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© Flambeau 40 (2014) pp.1–17.

Vers une évaluation par codage perceptif sur corpus de la


production des liquides françaises /R/ et /l/ des apprenants
japonais en singleton et en groupe consonantique

Sylvain DETEY

Introduction 1

L’évaluation de la qualité des réalisations phonétiques des apprenants de français


langue étrangère (ci-après FLE) se révèle une tâche généralement plus délicate que
celle des dimensions lexicale, grammaticale, voire discursive de ces mêmes
productions. En effet, le « standard » à l’aune duquel cette évaluation s’accomplit
est bien plus difficile à circonscrire sur le plan phonétique que sur les autres, et
cela en raison d’au moins trois facteurs : 1) l’importance de la variation diatopique
en français (telle prononciation sera jugée plus ou moins « positivement » selon la
zone dialectale concernée dans l’espace francophone), 2) l’importance de la
variation inter-individuelle sur un plan sociophonétique (telle prononciation sera
jugée plus ou moins « positivement » en raison de caractéristiques individuelles de
la voix, du sexe et de l’âge du locuteur, etc.) , 3) l’importance de la variation intra-
et inter-individuelle entre productions attendues, perception des productions, et
productions attestées (telle prononciation pourra être jugée plus ou moins
« positivement » selon qu’elle est envisagée sous l’angle de la perception (degrés
d’acceptabilité) ou de la production (modèle strict) notamment). Les standards
lexicaux et grammaticaux, quant à eux, sont généralement plus facilement
identifiables (tel énoncé sera grammatical ou non, tel emploi sera acceptable ou
non), notamment à l’écrit. Nous renvoyons le lecteur à Morin (2000), Laks (2002),
Lyche (2010) et Detey et Racine (2012) pour une discussion plus approfondie de la
1
Cet article est basé sur un travail collectif mené en collaboration avec Isabelle Racin e
(Université de Genève, Suisse), Yuji Kawaguchi (Tokyo University of Foreign Studies, Japon)
et Julien Eychenne (Hankuk University of Foreign Studies, Corée du Sud) en particulier. Je
tiens à leur exprimer ici toute ma reconnaissance. Mes remerciements vont également à
Romain Isely, étudiant en Master à l’Université de Genève, qui a contribué à ce travail. Ce
texte reprend des éléments présentés lors des Journées IPFC2014 à Paris en décembre 2014
(Detey & Racine, 2014). Le projet qu’il décrit a bénéficié du soutien de la Société Japonaise
°
pour la Promotion de la Science (JSPS) à travers le Grant-in-Aid for Scientific Research B n
23320121 (2011-2014, porteur : Sylvain Detey).
problématique du standard et des normes de prononciation, à laquelle se trouvent
confrontés les apprenants de FLE.

En outre, dans la démarche évaluative, il est courant d’employer, dans le domaine


de la prononciation en langue étrangère (et plus généralement de la parole « non
standard », non native, pathologique ou enfantine), différents critères pour
procéder à une telle évaluation (intelligibilité, compréhensibilité, acceptabilité,
bonne formation, ressemblance à la parole native, etc.) 2 , avec des options d’échelle
pouvant aller du binaire (correct/incorrect) à des formules multidimensionnelles.
Dans le même temps, du côté didactique, les concepteurs du Cadre Commun
Européen de Référence pour les Langues (Conseil de l’Europe, 2001) proposent,
quant à eux, une description langue par langue (référentiels) et niveau par niveau
(de A1 à C2) des caractéristiques attendues du système phonético-phonologique de
la langue cible tel qu’il doit être maîtrisé par les apprenants à un stade
d’apprentissage donné (voir Lauret (2007) pour le français). De manière assez
générale et bien compréhensible, on préconise le plus souvent de privilégier dans
un premier temps la réussite d’un apprentissage phonologique fondamental (par
exemple un système d’opposition réduit avec archiphonèmes), avant d’affiner la
maîtrise du système allophonique de la langue cible. Enfin, il faut mentionner que
l’évaluation de la prononciation se complexifie nettement lorsque les productions
examinées ne sont plus des sons isolés, mais des séquences (mots, énoncés,
discours), dans lesquelles la dimension prosodique joue un rôle déterminant
(rythme, intonation, pause, accentuation et, de manière plus générale, aisance
d’élocution ou fluence), et où la dimension morpho-grammaticale peut également
sensiblement influencer la production et son évaluation de surface.

