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Langue française

Sur quatre méthodes audio-visuelles


essai d'analyse critique
M. Rémy Porquier, M. Robert Vivès

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Porquier Rémy, Vivès Robert. Sur quatre méthodes audio-visuelles. In: Langue française, n°24, 1974. Audio-visuel et
enseignement du français. pp. 105-122;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1974.5698

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1974_num_24_1_5698

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Rémy PoRQuiER, Université de Besançon.
Robert Vives, CREDIF-ENS de Saint-Cloud ; Université de Paris-VIII.

SUR QUATRE MÉTHODES AUDIO-VISUELLES

Essai d'analyse critique

Parler d'enseignement audio-visuel des langues étrangères, c'est


désormais se référer à la fois à des principes didactiques et à des ensembles
pédagogiques x construits. Dans ce que l'on appelle « l'audio-visuel intégré » a
les composantes sonores et visuelles ne jouent pas un rôle d'appoint — comme
naguère le disque ou la diapositive dans la classe traditionnelle — mais
constituent la matière même d'un ensemble pédagogique et l'infrastructure
d'une conception didactique. Après la parution, en 1960, de Voix et Images
de France, première méthode audio-visuelle pour l'enseignement du français
et prototype de différents ensembles pédagogiques élaborés depuis pour des
langues diverses, l'audio-visuel intégré a connu une certaine évolution et s'est
largement diversifié : sur le plan technique d'abord, où différents supports
ont été utilisés (disque, radio, magnétophone, film fixe, diapositive, tableau
de feutre) et où diverses modalités d'association image-son ont été créées
(film fixe-magnétophone) ou empruntées (film animé sonore, télévision,
vidéocassettes bientôt) ; sur le plan didactique surtout, où les doctrines relatives
à la conception, l'élaboration et l'utilisation d'ensembles pédagogiques
audiovisuels apparaissent variées, soit à cause de la diversité des objectifs et des
publics visés, soit, le plus souvent, en raison de positions divergentes sur
l'apprentissage, le rôle de l'image ou les conduites pédagogiques à préconiser
dans la classe.
La diversité des objectifs et des publics explique et justifie en partie ces
différences : le but à atteindre, les motivations et les modalités d'apprentissage
ne peuvent être les mêmes pour des enfants (cf. méthodes Frère Jacques,

1. Le terme de méthode serait ici ambigu. Il peut désigner en effet :


a. Une méthologie, c'est-à-dire un софе de doctrines relatives à la conception,
boration (méthodologie d'élaboration) et l'utilisation (méthodologie d'utilisation) d'un
matériel didactique. Exemple : la méthode directe.
b. Un matériel didactique (ou ensemble pédagogique) particulier. Exemple : la méthode
Pierre et Seydou.
Ainsi il n'y a pas une « méthode audio-visuelle » au sens 1, mais des méthodologies
représentées par des méthodes (sens 2) différentes.
2. Pour une définition, voir Coste (D.), Galisson (R.), Dictionnaire de didactique des
langues. Hachette, collection F (sous presse).

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Bonjour Line), des adultes (cf. Voix et images de France, En Français, En
France comme si vous y étiez) ou des adolescents (cf. La France en Direct).
Les besoins — et les difficultés — ne seront pas les mêmes pour les
travailleurs immigrés en France (cf. Vivre en France), les fonctionnaires canadiens
devant utiliser le français au Canada (cf. Dialogue Canada) ou des adolescents
d'Afrique anglophone (cf. Pierre et Seydou) pour lesquels le français sera
une langue véhiculaire.
Sans ignorer cette diversité, nous avons choisi d'examiner ici quatre
méthodes audio-visuelles de français, langue étrangère : VIF 1, LFD 1,
LFV 1, DW3 afin -de dégager, à travers une comparaison critique, un
certain nombre de différences et de similitudes significatives.
Quelques remarques préalables s'imposent :
1. C'est dans la classe que l'efficacité d'une méthode s'apprécie.
Cependant, pour des ensembles pédagogiques très construits, programmés et
relativement directifs pour l'enseignant, l'analyse de leur contenu apparaît
justifiée même si elle ne peut prédire le déroulement effectif de l'apprentissage
dans des contextes particuliers.
2. L'analyse d'une méthode ne peut se limiter à un inventaire
descriptif du matériel pédagogique : elle doit tenir compte des conceptions didactiques
et de la méthodologie d'utilisation, explicites ou implicites.
3. Cette étude se limite à des méthodes de niveau 1 pour adultes ou
adolescents. Ce niveau 1 n'est, pour LFD et LFV * que le premier module
d'un programme comportant deux ou trois niveaux ultérieurs auxquels les
remarques qui suivent ne peuvent être étendues. D'autre part, les quatre
méthodes sont de calibres différents :

VIF 1 32 leçons 350 à 400 h


LFD 1 20 leçons 150 à 200 h
LFV 1 28 leçons 150 h
DVV 21 leçons 250 à 300 h

4. Ces méthodes sont, à l'exception peut-être de LFD5, « universalis-


tes » (pour tous les groupes linguistiques). Nous excluons donc de cette
analyse les méthodes « locales » (élaborées dans un pays, pour ce pays,
par des enseignants locaux) sans pour autant nier leur valeur ni le bien-fondé
des démarches comparatistes.
5. Ces quatre méthodes — ou « cours ■» — présentent les points
communs suivants :

3. VIF = Voix et Images de France ; LFD = La France en Direct ; LFV = Le


Français et la Vie ; DW = De Vive Voix. Pour les références exactes, voir l'article
de Sophie Moirand, page 8, note 8.
4. Le CREDIF a élaboré un ensemble pédagogique (Leçons de transition) qui fait
suite à DW et VIF, complétant ainsi le niveau I. Un cours de niveau II est en instance
de publication (fin 1974).
5. LFD se présente explicitement (Livret d'Introduction, pp. 8, 9, 42, 43) comme
une méthode comparatiste et comporte plusieurs versions différentes, le matériel de
base (dialogues -f images) étant cependant très peu différencié entre les deux versions
(anglo-saxonne et romane).

