifications et des
conduites à risque, les tentatives précédentes de prise en charge individuelles
se sont rapidement révélées un échec. Les parents, eux-mêmes suivis tant leur
souffrance et leur incompréhension sont grandes, sont très inquiets pour leur
fille, qui est sur le point d’être déscolarisée. Quand je vois Élodie seule après
un premier temps en présence de sa mère, l’ambiance est lourde : j’ai le
sentiment qu’elle me fusille du regard et que le moindre mot que je pourrais
dire sera d’emblée voué aux gémonies.
Les situations de ce type ne sont pas rares et nécessitent de la part du
clinicien une capacité à rentrer rapidement en contact avec l’adolescent au
risque de ne pouvoir engager un travail thérapeutique. Il s’agit alors de
respecter l’écosystème psychique de l’adolescent en acceptant son désir de
parler ou non ainsi que son mode d’expression privilégié. En ce sens, il
convient souvent d’être aussi peu directif que possible de manière à se
présenter comme un adulte dont le positionnement est différent de ceux qu’il
peut avoir l’habitude de côtoyer : un adulte non menaçant, qui ne lui promet
et ne lui demande rien, un adulte qui pourra peut-être porter sur lui un regard
différent de celui que lui portent ceux qui l’entourent habituellement. Il
convient ainsi, dès les premiers temps de l’entretien, de se décaler de la
position de l’adulte-éducateur. L’adolescent côtoie en effet fréquemment des
adultes qui lui disent ce qu’il doit faire, qu’il s’agisse de ses parents ou de ses
enseignants. Il faut donc dissiper d’emblée certains malentendus qui
pourraient grever l’alliance thérapeutique. La reprise des règles habituelles du
secret, une explicitation claire du cadre thérapeutique ainsi qu’une grande
malléabilité sont alors essentielles, en particulier en début de suivi. Dans le
même registre, on notera qu’un certain nombre de représentations ou de
fantasmes plus ou moins étranges concernant le clinicien – qui s’occupe des
« fous », qui pourrait lire dans les pensées – pourraient également compliquer
le début du travail psychothérapique s’ils ne sont pas débusqués rapidement.
Il convient aussi de parvenir à se décaler, au moins en partie, de la figure
caricaturale du vieux dans la psyché adolescente en montrant que l’on saisit
suffisamment son univers pour pouvoir s’y glisser sans trop le déranger. Il est
parfois utile d’être un Nebenmensch (S. Freud, 1895), un proche, qui connaît
suffisamment la production artistique d’un Justin Bieber, les personnages de
League of Legend ou la dernière saison de Breaking Bad.
Mais il convient tout autant d’être vigilant concernant l’alliance
thérapeutique avec les parents. Il est essentiel de ne pas donner l’impression
de prendre parti en trouvant une position tierce qui ne vienne renforcer ni les
défenses des parents, ni celles de l’adolescent. C’est souvent de
l’internalisation de cette position par le clinicien que découlent des progrès
thérapeutiques lorsque les difficultés familiales sont au premier plan. Il s’agit
alors de créer une double alliance qui nécessite un certain nombre de
subtilités dans le positionnement clinique. De nombreux cas de figure
peuvent en effet se présenter à la suite du premier entretien. Le suivi pourra
s’orienter davantage vers une prise en charge individuelle de l’adolescent ou,
à l’inverse, impliquer uniquement les parents. Entre ces deux extrêmes, de
multiples nuances seront possibles : suivi familial avec le jeune et les parents,
suivi avec le jeune et l’un des deux parents, etc. Le cadre pourra également
être amené à évoluer au fil du suivi à condition de penser son incidence sur la
dynamique transférentielle. Cette malléabilité du cadre nécessite en
particulier une grande dextérité dans le maniement du secret et le respect de
l’intimité psychique de l’adolescent. Le sentiment d’être sur « le fil du
rasoir », réaction transférentielle au vécu adolescent, peut parfois faire
soudainement retour lors des entretiens, en particulier lors de ce subtil
maniement du cadre.
3. PRINCIPES DE L’ENTRETIEN
PSYCHOTHÉRAPIQUE
Le cœur même des entretiens avec l’adolescent nous confronte à un certain
nombre de questionnements sur le plan psychothérapique dont nous allons
aborder à présent quelques lignes de force. Il s’agit tout d’abord, comme nous
le rappelle Winnicott (1962), de saisir que l’adolescent « ne désire pas être
compris », au sens intellectuel du terme, ce que note aussi Jean Guillaumin
(1985) qui affirme « la priorité accordée par l’adolescence au vivre sur le
comprendre ». L’adolescence est moins le temps de la réflexivité que celui de
l’expérience. Il s’agit donc de l’accompagner dans le « pot au noir »
(D. W. Winnicott, 1962) de manière à l’aider à passer ce cap difficile. On
restera donc sur le pont avec lui durant les intempéries en attendant que
l’orage passe et on s’émerveillera de ses découvertes et de ses potentialités
lorsque se présentera une accalmie. On sera également à ses côtés dans sa
lutte pour se sentir réel, face à cette question fondamentale qui a traversé
chacun d’entre nous : « comment être adolescent au moment de
l’adolescence ? » (D. W. Winnicott, 1962). Vis-à-vis de « l’adolescent
caméléon », tantôt replié sur lui-même, tantôt exubérant, il convient alors de
ne pas chercher une solution pour lui mais avec lui, ce que Evelyne
Kestemberg (1962) résume ainsi : « Si l’adolescent cherche anxieusement sa
forme définitive et si le thérapeute doit l’aider à la trouver, il ne peut en
aucun cas se penser Pygmalion » (p. 324). Le danger est en effet de
reproduire dans la dynamique transférentielle ce qui fait souffrir
l’adolescent : être pris dans les rets de l’emprise et du désir de l’adulte.
Le contact au réel (J. Lacan, 1975) que recherche l’adolescent est d’autant
plus délicat qu’il se situe souvent dans un refus catégorique de fausses
solutions et de compromis aussi bien avec lui-même qu’avec le monde qui
l’entoure. Raison pour laquelle toute solution qui lui est proposée – ce qui
peut être tentant, si intense est parfois sa souffrance – risque d’être prise
d’emblée dans ce refus du compromis associé à une quête effrénée de vérité.
Je pense par exemple à ce jeune garçon de quinze ans que je reçois en
consultation, suite à un bilan cognitif mettant en évidence un quotient
intellectuel exceptionnellement élevé. Décalé par rapport aux adolescents de
son âge, il est envahi d’une grande tristesse, au point qu’il ne parvient plus à
se rendre au lycée. Il reste alors chez lui la journée durant et absorbe, telle
une éponge, tout ce qu’il peut trouver sur internet, cherchant manifestement à
juguler ainsi les angoisses existentielles qui l’assaillent : « Quel est le sens de
la vie ? Pourquoi meurt-on ? Qui suis-je ? » La « fausseté » du monde qu’il
découvre lui est insupportable et le conduit à un sentiment d’absurdité et de
futilité dont il ne parvient pas à se défaire, développant un profond sentiment
d’inutilité qui l’empêche de se projeter dans un futur possible. Cette
préoccupation pour le monde contraste avec le peu d’empathie qu’il éprouve
à l’égard de ses proches et de ses camarades. Il me fait ainsi l’effet d’être
désincarné, semblant fuir les dimensions agressives et sexuelles des
processus pubertaires par une forme d’« ascétisme » bien décrit par Anna
Freud (1958). Cette tentative de neutralisation du pubertaire conduit alors
bien souvent à la dépression car la pulsionnalité sous-jacente ne parvient pas
à s’exprimer convenablement, la colère se transformant progressivement en
une tristesse envahissante.
Ainsi, l’adolescent se trouve-t-il en difficulté de ne savoir comment
accéder à lui-même et il en devient par conséquent difficile d’accès pour les
autres. Il arrive ainsi fréquemment qu’un adolescent se présente en entretien
sans la capacité à entrer en relation avec autrui. Il est alors pris dans un
mouvement paradoxal d’appel à l’aide et de refus de toute aide potentielle,
fruit d’un écart narcissico-objectal et d’un antagonisme dans son rapport à
l’objet (P. Jeammet, 2002) qui donne lieu à un paradoxe que l’on peut
énoncer ainsi : « plus j’ai besoin de toi et plus je souhaite que tu te tiennes à
distance ; plus tu te tiens à distance et plus j’ai besoin de toi ». Lorsque la
relation devient trop intense, elle prend alors le risque d’être prise dans ce
paradoxe qui émerge à la faveur d’un certain degré d’intimité psychique.
L’adolescent a donc parfois besoin, en particulier en suivi individuel, de
pouvoir se dégager d’une relation qu’il pourrait considérer comme trop
proximale.
Prenons à ce propos l’exemple de cet autre adolescent qui régulièrement
me tutoie ou me pose des questions personnelles, semblant ainsi chercher à
briser le caractère asymétrique de la relation thérapeutique pouvant lui
paraître par trop menaçant. Peut-être pour la même raison se refuse-t-il
d’ailleurs, durant les premiers entretiens, à s’asseoir dans le fauteuil de
consultation, préférant se saisir de quelques feuilles de dessin et déambuler
dans le bureau, finissant par se réfugier contre la chaleur rassurante d’un
radiateur.
Les éléments du cadre sont alors essentiels de par leur caractère contenant
car ils aident l’adolescent à élaborer les parts les plus archaïques de sa
personnalité qui viennent s’y loger (J. Bleger, 1966). La contenance du
dispositif aura également une fonction de restauration en écho de la fragilité
narcissique adolescente. Cette contenance se doit d’être suffisamment sécure
pour lui permettre d’explorer son expérience interne par le biais de la
régression au service du moi. Les conditions sont alors réunies pour que
puisse se produire une métamorphose du moi (P. Blos, 1997), mettant en
scène « l’adolescent papillon » pour lequel le travail psychothérapique
devient une deuxième chance. Il convient ainsi d’accompagner cette
transformation sans chercher, une nouvelle fois, à trop la contraindre ou la
modeler. On ne demande pas à une chenille de voler, on l’aide à se protéger
dans l’espace rassurant du cocon. Ainsi, de la même manière que la chenille a
besoin de passer par une étape de désorganisation de sa structure antérieure,
l’adolescent doit pouvoir suffisamment régresser à certaines étapes de son
développement pour organiser la cohérence globale de son être adulte en
devenir. Mauses Laufer (1983) suppose en particulier que cette
métamorphose adolescente passe par une étape d’effondrement ( breakdown)
qui conduit à un transfert d’effondrement ( breakdown transference). Il s’agit
alors d’être en mesure de survivre aux attaques et au dénigrement qui peuvent
émerger au cours de la prise en charge, dont la dimension bifocale sera
parfois un moyen de tempérer les effets, en particulier en milieu institutionnel
(P. Jeammet, 2002).
Le dispositif doit ainsi permettre une certaine latitude pour l’expression
potentielle de mouvements de régression et d’agressivité afin d’éviter que ne
se reproduise à nouveau une contention, voire un retournement de
l’agressivité de l’adolescent contre lui-même. Il est en effet fréquent de
rencontrer des adolescents repliés sur eux-mêmes face à des réactions
inappropriées de l’environnement parental, celui-ci ne comprenant pas les
raisons pour lesquelles leur enfant, pourtant si adorable auparavant, devient
soudainement désagréable et inaccessible. Certains parents, ne sachant
comment réagir, tentent alors des logiques de rétorsions comme ce père qui
demande à son fils d’écrire des centaines de lignes dès lors qu’il devient
insolent, ou, à l’inverse, un rapprochement intrusif, comme cette mère qui
passe de longues heures auprès de sa fille jusqu’à tard dans la nuit, en
attendant que celle-ci lui livre tout et lui dise ce qui ne va pas. Les assises
narcissiques des parents sont elles-mêmes mises à rude épreuve durant cette
période et leurs propres inquiétudes se trouvent ici catalysées : « Suis-je et ai-
je été un bon parent ? Qu’ai-je donc raté dans l’éducation de mon enfant pour
en arriver là ? » La transformation adolescente est, de ce point de vue, une
transformation intersubjective à l’intersection des psychés adolescentes et
parentales, dans un processus de deuil de la position et de l’être de chacun
avant la crise pubertaire. L’adolescent cherche en particulier à tester la
solidité du cadre familial, et il est bien souvent dramatique pour lui que le
couple parental, parfois déjà fragilisé, pour d’autres raisons, ne résiste pas à
la flambée adolescente. La capacité des parents et des soignants à éprouver
une forme de haine dans le contre-transfert est souvent essentielle pour
permettre que ces mouvements agressifs puissent être en retour éprouvés et
transformés par l’adolescent dans la boucle intersubjective.
Il s’agit, là encore, d’accompagner et non de donner des solutions toutes
faites. Mais il convient aussi d’avoir à l’esprit que c’est parfois par le biais de
quelques préconisations et de conseils sur le cadre éducatif que peuvent
émerger de réels progrès sur le plan psychothérapique. Il s’agit ainsi de
limiter les empiétements réciproques, conséquences manifestes des logiques
latentes et incestuelles qui travaillent la psyché de l’adolescent et de ses
parents. Dans les cas les plus extrêmes, il paraît parfois nécessaire de séparer
les combattants, tant la conflictualité est intense. Seule une période de
séparation ouvrira la voie à une élaboration potentielle. L’internat permettra
alors parfois une accalmie nécessaire face à une situation devenue ingérable
et dont la complexité est peu propice aux processus de symbolisation. Il
arrive ainsi fréquemment que le seul moyen trouvé par certains adolescents
pour éviter la séparation psychique soit de développer une érotisation du
rapport conflictuel à ses parents, dont le bénéfice secondaire est un intérêt
quasi exclusif qui lui est porté et que l’on pourrait résumer ainsi : « À défaut
de pouvoir demeurer le petit enfant que j’étais et d’avoir toute ton attention,
je préfère troquer ton amour contre ta haine si celle-ci me permet de garder
un lien intime avec toi ». Je pense par exemple à cette mère aux cheveux
rouges flamboyants que son fils tentait par tous les moyens de provoquer
sous forme de différents passages à l’acte. Le père ne parvenait pas à
s’immiscer dans leur relation comme tiers séparateur et cela a nécessité en
dernier recours le passage par l’internat.
Régression et passage à l’acte sont ainsi deux polarités essentielles à
prendre en compte dans le cadre de la prise en charge des adolescents. Celles-
ci en viendront à s’actualiser par le biais des différents langages dont il faut
savoir reconnaître la spécificité, en particulier le « langage d’action »
(P. Blos, 1997) qui permet de transformer le passage à l’acte en passage par
l’acte (M. Mathieu, 1977 ; R. Roussillon, 1991). Jean Guillaumin (1985) a
également souligné l’appétence « traumatophilique » de l’adolescent.
L’adolescent recherche ainsi une sorte de « choc » avec le réel qui a valeur
d’organisateur : « Il s’agit de se débarrasser d’une vieille peau devenue
gênante et morte, cela au prix d’un certain effort et d’un minimum de
violence » (p. 132). L’élaboration des éléments archaïques et originaires de la
personnalité de l’adolescent nécessite ainsi le recours à l’acte, au corporel et à
la réalité externe. L’expression de la destructivité sera alors essentielle dans
l’appropriation subjective adolescente qui n’est pas sans évoquer à nouveau
le détruit-trouvé de la petite enfance (R. Roussillon, 1991).
Cette importance de la rencontre avec l’objet implique une attention
particulière à l’utilisation des médiations auprès de l’adolescent lorsque
l’associativité verbale semble insuffisante, aussi bien lors d’un suivi
individuel que dans le cadre d’un dispositif groupal. Par exemple, dans le cas
d’Élodie déjà évoqué – qui me fusille du regard lors de notre premier
entretien – je comprends rapidement que l’échange de parole va s’avérer
complexe. Suite à quelques tentatives avortées dans ce registre, je pense
spontanément à un jeu de photolangage et j’improvise le jeu suivant : je
dispose les images au sol et je lui suggère de choisir du regard les trois
images qui lui parlent le plus. De mon côté, je lui propose de faire de même,
si elle est d’accord, à partir de ce que j’ai perçu de ses difficultés et de
l’entretien qui vient de se dérouler en présence de sa mère. Nos choix
d’images se recouvriront suffisamment pour qu’un intérêt pour le dispositif
clinique puisse émerger chez cette jeune fille et qu’un suivi se mette en place.
4. SITUATION CLINIQUE
4.1. CANDICE ET LE LOUP
Je souhaiterais à présent livrer une brève illustration des processus abordés
jusqu’à présent par une situation clinique dans laquelle il m’a semblé
pertinent d’utiliser les rêves comme une forme de médiation. Cette situation
concerne Candice, une jeune fille de 15 ans et demi que je reçois pour un
premier entretien avec ses parents en Centre Médico-Psychologique. Cette
consultation a lieu à la demande aussi bien de la jeune fille que de ses
parents. Ces derniers décrivent leur inquiétude : leur fille semble mal dans sa
peau, communique très peu avec eux et préfère se réfugier dans sa chambre.
Il lui arrive également d’être prise au lycée d’une grande anxiété, associée à
une soudaine fatigue et à une forte envie de vomir, conduisant sa mère à venir
la chercher à l’infirmerie. Des difficultés sont également présentes à
l’endormissement et au cours de la nuit, sous forme de réveils nocturnes
fruits d’une angoisse sans image.
Lorsqu’elle est vue seule, Candice évoque un sentiment de malaise
généralisé, une certaine tristesse et un grand manque de confiance en elle.
Elle associe celui-ci à son « problème de poids » : elle souhaiterait « perdre
dix kilos » et se « sent grosse » 2. Elle pense constamment à ce sujet et ne
s’autorise par, par exemple, à se mettre en maillot de bain. Elle évoque
également quelques petites disputes avec sa mère et une certaine rivalité avec
sa sœur. Cette dernière est d’ailleurs décrite par ses parents comme étant une
« très bonne élève » et comme « n’ayant pas de problèmes de poids ».
Candice associe donc son stress au lycée à sa crainte de ne pas obtenir de
bons résultats. Elle évoque enfin, lors de ce premier entretien, une dispute
douloureuse avec sa meilleure amie, dispute qui s’est déroulée il y a quelques
mois de cela et qui concernait le petit copain de cette dernière.
À la séance suivante, Candice, qui est d’un bon contact et qui me semble
bien investir les entretiens, manifeste néanmoins quelques difficultés à parler
spontanément de ce qui la préoccupe et en reste à une description
relativement opératoire de son ressenti. Elle évoque cependant un rêve récent
qu’elle a fait depuis le premier entretien : « Je suis dans le bus, avec une
copine, elle vient se placer à côté de moi et je suis un peu surprise ». Elle
associe spontanément ce rêve avec un autre rêve « bizarre », datant de l’année
dernière, dans lequel elle était avec deux amies : « Il y avait des maisons, une
rue, et un immense loup qui nous poursuivait. On essayait de se cacher
derrière les maisons, j’étais seule ». Candice ne peut en dire davantage et
n’associe pas plus concernant ces rêves.
Ce rappel et cette description de rêves m’apparaissent alors comme une
voie d’accès à sa vie psychique et une possible médiation pour l’aider à
élaborer les difficultés qu’elle rencontre. Le rêve est en effet à la fois un objet
interne et externe à soi dans la mesure où, s’il est produit par la psyché, ses
causes et ses origines en demeurent mystérieuses. Le rêve est ainsi, lorsqu’il
n’est pas jugé trop intime par l’adolescent, un moyen de parler de soi de
manière suffisamment détournée. Il s’agit alors d’accueillir ces rêves avec
intérêt – en ouvrant sur les associations qui viennent spontanément – sans en
proposer une interprétation qui prendrait le risque de rendre ce matériel trop
chaud. Candice en viendra ainsi à évoquer spontanément durant les entretiens
certains de ses rêves, ceux-ci m’apparaissant alors comme une voie
privilégiée de transformation de son expérience subjective.
Les thématiques de ces premiers rêves (la présence d’une amie, la distance
à l’autre, le loup) feront ainsi retour lors de rêves rapportés au cours des
entretiens qui suivent : « Je suis avec un garçon que je ne connais pas bien,
on est sur une place, je ne me rappelle pas du reste ». Ou encore : « J’étais
dans un parc, avec des amis, et des amis de ma sœur. Elle faisait la tête. Il y
avait aussi l’ex-petit ami de ma sœur, je ne sais pas ce qu’il faisait là ». Un
premier travail de transformation semble alors opérer avec l’émergence de
figures masculines – déjà présentes sous forme du loup dans le premier rêve ?
– et plusieurs figures féminines (son amie, sa sœur). Candice exprime par
ailleurs en entretien la tristesse qui est la sienne de se sentir aussi « grosse »,
ce qui occupe toujours l’essentiel de ses pensées. Elle rapporte également
avoir tenté récemment d’aller courir en compagnie de sa mère car celle-ci
craint qu’il lui arrive quelque chose si elle reste seule. Mais alors qu’elle était
en train de courir, Candice a été prise soudainement d’une grande angoisse et
d’une envie de pleurer l’empêchant de respirer. Elle poursuit en évoquant son
inquiétude de devoir partir en camping l’été suivant, ce qui l’obligerait à se
mettre en maillot de bain…
Les entretiens continuent ainsi durant plusieurs mois, tous les quinze jours,
entretiens durant lesquels Candice évoque ses inquiétudes et ses doutes. Elle
en vient alors à raconter, durant une séance, plusieurs rêves d’une même nuit
qui me semblent particulièrement significatifs. Le premier d’entre eux se
déroule dans un supermarché : « Je suis au supermarché, la nuit, c’est fermé.
