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R evue Neu rologique 164 (2008) S128 - S133

Neuropsychologie et psychopathologie : analyse cognitive au décours


d’une chirurgie d’épilepsie pharmaco-résistante.
Neuropsychology and psychopathology: cognitive analysis during
medically refractory epilepsy surgery
C. Thomas-Antérion
Unité de Neuropsychologie-CM2R, Service de Neurologie, CHU Bellevue, 25 boulevard Pasteur, 42055 Saint Etienne cedex 02, France

R és u mé
Dans le champ de la psychopathologie, de nombreuses études s’intéressent aux complications psy-
Mots clés :
chiatriques observées dans l’épilepsie partielle pharmaco-résistante temporale. Nous rapportons
Émotion
l’observation de NG qui présenta un changement émotionnel après une chirurgie temporale droite
Implicite
avec survenue de phobies et modification de son empathie. Son observation dans deux tâches de
Explicite
jugement émotionnel, l’une explicite et l’autre implicite, objectiva un comportement particulier
Épilepsie partielle résistante
pour les stimuli négatifs : attirance dans la condition explicite et dépendance dans la condition
Chirurgie du lobe temporal
implicite. Ceci suggère que l’on peut observer des troubles psychiatriques chez des patients en
post-opératoire et qu’il convient de les rechercher davantage et de les analyser avec une démarche
Keywords: neuropsychologique.
Emotion
© 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Implicit
Explicit
Refractory epilepsy ABSTRACT
Temporal lobe surgery In psychopathology, few studies have been focused on the psychiatric complications of medically
refractory mesial temporal lobe epilepsy (MTLE). The aim of the present study was to study NG’s
capacities, who presented emotional change after right temporal epilepsy surgery with phobias and
empathy disorders. NG was examined in two emotional judgment tasks: one explicit and another
implicit. For negative stimuli, NG had attraction in the explicit task and dependency in the implicit
task. This study suggests that surgical intervention might be one of the causes of postoperative psy-
chiatric disorders in patients with MTLE. MTLE patients have to be explored with neuropsychological
paradigms.

© 2008. Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : catherine.thomas@chu-st-etienne.fr (C. Thomas-Antérion).