D’un point de vue strictement linguistique, si l’on souhaite étudier les traits
caractérisant la prononciation des apprenants de FLE, on peut envisager au moins
deux approches non exclusives : l’une repose sur l’analyse acoustique des
productions, garante, jusqu’à un certain point, de l’objectivité des mesures
physiques du signal, mais généralement limitée à de la parole de laboratoire en

2
Il est intéressant de noter à ce sujet que plusieurs travaux récents ont permis d’affiner notre
compréhension des facteurs en jeu dans l’évaluation de la prononciation en L2 et d’accroître
les exigences méthodologiques en la matière (Isaacs, 2011 ; Isaacs & Thompson, 2013).
quantité réduite ; l’autre envisage la constitution de grandes bases de données
comme mode de mise au jour de tendances générales, écartant, par voie de
moyennage, les éléments idiosyncrasiques, tout en assurant, via les métadonnées et
la diversité controlée des sujets enregistrés, un tableau précis ancré dans la réalité
des données de production de différents profils. Si la première approche semble en
partie résoudre certains des problèmes d’évaluation précédemment mentionnés
(notamment celle du filtre perceptif-interprétatif des auditeurs-assesseurs), elle ne
remplit que partiellement les objectifs assignés : la mesure de telle ou telle
composante physique du signal ne peut en effet nous renseigner que partiellement
sur son interprétation catégorielle par la communauté des auditeurs natifs par
exemple. La deuxième approche, si elle présente certains avantages (à commencer
par le nombre, généralement plus à même d’assurer aux sujets examinés une
certaine représentativité), ne contourne pas la question du mode d’évaluation des
productions : elle doit précisement effectuer un choix méthodologique quant au
traitement des données, choix partiellement dicté par les finalités scientifiques ou
pédagogiques du corpus.

Du projet IPFC au corpus CLIJAF

Ce sont ces questions qui se sont posées lors du montage progressif du protocole
final adopté dans le projet « InterPhonologie du Français Contemporain » (IPFC)
(Detey, Racine, Kawaguchi & Zay, à paraître), version « non native » du projet
PFC (Phonologie du Français Contemporain : usages, variétés et structure)
(Durand, Laks & Lyche, 2009) visant précisément à décrire, sur la base d’un corpus
à visée phonético-phonologique, les traits de prononciation des différentes
populations d’apprenants dans le monde. La dimension pédagogique sous-jacente y
est naturellement non négligeable, puisque l’ambition du corpus est d’être une
source d’information non seulement pour des systèmes de traitement automatique
de la parole (non native) mais aussi pour les enseignants et apprenants de FLE. Ce
projet s’incrit donc dans le développement récent de la phonologie de corpus en
langue étrangère (par ex. Gut, 2009). Le protocole IPFC comporte ainsi six tâches :
une répétition d’une liste de mots, deux lectures de listes de mots, une lecture d’un
texte, deux interactions (un entretien avec un locuteur natif et un échange avec un
locuteur non natif). Ce protocole est utilisé par toutes les équipes du projet de
manière à assurer la comparabilité des données et seule la liste de mot spécifique
(qui est d’abord répétée puis lue) comporte des items spécifiques à chaque
population étudiée. La question de l’évaluation des productions est centrale dans le
projet, d’autant plus qu’elle se pose dès les premières étapes de traitement des
données brutes, comme cela a été discuté tant dans le projet PFC (Durand & Lyche,
2003) que dans le projet IPFC : le choix d’un transcription orthographique standard
(avec certaines conventions ad hoc, voir Racine, Zay, Detey & Kawaguchi, 2011)
vise ainsi à minimiser son impact sur le traitement ultérieur, puisqu’elle implique
dans une certaine mesure un recours (et un retour !) systématique au signal pour
toute analyse, en particulier au niveau phonético-phonologique. La procédure de
codage alphanumérique inséré après le phénomène à l’étude dans la transcription
orthographique alignée avec le signal dans des fichiers Textgrids utilisables sous
Praat (Boersma & Weenink, 2014) qui a été adoptée dans IPFC suit les principes
généraux posés dans le projet PFC : elle vise à la fois à permettre un traitement
semi-automatique des données et à ne pas les pré-intérpréter ou pré-catégoriser de
manière trop précoce. Le détail de la procédure a déjà été exposé dans plusieurs
publications (par ex. Detey, 2012) et notre démarche a inspiré des travaux
semblables d’analyse sur corpus pour d’autres langues cibles (pour l’espagnol voir
Carranza, Cucchiarini, Llisterri, Machuca & Rios (2014), pour l’anglais voir
Lacoste, Herry-Bénit & Kamiyama (2013)).