Je vois un homme, il y a un loup-garou, l’homme essaye de le tuer, il le
bouge pour voir s’il est mort et le loup lui saute dessus et le tue ». Puis, un
second rêve : « Je suis avec des amis dans la rue, un ami me demande s’il
pourrait sortir avec une amie à moi et me demande ce que j’en pense » et
enfin un troisième rêve, plus complexe : « Je suis avec ma famille – mes
parents et ma sœur –, on est dans un manoir, immense, sombre à l’intérieur,
ma sœur est à l’hôpital pour dormir. À l’hôpital, il y a eu un suicide, il y a des
morts et des gens ont écrit des choses sur les murs. Dans le manoir,
quelqu’un rentre et dit : “courez vite, il arrive !” J’ai peur. Une bête énorme,
un monstre, tout poilu, arrive. Il a une tête de femme normale. Je ne l’ai pas
vu tout de suite et je ne vois plus mes parents. Je vois une femme qui fait la
cuisine dans le manoir et la bête l’a vue aussi et se dirige vers elle ». Candice
rapporte alors s’être réveillée et suppose que « la femme a probablement tué
le monstre ». À la séance suivante, Candice décrit enfin un dernier rêve : « Je
faisais des gâteaux bizarres, mon père me regardait faire et ne disait rien ».
Après quelques mois de prise en charge, Candice me rapporte avoir fêté
son anniversaire avec ses amis et ses parents, ces derniers lui ayant offert à
cette occasion un pyjama, un parfum et de l’argent. Ses résultats scolaires
sont bons, elle dit moins penser à son corps et elle s’est inscrite dans un club
de fitness. Ses relations sont également plus apaisées avec ses parents et la
tristesse qui l’envahissait paraît avoir disparu. Après quelques séances durant
lesquelles nous constatons tous deux cette nette amélioration – confirmée par
un entretien réalisé trois mois plus tard pour faire le point –, nous décidons de
mettre un terme à ce suivi, qui aura duré environ sept mois et une quinzaine
de séances.
1. L’AGIR ADOLESCENT
La violence de l’adolescent est souvent pensée à travers le prisme des
pathologies de l’agir. L’agir, en ce moment adolescent, symbolise l’Être sujet
(S. Lesourd, 2001). Certes, selon S. Lesourd, l’agir adolescent apparaît
comme un passage nécessaire pour remanier son positionnement face à son
désir et à ses fantasmes œdipiens. Par l’agir, l’adolescent trouve un moyen de
se représenter aux yeux des autres tout en posant une vérité sur ce qu’il est.
P. Jeammet note que l’agir adolescent advient lorsque l’appareil psychique
est débordé par l’ensemble des modifications pubertaires (physiologique,
psychique, environnementale). Il permet de réguler la distance avec autrui
(P. Jeammet, 1995). Il indique également que l’activité subordonnée à ces
comportements contrecarre le vécu de passivité de l’adolescent face aux
changements corporels et psychiques qui lui échappent. Dans cette
perspective, l’agir apparaît comme une défense contre la dépression. Mais,
pour certains adolescents, l’agir est plus qu’une modalité d’affirmation de sa
subjectivité ou encore le signe d’un processus adolescent en cours
d’accomplissement. Il devient une modalité de l’être-sujet, de sa souffrance,
voire de sa détresse. Winnicott (1956) note que la tendance antisociale, pour
reprendre ses termes, est liée à une déprivation affective de l’environnement
vers la fin de la première année ou au cours de la seconde. Il pointe à travers
ce terme de « déprivation » une perte originaire et fondamentale pour l’enfant
qui ne peut la mentaliser. L’agir revêt alors la quête désespérée de ce qui a été
perdu. Deux enjeux apparaissent comme essentiels et accentués chez ces
patients : l’enjeu narcissique et l’enjeu objectal. Les assises narcissiques se
révèlent d’une grande précarité et l’adolescent est aux prises entre sa quête
d’un amour objectal réparateur et sa crainte de l’abandon. La relation d’objet
est avidement recherchée et en même temps redoutée.
Les traces mnésiques du traumatisme des premiers temps font retour dans
le passage à l’acte, et la compulsion de répétition, dans l’actuel, est une
tentative de mise en sens d’un impensé. La répétition des agirs et leur
tendance destructrice sont donc à articuler à un défaut d’élaboration, comme
l’avait souligné Freud (1914) dans son texte « Remémoration, répétition et
perlaboration ».
Ce qui opère dans l’agir adolescent est le travail de déliaison pulsionnelle
se traduisant par une rupture des investissements, des liens avec
l’environnement, le préservant de son avidité de la relation d’objet. Dans le
même temps, l’agir confronte le jeune à la Loi, et c’est en un sens ce qu’il
recherche : faire face à une limite, celle incarnée par la fonction paternelle,
souvent défaillante dans son environnement proche.
L’expression de cette violence à l’adolescence est hétérogène : elle peut se
traduire par l’hétéroagressivité (agressions verbales ou physiques),
l’autoagressivité, le vol, les abus (sexuels, mais aussi d’ordre
toxicomaniaques), ou encore les conduites délictueuses. Ainsi, « Les
pathologies de l’agir peuvent être comprises comme des conduites à risque à
visée ordalique où un fantasme de toute-puissance cherche à se subjectiver,
entre angoisse de castration et angoisse de néantisation » (F. Richard, 1998).
Du fait d’assises narcissiques qui n’ont pu se constituer pleinement,
l’adolescent tentera par ses agirs à retrouver l’omnipotence infantile, dans ce
que F. Richard a nommé une « jouissance narcissique de l’instant ».
2. L’ADOLESCENT ET LA VIOLENCE
DE L’ENVIRONNEMENT
Un point qu’il me paraît important à relever et que Winnicott avait
souligné dans son texte « La tendance antisociale » (1956) est l’impact de
l’environnement sur l’adolescent violent. À la faillite primaire de
l’environnement, s’ajoute bien souvent un environnement actuel également
en faillite. Ces jeunes aux prises avec la violence ne peuvent s’étayer sur un
environnement familial suffisamment bon, car celui-ci apparaît défaillant,
encrypté dans des traumatismes transgénérationnels de perte (deuil, exil), de
maltraitance, ou de maladie mentale. Ceci s’accompagne d’un environnement
médiatique de plus en plus violent en libre accès : images trash (vidéo,
images diffusées sur les réseaux sociaux), jeux vidéo violents,
cyberpornographie.
Un exemple clinique paradigmatique de ces enjeux, et sans vouloir
stigmatiser ces jeunes, est donné par certains adolescents habitant au cœur
des cités, vivant quotidiennement dans un environnement hostile, voire
toxique, où la condition même de l’être est corrélée à la survie.
Alim, Patrick, Mamadou, 13 ans et Vincent, 14 ans, échangent sur les aléas
de la cité, lors du groupe parole « Accueil Ado » qui a lieu chaque semaine
au CMP. S’ouvre à nous l’ampleur d’un environnement qui ne touche pas
seulement à la sphère familiale, mais qui s’étend au-delà de celle-ci, à
l’ensemble de la cité. L’environnement familial est déjà décrit par chacun
d’eux comme un lieu fait d’injures, de maltraitance, d’injustice au quotidien.
Vincent raconte en rigolant que les « grands frères » l’ont un jour roué de
coups dans le ventre, « juste pour rire », « car je me trouvais là ». Sidération
de la pensée. « Juste pour rire ? Des coups ? » « Oui c’est comme ça en bas
de l’immeuble, ils nous élèvent à la dure, c’est pour faire face à la vie ».
Mamadou associe : « Moi, un jour, je n’ai pas voulu aller leur chercher un
Kebab, je devais aller chercher du pain pour ma mère, je me suis retrouvé
enfermé dans le coffre de leur voiture. » Ils rient. Alim ose dire : « J’avoue
j’ai un peu peur, mais au fond ils sont sympas, des fois, ils nous laissent la
monnaie quand on va leur chercher une cannette. » Ces histoires nous sont
racontées quotidiennement par les adolescents rencontrés au CMP. Par un
phénomène de groupe, la terreur se propage, mais pour survivre à celle-ci,
des mécanismes de défense se mettent en place : annulation, retournement en
son contraire, identification à l’agresseur. L’adolescent, pour survivre,
s’engage dans un cercle vicieux, le cercle de la répétition traumatique, dans
lequel il devient lui-même acteur de la violence.
Ainsi, chaque lieu de vie de l’adolescent réactive la violence primaire : la
famille, la cité, le collège, la bande de copains. Tous ces lieux sont infiltrés
d’une répétition traumatique dont il est difficile pour l’adolescent de se
dégager, car à ceci s’ajoutent des enjeux de pouvoir et de survie. Là où Freud
avait analysé le fondement de la civilisation comme renoncement aux
pulsions sexuelles et aux tendances agressives de tout homme (Freud, 1929),
la cité tend à réaménager un espace du « vivre ensemble » réinstaurant la loi
archaïque du plus fort.
Dans ce contexte, il peut s’entendre un autre aspect de la difficulté du
jeune à investir un lieu de soin, démarche qui pourrait le stigmatiser au sein
du groupe de pairs comme bouc émissaire. Lorsque le jeune arrive à passer
les portes du centre, suite notamment à une exclusion du collège qui mobilise
l’environnement familial, il vient rarement seul, accompagné le plus souvent
soit d’un parent, soit d’un ou plusieurs copains de la cité. Le travail de
l’entretien clinique ne se limite donc pas à l’espace du bureau. Il est essentiel
de tisser le cadre en lien avec l’équipe pluridisciplinaire afin de constituer un
lieu suffisamment solide, rassurant et bienveillant pour que l’adolescent
puisse y déposer quelque chose. En ce sens, face aux adolescents pris dans
des situations de violence, l’entretien clinique se conçoit comme une partie
d’une prise en charge globale et multifocale. Il est souhaitable que l’équipe
entière se mobilise : la secrétaire pour l’accueil, les éducateurs dans les lieux
d’interstices (couloirs, salle d’attente), le pédopsychiatre comme consultant
pour recevoir la famille ou les personnes en charge de l’adolescent
(éducateurs de l’Aide Sociale à l’Enfance, de la PJJ, assistante maternelle)
prenant ainsi en charge la réalité extérieure, et le psychologue clinicien,
s’occupant davantage de la réalité interne. Ces divers points de référence
instaurent des espaces différenciés soutenant la fonction tierce. En effet,
l’existence du tiers dans la relation thérapeutique qu’il soit incarné par
l’institution, le consultant, ou les partenaires extérieurs, protège le jeune
d’une distance trop rapprochée et préserve de la crainte d’une relation
d’emprise séductrice. Ainsi, le jeune pourra introjecter des repères
organisateurs d’un espace tant physique que psychique, d’une institution
comme lieu d’un vivre avec les autres. L’enjeu est ici de rendre tolérable la
conflictualité psychique, sans que celle-ci passe nécessairement par l’acte.
L’institution se formalise alors comme un pare-excitations auxiliaire, comme
une membrane entre le dedans et le dehors pouvant accueillir les projections
diffractées du jeune. Cette pluralité des investissements rend plus supportable
pour l’adolescent la relation à l’objet et atténue les menaces sous-jacentes
qu’elle représente (fascination et dépendance), tout en permettant de travailler
l’intersubjectivité.
3. LA DESTRUCTIVITÉ DU CADRE
DE L’ENTRETIEN
L’adolescent face à la violence mobilise la mise en place d’une technique
spécifique qui s’articule autour de la notion de cadre thérapeutique. Celui-ci
englobe le clinicien (gestualité, attitude globale, interventions verbales), mais
aussi l’espace physique (les murs, les sièges, le bureau, les objets de la pièce),
le temps (heure et jour de rendez-vous, durée de la séance), car l’ensemble de
ces éléments pourra être convoqué, utilisé par l’adolescent pour se dire, se
raconter à défaut d’avoir un accès aux processus de symbolisation.
Le cadre de l’entretien clinique demandera à être aménagé afin de contenir
les débordements pulsionnels, les émergences d’angoisses projetées sur celui-
ci avec une destructivité à la hauteur du ressenti. Dès lors, le thérapeute sera
convoqué pleinement dans sa fonction de contenance. Mais pour ne pas
basculer dans ce que nous pourrions nommer la contention psychique, il sera
nécessaire de dégager un espace autre, espace de rêverie. La parole du
thérapeute, ses interventions sur une modalité active, susciteront un « à
côté », ou un « hors de » la violence, ce « hors de » étant la condition même
du sujet, celle d’ex-sister, c’est-à-dire être placé (du latin sistere) hors de (
ex). F. Richard (1998) avait très justement remarqué que « ceci relève de la
technique active préconisée par Ferenczi et du maniement du holding et du
playing théorisés par Winnicott ».
Le cadre sera très souvent malmené. Les retards, les absences sont autant
d’attaques que celles où le jeune se mure dans un silence d’opposition ou
encore frappe dans les murs, dans les chaises. La parole n’advient pas d’elle-
même, le récit est dans les premiers temps impossible. Les « je ne sais pas »
fortifient une position défensive où l’autre est mis à distance. Le corps se
tend, les bras se croisent, la tête se baisse ou le regard affronte, détaille, se
voile, se détourne, mais ne s’attache pas. Face à un jeune aux prises avec la
violence, le psychologue clinicien est d’abord face à un insaisissable, à la
peur, à l’angoisse, à l’impuissance aussi. L’ensemble de ces vécus
transférentiels permettra de saisir la portée de l’anéantissement sous-jacent à
cette modalité d’existence.
Dès lors, le clinicien sera amené à supporter l’impulsivité des
comportements, leur teneur destructive, agressive. La ponctualité, la
régularité et la permanence du cadre seront sans cesse rappelées à
l’adolescent, car elles seront en quelque sorte les garants d’une expérience
possible de la stabilité de l’environnement. L’adolescent pourra alors intégrer
une figure fiable, solide et sécure qui survit à sa destructivité. Ici le clinicien
est constamment convoqué dans sa fonction d’utilisation de l’objet et sa
fonction de survivance (D. W. Winnicott, 1969) qui permettent à l’adolescent
de rejouer le détruit/trouvé (R. Roussillon, 1991).
John est un adolescent de 14 ans qui arrive au CMP suite à une exclusion
d’abord provisoire qui se soldera par une exclusion définitive pour insultes
aux professeurs et comportements violents au collège. Le consultant, après
avoir vu le père et l’adolescent, me l’adresse pour un premier entretien
clinique. John est apparemment demandeur d’un espace pour « parler de ses
difficultés ». Sa situation familiale est compliquée : il vit avec son père, au
chômage avec de graves problèmes de santé, et ses deux petits frère et sœur.
Sa mère a quitté son père il y a plusieurs années en abandonnant ses enfants.
Le père a très mal vécu ce départ et a eu une longue période de dépression.
La mère a refondé une famille avec 7 autres enfants et revient à présent pour
récupérer la garde de John, de son frère et de sa sœur. Actuellement, il voit sa
mère un week-end sur deux. Le conflit parental est encore très vif. Entre la
maladie chronique de son père, la présence discontinue de sa mère, John est
très souvent livré à lui-même : il s’occupe des repas, va chercher son petit
frère à l’école, puis traîne « en bas » dans la cité jusqu’à une heure tardive. Il
se met dans des situations à risque, conduisant des scooters volés ou des
motos avec les « grands de la cité », fumant cigarettes et cannabis.
Lors du premier entretien, John convoque en moi une grande tendresse, il
n’apparaît pas comme le caïd décrit par le collège mais comme un adolescent
recroquevillé sur lui-même, le regard baissé, ce qui lui donne une apparence
chétive. Il dit ne pas savoir ce qu’il se passe dans sa tête quand il « part en
vrille », « ça part, c’est tout ». Il dit prendre conscience qu’il a « dépassé les
bornes » en insultant le professeur, mais la parole n’est pas fluide, ponctuée
de « je ne sais pas ». Il semble répondre en faux-self aux questions que je lui
pose, donnant l’étrange impression de me faire entendre ce qu’il imagine
qu’un psychologue aimerait entendre. La demande apparaît vite, non pas
comme la sienne propre, mais comme une tentative de réparation vis-à-vis de
son père. « Je ne dois plus le fâcher… avec sa tension, il risque de mourir. »
S’expriment aussi ici l’angoisse d’une répétition de l’abandon et une
culpabilité sous-jacente à celui-ci.
En réponse à ma question sur ce qu’il aime, il répond : les tags. Je lui
propose d’en dessiner sur papier en lui proposant divers supports et matériaux
(feuilles blanches, de couleur, petits/grands formats, feutres, crayons de
couleur, peinture, etc.). Ici, s’opère un changement dans l’entretien, la
rencontre a lieu sur un médium connu de lui. Il accepte de taguer sur papier.
Il souhaite alors inscrire les noms des personnes croisées au CMP : le
médecin, la secrétaire, la psychologue, mais aussi le médecin scolaire et
l’infirmière scolaire, la principale du collège. Malgré la pauvreté du discours,
la charge affective est importante, interpellant la préoccupation maternelle
primaire du clinicien. Il accepte de revenir me voir. Très vite, les entretiens
s’appauvrissent, il arrive en retard ou ne vient pas, imposant un rythme d’une
semaine sur deux. La réalité extérieure prend le pas sur l’espace de
l’entretien. Le clinicien face à cette clinique se trouve sans cesse appelé par
une réalité extérieure qui vient intruser l’espace psychique. L’absence de
cadre, le hors-limite du dehors se répercute sur l’espace du dedans. Le lieu de
l’entretien devient un lieu à la temporalité distendue, où le cadre apparaît
comme une surface de projection des attaques.
John est venu de suite transférer sur le cadre et le clinicien les enjeux de sa
vie psychique. Le clinicien devra osciller entre une fonction maternelle
primaire de holding, de rêverie et une fonction paternelle de rappel du cadre,
soutenue par la fonction tierce du consultant. Dans ces mouvements
transféro-contre-transférentiels animés également par l’absence et la présence
du patient, émergent le profond mal-être de l’adolescent et tout l’enjeu de la
demande affective du tout petit enfant.
Dans d’autres situations, l’actualisation de la haine en séance est telle que
la séance devient le lieu même de la violence.
Sam a 15 ans quand je le reçois pour la première fois. Son frère est suivi
depuis longtemps au CMP pour des troubles dits « envahissants du
développement ». Sam vit avec sa mère et son frère, son père est reparti au
pays lorsqu’il avait 6 ans. Il l’a retrouvé au pays vers ses 7-8 ans, moment où
éclate la guerre civile. Il voit alors sous ses yeux son oncle se faire assassiner
d’une balle dans la tempe, alors qu’il était caché derrière le canapé. Sa mère
reviendra en France avec ses deux enfants, seule, le père ne voulant pas
laisser son pays et investir la France, où il ne se reconnaît pas et n’arrive pas
à s’inscrire. Dès lors, les relations avec le père deviennent quasi inexistantes.
Sa mère se démène pour faire vivre sa famille mais ils vivent dans une misère
sociale importante, elle aide toute sa famille jusqu’à ne plus rien avoir pour
elle-même. Sam racontera qu’elle se prostituera pour pouvoir donner à
manger à ses enfants. Dans un tel contexte, où tout le monde dort chez eux,
sans espace pour chacun, les uns sur les autres, Sam est victime d’abus sexuel
par son cousin quand il avait 9 ans. Quand je rencontre Sam, sa mère
commence à en avoir peur : il est grand et fort, il commence à faire des
« crises » dans lesquelles il injurie sa mère, frappe les murs, les vitres et peut
lancer des chaises sur son entourage. Les voisins en ont peur et ne veulent
plus parler à la famille.
Les premiers entretiens avec Sam sont quasi exemplaires pour des
entretiens avec un adolescent, il vient chaque semaine, il raconte ses
angoisses, sa difficulté à vivre au quotidien avec sa mère et son frère, son
impossibilité à parler en public, à se faire des amis. Le transfert s’installe et
permettra l’éclatement de la haine en séance. Il ne s’assoit plus, il bouge
comme un lion en cage ou il se lève de sa chaise brutalement, il crie que je ne
comprends rien. Tout en moi l’agace, notamment mon regard posé sur lui. Il
hurle « j’aimerais vous envoyer ces crayons dans la gueule », car je ne fais
rien : je n’agis pas. Il lui arrive de m’injurier. Éclate ici un transfert massif
qui dépose en moi les éléments de l’imago maternel couplé à celui du père,
qui en effet, bien loin, ne fait rien pour aider son fils. La violence en séance
se traduit comme l’expression de la haine envers l’objet. L’entretien
s’imprègne d’une grande tension dans laquelle les fantasmes de meurtre
originaire sont réactivés. Les collègues des bureaux d’à côté s’inquiètent.
Sam mobilise transférentiellement l’ensemble du centre. La psychologue
tient, mais l’institution tisse également une enveloppe de liens. Il y a ici une
mise en abyme de la fonction de contenance. La neutralité est bien entendu de
mise dans une telle situation, même si la neutralité est attaquée pleinement
dans le discours du patient et même si celui-ci nous fait vivre un état
d’angoisse d’anéantissement majeure. Ici, la survivance de l’objet thérapeute
à la destructivité du patient et l’interprétation au patient des mouvements
transférentiels ouvrent une expérience du trouvé/détruit dans laquelle l’objet
est « à la fois atteint (détruit) et non détruit. Atteint pour donner valeur et
réalité à la destructivité – la reconnaître – et non détruit pour la localiser dans
le domaine de la vie psychique. C’est le sens de survivre » (R. Roussillon,
1991). Cette expérience donnera sens aux mouvements de destructivité du
patient, et sera l’amorce d’une distinction entre attaque réelle et
fantasmatique, permettant de ressaisir une intériorité.
L’entretien clinique avec des adolescents aux prises avec la violence tend à
la réminiscence agie de la relation à l’objet, souvent dans une expression de
haine envers celui-ci ; l’enjeu étant que le patient puisse utiliser autrement
l’objet, en faire une expérience autre, intégrant le jeu de l’ambivalence. La
malléabilité du thérapeute soutiendra ainsi la relance d’une plasticité
psychique chez le patient.
5. LA VICTIMISATION DE L’ADOLESCENT
EN SITUATION DE VIOLENCE
Le clinicien reçoit également des adolescents victimes de violences
(sexuelles, comportementales ou encore injurieuses). L’entretien clinique ne
se tiendra pas dans la même perspective que précédemment. Dans un premier
temps, l’adolescent victime se montre généralement demandeur d’un espace
de parole. Mais, par la suite, le clinicien pourra se trouver face à une
difficulté de penser de la part de l’adolescent, effet sidérant du traumatisme.
