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Rééducation Cognitive D'une Dysgraphie
Rééducation Cognitive D'une Dysgraphie
De Partz Marie-Pierre. Rééducation cognitive d'une dysgraphie (acquise) par une technique d'imagerie mentale. In: Langue
française, n°95, 1992. L'orthographe: perspectives linguistiques et psycholinguistiques. pp. 99-114;
doi : 10.3406/lfr.1992.5774
http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1992_num_95_1_5774
RÉÉDUCATION COGNITIVE
D'UNE DYSGRAPHIE ACQUISE
PAR UNE TECHNIQUE D'IMAGERIE MENTALE
Introduction
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representation spécifiant la séquence des lettres qui forme un mot ; ces
processus sont communs aux diverses modalités de production de langage
écrit. Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons à ces processus ;
l'écriture (handwriting) recouvre les processus impliqués dans la traduction
de cette représentation en geste graphique (Black, S.E., Behrmann, M., Bass,
К., & Hacker, P., 1989 ; Patterson, К., & Wing, A.M., 1989).
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écrire des non-mots. À la différence de ceux-là toutefois, ils éprouvent
certaines difficultés à produire des mots. Cette difficulté est plus marquée sur
les mots fonctionnels et sur les verbes que sur les substantifs (effet de la classe
syntaxique) ainsi que sur les mots abstraits par rapport aux mots concrets
(effet de concrétude). Ces patients produisent également des paragraphies
sémantiques (ex. : le mot « comédie » peut être orthographié THÉÂTRE).
La plupart des modèles séquentiels classiques rendent compte de ces
capacités et de ces déficits par l'existence d'une double procédure d'écriture.
Ces deux voies possèdent des caractéristiques spécifiques et correspondent à
deux types de production de réponses écrites : dans un cas, on parle
d'orthographe par adressage encore appelée la voie lexicale d'écriture, dans
l'autre, d'orthographe par assemblage ou voie phonologique (figure 1 p. 102).
Dans l'orthographe par adressage, le traitement effectué sur la forme
sonore d'un mot connu va entraîner l'activation d'une représentation
phonologique du mot dans un lexique auditif d'entrée, puis de sa, ou de ses,
signification(s) au niveau du système sémantique. Ce composant est conçu,
selon les théories, comme étant soit commun aux diverses modalités d'entrée
et de sortie, soit spécifique à chaque modalité. C'est au niveau du lexique
orthographique de sortie que sera activée la représentation orthographique
du mot, en d'autres termes la séquence des graphèmes qui le compose. Cette
représentation sera ensuite stockée temporairement dans un buffer graphé-
mique dont la fonction est de garder une trace de cette représentation
pendant le traitement des composants périphériques. Comme on le constatera
sur la figure 1, il existe, en plus de la procédure d'adressage principale,
plusieurs procédures complémentaires. Deux d'entre elles contournent le
système sémantique. Il s'agit de deux propositions alternatives dont le but
est de rendre compte du fait que le sujet normal produit parfois des erreurs
homophoniques (ex. : « pin » -»• PAIN). Pour Morton (1980), ces erreurs
seraient consécutives à une activation des représentations contenues dans le
lexique orthographique, sans médiation sémantique. Enfin, une procédure
supplémentaire a été suggérée : certains mots nous sont familiers sur le plan
phonologique et sémantique, alors que leur forme orthographique fait défaut.
Ces mots seraient donc transcrits par la procédure d'assemblage, via un
lexique phonologique de sortie.
Dans l'orthographe par assemblage, le mot dicté est tout d'abord
maintenu dans un buffer phonologique. Après la mise en œuvre d'un
mécanisme de segmentation, chaque phonème sera traduit en unité graphé-
mique par un processus de conversion phonème-graphème. Ce processus
fonctionnerait de manière probabiliste et prendrait en considération les
unités adjacentes. Les graphèmes résultant de cette opération aboutiraient
dans le buffer graphémique commun aux deux procédures et considéré
comme le premier composant périphérique. Dans cette mémoire de travail, la
101
ENTREE AUDITIVE
Lexique auditif
d'entrée
Système
sémantique
LeKique LeKique
phonologique orthographique
de sortie de sortie
Conuersion
seg.phono.
/seg.ortho.
