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Actualités 201

semblent atteints. De même, rien n’oriente vers un rhu- peute). Le traitement conscient et volontaire recouvrirait
matisme, une maladie osseuse, neurologique, systémique deux types de stratégies : d’un côté l’expression et le par-
ou génétique. Les troubles du sommeil et ceux constatés tage des émotions et de l’autre le traitement cognitif. Ce
sur les amines cérébrales semblent plutôt une conséquence dernier traitement conduirait l’individu à remettre en ques-
que la cause. Et si elle était un « syndrome » plus qu’une tion les pensées liées à ses émotions. À partir des données
maladie ? C’est-à-dire un ensemble de symptômes fonc- actuelles de la littérature sur ce sujet, les auteurs ont
tionnels, d’origine multifactorielle, lesquels surviendraient comparé, à l’aide d’auto-questionnaires, le retentissement
chez des patientes (la proportion de femmes est de 70 à global de la fibromyalgie chez 403 patientes, en fonction des
90 %) au profil psychologique particulier. Qu’est-ce donc stratégies conscientes et inconscientes mobilisées face aux
alors ? Si la question reste à ce jour non résolue, l’étau émotions. Ils s’attendaient pour tous les sujets non alexi-
se resserre ; et bien que toujours en quête d’organicité la thymiques et utilisant des stratégies expressives à retrouver
fibromyalgie n’en nécessite pas moins une prise en charge un retentissement global moindre comparé à celui retrouvé
médicale. chez les sujets utilisant un traitement cognitif. L’étude
corrélationnelle confirme cette hypothèse. Leur seconde
Déclaration d’intérêts hypothèse supposait un retentissement global moindre chez
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- les sujets alexithymiques usant de traitements cognitifs
tion avec cet article. comparés à ceux privilégiant les stratégies expressives.
Cette hypothèse n’a pu être validée ce qui remet donc en
Référence question leur modèle. En termes d’application psychothé-
rapeutique, ces résultats confirment ceux de précédentes
[1] Cabane J. Qu’est-ce-qui se cache derrière la fibromylagie ? études portant sur les stratégies conscientes (les seules
Revue Med Interne 2011;32:455—60. sensibles au changement). Elles montraient l’intérêt de
favoriser l’expression émotionnelle chez les fibromyalgiques
Étienne Dahan 1 non alexithymiques [3]. Ce partage émotionnel favoriserait
Centre hospitalier, 20, avenue Dr-René-Laennec, l’insight (conscience de sa vie psychique) et l’extinction de
68100 Mulhouse, France la composante neurovégétative de l’émotion [4]. Des tra-
Adresse e-mail : etienne.dahan@gmail.com vaux antérieurs en psychologie de la santé [5] ont montré
1
Membre du CLUD. chez des sujets non alexithymiques et privilégiant le trai-
tement cognitif volontaire de leurs émotions un maintien
Disponible sur Internet le 12 juillet 2012
de l’activité émotionnelle, neurovégétative et ruminative.
doi:10.1016/j.douler.2012.06.003 Pour les sujets alexithymiques, les choses paraissent bien
plus compliquées. Quel que soit le type de traitement cons-
cient utilisé par les sujets, il est difficile de dire lequel
Émotions dans la fibromyalgie : quelle apparaît le plus fonctionnel face à la douleur et ses retentis-
prise en charge psychologique ? sements. Les auteurs expliquent notamment ce résultat par
la difficulté actuelle dans la littérature à définir ce qu’est le
Emotions in fibromyalgia: What psychological care? traitement cognitif de l’émotion. Bien que les thérapies cog-
nitives (restructuration) soient habituellement proposées
aux patients alexithymiques [6], avec un certain bénéfice, il
Geenen et al. [1] abordent les répercussions émotionnelles est encore aujourd’hui difficile d’en apprécier les effets sur
de la fibromyalgie chez les femmes. Ces répercussions les émotions. Les échelles évaluant le traitement cognitif
sont aujourd’hui bien connues mais de nombreuses ques- de l’émotion sont-t-elles adaptées aux patients alexithy-
tions subsistent en termes de réponses et de méthodes miques ? Geenen et al. en viennent à critiquer leur modèle,
psychologiques (non psychocorporelles) à proposer à ces qui ne prend notamment pas en compte les copings compor-
patientes. Les auteurs notent que les thérapies compor- tementaux et cognitifs face à la douleur et ses conséquences
tementales et cognitives habituellement proposées à cette quotidiennes. Ils recommandent la réalisation de nouvelles
population prennent peu en compte les émotions. Les objec- études, basées sur un modèle théorique plus global du trai-
tifs thérapeutiques sont surtout axés vers l’évolution des tement émotionnel dans la fibromyalgie.
