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Entretiens
d’Orthophonie
Apprentissages implicites dans
2009 l’acquisition de l’orthographe
J. Danjon*, S. Pacton*
* préciser fonction et adresse
Université de Versailles
St-Quentin, Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris,
Service des Urgences
Médico-chirurgicales,
L’absence d’erreurs telles que “GANDY“ ou tion du doublement du “d“, rarement doublé
“GANDI“ indique que les sujets savaient que en Français, au “m“, fréquemment doublé en
l’orthographe GANDHI comportait un “h“ Français.
mais ne savaient pas où le placer. L’erreur Les adultes de l’expérience de Fayol et al.
“GHANDI“ serait particulièrement fréquente (2008) orthographiaient la plupart des
parce que cette orthographe est beaucoup pseudo-mots en conformité avec le modèle
plus congruente avec les régularités grapho- présenté. Leurs performances étaient aussi
tactiques de l’anglais que des orthographes in- bonnes pour les items comportant des dou-
correctes comme “GANHDI“, “GANDIH“ et blets fréquents que pour ceux n’en contenant
que l’orthographe correcte “GANDHI“ (gh est pas, indiquant que l’information relative à
beaucoup plus fréquent que dh ou ih). l’identité et à la position des doublets était la
Dans la première section de cet article, nous plupart du temps mémorisée. Conformément
avons vu que certains auteurs ont évoqué une aux hypothèses, lorsque des erreurs surve-
possible influence des connaissances grapho- naient, c’était le plus souvent avec les items
tactiques lors de l’apprentissage de l’ortho- comportant des doublets rares qui étaient
graphe de nouveaux mots dans des situations souvent orthographiés avec des doublets fré-
de self-teaching (Castles & Nation, 2006) pour quents. Les performances moyennes des CM2
expliquer que la relation générale entre le étaient plus faibles, avec seulement 64% des
décodage phonologique et l’apprentissage enfants produisant les pseudo-mots en
orthographique dans ces situations ne se conformité avec le modèle présenté, mais le
maintenait pas lorsque des analyses item par patron des erreurs était le même que chez les
item étaient conduites (Nation et al., 2007). adultes.
Cette possibilité a été investiguée par Fayol, D’autres études suggèrent que la sensibilité
Lété et Pacton (2008) en étudiant l’impact de des sujets aux régularités graphotactiques in-
la sensibilité des sujets (adultes et CM2) à la fluence les performances d’élèves de primaire
fréquence de doublement des lettres sur l’ap- et d’adultes, même lorsqu’il est possible de re-
prentissage de l’orthographe de pseudo-mots courir à des règles phono-graphologiques ou
contenant des doubles lettres dans une situa- morphologiques. Nous avons vu (section 2)
tion de self-teaching. Ils ont principalement que la sensibilité des enfants à l’illégalité des
étudié les erreurs de migration du doublement doublets en position initiale est plus dévelop-
d’une consonne vers une autre (e.g., attrape pée et plus précoce que celle relative à l’illé-
=> ATRAPPE) qui suggèrent que les individus galité des doublets après les consonnes
ont repéré la présence d’un doublement de simples en Français. Cette différence explique-
consonne mais ne savent pas nécessairement rait en partie pourquoi des élèves français sur-
quelle est l’identité et la position du double- généralisent l’emploi de “ss“ pour représenter
ment. Leur hypothèse était que, du fait de la le son /s/ plus souvent entre une consonne et
sensibilité des sujets à la fréquence de double- une voyelle qu’en début de mots (Danjon et
ment des lettres, leurs productions orthogra- al., 2009 ; Pacton et al., en révision). Dans ces
phiques devraient être plus souvent études, des enfants de l’école élémentaire de-
conformes au modèle présenté lorsque les vaient décider laquelle de deux orthographes
items contiennent des doublets fréquents était une représentation orthographique lé-
(e.g., “mm“) que lorsqu’ils contiennent des gale du pseudo-mot prononcé par l’expéri-
doublets rares (e.g., “dd“) et que, dans le cas mentateur pour différents types de paires de
d’items contenant des doublets rares, des er- pseudo-mots : “isove – issove“ pour représen-
reurs de migration devraient être observées. ter /isov/ ou /izov/ (avec l’alternative “s/ss“
Par exemple, l’item “pammodir“ devrait être entre deux voyelles – “ss“ requis pour /s/ ; “s“
plus souvent orthographié correctement que pour /z/) ; “lursir – lurssir“ pour représenter
l’item ‘pamoddir’ et ce dernier tendrait à être /lyrsir/ (avec “s/ss“ entre une consonne
orthographié “pammodir“, avec une migra- et une voyelle – “s“ requis) ; “sirvure – ssir-
vure“pour représenter /sirvyr/ (avec “s/ss“ en toujours transcrit “ette“ quand il correspond
