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LES ATOMES DE LA LECTURE

Arnaud REY
LEAD-CNRS
Université de Bourgogne, Dijon, France

Adresse :
Arnaud REY
LEAD-CNRS, Université de Bourgogne,
6, boulevard Gabriel, 21000, Dijon, France
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Fax : (33) 380 39 57 67
E-mail : arnaud.rey@u-bourgogne.fr
« Tout individu est à la fois le bénéficiaire et la victime de la tradition
linguistique dans laquelle l’a placé sa naissance, - le bénéficiaire, pour autant
que la langue donne accès à la documentation accumulée de l’expérience des
autres ; la victime, en ce qu’elle le confirme dans la croyance que le conscient
réduit est le seul conscient, et qu’elle ensorcelle son sens de la réalité, si bien
qu’il n’est que trop disposé à prendre ses concepts pour des données, ses mots
pour des choses effectives. »
A. Huxley
Les portes de la perception

Alors que l’écriture nous permet de graver et de visualiser les mots de la

langue parlée, la lecture nous permet de réaliser le voyage inverse. En lisant,

nous décodons les symboles du langage écrit afin de retrouver les mots et les

phrases du langage oral. Ce voyage inverse est plus ou moins périlleux selon les

codes employés par les différents systèmes d’écritures. Pour ce qui est du

système d’écriture alphabétique – que nous employons en ce moment dans sa

version française – ce voyage est parsemé d’au moins deux problèmes que tout

lecteur doit apprendre à résoudre s’il souhaite accéder avec plaisir et

engouement aux contrées splendides de la lecture.

Les deux problèmes de la lecture

Tout lecteur confirmé est en mesure de lire aisément la séquence de

lettres suivante :

2
L’AMPIRE DES SENS

Pour certains, cette séquence évoque même une expérience

cinématographique passée (cf., Nagisa OSHIMA, 1976). Pourtant, afin de lire

correctement cette séquence de lettres, nous devons tous apprendre à résoudre

deux problèmes. Le premier problème est illustré par le mot « SENS ». Ce mot

est composé des trois lettres « -ENS » qui, placées dans un autre contexte (par

exemple, dans le mot « GENS »), vont se prononcer d’une autre manière. Dans

« SENS », les trois dernières lettres se prononcent /âs/ alors que dans

« GENS », les mêmes trois dernières lettres se prononcent /â/. On le voit ici,

une même séquence de lettres « ENS » se prononce de manière totalement

différente selon le mot dans lequel elle se trouve. C’est ce que l’on appelle

l’inconsistance grapho-phonémique pour signifier que le lien entre les lettres

(unités graphiques du langage écrit) et les phonèmes (unités auditives du

langage oral) est dans de nombreux cas variable et non-systématique. De là

découle le premier problème qui se présente à tout lecteur : comment, malgré

l'inconsistance grapho-phonémique, parvenons-nous à trouver la bonne

prononciation du mot « SENS » ? Pourquoi ne le prononçons-nous pas comme

« GENS » ?

Le second problème est illustré par la séquence de lettres « AMPIRE ».

Cette séquence n’est pas un mot car même si sa prononciation est identique à

celle du mot « EMPIRE », elle n’en respecte pas l’orthographe. On appelle

ainsi cette séquence de lettres un « non-mot », non-mot qui a néanmoins la

3
particularité d’être prononçable. En effet, vous n’avez eu aucune difficulté à

retrouver la suite de phonèmes /âpiR/ qui correspond à la prononciation de ce

non-mot. Mais comment êtes-vous parvenu à réaliser une telle prouesse ? Vous

n’aviez pourtant jamais rencontré cette séquence de lettres auparavant et vous

avez néanmoins réussi à résoudre le second problème qui se présente à tout

lecteur : la lecture des non-mots. Autrement dit, comment parvenons-nous à

lire et prononcer des suites de lettres que nous n’avons jamais rencontré ?

Deux modèles de la lecture

Ces deux problèmes, l’inconsistance grapho-phonémique et la lecture des

non-mots, posent plus généralement la question de savoir comment, par quels

processus cognitifs, nous parvenons à retrouver la séquence de phonèmes qui

correspond à n’importe quelle séquence de lettres ? Une première réponse vient

du « modèle à deux voies » proposé par Coltheart et ses collaborateurs

(Coltheart, Rastle, Perry, Langdon, & Ziegler, 2001). Ce modèle de référence

fait l’hypothèse que le système cognitif qui nous permet de lire est composé de

deux voies : une voie lexicale et une voie sous-lexicale (cf. Figure 1). Selon ce

modèle, après avoir atteint les récepteurs de la rétine, l’information visuelle

correspondant à la séquence de lettres écrites est transmise jusqu’au cortex

visuel où elle subit un traitement visuel élémentaire et où elle active un

ensemble de détecteurs de traits. A partir de ces détecteurs de traits, le système

de lecture retrouve et active en mémoire la série ordonnée des lettres

présentées. C’est de ce niveau de traitement que partent les deux voies. Tout

4
d’abord, en empruntant la voie « lexicale » (1), la série de lettres va à son tour

activer la représentation orthographique du mot écrit (s’il s’agit d’un mot) et

activer ensuite la représentation sémantique de ce mot ainsi que sa

représentation phonologique. Ayant retrouvé la représentation phonologique du

mot, le système de lecture peut ensuite activer la séquence de phonèmes qui lui

correspond au niveau phonémique de sortie. De là, est initiée la programmation

motrice du mot et son exécution qui conduit finalement à sa prononciation. Par

ailleurs, en empruntant la voie sous-lexicale (2), la série de lettres est

segmentée en graphèmes1 lesquels vont activer les phonèmes auxquels ils sont

le plus souvent associés au niveau phonémique de sortie2 . Les processus de

programmation motrice et d’exécution se déroulent ensuite de la même manière

que précédemment.

