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Apprentissages implicites dans l’acquisition de l’orthographe

Article · January 2009

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2 authors:

Juliette Danjon Sébastien Pacton


University of Geneva Paris Descartes, CPSC
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Orthophonie I

Entretiens
d’Orthophonie
Apprentissages implicites dans
2009 l’acquisition de l’orthographe
J. Danjon*, S. Pacton*
* préciser fonction et adresse

Université de Versailles
St-Quentin, Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris,
Service des Urgences
Médico-chirurgicales,

Résumé peut s’effectuer de manière explicite, volon-


Les deux premières sections de cet article pré- taire, par exemple par apprentissage systéma-
sentent comment a été investigué l’apprentis- tique de listes de mots (e.g., Bosman & Van
sage implicite de mots spécifiques (section 1) Orden, 1997). Le plus souvent, il s’effectuerait
et de régularités graphotactiques (section 2). implicitement, de manière incidente, par ce
La troisième et dernière section est consacrée que Share (1995) appelle un mécanisme de
à des études montrant que 1) la concordance self-teaching (section 1 de cet article).
entre la structure orthographique des mots et D’autres connaissances plus générales sur le
les régularités graphotactiques de la langue système orthographique sont également
semble en partie déterminer les difficultés apprises implicitement. Tel est le cas de
d’acquisition des connaissances lexicales et 2) certaines régularités graphotactiques (e.g.,
les performances d’élèves de l’école élémen- que les consonnes ne sont jamais doublées au
taire et d’adultes sont influencées par leursen- début des mots français, Pacton et al., 2001)
sibilité aux régularités graphotactiques même et morphologiques (e.g., le son /εt/ s’ortho-
lorsqu’il est possible de recourir à des règles graphie toujours –ette lorsqu’il correspond à
phono-graphologiques et morphologiques un suffixe diminutif, comme dans les mots
s’appliquant à un large ensemble de mots. “fillette“ et “vachette“, Pacton et al., 2005).
La deuxième section de cet article est consa-
Mots-clefs : apprentissages implicites - acqui- crée à l’apprentissage implicite de régularités
sition de l’orthographe - graphotactique - graphotactiques. La troisième et dernière
morphologie - self-teaching. section montre que des enfants et des adultes
semblent se fonder sur leur sensibilité aux
régularités graphotactiques même lorsqu’il est
De nombreux mots français incluent des pho- possible de recourir à des règles phono-
nèmes pouvant s’orthographier de diverses fa- graphologiques (e.g., Danjon et al., 2009) ou
çons (e.g., /ã/ représenté “en“, “an“ ; /o/ morphologiques (e.g., Pacton & Deacon,
représenté “o“, “au“, “eau“ ; /εt/ : “aite“, 2008).
“ète“, “ête“, “ette“) et des lettres muettes
(e.g., “bavard“, “buvard“, “les filles man-
gent“. Certains mots ne peuvent être ortho- L’apprentissage de l’orthographe
graphiés correctement qu’en apprenant leurs de mots spécifiques
graphèmes constitutifs (e.g., le mot landau Share (1995) envisage l’apprentissage impli-
s’écrit avec “an“ et “au“ et non avec “en“ et cite de l’orthographe de mots spécifiques
“eau“). Cet apprentissage orthographique comme un mécanisme de « self-teaching ».

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Orthophonie I

Selon Share, la pratique du déchiffrage, au Ces corrélations significatives mais modestes