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• elles visent à enseigner la langue comme moyen de communication, en
donnant priorité à l'oral et sans recours à la langue maternelle ;
• l'apprentissage se fait en situation, recréée ou simulée dans des saynètes
audio-visuelles présentées dans des films fixes associés à des dialogues
préenregistrés ;
• l'unité didactique est découpée en plusieurs phases au cours desquelles
l'apprentissage se fait de façon active.
Ces options semblent impliquer une hypothèse fondamentale — et non
didactique en soi — selon laquelle exercer une activité langagière n'est pas
appliquer un savoir ou une technique mais développer et maîtriser une capacité
naturelle dans des situations de communication.
C'est sur cette dernière hypothèse, rarement explicitée cependant, que
se greffent, ou mieux se fondent, en la reflétant, les choix didactiques qui
président à la conception des méthodes audio-visuelles : situation, dialogue,
image et leurs interrelations. C'est là un premier volet de la « méthodologie
d'élaboration », le deuxième étant l'organisation des contenus : sélection et
progression linguistiques, qui trouvent leur réalisation dans l'ensemble
pédagogique — plus précisément le support audio-visuel — dont la «
méthodologie d'application » quant à elle, régit ou oriente la mise en œuvre dans la
classe au moyen de procédures pédagogiques.

IMAGE ET SITUATION DE COMMUNICATION

1. La situation.
La distinction entre situation, image et dialogue est sans doute arbitraire,
ces éléments étant étroitement liés. Elle présente cependant une commodité
certaine pour l'analyse et la comparaison des caractéristiques situationnelles
des quatre méthodes.

1.1. Similitudes.

1.1.1. Personnages.
Pour ce qui est des catégories de personnages ainsi que pour les
échanges les plus fréquents, les quatre cours semblent se caractériser les
uns par rapport aux autres, sans différences véritablement significatives, en
fonction du public visé. VIF présente une majorité d'adultes ; dans LFD et
LFV, centrés sur les adolescents, les enfants n'apparaissent jamais, et DVV
fait une place à peu près équilibrée à chaque catégorie de personnages et
aux échanges entre ces catégories.

1.1.2. Relations.
L'analyse des liens existant entre les personnages aboutit à une division
générale en quatre classes :
1) relations amicales,
2) relations familiales,

107
3) relations fonctionnelles*,
4) relations de travail (avec l'employeur ou entre employés).
Là encore, aucune différence significative n'apparaît : les relations amicales
dominent partout. Toutefois, DVV présente seul 7 la quatrième catégorie, LFD
et LFV font une place proportionnellement plus restreinte aux catégories
2 et 3, alors que VIF et DVV sont à cet égard assez équilibrés.
1.1.3. Lieux et thèmes des conversations.
Aucun des quatre cours ne révèle d'originalité dans le choix des décors
où sont situés les dialogues. Dans tous, le lieu de prédilection est Ц maison
ou l'appartement ; viennent ensuite les lieux publics (cafés, magasins, bureau
de poste, cinémas, etc.) puis la rue. VIF et DVV, plus longs, introduisent
également la campagne et DVV, seul, un lieu de travail. Si l'on examine les
liens existant entre le cadre de la conversation et son thème, on constate
partout — et dans une proportion écrasante — que les dialogues qui se
déroulent dans un lieu public portent, de façon souvent artificielle, presque
uniquement sur les activités inhérentes au cadre lui-même (commande d'une boisson,
achats divers, expédition d'un paquet, etc.) 8.
L'examen des thèmes de conversation aboutit à une liste de sujets
stéréotypés : famille et vie sociale viennent en tête, suivis par les achats, la
nourriture, l'appartement, les transports, les distractions, les vêtements, la
maladie, le temps, etc. Dans les cours, aucune différence quantitative n'est
sensible, sauf peut-être pour VIF où l'on mange vraiment beaucoup (nourriture
et boisson reviennent seize fois !). Aucune méthode ne propose en fait de
thème original par rapport à la liste commune.
Toutes ces similitudes fournissent d'elles-mêmes la clé d'une uniformité
avouée d'ailleurs par DW e : il s'agit des « centres d'intérêt » , hérités de
méthodes plus anciennes et nourris du vocabulaire disponible du FF1 10.

1.2. Différences.
Les éléments constitutifs de la situation dans les quatre cours sont donc
tout à fait comparables. Pourtant, on constate qu'à partir de données de
bases analogues, les situations, telles qu'elles apparaissent à travers l'image
et le dialogue, révèlent des manières différentes de reproduire les conditions
de la communication.
1.2.1. Examen de quelques échantillons.
Résumer et caractériser, pour chacun des cours, une situation présumée
représentative de l'ensemble de la méthode u pourrait être une façon
d'illustrer ces différences.

6. Relations d'un personnage avec des commerçants, des employés, des


fonctionnaires, des passants inconnus auxquels il demande par exemple son chemin, etc.
7. Dans les autres méthodes, on parle bien de travail, mais toujours hors du cadre
même de ce travail.
8. Ppur plus de détails, voir l'article de Sophie Moirand dans le présent numéro.
9. DW, Livre du maître, p. 19.
10. FF1 = Français fondamental 1er degré. Pour les références exactes, voir Sophie
Moirand, p. 13, note 23.
11. Pour des raisons de place, nous ne pouvons reproduire ici ni le texte ni les images.