position initiale – “s“ requis). Tout au long de à un suffixe diminutif) et par des régularités
l’école élémentaire, les élèves sélectionnaient graphotactiques (e.g., “ettev est plus fréquent
beaucoup plus souvent de façon erronée les après “r“ qu’après “f“). Dès le CE1, les élèves
items avec “ss“ entre une consonne et une transcrivaient /εt/ plus souvent ‘ette’ lorsque
voyelle que les items avec “ss“ en début de des pseudo-mots tels que /vitarεt/ et /vitafεt/
mots. En fait, tout au long de l’école élémen- étaient insérés dans des phrases révélant leur
taire, plus les élèves choisissaient les pseudo- structure morphologique (i.e., un radical + un
mots incluant “ss“ pour représenter /s/ entre suffixe, e.g., « une petite /vitar/ est une /vi-
deux voyelles (ce qui est correct), plus ils choi- tarεt/ ») que lorsqu’ils étaient dictés isolément
sissaient “ss“ pour représenter /s/ entre une ou dans des phrases n’indiquant pas qu’il
consonne et une voyelle (ce qui est incorrect). s’agissait d’un suffixe diminutif. Leurs ortho-
Une autre étude de Danjon (en préparation) graphes étaient également influencées par les
étaye l’explication selon laquelle les élèves régularités graphotactiques puisqu’ils transcri-
français utiliser erronément “ss“ plus souvent vaient /εt/ plus souvent “ette“ pour des
entre une consonne et une voyelle qu’en pseudo-mots du type /vitarεt/ que pour des
début de mots parce qu’ils sont moins sensi- pseudo-mots du type /vitafεt/ même lorsque
bles à l’illégalité d’une consonne double après les pseudo-mots étaient insérés dans des
une consonne simple qu’à l’illégalité des dou- phrases indiquant qu’il s’agissait de diminutifs.
blets en début de mots. Dans celle-ci, les en- L’amplitude de cet effet, qui n’aurait pas dû
fants et des adultes choisissaient plus souvent être observé en cas de recours à une règle spé-
de façon erronée des pseudo-mots tels que cifiant que /εt/ se transcrit “ette“ quand il cor-
“lurssir“ que des pseudo-mots tels que “ssir- respond à un suffixe diminutif, ne différait pas
vure“ même lorsqu’ils devaient choisir l’ortho- du CE1 au CM2. De plus, cet effet était ob-
graphe légale dans une condition visuelle (i.e., servé même chez des étudiants de l’université.
sans prononciation fournie) similaire à celle L’importance des régularités graphotactiques
utilisée par Cassar et Treiman (1997) et Pacton a également été mise en évidence par rapport
et al. (2001). Ces résultats sont à rapprocher à la règle morphologique spécifiant que le plu-
de ceux d’une étude de Alegria et Mousty riel des noms réguliers anglais s’écrit toujours
(1996) dans laquelle des enfants franco- “s“, qu’il se prononce /s/ ou /z/ (Deacon &
phones de 7/10 ans devaient écrire des Pacton, 2007 ; Kemp & Bryant, 2003). Ainsi
pseudo-mots sous dictée. Ces élèves ne repré- les élèves anglais de 7-9 ans de l’étude de
sentaient presque jamais /s/ avec “ss“ en Kemp et Bryant (2003) transcrivaient le pluriel
position initiale. En revanche, ils ne tenaient nominal /z/ plus souvent correctement avec –
guère compte du contexte de /s/ en position s après une consonne (e.g., dogs) qu’après
médiane, utilisant “ss“ entre deux voyelles une voyelle longue (e.g., fleas) en dépit de la
mais aussi entre une consonne et une voyelle. possibilité d’appliquer une règle spécifiant,
Les performances orthographiques d’élèves de qu’en Anglais, les noms pluriels réguliers se
l’école élémentaire et d’adultes semblent éga- terminent par “s“. Les élèves transcriraient
lement influencées par leur sensibilité aux plus souvent la flexion pluriel “sv après une
régularités graphotactiques même lorsqu’il est consonne qu’après une voyelle longue car /z/
possible de recourir à des règles morpholo- s’écrit toujours “s“ après une consonne (e.g.,
giques s’appliquant à un large ensemble de pads), mais peut se transcrire “s“, “z“, “zz“,
mots (Pacton & Deacon, 2008). Pacton et al. “ze“ ou “se“ après une voyelle longue (e.g.,
(2005) ont étudié si des élèves français recou- fleas, please, breeze). De plus, des résultats si-
raient à des règles relatives à la transcription milaires ont été rapportés auprès d’élèves de
des suffixes diminutifs /o/ et /εt/ en français. primaire et d’adultes en production orthogra-
La transcription de ces deux sons peut être phique de pseudo-mots insérés dans des
contrainte par la morphologie (e.g., /εt/ est phrases, soit à la place de noms pluriels, soit à
la place de noms singuliers ou d’infinitifs Caravolas, M., Hulme, C., & Snowling, M. (2001). The
verbaux (e.g., Deacon & Pacton, 2007). foundations of spelling ability: Evidence from a 3-year
longitudinal study. Journal of Memory and Language,
45, 751-774.