cours de laquelle l’enfant mobilise ses connais- (r = .52 dans l’étude de Cunningham et al.,
sances des correspondances entre graphèmes 2002) suggèrent que la phonologie ne suffit
et phonèmes, conduirait à la fois à la produc- pas à expliquer l’apprentissage de la forme
tion d’une forme orale susceptible d’être mise orthographique des mots.
en relation avec le lexique verbal déjà connu Un aspect important est que la relation entre
et à la mémorisation de la forme orthogra- la qualité du recodage phonologique et
phique correspondante. Cette conception est l’apprentissage orthographique est générale-
corroborée par la relation positive observée ment évaluée en calculant une corrélation
entre les habiletés de décodage des individus entre les performances moyennes de chaque
et leurs performances orthographiques (e.g., sujet pour le recodage phonologique d’une
Caravolas et al., 2001). part et pour l’apprentissage orthographique
Afin de tester l’hypothèse selon laquelle le d’autre part. Ce type d’analyse permet la mise
déchiffrage de mots nouveaux permettait en évidence d’une relation générale entre le
l’apprentissage de l’orthographe de ces mots, décodage phonologique et l’apprentissage
Share (1999) a demandé à des élèves de orthographique mais ne permet pas de tester
deuxième primaire apprenant à lire l’hébreu directement si la qualité de décodage d’un
de lire des textes brefs contenant des pseudo- item spécifique détermine le niveau d’appren-
mots. Trois jours plus tard, l’apprentissage de tissage de cet item. Or, chez des élèves anglo-
l’orthographe de ces pseudo-mots était évalué saxons de 8-9 ans, Nation et al. (2007) ont
par trois épreuves. La première étudiait si, rapporté que la relation générale entre le
dans un choix multiple entre plusieurs formes décodage phonologique et l’apprentissage
orthographiques, les orthographes cibles (i.e., orthographique ne se maintenait pas lorsque
présentes dans les textes) étaient plus souvent des analyses item par item étaient conduites.
sélectionnées que d’autres orthographes dont Selon Nation et al. (2007, voir aussi Castles &
certaines étaient homophones avec le pseudo- Nation, 2006), ceci montre que d’autres
mot cible. La deuxième étudiait si la lecture du facteurs, notamment les connaissances gra-
pseudo-mot cible était plus rapide que celle photactiques, seraient impliqués dans
d’un autre pseudo-mot homophone. La troi- l’apprentissage de l’orthographe de mots
sième consistait en une dictée des pseudo- spécifiques - une possibilité envisagée dans la
mots. Un apprentissage de l’orthographe des troisième section, après la présentation
pseudo-mots insérés dans les textes a été mis d’études sur le développement de la sensibilité
en évidence avec ces différentes tâches. De aux régularités graphotactiques.
plus, conformément aux attentes, les perfor-
mances moyennes en déchiffrage étaient Sensibilité aux régularités
positivement et significativement corrélées aux graphotactiques
résultats des différentes épreuves évaluant A travers leurs lectures, les enfants n’acquiè-
l’apprentissage orthographique. rent pas seulement des connaissances ortho-
Les données recueillies sur l’Anglais, un graphiques sur des mots spécifiques. Ils
système orthographique beaucoup plus deviennent également sensibles à certaines
inconsistant que l’Hébreu, avec des enfants de régularités graphotactiques. Treiman (1993) a
première, seconde et troisième primaires montré que les mots orthographiés erroné-
(Cunningham, 2006 ; Cunningham et al., ment par des enfants américains de première
2002 ; Nation et al., 2007) ont confirmé l’im- primaire, ne recevant aucun enseignement
portance du recodage phonologique, notam- explicite de l’orthographe, étaient le plus
ment chez les plus jeunes. Toutefois, les souvent compatibles avec les régularités du
corrélations entre les performances en déco- système écrit anglais. Par exemple, /k/ était
dage et en apprentissage orthographique sont parfois transcrit erronément ck mais ck n’était
plus faibles que celles rapportées en Hébreu. utilisé qu’exceptionnellement en début de

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Orthophonie I

mots, position où il n’apparaît jamais en D’autres régularités graphotactiques semblent