108
VIF. L. 6.,Sketch : Mme Thibaut reçoit la visite de son amie Monique et lui
montre des photos de vacances. Elles bavardent en regardant les
photos de la famille Thibaut.
LFD. L. 5. Deux jeunes gens parlent à la terrasse d'un café. Elle demande
à son compagnon une cigarette, du feu, un stylo, une enveloppe et
des timbres.! Le jeune homme semble légèrement excédé.
LFV. L. 7. Une dame, accompagnée de son mari, va acheter un manteau. Elle
hésite, choisit et finalement achète un manteau et une robe.
DVV. L. 7. 2e partie : Un jeune homme fait du bricolage pour rendre service
à une vieille dame qu'il connaît déjà. Il réclame au fur et à mesure
les outils qui lui sont nécessaires et, à la fin, il hésite à dire son avis
sur le tableau qu'il vient de raccrocher.

Ces exemples appellent plusieurs remarques. Lorsque, pour rendre


compte du déroulement d'une situation, nous sommes amenés à employer des
termes tels que « bavarder, parler, demander, acheter », cela signifie en
général que la situation considérée est neutre et conventionnelle (les photos
que l'on regarde, la conversation dans le magasin) et que la communication
porte, de façon non motivée, sur des échanges de renseignements ou d'objets
sans importance (les cigarettes, le briquet, la robe, le manteau). Dans ces
scènes, il ne se passe rien, les personnages importent peu, de même que le
contenu de la conversation ; on peut à la limite permuter les acteurs, les
situer dans un autre décor, faire intervenir d'autres objets sans pour autant
modifier ni le texte (pour l'essentiel) ni la tonalité de la communication.
Cela se vérifie, à des degrés divers, pour les trois premiers exemples,
beaucoup moins pour le dernier. On imagine mal en effet comment les
rôles du jeune homme et de la vieille dame pourraient être intervertis ; même
si cela était possible, on ne voit guère comment les répliques « passeraient »
sans des modifications importantes touchant, sinon au sens littéral de ce qui
est dit, du moins à la façon de le dire, et finalement la scène serait
complètement différente. Ainsi, en constatant que la situation s'avère plus pleine et
plus vraie quand l'échange est personnalisé et motivé, nous sommes amenés
à prendre en considération la richesse et le degré d'imbrication de tous les
éléments situationnels. De nouvelles questions se posent alors. Dans quelle
mesure ces méthodes parviennent-elles, au moyen de la situation, à reproduire
les conditions réelles de la communication ? Quels critères utiliser pour une
telle évaluation ? Si nous prenons des situations qui peuvent être considérées
comme « riches » pour chaque méthode, leur analyse détaillée peut fournir
sur ces deux points des éléments d'appréciation.
Le tableau suivant met en relief l'importance, dans la reproduction d'une
situation de communication, des trois types d'acte de parole dégagés par
Austin ". Il semble en effet que la richesse des situations « didactiques *

12. Austin (J.L.), Quand dire, c'est faire. Paris, Le Seuil, 1970. Austin distingue,
dans les actes de parole les trois niveaux suivants :
• locutoire : l'acte même de parler ;
• illocutoire : ce que fait le locuteur quand il parle : renonciation constitue elle-même un
acte : promettre, refuser, etc.;
• perlocutoire : ce qu'on fait à l'interlocuteur : renonciation vise à un effet psychologique :
aider, faire plaisir, ennuyer, rassurer, etc.
Voir aussi Jakobovits (L.), Foreign language learning, Newbury House, Rowley, U.S.A.,
1970, pp. 155-157.

109
VIF LFD LFV DW
Mécanisme 10 Dossier 8 Leçon 14 Leçon 5
Lieux, actions Dans la rue, Un couple Un Dans un
personnages. deux frères ren- reçoit un colis automobiliste prend de appartement, une
contrent une et l'ouvre sur la l'essence à une jeune fille téléphone
jeune fille qu'ils table de la station service. puis salue, avant
connaissent et cuisine. de partir, les
veulent l'inviter personnes qui la
à sortir avec logent.
eux.
Ressorts L'un des deux Les personnages Pendant qu'il Un appel
dramatiques. frères essaie ne savent pas fait son travail, téléphonique dont
d'entrer dans ce que contient le pompiste on ne connaît
les bonnes le paquet : parle voitures avec pas la teneur
grâces de la jeune « suspense » son client. amène la
raie. jusqu'à jeune fille à sortir
l'apparition du et le couple à
contenu et du se poser des
message qui se questions.
trouve
également dans le
colis.
Arrière-plan Relations entre Relations Conversation Curiosité et
psycho-sociologique. jeunes gens : classiques dans un banale entre un sollicitude d'un vieux
un garçon couple : la client patient et couple à l'égard
décidé « femme est accom- un commerçant d'une jeune fille,
baratine » une m о d a n t e, le bavard. leur locataire,
jeune fille plus mari autoritaire. qui tient à
fine mouche garder ses distances.
qu'il n'avait
cru.
Rôle du langage L'assurance de La victoire du Amabilités Madame Ratier
et du comportement Jean mari est commerciales qui veut savoir qui
vis-à-vis ďautrui. impressionne un momentanée ; en n'impliquent a téléphoné et
moment Marie; fin de compte aucun des ce que va faire
mais il « en c'est la femme locuteurs. questions
fait trop » et qui triomphe et indirectes n'ont pas
elle finit par qui a le de succès et
s'en aller avec dernier mot. c'est finalement
Michel, le son mari qui
sportif, qui obtient des
bénéficie, en fin informations de
de compte, des Mireille, très
approches de réticente.
son frère.

réside pour beaucoup dans la présence du niveau perlocutoire 1S grâce auquel,


au-delà du sens littéral, les véritables significations sont d'un ordre autre que
l'échange banal d'informations.

13. Cette richesse est aussi tributaire, évidemment, de la co-existence des trois
niveaux.

110
1.2.2. Les divers types de situation.
La conception et la réalisation audio-visuelle des situations dans ces
quatre cours permettent de les situer de façon différentielle sur une échelle 14
établie d'après la richesse et la combinaison plus ou moins complexe des
éléments situationnels 15.