Conclusion Cassar, M., & Treiman, R. (1997). The beginnings of or-
L’objectif de cet article était de présenter des thographic knowledge: Children's knowledge of double
letters in words. Journal of Educational Psychology, 89,
études mettant en évidence un apprentissage
631-644.
implicite précoce, souvent dès la première pri-
maire, de connaissances lexicales et infra-lexi- Castles, A., & Nation, K. (2006). How does orthographic
learning happen? » in S. Andrews (Ed.), From inkmarks
cales. Si le décodage phonologique a un rôle
to ideas: Challenges and controversies about word reco-
essentiel dans l’acquisition de connaissances
gnition and reading. (pp. 151-179). Hove, East Sussex:
lexicales, les connaissances infra-lexicales sem- Psychology Press.
blent également jouer un rôle important. Plu-
Cunningham, A.E. (2006). Accounting for children’s ortho-
sieurs études indiquent en effet que la
graphic learning while reading text : Do children self-teach ?
concordance entre la structure orthogra- Journal of Experimental Child Psychology, 95, 56-77.
phique des mots et les régularités graphotac-
Cunningham, A. E., Perry, K. E., Stanovich, K. E., & Share,
tiques de la langue détermine en partie les D. L. (2002). Orthographic learning during reading: Exa-
difficultés d’acquisition des connaissances lexi- mining the role of self-teaching. Journal of Experimental
cales. D’autres études indiquent que les per- Child Psychology, 82, 185–199.
formances d’élèves de l’école élémentaire et Deacon, S. H., & Pacton, S. (2007). Using spelling as an
d’adultes sont influencées par leur sensibilité empirical test of rules versus statistics. Society for the
aux régularités graphotactiques même Scientific Study of Reading, Prague, CZ, July 12-15.
lorsqu’il est possible de recourir à des règles Danjon, J. et Pacton, S. (2009). Children’s Learning about
phono-graphologiques et morphologiques properties of double letters : The case of French. The 16th
s’appliquant à un large ensemble de mots. European Society for Cognitive Psychology Conference
Ces résultats posent la question, encore large- (ESCOP), 2-5 of September.
ment inexplorée, des interactions entre Fayol, M., Lété, B., Pacton, S. On acquiring the spelling
connaissances formelles et fonctionnelles sur of words including silent letters. Both self-teaching and
le langage écrit et de leur évolution tout au knowledge of orthographic regularities matter. Sigwri-
ting. The 11th international conference of the EARLI spe-
long de l’acquisition de l’orthographe. Seule
cial interst group on writing, Lund, June 11-13, 2008.
l’étude simultanée de l’impact de différentes
connaissances, trop souvent étudiées séparé- Hayes, H., Treiman, R., & Kessler, B. (2006). Children use
vowels to help them spell consonants. Journal of Expe-
ment les unes des autres, chez des enfants
rimental Child Psychology, 94, 27-42.
présentant divers patrons de performances en
lecture et orthographe, permettra une meil- Kemp, N., & Bryant, P. (2003). Do beez buzz? Rule-based
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leure compréhension de ces interactions.
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