doi :
Revue Neu rologique 164 (2008) S128 - S133 S129

tériser avec les outils psychiatriques dont l’on dispose. De plus, chez
1. Introduction un même patient, on peut observer des troubles du comportement
(émotion, humeur, affectivité, motivation…) sous-tendus par une lésion
La psychopathologie cognitive se propose d’étudier les dysfonctionne- spécifique ou liés à un état psychologique en réaction à la maladie
ments cognitifs associés aux troubles psychiatriques. Elle repose sur le (voire indépendant). Un domaine illustratif de ces difficultés est celui
double apport de la neuropsychologie cognitive et des neurosciences de l’épilepsie, notamment les difficultés observées chez des patients
(ou si l’on est plus réducteur de la neurobiologie). En faisant partie des présentant une épilepsie pharmaco-résistante. Un certain nombre
neurosciences cognitives, elle peut de plus participer à comprendre le d’études ont souligné que les patients épileptiques -contrairement
fonctionnement cognitif normal. Depuis quelques années, on observe aux idées reçues- n’ont pas davantage de troubles psychiatriques que
une littérature abondante concernant les troubles cognitifs des mala- d’autres sujets souffrant de pathologies chroniques. Les troubles sont
dies psychiatriques et ce particulièrement dans l’anxiété (McNally, alors considérés comme le reflet des difficultés psychosociales indui-
1995 ; Thomas-Antérion et al., 2000), la dépression (Danion et al., tes par la maladie (Swinkels et al., 2005). La controverse demeure
1991 ; Mogg et al., 1995), les troubles bipolaires (Cadet et al., 2005), concernant les épilepsies temporales, l’implication de la région
les Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC) (Bouvard et al., 1997 ; Van limbique dans les crises pouvant expliquer chez certains patients, la
der Linden, 2000 ; Thomas-Antérion et al., 2002) ou la schizophrénie psychopathologie. La prévalence de la comorbidité psychiatrique au
(Frith, 1987 ; Sarfati et al., 1997 ; Danion et al., 1998, 1999). Il faut sein de la population souffrant d’une épilepsie pharmaco-résistante
dans ces domaines néanmoins rester très prudent dans l’interprétation serait effectivement importante (Vercueil, 2005). La prévalence de
des difficultés observées. Le manque de modèles théoriques dans le la comorbidité psychiatrique associée à l’épilepsie est évaluée entre
champ de la psychiatrie est notable. Le fait qu’un trouble cognitif soit 19 % et 62 % pour les troubles classés selon l’axe I du DSM, et avec des
observé dans une maladie mentale peut relever seulement de la modifi- chiffres plus élevés pour les Epilepsies Pharmaco-Résistantes (EPPR)
cation de paramètres généraux ou ceux-ci peuvent au moins participer (De Toffol, 2003). Il reste encore à étudier si une psychopathologie plus
à leur survenue. De la même façon, les modèles issus des analyses spécifique peut être liée à la maladie épileptique. Une des limites des
sous-tendant les techniques de revalidation cognitive, appliquées aux études reste l’utilisation d’outils (en particulier les critères des DSM)
pathologies psychiatriques, demandent encore à être évalués. Enfin, développés dans des populations très différentes. La logique demeure,
une certaine naïveté conduit certains cliniciens peu au fait des tests comme Hermann et Whitman (1984) le proposaient, d’individualiser
neuropsychologiques à penser que ceux-ci permettent de faire la trois dimensions à ces symptômes : les facteurs cérébraux, les facteurs
part entre des « étiologies fonctionnelles » et « organiques » ce qui non cérébraux (maladie chronique, environnement socio-économique,
n’est pas le cas, notamment concernant les pathologies psychotiques le type d’épilepsie, l’âge de début, la personnalité pré-morbide …) et
(Danion et Marczewski, 2000). Ceci nécessite un échange de savoir les traitements.
entre spécialistes et le développement de collaborations encore trop L’idée de la « personnalité temporale » reste une conception
peu nombreuses. D’autre part, de la même manière qu’une psychothé- historique et épistémologique, en absence d’études réactualisées (De
rapie ne doit être pratiquée qu’après une solide formation, l’évaluation Toffol, 2005). Il convient de rappeler que l’épilepsie a été décrite la