Les traces de la violence subie entravent le processus de symbolisation. Suite
au traumatisme vécu en ce moment adolescent, lui-même traumatique, la
construction des assises narcissiques et identitaires se trouve
fondamentalement remise en question. L’adolescent peut sombrer dans une
désorganisation psychique à forte teneur dépressive. Le clinicien sera alors
face à un adolescent dont le Moi se trouve dans une telle atteinte qu’il est
d’autant plus important ici de suivre le rythme de celui-ci.
Lisa est une jeune fille de 15 ans. Sa mère appelle le centre car Lisa depuis
deux mois se renferme sur elle, dans un profond sentiment de tristesse. Lisa
vient seule à son premier rendez-vous. Elle évoque de suite ses symptômes :
elle a du mal à dormir, aimerait rester dans son lit toute la journée, se sent
angoissée à l’idée d’aller au collège, est submergée par un sentiment de
tristesse. Elle évoque ensuite la cause de cette détresse. Suite à son premier
rapport sexuel avec un garçon dont elle était amoureuse, ce dernier dévoile
l’acte à l’ensemble du collège. À partir de ce moment, elle se fait insulter
quotidiennement autant par les filles que par les garçons. Ces derniers la
considèrent comme une « proie facile » et s’en suit un harcèlement quotidien
allant jusqu’à la bloquer physiquement contre un mur pour la toucher. Elle
réussit à se dégager de ses agresseurs et ira porter plainte avec ses parents.
Elle arrive à ce premier entretien dans un état de dépression grave.
Les premiers entretiens se formalisent autour du recueil du vécu
traumatique, quand celui-ci peut se mettre en mot. Le clinicien prend une
fonction de « témoignaire » (R. Waintrater, 2000), celui qui recueille le récit.
L’écoute sera, dans un premier temps, testimoniale afin d’éviter toute
réactivation de la violence du traumatisme par une interprétation trop rapide
dans le processus d’appropriation de l’histoire. Il s’agit d’un partage de
l’expérience sans interprétation, étayant une résonance identificatoire, que
R. Waintrater rapproche de l’accordage affectif. Le clinicien est interpellé à
la fois dans une fonction maternelle dans ce qu’il étaye le sentiment de
continuité d’existence et dans une fonction paternelle dans le regard porté sur
l’adolescent qui distancie de son vécu et du néant. Dans ce va-et-vient entre
soi et l’autre, le sujet trouve une nouvelle réalisation de soi. Le clinicien en
tant que témoin porte et soutient la parole de celui qui témoigne. Ce premier
temps du partage de l’expérience traumatique ouvre un espace d’échange,
laissant une trace de son vécu. Ce travail mémoriel introduit un point
d’ancrage pour l’adolescent. Il est source d’élaboration de son vécu.
Suite à ce premier temps des entretiens, Lisa associe à d’autres éléments
qui l’affectent. Elle raconte alors qu’elle vit mal le fait « que le sang de mon
père ne coule pas dans mes veines ». Les parents de Lisa, suite à l’infertilité
du père, ont engagé des démarches pour une fécondation in vitro. Quelques
années après la naissance de Lisa, sa sœur naît de façon naturelle. Émerge en
séance son questionnement sur ses origines, sa filiation, sa légitimité dans la
famille, les conflits familiaux du côté maternel qui la privent de sa grand-
mère, la rivalité avec sa sœur et son devenir femme. La violence actuelle en
lien avec la sexualité ouvre la voie à l’associativité sur un questionnement
identitaire proprement adolescent. P. Roman (2004) a indiqué que « la
pulsion traumatophillique engagée dans ces violences pourrait alors avoir une
fonction de liaison, au service de l’élaboration d’une “représentation par le
traumatisme” ».
Il me semble ainsi important que le clinicien veille à rester dans une double
écoute : écoute du vécu actuel traumatique et écoute des processus
adolescents ; car le traumatisme vient s’intriquer au trauma adolescent. Chez
Lisa, la chute violente de l’idéalité amoureuse suivie des rumeurs et du
harcèlement, ce « trop-dit » entre en résonance et se heurte à la résurgence de
l’œdipe dans un contexte familial conflictuel, encrypté dans un non-dit où
prédomine une interrogation sur l’origine.
Il arrive aussi que l’adolescent vienne consulter non pas dans une position
de victime mais d’agresseur, alors même que cette position vient occulter la
première.
Nicolas, 15 ans, consulte au centre suite au signalement de son
comportement violent par le collège. Les parents sont d’accord pour la mise
en place de la prise en charge, néanmoins, Nicolas vient seul à ses entretiens
et de manière très régulière.
Il parle volontiers des événements qui ont eu lieu au collège. Il dit ne pas
pouvoir s’empêcher de « taquiner » un jeune 6 e, Enzo. La taquinerie
implique qu’à chaque récréation ou sortie de collège, il lui donne des
« petites tapes » sur la tête, l’interpelle, le pousse, etc. Enzo s’est plaint au
principal et souhaite porter plainte pour harcèlement. Nicolas manifeste une
grande incompréhension face à la situation : il ne comprend pas pourquoi il
en est arrivé là, pourquoi il ne peut pas s’arrêter. D’autres manifestations
apparaissent au cours des séances : il arrive avec des plaintes : « j’ai mal au
dos, je suis tombé de mon lit (?) Non je n’ai pas été voir le médecin, mes
parents ne s’en sont pas occupés », « je me suis pris un mur aujourd’hui »
« Ah ! Cette semaine ! J’ai encore merdé ! Je me suis battu avec un mec,
punaise, je m’en suis pris plein la gueule. Mais je me suis relevé, je lui ai mis
un de ces coups dans la gueule !! Puis j’ai couru… ». Il se présente en
entretien avec des bleus, des plaies un peu partout sur les bras et le visage. À
ceci, s’ajoute une appréhension de l’espace qui l’entoure tout à fait
particulière, si bien qu’à chaque fois qu’il se lève de sa chaise ou sort du
bureau, il se cogne quelque part. Les murs du couloir deviennent presque un
soutien vertical pour lui.
L’incompréhension de son comportement et le questionnement même
partiel qu’il apporte se comprennent comme un intérêt pour sa vie intérieure
et donne lieu à des entretiens psychothérapeutiques. La répétition chaque
semaine de comportements dont il n’arrive pas à saisir le sens montre à quel
point la compulsion de répétition agit comme tentative de mentalisation d’un
impensé. Dans le transfert, Nicolas se positionne non pas comme un
adolescent aux prises avec l’agir, mais comme un enfant, réitérant chaque
semaine les retrouvailles avec un objet maternant qui pourrait enfin prendre
soin de lui, attester de ses douleurs physiques et entendre sa souffrance
psychique.
Le clinicien est interpellé dans sa fonction de traducteur mais aussi de
porte-mémoire, au sens de soutenir l’historicisation et les liens entre l’actuel
et l’infantile.
Après avoir été le dépositaire de la violence vécue par Nicolas, violence
qui apparaît bien plus vécue qu’agie dans son discours, le clinicien tentera de
relancer le processus associatif. Se dévoile alors l’histoire de Nicolas. Il
associe sur le fait qu’Enzo est en 6 e et que lui-même, à son arrivée en 6 e, a
été « la victime d’un grand de 3 e » durant toute l’année scolaire. Nicolas se
saisit dans un grand étonnement de la reformulation du clinicien en disant :
« Mince, je fais ce qu’on m’a fait, c’est comme si j’étais Kylian ». Il oscillera
par la suite entre la narrativité de ses actes et un intérêt grandissant pour sa
réalité psychique. À un retour de vacances passées chez son grand frère,
Nicolas s’effondre en pleurs. Son frère n’a cessé de lui faire peur en lui
imposant le visionnage de films d’horreur, en venant le réveiller en sursaut la
nuit ; il lui a aussi répété plusieurs fois : « Je m’en fous si tu meurs, au moins
on sera tranquille ». Nicolas, dans ses sanglots, dit : « Je n’en peux plus, il
s’en fout de moi, il ne m’aime pas ». La blessure narcissique et la détresse
première se dévoilent de façon béante. Se révèle la violence du frère sur
Nicolas depuis son plus jeune âge, violence verbale et corporelle. C’est avec
l’entrée dans la puberté et le passage en 5 e qui le dégage de la position du
« plus petit », que les troubles du comportement s’aggravent dans un
renversement en son contraire de la passivité en activité. Pour éviter d’être
agi, comme le dirait P. Jeammet (1995), Nicolas va agir. Bien sûr, l’agir rend
compte du débordement pulsionnel de l’appareil psychique, mais ce qui est
également sous-jacent à ce renversement est l’identification à l’agresseur
premier, le frère.
L’enjeu de l’entretien clinique est ici de mettre en lumière cette position
première de victime et la répétition transgénérationnelle des phénomènes de
maltraitance afin de relancer le processus de subjectivation.
1. LE CADRE INSTITUTIONNEL
DES ENTRETIENS
Les personnes âgées ne sont pas souvent les demandeuses de l’entretien, ce
qui fait que l’on en rencontre assez rarement dans les pratiques libérales ou
en CMP, à moins que ce ne soit à la suite d’une hospitalisation. Les
demandes directes se font plus fréquemment dans les « Centres mémoire »,
avec une attente et une offre explicitement centrées sur les troubles cognitifs ;
alors les entretiens encadrent et accompagnent les bilans cognitifs. Il en va
généralement de même dans les dispositifs de prévention, principalement
proposés par les mutuelles à leurs adhérents au moment de leur retraite
(C. Roos, 2011). Dans tous ces cas, il s’agit d’entretiens peu nombreux et peu
étalés dans le temps ; si un suivi s’avère utile, les sujets sont orientés vers des
dispositifs ad hoc.
Les entretiens s’inscrivent donc le plus souvent dans le cadre du passage
du sujet âgé dans une institution. Seront ici distinguées d’une part les
hospitalisations de courte ou de moyenne durée, d’autre part les
hospitalisations longues et les entrées dans des lieux de vie.
Les entretiens lors d’ hospitalisation en service de gérontopsychiatrie (ou à
défaut de psychiatrie) relèvent des pratiques classiques des psychologues
avec, nous le verrons plus loin, un certain nombre de spécificités liées à la
situation : soutien à domicile, entrée en institution, dépendance motrice et/ou
sensorielle et/ou cognitive et/ou affective…
De nombreux services dans les hôpitaux généraux accueillent (avec plus
ou moins d’intérêt et de plaisir !) des patients âgés pour des problèmes
somatiques de divers ordres, relevant souvent de la polypathologie ou encore
de l’accident, à commencer par les chutes. La prise en charge purement
médicale s’avérant bien souvent insuffisante, nombre de services ont recours
à des psychologues, soit en appui sur d’autres services soit, de plus en plus
souvent, en créant des temps de psychologue. L’âgé n’est que rarement le
demandeur de l’entretien et l’attente institutionnelle est forte. Dans ce cadre,
le psychologue a à penser à des entretiens brefs (car les séjours ne durent pas
longtemps) et ciblés. De plus, ces entretiens, que ce soit en court séjour ou en
service de soins de suite et de réadaptation (SRR), ont une fonction
d’accompagnement, de transition.
Ces entretiens peuvent aussi s’inscrire dans le cadre d’une institution qui
devient le lieu de vie du sujet âgé, ce qui comporte toujours une dimension
traumatique, même lorsque l’âgé en est demandeur (en particulier lorsqu’il se
vit comme étant en insécurité chez lui, que ce soit à la suite d’une perte,
d’une chute, d’une agression…). L’entretien psychologique peut avoir lieu
lors de l’entrée du sujet ou ultérieurement, en particulier si apparaissent des
difficultés d’ adaptation, c’est-à-dire de deuil et d’ investissement.
2. LA DEMANDE D’ENTRETIEN
Comme bien d’autres populations, les sujets âgés ne sont que rarement
demandeurs d’entretiens psychologiques, au moins dans un premier temps,
un peu par méconnaissance de ce qu’ils recouvrent, beaucoup par inquiétude
(qu’imaginent-ils ? que projettent-ils ?) , donc par résistance.
De plus, les demandes spontanées prennent rarement une forme explicite,
elles passent plus souvent par une interpellation : M. A. demande au
psychologue qui passe devant lui : « Que faites-vous ici ? », ou M. B. lui
demande de l’aider à aller dans sa chambre.
Les entretiens relèvent le plus souvent d’une des deux logiques suivantes.
Dans la première, l’entretien est systématiquement proposé, que le cadre en
soit une hospitalisation ou une entrée dans un lieu de vie. L’offre précède
donc la demande mais, pour qu’il y ait demande, encore faut-il connaître
l’offre. Il n’est pas si simple pour un sujet (âgé ou non au demeurant) de s’y
retrouver dans la multitude des offres et des intervenants au sein d’une
institution. Cette proposition ne débouche pas forcément sur un entretien, ou
pas forcément tout de suite, elle permet un premier contact, une certaine
familiarisation.
Dans la seconde, la demande passe par un tiers qui peut être institutionnel
(médecin, équipe soignante, animateur…) ou familial (conjoint, enfant le plus
souvent). S’il importe d’évaluer les enjeux de cette demande, il importe tout
autant de montrer qu’elle a été entendue, ce qui ne veut pas forcément dire
qu’il y soit immédiatement répondu par un entretien. En effet, ces demandes
véhiculées par des tiers sont porteuses des préoccupations (angoisses,
fantasmes…) propres à ces tiers, mais elles sont aussi porteuses de ce que le
sujet âgé a déposé dans ces tiers de ses propres préoccupations qu’il ne
parvient pas à verbaliser explicitement. L’équipe est alors le porte-parole
(E. Pichon-Rivière, 1979) du sujet âgé, de son malaise et de sa demande
d’aide.
Une équipe de long séjour sollicite le psychologue pour qu’il « voie »
Mme C. qui semble se « laisser couler » (faisant craindre un syndrome de
glissement) depuis son entrée dans le service. L’équipe a peur qu’elle se
laisse mourir et demande donc de l’aide pour elle-même (« Que pouvons-
nous faire ? ») et pour la patiente (« Comment peut-elle réinvestir la vie ? »).
Un mari demande à la psychologue de rencontrer sa femme car depuis
qu’il l’a faite hospitaliser suite à une chute qui a provoqué une fracture, celle-
ci l’insulte, l’accuse de s’être débarrassé d’elle pour voir ses maîtresses, ce
qui choque beaucoup cet homme de presque 90 ans qui dit tristement :
« Vous imaginez, à mon âge… ».
Les entretiens qui font suite à la demande d’un tiers posent deux questions
techniques :
– celle de l’entrée en matière avec l’âgé ;
– celle de ce que le psychologue sait de l’âgé (que l’âgé ne sait a priori pas
qu’il sait), savoir qui relève des représentations que ces tiers (familiaux ou
professionnels) se sont construites de l’âgé.
L’exposé à l’âgé de l’origine de la demande et de ce qui la motive offre
l’avantage (au moins quant à l’ idéal du Moi du psychologue) de la clarté. Il
peut aussi médiatiser pour l’âgé l’ expression du souci que ces tiers se font
pour lui, au risque de s’entendre opposer un vigoureux démenti, voire un
déni. Il offre aussi l’inconvénient de polariser l’entretien sur des points
significatifs pour ces tiers, souvent du côté de ce qui se manifeste et gêne
famille ou professionnels. Or, ce qui fait la fécondité de l’entretien clinique
est a contrario sa capacité à demeurer ouvert, à laisser émerger l’inattendu, la
surprise.
Ainsi appartient-il au psychologue d’évaluer ce qui lui semble judicieux de
communiquer à son patient, en particulier en se situant autour d’un axe
dépression (le souci de l’autre peut alors avoir valeur de soutien narcissique) /
persécution (le souci de l’autre peut entraîner une méfiance dans laquelle le
psychologue peut se trouver englobé). En tout état de cause, il importera de
ne pas être trop précis, trop focalisé, afin que le sujet puisse s’approprier
l’espace-temps de l’entretien, l’orienter en fonction de sa propre dynamique
psychique. Ceci signifie aussi que la réalité (du moins telle que perçue par
des tiers) ne doit pas recouvrir, voire étouffer, la réalité psychique du sujet.
Ce point est d’autant plus important que l’entretien s’inscrit dans un lieu de
vie, lieu toujours plus ou moins totalitaire (au sens d’I. Goffmann (1959),
c’est-à-dire un lieu total, avec pas ou peu d’extériorité) : l’âgé vit sous le
regard des soignants, il n’a guère d’espace propre. Dès lors le repli sur son
monde interne comme espace du secret (P. Castoriadis-Aulagnier, 1976) est
une défense à respecter, et ce d’autant plus que le psychologue appartient lui-
même à l’institution, à l’équipe.
8. SITUATION CLINIQUE
8.1. LE CAS MME JEANNE
La psychologue salariée à temps partiel d’une maison de retraite reçoit en
entretien Mme Jeanne suite à la sollicitation de l’équipe qui, la trouvant
repliée sur elle-même, se demande si cette dame n’entre pas dans la démence.
Mme Jeanne est entrée en maison de retraite à titre définitif suite à une chute
ayant entraîné une fracture maintenant résorbée mais qui lui laisse une
claudication. Elle a encore sa maison dont un couple de voisins-amis
s’occupe. La psychologue est passée trois jours plus tôt lui proposer un
entretien, elle lui a répondu qu’elle pensait que cela ne lui servirait pas à
grand-chose mais a accepté.
À l’heure dite, la psychologue va la chercher dans sa chambre, lui en
rappelant la raison.
Mme Jeanne : Oui, oui, je me souviens, je ne perds pas la boule, vous
savez !
Mme Jeanne suit la psychologue dans son bureau, laissant sa canne dans
sa chambre et prenant le bras de celle-ci. Une fois dans le bureau, la
psychologue désigne une chaise de la main à Mme Jeanne qui la tire près de
celle sur laquelle la psychologue s’apprête à s’assoir. Elles sont de trois
quarts l’une par rapport à l’autre.
Mme Jeanne (reprenant d’emblée la parole) : Vous savez, il ne fait pas
bon devenir vieux ! On ne vous écoute plus, on fait de vous ce qu’on veut.
C’est une vraie misère… J’ai une jolie maison, c’est celle que mes parents
avaient achetée quand j’avais dix ans. Je l’ai un peu quittée au début de ma
carrière, j’étais postière à L., à quatre-vingts kilomètres d’ici. Puis, après
quelques années, j’ai eu ma mutation et je n’ai plus bougé d’ici… On est
venu y habiter avec mon mari à la mort de mon père, ma mère ne voulait pas
rester toute seule… et puis, on n’avait pas pu avoir d’ enfant… On
m’empêche d’y retourner, je me demande bien pourquoi ! ( Le ton monte un
peu quand elle dit cela). Heureusement que j’ai les Y. ( voisins) depuis que
mon mari est parti… Ils sont gentils, ils aèrent, ils arrosent vu qu’il fait sec en
ce moment. J’ai des fleurs, et puis des herbes, quelques légumes… Ce n’est
pas pour ce que je mange maintenant, mais bon… ( Silence, elle semble
rêveuse)… Ça dépanne, et puis j’en donne un peu quand j’ai de la visite,
surtout Maryse et Jean-Claude, ma nièce et son mari…
La psychologue regarde Mme Jeanne, laisse un peu de temps à celle-ci qui
parle aisément et qui, de temps en temps, rapproche encore un peu plus sa
chaise. Pendant qu’elle continue, la psychologue hoche un peu la tête pour
marquer son attention.
Mme Jeanne : C’est la fille de mon frère… Le pauvre, il est parti aussi. Il
était divorcé depuis longtemps, il ne s’est jamais remis avec quelqu’un…
Maryse, c’est un peu comme une fille…
( Silence plus long).
Psy : Oui…
Mme Jeanne : Vous avez l’air bien gentille, vous allez m’aider à rentrer
chez moi, hein ?
Psy (un peu surprise, embarrassée) : Euh, vous savez, on verra, il faut
d’abord qu’on fasse connaissance… que vous m’expliquiez ce qui se passe
pour vous…
Mme Jeanne : C’est pas compliqué, mon petit ! J’étais en train de
ramasser des cerises, l’échelle, oh ! une toute petite échelle, a glissé sur la
branche et je me suis retrouvée par terre ! Les Y. m’ont entendue crier et ils
sont tout de suite venus. Comme j’avais très mal, ils ont appelé les pompiers
qui m’ont emmenée à l’hôpital, disant que j’avais dû me casser quelque
chose… « Fracture, m’a dit le médecin, vous allez rester avec nous un
moment ». Puis il m’a dit : « Vous n’avez plus l’âge de monter aux échelles,
ma petite dame ! ». Je me suis retenue de lui dire ce que j’en pensais… Y’a
un âge pour monter aux échelles, maintenant ? Ça fait soixante-dix ans que je
monte, alors… Et puis « ma petite dame ! », on n’a pas gardé les cochons
ensemble !
Psy : Tout cela vous a contrariée…
Mme Jeanne : Mais ça n’est rien ! Après la chirurgie, rééducation ! Deux
bons mois à l’hôpital ! J’ai cru devenir folle, coincée dans ma chambre avec
des petits vieux partout… Vous auriez vu ça. Enfin, vous voyez, vu qu’il y a
plein de gâteux ici ! ( Puis, triste) Vous voyez bien que je n’ai pas ma place
ici…
Psy : Vous n’avez pas fait de connaissances ?
Mme Jeanne : Heureusement qu’ils m’ont donné une chambre seule,
sinon je me serais sauvée ou je serais devenue folle !
( Long silence).
Psy : Vous croyez ?
Mme Jeanne : Ça fait peur, j’espère que je ne deviendrai pas comme ça…
(Silence, Mme Jeanne semble rêveuse. Puis, se reprenant ) Bon, vous voyez
qu’il faut que je rentre chez moi …
Psy : Vous y êtes déjà retournée depuis que vous êtes ici ?