ECRITURE
Figure 1
Adaptation du modèle d'orthographe proposé par Patterson et Shewell (1987).
102
« glissements de plumes » produits par des sujets normaux sont plus
fréquemment observés dans les positions médianes que dans les positions
initiales et finales des mots, où le nombre de graphèmes voisins est inférieur.
Au-delà du buffer graphémique, les processus impliqués dans les diverses
modalités de production (écriture, épellation orale, frappe à la machine à
écrire, etc.) se différencient. À ce jour, seule l'écriture a fait l'objet de modèles
explicites. Étant donné la nature plus centrale des déficits présentés par notre
patient, nous n'évoquerons pas les autres composantes de traitement
périphériques (voir Ellis, 1988).
Sur le plan de la rééducation et selon leur état de développement, ces
modèles peuvent intervenir pour guider l'évaluation de plus en plus précise
des procédures de traitement altérées et de celles qui restent intactes ou à
tout le moins, partiellement opérationnelles. Ils peuvent ensuite aider le
thérapeute à définir ce sur quoi peut porter la rééducation : plutôt que de
traiter les habiletés cognitives au sens large, la rééducation peut être orientée
directement vers les composantes spécifiques de traitement que l'évaluation
a identifiées comme déficitaires.
À la suite de Hatfield (1982) et Behrmann (1987), nous avons mis au
point une stratégie de rééducation pour un patient dysgraphique de surface
(de Partz, Seron et Van der Linden (à paraître)).
103
La procédure d'adressage était perturbée dans les différentes tâches
d'écriture, à savoir l'écriture spontanée, l'écriture sous dictée, l'épellation
orale et la copie différée. Les performances du patient étaient influencées par
la régularité orthographique : à l'épreuve de Beauvois et Derouesné (1981),
les réponses erronées respectaient dans 93 % des cas la phonologie du
mot-cible (ex. : « femme » était orthographié FAME ; « toast », TAUST ;
« second », SEGOND, ...). Étant donné la constance des erreurs d'une
présentation à l'autre, nous concluions à la perte des représentations
orthographiques situées dans le lexique orthographique de sortie plutôt qu'à un déficit
d'accès à ces représentations par ailleurs intactes (selon les critères de
Shallice, 1988). De plus, des erreurs fréquentes étaient relevées dans
l'orthographe des mots homophones, le patient les écrivait tantôt phonétiquement,
tantôt les remplaçait par un autre mot homophone (ex. : « plant » était
orthographié PLENT, « hôtel », AUTEL, ...). Ce dernier type d'erreur est
caractéristique d'une procédure d'écriture par laquelle le patient convertit
l'information phonologique en une information orthographique sans pour
autant être capable de retrouver l'information sémantique nécessaire à lever
l'ambiguïté sémantique entre les deux homophones.
À l'instar de la procédure d'assemblage en écriture, la procédure
d'assemblage en lecture était relativement bien préservée : le patient lisait
quasi correctement les lettres, les non-mots et les mots réguliers. Seules
quelques erreurs phonologiques étaient relevées (ex. : ABRI pouvait être lu
« abru »).
Quant à la procédure d'adressage en lecture, nous ne relevions plus à ce
stade d'effet significatif de la régularité orthographique. Toutefois, les erreurs
produites correspondaient toutes à des erreurs de régularisation de
l'orthographe (ex. : POULS était lu « poule »). Comme suggéré par Patterson,
Coltheart et Marshall en 1985, des déficits situés à différents niveaux de
traitement de la procédure d'adressage peuvent expliquer de telles erreurs.