psychopathologique (y compris le développement de nouveaux outils) première fois comme une manifestation neurologique, libérée de son
doit l’être. Cette démarche est au centre d’une réflexion qui néces- statut de maladie sacrée ou de tare par H. Jackson en 1873 : « epilepsy
site d’une part, un savoir clinique avisé, et d’autre part de bonnes is the name given for occasional, sudden, excessive, rapid and local
connaissances d’anatomie, de biologie et des modèles cognitifs. On discharges of gray matter ». Si l’on applique les critères du DSM ou
peut espérer qu’elle mette fin à des combats d’arrière garde (science si l’on réalise des échelles de dépression, les symptômes dépressifs
clinique contre science biologique) et permette dans les années à venir, concerneraient 30 % des épileptiques et avoisineraient les 50 à 60 %
aux psychiatres, psychologues, neuropsychologues et neurologues dans les EPPR (Kanner, 2003 ; Ettinger et al., 2004). La présence
d’échanger davantage. Danion et Marczewski (2000) résument parfai- d’une sclérose hippocampique sur l’IRM et la latéralisation du foyer
tement l’enjeu : « le développement de la psychopathologie cognitive temporal épileptique gauche seraient des facteurs de risque (Dulay et
découle de la prise de conscience des limites conceptuelles et métho- al., 2004). Les troubles psychiatriques les plus sévères seraient notés
dologiques de la démarche psychiatrique traditionnelle. Les signes et dans les crises temporales droites, à la fois avant et après une chirurgie
les symptômes psychiatriques sont par nature comportementaux. Ils temporale (Glosser et al., 2000). Par ordre de fréquence décroissant, il
sont la résultante de nombreux facteurs, qui peuvent être biologiques, est rapporté au sein des EPPR des troubles de l’humeur (40 % à 60 % des
psychologiques, sociaux et/ou culturels. Ces facteurs déterminent la patients), des troubles anxieux (20 à 30 %), une plus grande fréquence
symptomatologie clinique dans des proportions qui varient d’un patient des tentatives de suicide (risque multiplié par 5 à 25) et des troubles
à l’autre. De plus, ils interagissent entre eux de différentes façons. psychotiques (5 à 10 %) (De Toffol, 2001, 2005). On distingue clinique-
En conséquence, des signes et des symptômes cliniques en apparence ment les troubles mentaux reliés chronologiquement à la survenue des
semblables peuvent s’expliquer par des mécanismes différents et crises d’épilepsie et les troubles mentaux intercritiques.
un même mécanisme peut engendrer des signes et des symptômes Les troubles psychiatriques observés après une chirurgie temporale
différents ». Toutefois, cette science assez nouvelle connaît un certain ne seraient pas rares. Dans l’étude de Glosser et al., (2000), les auteurs
nombre de limites. La démarche de la neuropsychologie cognitive qui observaient 31 % de troubles nouveaux au décours de chirurgie tempo-
s’applique aux pathologies neurologiques est difficile à appliquer telle rale antérieure, et ce la plupart du temps dans les 6 mois suivants celle-
quelle dans les pathologies psychiatriques. ci. Ces chiffres doivent être nuancés par le fait que 15 % des troubles
Dans cette démarche psychopathologique, une place particulière notés en pré-opératoire s’amendaient dans le même temps. Un certain
doit être faite aux maladies neurologiques (accident vasculaire céré- nombre de problèmes rendent difficile cette expertise. Les difficultés
bral, tumeur cérébrale, épilepsie …) qui entraînent très souvent des post-opératoires doivent s’étudier à la lumière des difficultés initiales.
troubles « psychiatriques ». Ces troubles sont très difficiles à carac- Le temps de l’évaluation doit être assez proche de la chirurgie (dans
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les 6 mois). Le recueil du trouble doit s’appuyer sur la plainte du sujet régressa en 15 jours et une quadranopsie latéro-homonyme droite
mais également sur des questionnaires standardisés (pas forcément durable. Les plaintes cognitives étaient discrètes : NG signalait
adaptés à l’épilepsie) et sur l’entretien avec les proches. ne pas toujours comprendre les phrases longues et avoir oublié
