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MEMO 1 — RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE
BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................................23
1
Pour un exposé des différentes approches en psychologie clinique et psychopathologie consulter l'ouvrage de Ionescu
(1995).
Ces méthodologies sont issues des travaux de recherche en sciences humaines et sociales se
réclamant de la recherche qualitative. Pourtant, on ne parle pas de recherche qualitative en
psychologie clinique. Ce fait, s'explique par la focalisation sur la méthode clinique et sur le
référent psychanalytique qui a réduit considérablement le champ des méthodologies possibles.
Or, la recherche qualitative s'est développée, ces 40 dernières années, en réponse aux limites
du paradigme scientifique classique (issu des sciences physiques et naturelles) à saisir certains
aspects, voire même la spécificité des objets des sciences humaines et sociales : importance
de la subjectivité, du sens, de l'implication du chercheur, de la complexité des phénomènes
humains et de la nature fondamentalement qualitative (mots, lettres, images) des données
empiriques. Ce type de recherche apparaît donc lié à l'affaiblissement du modèle positiviste
mais aussi, à l'importance accordée à la notion d'objet socialement construit (Hess, Senécal,
Vallerand, 2000, p.516). Cette critique tend à constituer un nouveau paradigme en sciences
humaines et sociales dont la dénomination varie en fonction des auteurs : "qualitatif", "post-
moderne", "compréhensif", "interprétatif", "inductif" (Mucchielli, 1996). Ces diverses
appellations traduisent en fait des points de vue variables sur ce que l'on appelle la recherche
qualitative. Si pour certains, elle trouve sa spécificité dans un point de vue épistémologique
particulier et/ou en une méthodologie particulière, ses caractéristiques principales sont la visée
compréhensive, une approche ouverte de l'objet, le recours à des méthodes qualitatives pour
le recueil et l'analyse des données ainsi que l'élaboration d'un récit ou d'une théorie pour
organiser et interpréter les phénomènes.
Le processus d'objectivation
Les recherches qualitatives et quantitatives se distinguent nettement par la position du
chercheur et la relation qu'il entretient avec l'objet de recherche tout au long du processus
d'objectivation. On oppose classiquement le paradigme du quantitatif, qui vise la réduction
et/ou le contrôle des biais issus de la subjectivité, au paradigme du qualitatif qui vise
l'objectivation des effets de la subjectivité. Pires (1997a) fait état de différentes modalités de
2
On pourrait également dire socialement, biopsychosocialement construite (selon l'approche théorique retenue).
3
Convergence des techniques et/ou des perspectives théoriques dans l'appréhension du phénomène (Pourtois et
Desmet, 1988).
4
Le chercheur arrête de récolter des données lorsque aucune nouvelle donnée empirique n'apporte, ne complète ou ne
contredis l'analyse.
5
Seules les dimensions essentielles sont retenues.
6
Peu de recherches en psychologie clinique tiennent compte de cet aspect et préfèrent illustrer leurs interprétations
par de beaux cas cliniques!
résultats de ce type de recherche ne trouvent aucun écho ni du côté des praticiens, ni du côté
des sujets ?
La validité externe ou transférabilité
L'évaluation de la validité externe consiste à examiner si les conclusions de la recherche sont
généralisables. Elle n'a de sens que dans le cas où la recherche présente d'abord une bonne
validité interne. En effet, la représentativité de l'échantillon (validité échantillonnale) et les
aspects liés au contexte d'obtention des données (la validité écologique) vont retentir sur la
validité externe de la recherche (Robert et al., 1988). Le problème des recherches qualitatives
vient de ce qu'elles maximisent le singulier, le contextuel et les faits inconvénients. Les
interrogations sur ses capacités de généralisation des résultats sont donc légitimes. Sans
pouvoir résoudre ce problème, certains chercheurs considèrent qu'il convient de décrire
systématiquement, le contexte et la population afin de pouvoir appliquer de nouveau la
recherche à des populations qui présentent des caractéristiques similaires. La validité externe
est donc beaucoup plus conçue en terme de transférabilité des résultats. Si la recherche a pris
en compte de façon exhaustive les diverses variations du phénomène (saturation des
données), sa validité externe en sera augmentée. Cependant on doit reconnaître que la
généralisation reste limitée. Une seconde position revient à dire que les recherches en sciences
humaines visent bien plus la mise en évidence de processus (psychologiques, sociologiques...)
fondamentaux que la mise au jour d'une structure d'un phénomène et de ses déterminations
dans une situation contrôlée. Le pouvoir de généralisation ne serait alors pas tant dépendant
de la représentativité statistique de l'échantillon de l'étude que de la représentativité
sémiotique et "processuelle" du modèle proposé, c'est à dire de sa capacité à interpréter les
processus en jeu dans d'autres contextes et d'autres populations.