anglais. plus difficiles à apprendre et davantage asso-
En Français, Pacton, Fayol et Perruchet (2002) ciées à des différences entre les niveaux
ont étudié si des élèves du CE1 au CM2 trans- scolaires et/ou orthographiques (Danjon et al.,
crivaient /o/ différemment en fonction de sa 2009 ; Pacton et al., en révision). Ainsi, avant
position et de son contexte consonantique le CE2, les enfants ne semblent pas sensibles
dans une tâche de dictée de pseudo-mots à la fréquence de certains doublets en fonc-
tri-syllabiques (e.g., /obidar/, /ribore/, /bylevo/). tion de la voyelle gauche, par exemple que
Même les enfants les plus jeunes utilisaient “nn“ est beaucoup plus fréquent après le
une variété de graphèmes pour transcrire /o/. graphème “o“ qu’après le graphème “oi“. Il
Dès le CE1, les transcriptions de /o/ variaient en va de même pour le fait que les consonnes
en fonction de la position et de l’environne- doubles peuvent survenir avant mais non
ment consonantique. Par exemple, ‘eau’ était après les consonnes simples en Français, testé
davantage utilisé en position finale qu’en en proposant un choix entre des pseudo-mots
positions initiale et médiane. De plus, en posi- tels que “apprulir“ et “aprrulir“.
tion finale, eau était plus souvent utilisé après Les scores nettement plus faibles pour les
un “v“ (où il est fréquent) qu’après un “f“ (où items testant l’illégalité des doublets avant les
il est rare). Des résultats convergents ont été consonnes simples que pour les items testant
depuis rapportés en Anglais (Hayes et al., la connaissance de l’illégalité des doublets en
2006 ; Treiman & Kessler, 2006). position initiale reflètent très probablement la
plus grande saillance de cette dernière pro-
La sensibilité aux régularités orthographiques
priété. Cette différence est à rapprocher du
a aussi été évaluée avec des épreuves de
résultat de Cassar et Treiman (1997) montrant
jugement de pseudo-mots qui permettent de
que la connaissance de la position légale des
proposer un choix entre (au moins) les deux
doubles lettres émergeait plus tôt que celle re-
termes d'une alternative qui n'apparaîtraient
lative à l’identité des consonnes pouvant être
pas nécessairement dans les productions
doublées. Il semble donc nécessaire de ne pas
orthographiques des élèves. Cassar et Treiman
considérer la sensibilité des enfants aux régu-
(1997) ont montré que des enfants de pre-
larités graphotactiques comme une compo-
mière primaire préféraient des pseudo-mots
sante homogène. De plus, comme nous allons
incluant un doublet fréquent (e.g., ll) à des
le voir dans la section suivante, le fait que les
pseudo-mots incluant un doublet illégal (e.g.,
élèves soient davantage sensibles à certaines
hh). Danjon et al. (2009, en préparation) ont
régularités graphotactiques qu’à d’autres
montré que les enfants français étaient sensi- semble expliquer que certaines erreurs sont
bles à la fréquence de doublement des davantage commises dans certains contextes
consonnes, par exemple que ‘m’ et ‘mm’ sont que dans d’autres.
fréquents alors que “d“ est fréquent mais
“dd“ est rare. Ainsi, dès le CP, les enfants
choisissaient plus souvent les pseudo-mots in- Comment la sensibilité aux régularités
cluant des doubles lettres pour des paires graphotactiques influence-t-elle
comme [imose – immose] que pour des paires les performances orthographiques ?
comme [idose – iddose]. Les enfants sont aussi La possibilité d’une influence de la sensibilité
très tôt sensibles à l’illégalité des doublets en à des régularités graphotactiques sur l’acqui-
début de mots en Anglais, en Français et en sition de connaissances lexicales a été suggé-
Finnois (Cassar & Treiman, 1997 ; Lehtonen & rée par Campbell et Coltheart (1984) lors de
Bryant, 2005 ; Pacton et al., 2001). Par exem- la sortie du film “Gandhi“. Même si les
ple, des élèves français de CP préfèrent le 57 étudiants anglais en licence de l’étude de
pseudo-mot ‘fommir’ (incluant un doublet en Campbell et Coltheart avaient souvent vu ce
position médiane) au pseudo-mot “ffomir“ nom correctement écrit, 49 d’entre eux com-
(incluant un doublet en position initiale). mettaient l’erreur systématique “GHANDI’.