Qui parle Qui parle


Personnages schématisés sans relief, Personnages plus caractérisés ayant
dépourvus de caractère. une « épaisseur » psychologique et se
prenant en compte réciproquement dans
la communication.
Où Où
Lieux schématisés apparaissant en Lieux précis et présents, situant le
début de dialogue seulement ; dialogue dans l'espace, les déplacements
déplacements absents. des personnages intervenant dans la
dynamique de la situation.
Quand Quand
Temps sans effet sur la Déroulement temporel pertinent et
communication, coïncidant abstraitement avec la rendu perceptible implicitement ou
durée du dialogue. explicitement (déplacements par exemple).
De quoi De quoi
Contenu de l'échange non motivé par Le contenu de l'échange est lié aux
l'ensemble des éléments situationnels. personnages, aux événements, aux lieux.
Pourquoi Pourquoi
Communication non justifiée par les La dynamique et les modalités de la
éléments situationnels et sans communication sont motivées par les
dynamique interne. interrelations et les dimensions
psychosociologiques des personnages.

<- LFV LFD VIF DVV

Compte tenu des déclarations de principe figurant dans les préfaces, nous
sommes amenés à constater qu'il y a une plus grande cohérence à l'intérieur
de la méthode lorsque l'échange porte sur ce qu'il convient de dire ou de faire
en fonction de l'évolution de la situation ou bien lorsqu'il naît des relations,
implicites ou explicites, entre les locuteurs (zone В de notre schéma). Par
contre, la cohérence du point de vue situationnel est tout à fait réduite
lorsque les intentions de communication des personnages sont insaisissables
et les échanges neutralisés à l'extrême (zone A du schéma). Il y a, en outre, de

14. Cette grille ne se prétend nullement exhaustive.


15. Pour des analyses prospectives de cette notion, voir Kirkwood (J.L.), « Analyzing
the linguistic and cultural content of foreign language textbooks » in IRAL, XI /4,
novembre 1973 et Richterich (R.), « Modèle pour la définition des besoins langagiers
des adultes apprenant une langue vivante » in de Grève (M.) & al., Modem language
teaching to adults. AIMA V, Bruxelles, 1973.

Ill
bonnes raisons de penser que la motivation est liée à l'authenticité des
situations de communication reconstituées : une situation — qu'elle soit
caricaturale, humoristique, réaliste — s'avère motivante lorsqu'on y retrouve les
éléments et les schémas constitutifs de la réalité.

2. L'image.

« La suite d'images présente le déroulement d'une situation » (LFV).


Nous ne tenons compte ici que des images reproduites dans les films fixes 16.
Le rôle unanimement assigné à ces séquences est de servir de « point de
départ pour la compréhension » (LFD), sans passer par la traduction, en
« évoquant la situation » (VIF) et en fournissant « un décor et des
personnages authentiques » (LFD). Nous allons donc retrouver dans les images les
éléments dégagés ci-dessus (1.1.).

2.1. Les éléments communs.


Les images peuvent présenter : les personnages du dialogue ; leurs
attitudes, gestes, mimiques, déplacements ; les lieux, le décor du dialogue ; les
objets jouant un rôle dans le déroulement de la situation 17.

2.2. Plusieurs conceptions de l'image et de son rôle.


Les différentes méthodes articulent en fait de façons très différentes ces
éléments communs : ce que l'image véhicule varie selon chaque cours 18, les
techniques de visualisation sont elles-mêmes très diverses et les rôles assignés
à l'image dans le processus didactique diffèrent considérablement. Quatre
séquences, choisies pour l'analogie de situations qu'elles présentent, en
donneront un aperçu concret. (Voir pages 114-115.)
On reconnaît là aisément les deux types d'image : celles qui visent à
transcoder l'énoncé, celles qui visent à simuler une situation de discours 19. Dans
tous les cas, la situation se résume à un échange de cigarettes et de feu. Dans
LFV, LFD, VIF, les images ne se bornent pas à visualiser les éléments de
la situation, mais proposent également, dans les ballons, la visualisation de
certains éléments linguistiques du message.
Ce qui est visé, ce n'est pas seulement le déroulement de la situation,
puisque l'on voit diminuer, au fur et à mesure de la séquence, les véritables
éléments situationnels (décor, gestes, mimiques, attitudes), mais une sorte de
traduction de l'énoncé par la représentation visuelle et linéaire des éléments
linguistiques. Dans LFV (image 6) « vous avez du feu, Karl ? ■» est ainsi
représenté de gauche à droite : « vous » par le doigt pointé du locuteur, « avez
du feu » par la scène du ballon, la question par le point d'interrogation,
« Karl ъ par le personnage désigné par le locuteur. Cette tendance est par

16. LFD et LFV utilisent également comme support visuel le tableau de feutre ou
les seules illustrations des manuels.
17. Pour plus de détails, voir Henri Besse, dans le présent numéro.
18. Nous laissons ici de côté les aspects culturels, qui mériteraient un examen
particulier.
19. Voir l'article de Henri Besse dans le présent numéro.

112
ailleurs renforcée dans LFV et LFD par l'utilisation complémentaire
(éventuelle) du tableau de feutre dans l'explication : la mise en place successive
des figurines découpe l'énoncé en constituants (groupes nominaux, sujets ou
compléments, verbes, circonstants) et favorise la saisie du seul sens littéral.
En revanche, dans DVV, seuls figurent dans cette séquence les éléments
situationnels : 1.9 : geste d'offrir une cigarette, 1.10 : geste de refermer le
paquet, 1.12 : geste de fouiller dans une poche, etc. Le message visuel ne vise
donc pas à attirer l'attention sur des éléments linguistiques mais sur les
gestes et les éléments qui permettent d'appréhender globalement la situation,
son évolution et les intentions de communiquer des personnages. L'image ou
la séquence ne visent donc pas à traduire l'énoncé, dans la mesure où, à
chaque moment de la situation, pourraient intervenir des formulations
différentes d'une même intention signifiante : 1.9 : « Voulez-vous une gitane ? »,
« Vous fumez des gitanes ? », « Servez-vous ! » i0, etc.