La fiabilité
La fiabilité implique la possibilité de réduplication des résultats et dépend donc de leur
stabilité, de leur précision et de leur valeur prédictive. Or, dans les recherches qualitatives, les
cas divergents, occasionnels ainsi que la prise en compte des aspects évolutifs des
phénomènes (étude du processus) sont recherchés. Dans cette perspective, la fiabilité des
résultats pourrait consister en leur capacité à rendre justement compte du changement et à
déterminer ce qui est fondamental dans les phénomènes observés. Les mesures préconisées
(Lapperière, 1997) sont : la recherche de l'adaptabilité du modèle descriptif ou théorique à
l'évolution des phénomènes nécessitant une implication à long terme sur le terrain,
l'intégration des phénomènes marginaux et contradictoires; la recherche de la convergence
des observations et des interprétations; le recours à des méthodes de recueils et d'analyses
explicites, transmissibles et reproductibles pour la confirmation externe.
En l'état actuel, il existe donc une multitude de critères de validation des méthodes
qualitatives. Pour certains, il convient de maintenir les références aux critères classiques tout
en les redéfinissant. Pour d'autres, il s'agit de proposer des critères nouveaux relatifs à la
particularité des méthodes qualitatives (Mucchielli, 1996). La recherche de critères de
validation indique bien l'existence d'un paradigme autre en quête d'une légitimité scientifique.
La problématique
La problématique est une articulation discutée de différentes propositions empiriques et
théoriques qui visent à définir le problème de la recherche (Mucchielli, 1996). La particularité
de sa formulation, en recherche qualitative, est qu'elle s'élabore dans un va-et-vient entre les
données empiriques et les données théoriques. Elle procède donc d'une démarche inductive où
l'ancrage fort au monde empirique est privilégié. Cette démarche inductive n'est cependant
pas naïve (dans le sens de la tabula rasa), car elle inclut également une documentation à la
fois théorique et riche d'expérience concernant les sujets, le problème, le contexte.
Contrairement à la démarche hypothético-déductive, où la problématique permet de constituer
une hypothèse formelle précise, la formulation de la problématique conduit dans les
recherches qualitatives à des propositions théoriques retenues pour leur capacité à rendre
compte du phénomène et à organiser les données empiriques. Ainsi, toutes les propositions
théoriques ne se valent pas. Le va-et-vient entre les pôles empirique, théorique et
méthodologique constitue le processus de construction de l'objet. L'objet et sa formulation
(problématique et proposition théoriques finales) ne sont donc pas connus au départ ; ils
émergent de la démarche même de recherche. Ce processus d'élaboration implique que les
propositions théoriques évoluent tout au long de la recherche, que leur pertinence et leur
sensibilité soient confrontées à l'analyse des données empiriques et enfin que le chercheur
continue, en parallèle et de façon ouverte, à lire et à recenser les productions relatives à un
objet en train de se construire (Deslauriers, Kerisit, 1997, Deslauriers, 1998).
Exemple : Problématique, hypothèses et analyses dans une démarche inductive de recherche
en psychologie clinique
Jeammet (1995) souhaite comprendre le rapport existant entre l'histoire personnelle des
mères d'enfants autistes et les dysfonctionnements existants dans leurs modes relationnels.
Elle élabore trois hypothèses cliniques, très ouvertes, découlant les unes des autres, en lien
directe avec son expérience d'entretien préalables avec des mères d'enfant autiste et
d'enfant ne présentant pas de trouble, dont l’hypothèse 1 suivante : "Ce qui aboutit à
mettre en œuvre un certain type de relation, dans un dialogue toujours unique d'une
certaine mère à son enfant, n'est pas à rechercher dans un "profil psychologique" de la
mère, mais d'abord dans son histoire."
cadre opératoire de la recherche, mais à offrir un cadre théorique pour l'élaboration des
données cliniques.