Chez L. P., nous postulions l'existence d'un déficit situé au niveau du lexique
orthographique d'entrée (où sont stockées les représentations
orthographiques propres à la reconnaissance visuelle) d'une part et au niveau du système
sémantique (où sont stockées les significations) d'autre part. Deux
observations nous permettaient de conclure à l'existence d'un déficit localisé au
niveau du lexique orthographique d'entrée. La première était liée aux erreurs
mêmes produites par L. P. dans une tâche de décision lexicale visuelle : parmi
des items à catégoriser en mots et non-mots, le patient jugeait régulièrement
comme mots des non-mots homophones de mots de la langue (ex. : DICSIO-
NÈRE) et classait de temps à autre des mots à orthographe ambiguë ou
irrégulière parmi les non-mots (ex. : CHORALE). Ces erreurs sont
caractéristiques d'une décision réalisée sur base des conversions de segments graphé-
miques en segments phonémiques à défaut d'une activation d'une unité de
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reconnaissance orthographique. La deuxième observation provenait des
erreurs relevées à une épreuve de détection d'erreurs orthographiques dans
un texte. Le patient acceptait 30 % des erreurs. La lecture ne pouvait donc
pas servir de système d'auto-contrôle minimal de l'écriture. Signalons à ce
propos que, même si la préservation d'un lexique orthographique d'entrée ne
réalise pas en soi une condition suffisante pour garantir la correction de
l'orthographe, son utilisation adéquate pourrait permettre de détecter un
mot mal orthographié et d'initier une procédure d'auto-correction. Cette
perturbation au niveau du lexique orthographique d'entrée n'était toutefois
pas suffisante pour rendre compte de l'ensemble des erreurs produites en
lecture par L. P., notamment en compréhension écrite. En effet, il arrivait au
patient de lire correctement des mots homophones ambigus ou irréguliers
mais d'éprouver des difficultés à traiter leur signification : l'appariement de
ces mots écrits avec leurs images respectives était déficitaire. C'est pourquoi
nous pensions que, dans ces cas précis, le patient avait bien accès aux
représentations orthographiques d'entrée et que celles-ci permettaient
d'accéder directement aux représentations phonologiques de sortie sans pour
autant permettre un accès adéquat à la signification.
De cette analyse cognitive préalable, nous retenions que L.P. présentait
une importante dissociation entre les procédures d'assemblage et d'adressage
en écriture. Les effets de la régularité orthographique de même que les erreurs
de régularisation de l'orthographe laissaient supposer que le patient était
obligé de recourir aux conversions des segments phonologiques en segments
orthographiques quand il ne disposait plus de la représentation
orthographique des mots à orthographe ambiguë ou irrégulière. Signalons à cet endroit
que le patient disposait d'un excellent niveau orthographique avant la
survenue de la lésion cérébrale. Par ailleurs, rappelons- nous que nous ne
pouvions pas compter sur l'efficacité de la lecture pour permettre la détection
des erreurs orthographiques puisque le patient présentait à la fois des déficits
que nous avions situés au niveau du lexique visuel d'entrée et au niveau
sémantique lui-même.
105
3. Méthodologie de la rééducation
106
reeducation a donc consisté à associer des paires d'homophones avec leurs
représentations imagées respectives dans le but d'accéder d'abord à leur
signification correcte et de mémoriser ensuite leurs orthographes spécifiques.
Cette stratégie nous paraissait d'une part, trop limitative dans la mesure où
elle ne concernait que des homophones et d'autre part, basée à nouveau sur
la seule mémorisation verbale des spécifications orthographiques. C'est la
raison pour laquelle nous avons proposé au patient une stratégie de
réapprentissage des conventions orthographiques basée sur l'imagerie
mentale.
De nombreuses données ont été rapportées dans la littérature, indiquant
que l'imagerie peut constituer une aide mnémonique efficace pour
l'apprentissage d'un matériel verbal chez les patients amnésiques et plus
particulièrement chez les patients porteurs de lésions temporales gauches (Patten,
1972 ; Jones, 1974 ; Erlichman & Barrett, 1983). La stratégie générale utilisée
a consisté à associer à chaque mot incorrectement orthographié par L.P., un
dessin présentant un lien conceptuel direct avec la signification du mot à
écrire et s'adaptant par ailleurs à la forme des lettres constituant les
spécifications orthographiques erronées. A titre d'exemple (figure 2), voici le
dessin proposé pour renforcer la mémorisation de l'orthographe du mot
ENNEMI, incorrectement écrit par le patient AINEMI, ENEMI, ...
Figure 2
Support imagé créé pour le mot ENNEMI présentant un lien conceptuel direct avec la
signification du mot à écrire et s'adaptant à la forme des graphies erronées.
• Méthodologie de la rééducation
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nécessaires par L.P. pour la rédaction de ses rapports infirmiers. Le matériel
de contrôle était constitué de la liste de mots de Beauvois et Derouesné (1981)
administrée lors de l'analyse cognitive des déficits. Le programme de
rééducation et son contrôle ont été appliqués en 5 étapes.