2.3. Des tendances opposées.

Ces deux utilisations de l'image impliquent deux approches différentes du


sens. D'une façon générale, les cours mettent l'accent soit sur la composition
du sens littéral des énoncés (LFD, LFV), soit sur les aspects situationnels
générateurs de discours, sans référence explicite à un énoncé unique (DVV), ou
encore combinent avec des dosages variables les deux tendances (VIF L. 9
par exemple). En fait, si les ballons et les codes symboliques peuvent être utiles
à l'identification des unités de la langue, ils bloquent souvent la
compréhension du discours en réduisant presque à néant les aspects situationnels (VIF
L. 17 ; LFV L. 17 ; LFD L. 17) ou en compliquant, de façon inutile et absurde
parfois, le contenu de l'image {LFD L. 9 : Mme Ledoux fait le ménage dans
l'image elle-même en passant l'aspirateur, dans la bulle en essuyant un
meuble, et en classe le professeur est censé mimer encore une fois l'action ; voir
aussi LFV L. 10 ; VIF L. 5, I. 20 ; DVV, L. 16, I. 18)". D'autre part,
l'utilisation systématique de ce type d'images du début à la fin d'un cours82, ne
favorise pas, contrairement à ce que prétendent certains auteurs, l'apparition
de « besoins d'expression directe » chez les étudiants (LFD, Livret de
présentation, p. 10) : en effet la correspondance linéaire entre images et énoncés
laisse peu de place à des formulations différentes (il n'y a guère de
paraphrases possibles) et, d'autre part, contenu de l'image et contenu des ballons
induisent le plus souvent un discours descriptif et non une prise de parole
ou un commentaire personnel sur la situation.
En définitive, nous retrouvons au niveau de l'image la répartition
échelonnée que nous avions relevée en étudiant les situations : l'usage systématique
des codes correspondrait à une conception schématique de la situation, alors
que l'accent mis sur les éléments situationnels viendrait d'une analyse plus

20. Voir Argaud (M.) et Marin (В.), « Une pédagogie de De Vive Voix » in Voix et
Images du Crédif, n° 20, 1973.
21. Sur les excès possibles du transcodage d'unités isolées, voir l'article de Henri Besse
dans ce même numéro.
22. Ce qui ne tient aucun compte des acquis de l'élève depuis le début de
l'apprentissage.

113
DE VIVE VOIX. Leçon 4 (lre partie)

9. Mireille: Vous fumez ! Oui ? Prenez une cigarette. 14. Mireille: Non. Ma boîte d'allumettes est vide.

LA FRANCE EN DIRECT. Dossier 5

10. Pierre.- Et vous, vous ne fumez pas ?

1. Sylvie .Tu as une cigarette?

11. Mireille: Non, moi, je ne fume pas.


2. Jean : Tiens ! Voilà mon paquet

12. Pierre: Je n'ai pas de feu.


3. Sylvie: Merci. Est-ce que tu as des allumettes?

13. Ah ! vous avez des allumettes. 4. Jean : Non. Voilà un briquet.


LE FRANÇAIS ET LA VIE. Leçon 5.

4. Karl : Oui, (moi aussi) je veux bien. 9. Sophie. Oui, j'en ai. Voilà mon briquet.

VOIX ET IMAGES DE FRANCE.


Leçon 5 (Mécanisme)

5. Marco: Mais je n'ai pas de feu.

1. Présentateur 1.— Est-ce que vous avez des cigarettes?

6. Marco.'Vous avez du feu, Karl?


2. Présentateur 2.— Oui, j'ai des cigarettes,

7. Karl : Non, je n'en ai pas non plus.


3. mais je n'ai pas de feu.

8. Marco : Mais Sophie en a peut-être ? 4. Présentateur 1. — Merci, j'ai des allumettes.


riche des conditions de la communication orale, reproduites en partie par le
support visuel.

3. Le dialogue.

C'est le dialogue qui présente la matière linguistique de l'apprentissage.


Sa forme et son contenu, intimement liés aux situations, sont déterminés par
des choix didactiques qui reflètent eux-mêmes les hypothèses de départ.

3.1. Situation et dialogue.


Une situation naturelle, authentique ou plausible peut donner lieu à un
dialogue artificiel : ainsi dans LFV (leçon 11), où deux amies parlent
chiffons :

Mme R. : Vos écharpes sont toujours jolies. Où les achetez-vous ?


Isabelle : Je les achète chez Lelong.
Mme R. : Chez Lelong, j'achète les cravates de mon mari. Et pour ses
costumes, il va chez Durel.
Isabelle : Mon mari va aussi chez Durel pour ses chemises et ses pyjamas.
Durel vend aussi de bonnes chaussettes.

Un tel dialogue, grammaticalement « bien formé » et conforme aux règles


de la langue, sonne « faux » 23. De même, dans les leçons de VIF et DW qui
se déroulent au restaurant, on assiste longuement au choix des différents
plats sans que jamais le dialogue porte sur autre chose que la nourriture.
Dans LFV (L. 25) et LFD (L. 19) au contraire, la brièveté des
dialogues leur donne, pour une situation analogue, un caractère plus naturel. Ici
encore, la conception de la situation sous-tend la forme du matériel
didactique : une situation plate (par opposition aux situations « riches » évoquées
plus haut) s'accompagne difficilement d'un dialogue naturel et plausible,
mais il ne suffit pas d'une situation vraisemblable pour donner vie à un
dialogue artificiel.