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Diminution de l'erreur d'échantillonnage.
l'exemplarité, la possibilité d'apprendre avec le cas, son intérêt social, son accessibilité à l'enquête
(p.142)". Il distingue au sein de l'échantillonnage par cas unique; l'échantillon d'acteur (une
personne), l'échantillon de milieu (une institution, une situation...), l'échantillon événementiel
(événement institutionnel, culturel, clinique rare).
Lorsque le corpus8 empirique est constitué de cas multiples, il existe des stratégies différentes
de sélection des cas en fonction des visées de la recherche. Ces stratégies dépendent de deux
principes, la diversification9 et la saturation empirique10, principes qui se substituent à la
représentativité statistique pour les échantillons de la recherche quantitative.
Compte tenu des combinaisons possibles entre diversification et saturation, Pires (1997b)
décrit quatre type d'échantillonnages : par contraste, par homogénéisation, par contraste-
saturation et par contraste-approfondissement.
Exemples
1. Quel est le vécu de l'expérience de la dépendance psychologique ? Pour répondre à cette
question, le chercheur peut par exemple pour tenter de saisir l'ensemble des catégories de
sens diversifier par contraste son échantillon en recrutant des sujets dépendants mais de
différents objets (drogues, situation, personne... ).
2. Quel est le vécu de l'expérience du sevrage chez les alcooliques ? Dans ce cas, le chercheur
va construire un échantillon par homogénéisation, donc choisir uniquement des sujets
alcooliques sevrés et diversifier à l'intérieur de ce groupe particulier (en fonction du temps en
postcure, du parcours antérieur...).
La quête du cas négatif ou du "fait inconvénient"11 peut être également une stratégie pour
constituer l'échantillon. Après avoir défini le problème et l'hypothèse, on recherche des cas
négatifs (sur le terrain ou dans les écrits disponibles) puis on tente de reformuler l'hypothèse
ou le problème, jusqu'à ce que tous les cas négatifs puissent être explicités12.
9
Elle consiste à privilégier la plus grande variété de cas en fonction du problème posé et indépendamment de critères
statistiques.
10
Cf. définition, p.8.
11
Donc qui infirme l'hypothèse (l'exception à la règle!).
12
Procédure valable dans une conception positiviste stricte où une cause implique toujours le même fait.
proximité. Ainsi, ces techniques posent la question de l'éthique (cf. chapitre 5) des méthodes
qualitatives : jusqu'où peut-on s'impliquer ? quels en sont les effets pour les participants et les
institutions ?
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Il donne l'exemple du lien constant entre remémoration et disparition d'un symptôme établit par Freud et Breuer.
traduction des données en fonction du lexique propre au code. La seconde consiste, après
l'analyse des données, à en extraire de nouvelles significations (Huberman et Miles, 1991). Il
faut néanmoins reconnaître que l'analyse qualitative des données qualitatives nécessite du
temps, de la rigueur, de la créativité, un esprit analytique et synthétique...C'est pourquoi, face
à un tel défi (!) et pour des raisons de validité des résultats, certains chercheurs préfèrent
introduire une phase de traitement quantitatif des données qualitatives. Par là, ils souhaitent
rendre indépendant le moment de l'analyse et le moment de l'interprétation (cf. analyses
automatisées des données discursives, chapitre 4).
Les phénomènes cliniques sont mesurables : cette propriété implique que l'on puisse les
définir, les isoler mais également les transposer (codage) dans un système de signes doté de
certaines propriétés (opération de mesure). Il faut donc pouvoir justifier (théoriquement ou
empiriquement) que les phénomènes cliniques présentent bien ces propriétés, c'est à dire
justifier le niveau de la mesure choisie (Laveault, Grégoire, 1997) : niveau nominal (ex : le
sujet présente ou non une dépression majeure), niveau ordinal (ex : le sujet A est plus
déprimé que le sujet B), niveau d'intervalle (ex : si les sujets A, B et C obtiennent
respectivement des scores d'anxiété de 10, 20 et 30, on peut alors conclure que l'écart
existant entre A et B du point de vue de l'intensité de l'anxiété est le même que celui entre B
et C), niveau de rapport (ex : le sujet A (score 10) est deux fois moins anxieux que le sujet B
(score 20)).