108
3) Entraînement à l'auto-imagerie
Au cours de cette étape de la rééducation, nous souhaitions démontrer
que l'amélioration obtenue ne reflétait pas seulement l'effet lié à la
présentation répétée des mots entraînés mais surtout l'effet lié à l'utilisation de la
stratégie d'imagerie elle-même ; par ailleurs, si cet effet de l'imagerie était
démontré, nous souhaitions vérifier qu'il pouvait être obtenu quand L.P.
lui-même était producteur des dessins de manière à pouvoir utiliser cette
stratégie en dehors de tout encadrement thérapeutique.
La rééducation portait donc sur un nouvel ensemble de 120 mots mal
orthographiés : 30 mots n'étaient pas entraînés (liste 1) et 90 mots l'étaient.
Parmi les mots entraînés, 30 l'étaient par une stratégie verbale de
réapprentissage (liste 2) et 60 par la stratégie d'imagerie. Parmi ces 60 mots, 30 étaient
imagés par le patient (liste 3) et 30 par le thérapeute (liste 4). À chaque
séance, L.P. apprenait 6 mots au moyen de la stratégie d'imagerie
(alternativement une liste créée par lui et une liste par le thérapeute) et 3 mots
étaient entraînés par une stratégie verbale. Celle-ci consistait à dicter les mots
au patient et à lui proposer le mot à copier en cas d'erreur. La stratégie
d'imagerie fut entraînée à ce moment suivant la même procédure que celle
décrite dans l'étape précédente.
TABLEAU 1
Pourcentages de réponses correctes en phase pré- et post-thérapeutique : comparaison
de la stratégie classique et de la stratégie d'imagerie, comparaison de la production de
dessins par le patient et par le thérapeute.
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Comme présenté au tableau 1, les résultats mettent en évidence un effet
significatif de l'entraînement, si Ton compare les 72 % de réponses correctes
obtenus pour les mots entraînés comparativement aux 47 % de réponses
correctes pour les mots non entraînés. La comparaison des deux différentes
stratégies de rééducation indique la présence d'une amélioration significative
pour les seuls mots entraînés avec la stratégie d'imagerie. Les progrès obtenus
avec les mots entraînés par une technique classique ne sont pas différents de
ceux obtenus avec les mots non entraînés. Enfin, aucune différence n'est
enregistrée entre les mots imagés par le patient et les mots imagés par le
thérapeute. Ce résultat paraît particulièrement intéressant pour l'utilisation
à long terme de cette stratégie : le patient sera capable d'utiliser ses propres
dessins avec autant d'efficacité que ceux proposés par le thérapeute. Nous
avons démontré statistiquement par ailleurs (de Partz et al., à paraître) que
l'amélioration inattendue observée en réponse aux 30 mots non entraînés
(47 % en phase post-thérapeutique contre 0 % en phase pré-thérapeutique)
pouvait être due pour une large part à l'inconstance des productions du
patient d'une passation à l'autre et ne pouvait par conséquent être considérée
comme l'effet de la récupération spontanée. Si cette inconstance peut
partiellement expliquer l'amélioration, nous ne pouvons toutefois exclure
tout effet de contamination de la stratégie visuelle d'imagerie sur les mots
non entraînés. Rappelons qu'il s'agissait de mots fréquents et qu'à ce titre il
n'est pas impossible que L.P. ait été amené à les utiliser dans la vie
quotidienne. Dans le même temps, les résultats obtenus à la liste contrôle de
Beauvois et Derouesné restaient inchangés.
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TABLEAU 2
Vérification de la validité à long terme de la stratégie d'imagerie : pourcentages de
réponses correctes obtenus à la fin de la rééducation et 6 mois après son interruption.
LISTE DE CONTRÔLE
Beauvois & Derouesné 61% 62,5 %
(N = 51)
Conclusions
111
1990, Seron et al., à paraître). En effet, il est important de noter que si les
modèles théoriques permettent une meilleure compréhension des déficits, ils
ne génèrent pas une théorie de la rééducation ; ils ne prédisent donc pas la
nature de la stratégie à utiliser pour remédier à tel ou tel désordre cognitif pas
plus que les modalités d'application d'une stratégie particulière.
Reconnaissons cependant qu'ils guident et contraignent la sélection d'une stratégie
particulière.
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