Récemment, Cankurktaran et al. (2005) ont rapporté dans l’étude certains savoirs scolaires (arithmétique). Un bilan orthophonique
d’un groupe de 22 patients temporaux opérés, l’observation de troubles réalisé en 2000 était sans particularité. Le bilan neuropsycholo-
psychiques chez seulement 6 sujets (27,3 %) avant et trois mois après gique réalisé en 2000 était remarquablement normal (Tableau 1)
la chirurgie. Le point à souligner est que 5 des sujets, présentant des et est resté inchangé en 2003 et 2005. Les performances étaient
troubles avant la chirurgie, allaient mieux ce qui rejoint les données de homogènes en termes de QI verbal et performance ; seuls les
Rancurel et al. (2002). Toutefois 5 sujets avaient développé des troubles scores en arithmétique et pour les cubes étaient faibles. Les fonc-
nouveaux, un seul présentait encore un syndrome dépressif à 6 mois. tions exécutives évaluées avec les épreuves des Trail Making et le
Compte-tenu de la complexité du problème et du nombre de fac- test des commissions étaient dans la norme. Seules deux épreuves
teurs intriqués, le recueil d’observations uniques est nécessaire. Nous mnésiques montraient des performances inférieures à la norme :
rapportons ainsi l’observation de la patiente NG ayant développé des rappel de liste et reconnaissance de phrases (batterie d’efficience
troubles psychiques au décours immédiat d’une chirurgie temporale mnésique 84). D’autre part, NG évoqua dès les suites immédiates
droite, qui persistent 8 ans après celle-ci. Cette patiente a une plainte de la chirurgie quatre types de modifications comportementales
difficile à classifier avec les outils psychiatriques disponibles. Elle a et émotionnelles. Elle constata d’abord une « utilisation diffé-
pu bénéficier d’une évaluation neuropsychologique originale afin de rente » de sa main gauche qui saisissait de façon préférentielle
mieux comprendre ses difficultés. les objets. Ce phénomène transitoire disparut en quelques mois.
Elle rapporta ensuite un sentiment très désagréable de « son
prolongé » dans l’oreille droite (par exemple, lors de l’audition
2. Observation de troubles psychiatriques après de la sirène des pompiers) et surtout décrivit une phonophobie.
une chirurgie d’épilepsie temporale droite En effet, elle ne supportait plus certains cris stridents ou les cris
d’enfants au point de ressentir des phobies d’impulsion envers
La patiente NG, née en 1975, droitière, titulaire d’un BEP de eux avec le sentiment de pouvoir devenir violente (ce qui ne fut
secrétariat, mariée et mère d’un enfant présenta une épilepsie à jamais le cas) ou de mettre en place des images mentales pour se
l’âge de 2 ans qui devint pharmaco-résistante à l’âge de 13 ans sur calmer (frapper ou étrangler les enfants !). Ainsi, plusieurs fois,
le mode de crises partielles complexes associant
fixité du regard, pâleur, automatismes verbaux ou
de déglutition et immobilité statuaire. Deux IRM Tableau 1 – Bilan neuropsychologique de NG post-opératoire
réalisées en 1992 et 1996 objectivèrent une image NG neuropsychological performances after right temporal surgery
localisée dans le pôle temporal droit. La patiente
Tests Scores Tests Scores
présenta une épilepsie rebelle (1 à 6 crises par
jour) malgré une quadrithérapie. Un bilan pré- QI (Wais-R) 92 Reconnaissance dif phrases* 6/12
chirurgical débuta en 1997. L’EEG couplé à la
QIV et QIP 93 et 93 BEM 94 (visuel)
vidéo montra lors de plusieurs crises, un point de
départ temporal droit. L’examen par tomographie Information 8/19 Rappel immédiat figure 11/12
par émission de positons objectiva un hypométa-
Mémoire des chiffres 11/19 Rappel différé figure 11/12
bolisme temporo-polaire et temporal antérieur
externe droit ainsi qu’une discrète hypercaptation Vocabulaire 9/19 Reconnaissance dif figures 10/12
de la méthionine au niveau de ces structures. Un
Arithmétique 4/19 RL/RI-16 items
test de Wada fut réalisé en 1998 et confirma que
le langage était strictement latéralisé à gauche. Compréhension 11/19 Rappel immédiat 16/16
En outre, les structures impliquées dans le support Similitudes 12/19 Somme des 3 rappels libres 36/48
des fonctions mnésiques apparaissaient préservées
dans l’hémisphère gauche alors qu’elles semblaient Complètement d’images 11/19 Rappel total 46/48