On peut empiriquement et théoriquement justifier des niveaux nominal et ordinal pour la
mesure des phénomènes clinique. En effet, le jugement clinique relève de ces niveaux : il est
ou non phobique (niveau nominal), il est plus ou moins anxieux (niveau ordinal). Par contre, la
justification des échelles d'intervalle (soit l'équidistance entre les rangs) pose plus de
problèmes bien qu'elles soient d'un usage très répandu. Guerin, Dazor, Sali (1991, p.49)
constatent néanmoins que " la tendance actuelle, plus pragmatique, considère que des paliers de
réponses bien échelonnés délimitent des intervalles connus, ou en d'autres termes qu'ils définissent
conventionnellement l'unité de mesure. [...]. En outre l'importance de l'erreur par l'application de
méthodes paramétriques à de simples mesures de rang est limitée (...)". Quant aux échelles de
rapport, elles sont généralement impossibles à justifier pour l'évaluation des phénomènes
cliniques. Ainsi, Laveault et Grégoire (1997) rappellent qu'obtenir zéro à une pesée indique
une masse nulle, tandis qu'obtenir zéro à un test d'intelligence peut difficilement être
interprété comme une absence d'intelligence !
L'évaluation des phénomènes cliniques est standardisable :
La standardisation implique que le phénomène clinique que l'on évalue est stable,
reproductible et que les relations entre ce phénomène et sa signification sont uniformes.
Ainsi, deux observateurs étudiant un même phénomène et utilisant un même instrument
d'évaluation doivent aboutir aux mêmes conclusions. Ce critère définit un fait dit "positif". Pour
établir l'existence d'un trouble schizophrénique, il convient de pouvoir objectiver un certains
nombre de signes et symptômes (cf. DSM-IV). Ces signes et symptômes sont objectivables
comme des choses "vraies" qui ne dépendent ni du contexte, ni de la relation, ni de
l'observateur. Or, ceci ne doit pas masquer le fait que la standardisation procède aussi de la
construction des observables. En effet, cette construction ne retient que certains aspects des
phénomènes cliniques -ceux qui justement sont mesurables, stables, reproductibles et
empiriquement objectivables. Ainsi, s'intéresser au trouble schizophrénique ne résume pas ce
qu'est l'expérience de la schizophrénie.
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Dégager la structure du phénomène.
peuvent être mises en œuvre dans les recherches en psychologie clinique. La première
consiste à traiter statistiquement les données qualitatives "brutes", comme par exemple dans
l'analyse automatique des données d'entretien. La seconde permet de réduire et de coder les
données qualitatives sous la forme de dimensions (profils dimensionnels) ou d'indices
(Psychogramme du Rorschach, indices Exner par exemple).
Pour sa part, le logiciel TROPES (Ghiglione et al., 1998) permet de réaliser une analyse
automatisée des discours de type cognitivo-discursive (dont fait partie l'APD, cf. Chapitre 3).
TROPES retient comme principe que le discours, qui est une "co-construction", actualise le
contrat de communication (enjeux et influence). Ainsi, tout discours "porte en lui les traces des
opérations cognitives effectuées par un locuteur qui met en scène, dans un certain but, un certain sens
et une certaine intention" (p. 9). Cette analyse du discours a donc pour objectif de révéler la
construction du monde propre à un sujet. Utilisé en sciences sociales (analyse des discours
politiques), quelques recherches sur le langage en psychologie clinique ont mis en œuvre ce
type de méthode d'analyse des discours (Blanchet, 1997).
Chaque dimension est définie de façon opérationnelle et trois niveaux sont repérés (1,2,3)
en fonction de l'importance des dysfonctionnements.
Exemple : Item 2 de la KAPP (traduction française, Charitat et al. 1996)
Item 2 : Dépendance et séparation
Capacité à établir des relations de dépendance adulte, à éprouver du chagrin et à élaborer
un travail par rapport à la perte des personnes importantes, idéaux, parties et fonctions du
corps aussi bien que de possessions matérielles
Niveau 1 : Peut établir des relations de dépendance adulte, peut éprouver du chagrin et
élaborer un travail de deuil de telle sorte qu'un équilibre adaptatif soit progressivement
atteint.