Dans le cas des apprenants japonophones de FLE, une étude longitudinale auprès
d’étudiants universitaires débutants en français a été menée à Tokyo entre 2012 et
2014 (quatre passations) sur la base du protocole IPFC (du moins les tâches de
répétition et de lecture, effectuées à l’aide de la plateforme Moodle), auquel a été
ajoutée une tâche de discrimination AXB ainsi qu’une tâche de comptage
syllabique pour tester le développement parallèle de la production et de la
perception de ces apprenants. Dans cette étude baptisée CLIJAF (Corpus
Longitudinal Interphonologique d’Apprenants Japonais de Français) étaient
particulièrement testées, outre les voyelles nasales, les voyelles hautes arrondies et
la liaison, les consonnes labiales /b/ et /v/, ainsi que les liquides /R/ et /l/ en
singleton et en groupes consonantiques. Dans ce qui suit, nous nous concentrons
sur le traitement des liquides, et présentons le codage élaboré pour les traiter.
Le codage des liquides en singleton

Les apprenants japonais de langue étrangère sont bien connus pour les difficultés
qu’ils rencontrent dans l’apprentissage des consonnes généralement catégorisées
comme liquides à travers les langues du monde, à savoir /l/ et /r/, notamment en
anglais. C’est en effet avec l’anglais comme langue cible que, depuis plus de 40
ans (Goto 1971), les travaux sur la difficulté des japonophones à identifier,
discriminer et produire ces liquides se sont enrichis 3 , que ce soit dans une approche
neuropsycholinguistique, psycho-acoustique, phonético-phonologique ou
acquisitionnelle, et aujourd’hui encore certains chercheurs explorent de nouvelles
pistes, notamment orientées vers l’amélioration des performances des apprenants
(voir par exemple Saito & Kyster (2012) ou Saito, à paraître). Dans le domaine
francophone, bien que moins d’études aient été effectuées, les caractéristiques
générales de la prononciation du français par les apprenants japonais sont à présent
assez bien documentées (p. ex. Detey, 2005 ; Kamiyama, 2009 ; Kamiyama, Detey
& Kawaguchi, à paraître), et les travaux de T. Ooigawa en particulier se sont
concentrés sur le traitement des liquides (p. ex. Ooigawa, 2009). Pour un état de
l’art sur la question, voir par exemple Hallé (2014).

Afin de traiter les données récoltées dans le projet CLIJAF dans les tâches de
production, nous avons donc, suivant les principes exposés précédemment, élaboré
un code visant à un premier traitement évaluatif perceptif des productions des
liquides en contexte de mot isolé (répété et lu) et de phrases lues, permettant un
traitement automatisé via l’outil Dolmen développé par J. Eychenne pour les
projets CLIJAF/IPFC (Eychenne & Paternostro, à paraître). Ce code suit
l’organisation générale des codes IPFC qui comptent tous trois parties : a) la cible
(la production visée/attendue, à un niveau phonétique large) ; b) le contexte
phonologique de la cible ; c) l’évaluation de la production. Ainsi dans le cas des
liquides (comme pour les autres consonnes codées dans IPFC), les deux premières
parties se présentent comme suit 4 :

3
Une page de l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipedia est même consacrée à la
question : http://en.wikipedia.org/wiki/Perception_of_/r/_and_/l/_by_Japanese_speakers.
4
Nous ne présentons pas ici le détail du code, mais uniquement ses catégories.
 Champ 1 : cible (p. ex. 09=[l] et 16=[R] 5 ) ;
 Champs 2 à 5 : contextes (position dans le mot ; position syllabique ; contexte
phonologique gauche, contexte phonologique droit) ;
 Champs 6 et 7 : évaluation.