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Orthophonie I

L’absence d’erreurs telles que “GANDY“ ou tion du doublement du “d“, rarement doublé
“GANDI“ indique que les sujets savaient que en Français, au “m“, fréquemment doublé en
l’orthographe GANDHI comportait un “h“ Français.
mais ne savaient pas où le placer. L’erreur Les adultes de l’expérience de Fayol et al.
“GHANDI“ serait particulièrement fréquente (2008) orthographiaient la plupart des
parce que cette orthographe est beaucoup pseudo-mots en conformité avec le modèle
plus congruente avec les régularités grapho- présenté. Leurs performances étaient aussi
tactiques de l’anglais que des orthographes in- bonnes pour les items comportant des dou-
correctes comme “GANHDI“, “GANDIH“ et blets fréquents que pour ceux n’en contenant
que l’orthographe correcte “GANDHI“ (gh est pas, indiquant que l’information relative à
beaucoup plus fréquent que dh ou ih). l’identité et à la position des doublets était la
Dans la première section de cet article, nous plupart du temps mémorisée. Conformément
avons vu que certains auteurs ont évoqué une aux hypothèses, lorsque des erreurs surve-
possible influence des connaissances grapho- naient, c’était le plus souvent avec les items
tactiques lors de l’apprentissage de l’ortho- comportant des doublets rares qui étaient
graphe de nouveaux mots dans des situations souvent orthographiés avec des doublets fré-
de self-teaching (Castles & Nation, 2006) pour quents. Les performances moyennes des CM2
expliquer que la relation générale entre le étaient plus faibles, avec seulement 64% des
décodage phonologique et l’apprentissage enfants produisant les pseudo-mots en
orthographique dans ces situations ne se conformité avec le modèle présenté, mais le
maintenait pas lorsque des analyses item par patron des erreurs était le même que chez les
item étaient conduites (Nation et al., 2007). adultes.
Cette possibilité a été investiguée par Fayol, D’autres études suggèrent que la sensibilité
Lété et Pacton (2008) en étudiant l’impact de des sujets aux régularités graphotactiques in-
la sensibilité des sujets (adultes et CM2) à la fluence les performances d’élèves de primaire
fréquence de doublement des lettres sur l’ap- et d’adultes, même lorsqu’il est possible de re-
prentissage de l’orthographe de pseudo-mots courir à des règles phono-graphologiques ou
contenant des doubles lettres dans une situa- morphologiques. Nous avons vu (section 2)
tion de self-teaching. Ils ont principalement que la sensibilité des enfants à l’illégalité des
étudié les erreurs de migration du doublement doublets en position initiale est plus dévelop-
d’une consonne vers une autre (e.g., attrape pée et plus précoce que celle relative à l’illé-
=> ATRAPPE) qui suggèrent que les individus galité des doublets après les consonnes
ont repéré la présence d’un doublement de simples en Français. Cette différence explique-
consonne mais ne savent pas nécessairement rait en partie pourquoi des élèves français sur-
quelle est l’identité et la position du double- généralisent l’emploi de “ss“ pour représenter
ment. Leur hypothèse était que, du fait de la le son /s/ plus souvent entre une consonne et
sensibilité des sujets à la fréquence de double- une voyelle qu’en début de mots (Danjon et
ment des lettres, leurs productions orthogra- al., 2009 ; Pacton et al., en révision). Dans ces
phiques devraient être plus souvent études, des enfants de l’école élémentaire de-
conformes au modèle présenté lorsque les vaient décider laquelle de deux orthographes
items contiennent des doublets fréquents était une représentation orthographique lé-
(e.g., “mm“) que lorsqu’ils contiennent des gale du pseudo-mot prononcé par l’expéri-
doublets rares (e.g., “dd“) et que, dans le cas mentateur pour différents types de paires de
d’items contenant des doublets rares, des er- pseudo-mots : “isove – issove“ pour représen-
reurs de migration devraient être observées. ter /isov/ ou /izov/ (avec l’alternative “s/ss“
Par exemple, l’item “pammodir“ devrait être entre deux voyelles – “ss“ requis pour /s/ ; “s“
plus souvent orthographié correctement que pour /z/) ; “lursir – lurssir“ pour représenter
l’item ‘pamoddir’ et ce dernier tendrait à être /lyrsir/ (avec “s/ss“ entre une consonne
orthographié “pammodir“, avec une migra- et une voyelle – “s“ requis) ; “sirvure – ssir-