3.2. Type de langue.


Les quatre cours s'accordent à enseigner un français standard utilisé par
des gens cultivés dans des situations familières ou courantes. Ce français se
distingue d'une langue recherchée ou relâchée 24. On veut enseigner la langue
commune, comprise et pratiquée par la majorité des Français dans la
communication orale usuelle25. Ce français commun, pour lequel le FF1 a servi de
repère, apparaît sous des formes différentes dans les quatre cours. En effet,
alors que les énoncés de VIF, LFD et LFV apparaissent le plus souvent
neutres, inexpressifs, on trouve dans DW de nombreux aspects caractéristiques du
français parlé : ellipses, exclamations, phrases segmentées, intonations expres-

23. On trouvera, pour les quatre méthodes, d'autres exemples dans l'article de Sophie
Moirand dans le présent numéro.
24. LFD, Livret de présentation, pp. 4-5.
25. DW, Livre du maître, p. 7.

116
sives qui suffisent parfois à rendre naturel, voire vivant, un dialogue monotone
ou stéréotypé (DVV, L. 4, 2). Il s'agit moins là d'un choix de registres de
langue que de l'utilisation des ressources expressives du français parlé dans
des situations de discours qui les suscitent, les justifient et veulent en faciliter la
compréhension et l'apprentissage.

3.3. Forme des dialogues.


Les dialogues se différencient par leur longueur, la longueur des
répliques et le rôle qu'ils jouent dans la classe. Dans LFD, le dialogue est court :
une douzaine de répliques courtes correspondent en moyenne à 15 images et
15 unités de discours28. La longueur des dialogues est pratiquement
invariable de la première à la dernière leçon et les répliques courtes créent parfois
un effet « ping-pong » qui peut favoriser peut-être la mémorisation mais qui
impose souvent au dialogue un découpage artificiel, comme dans l'exemple
suivant (LFD L. 11 ; la barre indique un changement d'image) :

Mme Dubois : Quelle belle cravate l/Hélène : Voilà peut-être un cadeau


pour mon oncle.
Mme D. : Elle me plaît beaucoup mais.../Я. : Est-ce qu'elle va lui plaire ?
Mme D. : Non, je ne crois pas./Il ne porte jamais de cravates en laine.
H. : Tu as raison,/ cherchons un autre cadeau.
Mme D. : Oui, mais faisons vite. /Notre liste est longue.

L'introduction des éléments nouveaux est très sélective, chacun n'apparaissant


généralement qu'une seule fois dans le dialogue.
Dans LFV, le dialogue est invariablement de 20 unités27, représentant
10 à 20 répliques très courtes. La quasi-totalité des dialogues se résume à
des échanges brefs. L'introduction des éléments nouveaux dans les dialogues
est sélective, moins cependant que dans LFD.
Dans VIF, chaque unité didactique (leçon) comprend un sketch
(dialogue) et un mécanisme (dialogue grammatical). Les mécanismes, très
artificiels au début — des structures grammaticales déguisées en
pseudo-dialogues — deviennent au fil des leçons plus naturels. Les sketchs sont longs :
15 à 20 répliques de longueur variable, correspondant à 30 ou 50 unités.
Exemple : leçon 21 (Mme Thibaut et son fils font des courses : 3 répliques,
9 unités, 10 images) :

— Au revoir, monsieur, Viens, Paul. Maintenant, allons chez le boucher. Il


me faut de la viande.
— Demain, c'est dimanche. Est-ce que les boucheries seront fermées ?
— Non, elles sont fermées le lundi, mais le dimanche matin il y a beaucoup
de monde. Je préfère acheter la viande aujourd'hui.

Les mécanismes sont en moyenne plus courts (10 à 15 répliques assez

26. Nous entendons ici par unité de discours une phrase, une proposition, un énoncé
qui, du point de vue du sens, pourrait constituer un énoncé minimum. Ce terme n'a pour
nous de signification que pour cette analyse.
27. « Chaque dialogue se compose de 20 unités de sens illustrées par 20 dessins. »
LFV, Guide pédagogique, p. 5.

117
brèves). Sketches et mécanismes s'allongent et s'étoffent au fur et à mesure des
leçons. Les mécanismes, et parfois les sketches, introduisent massivement
les éléments nouveaux à exploiter.
Dans DVV, chaque leçon comporte deux dialogues longs (le deuxième
jouant, au début, un rôle de « mécanisme ■» grammatical). Le premier
comporte de 20 à 30 (voire 35) répliques parfois assez longues (30 à 55 unités)
avec souvent trois ou quatre participants. Les éléments nouveaux à exploiter
sont introduits massivement (leçon 16-2 : 12 occurrences de aller + infinitif ;
leçon 17-2 : 31 occurrences de verbes pronominaux).
Un dialogue peut-il être à la fois naturel et didactique ? Les
caractéristiques respectives des dialogues des quatre méthodes sont étroitement liées au
choix des situations mais aussi aux exigences de sélection et de progression
linguistique.

PROGRESSIONS ET PÉDAGOGIES

On distinguera ici entre le choix qualitatif et quantitatif (sélection) des


contenus linguistiques et l'ordre (progression) dans lequel sont programmées
l'introduction et l'exploitation des nouveautés.