Concernant les deux champs évaluatifs, le champ 6 est commun à toutes les
consonnes (« Qualité globale de réalisation ») et compte quatre valeurs
principales : 1) conforme à la cible (phonologiquement et phonétiquement) ; 2)
partiellement conforme à la cible (conforme phonologiquement mais non
phonétiquement, comme un [l] vélarisé) ; 3) non conforme à la cible et réalisé soit
comme une consonne non identifiable ou étrangère, soit comme une consonne
française (avec dans ce cas indication du code consonne, permettant de tracer les
substitutions intra-système) ; 4) effacement de la consonne ou insertion
(consonantique ou vocalique). Concernant le dernier champ, en revanche, il est
apparu difficile d’opter pour un code générique qui permette de nous renseigner
sur les détails phonétiques fins des réalisations sans verser dans une forme
édulcorée d’étiquetage phonétique ou phonologique non pertinente, voire
fallacieuse, pour nos objectifs. Nous avons donc de nouveau opté pour un format
intermédiaire (nous renseignant sur les caractéristiques phonétiques auditivement
perçues par l’auditeur sans pour autant proposer de catégorisation phonétique fine
en raison des travers perceptifs évidents de l’analyse auditive au degré d’analyse
envisagé), nécessairement spécifique à un segment ou une classe de segment et à
une population donnés, sur la base de leurs réalisations connues ou envisageables.
Ainsi, dans le cas des liquides, nous avons opté pour un système de catégorisation
perceptive non conforme à la cible conçu en lien avec les apprenants japonophones
du projet CLIJAF, système pouvant être ultérieurement enrichi pour accommoder
des productions différentes d’autres populations. Celui-ci se présente ainsi :

 /l/ : 1) réalisation battue ; 2) réalisation vélarisée ;

5
Nous utilisons ici les crochets pour signaler une trancription phonétique large : dans la
mesure où il s’agit de codage perceptif de productions d’apprenants, nous ne visons pas ici à
identifier une cible strictement phonologique (puisqu’il s’agit d’un système en cours
d’acquisition non stabilisé), mais plutôt de catégorie phonétique large. De manière semblable,
nous utilisons ici le symbole [R] pour désigner l’ensemble des réalisations phonétiques
possibles du /r/ français.
 /R/ : 1) trop de friction ; 2) pas assez de friction ; 3) réalisation apicale, battue
ou latérale ; 4) réalisation apicale rétroflexe.

Il faut bien comprendre que cette catégorisation ne vise en aucun cas une
description phonétique articulatoire ou phonologique fine, mais bien une
catégorisation perceptive à visée applicative (comment sont perçues et catégorisées
les productions par des évaluateurs non phonéticiens). Dans une perspective
éducative, ce type de catégorisation correspond à ce dont ont besoin les
enseignants de langue et concepteurs d’outils didactiques, tout en permettant aux
chercheurs d’effectuer un premier balayage des données avant de procéder à des
analyses (perceptives ou acoustiques) ultérieures approfondies sur un
sous-ensemble des données récoltées. Le codage des données issues du projet
CLIJAF est actuellement en cours et devrait nous permettre à terme d’avoir une
vision globale de l’évolution, sur près de deux ans d’étude du français, des
productions des sujets étudiés. Nous espérons pouvoir alors en extraire des
généralisations semblables à celle que propose Saito (voir Figure 2, à paraître)
pour l’acquisition du [ɹ] rétroflexe américain, dans laquelle, sur la base de l’usage
de la battue [ɾ] du japonais (caractérisée par des valeurs élevées de F2 et de F3), la
première étape résulte en une réduction de la valeur de F2 par la rétraction de la
langue, et la deuxième en une réduction de la valeur de F3 par des constrictions
labiale, palatale et pharyngale, assurant ainsi la réalisation d’un [ɹ] avec des
valeurs réduites de F2 et F3. Dans l’apprentissage de la production du /R/ français
par les japonophones, les observations de terrain donnent ainsi à penser qu’un
parcours acquisitionnel commun, lorsqu’il est suivi, procède également en deux
temps : abaissement de l’apex et rétraction de la langue dans un premier temps
(lieu d’articulation) donnant souvent lieu à des productions perceptivement
caractérisables par un degré de friction trop élevé, puis ajustement de la
constriction (mode d’articulation) dans un second temps, partiellement lié aux
contraintes distributionnelles du segment et de son environnement. Les données du
corpus devraient confirmer ou infirmer la généralisation de cette tendance, grâce à
l’utilisation de Dolmen (voir l’interface dédiée aux consonnes développée par
Julien Eychenne dans le cadre du projet CLIJAF sur la Figure 1 ci-après), qui
permet d’effectuer des requêtes dans l’ensemble des données codées.
Figure 1 : Interface de Dolmen pour les consonnes