Mme Jeanne : On m’a proposé mais je ne préfère pas… (Silence, elle a
les larmes aux yeux)… Je m’excuse…
Psy : Vous pouvez être triste, il se passe beaucoup de choses dans votre
vie en ce moment…
Mme Jeanne : Je ne préfère pas parce que j’ai peur que ça me remue trop,
je n’arriverai pas à revenir ici… Bon, les infirmières sont gentilles, hein…
Psy : Je vous propose que nous nous rencontrions pendant quelque temps,
une fois par semaine, autour de trois quarts d’heure. Jeudi prochain à la
même heure, cela vous irait ?
Mme Jeanne : Il n’y a pas que moi ici, je ne voudrais pas vous faire
perdre votre temps…
Psy : Ne vous inquiétez pas pour cela, j’ai du temps pour tous ceux qui en
ont besoin. Alors, à la semaine prochaine, Mme P. ?
Mme Jeanne : Oh, pas de Mme P., appelez-moi Jeanne… Et vous, c’est
comment, votre petit nom ?
Psy : Je m’appelle Christelle Dupont-Dubois.
Mme Jeanne : C’est joli… Au revoir… ».
2. À LA RENCONTRE DU MALADE
Où le psychologue reçoit-il son interlocuteur ? Quel est d’ailleurs celui-ci ?
Le patient seulement ? Ses proches ? Les professionnels autour de lui ? Qui
formule la demande d’entretien à l’hôpital et quelles sont les finalités de cet
entretien psychologique ? Qu’apporte-t-il au sujet qui en bénéficie ? En
retour, que suscite l’entretien chez le praticien lui-même ? Quelles modalités
voire spécificités de la relation transféro -contre-transférentielle caractérisent,
ou non, l’entretien psychologique en milieu hospitalier ? Tel est ce que la
suite de ce chapitre se propose d’envisager maintenant plus précisément.
3. SITUATION CLINIQUE
3.1. LE CAS MME A.
Mme A., âgée de 45 ans, est hospitalisée pour quelques jours en service
d’endocrinologie et de nutrition afin de réaliser une série d’ examens. Elle
présente en effet des troubles du comportement alimentaire de type
hyperphagique, mais surtout une obésité assez récente et résistante aux
entreprises amaigrissantes, et pour laquelle une investigation endocrinienne
est donc demandée. Ce sont les infirmières du service qui, inquiètes devant le
comportement de la patiente, ont sollicité la psychologue à l’occasion d’un
temps de synthèse en équipe, afin que celle-ci la rencontre. Depuis son
admission réalisée dans le service deux jours plus tôt, Mme A. demeure en
chemise de nuit, constamment couchée, répondant à peine aux questions des
soignants. Ceux-ci la trouvent triste, très repliée sur elle. Nantie de ces
quelques éléments d’information, la psychologue va dans la journée même à
la rencontre de Mme A. Elle frappe à la porte de sa chambre et trouve en effet
la patiente telle qu’elle lui a été décrite : allongée dans son lit, un air triste sur
le visage.
Psy : Mme A ? Bonjour, je suis Mme P., la psychologue du service. Les
infirmières m’ont indiqué votre présence dans le service, aussi je passe faire
votre connaissance. Vous voulez bien qu’on parle un peu ensemble ?
Mme A. (sans bouger de son lit et sur un ton très léger, à peine audible) :
Hmm… oui.
Psy (en approchant une chaise du lit) : Vous permettez ?
Mme A., toujours laconiquement, fait le même « Hmm » que
précédemment. Avant de s’asseoir, la psychologue tend toutefois la main en
direction de Mme A. pour la saluer. Péniblement, celle-ci se redresse un peu
et serre mollement la main qui lui est tendue .
Psy : Les infirmières m’ont dit que vous êtes arrivée ici il y a deux jours
maintenant, Madame A., comment cela se passe dans le service ?
Mme A. : Ça va, ça va (le ton est toujours très sourd).
Psy : Ça va, hum (court silence). Vous dites que ça va, mais le cœur n’y
est pas vraiment, semble-t-il ? ( Pas de réponse de Mme A., qui n’exprime
par ailleurs aucune mimique, son visage est fermé, sombre ; la psychologue
poursuit alors). Vous pouvez me dire ce qui vous a amenée ici à l’hôpital ?
Mme A. (se redressant pour se mettre en position assise dans son lit) :
C’est mon médecin. Il voulait en savoir plus… faire un bilan endocrinien,
pour qu’on voit… pour qu’on sache pourquoi je maigris pas ( silence). Moi je
ne voulais pas, mais il a insisté ( silence). Il a dit que ça me ferait sûrement
du bien. Qu’une rupture du quotidien, ça m’aiderait peut-être.
Mme A. s’arrête de parler. Quelques minutes s’écoulent, elle a le regard
baissé.
Psy : Que ça vous aiderait peut-être, oui, c’est-à-dire ?
Mme A reste silencieuse, le regard toujours baissé, elle semble perdue
dans ses pensées.
Psy (après quelques instants) : Vous disiez que votre médecin pensait que
vous aviez besoin d’aide, et vous, vous en pensez quoi ?
Mme A. (revenant dans l’échange, et relevant la tête) : Non, j’ai pas
besoin. Ça va… enfin, je n’aime pas trop être à l’hôpital.
Psy : Oui, c’est vrai que l’hôpital, on y vient pas forcément par plaisir.
Vous, Mme A., vous êtes déjà venue dans cet hôpital ou dans un autre ?
Mme A. : Hmm. Pas dans ce service, dans un autre oui.
Mme A. a repris son visage sombre, s’est comme refermée. Silence un peu
plus long que les précédents, la psychologue ressent soudain une sensation
de froideur, l’atmosphère lui paraît pesante ; elle relance rapidement.
Psy : Oui ? Vous pouvez m’en dire plus ?
Mme A. : C’était en face, en service de chirurgie d’abord et puis après en
gynéco, j’ai été opérée.
Psy : Oui ?
Mme A. : C’était une… une… une opération de … je n’ai pas le mot.
Psy : Une opération … qui concerne les femmes … seulement les
femmes ?
Mme A. : Oui. Ils m’ont trouvé des cellules cancéreuses après un examen
gynécologique et ils ont dit qu’il fallait opérer en urgence. Comme j’avais
déjà mon fils, et que je ne voulais pas d’autre enfant, ils ont tout enlevé.
Psy : C’est donc peut-être une ablation de l’utérus que vous avez eue, une
hystérectomie ?
Mme A. : Oui c’est ça (le ton de la voix s’atténue, la psychologue, bien
que très près du lit de Mme A., peine à l’entendre). Ils ont enlevé l’utérus…
et les ovaires aussi… « Sinon c’était risqué », ils m’avaient dit à l’hôpital.
La voix de Mme A. laisse entendre comme des sanglots étouffés.
Psy : Être ici à l’hôpital aujourd’hui, cela vous rappelle donc cette fois
précédente où vous avez été hospitalisée pour cette intervention en urgence,
où l’on vous a découvert des cellules inquiétantes et où l’on vous a donc
enlevé cette partie de votre anatomie féminine. Il y a de quoi vous sentir mal
à l’aise, inquiète et même triste alors de revenir à l’hôpital…
À ces paroles de la psychologue, les yeux de Mme A. s’embuent, puis de
grosses larmes roulent sur ses joues, silencieusement d’abord, puis la
patiente laisse éclater sa peine, sa douleur ; elle se met à sangloter très fort.
Cela dure plusieurs longues minutes.
Psy (doucement) : Évoquer ces moments, ces souvenirs, est très
douloureux, tout comme ce que vous avez vécu à ce moment-là a aussi été
douloureux… Pleurer, quand on a perdu quelque chose, quelqu’un, c’est
justement une façon de réagir à cette souffrance, à ce chagrin, comme ceux
qui sont restés en vous depuis ce moment, semble-t-il…
Quelques minutes passent, quelques larmes coulent encore puis Mme A.
s’apaise, elle essuie son visage.
Mme A. : Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça, je croyais que c’était
passé (court silence). J’avais jamais parlé de cette opération, enfin de ce que
cela m’avait fait. Et j’ai jamais pleuré pour ça. Non, jamais, il fallait que je
sois forte, pour mon fils, pour ma famille, et je l’ai été. Il fallait que je
reprenne vite mon travail. J’ai tout gardé en moi, j’ai tout absorbé.
Psy : Tout gardé au-dedans de vous, tout absorbé, hum. Et aujourd’hui
vous êtes justement hospitalisée pour des soucis d’ordre alimentaire, pour des
kilos que votre corps a emmagasiné…
Mme A. : C’est vrai… Maintenant que vous l’évoquez, j’ai pris du poids
depuis trois ans, et mon opération c’était aussi il y a un peu plus de trois
ans… Je n’avais pas pensé que ça pouvait être lié… Vous pensez, vous, que
ça peut être en lien ?
Psy : En tout cas vous y songez maintenant, semble-t-il. Comme notre
entretien arrive à son terme, si vous voulez Madame A., nous pouvons
envisager un autre temps de rencontre, pour continuer à parler de tout ça,
comme on vient de le faire ?
Mme A. : Ah ben oui, je veux bien. Je me rends compte que cela m’a fait
du bien de vous voir. J’aurai pas pensé. Je n’ai jamais vu de psychologue
avant vous. Je n’ai jamais pensé que je pouvais en avoir besoin.
L’entretien s’arrête alors. Madame A. et la psychologue conviennent d’un
nouvel entretien pour le surlendemain, qui aura cette fois lieu dans le bureau
de la psychologue.
1. PRÉAMBULE
Un récit clinique implique toujours que nous puissions au préalable
préciser les contours du cadre tel qu’il fut nécessaire de l’adapter au cas d’un
patient. Adèle, la patiente psychotique dont il sera ici question, jusque-là
stabilisée, a brutalement traversé un épisode délirant d’allure mélancolique.
La soudaineté énigmatique de cet épisode de décompensation laissa l’équipe
hospitalière qui la suivait en hôpital de jour depuis de nombreuses années
dans un grand désarroi, une réelle inquiétude. Or, il se trouvait qu’en tant que
psychologue et psychothérapeute dans ce service, je connaissais bien Adèle
pour l’avoir accompagnée dans un travail ludique et théâtral dont elle avait
tiré de grands bénéfices. J’aurai l’occasion de donner de plus amples
précisions à ce sujet, mais il suffit de dire pour le moment qu’il existait entre
nous une réelle communication, nous avions des rapports ouverts, vivants et
authentiques. Au sein de la Compagnie théâtrale Le Toucan Bleu 1, elle avait
incarné de nombreux premiers rôles, son appréciation du jeu théâtral était
assez sûre et depuis plus de dix ans que nous travaillions ensemble, l’équipe
et moi-même avions constaté qu’elle avait beaucoup évolué, qu’elle s’était,
pour ainsi dire, transformée, à un point tel que nous avions presque oublié la
violence des attaques délirantes dont elle avait été la proie bien des années
auparavant.
En tout état de cause, la brutalité de son état exigeait du collectif soignant
un intense travail de réflexion afin de l’accompagner dans ce mouvement
régressif. Le délire est, de toutes les façons, un moment très délicat où l’
angoisse est à son maximum et met souvent les soignants en grande difficulté
dans la mesure où il peut plonger tout un collectif dans la culpabilité, et
provoque surtout des mouvements psychiques difficiles à analyser. Pourtant,
aussi paradoxal que cela puisse paraître, il est souvent vital de reconnaître ces
difficultés d’ élaboration. C’est de cette reconnaissance que va dépendre
l’effet thérapeutique. Le collectif soignant doit alors effectuer un véritable
travail de transformation visant les éléments toxiques de la psyché, restés
jusque-là étrangers au sujet lui-même. W.R. Bion nous aide à penser ces
phénomènes grâce à sa conceptualisation de la fonction alpha. Tout ce qui
n’aura pu être psychisé, et tout d’abord par les thérapeutes, va bloquer les
capacités de représentation, et les contenus délirants resteront inaccessibles
pour le patient. La psyché, y compris celle des soignants, est envahie d’
éléments-bêtas, toxiques par définition. Tout le travail analytique au sein
d’équipes pluridisciplinaires et hospitalières vise donc à permettre ce travail
d’analyse, souvent proche de la capacité de rêverie à laquelle W.R. Bion
s’attachera largement, sur laquelle le patient peut prendre appui et qui doit
l’aider progressivement à sortir de son abîme, surtout lorsqu’il est effrayé par
sa folie, effroi qu’il arrive à faire partager bien souvent tant au thérapeute
qu’à l’institution.
Remarquons ici que travailler avec nos failles est souvent salvateur pour
les patients et réhumanise le soin psychique. Peut-être faut-il accepter d’être
suffisamment bon, mais pas plus… ? Alors que la psychologie clinique
« armée » des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et autres
brimborions semés à tout va dans le petit monde enchanté de la psychiatrie
cognitiviste tend à occuper de plus en plus le terrain, il est grand temps de
revendiquer que l’approche psychanalytique, du lieu même de son
extraterritorialité, spécifiquement distincte de la formation médicale, puisse
contribuer à l’enrichissement de nos pratiques de soins, et ce notamment
auprès de patients psychotiques parfois très chronicisés et que les équipes ont
tendance à délaisser, comme si elles étaient contaminées par le renoncement à
vivre dont les patients sont eux-mêmes porteurs. Le travail de détoxication se
trouve là également.
Sans pour autant établir un récit idéalisé de ce que fut ma pratique pendant
près d’une quinzaine d’années, il m’est apparu absolument nécessaire de
prendre la mesure de ce qui s’était déposé dans les groupes et leur psyché.
Concernant Adèle, il était évident que je devais la considérer tout d’abord
pour elle-même, mais aussi dans le groupe où elle avait eu l’habitude
d’évoluer ces dernières années, en l’occurrence ici la troupe théâtrale, mais
aussi les autres environnements dans lesquels elle vivait. L’approche
groupale et l’analyse des transferts latéraux tels qu’ils se déploient à
l’intérieur des groupes m’ont permis de préciser l’importance de la corporéité
des soins psychiques et de m’orienter vers l’aire des phénomènes culturels.
De même, l’analyse des effets de coexcitation ou de codépression dont les
soignants sont partie prenante m’a aidée à structurer le paysage quotidien de
ma pratique et m’a permis de cheminer aux côtés de cette patiente. Grâce à l’
attention portée à l’ensemble de ces phénomènes que D.W. Winnicott
(1971a) aurait qualifiés de transitionnels, intégrant avec souplesse et liberté
plusieurs cadres (individuel et groupal), j’ai vu se dessiner les éléments
fondateurs de ce que devait devenir ma clinique. C’est donc de cela que je
vais tenter de rendre compte, car c’est du jeu et de la complémentarité de ces
deux approches qu’il fut possible de tirer profit. L’exposé du cas devrait en
porter témoignage. Face aux organisations psycho pathologiques résistantes
aux dispositifs classiques, il m’est apparu utile, voire indispensable afin
d’activer les capacités symbolisantes de cette patiente, de m’appuyer sur les
mouvements transférentiels tels qu’ils se présentaient alors. C’est ainsi que le
trauma a pu être élaboré en des termes nouveaux, ne serait-ce que parce que
le travail groupal et théâtral a aidé la patiente à se sentir suffisamment
protégée pour me confier les éléments constitutifs de son délire. Grâce à
l’étayage suffisamment bon produit par le travail groupal, et malgré un
contexte témoignant de l’ angoisse extrême dans laquelle elle se trouvait au
moment de l’éclatement de son délire, Adèle avait-elle pu se constituer une
nouvelle peau psychique qui aurait, au moins pour un temps, fait office
d’enveloppe contenante ? C’est probable, mais il aura aussi fallu rester à son
chevet, sensible aux non-dits, à la nécessité du silence, ainsi qu’à ces
expressions discrètes de contact émanant du corps de la patiente et venant
résonner dans le corps du thérapeute.
Un tel travail ne pouvait trouver de lieu pour se vivre qu’à la condition
d’être soutenu par l’institution et par une confiance réciproque ayant pour
fondements non seulement le lien de la patiente avec son thérapeute mais
aussi le lien que le thérapeute avait su tisser avec l’équipe soignante et
l’institution. Rien ne saurait aboutir dans le traitement des patients
psychotiques en dehors de cet intérêt thérapeutique pour les liens
institutionnels, groupaux, familiaux et individuels. Seule une même
dynamique peut présider à ces processus où la réalité des perceptions, et les
différentes composantes de la personnalité du thérapeute, jouent un rôle
décisif dans l’univers délirant du patient, ainsi que dans l’évolution du
traitement de celui-ci. Si l’on veut avoir une chance de faire aboutir le
traitement de ces pathologies que sont les psychoses, il convient de ne pas
perdre de vue la nécessaire simultanéité de ces aspects de la relation
thérapeutique. L’espoir d’aider les patients à devenir non psychotiques joue
ici un rôle des plus importants. Les auteurs anglo-saxons nous permettent de
penser l’ensemble de ces phénomènes complexes non dans l’exclusive, mais
au contraire dans une multiplicité d’approches, nous invitant dès lors à une
réelle créativité. C’est en m’inspirant de leurs travaux que je pense être
devenue plus familière de l’univers intrapsychique de l’autre, lequel nous
semble souvent trop lointain. Mais sans les efforts conjoints du collectif
soignant, ainsi que des patients qui travaillaient avec moi et l’équipe au sein
de la compagnie théâtrale, donc sans la reconnaissance de la nécessité de
faire travailler plusieurs cadres simultanément, l’acharnement morbide dont
la conviction délirante d’Adèle avait été le reflet aurait gagné la partie et nous
aurait plongés dans un profond désarroi. Peut-être enfin fallait-il que, de mon
côté, je laisse se déployer une certaine forme de déni, à la hauteur de celui de
la patiente, pour que je puisse avancer parfois loin d’elle, et parfois à ses
côtés.
5. DE LA CRAINTE DE L’EFFONDREMENT
À L’INQUIÉTANTE FAMILIARITÉ 3
Avant d’entrer dans le détail de ce délire et de ses motivations
inconscientes, il convient de s’arrêter aux travaux de D.W. Winnicott (1972)
sur la crainte de l’effondrement. Sa thèse, particulièrement éclairante sur le
plan clinique, désigne comme crainte d’un effondrement la crainte de quelque
chose qui aurait en fait déjà été éprouvé. Tout le phénomène psychotique
correspondrait à une organisation défensive en vue de réduire cette crainte de
l’ agonie originelle. Or, « si le patient est prêt à accepter quelque peu cette
vérité d’un type bizarre – que ce qui n’est pas encore éprouvé s’est
néanmoins déjà produit dans le passé –, alors la voie se trouve ouverte pour
que cette agonie soit éprouvée dans le transfert, en réaction aux défaillances
et erreurs de l’analyste » (D.W. Winnicott, 1972). Si la reconnaissance des
défaillances du clinicien peut s’avérer comme un levier décisif dans la
dynamique de l’entretien, la remémoration de l’ agonie primitive du
psychotique doit, quant à elle, et si l’on veut éviter de buter sur une
éventuelle futilité de la relation thérapeutique, être vécue dans le présent. Le
transfert donne, à partir de cet instant, un sens au cadre dans lequel il se joue.
Aider le patient psychotique à sortir de son abîme, c’est aussi le confronter à
l’absolue nécessité d’éprouver dans la réalité le vécu de ses émotions. Mais
encore faut-il que le thérapeute soit lui aussi, et pour lui-même, en mesure de
traverser ces épreuves émotionnelles, donnant ainsi au patient la possibilité
de faire l’épreuve de la chose redoutée.
Adèle avait bénéficié pendant près d’une douzaine d’années de ce que
j’appellerai un holding fictionnel (P. Attigui, 1998). La mise en place du jeu
m’avait, au fil du temps et des propositions ludiques, permis d’évaluer peu à
peu, à l’intérieur du jeu lui-même, la nature des traumas dont elle avait été
victime. Ces jeux du théâtre et de la fiction mêlés à son histoire avaient
enrichi mes intuitions cliniques, contribué à élaborer un véritable climat de
confiance et confirmé la proposition winnicottienne concernant les traces
traumatiques que les patients peuvent conserver inconsciemment. En effet,
« l’effondrement a pu avoir lieu vers les débuts de la vie du sujet, (…) Le
patient doit s’en “souvenir”, mais il n’est pas possible de se souvenir de
quelque chose qui n’a pas encore eu lieu, et cette chose du passé n’a pas
encore eu lieu parce que le sujet n’était pas là pour que ça ait lieu en lui.
Dans ce cas, la seule façon de se souvenir est que le patient fasse pour la
première fois, dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert, l’épreuve de
cette chose passée. Cette chose passée et à venir devient alors une question
d’ici et maintenant, éprouvée pour la première fois. C’est l’équivalent de la
remémoration, et ce dénouement est l’équivalent de la levée du refoulement
qui survient dans l’analyse des patients névrosés » (D.W. Winnicott, 1972).
Ce travail théâtral avait ainsi permis à Adèle de se souvenir ludiquement,
comme par petites touches, en grande partie grâce aux personnages qu’elle
avait incarnés durant toutes ces années et qui lui ont permis de développer
une « virtualité saine » (J.E. Garcia Badaracco, 1999) sur laquelle elle put
prendre appui. Sans doute, ce travail n’aurait pas été possible sans un
accompagnement s’inscrivant dans une distance suffisamment bonne de ma
part et c’est l’ensemble de tous ces éléments qui fut reconvoqué au moment
de l’éclosion délirante. Il ne tenait qu’au clinicien de savoir s’en saisir, à
condition « d’écouter la matérialité psychique de toute parole comme
s’écoute un rêve » (P. Fédida, 2000) et toutes les manifestations psychiques,
comme les symp tômes, mais aussi les phénomènes sublimatoires tels que la
créativité et le jeu qui font partie intégrante de cette matérialité et constituent,
au même titre que le rêve, un matériau de choix pour l’ exploration
inconsciente du sujet. Je tentai donc, au cours des entretiens, de relever le défi
qu’Adèle me lança, pour y « inventer un jeu de langage, là même où la
parole n’a plus cours » (F. Davoine et J.-M. Gaudillière, 2006). Adèle avait
été contrainte d’utiliser des défenses plus primitives et fonctionnellement plus
coûteuses, et de facto avait sauté de l’autre côté du miroir sans intermédiaire,
quittant les berges du conflit pour rejoindre celles de la solution délirante où
l’objectif et l’objectal s’écroulent ensemble (S. Nacht et P.-C. Racamier,
1971).