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Orthophonie I

vure“pour représenter /sirvyr/ (avec “s/ss“ en toujours transcrit “ette“ quand il correspond
position initiale – “s“ requis). Tout au long de à un suffixe diminutif) et par des régularités
l’école élémentaire, les élèves sélectionnaient graphotactiques (e.g., “ettev est plus fréquent
beaucoup plus souvent de façon erronée les après “r“ qu’après “f“). Dès le CE1, les élèves
items avec “ss“ entre une consonne et une transcrivaient /εt/ plus souvent ‘ette’ lorsque
voyelle que les items avec “ss“ en début de des pseudo-mots tels que /vitarεt/ et /vitafεt/
mots. En fait, tout au long de l’école élémen- étaient insérés dans des phrases révélant leur
taire, plus les élèves choisissaient les pseudo- structure morphologique (i.e., un radical + un
mots incluant “ss“ pour représenter /s/ entre suffixe, e.g., « une petite /vitar/ est une /vi-
deux voyelles (ce qui est correct), plus ils choi- tarεt/ ») que lorsqu’ils étaient dictés isolément
sissaient “ss“ pour représenter /s/ entre une ou dans des phrases n’indiquant pas qu’il
consonne et une voyelle (ce qui est incorrect). s’agissait d’un suffixe diminutif. Leurs ortho-
Une autre étude de Danjon (en préparation) graphes étaient également influencées par les
étaye l’explication selon laquelle les élèves régularités graphotactiques puisqu’ils transcri-
français utiliser erronément “ss“ plus souvent vaient /εt/ plus souvent “ette“ pour des
entre une consonne et une voyelle qu’en pseudo-mots du type /vitarεt/ que pour des
début de mots parce qu’ils sont moins sensi- pseudo-mots du type /vitafεt/ même lorsque
bles à l’illégalité d’une consonne double après les pseudo-mots étaient insérés dans des
une consonne simple qu’à l’illégalité des dou- phrases indiquant qu’il s’agissait de diminutifs.
blets en début de mots. Dans celle-ci, les en- L’amplitude de cet effet, qui n’aurait pas dû
fants et des adultes choisissaient plus souvent être observé en cas de recours à une règle spé-
de façon erronée des pseudo-mots tels que cifiant que /εt/ se transcrit “ette“ quand il cor-
“lurssir“ que des pseudo-mots tels que “ssir- respond à un suffixe diminutif, ne différait pas
vure“ même lorsqu’ils devaient choisir l’ortho- du CE1 au CM2. De plus, cet effet était ob-
graphe légale dans une condition visuelle (i.e., servé même chez des étudiants de l’université.
sans prononciation fournie) similaire à celle L’importance des régularités graphotactiques
utilisée par Cassar et Treiman (1997) et Pacton a également été mise en évidence par rapport
et al. (2001). Ces résultats sont à rapprocher à la règle morphologique spécifiant que le plu-
de ceux d’une étude de Alegria et Mousty riel des noms réguliers anglais s’écrit toujours
(1996) dans laquelle des enfants franco- “s“, qu’il se prononce /s/ ou /z/ (Deacon &
phones de 7/10 ans devaient écrire des Pacton, 2007 ; Kemp & Bryant, 2003). Ainsi
pseudo-mots sous dictée. Ces élèves ne repré- les élèves anglais de 7-9 ans de l’étude de
sentaient presque jamais /s/ avec “ss“ en Kemp et Bryant (2003) transcrivaient le pluriel
position initiale. En revanche, ils ne tenaient nominal /z/ plus souvent correctement avec –
guère compte du contexte de /s/ en position s après une consonne (e.g., dogs) qu’après
médiane, utilisant “ss“ entre deux voyelles une voyelle longue (e.g., fleas) en dépit de la
mais aussi entre une consonne et une voyelle. possibilité d’appliquer une règle spécifiant,
Les performances orthographiques d’élèves de qu’en Anglais, les noms pluriels réguliers se
l’école élémentaire et d’adultes semblent éga- terminent par “s“. Les élèves transcriraient
lement influencées par leur sensibilité aux plus souvent la flexion pluriel “sv après une
régularités graphotactiques même lorsqu’il est consonne qu’après une voyelle longue car /z/
possible de recourir à des règles morpholo- s’écrit toujours “s“ après une consonne (e.g.,
giques s’appliquant à un large ensemble de pads), mais peut se transcrire “s“, “z“, “zz“,
mots (Pacton & Deacon, 2008). Pacton et al. “ze“ ou “se“ après une voyelle longue (e.g.,
(2005) ont étudié si des élèves français recou- fleas, please, breeze). De plus, des résultats si-
raient à des règles relatives à la transcription milaires ont été rapportés auprès d’élèves de
des suffixes diminutifs /o/ et /εt/ en français. primaire et d’adultes en production orthogra-
La transcription de ces deux sons peut être phique de pseudo-mots insérés dans des
contrainte par la morphologie (e.g., /εt/ est phrases, soit à la place de noms pluriels, soit à