Niveau 2 : Peut établir des relations de dépendance mais souvent avec une crainte
importante de la séparation. Ceci pouvant mener à des préoccupations dépressives en
rapport avec des pertes réelles ou imaginaires, de telle sorte que le sujet ne se résigne
jamais à ces pertes même après une longue période.
Niveau 3 : Peut seulement établir des relations de dépendance infantile. La signification d'un
tel type de relation peut être déniée. Cal peut mener au déni de la perte à tel point que le
sens de la réalité est menacé ou perdu.
Ce type d'analyse impose une réduction du matériel clinique qui reste discutable (Pourquoi 18
dimensions ? Pourquoi trois niveaux ?) mais elle présente l'avantage d'être systématisée et
donc transmissible. Le profil élaboré a été validé (fidélité inter-cotateur, fidélité test-retest,
validité de construction, Weinryb et al., 1991). Cependant, la qualité de l'évaluation dépend en
grande partie de la formation des cotateurs à la méthode et à la théorie sous-jacente. En effet,
la cotation du profil est basée sur une analyse clinique (induction analytique). On ne contrôle
ici que le résultat de cette induction, les cotateurs pouvant utiliser des informations et des
processus différents pour y arriver. En ce qui concerne l'analyse automatique des données
d'entretiens, les résultats sont au contraire obtenus par induction statistique. Cette démarche
implique que les méthodes d'analyses soient prédéfinies et indépendantes de l'évaluation
clinique.
Il existe des profils multidimensionnels pour l'évaluation des relations d'objet et de la
représentation de soi (Levy, Blatt, Shaver, 1998 ; Weinryb et al., 1991), des mécanismes de
défense (Perry, 1990). Pour toutes ces méthodes, les dimensions sont décrites de façon
opératoire par des indicateurs cliniques repérables dans le discours du sujet. La cotation des
dimensions procède donc ici selon la logique de diagnostic15. Ces méthodes permettent
d'améliorer la standardisation et la transmissibilité des résultats. La fidélité inter-cotateurs, la
fidélité test-retest, la validité prédictive et de construction sont alors éprouvées.
Discussion
L'utilisation des méthodes d'analyses des entretiens issues de la linguistique ne doit pas
faire perdre de vue l'objet même de la recherche clinique : la compréhension du sujet à partir
de ses actes de parole et non l'élaboration d'une théorie du langage. Dans la perspective
clinique classique, les actes de parole et leurs sens sont conçus comme des indicateurs du
fonctionnement psychique. Les méthodes d'analyse automatique des discours se fondent sur
une conception autre des actes de paroles, puisque dans cette optique c'est l'organisation du
discours (analyse du contenant) qui permet d'accéder au sens. L'utilisation de ce type
d'analyse, dans un souci d'objectivation des données discursives, invite donc à s'interroger sur
le statut du discours du sujet par rapport au statut du discours construit par le clinicien-
chercheur à propos de son objet.
15
Des entretiens structurés sont utilisés dans les recherches cliniques pour le diagnostic de certains troubles, comme
le SCID-III R (Structured Clinical Interview for the DSM-III R Personality Disorders). Leur forte structuration les
rapproche des questionnaires, ils ne peuvent être considérer comme des entretiens cliniques.
Poupart (1997) résume les trois positions épistémologiques concernant la façon d'interpréter
les données de l'analyse.
Les post-positivistes considèrent que les interprétations du chercheur rompent16 avec les
présupposés de sens commun (les interprétations du sujet) puisqu'elles sont consistantes et
empiriquement fondées.
Les post-structuralistes, quant à eux mettent sur le même niveau discours du sujet et discours
du chercheur, comme étant deux versions différentes de la réalité.
Enfin, les post-modernistes soutiennent que l'interprétation résulte d'un dialogue
sujet/chercheur. Le sujet de la recherche est considéré comme capable d'élaborer son
expérience personnelle et notamment celle d'acteur de la recherche.
16
En référence à la rupture épistémologique (Bachelard, 1938).
17
dont la finalité consiste "à s'assurer que les objets qui vont être observés sont de même nature" (Widlöcher,
Jouvent, 1988).