très altérées dans l’hémisphère droit. L’explora- Arrangement d’images 9/19 Rappel libre différé 15/16
tion stéréo-électro-encéphalographique confirma
Cubes 6/19 Rappel total différé 16/16
le rôle générateur de la région temporale basale
avec une propagation très rapide au sein d’un vaste Assemblage d’objets 9/19 Reconnaissance 16/16
réseau néo-cortical impliquant l’ensemble du pôle
Code 9/19 Empan verbal direct 6
temporal et la face inféro-externe du lobe tempo-
ral droit. La patiente subit une chirurgie en juin BEM 94 (verbal) Empan verbal indirect 5
1999 par amygdalo-hippocampectomie sub-totale Rappel immédiat histoire 9/12 Empan visuel 7
droite avec exérèse partielle en zone temporale
droite. L’examen anatomo-pathologique objectiva Rappel différé histoire 9,5/12 TMT A 35 s

des lésions de dysplasie. Les suites neurochirurgi- Apprentissage liste mots 11/12 TMT B 71 s
cales furent simples et la patiente ne reçut rapi-
Rappel différé de la liste 6/12 Test des commissions 19/20
dement qu’une bithérapie. La patiente présenta
une monoparésie du membre supérieur gauche qui *Les tests en italiques sont les tests où NG a des résultats en dessous de la norme attendue.
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elle débrancha des outils (perceuse…) sur des chantiers dans les Le facteur de composante sociale des stimuli était également
lieux où elle effectuait des stages, se rendant compte de son contrôlé. Le matériel était le même dans les deux tâches.
comportement « bizarre » mais ne pouvant s’en empêcher tant Dans la première tâche, il s’agit de juger explicitement, le
l’agression sonore était alors pénible. Troisièmement, elle déve- plus rapidement et justement possible si les photographies sont
loppa une agoraphobie la gênant considérablement pour laquelle agréables ou désagréables.
elle fut prise en rééducation et suivit des séances de sophrologie Dans la deuxième tâche (réalisée 6 mois après la première), il
et de relaxation. Le bilan ORL réalisé en 2002 était normal. Un s’agit de juger, le plus rapidement et justement possible si les bordu-
inhibiteur de la recapture de la sérotonine fut prescrit dès 2002 res supérieures et inférieures sont identiques : les mots « même » et
et améliora ses symptômes sans les faire disparaître. Enfin, elle « différent » ont remplacé les mots « agréable » et désagréable ».
décrivit une exacerbation de sa perception émotionnelle, parti- Nous présentons les performances de NG et celles des contrôles,
culièrement pour les émotions négatives (film, personne croisée sur les figures 1 et 2.
dans la rue) au point de percevoir auprès d’une personne en Deux types d’analyse de la variance ont été effectués. D’une
colère, une sensation physique désagréable « œsophagienne » et part, une analyse de groupe a été réalisée pour le groupe des
auprès d’une personne triste une sensation « de vrille au niveau sujets contrôles, prenant en compte les temps de réponse et le
du cœur ». Ces phénomènes restent inchangés en 2007. Depuis nombre de bonnes réponses. D’autre part, une analyse par item a
2005, elle présente en plus des douleurs chroniques qui évoquent été effectuée pour NG.
le diagnostic de fibromyalgie. NG depuis la chirurgie s’est mariée, Dans la première expérience, les sujets contrôles répondaient
a eu un enfant et a été prise en charge dans la filière UEROS. Elle significativement plus lentement aux stimuli négatifs (981 ms
a effectué des stages sans trouble comportemental ou cognitif, la versus 852 ms) (F (1,11) = 19,6 ; p < 0,001) et commettaient plus
fatigue étant parfois par contre une limite à ses activités. Elle est d’erreurs pour ceux-ci (14,2 % versus 5,6 %) (F (1,11) = 10,7 ;
actuellement en recherche d’emploi. p < 0,01), ce qui est un effet attendu et classique. NG a fait
NG a réalisé en 2004, deux tâches évaluant le traitement globalement très peu d’erreurs (5,4 %) qui ne se distinguaient pas
de stimuli émotionnels dans une condition explicite et dans une selon la valence des stimuli et l’on observait un effet de pola-
condition implicite. Les performances de NG ont été comparées rité « inversé » : NG répondait significativement plus vite pour
à celles de 12 jeunes hommes sains, âgés en moyenne de 40 (± 9, les stimuli négatifs que pour les positifs (807 ms versus 957 ms)
3 ans) ans et ayant bénéficié en moyenne de 9,9 (± 2,2) années (F (1,119) =8,1 ; p < 0,006).
d’études. Le groupe de témoins a été réalisé en privilégiant un Dans la deuxième expérience, les sujets contrôles répondaient
nombre suffisant de sujets âgés de 28 à 50 ans ayant le même plus lentement pour les bordures différentes (1168 ms versus
niveau d’étude que NG. Par contre, il n’a pas été possible de 1091 ms). Ils faisaient plus d’erreurs pour les stimuli positifs (5,1 %)
recruter dans la période d’étude de jeunes femmes. Depuis des que négatifs (2,9 %) ce qui suggérait qu’ils avaient évalué les stimuli de
travaux ont été menés avec
ce matériel sans que l’on
n’observe d’influence du
1100 * p < .001
sexe sur les performances.
Le matériel utilisé consis- § p < .006

tait en des photographies posi-


1000 *
tives et négatives provenant §
de l’International Affective
Picture System (IAPS) (Lang et
Greenwald, 1993). Les stimuli 900
*
ont été choisis de sorte que
l’intensité (arousal) moyenne §
Négatifs
soit équivalente pour les 800
Positifs
stimuli négatifs et positifs et
se répartissent en 64 photo-
graphies négatives (valence 700 *
moyenne : 3,3 ± 0,59) ; inten-
sité moyenne : 5,2 ± 0,39) *

et 64 photographies posi-
600
tives (valence moyenne :
7,3 ± 0,46) ; intensité
moyenne : 4,8 ± 0,42). Sur cha-
que photographie, se trouvaient 500
une bordure inférieure et une Contrôles NG
bordure supérieure (identi- Participants
ques ou différentes), ce qui
aboutissait à 4 configurations Fig. 1 – Résultats de NG et de 12 sujets contrôles dans la tâche de jugement émotionnel explicite
possibles (deux émotions et des images.
deux orientations de bordures). NG’s and 12 control subjects’ results in explicit emotional judgment task.
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façon implicite (F (1,11) =8,6 ;