Lorsque Freud (1939) nous dit qu’ « un morceau de vérité oubliée réside
dans l’histoire délirante, lequel, en revenant, a dû subir des déformations et a
été mal compris, et que la conviction contraignante qui se constitue en délire
part de ce noyau de vérité et s’étend sur les erreurs qui l’entourent », il nous
permet ainsi d’associer folie et trauma. Mais il ne faut pas nous fier aux
lueurs trompeuses du trauma comme s’il était la clef de toute interprétation.
En effet, il nous appartient en tant que clinicien de continuer à questionner ce
qui nous est montré, questionnement qui ne peut s’accomplir qu’à partir du
point même de notre étrangeté. C’est en avançant sur ces terrae incognitae
que le transfert va faire ses premières armes. Les ressorts mêmes de la
forclusion telle que nous la rencontrons dans la psychose sont à situer du côté
de « ce qui entre en scène aux confins de l’humain et de l’inhumain (et qui)
ne relève pas de la psychologie des personnages, mais d’un événement qui
n’a jamais reçu droit de cité. Dans le travail analytique, ce théâtre-là
constitue la voie royale d’accès à l’ inconscient retranché, au même titre que
l ’interprétation des rêves donne accès à l ’inconscient refoulé » (F. Davoine
et J.-M. Gaudillière, 2006).
4. SITUATION CLINIQUE
4.1. LE CAS SONIA
Sonia a 17 ans lorsque je la rencontre dans le cadre d’un suivi
psychologique mis en place à sa demande au SMPR. Elle est incarcérée pour
avoir commis des actes criminels d’une grande cruauté alors qu’elle avait
15 ans : Sonia a participé à un viol en réunion en ayant au préalable séquestré
sa victime, une jeune fille d’un an sa cadette.
La jeune femme se présente en consultation selon son bon vouloir, quand
elle le souhaite, cherchant à contrôler les enjeux relationnels. Durant les
premières rencontres, elle me fait partager sa vie en cellule, voulant que
j’interfère auprès des surveillantes, m’agressant lorsqu’elle ne peut m’utiliser
à sa guise :
Sonia : Je viens vous voir parce que j’ai des problèmes avec mes
codétenues, je voudrais changer de cellule, je voudrais que vous en parliez à
une surveillante.
Psy : Vous voulez que je fasse quelque chose pour vous. Mais vous savez
bien que les soignants ne peuvent pas intervenir dans les mouvements de
cellule.
Sonia : Mais alors, à quoi vous servez ? ! Je viens vous voir parce que je
suis mal et vous me répondez que vous n’y pouvez rien ! C’est quoi alors un
psychologue ? !
Psy : C’est quelqu’un avec qui vous pouvez parler de ce que vous voulez,
qui est tenu par le secret professionnel, mais qui ne peut pas aller avec vous
en détention. Par contre, vous pouvez me parler de ce qui se passe dans votre
cellule.
Sonia : Elles sont infectes avec moi. Je ne les supporte plus… ( Sonia
suce alors son pouce.) Dehors elles n’en mèneraient pas large.
Psy : Ce sont des filles, des femmes, que vous auriez pu rencontrer
dehors ?
Sonia : Ce sont des filles qui ne pensent qu’à ça. Elles passent leur temps
à se maquiller, à se regarder dans la glace. Moi je ne porte pas de jupes, je ne
me maquille pas. Je préfère m’habiller en jogging et baskets Nike ou Reebok,
parce que ce sont les salopes qui veulent aguicher les hommes et chercher les
emmerdes qui portent des talons et des jupes.
Psy : Et dehors, vous ne portiez pas de jupes ?
Sonia : Non ! ( Sonia me jette alors à la figure tout un tas d’injures). Je
suis jeune et je n’ai jamais eu de relations sexuelles. Je réserve ma virginité à
l’homme qui deviendra mon mari. Je ne suis pas comme les autres filles de
mon quartier qui ont une vie sexuelle, ce sont des salopes.
Sonia suce toujours son pouce et va ensuite me parler de sa mère qui vient
régulièrement la voir aux parloirs. C’est, semble-t-il, la seule personne qui
trouve grâce à ses yeux.
Sonia : Ma mère me porte toujours des gâteaux pour l’Aïd. Dehors, je les
faisais avec elle. Je suis sa seule fille. Mon père n’est jamais la maison, je ne
sais pas ce qu’il fait. Il est toujours sur le canapé… Il boit.
Psy : Votre mère vous manque. Elle vous apporte des gâteaux que vous
auriez aimé faire avec elle… ( silence). Vous vous faites du souci pour elle.
Sonia : Avec mon père, c’est compliqué… (Sonia va alors « vomir » des
scènes de terreur non ressenties comme telles)… Il m’a menacée d’un
couteau en me courant derrière dans l’appartement, et une fois, il m’a
menacée d’un fusil de chasse, il a mis le fusil sur ma tempe en me disant que,
si je bougeais, il tirerait.
Psy : Vous deviez être terrorisée… en larmes…?
Sonia : Non ! Pas du tout ( rire). Je me suis blottie dans un coin de la
pièce et j’ai attendu qu’il se calme…
Psy : Mais est-ce qu’il y a eu des moments où vous pouviez discuter ou
passer un bon moment avec lui, aller au cinéma par exemple…?
Sonia : Une fois je lui ai demandé de l’argent pour aller au cinéma. Il était
très en colère, il est devenu rouge et m’a dit que si je voulais de l’argent, je
n’avais qu’à me prostituer.
Dans les entretiens qui ont suivi, Sonia revient sur son histoire adolescente
et sa sexualité.
Sonia : J’ai eu mes règles à 12 ans, je m’en souviens parce que c’est le
moment où mon père est revenu vivre à la maison.
Psy : C’est à cette époque que vous aviez envie de sortir, d’aller au
cinéma ?
Sonia : Oui, mais mon père ne voulait pas que je sorte. Il ne voulait pas
me voir traîner avec les autres filles dans le quartier. Pour lui, c’étaient des
salopes. Mais je m’en foutais. Je sortais et j’ai eu des petits copains (…).
Mais je ne suis pas une gouine, ni une salope, je suis une fille mais qui fait
comme les garçons, après l’amour, je me lave et je pars. Je ne veux pas
montrer que je suis attachée, c’est un truc de fille, ça.
Au fil du temps qui passe, après plus d’une année de rencontres où elle
tisse, file et tente de couper ce lien, Sonia va utiliser les consultations comme
des moments de « complicité féminine ». Elle me fait part des produits de
maquillage qu’elle a cantiné, me demande mon avis et ne convoque que très
rarement des épisodes de son enfance. Elle a « tout oublié » et clame toujours
son innocence.
1. A DDICTION ET PERSPECTIVE
PSYCHOSOMATIQUE : LE LIEN CORPS
/PSYCHÉ
Les addictions touchent le lien entre psyché et soma et correspondent à une
tentative d’échapper à la douleur psychique, en la traitant comme une douleur
physique : il s’agit d’un traitement du corps qui suppose la transformation
d’un état de tension psychique en besoin somatique. On regroupe sous le
terme d’ addiction les formes classiques de la dépendance, comme l’alcool, la
drogue, le tabac mais aussi des formes par extension, sans drogue, souvent
nommées addictions comportementales, comme les troubles alimentaires
compulsifs (anorexie, boulimie), le jeu pathologique, l’ addiction au sport, la
sexualité addictive, et aussi l’ addiction au travail, aux achats compulsifs, à
certaines conduites à risque, voire aux tentatives de suicide. Cette extension
du concept d’ addiction ne va pas sans poser problème et B. Brusset (1998)
souligne l’intérêt de recentrer l’ addiction sur la toxicomanie, la boulimie,
l’anorexie et l’alcoolisme.
Les conduites addictives débutent souvent brutalement à l’adolescence. Le
rôle de la poussée sexuelle pubertaire est central dans le processus addictif,
mais l’adolescence apparaît comme le second acte d’une pièce qui s’est déjà
jouée dans l’enfance : ce second temps réorganise un temps plus archaïque,
qui renvoie à un dysfonctionnement dans les interrelations précoces remis en
jeu à l’adolescence. La puberté joue ainsi le rôle d’ après-coup traumatique,
avec la question de la sexualisation des liens à l’autre et des identifications
sexuelles. Comme l’écrit R. Cahn (1998), l’ adolescent addicté est confronté
à un trop-plein d’ excitations et son équilibre dépendra en grande partie de l’
objet externe et de sa distance avec lui : la déliaison prédomine dans les cas
où l’ objet se dérobe ou l’envahit. Dans la problématique addictive, le jeune
peut rejeter son corps sexué et refuser la génitalité, voire attaquer son corps
devenu étrangement inquiétant : M. Laufer et M.E. Laufer (1984) ont
notamment décrit le refus du pubertaire et son recours à la drogue comme
défense contre le lien incestuel à la mère. La drogue a alors une fonction
d’écran, de tiers protecteur, et les sensations qu’elle donne permettent à l’
adolescent de se sentir sans besoins, autrement dit de se défendre contre le
désir de fusion avec la mère.
Cet excès d’ excitation peut aussi se comprendre comme la présence en
creux dans le sujet d’un effondrement mélancolique. Face au danger
d’activation d’un noyau mélancolique, l’ agir addictif serait une manière de
projeter l’ objet interne mélancolique vers l’extérieur pour tenter de le traiter.
On constate par ailleurs des réversibilités entre addiction et somatisation, et
plusieurs somaticiens font l’hypothèse que le recours à une addiction peut
éviter, à court terme, des désorganisations psychosomatiques : une addiction
peut prendre la suite d’une pathologie somatique de l’enfance qui peut alors
disparaître ou, inversement, le sevrage d’une addiction peut s’accompagner à
long terme de pathologies organiques, sur le modèle du delirium tremens.
Ainsi, des maladies psychosomatiques comme l’asthme, l’eczéma, le
psoriasis, peuvent disparaître avec le début de l’ addiction à l’héroïne
(G. Pirlot, 2009). On gagnera aussi à observer les procédés autocalmants,
fréquents dans les conduites addictives (F. Duparc, 1997).
L’ensemble des auteurs s’accordent à mettre au centre de la problématique
addictive les relations précoces du bébé à son environnement. Dans une
perspective psychosomatique, le symptôme addictif serait à référer aux toutes
premières expériences d’ investissement du soi somatique par la mère.
M. Corcos (2005) a notamment développé l’idée d’une transmission « corps
à corps » et fait l’hypothèse que, dans les relations primaires à son
environnement du sujet futur addictif, la constitution du soi somatique serait
défectueuse du fait de la perturbation des interrelations corporelles mère
/enfant. Il y aurait une absence de cohésion ou d’intégration psychosomatique
et un clivage entre corps et psyché liés à un dysfonctionnement dans la
relation transcorporelle mère /enfant. Dans la problématique addictive, cette
« transmission corps à corps » peut prendre deux formes : celle d’une trop
grande distance, avec un investissement maternel (voire parental) en carence
ou, au contraire, celle d’une trop grande proximité, avec un investissement
maternel en excès. L’ investissement maternel en carence correspond à une
insuffisance ou à une discontinuité de l’ investissement du corps de l’ enfant,
par exemple dans des soins mécaniques, et ces expériences de non-vécu ou de
non-éprouvé corporel peuvent être à l’origine d’un clivage entre corps et
psyché. Le corps non lié à la psyché se dépersonnalise, perd son unité et son
sentiment de continuité. Donc plus tard, l’addicté a besoin de l’ excitation
produite par l’ objet addictif pour tenter de relibidinaliser le corps, pour
pouvoir figurer des zones corporelles non investies, voire pour se sentir
exister. L’ investissement maternel en excès est au contraire accompagné de
soins corporels intrusifs ou trop excitants et ces effractions corporelles
provoquent des angoisses archaïques d’ intrusion et de pénétration. Il est
aussi possible que des parents aient un excès de désir pour le corps de leur
enfant, avec un surinvestissement érotique : le sujet va alors désexualiser
activement son corps susceptible d’être désirable. Le traumatisme d’une
excitation prématurée peut favoriser une régression du corps libidinal au
corps biologique et les sensations pulsionnelles de l’adolescence vont être
remplacées par celles données par l’ objet addictif, utilisé comme pare-
excitation de la dimension incestueuse.
Plus tard, par le recours à l’ addiction, le sujet se protègera donc du lien à
l’autre qui apparaît soit comme anéantissement, soit comme envahissement.
La conduite addictive se présente ainsi comme une solution face aux deux
dangers précédemment évoqués, le danger d’absence de l’ objet ou le danger
de sa présence trop excitante. Dans cette perspective, la problématique
addictive n’est pas la plupart du temps liée à un facteur traumatique central,
mais plutôt à une succession de microtraumatismes qui renvoient à des
perturbations des échanges sensoriels qui empêchent l’ enfant de ressentir des
éprouvés internes de rassemblement. Ces diverses modalités de lien dans les
interactions précoces peuvent faire l’ objet, à partir des données de l’entre
tien clinique, d’hypothèses qui permettront d’adapter les modalités d’
intervention du clinicien.
La clinique des sujets addictifs apparaît donc comme le traitement d’une
pathologie du lien et non du conflit, évacué car lié à l’ objet.
2. LA DYNAMIQUE TRANSFÉRO -CONTRE-
TRANSFÉRENTIELLE
Dans le cadre thérapeutique (comme dans les relations courantes), la
relation avec ces patients relève souvent de la dimension narcissique : ils sont
très dépendants de l’autre, qui est essentiellement investi comme un
pourvoyeur de leurs besoins. Les premiers contacts relèvent souvent d’une
sorte d’« emballement relationnel », avec une grande proximité, qui peut
prendre la forme d’une verbalisation logorrhéique avec beaucoup de
« confidences ». Cet investissement massif peut être suivi d’un
désinvestissement très rapide, voire d’un rejet. Il arrive aussi que ces patients
donnent l’impression d’avoir oublié le contenu des entretiens précédents.
Le plus souvent, ils semblent à la recherche d’un contact dans l’urgence,
plutôt que d’un lien avec un autre reconnu en tant que tel. Ils peuvent par
exemple se « déverser » dans le cadre institutionnel auprès d’un grand
nombre d’interlocuteurs, sans poursuivre le lien avec chacun ensuite, ni
différencier le cadre de l’entretien clinique. L’autre ne semble pas reconnu
dans sa différence, comme lui-même enfant n’a pas pu être investi en
fonction de ses propres besoins et désirs, mais comme un prolongement
narcissique d’un ou des parents par exemple, selon un cas de figure fréquent.
En miroir, le sujet addictif ne reconnaît pas l’autre avec des besoins et des
désirs propres.
Au fil des entretiens, l’ addiction apparaît comme une négation de cette
dépendance affective, perçue comme une menace pour l’ identité même du
sujet, ou comme une sorte d’aliénation aux objets d’ attachement, mais elle
introduit paradoxalement une autre dépendance. Tout se passe toutefois
comme si l’addicté pouvait mieux maîtriser la dépendance à l’ objet d’
addiction que la dépendance à l’autre. Le sujet addictif va donc essayer de
remplacer les liens affectifs relationnels vécus comme menaçants par des
liens de maîtrise et d’ emprise, d’où sa recherche d’ objets substitutifs qu’il
pense maîtriser, comme la nourriture dans la boulimie ou la drogue dans la
toxicomanie. L’ objet d’ addiction se présente donc comme un néo-objet de
substitution sous emprise.
Dans un tel contexte, souvent la dépendance addictive ne peut être
abandonnée que pour une forme de dépendance affective trouvée dans le lien
au thérapeute ou, de façon concomitante, retrouvée dans le lien aux objets.
Le contre-transfert avec des patients addictifs est souvent caractérisé par
des affects négatifs : le thérapeute se sent lui-même désaffecté, incapable
d’analyser ses affects et d’en souffrir. Il peut ressentir de l’ennui, de
l’irritation, de la lassitude, du découragement et de la déception. Tous les
affects extrêmes que le patient porte en lui, comme la détresse, le désespoir,
le sentiment de vide ou de mort psychique, vont se retrouver chez le
thérapeute. Celui-ci pourra se sentir paralysé dans sa fonction de penser et
d’associer. Souvent, le patient ne tient pas un discours véritablement
associatif, mais un discours plat, collé à la réalité, avec beaucoup de
banalités, proche de la pensée opératoire. Il s’agit finalement pour ces
patients bien moins de communiquer des pensées ou des affects, que de faire
éprouver au thérapeute ce qu’ils n’ont pas encore pu éprouver ou ressentir, ce
qui n’a pas encore de nom. Le sujet vient faire vivre au clinicien ce qu’il n’a
pas pu vivre de son histoire, selon un transfert par retournement décrit par
R. Roussillon (1999). Le patient addictif demande en quelque sorte au
thérapeute d’être le miroir de ce qui n’a pas été senti, vu ou entendu de soi,
ou du mal senti, mal vu ou mal entendu de soi.
Au centre du transfert, comme nous l’avons vu, la défense contre la
dépendance affective, perçue comme une menace pour l’ identité, les incite à
soumettre le thérapeute dont ils sont dépendants, en miroir, à une dépendance
semblable à leur égard. C’est une défense identitaire de sauvegarde du Moi
car la dépendance à l’autre est vécue comme insupportable (Ph. Jeammet,
2000). Ainsi s’expliquent par exemple la prolifération des rendez-vous
manqués, des retards, le fait qu’ils viennent quand on ne les attend pas ou
insistent sur leur mal-être et l’inutilité de la thérapie, autant de formes de la
réaction thérapeutique négative décrite par Freud (1912). Le thérapeute est
mis dans l’impuissance. En même temps, il existe souvent une relation de
cramponnement au thérapeute, une tendance addictive vis-à-vis de la
thérapie : il s’agit de maintenir le contact par un lien fondu à l’autre, la
séparation est vécue comme une mort psychique. Fréquentes sont les attaques
du cadre, les ruptures du suivi, voire le clivage entre le suivi qui se poursuit et
la conduite addictive qui reste inchangée ou aggravée. Cette défense se
rencontre souvent dans le soin aux patients alcooliques et s’explique par un
clivage, décrit par A. de Mijolla et S.A. Shentoub (1973), entre la partie
alcoolique du Moi et la partie non alcoolique.
On peut regrouper ces difficultés autour d’une sorte de phobie du
transfert : c’est une phobie du contact affectif, qui suppose l’émotion et un
travail d’introjection, justement ce que ces patients ne supportent pas. Le
sujet addictif va donc tenter de neutraliser le transfert en le mettant sous
emprise (attaques du cadre, disqualifications…).
Le patient oscille ainsi entre deux difficultés majeures que le clinicien doit
impérativement prendre en compte : le risque de dépression, si l’ objet investi
s’absente ou s’éloigne, et le risque d’être débordé par des affects excitants,
s’il rencontre l’ objet qu’il peut vivre comme potentiellement incestueux ou
aliénant.
3. DE LA DÉSAFFECTATION AU PARTAGE D’
AFFECT
La dynamique de l’entretien dans la problématique addictive apparaît
marquée par le traitement de l’ affect : du côté des patients, la question de la
désaffectation (J. Mac Dougall, 1989) est centrale et, du côté du clinicien, la
prise en compte de l’ alexithymie des sujets addictifs impose des modalités d’
intervention particulières. J. Mac Dougall (1996) a avancé qu’un des buts du
comportement addictif serait justement de se débarrasser de ses affects, de
sentiments qui font souffrir comme l’ angoisse, la colère, la culpabilité, la
tristesse, mais aussi de sentiments apparemment agréables ou excitants, qui
peuvent néanmoins être vécus inconsciemment comme dangereux, trop
débordants ou défendus. La solution addictive s’impose pour les patients face
à toute expérience émotionnelle de souffrance psychique, mais aussi
d’expérience pouvant entraîner un débordement émotionnel, du côté de
l’euphorie par exemple. La désaffectation désigne non pas une incapacité à
ressentir, mais plutôt une impossibilité radicale à contenir un excès
d’expérience affective. Ainsi, la désaffectation est un système de défense
inconscient par rapport à des vécus traumatiques : les sujets addictifs auraient
précocement fait l’expérience d’émotions intenses, très violentes, qui
menaçaient leur sentiment d’intégrité ou d’ identité, et auraient alors érigé
une sorte de rempart contre les émotions, comme une cuirasse, un blindage,
une carapace, pour se protéger du retour de vécus traumatiques, synonymes
d’ anéantissement. Il s’agit d’ affect étranglé, étouffé, aplati, gelé, détruit et
même forclos.
Comment définir la nature de ces vécus d’ordre traumatique ? Cela peut
être des vécus d’implosion, de morcellement, d’ intrusion, des angoisses
archaïques de liquéfaction, de vidage, des terreurs très primitives qui
concernent l’identité et les limites corporelles. Ce processus de défense
contre le retour d’ angoisses de néantisation irreprésentables, indicibles,
évoque en définitive ce que D.W. Winnicott (1972) désigne comme des
agonies primitives, c’est-à-dire des expériences de mort psychique, d’
anéantissement de la subjectivité, expériences telles que, pour survivre, le
sujet se retire de l’expérience traumatique primaire et se coupe d’une partie
de sa subjectivité pour ne pas l’éprouver. Cette destruction de l’ affect
s’associe donc à un sentiment de perte d’ identité : c’est ce qu’on entend dans
la clinique sous la forme de « je me sens vide ». Ces patients expriment
souvent une sensation de vide immense accompagnée d’un sentiment de mort
intérieure. Si cette expérience traumatique primaire laisse des traces
perceptives, elle n’est toutefois pas représentée ni appropriée : c’est pourquoi
l’ affect reste en deçà de la représentation, à un niveau quantitatif comme une
charge pulsionnelle débordante. La pulsion cherche une décharge sans
représentation, une quantité énorme d’ excitation non liée à des images ou
des représentations, incontrôlable, sinon par l’ addiction. « La pulsion est
devenue force », comme le souligne A. Green.