18
D'autant plus qu'en sciences humaines les paradigmes ne meurent pas mais coexistent !
La vision intégrative
Dans cette perspective de complémentarité, Miller et Crabtree (1998) présentent quatre types
d’études en recherche clinique19 où les méthodes qualitatives et quantitatives sont intégrées :
Les études concourantes Les études emboîtées
Deux recherches indépendantes, menées sur une L'utilisation intégrée des méthodes qualitatives
même population et utilisant des méthodes différentes et quantitatives dans une recherche permet
(l'une quantitative, l'autre qualitative) peuvent d'éviter l'erreur de type III (résoudre le mauvais
produire des résultats convergents (Chesla, 1992 ; problème). Ainsi, les variables pertinentes d'un
Fielding et Fielding, 1986). phénomène sont identifiées et opérationnalisées
à partir des méthodes qualitatives, alors que
L'exemple des essais cliniques (cités par Miller et
leurs relations et leurs valeurs prédictives sont
Crabtree (1998) montre qu'il faut pouvoir répondre
étudiées par des méthodes quantitatives.
à la question de l'efficacité d'une prescription par
Reuchlin (1972-1973), comparant les analyses
rapport à une autre (méthode quantitative
cliniques et statistiques, indique que la collecte
extensive) tout en comprenant le processus et le
des informations est de meilleure qualité
contexte de l'essai clinique pour enfin intervenir
lorsqu'elle est réalisée par un clinicien tandis que
auprès d'un sujet en particulier (méthode
la prévision est meilleure lorsqu'elle est
qualitative interprétative).
statistique.
Miller et Crabtree (1998) rapportent l'étude de
Borkan, Quirk et Sullivan (1991) : à partir
des récits de patients âgés souffrant de
fracture de la hanche, ces auteurs ont dégagé
les variables pertinentes pour une étude
épidémiologique portant sur l’issue de la
rééducation de personnes se trouvant dans la
même situation.
Les études séquentielles Les études combinées
Par une première étude qualitative on détermine les Certaines questions de recherche sont complexes
variables pertinentes d'un phénomène qui sont ensuite et nécessitent d’utiliser une combinaison
utilisées dans une seconde étude, dont l'objectif est la d’études (concourantes, emboîtées,
construction d'instruments ou le test d'hypothèses (en séquentielles, …).
épidémiologie par exemple). On peut également
procéder de façon inverse :
Snadden et Brown (1991, cités par Miller et
Crabtree) ont mis en œuvre une étude séquentielle
sur l'asthme où la passation d'un questionnaire a
permis d'identifier des personnes présentant
d'importants stigmates, puis de les interviewer en
19
Pour les anglo-saxons, il s'agit des questions et des problèmes émergeant directement de la pratique clinique.
La diversité des cas exposés montre qu'actuellement l'utilisation conjointe des méthodes
qualitatives et quantitatives est donc une pratique courante en sciences humaines et sociales
(Brannen, 1992). L'opposition entre méthodes qualitatives et quantitatives est devenue
obsolète. Selon Pires (1997a, p. 49), "il est faux d'affirmer qu'il existe une méthodologie qualitative
ou quantitative : il n'y a que des recherches qualitatives ou quantitatives (ou les deux à la fois). La
méthodologie est une seule, et les grandes questions d'ordre méthodologique concernent tant les
recherches qualitatives que quantitatives". Cette vision pragmatique, conduit cet auteur à définir
la recherche qualitative comme une recherche caractérisée par les critères suivants : la
souplesse et l'ajustement dans la construction de l'objet, la prise en compte de la complexité,
la capacité à traiter des données hétérogènes (techniques de recueil et d'analyse
complémentaires), la description et la compréhension des phénomènes de l'intérieur,
l'ouverture, l'exploration inductive et l'intérêt pour les faits non congruents enfin, l'heuristique.
