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Arnaud REY
LEAD-CNRS
Université de Bourgogne, Dijon, France
Adresse :
Arnaud REY
LEAD-CNRS, Université de Bourgogne,
6, boulevard Gabriel, 21000, Dijon, France
Phone : (33) 380 39 57 22
Fax : (33) 380 39 57 67
E-mail : arnaud.rey@u-bourgogne.fr
« Tout individu est à la fois le bénéficiaire et la victime de la tradition
linguistique dans laquelle l’a placé sa naissance, - le bénéficiaire, pour autant
que la langue donne accès à la documentation accumulée de l’expérience des
autres ; la victime, en ce qu’elle le confirme dans la croyance que le conscient
réduit est le seul conscient, et qu’elle ensorcelle son sens de la réalité, si bien
qu’il n’est que trop disposé à prendre ses concepts pour des données, ses mots
pour des choses effectives. »
A. Huxley
Les portes de la perception
nous décodons les symboles du langage écrit afin de retrouver les mots et les
phrases du langage oral. Ce voyage inverse est plus ou moins périlleux selon les
codes employés par les différents systèmes d’écritures. Pour ce qui est du
version française – ce voyage est parsemé d’au moins deux problèmes que tout
lettres suivante :
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L’AMPIRE DES SENS
deux problèmes. Le premier problème est illustré par le mot « SENS ». Ce mot
est composé des trois lettres « -ENS » qui, placées dans un autre contexte (par
exemple, dans le mot « GENS »), vont se prononcer d’une autre manière. Dans
« SENS », les trois dernières lettres se prononcent /âs/ alors que dans
« GENS », les mêmes trois dernières lettres se prononcent /â/. On le voit ici,
différente selon le mot dans lequel elle se trouve. C’est ce que l’on appelle
« GENS » ?
Cette séquence n’est pas un mot car même si sa prononciation est identique à
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particularité d’être prononçable. En effet, vous n’avez eu aucune difficulté à
non-mot. Mais comment êtes-vous parvenu à réaliser une telle prouesse ? Vous
lire et prononcer des suites de lettres que nous n’avons jamais rencontré ?
fait l’hypothèse que le système cognitif qui nous permet de lire est composé de
deux voies : une voie lexicale et une voie sous-lexicale (cf. Figure 1). Selon ce
présentées. C’est de ce niveau de traitement que partent les deux voies. Tout
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d’abord, en empruntant la voie « lexicale » (1), la série de lettres va à son tour
mot, le système de lecture peut ensuite activer la séquence de phonèmes qui lui
segmentée en graphèmes1 lesquels vont activer les phonèmes auxquels ils sont
que précédemment.
de deux voies, ce modèle résoud très bien les deux problèmes que nous avons
notamment sa solution grâce à la voie lexicale (1). Tout lecteur peut en effet
la façon dont ce mot est prononcé. Il n’y a donc aucune confusion possible
la lecture des non-mots trouve également une solution grâce à la voie non-
1
Le graphème est le correspondant orthographique du phonème. Il peut être composé d’une ou plusieurs lettres.
Par exemple, le phonème /o/ est associé à différents graphèmes tels que O, AU, EAU.
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On appelle « système de conversion graphèmes-phonèmes » le niveau de traitement où se déroulent ces
opérations.
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lexicale (2). En segmentant en graphèmes le non-mot AMPIRE (AM-P-I-RE),
(1974 ; mais également, Healy, 1994 ; Norris, 1994 ; Rey, 1998 ; voir Figure
de ces unités ne se ferait toutefois pas au hasard, mais serait contraint par les
ainsi le miroir des unités du langage oral (Treiman, 1994). Ces représentations
n'importe quelle séquence de lettres. Par exemple, nous apprenons que ON dans
phonologique /ô/.
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/a/, « B » se nomme /bé/, etc. Simultanément, lors de ses premières
lettre « B » avec le phonème /b/ (la lettre B, lorsqu’elle se trouve dans une
dans BALLON qui est associé au phonème /ô/ ; Fig. 2 : associations [2]). Ou
encore, certains groupes de lettres très fréquents comme BR, TR, CL, certaines
uniquement).
effet, en développant des représentations de ces unités, il nous est alors possible
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Le modèle à niveaux multiples permet également de rendre compte des
lecture des non-mots est aussi résolu grâce à l’accès aux unités sous-lexicales
(graphèmes, syllabes, etc.) qui sont associées à certaines unités du langage oral.
d’unitisation.
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Le phénomène d’unitisation
jusqu’à la fin sans revenir en arrière ; (2) tout en lisant le texte, je vous
(3) une fois terminé, vous pouvez poursuivre la lecture de cet article. Effectuez
fois!
total 6. Vous vous trouvez peut-être dans ce cas de figure. Retournez alors au
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relecture, peut-être continuerez-vous à ne voir que 3 « F » ! Rassurez-vous,
votre problème est la suivante : les « F » que vous n’avez pas détecté se
trouvent dans le petit mot anglais très fréquent et très fonctionnel « OF ». Tout
difficile de détecter la lettre F dans le mot OF que dans tout autre mot contrôle
moins fréquent. Pourquoi ? Il semble que dans cette tâche où il faut à la fois
et nous le traitons ainsi comme une unité. Une fois l’unité identifiée, notre
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Les unités perceptives de la lecture
lecture, nous avons réalisé une série d’expériences qui s’articulent autour d’une
que si cette unité est le correspondant d’une unité du langage oral et nous
des unités perceptives que si elles sont fréquemment rencontrées par les
lecteurs. Donc, selon cette double hypothèse, ces unités doivent être
des représentations stables de ces unités ainsi que de leurs associations avec les
unités orales.