p < 0,02), mais ne répondaient 3000

pas plus vite selon la valence ° p < .0001


émotionnelle des images. NG °
faisait globalement très peu
2500
d’erreurs (1,6 %). NG réalisait
par contre un traitement
implicite notable de la valence
émotionnelle des images, au 2000
point qu’elle répondait plus °
Négatifs
lentement lorsque les stimuli
Positifs
étaient négatifs (2563 ms ver-
sus 1836 ms) (F (1,110) =41,8 ; 1500

p < 0,0001).
Ainsi NG – dont la plainte
était une hyperréactivité à
1000
la souffrance d’autrui – ré-
pondait dans cette tâche,
plus rapidement aux stimuli
négatifs qu’aux stimuli posi- 500
tifs lorsque l’évaluation était Contrôles NG
explicite et plus lentement Participants
aux stimuli négatifs qu’aux
stimuli positifs lorsque l’éva-
luation était implicite. Fig. 2 – Résultats de NG et de 12 sujets contrôles dans la tâche de jugement implicite des images.
Ce profil de réponse qui NG’s and 12 control subjects’ results in implicit emotional judgment task.
se distingue de celui des
témoins suggère que NG a un traitement des émotions différent. améliorés par la prise d’IRS). Il n’y a jamais eu d’élément dépressif.
Ceci suggère en outre que la modification concerne le traitement Les éléments douloureux qui se sont développés plus tard (en 2005)
émotionnel explicite et implicite des émotions. La dissociation font discuter actuellement la survenue d’une fibromyalgie.
« intra-patient » observée laisse penser également que ce n’est pas Des tableaux d’anxiété ou de troubles somatoformes en parti-
le même ensemble de sous-systèmes émotionnels qui est engagé culier avec somatisation ont pu être décrits dans l’EPPR (Beyenburg
dans l’évaluation implicite et explicite des stimuli émotionnels, ce et al., 2005 ; De Toffol, 2005 ; Vercueil, 2005) sans que l’on puisse
que d’autres données de la littérature étayent. Il est difficile de formellement faire une relation de cause à effet.
faire davantage de conclusion d’ordre anatomo-fonctionnel dans Dans ce cas singulier, il faut remarquer que NG développe ses
le cadre d’une lésion chirurgicale et avec les données dont nous troubles après une chirurgie large dans la région temporale droite
disposons à ce jour, hormis que la lésion est étendue et implique concernant également l’amygdale. Les structures cérébrales
l’hémisphère droit. impliquées dans les émotions forment un réseau hautement inter-
connecté. L’amygdale est ainsi connectée aux cortex préfrontal,
cingulaire, temporal et occipital ainsi qu’à l’hypothalamus et à
3. Discussion d’autres structures sous-corticales. Un certain nombre de données
plaident pour souligner l’implication de l’amygdale dans l’apprentis-
Nous rapportons un cas de changement comportemental après une sage émotionnel implicite (Morris et al., 1996). Dans le cas de NG,
chirurgie temporale droite suite à une EPPR. Il faut noter que NG n’a cette région pourrait ne plus être réprimée ou fonctionnerait pour
pas de troubles cognitifs notables dans le bilan neuropychologique post son propre compte. Evidemment, le fait d’être opérée et d’avoir un
opératoire comme il est classique chez les temporaux droits (Rancurel changement de son statut épileptique – y compris une amélioration
et al., 2002 ; Samson, 2006). Le trouble psychique, comme il est déjà peut modifier des équilibres psycho-sociaux et s’accompagner par
rapporté, est survenu tôt après la chirurgie (dès trois mois) (Glosser exemple de changement des bénéfices secondaires- doit être pris
et al., 2000 ; Cankurtaran et al., 2005) et nous pouvons attester qu’il en compte.
est identique – même si la patiente a été améliorée par la prise en L’élément le plus étonnant est sans doute l’analyse que NG fait
charge spécifique : prise d’un IRS, psychothérapie, sophrologie et de son changement de personnalité (il faut ajouter que cette des-
relaxation – après 8 ans de suivi régulier. cription n’a pas varié depuis 8 ans) avec une empathie « nouvelle »