A l'argument de l'effectivité des pratiques s'ajoute donc des arguments méthodologiques
portant sur des problèmes fondamentaux, comme par exemple :
- la mesure (l'évaluation des phénomènes). Pires (1997) rappelle que la mesure quantitative
a été longtemps associée à un critère de scientificité. Or, le but de celle-ci étant la recherche
de la précision, sa forme empirique (qualitative ou quantitative) et son degré de précision
devraient être choisis en fonction des caractéristiques du phénomène et du sens du problème
posé. Il indique également que la mesure a une fonction créatrice puisqu'elle permet de faire
varier la distance à l'objet (éloignement par les chiffres ou rapprochement par les lettres) et
donc de résister aux interprétations hâtives, aux jugements de valeurs et aux prénotions du
chercheur.
- le particulier et le général. L'opposition méthodes qualitatives/ quantitatives masque des
interrelations complexes et des processus complémentaires de connaissance. En effet, la
recherche en psychologie clinique tente d'appréhender le mieux possible la complexité des
éléments et des facteurs à l’œuvre dans une situation historique unique et à rejoindre une
structure de signification susceptible d’être à l’œuvre dans d’autres situations uniques. Cette
démarche n’exclut ni la saisie de certains éléments fondamentaux communs (que l’on peut
retrouver dans ces différentes situations) ni des données quantitatives (mesures) et
qualitatives (discours).
Par exemple, la méthode du cas unique peut être abordée selon une approche expérimentale
dans le but d'évaluer les variations d'un paramètre par des mesures répétées pour établir des
lois générales (Lowenstein et al., 1987; Moran et Fonagy, 1987). Braconnier et Lesieur (1999)
pensent qu'il est nécessaire, dans cette optique, de décrire les phénomènes cliniques à partir
d'un ensemble limité de variables afin de déterminer clairement les relations existant entre les
variables dépendantes et indépendantes (réduction de la complexité). La validité des
inférences issues de l'analyse par cas unique peut être examinées à partir des critères suivants
(Kazdin 1982, cité par Braconnier et Lesieur, 1999) :
pour la validité interne : tester les hypothèses alternatives, considérer les effets de
variables non contrôlées (âge, événements, état du sujet...), s'assurer de l'indépendance entre
ce qui est observé et la situation d'observation, diminuer les incertitudes liées au système
d'enregistrement des données cliniques ;
pour la validité externe : définir les conditions de reproductibilité de l'observation pour
d'autres situations et d'autre sujets.
Diverses procédures "expérimentales" sont alors décrites : de type I (mesure avant et après
la modification d'un paramètre, par exemple avant/après un traitement psychothérapique), de
type II (répéter les mesures), type III (plusieurs cas avec des mesures répétées).
Si le chercheur vise à produire des connaissances avec ses partenaires sujets de la recherche,
à développer une logique d’argumentation et des conclusions provisoires pouvant être
débattues et soumises aux principaux intéressés ainsi qu'aux chercheurs, cette logique
d’argumentation peut s’appuyer aussi bien sur des données qualitatives que quantitatives et
sur des méthodes d’analyse où les raisonnements les plus rigoureux sont en cause, qu’ils
prennent la forme d’analyses conceptuelles, d’établissement de relations explicatives,
d’interprétations, de significations. L’important est de construire une argumentation à partir de
sources diverses, supposant une activité d’intégration/d’interaction entre chercheurs et
partenaires de la recherche, non de pure confrontation ou de juxtaposition. Cette perspective
d’intégration exclut des approches se voulant exclusives. En ce sens, Pires (1997a) défend une
conception générale de la méthodologie qui n'est ni dogmatique (les objets sont traités avec la
même épistémologie et méthodologie), ni réductionniste (méthodes qualitatives versus
méthodes quantitative), ni entièrement relativiste. Il propose de favoriser l'analyse du
problème (primat théorique) et de recourir à une épistémologie, une méthodologie et des
techniques des plus pertinentes. Comme le note également Lafortune (1989) “ la rigueur n’est
pas dans la technique ou la méthode, mais dans la démarche du chercheur ”. L’important est d’avoir
une idée claire de ce que l'on désire étudier et d’adopter la méthodologie la plus appropriée
pour y arriver (Morval, 1993). Dans l'élaboration d'une recherche en psychologie clinique, ce
ne sont pas les caractères quantitatifs ou qualitatifs qui posent problèmes, mais la cohérence
dans les différentes étapes de la recherche, la visée fondamentale de la recherche et le rapport
établi entre le chercheur et la population étudiée (Rhéaume, 1993).
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