© ENTRETIENS DE BICHAT 2009 - 39


Orthophonie I

la place de noms singuliers ou d’infinitifs Caravolas, M., Hulme, C., & Snowling, M. (2001). The
verbaux (e.g., Deacon & Pacton, 2007). foundations of spelling ability: Evidence from a 3-year
longitudinal study. Journal of Memory and Language,
45, 751-774.
Conclusion Cassar, M., & Treiman, R. (1997). The beginnings of or-
L’objectif de cet article était de présenter des thographic knowledge: Children's knowledge of double
letters in words. Journal of Educational Psychology, 89,
études mettant en évidence un apprentissage
631-644.
implicite précoce, souvent dès la première pri-
maire, de connaissances lexicales et infra-lexi- Castles, A., & Nation, K. (2006). How does orthographic
learning happen? » in S. Andrews (Ed.), From inkmarks
cales. Si le décodage phonologique a un rôle
to ideas: Challenges and controversies about word reco-
essentiel dans l’acquisition de connaissances
gnition and reading. (pp. 151-179). Hove, East Sussex:
lexicales, les connaissances infra-lexicales sem- Psychology Press.
blent également jouer un rôle important. Plu-
Cunningham, A.E. (2006). Accounting for children’s ortho-
sieurs études indiquent en effet que la
graphic learning while reading text : Do children self-teach ?
concordance entre la structure orthogra- Journal of Experimental Child Psychology, 95, 56-77.
phique des mots et les régularités graphotac-
Cunningham, A. E., Perry, K. E., Stanovich, K. E., & Share,
tiques de la langue détermine en partie les D. L. (2002). Orthographic learning during reading: Exa-
difficultés d’acquisition des connaissances lexi- mining the role of self-teaching. Journal of Experimental
cales. D’autres études indiquent que les per- Child Psychology, 82, 185–199.
formances d’élèves de l’école élémentaire et Deacon, S. H., & Pacton, S. (2007). Using spelling as an
d’adultes sont influencées par leur sensibilité empirical test of rules versus statistics. Society for the
aux régularités graphotactiques même Scientific Study of Reading, Prague, CZ, July 12-15.
lorsqu’il est possible de recourir à des règles Danjon, J. et Pacton, S. (2009). Children’s Learning about
phono-graphologiques et morphologiques properties of double letters : The case of French. The 16th
s’appliquant à un large ensemble de mots. European Society for Cognitive Psychology Conference
Ces résultats posent la question, encore large- (ESCOP), 2-5 of September.
ment inexplorée, des interactions entre Fayol, M., Lété, B., Pacton, S. On acquiring the spelling
connaissances formelles et fonctionnelles sur of words including silent letters. Both self-teaching and
le langage écrit et de leur évolution tout au knowledge of orthographic regularities matter. Sigwri-
ting. The 11th international conference of the EARLI spe-
long de l’acquisition de l’orthographe. Seule
cial interst group on writing, Lund, June 11-13, 2008.
l’étude simultanée de l’impact de différentes
connaissances, trop souvent étudiées séparé- Hayes, H., Treiman, R., & Kessler, B. (2006). Children use
vowels to help them spell consonants. Journal of Expe-
ment les unes des autres, chez des enfants
rimental Child Psychology, 94, 27-42.
présentant divers patrons de performances en
lecture et orthographe, permettra une meil- Kemp, N., & Bryant, P. (2003). Do beez buzz? Rule-based
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40 - © ENTRETIENS DE BICHAT 2009


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© ENTRETIENS DE BICHAT 2009 - 41

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