comportements et pensées pouvant entretenir ou renforcer
la perception douloureuse. Une fois ces objectifs atteints, Déclaration d’intérêts
les thérapeutes s’attendent à une diminution de l’intensité
émotionnelle, ce qui n’est pourtant pas toujours le cas en L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
pratique. Ils se sont donc intéressés au traitement incons- tion avec cet article.
cient et conscient des émotions [2]. Pour le traitement dit
inconscient (ou automatique), ils distinguent deux aboutis- Référence
sements possibles : l’alexithymie d’un côté, et de l’autre,
[1] Geenen R, Van Ooijen-van der Linden L, Lumley MA, Bijlsma
l’expérience émotionnelle directe (variable en intensité JWJ, Van Middendorp H. The match—mismatch model of emo-
et donc mesurable). L’alexithymie correspond aux diffi- tion processing styles and emotion regulation strategies in
cultés rencontrées par certains individus pour identifier, fibromyalgia. J Psychosom Res 2012;72:45—50.
décrire, partager et exprimer leur expérience émotion- [2] Gross JJ, Richards JM, John OP. Emotion regulation in couples
nelle (l’émotion est donc ici plus difficile à identifier et and families: Pathways to dysfunction and health. In: Snyder DK,
à mesurer par le patient lui-même comme par son théra- Simpson JA, Hughes JN, editors. Emotion regulation in everyday
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life. Washington DC: American Psychological Association; 2006. corrélations positives entre le CESM et les émotions posi-
p. 13—35. tives, des stratégies de coping fonctionnelles, un sentiment
[3] Gillis ME, Lumley MA, Mosley-Williams A, Leisen JCC, Roehrs d’auto-efficacité personnel développé, un vécu d’incapacité
T. The health effects of at-home written emotional disclosure et de catastrophisme peu important. Pour les auteurs,
in fibromyalgia: a randomized trial. Ann Behav Med 2006;32:
cette étude confirme l’effet de la CESM sur l’activation
135—46.
d’affects et d’émotions positives [5]. Ils terminent leur
[4] Burns JW, Quartana PJ, Bruehl S. Anger inhibition and pain:
conceptualizations, evidence and new directions. J Behav Med article en discutant des proximités conceptuelles entre la
2008;31:259—79. CESM, l’acceptation et la pleine conscience du moment
[5] Cameron LD, Jago L. Emotion regulation interventions: a présent. La présente étude est la première à avoir évalué
common-sense model approach. Br J Health Psychol 2008;13: la CESM sur une population de sujets affectés par des mala-
215—21. dies somatiques chroniques. Les précédentes recherches ont
[6] Lumley MA, Neely LC, Burger AJ. The assessment of alexithymia montré les effets positifs de la CESM sur des sujets sains ou
in medical settings: implications for understanding and treating souffrants de troubles anxieux ou dépressifs par l’activation
health problems. J Pers Assess 2007;89:230—46. d’émotions positives [6]. Leur étude vient donc confirmer
ces données sur une population différente. Cependant, elle
Franck Henry 1 présente aussi de nombreuses limites dans ses portées.