Le codage des liquides en groupe consonantique

Outre les problèmes évoqués lors du traitement des liquides en singleton, celles-ci
se révèlent également problématiques en groupe consonantique, groupe illicite
dans la structure moraïque du japonais. Les problèmes rencontrés sont alors
doubles : au niveau de la structure syllabique d’une part, au niveau du contenu
segmental d’autre part. Ceci peut être considéré comme un double tâche cognitive
à effectuer (ou structure à réparer, du point de vue du système des contraintes en
japonais), le niveau syllabique pouvant primer sur le niveau segmental, avec une
préférence pour l’épenthèse au détriment de l’effacement, si l’on suit par exemple
le cadre de la Théorie des Contraintes et des Stratégies de Réparation (La Charité
& Paradis, 1993 ; Paradis & Béland, 2002). Or, la classe des groupes
Obstruantes+Liquides (ci-après OBLI) fait précisement partie des plus importantes
en français (Dell, 1995 ; pour une analyse plus fine de leur statut distributionnel
voir Crouzet, 2000), et l’analyse de la production des liquides nécessite donc un
codage spécifique dédié aux groupes consonantiques.

Comme dans le cas des liquides en singleton, le traitement des groupes


consonantiques par des sujets japonophones a déjà donné lieu à de nombreuses
études dans le domaine de l’acquisition de l’anglais (p. ex. Shibuya & Erickson,
2010), ainsi que dans celui de la phonologie des emprunts (p. ex. Shoji & Shoji,
2014). Plus rares sont les études sur le français comme langue cible (Detey &
Nespoulous, 2008), hormis une série d’études en perception par E. Dupoux et ses
collègues (Dupoux, Fushimi, Kakehi & Mehler, 1999 ; Dupoux, Kakehi, Hirose,
Pallier & Mehler, 1999 ; Dupoux, Pallier, Kakehi & Mehler, 2001 ; Mazuka, Cao,
Dupoux & Christophe, 2011 ; Dupoux, Parlato, Frota, Hirose & Peperkamp, 2011),
ainsi que la thèse de S. Shinohara sur les adaptations en japonais (Shinohara, 1997).
Dans le projet CLIJAF, le traitement des groupes consonantiques OBLI est testé en
perception par une tâche de comptage syllabique, tandis que les tâches de
production du protocole IPFC contiennent plusieurs items comportant de tels
groupes. Afin de couvrir un assez large spectre de productions possibles, non
seulement par les japonophones mais aussi par d’autres populations d’apprenants,
comme les hispanophones avec leurs classiques cas de prothèse des séquences /sC/
(p. e.x. Altenberg, 2005), ainsi que les groupes tri- ou tétra-consonantiques qui
existent en français, nous avons conçu le code de la manière suivante :
 Champ 1 à 4 : consonnes cibles (p. ex. 06=[t] et 16=[R] pour le groupe /tR/) ;
 Champs 5 à 6 : contextes (contextes phonologiques gauche et droit) ;
 Champs 7 à 10 : évaluation du traitement de chacune des consonnes.

Pour chaque consonne, outre les cas de conformité à la cible, sept cas de figure ont
été envisagés :
 Prothèse (insertion d’une voyelle avant la première consonne),
 Epenthèse sans changement de consonne (insertion d’une voyelle après C),
 Effacement (effacement de la consonne C),
 Métathèse (inversion des consonnes),
 Changement (modification de la catégorie phonémique de la consonne),
 Changement avec épenthèse,
 EffacementX (suppression indéterminée d’une des deux consonnes : seule une
consonne apparaît, différente des deux consonnes initialement présentes).