Ainsi la défense par désaffectation s’avère à double tranchant : le sujet
bénéficie d’un écran protecteur, d’un plâtrage contre une éventuelle
implosion qui serait provoquée par des affects débordants, mais il se coupe
du même coup d’une grande partie de sa réalité interne d’où le danger du
sevrage ; si on enlève la fonction anesthésiante du produit, des angoisses
massives peuvent survenir, qui peuvent mettre en danger le sujet.
Quelle est l’origine de cette éjection de l’ affect ? Il s’agit d’une
défaillance dans l’ accordage affectif primordial. La problématique clinique
de la dépendance s’articule à la dépendance primitive et à la relation
homosexuelle primaire en double, soit au fond de relation première entre la
mère ou son substitut et le bébé, qui reste active toute la vie. Le partage de
plaisir entre l’ enfant et la mère ou son substitut est nécessaire pour que l’
affect de plaisir puisse être éprouvé comme tel, c’est-à-dire qu’il se compose,
qu’il construise des représentants psychiques. Quand cette fonction de
régulateur affectif de l’ objet premier est insuffisante ou désorganisée, l’
affect non réfléchi prend un caractère passionnel et potentiellement menaçant.
Il faut alors le réprimer ou le maîtriser. C’est précisément l’ addiction qui
tente de contrôler le caractère passionnel de l’ affect, elle le maîtrise dans le
déplacement sur l’ objet ou sur le comportement addictif. Autrement dit, cette
forme passionnelle de l’ affect se caractérise par le fait de ne pas être
réfléchie, ni partagée. Les dépendances pathologiques seraient donc liées aux
formes de plaisir sans satisfaction, sans partage.
Pour cette raison, le clinicien est attentif à mobiliser différentes modalités
de partage d’affect avec le patient, afin de permettre à celui-ci d’accéder en
miroir à une composition possible de l’ affect, à la possibilité d’exprimer ses
émotions sans en être submergé.
Ces caractéristiques de la clinique des patients addictifs ont des
conséquences concrètes sur les approches thérapeutiques et la construction
des dispositifs de prise en charge.
6. SITUATION CLINIQUE
6.1. LE CAS FRANÇOIS
Nous avons choisi un entretien avec un adolescent toxicomane, mais il
convient de ne pas oublier que chaque entretien clinique présente des
spécificités propres selon les formes de l’ addiction (alcoolisme, toxicomanie,
troubles alimentaires compulsifs…), l’histoire du sujet et le type de dispositif.
François, âgé de 20 ans, a accepté de s’engager dans une hospitalisation
pour sevrage, suite à un entretien familial initié par ses parents avec un
psychiatre responsable d’un service hospitalier spécialisé dans la prise en
charge des addictions. Après trois jours de sevrage dans ce cadre hospitalier,
François rencontre pour la première fois la psychologue du service. Il lui dit
qu’il préfère qu’elle lui pose des questions ; il parle d’un ton atone, peu
expressif et donne l’impression à la psychologue d’avoir affaire à un
somnambule. Il est d’abord question de la difficulté de la cure de sevrage.
François : C’est très dur… Une très grande solitude psychologique. Le
plus difficile, c’est le psychologique. Le sevrage, c’est comme si on enlevait
à un bébé son biberon ou à un chien sa pâtée et qu’il continue à aboyer… La
nuit dernière, je ne pouvais pas dormir, je l’ai dit à une infirmière, elle n’a
rien fait ! J’aurais voulu un somnifère et elle a refusé !
Il évoque alors ses prises d’héroïne et parfois de cocaïne .
François : J’en avais besoin pour être normal, sinon je ne bougeais pas…
Psy : Comme si vous n’étiez pas complet sans la drogue.
François : Pas complet, c’est ça oui. Il y avait deux cas : j’en prenais pour
être normal, pour pouvoir bouger, sinon c’était insupportable, et si j’en
prenais davantage, je piquais du nez, je n’étais plus dans la pièce… Je ne suis
pas en état d’apesanteur, non, mais je flotte… Je ne pense plus à rien… Avec
l’héroïne, on plane, c’est comme si on était sur un nuage. J’en ai besoin pour
ne plus souffrir, ne plus penser, me sentir fort, faire face aux autres. Au
début, ça fait du bien, et après plus rien, on n’a même pas de plaisir et c’est
pas bien… Quand j’en ai pris, le lendemain je me dégoûte quoi, je suis pas
bien, « tu t’es encore drogué hier soir », après on est en manque, on essaie de
ne plus y penser mais on peut pas s’empêcher… La drogue, c’est comme si
j’avais été malade.
Psy : Malade ?
François : Une faiblesse dans le corps, c’est comme si on avait mal à la
tête, on prend de l’aspirine, là c’est pareil, ça va pas et c’est automatique, on
finit par prendre de la drogue.
Psy : La drogue alors, pour vous, c’est un médicament ?
François : Oui.
Psy : Pour une maladie du corps et pas de la tête ?
François : Si, c’est lié, quand on est faible, on ne peut plus bien penser.
La cocaïne, j’en prends quand y’a un blanc…
Quand François évoque sa famille, composée de trois enfants, il commence
par ces mots : « Je suis l’aîné et l’exemple à ne pas suivre, enfin non, je suis
le deuxième, mais enfin… c’est comme si j’étais le premier… ma sœur avant
moi est morte, on n’en avait jamais parlé, je l’ai su avec le livret de famille
par hasard, elle a dû mourir entre un et deux ans de maladie, ma mère était
enceinte de moi… Je n’en parle pas à ma mère pour ne pas lui rappeler… Ma
mère m’aime beaucoup, normal, je suis le premier ».
Le jeune homme décrit alors une enfance sans problèmes, avec une mère
qui l’a « dorloté » ; François souffrant d’eczéma, celle-ci lui a longtemps fait
des soins pour sa peau. Depuis ses premières prises d’héroïne, il n’a plus
d’eczéma. Sa mère a toujours été très proche de lui, mais quand il a
commencé à être adolescent, il détestait qu’elle le « colle » et lui demande
toujours des « câlins ». Il évoque un très mauvais souvenir, à 7 ans, quand sa
mère est restée trois mois à l’hôpital, il ne sait plus pourquoi ; il était, avec
son frère et sa sœur, placé chez son oncle et sa tante et il pleurait tous les
jours. Il se décrit comme un « enfant modèle » qui était sage, réservé, timide,
qui avait « de bons rapports avec tout le monde » et ne se disputait avec
personne.
Sa mère ne travaille pas, elle a élevé ses enfants et son père dirige une
petite entreprise, il est très pris par son travail et peu souvent à la maison :
« Ça a toujours été avec lui “bonjour, bonsoir”, parfois une petite engueulade
très rapide et je m’en allais… ». François avait alors besoin de la drogue pour
oublier ces « engueulades ». Il a essayé deux fois de partir de chez ses
parents, mais il s’est encore plus drogué… Il a déçu son père qui attendait
beaucoup de lui, surtout au niveau des études. Sans la drogue, il aurait pu,
dit-il, « devenir un autre », il en avait les possibilités. Il a beaucoup manqué
l’école et a finalement abandonné ses études à 17 ans avant de passer le bac.
Il souhaiterait créer une entreprise, comme son père, il a des projets mais il ne
fait rien, il se dit qu’il a le temps, qu’il est jeune, il rêve à ce qu’il veut faire
après, c’est comme si c’était plus important, mais il n’en a plus envie… Son
père ne lui a pas souvent parlé de la drogue et, quand il le faisait, il lui disait
d’arrêter, que ça n’irait plus s’il allait plus loin… Son père a préféré lui
donner de l’argent, « sans rien dire », plutôt que son fils cherche à se procurer
de la drogue par n’importe quel moyen, en volant par exemple…
La psychologue se sent captée par le regard de François, qui ne la quitte
pas des yeux. Elle a l’impression que le patient est si collé à elle qu’elle
n’arrive plus à penser.
François poursuit en disant qu’il a eu une amie, toxicomane elle aussi.
« On était plus ensemble pour pas être seuls chacun dans notre coin… Il y
avait la came qui nous rapprochait. On était plus copains qu’amoureux. On a
eu des relations sexuelles, mais après ça ne devient pas important, c’est plat,
avec la drogue, on ne s’y intéresse plus, c’est secondaire ». Maintenant il n’a
plus que ses copains de drogue, rencontrés dans des bars, « mais ce ne sont
pas des amis ». Il se sent vide : « Un camé n’est plus rien. On n’existe plus.
Ça m’a tué ». Il évoque son espoir d’en finir avec la drogue, mais il sait que
ça va être dur. Sa mère lui a promis de partir une dizaine de jours en vacances
avec lui, après son hospitalisation, pour l’aider à s’en sortir. Son père
s’occupera de son frère et de sa sœur pendant ce temps.
La psychologue éprouve de la difficulté à clore l’entretien car elle se sent
envahie par un flot de paroles qu’elle ne parvient pas à interrompre. Bien que
le patient n’ait pas arrêté de lui parler, elle n’éprouve pas le sentiment
d’exister comme interlocuteur différencié. Quand elle propose à François, à la
fin de l’entretien, un autre rendez-vous deux jours plus tard, au décours de
son hospitalisation, et éventuellement la possibilité d’un suivi individuel
postérieur à l’ hospitalisation (un suivi familial est par ailleurs prévu avec le
psychiatre), François lui répond : « Oui, comme vous voulez », et continue le
fil de son discours.
Après son départ, la psychologue, quoique très intéressée par ce patient, ne
se sent pas vraiment affectée par cette rencontre, elle éprouve un sentiment de
vide, de lassitude et un découragement par rapport au projet de soin.
L e sujet dit « suicidant » est celui qui se réveille suite à son geste
suicidaire. Plus largement, le suicidant est celui qui s’est manifesté par un
acte auto-agressif à visée plus ou moins autolytique. Ma contribution
s’appuie sur ma pratique aux urgences d’un hôpital général à l’ écoute de
sujets au lendemain de leur geste suicidaire. Ce sont essentiellement des
femmes dont la tentative de suicide résulte d’une « ingestion médicamenteuse
volontaire » (IMV). Cette appellation prend la suite, dans la pratique des
urgences, de la « tentative de suicide d’appel », qui elle-même a relayé en son
temps la « TS hystérique ». Ces différentes appellations, et leur évolution,
montrent bien la difficulté de nommer un acte qui reste énigmatique malgré
les essais théoriques pour le circonscrire, et la problématique rencontrée dans
les services d’urgence face à des sujets qui ont mis « volontairement » leurs
jours en danger. Effectivement, l’idée véhiculée par ces appellations dans la
pratique des urgences est celle d’une moindre gravité de la tentative de
suicide. Elles rendent compte des résistances à penser un acte mystérieux, et
constituent un mode de défense face à l’insaisissable « désir de mourir » qui
serait sous-tendu par le geste suicidaire.
L’ingestion médicamenteuse volontaire, qui est le terme actuellement usité,
rend compte de l’acte lui-même et lui donne un caractère volontaire tout en
éludant l’idée de la mort comme étant sa finalité. Ceci résulte en partie sans
doute des études sur la question du suicide et de ses tentatives, qui mettent en
évidence l’aspect définitivement énigmatique de l’acte suicidaire. En fait,
seul le sujet peut en dire quelque chose, et bien souvent il évoque un « désir
de dormir », « d’avoir la paix » associé au sentiment « d’être à bout », « de
n’en plus pouvoir », bien plus qu’il n’énonce un « désir de mourir ». Si ces
énoncés, couramment entendus au réveil des patients suicidants, peuvent
rendre compte d’un certain déni, ou plus justement d’un rétablissement des
mécanismes de défense, leur répétition laisse supposer aussi qu’ils
contiennent une part de vérité.
Avant de développer plus longuement cette question, et de proposer des
voies de réflexion quant à ce qui sous-tendrait un geste suicidaire, il est
important de bien situer le contexte et les enjeux de l’entretien psychologique
avec le sujet suicidant aux urgences d’un hôpital général.
1. LE CADRE HOSPITALIER
1.1. LE PROTOCOLE
La conférence de consensus intitulée La Crise suicidaire : reconnaître et
prendre en charge, qui a eu lieu à Paris en 2000, a proposé la définition
suivante : « La crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur
est le suicide » (Conférence de consensus, 2001). Cette définition aux
sonorités tautologiques est à l’image de l’impasse vécue par le sujet en «
crise » ; sans issue, il tourne en rond, il répète inlassablement. Le suicide,
comme sa tentative, serait une issue à cet état de crise psychique, une issue
assurément risquée. Face à ce risque, « un avis spécialisé ou une
hospitalisation brève est recommandé en principe de référence » ( ibid.) afin
d’évaluer l’état psychique du sujet suicidant qui arrive aux urgences et de
définir une orientation 1. Ainsi, le sujet qui se présente aux urgences suite à
un geste suicidaire est, en règle générale, hospitalisé vingt-quatre heures et
bénéficie, dans ce temps, d’une évaluation de son état physique et psychique.
En fonction d’une première évaluation faite par les somaticiens, le patient
rencontrera un psychiatre ou un psychologue. Si certaines indications
nécessitent clairement une consultation psychiatrique (troubles du
comportement à type d’agitation, troubles psychiatriques graves ou encore
demande d’ hospitalisation sans consentement), nombreux sont les sujets
suicidants qui pourront être pris en charge par un psychologue. Le
psychologue clinicien pourra rencontrer, lors d’un entretien individuel, les
sujets ne présentant pas, a priori, de troubles psychiatriques et dont le geste
suicidaire paraît réactionnel à des événements de vie plus ou moins récents
(deuil, séparation, difficultés familiales ou liées au travail ou encore
problèmes sociaux). Ce bref descriptif de la situation montre essentiellement
la nécessité d’un travail pluridisciplinaire entre urgentiste, psychiatre et
psychologue, en amont et en aval de la rencontre entre le sujet suicidant et le
« psy ».
Dans les textes, la consultation psychologique a pour but un avis sur l’
orientation. Avis demandé par le médecin urgentiste référent du patient, et sur
lequel il s’appuiera pour prendre une décision médicale ; tout patient
hospitalisé est sous la responsabilité du corps médical, et toute décision est de
la responsabilité du médecin référent du patient et de sa prise en charge. Ceci
est important à souligner, car si la clarté des positions de chacun permet de
travailler ensemble, la confusion entre les positions des uns et des autres est
source de difficultés, voire d’impossibilité à ce même travail. Il est donc
essentiel pour le psychologue clinicien qui intervient dans un service
d’urgence d’affirmer et de tenir sa position dans toute sa spécificité. Afin de
mieux en rendre compte, je vais plus particulièrement décrire le service dans
lequel j’interviens et la forme de mes interventions. Si tout service d’urgence
a ses spécificités, chacun est confronté à une même réalité qui rythme en
grande partie les pratiques, celle de l’urgence, du temps éphémère, du
manque de temps qui pousse à agir, à faire plus qu’à penser et à laisser faire.
3. SITUATION CLINIQUE
3.1. LE CAS CÉCILE
Cécile a 45 ans, elle est hospitalisée depuis la veille au soir suite à une
« IMV plus alcool ». L’équipe soignante m’informe de son désir de partir. On
lui a demandé de m’attendre tandis que, pour l’équipe et d’un point de vue
somatique, elle est « sortante ». Elle leur a dit très peu de choses, elle paraît
fuyante et assure que tout va bien. Il s’agit d’une première hospitalisation
pour cette patiente, Cécile n’a pas de dossier médical antérieur. J’apprends
qu’elle est mariée, mère de trois enfants et que sa famille ne semble pas avoir
pris de nouvelles d’elle. Je vais à sa rencontre alors qu’elle est dans le
couloir, effectivement prête à partir. Son attitude évoque la fuite face au
danger qu’il y aurait à rester là, à être vue là par les siens. Ce qu’elle a fait,
son geste, semble avoir le caractère d’une transgression.
D’abord résistante à l’idée d’un entretien avec moi, Cécile l’accepte tout de
même, et se raconte ensuite quasiment sans intervention de ma part. Ses
propos ne sont teintés d’aucun affect, elle se raconte à distance, ce pourrait
être l’histoire d’une autre. Pourtant, à l’évocation de ce qu’elle ressent dans la
relation avec son mari, elle est atteinte par ses propres mots et par l’éprouvé
d’un sentiment qu’elle repère comme appartenant à son histoire. Ce moment
est assez furtif mais essentiel dans le cours de cet entretien et pour la suite de
la prise en charge de Cécile.
Psy (dans le couloir) : Bonjour Madame, je suis psychologue…
Cécile (l’air inquiet) : Je vais bien… je veux rentrer chez moi.
Psy : Vous pourrez partir, là n’est pas l’enjeu, il est simplement important
que vous me parliez de vous, de ce qui s’est passé pour vous…
Cécile (hésitante) : Oui… d’accord.
Nous nous dirigeons vers le bureau des psy et nous nous installons.
Psy : Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé pour vous ?
Cécile : Je ne comprends pas… je veux rentrer chez moi.
Psy : Votre famille vient vous chercher ?
Cécile : Non… je ne veux pas…
( Long silence durant lequel Cécile semble s’absenter, elle est tendue et
paraît soucieuse.)
Psy : Vous vivez avec votre mari et vos enfants ?
Cécile : Oui… ça fait un an qu’on a déménagé… Mon second fils a eu du
mal à s’adapter, une phobie scolaire, je m’en suis beaucoup occupée à la
maison, il a suivi sa scolarité par correspondance… Il va mieux, il est
retourné au lycée… Je ne connais personne dans la région…
Psy : Vous travaillez ?
Cécile : On vivait dans le Nord, mon mari a été muté… J’étais
institutrice… J’ai démissionné il y a trois ans…
( Silence).
Psy : Démissionné…
Cécile : En fait c’est là que ça a commencé… J’ai fait des crises de
panique, je me sentais plus à la hauteur… J’ai demandé ma démission de
l’Éducation nationale… J’étais directrice dans une école maternelle, dans un
petit village… Je connaissais tout le monde, j’étais très occupée… Tout allait
bien…
Psy : Des crises de panique ?
Cécile : …Quand j’ai découvert que mon mari me trompait, il a laissé
traîner un papier, une facture je crois… Je l’ai trouvée dans la voiture…
Après, j’ai demandé ma démission… Je ne me sentais plus à ma place… Puis
mon mari a été muté une première fois, il ne revenait que le week-end… À
cette époque, je me suis occupée de ma belle-sœur qui avait un cancer… Elle
est décédée…
Psy : Tout cela a dû être difficile et douloureux…
Cécile : Oui… Et maintenant, on est tous ici… Pour l’aîné ça a été
difficile mais moins que pour le second… Ma fille, elle s’est bien adaptée…
Elle est plus jeune… Avec mon mari, c’est difficile, notre relation n’est pas
satisfaisante… Je ne me sens pas reconnue pour ce que je fais… J’ai
l’impression qu’il me juge… Je me sens seule… Je ne comprends pas ce qui
s’est passé… Hier, je n’allais pas plus mal que les autres jours… C’est vrai
qu’on s’est disputé avec mon mari… Il disait que la porte n’était pas réparée,
je l’ai pris comme un reproche… En fait, je me sens insignifiante face à lui…
C’est insupportable… Ça me met hors de moi…
Psy : C’est un sentiment que vous avez déjà éprouvé ?
Cécile (surprise) : …Oui, déjà avant…
Psy : Avant…
(S ilence durant lequel Cécile est plus présente, elle lève le regard.)
Cécile : Le plus insupportable, c’est ce sentiment de n’être rien… Hier
soir, ils sont sortis, ils allaient à une soirée… J’ai préféré ne pas y aller… Je
suis restée à la maison… Ça allait… Je ne sais pas ce qui s’est passé, ça a été
comme un flash…
Psy : Un flash…
Cécile : Je lisais allongée dans une chaise longue dehors… J’étais bien…
Enfin je crois… Je me suis levée, j’ai pris une bouteille de champagne et tous
les cachets… Je n’ai pas l’habitude de boire… J’ai pris les cachets que j’avais
avant pour mes crises de panique… Je ne comprends pas… (Cécile me
regarde presque fixement.) Je crois qu’ils sont rentrés plus tôt que prévu…
Psy : Votre mari a appelé les pompiers ?
Cécile : Je crois… il y avait mes enfants aussi… Je ne me rappelle pas…
Je veux rentrer… Je ne veux pas qu’ils me voient ici… Je voudrais voir mes
enfants…
Psy : Seriez-vous d’accord pour revenir dans quelques jours ? Il est
important qu’on essaie de comprendre ce que vous appelez un flash… ce qui
s’est passé pour vous…
Cécile : Oui… dites-moi quand.
Nous fixons un rendez-vous trois jours après. Cécile y viendra et nous
continuerons nos entretiens quelque temps encore.
« La réanimation est un théâtre où l’on remonte parfois sur les planches pour
une pirouette ou pour un deuxième acte après avoir joué presque
complètement sa mort “pour de vrai”. On y ressuscite parfois comme au
théâtre. On peut se trouver à jouer selon les circonstances le rôle de
ressuscitateur ou de ressuscité.
La réanimation est un lieu de guerre qui suscite dans l’âme de tous les
participants, qu’ils soient soignants ou soignés, une menace de rupture de
notre système défensif devant la mort – fondée sur sa négation pratique. »
J. Gazengel, 2014
1. LA DEMANDE
« C’est dommage que tu n’aies pas pu être là hier, parce que nous aurions eu
bien besoin de toi ! Aujourd’hui c’est plutôt calme. »
Ces propos très honnêtes tenus par une infirmière de réanimation montrent
combien la vie psychique et affective peut être envahissante pour les
professionnels en réanimation.
Face à la grande fragilité des patients et l’omniprésence de la mort, les
soignants doivent entretenir un système de défenses solide permettant à la
fois d’effectuer des actes de soins précis et rapides et en même temps se
protéger d’un envahissement affectif qui viendrait perturber leur capacité à
effectuer ces actes.