1. Sélection.

Ces quatre méthodes donnent la priorité à la grammaire sur le lexique :


les structures morpho-syntaxiques, et non le vocabulaire, constituent la trame
des contenus et des progressions. Les quatre cours ont en commun de réduire
et délimiter soigneusement le contenu lexical et grammatical, qui fait l'objet
d'un apprentissage approfondi. La sélection lexicale est pratiquement la
même 2e, soit 1 000 à 1 200 mots ou unités lexicales, choisies dans le
vocabulaire le plus fréquent et dans le vocabulaire disponible répertoriés par le FF1.
Cette estimation reste cependant imprécise, « dans la mesure où la liste inclut
sous une même rubrique des mots dont les sens varient en fonction des
contextes » M. Il en est ainsi de prendre (un taxi, un manteau, un café), de passer,
de pouvoir, etc. Si DVV cherche à en tenir compte, les autres méthodes tendent
parfois à oublier qu'un mot connu doté d'un sens nouveau est à considérer
comme un mot nouveau ; ces lacunes ne font là que reproduire celles du FF1.
Sur le plan grammatical, les contenus sont peu différenciés, bien que
DW se distingue en développant l'étude de la syntaxe du verbe et des
formes segmentées de la langue parlée usuelle. On enseigne, à ce niveau, les
principales structures morphosyntaxiques avec insistance sur le verbe, le
pronom, la négation, l'interrogation, nécessaires ou usuelles dans la
communication orale.
Un certain registre de langue parlée est conservé : jamais on ne remplace
nous 30 ; la négation fait toujours entendre le ne ; ils viennent n'est jamais

28. Il suffit, pour le vérifier, de consulter les index de LFD, LFV et DW.
29. DW, Livre du maître, p. 8.
30. Sauf dans LFV, leçon 4.

118
prononcé [ivjsn] ; des liaisons facultatives sont souvent faites et les quatre
méthodes utilisent un registre standard, sans variété ni concession réelle au
familier.

2. Progression.

On entend ici par progression l'ordre d'apparition des éléments nouveaux


et le rythme auquel ils sont introduits et pratiqués. L'apparition et
l'exploitation d'un élément ne se situent pas forcément à la même leçon, ce qui permet
de parler pour les quatre cours de progression passive et de progression
active. Il est difficile de parler de progression phonétique car les sons du
français sont introduits massivement dès les premiers dialogues et
l'entraînement phonétique dépend des difficultés spécifiques — selon leur langue
d'origine — des étudiants. Il y a là des priorités, plutôt qu'une progression. Pour
le lexique, la progression est subordonnée aux thèmes et situations des
dialogues, et à la progression grammaticale dont nous parlerons surtout. Celle-ci
est peu différenciée, l'itinéraire grammatical étant presque le même dans
chaque méthode, comme en témoigne l'examen des progressions pour
l'interrogation, la négation, les pronoms (formes, place, emploi), les temps verbaux,
etc., et ceci malgré l'existence, dans chaque cours, de plusieurs progressions
parallèles (verbes, pronoms, négation, etc.).
On trouve cependant des différences sensibles sur des points
particuliers : pour les verbes pronominaux, VIF exploite d'abord les réfléchis (L. 12,
L. 15) qui seront ensuite pratiqués dans des constructions diverses (L. 32).
Dans les trois autres cours, l'introduction massive des pronominaux conduit
à mélanger dans la présentation et/ ou l'exploitation des catégories très
différentes : dans DVV (L. 17) tous les types de pronominaux apparaissent en
même temps. LFD (L. 15) et LFV (L. 15) font un mélange analogue. Ex. LFV
(manuel élève p. 133) :

nous nous sommes excusé(es) tout de suite


connu (es) en Chine
vous vous êtes
assises) dans le séjour
ils se sont retrouvé(es) à Athènes

Pour les temps du passé, on constate que le « passé composé » est


introduit séparément avec être et avoir dans VIF (L. 15 ou 24, L. 12 ou 13),
mais simultanément dans DVV (L. 13). LFD (version « anglo-saxonne »)
n'introduit (L. 20) que le passé avec être, vraisemblablement pour éviter, dans
l'intention des auteurs, les risques d'interférence avec la langue maternelle
des étudiants 31, mais pas l'imparfait, qui est introduit dans VIF et DVV à la
faveur du discours indirect au passé. A ce propos, il est frappant de constater
que le discours indirect est pratiqué systématiquement dès la leçon 1 de

31. LFD, Livre d'introduction, p. 9.

119
LFV et jusqu'à la leçon 10 32, dès la leçon 4 de VIF, jusqu'à la leçon 17, tout
comme dans DW (L. 4 à 19. Dans LFD, aucune mention du discours indirect
n'apparaît, si ce n'est, au dossier 14, les exercices sur dites que. On sait que
le discours indirect constitue un moyen de passage au récit oral et écrit. Il
introduit ainsi dans les cours une progression pédagogique extérieure au
contenu des dialogues.
Les différences sensibles apparaissent surtout là où telle méthode a
prévu une progression effective sur des structures que telle autre introduit
de façon marginale ou épisodique. C'est le cas des phrases segmentées dans
DVV, et des constructions verbales qui font l'objet d'une progression
soigneuse. La progression morphologique, elle, apparaît plus fine dans LFD.
D'autre part, la progression ne se résume pas au seul contenu réuni dans
les dialogues. Il existe en effet d'autres progressions périphériques
indépendantes de celles des dialogues, comme celles du discours indirect ou de l'écrit.
Celui-ci est abordé dans VIF, DVV et LFD aux leçons 5 ou 6, par la dictée,
alors que LFV l'attaque dès la leçon 1 par la dictée et la lecture, les étudiants
disposant déjà du manuel. L'expression écrite (rédaction) est également
reportée assez tard (VIF après la leçon 15, LFD après la leçon 17, DW après la
leçon 13), LFV ne prévoyant que des exercices écrits systématiques jusqu'à
la dernière leçon.
Les quatre cours ne se différencient pas de façon marquante quant à
la sélection et à la progression du contenu. C'est bien davantage dans la
façon dont ce contenu est introduit et mis en rapport, à chaque stade, avec
des situations et avec ses capacités d'emploi en discours qu'apparaissent
les écarts, tout particulièrement dans les procédures pédagogiques.