On notera que la position syllabique (attaque ou coda branchante) n’est pas inscrite
dans le code d’une part parce qu’elle est en partie récupérable par le contexte
(prépausal vs non-prépausal), d’autre part parce que nous codons seulement les
groupes primaires (pas de groupe issu de l’absence de schwa) à l’intérieur des mots
orthographiques (nous n’incluons pas les groupes de surfaces issu de la
resyllabation ou de contacts consonantiques : nous codons ainsi la séquence /kl/
dans « un clapier » mais pas dans « cinq livres » par exemple).

L’analyse des données ainsi codées (codage actuellement en cours) devrait nous
renseigner sur le profil d’aquisition des groupes consonantiques durant les deux
années couvertes par l’étude (voir l’interface Dolmen pour les groupes
consonantiques en Figure 2, développée par Julien Eychenne dans le cadre du
projet CLIJAF).
Figure 2 : Interface Dolmen pour les groupes consonantiques

Conclusion

Dans cet article, nous présentons les motivations et les principes présidant à la
conception d’un code d’évaluation auditive des consonnes liquides en singleton et
en groupe consonantique en français, utile au traitement semi-automatisé de
données du corpus d’apprenants japonais CLIJAF. Comme le montrent des études
récentes dédiées à l’évaluation de la prononciation en langue étrangère (p. ex.
Isaacs, 2014 ou Isaacs & Trofimovich, à paraître), celle-ci comporte des défis
méthodologiques dans lesquels plusieurs facteurs sont imbriqués et qui impliquent
d’effectuer des choix, tant dans la procédure que dans les élements de
catégorisation engagés. Ceci est particulièrement sensible dans une optique de
phonologie de corpus (Durand, Gut & Kristoffersen, 2014), qui souligne la
nécessité de minimiser la pré-catégorisation des éléments d’un système
précisément censé être mis au jour par l’analyse des données dans une approche
« bottom-up ». Cette nécessité nous paraît essentielle dans le domaine de
l’aquisition, puisque les systèmes interphonologiques sont précisément
caractérisés par l’instabilité initiale des éléments qui la composent, entre langue
source, langue cible et interlangue.

L’un des incontournables biais de l’évaluation reposant dans la combinaison entre


système perceptif et expertise (linguistique et métalinguistique) de l’évaluateur, le
système que nous proposons a pour parti pris de considérer que toute évaluation
par un auditeur natif a une valeur représentative non systématiquement marginale
tant qu’elle traite de catégories phonético-phonologiques relativement larges (et
non de détails phonétiques fins), ce qui a le mérite d’éviter les inconvénients de la
transcription phonétique fine par exemple et qui rejoint le positionnement adopté
dans une certaine mesure en dialectologie perceptive. Toutefois, il est crucial de
permettre et d’encourager des évaluations multiples en aveugle lorsque cela est
possible, raison pour laquelle l’un des chantiers actuels de développement de
l’outil Dolmen est précisément celui du système d’évaluation multiple avec
pondération (selon que l’on souhaite privilégier tel ou tel évaluateur comme
standard de référence, avec pour corollaire, sinon des tests de perception experts
sur les codeurs, du moins une description dialectologique beaucoup plus fine de
leur système). A terme, nous espérons que ce système de codage, couplé à des
fonctions aussi automatisées que possible d’évaluation automatique et de
description des productions, offrira un rendu de profil de production en langue
étrangère exploitable tant par les enseignants de langue que par les chercheurs en
acquisition ou les concepteurs de didacticiels en traitement automatique des
langues, de manière à ce que, in fine, les apprenants japonais de français puissent
produire les liquides françaises, en singleton ou en groupe, plus rapidement ou
avec moins de difficultés que ce l’on a coutume de décrire habituellement.

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Projet CLIJAF : http://www.clijaf.com/index.php?page=home
Projet IPFC : http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/
Projet PFC: http://www.projet-pfc.net/

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