Les services de réanimation sont conçus pour subvenir aux besoins vitaux
des patients en danger de mort. Face à l’obligation de moyens, le corps
médical met tout en œuvre pour permettre aux patients de dépasser la crise
somatique aiguë. Ce qui soulève des questions d’ordre éthique qui ont trait à
la notion de limite thérapeutique nécessitant une distinction entre le
traitement – référé à une démarche active au travers d’une thérapeutique à
visée curative ou à une technique de suppléance d’une défaillance d’organe –
et les soins de base, « de confort », « de support » qui associent les soins
d’hygiène, la prise en charge de la douleur et de la souffrance.
En pratique, les deux types de prise en charge coexistent en permanence et
s’il est possible d’interrompre certains traitements, les soins devront toujours
être poursuivis.
Les patients de ces services sont placés sous haute surveillance, reliés à des
machines elles-mêmes relayant les constantes ou états corporels aux
soignants par des moniteurs sonnants et oscillants. Les informations
concernant les patients sont doublées voire redoublées et, comme si cela ne
suffisait pas, les soignants entretiennent une très grande proximité avec les
patients tout au long de leur hospitalisation. La surveillance est ici du côté de
l’entretien du souffle de vie dans un enchevêtrement de techniques médicales
et de relations au réel du corps.
C’est également là que se dessine la place du psychologue, représentant de
la vie psychique.
Le psychologue occupe une place qui reflète la fragilité des patients. Il est
à la fois attendu par les soignants comme celui qui va pouvoir apporter un
soulagement lors de situations familiales ou individuelles complexes mais il
est également redouté car sa parole ouvre sur la difficile rencontre de sujets
qui mobilise chacun vers des mouvements introspectifs potentiellement
déstabilisants. Le psychologue représente le risque d’une parole affectée, une
parole qui dérange, qui déséquilibre… mais aussi qui potentiellement peut
faire cheminer (C. Doucet, 2008 ; M. Grosclaude, 2002). Au long terme, il
peut être totalement intégré à l’équipe soignante. Il est un « aidant », un
« soignant » parmi les autres, et fait partie de l’équipe pluridisciplinaire qui
gravite autour du patient. Son action complète, avec ses outils, l’action des
soignants.
Cette pluriprofessionnalité n’est pas donnée d’emblée, elle se construit.
Elle nécessite un travail d’apprivoisement, de reconnaissance du travail et de
la spécificité de l’autre.
Cette construction s’effectue autour du patient dans une rencontre de sujets
là où toute subjectivité semble abolie. Le psychologue doit « être là et aller
vers… », là où se trouvent le patient et ceux qui s’occupent de lui. Cette
notion souligne la place de l’objet (psychologue), et la nécessité de sa
malléabilité au moment de l’éveil ainsi que sa fonction de témoin parlant au
long de l’hospitalisation du malade.
Sur le plan des processus psychiques, l’inquiétante étrangeté vécue par les
patients au moment de l’éveil relève du télescopage entre percepts actuels et
traces mnésiques éparses et réactualisées par le vécu du coma (R. Minjard,
2014). Les patients se trouvent pris dans un espace de césure qui demande un
passage par l’autre pour qu’une mise en récit ait lieu et soit appropriable par
le moi renaissant à la conscience (R. Minjard, 2014). L’autre, représenté alors
par l’entourage proche (soignants, parents, psychologue), reprend vie pour le
patient au travers des mouvements d’actualisation et d’échanges autour du
vécu du patient. Cette traversée représente un enjeu majeur de la question de
la vie psychique et de son accompagnement lors du coma et de l’éveil et
demande souvent un accompagnement au-delà du somatique.
L’entourage médical, paramédical et familial du patient forme par cette
prise en charge globale une enveloppe physique et psychique se rapprochant
des besoins physiologiques primaires des patients. Cet ensemble vivant
hétéromorphe et variable représente, par les échanges avec le corps du
patient, un appareil psychique externe qui lui servira d’espace de projection et
d’élaboration de son vécu. Ainsi, comme les constantes relayées par les
moniteurs, les différentes variations du corps sont doublées par les
interprétations de l’entourage, véritable peau psychique du comateux.
3. ERRER ET ÊTRE LÀ
L’unité de lieu devient un espace variable. Il est encore rare que les
psychologues disposent de bureaux attitrés dans les services de réanimation.
Ne pas avoir de lieu fixe renvoie à une position d’« errance ». Celle-ci, tout
d’abord malaisée à tenir, rend d’autant plus disponible et malléable. Cette
« adaptation maximale » renvoie inévitablement par retournement, en négatif,
au fonctionnement opératoire du service. Le psychologue est investi d’une
part immatérielle, non opératoire, le rendant porteur du lien entre les
différents éléments du service. Cette règle fait écho à l’hyper-investissement
médical qui dénie toute pudeur : la rencontre du corps nu ne doit pas être
pensée du côté de l’affect, mais du côté de la survie, le désir est ainsi expulsé
et remplacé par l’excitation à redonner la vie. La position d’errance est à
entendre du côté d’une disponibilité et d’une ouverture rendant le
psychologue « saisissable » par l’autre. L’errance s’associe ainsi à l’être-là,
un être là en creux, un féminin archaïque enveloppant.
Errer en réanimation demande au psychologue de s’autoriser une place
interdite, non opérante mais signifiante, symbolisante. Il doit se laisser
pénétrer et transformer par le champ des autres, les lieux, les objets. Il peut se
donner le temps et l’espace pour comprendre et penser au plus près du rythme
psychique du sujet. Il se fait également réceptacle du négatif, du non-pensé,
de l’intraduisible. L’écoute clinique en réanimation se situe au carrefour de
l’acte et de la pensée, de l’agir et de la vie psychique, au point d’émergence
de l’affect.
La notion d’errance renvoie à une représentation non liée à un quantum
d’affect. Le service n’a de cesse de fonctionner qu’afin que les affects
n’émergent pas et ne puissent pas s’associer à des représentations. Le
psychologue représente le spectre des affects (R. Minjard, 2014), il flotte
dans le service en attente de s’accrocher/être accroché, d’être trouvé/créé par
le patient en éveil. Ce qui inquiète les soignants est que le psychologue porte
ce rôle de matière liante, il accompagne l’émergence des affects et permet un
travail de liaison avec des représentations. Ce travail demande la plus grande
prudence tant, dans ces services, les défenses contre les éléments mortifères
sont mobilisées, ce qui nous laisse parfois entendre des paroles de soignants
tels que :
« Je préfère quand ils dorment, au moins ils ne râlent pas quand on les soigne.
»
Ce ne sont pas seulement les défenses des soignants qui rendent la liaison
entre affect et représentation difficile. Les rencontres sont d’autant plus
intenses que les durées de séjour sont courtes et l’état des patients grave. Les
soignants préfèrent donc se tenir à distance d’un investissement affectif trop
fort. De plus, le fonctionnement du service, par mesure de protection en
aseptisant 2 les chambres, en ôtant toute trace du passage des patients, efface
sa propre mémoire. Ce mouvement est à l’image de l’amnésie antérograde
vécue par de nombreux patients en sortant du service.
Cet effacement passe aussi par le non-penser, une nouvelle entrée entraîne
du côté de la vie et fait pare excitation face aux affects mobilisés par le départ
du patient précédent. Le négatif est au travail, le « faire » remplace le travail
de symbolisation qui, comme le présente J.-P. Pinel (1996), entraîne des
mouvements de déliaisons pathologiques. Le travail avec les équipes
soignantes de réanimation montre que les affects peuvent émerger s’ils sont
contenus par des paroles liantes, des « mots corps » qui vont, par touches
successives, mobiliser les ressentis des soignants, éveiller leur pensée,
comme lors de l’éveil de coma où le patient s’éveille dans un monde qu’il
connaît mais sans savoir où il est.
Pour le patient, l’éveil est lent et nécessite de nombreux et longs temps de
sommeil. Le travail auprès de l’équipe soignante est du même ordre. Ce
travail dans l’errance – errance dans les couloirs, échange de mots de-ci de-là,
lors d’une pause, à la porte d’une chambre, avec l’infirmière et le patient, un
médecin… – permet de construire des ponts avec ce spectre qui reprend corps
doucement.
La présence du psychologue lors des réunions d’équipe permet d’ouvrir
des réflexions sur l’environnement familial, l’état de santé mentale du patient,
son anamnèse. Les patients qui arrivent en réanimation sont pris en charge
pour des aspects très spécifiques de leur état de santé, la question de
l’anamnèse n’est que rarement posée, les patients n’ont pour ainsi dire pas
d’histoire hormis celle traumatique qui les entraîne en réanimation.
Recevoir le vécu des soignants ne veut pas uniquement dire les écouter, il
faut aussi savoir entendre les actes comme éléments de paroles, comme
éléments facilitateurs de parole. Ainsi, il n’est pas rare qu’un soignant parle
de certaines situations difficiles tout en préparant les perfusions, qu’il « parle
en faisant », comme pour se retrouver dans un contexte suffisamment proche
de celui qu’il a vécu pour que ses actes fassent mémoire et qu’il puisse se
remémorer la scène. Entendre les soignants, c’est être mis en position de
porte-affect, de répondant de l’affect. La difficulté est alors de supporter,
transformer et proposer une réflexion permettant de dégager ensemble des
outils, des moyens pour faire face aux angoisses des soignants et aux vécus
des patients.
Être là au cœur du chaos et de l’intrication pulsionnelle comme
représentant de l’affect, c’est ainsi que se définit la fonction du psychologue
en réanimation (R. Minjard, 2015).
L’être là du psychologue en réanimation se décline à la fois sur le plan
institutionnel dans une dimension d’immersion au sein de l’équipe soignante
et dans l’espace de la rencontre singulière de sujets au fondement de ce qui
détermine l’être humain. Le psychologue est funambule, témoin vivant du
vécu des patients, ni soignant opérant, ni observateur passif. Cette position le
dispose à un rôle d’accompagnant à la relance des processus de
symbolisation, un travail à la fois d’archéologue et d’architecte, entendant le
délire des profondeurs, accueillant le vécu actuel et s’affectant du malade pris
dans une histoire qui le dépasse. Il effectue un travail d’interface patient,
soignant, famille quel que soit le devenir du malade. Le psychologue doit
dans cette interface faire preuve d’imagination, de créativité pour « inscrire »,
laisser une trace du et pour le patient. Être là suppose également que le
psychologue accepte cette rencontre qui dénude, qui emmène au plus proche
du réel dans lequel se trouve le patient, là où les mots manquent mais où la
vie psychique bat « en corps ».
4. PERCEVOIR OU LA FONCTION DE TÉMOIN
La réanimation confronte la sensorialité à des extrêmes. Les sons, les
odeurs, la vision sont en tension permanente. L’écoute clinique médicale et
soignante est exercée de manière à percevoir les signes cliniques les plus
infimes traduisant le fonctionnement du corps du patient. Pour le
psychologue, le regard et l’écoute sont toujours articulés à une position de
chercheur/créateur. L’éveil se fait dans la sensorialité et l’inquiétante
étrangeté. Les difficultés traversées par les patients poussent le psychologue à
trouver/créer de nouveaux dispositifs de rencontre : écrire sur une ardoise,
cligner des yeux, serrer la main, bouger un doigt, entretenir un journal de
bord, passer de la musique… Tous les moyens sont bons pour que le contact
puisse advenir. Le psychologue doit également partager avec les équipes le
fruit de son travail. Pour cela il lui faut trouver des moyens de
communication : participer aux relèves, écrire dans les cahiers de
transmission, mettre en place un cahier de liaison psy…
L’écoute en réanimation est orientée d’emblée vers le corps, le réel
effractant/effracté du corps souffrant. Pour être opérante, l’écoute demande
un travail de décollage, de désaliénation d’un corps qui envahit tout l’espace.
Le psychologue doit pouvoir traverser la question corporelle pour se rendre
sur les lieux du sujet, il doit travailler à entendre la reviviscence de la
sensorialité qui parle du sujet, de son histoire. Le paradoxe en réanimation est
qu’en étant omniprésent le corps empêche de voir et d’entendre le corps
sensible, affecté.
Cette écoute affectée va se transmettre et solliciter les proches à évoquer
des moments de vie relatifs à la relance de l’activité de perception. Une mère
embrassant son enfant réanimé disait qu’elle comprenait que les poils de
celui-ci se hérissent lorsqu’elle l’embrasse car il n’avait jamais aimé qu’elle
le fasse. Elle disait cela auprès de son fils, à son chevet. Cette parole, toute
interprétative qu’elle soit, donne à ce corps une dimension supplémentaire à
celle d’un amas de cellules organiques prise par un réflexe sensitivomoteur.
7. SITUATION CLINIQUE
Le médecin réanimateur me présente avec une certaine froideur, presque
une sorte d’inimitié, la situation d’un homme d’une quarantaine d’années qui,
dit-il, s’est « cru tout-puissant » et a voulu arrêter une voiture avec le bras.
Saisi par la représentation que je me fais de la scène, je décide d’aller
rencontrer le patient.
J’apprends dans les couloirs par les échanges avec d’autres soignants que
ce monsieur s’est fait renverser sur la voie publique en traversant sur un
passage piétons. Il aurait traversé sans prendre grande attention à la
circulation. Le choc aurait été violent et le patient se serait fait rouler dessus
par les deux roues de la voiture. Tout en comprenant les propos du
réanimateur quant à l’imprudence du patient et le travail que cela engendre
pour les soignants, je ne peux m’empêcher de ressentir un certain effroi en
visualisant la scène. Pourtant au fil des échanges avec les soignants je
comprends que le patient va s’en tirer avec quelques côtes cassées, un léger
traumatisme crânien et plusieurs contusions. Un bilan assez faible au vu de
l’accident.
Je ne rencontrerais donc monsieur K qu’après ces multiples échanges. Lors
de mon premier passage il est endormi artificiellement, intubé et ventilé. Je
suis impressionné par son physique, grand, fort et dégageant une certaine
puissance. Je vais me présenter et rester quelques minutes auprès de lui, en
lui parlant doucement de ce qui se passe autour de lui comme je le fais
habituellement pour les patients que je rencontre.
Le lendemain il est éveillé, extubé. Je me représente à lui. C’est tout
d’abord son regard qui m’interpelle, un regard sombre, mais une intention
que je sens mêlée de colère et de grande tristesse. Notre première rencontre
est courte car il s’endort rapidement. Il ne dit que quelques mots comme son
nom et « accélère » ou encore « odeur ». Il me tient la main durant tout le
temps de ma présence serrant parfois fort. Le lendemain il est éveillé et peut
un peu plus parler malgré un souffle très court dû à plusieurs côtes brisées. Il
raconte son accident : il traversait et la voiture accélérait. Ce sont les seuls
éléments de l’histoire qu’il peut rapporter dans les premières rencontres. Au
fil des rencontres des mots vont émerger, nous incitant à mettre bout à bout
des bribes : accélère, odeur, ciel, crie, tape… De mon côté je m’essaie avec
lui à mettre du liant en associant les mots à ce que je vois de son corps et aux
récits des médecins.
J’apprends que cet homme d’une cinquantaine d’années, originaire du
Kosovo, s’est fait renverser alors qu’il se rendait à son travail de vigile de
boîte de nuit. En France depuis une douzaine d’années, il est fier de dire qu’il
a appris à parler français au fil des rencontres et des emplois qu’il a pu
trouver. De son accident, monsieur K ne se souvient que de peu de choses, il
évoque la perception de l’odeur de sa peau en train de brûler sous le pot
d’échappement de la voiture associée au son d’un moteur qui accélère et
d’une roue qui patine sur lui. En évoquant ces images il gesticule de manière
impulsive. Cette perception va rester pendant de nombreuses rencontres.
Rapidement je vais me sentir accroché par ce patient. Accroché comme le
morceau de ciel bleu auquel il s’est accroché pour ne pas perdre connaissance
sous cette voiture et dans cette sombre histoire. Je vais sentir son besoin de
dire pour comprendre, même si l’histoire au début paraît peu cohérente. Ce
morceau de ciel bleu était celui sur lequel il fixait toute son attention lorsqu’il
était coincé sous la voiture. Il lui semble être resté plus de 30 minutes dans
cette position à sentir sa peau brûler et le moteur accélérer. Ce coin de ciel
bleu devient au fil de nos courts échanges le visage de sa fille pour laquelle il
travaille jour et nuit afin de financer ses études et un bon train de vie.
Après quelques jours, son état de santé s’améliorant, monsieur K doit être
transféré dans un autre service. Il me demande de l’aide pour faire cesser les
images traumatiques qui l’assaillent. Il refuse ma proposition de le confier à
un collègue de l’hôpital prétextant qu’il ne veut pas recommencer son histoire
avec quelqu’un d’autre. Nous réfléchissons ensemble et avec le chef de
service et nous créons un dispositif qui lui permet de venir me rencontrer
dans un bureau en réanimation une fois par semaine dès sa sortie
d’hospitalisation.
Les séances suivantes me font rencontrer un homme très soucieux de son
unique fille et de son ex-femme. Un homme généreux au narcissisme fragile
ne supportant pas les imprévus. Un homme sensible et ancré dans la
sensorialité. Sensorialité qui lui a permis d’exercer les arts martiaux de
nombreuses années. Il finit par dire que ce jour-là il n’avait pas entendu la
voiture venir…
Lors d’un rendez-vous post-hospitalisation et tout en évoquant les images
récurrentes et les perceptions envahissantes qui reviennent en rêves
régulièrement, il fait une confusion entre cet accident et un autre survenu
quelques années auparavant. C’est en l’interrogeant sur cette confusion
qu’émerge un précédent accident qui a failli lui coûter la vie.
À l’époque, il est en France depuis une année et travaille déjà comme
vigile. Au petit matin, un collègue lui propose de le ramener. Monsieur K.
s’endort dans la voiture conduite par son collègue. Cette voiture, quelques
kilomètres plus loin, va s’encastrer sous un camion. Monsieur K effectue un
mois de coma et s’en sort avec de nombreuses fractures ainsi qu’une
commotion cérébrale. Sa bonne santé physique, son énergie vitale, une
rééducation intensive et un soutien psychologique lui permettent à l’époque
de rapidement se rétablir.
Nous allons passer un grand nombre de séances à différencier ces deux
accidents, à les réinscrire dans une temporalité, à reconstruire un discours qui
fera sens pour lui. Le plus difficile a été de remettre en mouvement le
traumatisme traduit par le bruit de la voiture qui accélère et l’odeur de la peau
brûlée qui ne le quittent pas, qui l’empêchent de dormir, le font sursauter
dans la rue, et l’obligent à se terrer chez lui, lui qui était un homme habitué au
public.
Au fil de ces séances, il retrouve un peu le sommeil et conserve comme
seule trace de son vécu une hypersensibilité au bruit.
8. COMPRÉHENSION ET ANALYSE
La rencontre de Monsieur K s’est faite au fil de l’éveil, au fil de ses
capacités à se réapproprier une sensorialité, une parole. Pour accompagner
monsieur K, il a fallu « être là », au plus proche de son rythme. Il a fallu
également entendre le discours des soignants, leurs résistances compte tenu
de « son geste », ce bras tendu de défi devant la voiture devenu bras tendu
pour se protéger et main tendue pour demander de l’aide. Le dispositif a donc
varié selon son état de santé, en s’accordant aux mouvements de son corps et
au rythme des soins. Il a également été amené à changer de lieu : de la
chambre du patient nous sommes passés à la salle d’entretien de la
réanimation. Ces variations autour du cadre ont été l’occasion pour monsieur
K de revivre les entrées et sorties de la réanimation, interrogeant par là le
processus thérapeutique en cours (A. Abella, 2015).
La pulsionnalité et l’impulsivité de Monsieur K lui ont très certainement
joué un tour, le faisant oublier, l’espace d’un instant, les autres et le monde
qui l’entoure. Cet instant a été tragique pour lui : heurté par cette voiture il ne
gardera comme souvenir que l’expérience perceptive et sensorielle de cette
peau brûlée et le son de cette accélération de moteur. Ses perceptions vont
évoluer au fil de séances, montrant la manière dont il va se réapproprier son
corps en l’inscrivant dans une histoire. Les mots étaient rares au début, puis
son discours s’est enrichi, mais des points d’ancrages, des télescopages
(R. Minjard, 2014) sont restés, bien précis.
Notre rencontre lui a permis d’abord de ne pas rester seul avec cet
événement ainsi qu’avec ce service et son fonctionnement. Ces rencontres,
aussi brèves fussent-elles, lui ont permis de donner du sens, et de comprendre
ce qui dans cet instant s’est joué pour lui.
Ce patient a fait l’objet d’une présentation en équipe dans laquelle le rôle
du psychologue a été de désengager le jugement moral pour faire réémerger
l’homme, le sujet dans sa complexité. C’est alors qu’il m’a fallu prendre soin
des soignants autant que du patient (A. Mimouni, R. Scelles, 2013). Les
peaux fragiles des soignants demandent à être pare-excitées, contenues dans
leurs inquiétudes.
L’émergence du premier accident a été déjà un premier pas vers le
désemboîtement du traumatisme. Le premier accident qu’il n’a pas pu voir
venir puisqu’il dormait fait écho à cette position de passivité insupportable
pour lui dans laquelle il se trouve au moment de son réveil – les mains
attachées à son lit – comme lorsqu’il était coincé sous cette voiture. Cette
passivité vient directement en écho avec son impulsivité. Cette impulsivité se
représente de nombreuses fois au cours des séances dans lesquelles il doit se
lever et mimer par des gestes les combats qu’il a pu faire, montrer les
cicatrices sur son corps, les décalages entre un os de l’épaule et l’autre,
remettre en scène, répéter le moment du choc lors de ce dernier accident.
Mon travail a été de contenir, de mettre des mots sur ce corps qui se dénudait
devant moi, de chercher avec le patient à différencier les cicatrices à la
manière d’une mère qui écoute son enfant raconter l’histoire de la blessure
contenue dans une cicatrice au genou.