3. Procédures pédagogiques.

Dans les quatre cours, l'unité didactique se répartit en phases, globale-


ment; les mêmes : explication, répétition, exploitation, transposition 3Î.
A. Explication (ou « présentation ■»).
Si cette phase, très courte dans LFD et assez brève dans LFV, est
sensiblement plus longue dans VIF et DW, ce n'est pas à cause de la brièveté des
dialogues des deux premiers, mais surtout en raison de la façon dont s'y fait
la découverte du sens : ce sont surtout les images qui expliquent les énoncés
auxquels elles correspondent, ce qui minimise le rôle du professeur et surtout
la participation des étudiants. En outre, le recours à la mimique conduit
souvent à des pléonasmes (cf. LFD, L. 9 : « je fais le ménage », exemple déjà
cité ci-dessus page 113) ou à des impasses (LFV, L. 7 : « je voudrais un
manteau » : « opposer par le ton et la mimique : je veux/ je voudrais » ;
LFD, L. 17 : « Si tu as peur de la pluie » : « mimer la peur d'un chien ou
d'une bête sauvage »).
Les quatre cours utilisent des procédés communs — image, situations
(de la leçon, de la classe, imaginaires, recréées, des leçons antérieures),

32. Après quoi il n'en est plus fait mention.


33. Pour VIF, où il n'existe pas de Guide pédagogique détaillé, on pourra se reporter
à Voix et Images du Crédif, n°" 7, 8, 9, 10, 11, 12.

120
mime, paraphrase — mais avec des dosages différents. Dans VIF et surtout
DW, la compréhension visée est plus globale que littérale et suppose donc
la médiation du professeur — qui oriente la saisie du sens — mais aussi la
participation active des étudiants pour l'explicitation de la signification. Une
telle approche explique que « les techniques d'explication englobent de plus
en plus des exploitations partielles » M et que DVV préconise, après la leçon
12, une fusion des différentes phases. Elle explique également que la
compréhension, si elle requiert des manipulations (variations paradigmatiques et
syntaxiques) recoure essentiellement dans DVV à des données situationnelles
et à la paraphrase en discours.
B. Répétition.
Cette phase vise à la mémorisation et à la correction phonétique. VIF
et DW insistent surtout sur la correction auditive et globale, où
l'intonation joue un grand rôle, alors que LFV et LFD — qui reproduisent dans le
manuel de l'élève la transcription phonétique et les schémas intonatifs des
dialogues — utilisent surtout une correction articulatoire portant le plus souvent
sur des éléments isolés, syllabes ou mots, et emploient des procédés comme la
syllabation ou l'opposition de paires minimales (LFD) ou le recours à des mots
clés (LFV) étudiés dès la première leçon et qui servent de repères («
diapasons ») pour la correction. Les différentes méthodes préconisent une
mémorisation totale ou partielle du dialogue puis la redécouverte de celui-ci, à partir
des images, par les étudiants.
C. Exploitation grammaticale.
Cette phase, qui vise à faire pratiquer, explorer, assimiler et réemployer
les éléments nouveaux de la leçon avec ceux acquis antérieurement, utilise
des techniques très différentes. Elle repose essentiellement dans LFD et
LFV, sur des exercices structuraux sytématiques (stimulus-réponse, une
seule réponse correcte) hors contexte et hors situation qui visent à une réelle
mécanisation des structures. Celles-ci sont schématisées dans des « tableaux
structuraux » que les étudiants peuvent utiliser pour produire des phrases
utilisant le vocabulaire et les constructions imposées. Le tableau de feutre
peut également être utilisé.
Dans VIF et DW, l'exploitation part de la leçon, du dialogue et de la
situation, avec les images puis sans elles, au moyen d'exercices dialogues,
contextualisés et basés au moins sur des micro-situations, même lorsque
l'exercice a pour but la pratique de paradigmes morphologiques. Ces exercices, ou
plutôt cette activité, constituent une transition vers la transposition et
l'expression libre.
D. Transposition.
Cette étape, qui constitue l'aboutissement de la leçon, est envisagée de
façon relativement similaire dans les quatre cours qui proposent de réutiliser
librement la situation de la leçon, en la faisant jouer avec des variations par
les étudiants, puis en la transposant dans d'autres situations vécues ou
imaginaires, avant de passer, dès que le niveau le permet, à de petites conversations
libres. Dans LFD, une gamme très variée et intensive de jeux est proposée,

34. DW, Livre du maître.

121
utilisant différents supports (photos, dessins, tableaux de feutre, etc.) qui
permettent de quitter la leçon et d'accéder à une utilisation plus spontanée de
la langue.
La conception des phases, on le voit, varie considérablement : succession
d'étapes complémentaires dans LFV et LFD, qui mettent en jeu tour à tour
différentes activités d'apprentissage centrées sur la maîtrise du fonctionnement
de la langue ; continuum dans VIF et surtout DW, qui tendent à fondre les
différentes phases dans une même activité, où la situation et l'échange
dialogué conduisent à l'apprentissage de la langue par l'exercice de la
communication.

**

En regard de l'hypothèse de départ, initialement supposée commune aux


quatre cours, les différences observées dans les conceptions et les démarches
didactiques conduisent moins à poser le problème de leur inégale adéquation
à la réalité du langage — une méthode, même audio-visuelle, est toujours un
artifice — que celui de la validité didactique de leurs options. Les méthodes
« situationnelles ■» — ce que VIF commençait d'être, ce que DVV est
résolument — reproduisent plus fidèlement les conditions de la communication
langagière ; les méthodes plus « structuralistes » que sont LFD et LFV
centrent davantage l'activité d'apprentissage sur la langue et ses structures
que sur les conditions de leur emploi en discours. Cela ne permet pas de
gager de la meilleure réussite, à moyen ou long terme, de l'une ou de l'autre.
Le dosage entre manipulation et communication — même si celle-ci constitue
l'objectif avoué — , la prééminence donnée à l'une ou à l'autre dans
l'itinéraire d'apprentissage, les techniques utilisées enfin sont, comme toute
pédagogie, largement affaire de pragmatisme.

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