Le premier type d’unité que nous avons étudié est le graphème. Les
écrit. Par ailleurs, les graphèmes sont des unités extrêmement fréquentes dans le
recherche de lettres, que cette unité semble être traitée comme une unité
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Dans cette expérience de recherche de lettre, nous présentons d’abord une
lettre cible suivie juste après d’un mot (Figure 3). La tâche des participants est
mot. Dans notre expérience, nous comparons deux conditions : l’une où il faut
détecter la lettre A dans des mots comme “DANSE”. Nous observons alors des
temps de détection de la lettre cible A plus longs pour le mot DANSE que pour
le mot VAGUE. Notre interprétation de ce résultat est que les sujets sont plus
lents pour A dans DANSE parce que A se trouve ici dans le graphème multi-
lettre AN qui est, selon notre hypothèse, traité comme une unité ou un tout
les participants sont plus rapides pour A dans VAGUE car, ici, A ne fait pas
faire. Cette série d’expériences, réalisées également en anglais, indique que les
graphèmes semblent bien être des unités perceptives de la lecture (voir aussi,
pour d’autres unités fonctionnelles par Gross, Treiman et Inman (2000). Leur
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voyelle dans une syllabe, par exemple A dans BAL) et le coda de la syllabe
que les participants détectent moins bien la lettre T dans le non-mot anglais
VUST que dans le non-mot VULT. Selon ces auteurs, T dans VUST appartient
une unité plus grande et est ainsi plus facile à détecter. Ainsi, le noyau et le
nous avons observé des temps de détection plus longs pour rechercher la lettre
R dans ABRICOT par rapport à R dans HARICOT (Brand, Puijalon & Rey,
soumis). La lettre cible appartient dans ces deux cas à l'attaque de la deuxième
syllabe mais elle est incluse dans l'attaque multi-lettres BR dans le cas du mot
détecter le R dans ABRICOT par le fait que BR serait traité comme une unité
perceptive de la lecture.
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Unitisation et cognition
d'une part, ils correspondent à des unités fonctionnelles du langage oral et si,
nombre d'études indiquent que les syllabes sont des unités fonctionnelles du
Roelofs, & Meyer, 1999), et répondent ainsi à notre premier critère. Toutefois,
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la syllabe ne semble pas répondre au second critère de fréquence. Le nombre de
syllabes possibles dans nos langues alphabétiques est en effet beaucoup plus
émettre l'hypothèse que la syllabe n'est pas en soi traitée comme unité de la
par la fréquence d'occurrence de ces unités. Autrement dit, toutes les syllabes
sur le fonctionnement du système cognitif (i.e., Perruchet & Vinter, sous presse
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REMERCIEMENTS
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Références
Brand, M., Puijalon, C., & Rey, A. (sousmis). Syllable onsets are perceptual
reading units.
Brand, M., Rey, A., & Peereman, R. (sous presse). Where is the syllable
priming effect in visual word recognition ? Journal of Memory and
Language.
Coltheart, M., Rastle, K., Perry, C., Langdon, R., & Ziegler, J.C. (2001).
DRC: a dual route cascaded model of visual word recognition and reading
aloud. Psychological Review, 108, 204-256.
Drewnowski, A., & Healy, A. F. (1977). Detection errors on the and and:
Evidence for reading units larger than the word. Memory and Cognition, 5,
636-647.
Gross, J., Treiman, R., & Inman, J. (2000). The role of phonology in a letter
detection task. Memory and Cognition, 28(3), 349-357.
Levelt, W.J.M., Roelofs, A., & Meyer, A.S. A theory of lexical access in
speech production. Target paper for Behavioral and Brain Sciences, 22(1),
1-38.
17
Norris, D. (1994). A quantitative multiple-levels model of reading aloud.
Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance,
20, 1212-1232.
Nuerk, H-C., Rey, A., Graf, R., & Jacobs, A. M. (2000). Phonographic
sublexical units in visual word recognition. Current Psychology Letters:
Behaviour, Brain & Cognition, 2, 25-36.
Perruchet, P., & Vinter, A. (sous presse). Linking learning and consciousness:
The self-Organizing Consciousness (SOC) model. In A. Cleeremans (Ed.).
The unity of consciousness: Binding, integration, and dissociation. Oxford:
Oxford University Press.
Rey, A., Ziegler,J.C., & Jacobs, A.M.(2000). Grapheme are perceptual reading
units. Cognition, 75, B1-B12.
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Figure 1 : Le modèle à deux voies de la lecture.
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Figure 2 : Le modèle à niveaux multiples de la lecture.
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Jusqu'à
masque XXXXX la réponse
blanc 70 ms
mot
danser 33 ms
point de
fixation : 1000 ms
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ANNEXE : EXPERIENCE D’UNITISATION
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