Consultation pluridisciplinaire de la douleur, 216,
Tout d’abord sur la méthodologie essentiellement axée sur
avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France
l’auto-évaluation et l’absence de groupe contrôle. Ensuite,
Adresse e-mail : franck.henry16@gmail.com comme avec toutes les études corrélationnelles et descrip-
1
Psychologue hospitalier. tives, il est actuellement encore très difficile de comprendre
l’interaction entre le CESM, les autres variables psycholo-
Disponible sur Internet le 12 juillet 2012
giques, la douleur et son retentissement. Est-ce la CESM qui
doi:10.1016/j.douler.2012.06.004 influence les autres variables ou est-ce l’inverse ? Quel est
exactement le rôle joué par la CESM dans l’adaptation du
La compassion à l’égard de soi-même : un patient aux douleurs chroniques ? Pour répondre à ces nom-
atout face à la douleur chronique ? breuses questions, les auteurs recommandent notamment le
développement d’études d’efficacité sur les prises en charge
psychologiques qui cherchent à développer la CESM chez les
Self-compassion: An asset to deal with chronic pain? patients (thérapie MBSR : Mindfulness Based Stress Reduc-
tion). On s’étonnera dans le texte de l’absence de référence
De nombreuses études se sont intéressées ces 30 dernières à la thérapie cognitivo-comportementale ACT (Acceptance
années aux liens entre des variables psychologiques dites and Commitment Therapy) qui cherche à cultiver chez les
« négatives » (émotions négatives, catastrophisme, etc.) et patients la flexibilité psychologique face aux douleurs chro-
le retentissement de diverses affections somatiques chro- niques. Flexibilité qui se construit notamment à partir du
niques [1]. Plus récemment, des études en psychologie de développement de la pleine conscience, de l’acceptation et
la santé [2] ont également montré quels liens pouvaient donc de la CESM. . .
entretenir d’autres variables telles que l’acceptation, Déclaration d’intérêts
l’optimisme, le sentiment d’auto-efficacité personnelle
avec la douleur et ses retentissements psychologiques. L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
Face à ce constat, Wren et al. [3] ont publié une étude tion avec cet article.
consacrée à un concept relativement récent et issu de
la psychologie positive : la compassion à l’égard de soi- Références
même (CESM). Neff [4] propose la définition suivante de
la CESM : « qualité conduisant à être touché par sa propre [1] Somers TJ, Keefe FJ, Pells JJ, Dixon KE, Waters SJ, Riordan PA,
et al. Pain catastrophizing and pain-related fear in osteoarthritis
souffrance en recherchant à s’impliquer dans la diminution
patients: relationships to pain and disability. J Pain Symptom
de ses propres difficultés ». La CESM pourrait être évaluée
Manage 2009;37:863—72.
sur trois continuums : auto-gentillesse versus autocritique, [2] Carver CS, Smith RG, Antoni MH, Petronis VM, Weiss S,
sentiment d’appartenance à l’humanité par la souffrance Derhagopian RP. Optimistic personality and psychosocial well-
versus sentiment d’isolement par la souffrance, perception being during treatment predict psychosocial well-being among
de la souffrance comme faisant partie de soi (« je souffre long-term survivors of breast cancer. Health Psychol 2005;24:
mais mon expérience actuelle ne se réduit pas à cela ») et en 508—16.
pleine conscience du moment présent versus perception de [3] Wren AA, Somers TJ, Wright MA, Goetz MC, Leary MR,
la souffrance comme étant soi (« je ne suis que souffrance ») Fras AM, et al. Self-compassion in patients with persistent
sans conscience du moment présent. Wren et al. ont donc musculoskeletal pain: relationship of self-compassion to adjust-
ment to persistent pain. J Pain Symptom Manage 2012;43:
mené leur étude sur un échantillon de 88 patients souffrants
759—70.
d’obésité et de douleurs musculo-squelettiques chroniques.
[4] Neff K. Self-compassion and psychological wellbeing. Construc-
Leurs objectifs étaient de montrer des liens entre la CESM, tivism Hum Sci 2004;9:27—37.
les variables psychologiques habituellement évaluées dans [5] Fredrickson BL. Cultivating positive emotions to optimize health
les études précédentes, l’intensité douloureuse et le reten- and well-being. Prev Treat 2000;3:1—25.
tissement des douleurs sur la vie quotidienne. Leurs évalua- [6] Neff KD. Development and validation of a scale to measure self-
tions psychométriques ont ainsi pu mettre en évidence des compassion. Self Identity 2003;2:223—50.

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