NG n’avait pas de troubles psychiques particuliers avant la chirur- devant des personnes exprimant une émotion négative. Les sensa-
gie : elle vivait en famille, avait suivi une scolarité régulière, puis tions physiques décrites ne sont pas sans évoquer l’idée des mar-
obtenu un BEP et était efficace dans son travail. Elle était motivée par queurs somatiques de Damasio (1998). Les données de l’évaluation
la chirurgie qu’elle ne redoutait pas particulièrement. neuropsychologique, si elles ne peuvent encore donner d’explication
La patiente présenta dans les suites immédiates un tableau anxieux claire à ce tableau psychopathologique, apportent un éclairage nou-
avec phobies : phonophobie et agoraphobie, sans phobie sociale et veau à la clinique de la patiente. Elles démontrent que la patiente,
des attaques de panique ou phobies d’impulsion (phénomènes bien explicitement répond de façon « anormalement » rapide aux stimuli
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négatifs par rapport à des sujets contrôles, qu’elle conserve un University Press. New York.
traitement implicite de la polarité émotionnelle et que dans cette De Toffol, B. (2001). Psychose et Epilepsie. John Libbey Eurotext. Pa-
condition, les stimuli négatifs freinent ses réponses. Il peut s’agir -au ris.
regard des données en situation explicite- d’une attirance particu- De Toffol, B. (2003). Psychoses épileptiques. Rev Neurol, 159 : 216-
lière pour ceux-ci qui modifient alors l’ensemble du fonctionnement 217.
cognitif en le ralentissant. En tout cas, la plainte de NG doit être De Toffol, B. (2005). Les troubles psychiatriques dans les épilepsies par-
tielles pharmacorésistantes. Epilepsies, 17, 17-23.
entendue, et reconnue pour ne pas être noyée dans un diagnostic
Dulay, M. F., Schefft, B. K., Fargo, J. D., Privitera, M. D., Yeh, H. S.
trop rapide et peu opérationnel de « troubles fonctionnels ».
(2004). Severity of depressive symptoms, hippocampal sclerosis,
Depuis l’émergence des sciences cognitives, les cognitivistes
auditory memory, and side of seizure focus in temporal lobe epi-
ont très largement exclu les émotions de leur thématique de
lepsy. Epilepsy Behav, 5, 522-531.
recherche. Deux explications peuvent être proposées pour expli-
Ettinger, A., Reed, M., Cramer, J. (2004). The Epilepsy Impact Project
quer ce désintérêt. Tout d’abord, les émotions ont été considérées
Group. Depression and co-morbidity in community-based pa-
comme étant trop complexes. Ensuite ce désintérêt s’est inscrit tients with epilepsy or asthma. Neurology, 63, 1008-1014.
dans une démarche dominante cartésienne qui vise à exclure les Frith, C. D. (1987). The positive and negative symptoms of schizophre-
émotions du champ de la pensée. Les deux révolutions qu’ont été nia reflect impairments in the perception and initiation of action.
le développement des techniques d’imagerie cérébrale et l’émer- Psychol Med, 17, 631-648.
gence de l’informatique affective ont permis depuis une quinzaine Glosser, G., Zwil, A. S., Glosser, D. S., O’Connor, M. J., Sperling, M. R.
d’années le développement d’études en cognition sociale et ce (2000). Psychiatric aspects of temporal lobe epilepsy before and
aussi bien dans le domaine des neurosciences cognitives que dans after anterior temporal lobectomy. J Neurol Neurosurg Psychia-
celui de l’intelligence artificielle. Ainsi un champ entier nouveau try, 68, 53-58.
s’est ouvert : celui de la psychopathologie que naturellement les Hermann, B. P., Whitman, S. (1984). Behavioral and personality corre-
neuropsychologues investissent et vont investir de plus en plus dans lates of epilepsy: a review, methodological critique, and concep-
les années à venir. tual model. Psychol Bull, 95, 451-497.
Kanner, A. M. (2003). Depression in epilepsy: prevalence, clinical semi-
Remerciements : Mme Noëlle Foyatier-Michel (Saint-Étienne), ology, pathogenic mechanisms, and treatment. Biol Psych, 54,
Mme Françoise Grangette-Vincent, Pr David Sander (Genève), 388-398.
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