Son corps est devenu une carte sur laquelle s’est inscrite la trajectoire de
son histoire de vie de jeune homme jardinant dans la maison familiale à ce
respectable homme connu de tous et toutes du milieu de la nuit. Lors de nos
rencontres, Monsieur K effectue un travail de mémoire (R. Minjard, 2014).
Ce travail est tout à fait empreint de ses mouvements corporels. Il ne me
ménage pas. Son impulsivité va jusqu’à m’effrayer, même si elle ne se dirige
jamais contre moi.
Cet accident le porte à une réflexion concernant son âge et son rapport aux
femmes. Il évite ces dernières avec des sentiments de honte et de colère plus
présents depuis le deuxième accident. Il se sent étouffer lorsqu’elles se
rapprochent de lui et il en perd son érection.
Le bruit de l’accélération, qui ne le lâche pas, nous permet d’associer
également avec une vie « sans arrêt » associée à son travail « jour et nuit ».
Monsieur K avait déjà eu l’idée d’une reconversion mais s’était trouvé face à
la crainte de ne pas savoir quoi faire. Son niveau de français n’étant pas
suffisant, il ne pouvait se reconvertir ailleurs que dans un travail manuel.
C’est du moins ce qu’il pensait. Il se trouve, quelque temps avant l’accident,
perturbé par ces réflexions. Très soucieux de donner à sa fille toutes ses
chances, il enchaîne les missions sans compter sa peine.
Pour garder la métaphore, sa peau était usée, malmenée depuis de
nombreuses années. Monsieur K le savait, le sentait, mais ne pouvait
s’autoriser à effectuer un quelconque changement. La traversée de cette
épreuve a servi d’injonction pour qu’il arrête son travail. Il associe cette
percée de ciel bleu à la fois à sa fille mais aussi, dans notre rencontre, à cet
espace de parole pour lui, espace dans lequel se croisent ses pensées et une
sensorialité souvent complexe, parfois décalée.
CONCLUSION
L ’entretien clinique a été abordé, au fil de ces pages, sous toutes ses
formes et à travers un nombre important de situations distinctes. Chaque
chapitre s’est efforcé de souligner une ou plusieurs caractéristiques
relevant à la fois de la démarche clinique elle-même et de la rencontre en
face à face avec un sujet ou un groupe familial, en prenant comme outil
principal la parole.
Nous avons vu combien il était important de différencier les types
d’entretien clinique en fonction des âges de la vie. La personne du bébé est à
prendre en compte de manière directe dans l’entretien avec la mère ou les
deux parents. Les modes de communication primaire interfèrent à ce niveau
avec les données classiques du dialogue et viennent vectoriser de manière
singulière les échanges avec le clinicien. Avec l’ enfant qui a acquis le
langage, nous avons vu que la rencontre était possible à condition de se
mettre sensoriellement et cognitivement en phase avec lui. Ce dernier devient
capable de s’exprimer durant l’entretien par le truchement de médiations
telles que le dessin et le jeu. Nous nous sommes centrés essentiellement sur
les conditions de l’entretien qui favorisent l’ autonomisation de l’ enfant. Il
est évident que de plus amples développements sont nécessaires pour
déployer toute la richesse et la complexité du travail thérapeutique avec l’
enfant. Entre la sortie de l’infans et la fin de la période de latence, nombre de
situations différentes demandent à être analysées pour mettre en évidence la
créativité et la maturation propres à chacun des stades de l’évolution
psychique. L’entretien avec l’ adolescent a été abordé et analysé sur quelques
situations concrètes qui pourront être complétées par la lecture des recherches
spécifiques consacrées au parcours adolescent. Enfin, nous avons tenu à
réserver un chapitre à la question de l’entretien avec le sujet âgé, car la
demande clinique tend à s’accroître dans les établissements spécialisés et l’on
découvre aujourd’hui, de plus en plus, combien le soin psychique est
indispensable pour cette population, aussi bien dans les résidences
spécialisées que dans les unités hospitalières.
Il était aussi important à nos yeux de consacrer quelques réflexions à l’
adaptation de l’entretien aux différents styles institutionnels. En effet, ce n’est
pas la même chose d’écouter un sujet souffrant dans le cadre de l’hôpital
général ou de l’hôpital psychiatrique, à l’intérieur d’une prison, d’un centre
de consultation spécialisé au niveau des addictions ou d’un service
d’urgences. On n’insistera jamais assez sur la nécessité de prendre en compte
ces différences de spécialisation. Le psychologue clinicien travaille avec des
équipes soignantes dont les exigences propres sont très marquées et il est
amené, non pas à se métamorphoser, mais à avoir une écoute clinique de ces
différences et à les intégrer de manière créative et dynamique dans la pratique
qui est la sienne. D’où l’importance du concept de cadre interne que nous
avons développé au cours de la première partie. Ainsi, le psychologue
clinicien trouve en lui les moyens de s’intégrer au sein de chaque lieu
institutionnel, sans y perdre ni ses principes théoriques ni ses compétences
praticiennes. Dans un lieu comme la prison ou dans des lieux qui ne sont pas
consacrés spécialement au soin, mais où sa place est rendue importante à
cause des difficultés inhérentes aux conditions de travail, le psychologue
clinicien a, avec l’entretien, l’outil le plus adéquat pour répondre aux
demandes qui lui sont faites par les lieux professionnels où il est inséré.
L’entretien clinique, par sa souplesse et son cadre même, peut prendre une
place centrale au sein d’une pratique clinicienne justement décentrée par
rapport à ses fonctionnements traditionnels.
Étudier et analyser des situations concrètes a mis en évidence la singularité
et la complexité de chaque cas. Même si parfois la thématique est semblable,
on découvre que la signification d’éléments similaires est radicalement
différente selon le contexte familial ou selon la problématique personnelle.
Ainsi, certains des cas présentés dans l’ouvrage ont montré la diversité de
l’implication adolescente dans les conduites toxicomanes. La sensibilité
clinique se forme à l’ écoute spécifique des différences, par-delà les données
basiques communes du fonctionnement psychique. Comme le souligne Freud
à propos du rêve, il existe une symbolique repérable, mais chacun la module
en fonction des circonstances extérieures et de sa propre histoire. Aussi ne
peut-il pas y avoir d’ interprétation unique, mais forcément des lectures
multiples et polysémiques selon l’ unicité de chaque situation individuelle. La
réalité psychique est si complexe et si dense qu’elle nécessite des approches
diversifiées et multifocales au sein desquelles cependant l’entretien occupe
toujours une place privilégiée.
Pour étendu qu’il soit et malgré l’ampleur des situations traitées, cet
ouvrage ne saurait prétendre à l’exhaustivité. De nombreuses situations, dans
lesquelles le clinicien déploie son activité professionnelle, restent encore à
explorer. Elles feront l’ objet de recherches ultérieures mettant en lumière
toute la fécondité de la méthode d’entretien que la créativité et la souplesse d’
adaptation de la démarche clinique d’inspiration psychanalytique permet.
BIBLIOGRAPHIE
A
Abréaction 1, 2
Abstinence 1, 2, 3, 4, 5
Accordage affectif 1, 2
Accordage intersubjectif 1
Accueil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Acte manqué 1
Adaptation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Addiction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Adolescent 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73
Affect 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68
Agir 1, 2, 3, 4, 5
Agonie 1, 2, 3, 4, 5
Agrippement 1
Alexithymie 1, 2, 3, 4
Alliance thérapeutique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Ambivalence 1, 2
Ancrage 1, 2, 3
Anéantissement 1, 2, 3, 4, 5
Angoisse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48
Angoisse archaïque 1, 2, 3, 4, 5
Appareil psychique familial 1
Appel au Surmoi 1
Appropriation subjective 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Après-coup 1, 2, 3, 4, 5
Asymétrie 1, 2, 3, 4
Attachement 1, 2, 3, 4
Attention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Attitude 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
Authenticité 1, 2, 3
Autonomie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Autonomisation 1, 2, 3, 4
Avant l’après-coup 1, 2, 3
B
Besoin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
Besoin du Moi 1
Bienveillance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Bisexualité psychique 1
Bonne distance 1
C
Ça 1, 2
Cadre externe 1, 2, 3, 4, 5, 6
Cadre groupal familial 1, 2, 3
Cadre interne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Capacité d’autonomie 1, 2, 3, 4, 5
Castration 1, 2, 3, 4
Choix d’objet 1, 2
Climat 1, 2, 3
Clivage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Clivage de l’objet 1, 2, 3
Clivage du moi 1, 2, 3
Co-présence 1
Communauté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Comportement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25
Compréhension 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20
Conduites ordaliques 1, 2, 3
Confiance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Confidentialité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Conflit 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Conflit de loyauté 1
Contenance 1, 2, 3, 4
Contexte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Contrat clinique 1
Contre-transfert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24
Contre-volonté 1, 2
Conviction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Corporéité 1, 2, 3
Corps 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70
Crainte de l’effondrement 1, 2, 3, 4
Créativité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Crise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22
Culpabilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
D
Décharge 1, 2, 3, 4, 5
Décollement 1
Défaillance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Défenses 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Déficience 1, 2, 3
Déliaison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Délire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23
Demande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99
Démence 1, 2, 3, 4, 5, 6
Dénégation 1, 2, 3
Déni 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Dépendance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41
Déplacement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Dépression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Dépressivité 1, 2, 3
Désaffectation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Désaide 1
Désir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50
Dessin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44
Destructivité 1, 2, 3
Détention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Deuil 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27
Dévoilement 1, 2, 3, 4, 5, 6
Diagnostic 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Différenciation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Discontinuité 1
Disponibilité 1, 2, 3, 4, 5
Dispositif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Distance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Double écoute 1, 2, 3, 4, 5
Drogue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27
Dyade 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Dynamique psychique 1
E
Écoute 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41
Effondrement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Effroi 1, 2, 3, 4, 5
Élaboration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Élocution 1, 2
Empathie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Empathie métaphorisante 1
Emprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Énaction 1
Enfant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153,
154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167,
168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181,
182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195,
196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209,
210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219
Entame 1, 2
Entre-deux 1, 2
Entretien directif 1, 2, 3
Entretien non directif 1, 2, 3
Entretien semi-directif 1, 2, 3
Époché clinique 1
Étayage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Étrangeté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Être en souffrance 1
Évaluation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Examen psychologique 1, 2, 3
Excitation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Exhibition 1
Exploration 1, 2, 3, 4, 5, 6
Expression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57
Expression ludique 1, 2, 3
Expressivité 1, 2, 3
F
Famille 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95
Fascination 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Féminin 1, 2, 3, 4, 5
Figuration 1
Fixation 1, 2, 3
Folie 1, 2, 3
Fonction alpha 1, 2
Fonction de signifiance 1
Fonction limitative 1, 2, 3
Fonction relationnelle 1
Fonction transitionnelle 1, 2
Fonctionnement familial 1, 2
Forum interne 1
Fratrie 1, 2, 3
G
Gériatrie 1
Gérontologie 1
Gratification 1
Groupalité 1
Groupe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44
Guérison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
H
Haine 1, 2, 3, 4, 5, 6
Historicisation 1
Historisation 1, 2
Honte 1, 2, 3, 4
Hospitalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
I
Idéal 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Idéal du moi 1, 2, 3
Idéalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Identification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25
Identité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
Illusion 1
Imaginaire 1, 2, 3, 4, 5
Impensable 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Implication 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Implication réciproque 1, 2, 3
Incestuel 1, 2, 3
Inconscient 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23
Incorporation 1, 2
Indication 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Infans 1, 2
Inhibition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Inquiétante étrangeté 1
Inscription 1
Insight 1
Interdit 1, 2, 3, 4
Intergénérationnel 1, 2
Intériorité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Interprétation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Intertransfert 1
Intervention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35
Intervision 1
Intimité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Intonation 1, 2, 3, 4
Introjection 1, 2
Intrusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Intuition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Investissement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44, 45
J
Jeu 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51
L
Langage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Liberté 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Liberté associative 1
Lien 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139
Limite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Loi 1, 2, 3
M
Maîtrise 1, 2, 3
Malléabilité 1, 2
Médiation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Médical 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Mélancolie 1, 2, 3
Mentalisation 1, 2, 3
Métacadre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Milieu carcéral 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Mimo-gestuelle 1, 2, 3, 4
Mobilisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Moi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
Moi auxiliaire 1, 2
Moment opportun 1
Monde interne 1, 2, 3, 4, 5
Motricité 1, 2
N
Négatif 1
Neutralité bienveillante 1, 2, 3, 4, 5
Non-demande 1, 2, 3, 4
Norme 1, 2, 3
O
Objet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, 101, 102
Objet interne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Orientation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
P
Pacte dénégatif 1, 2, 3, 4
Pare-excitation 1, 2, 3
Parole 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61
Parole libre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Partage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Passage à l’acte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Passage par l’acte 1, 2
Passivation 1, 2, 3, 4, 5
Passivité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Pathologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Pathologique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Pensée associative 1, 2
Perlaboration 1, 2, 3, 4
Persécution 1, 2
Perte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Phobie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Plaisir 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26
Pluralité 1
Ponctuation 1, 2, 3, 4
Porte-parole 1, 2, 3, 4
Position clinicienne 1, 2, 3, 4
Position clinique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Position d’enfance 1, 2, 3, 4, 5, 6
Postséance 1, 2, 3, 4
Préoccupation 1, 2, 3, 4, 5, 6
Présence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60
Présence institutionnelle 1
Prétransfert 1, 2, 3, 4, 5, 6
Principe de plaisir 1
Principe de réalité 1
Prison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Privatisation 1
Problème actuel 1, 2, 3, 4, 5
Psyché 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36
Psychose 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22
Psychosexualité 1
Pubertaire 1, 2, 3
Puberté 1, 2, 3
Pulsion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
R
Rationalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Réalité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78,
79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86
Réalité externe 1, 2, 3, 4
Réalité interne 1, 2
Réassurance 1
Recherche informative 1
Réel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Reformulation 1, 2, 3, 4, 5
Refoulement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Régression 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Relance 1, 2, 3, 4, 5, 6
Relation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115
Relation d’objet 1, 2, 3
Relation thérapeutique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Remémoration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Rencontre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96,
97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153,
154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165
Répétition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Représentation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41
Répression 1, 2, 3
Reprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Résistance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
Restauration 1, 2, 3, 4, 5
Rite 1
Rythme 1, 2, 3, 4, 5
S
Savoir-être 1
Savoir-faire 1, 2
Savoir clinique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Savoir observer 1, 2, 3
Scénario 1, 2, 3, 4, 5
Secret 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Sensori-motricité 1
Sensorialité 1, 2, 3, 4
Setting 1, 2
Sexuel 1, 2, 3, 4
Sidération 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Signifiance 1, 2
Signification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Silence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49
Sollicitation 1, 2, 3
Somatisation 1, 2, 3, 4
Souffrance 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55
Stimmung 1, 2, 3, 4, 5
Stupeur 1
Subjectivité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24
Suicide 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Surmoi 1, 2
Surprise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Suspension du jugement 1
Symbiose 1
Symbolique 1
Symptôme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40
Syndrome de glissement 1, 2
T
Temporalité 1, 2, 3, 4, 5
Tentative de suicide 1, 2
Théâtre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Théorie du soin 1, 2, 3
Thérapie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46
Tiercéité 1
Tiers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Tolérance 1, 2, 3
Ton 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Tonalité initiale 1, 2
Totalité 1, 2, 3, 4, 5, 6
Toute-puissance 1, 2, 3
Toxicomanie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Toxique 1, 2, 3, 4, 5, 6
Traduction 1, 2
Transfert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62
Transgénérationnel 1, 2, 3, 4
Transitionnalité 1
Transmission psychique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Transmission psychique inconsciente 1, 2
Trauma 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Traumatisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Travail de nativité 1
U
Unicité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Utopie 1, 2, 3
V
Vérité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Vide 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Vieillissement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Notes
1 . Outre cet ouvrage, les éditions Armand Colin proposent dans la même collection L’ examen
psychologique au fil des âges, sous la direction de M. Ravit.
Notes
1 . . « On objectera à juste titre qu’une organisation qui est l’esclave du principe de plaisir et néglige la
réalité du monde extérieur ne pouvait subsister pour un laps de temps aussi bref soit-il, si bien qu’il ne
lui aurait même pas été possible de se former. Le recours à une fiction de ce genre se justifie
néanmoins, si l’on considère que le petit enfant – pour peu qu’on tienne compte aussi des soins qu’il
reçoit de sa mère – réalise presque un état mental de ce type. » Formulation concernant les deux
principes du fonctionnement psychique, Freud (1911).
2 . Nos propres recherches sur l’efficience d’un dispositif en réseau entre psychiatrie périnatale et
Protection maternelle infantile – PMI – (J. Rochette et D. Mellier, 2007) avec le suivi longitudinal de
52 dyades mère-bébé de la naissance à un an, notamment autour de la recherche des signes d’appel
dans le post-partum immédiat (PPI) d’un éventuel trouble de l’interaction à un an, sont parvenues aux
mêmes conclusions : les troubles thymiques « légers » et réversibles du PPI ne sont pas un signe
péjoratif pour l’établissement futur des premiers liens.
Notes
1 . Les research chemicals désignent de nouvelles substances psychoactives développées à partir de
diverses molécules composant des drogues illégales existantes. Leur fabrication, leur consommation et
leur vente sur internet sont en plein développement, notamment auprès des adolescents.
2 . Si Candice a effectivement quelques rondeurs, on ne peut pas parler d’un réel problème de poids.
3 . De même que les univers gothiques, qui soulignent souvent les dimensions transgénérationnelles. A
ce propos, le fait qu’il y ait dans ce rêve « des morts et des gens (qui) ont écrit des choses sur les murs »
pourrait aussi s’entendre de ce point de vue.
Notes
1 . Nous avons pris le parti de renvoyer aux travaux récents de ces auteurs, sauf pour C. Balier qui
changea de clinique.
2 . Nous renvoyons, pour les dimensions de la maladie et de l’hypochondrie, c’est-à-dire des discours
sur le corps, à nos articles de 2008 et 2012.
Notes
1 . Hormis en service de soins palliatifs.
2 . N’entend-on pas parfois parler d’un malade en termes de « le foie de la 36 » pour désigner le patient
de la chambre 36 ou pareillement « le cœur de la 22 », toutes expressions qui disent certes le
morcellement du sujet mais aussi les défenses des soignants à voir et penser l’humain – l’humain en
souffrance assurément – derrière cet organe foie ou cœur.
3 . La rencontre psychologique n’a en effet aucun caractère d’obligation et ne peut d’ailleurs être
conçue comme telle, en tout cas à l’hôpital général. Toutefois, du fait de la présence encore trop rare
sinon inexistante des psychologues en services hospitaliers, les patients ne sont pas incités à aller
chercher de l’aide psychologique.
4 . Ce qui contraste, déroge fortement d’avec certaine conception psychologique traditionnelle de
l’existence nécessaire d’une demande explicite, reconnue et surtout verbalisée, adressée au
professionnel. Aujourd’hui, face à de nombreuses personnalités carencées dans leur histoire et dans leur
autoréflexivité, si le clinicien ne vient pas à elles, alors elles risquent fort de rester répétitivement
confrontées à un objet désespérément absent et ne jamais pouvoir en conséquence bénéficier d’un
espace psychique propice à favoriser l’introspection.
5 . Même si ceux-ci ne sont pas aussi démunis que des nourrissons, ne serait-ce que sur le plan
langagier, encore que…
6 . L’ alexithymie désigne l’incapacité dans laquelle se trouve le sujet à discriminer ses émotions ou
états internes, à les communiquer.
7 . La « pensée opératoire » décrite par ces auteurs désigne une pensée concrète, tournée sur le factuel,
le présent, sans connexions associatives avec d’autres contenus psychiques ; elle est traduite par le
patient dans un langage pauvre et désaffectivé.
8 . Sans excès cependant, car il ne s’agit nullement pour le psychologue de remplir le vide du patient
par une surabondance de paroles, ce qui constituerait alors une activité défensive du praticien.
9 . À l’exception de dispositifs psychologiques spécifiques conçus pour le couple ou le groupe familial,
lesquels dispositifs incluent d’ailleurs un couple de thérapeutes.
Notes
1 . La compagnie du Toucan Bleu était la troupe que j’avais créée en 1982 dans un service de
psychiatrie adulte au CHG Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (93), troupe au sein de laquelle Adèle
avait tenu une place importante, incarnant le rôle éponyme de nombreuses mises en scène.
2 . Argan dans Le Malade imaginaire de Molière, Madame Boulingrin dans Les Boulingrins de
Courteline, la Maman dans L’Azote de René de Obaldia, Madame Follavoine dans On purge Bébé de
Feydeau, le chef d’orchestre dans Le Bastringue de Karl Valentin, Pistetairos dans Les Oiseaux
d’Aristophane…
3 . . « L’inquiétante familiarité » est une notion développée par F. Davoine et J.-M. Gaudillière
(2006).
4 . . « Ihre Klagen sind Anklagen. » Anklage, ancien terme juridique signifiant : mise en accusation,
plainte portée contre quelqu’un.
Notes
1 . Il faut noter que, suite à une tentative de suicide, tous les sujets n’ont pas recours aux services
d’urgence.
Notes
1 . Le Collectif PsyRea est une association créée en 2013 et constituée de psychologues cliniciens, de
praticiens, de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, d’orientation psychanalytique et
neuropsychologique et de psychologues en fin de formation universitaire. C'est un lieu d’échanges et de
formation théorico-pratique sur différents thèmes qui touchent l’accompagnement des patients et de
leurs proches, ainsi que la pratique soignante en réanimation. L'objet de ce groupe est de mieux former
les futurs psychologues amenés à travailler en service de médecine par une plus large compréhension
des pratiques soignantes de ces services en croisant les regards et les modèles des praticiens et des
théoriciens, en partageant sur les pratiques de différents services.
2 . La désinfection immobilise la chambre durant 3 heures avant qu’elle puisse être de nouveau utilisée.