On le voit aisément, avec l’hypothèse d’un système de lecture composé

de deux voies, ce modèle résoud très bien les deux problèmes que nous avons

présentés. Le problème de l’inconsistance grapho-phonémique trouve

notamment sa solution grâce à la voie lexicale (1). Tout lecteur peut en effet

retrouver en mémoire la représentation orthographique de chaque mot ainsi que

la façon dont ce mot est prononcé. Il n’y a donc aucune confusion possible

quant à la prononciation des mots SENS ou GENS. De même, le problème de

la lecture des non-mots trouve également une solution grâce à la voie non-

1
Le graphème est le correspondant orthographique du phonème. Il peut être composé d’une ou plusieurs lettres.
Par exemple, le phonème /o/ est associé à différents graphèmes tels que O, AU, EAU.
2
On appelle « système de conversion graphèmes-phonèmes » le niveau de traitement où se déroulent ces
opérations.

5
lexicale (2). En segmentant en graphèmes le non-mot AMPIRE (AM-P-I-RE),

puis en retrouvant les phonèmes couramment associés à ces graphèmes, tout

lecteur peut ainsi prononcer facilement la séquence de phonèmes /âpir/.

Un autre modèle des processus cognitifs impliqués dans la lecture est le

modèle « à niveaux multiples » initialement proposé par Laberge et Samuels

(1974 ; mais également, Healy, 1994 ; Norris, 1994 ; Rey, 1998 ; voir Figure

2). Le principe de base de ce modèle est simple : nous développons au cours de

l’apprentissage de la lecture des représentations de différentes unités

orthographiques, depuis les unités lettres jusqu'aux unités mots. L'établissement

de ces unités ne se ferait toutefois pas au hasard, mais serait contraint par les

unités du langage oral. Les représentations des unités orthographiques seraient

ainsi le miroir des unités du langage oral (Treiman, 1994). Ces représentations

joueraient le rôle de "pont" fonctionnel entre orthographe et phonologie, et

permettraient au lecteur de segmenter et d'activer correctement et rapidement

n'importe quelle séquence de lettres. Par exemple, nous apprenons que ON dans

BALLON ou dans COTON se prononce toujours /ô/. Nous développons alors

une représentation de l’unité écrite « ON » à laquelle est associée l’unité

phonologique /ô/.

L’émergence de telles unités se ferait progressivement au cours du temps.

Les enfants apprennent tout d’abord à reconnaître et associer chaque lettre du

langage écrit au nom de ces lettres (Fig. 2 : associations [1]). « A » se nomme

6
/a/, « B » se nomme /bé/, etc. Simultanément, lors de ses premières

confrontations avec le langage écrit, l’enfant apprend également à associer la

lettre « B » avec le phonème /b/ (la lettre B, lorsqu’elle se trouve dans une

séquence de lettres, comme dans BALLON, ne se prononce effectivement plus

/bé/ mais /b/). De même, d’autres représentations et associations se mettent en

place au cours de l’acquisition de la lecture. Les unités graphèmes vont, elles

aussi, acquérir le statut de représentation (par exemple, le graphème « ON »

dans BALLON qui est associé au phonème /ô/ ; Fig. 2 : associations [2]). Ou

encore, certains groupes de lettres très fréquents comme BR, TR, CL, certaines

syllabes (Fig. 2 : associations [3]) et pour finir certains mots (Fig. 2 :

associations [4]), vont aussi être représentés au sein du système de lecture et

être associés à leur correspondant phonologique et sémantique (pour les mots

uniquement).

Ce processus de représentation d’unités orthographiques fonctionnelles

nous permet d’augmenter à la fois la vitesse et l’automaticité de la lecture. En

effet, en développant des représentations de ces unités, il nous est alors possible

d’accéder directement à ces représentations en mémoire et de ne plus réaliser le

décodage laborieux de chaque lettre constituant un mot. Lire ne consiste donc

plus à décoder chaque séquence de lettres mais à activer directement les

représentations des unités écrites fonctionnelles et pertinentes. Le passage du

décodage lettre-par-lettre à la lecture « globale » se met ainsi en place grâce à

l’émergence de ces unités ou « atomes » de la lecture.

7
Le modèle à niveaux multiples permet également de rendre compte des

deux problèmes majeurs de la lecture que nous présentions initialement. Ce

modèle résoud le problème de l’inconsistance grapho-phonémique grâce à

l’accès direct aux unités lexicales qui nous permettent de retrouver la

prononciation de chaque mot (Figure 2 : associations [4]). Le problème de la

lecture des non-mots est aussi résolu grâce à l’accès aux unités sous-lexicales

(graphèmes, syllabes, etc.) qui sont associées à certaines unités du langage oral.

Lire un non-mot revient ainsi à activer en mémoire la séquence d’unités écrites

composant ce non-mot et, par association, à activer la séquence correspondante

d’unités du langage oral.

Le modèle à niveaux multiples, tout comme le modèle à deux voies,

permet aussi de rendre compte de la plupart des déficits de la lecture rencontrés

à la suite de lésions cérébrales. Les alexies de surface et phonologiques peuvent

en effet s’expliquer en termes de déconnexions entre des unités orthographiques

(lexicales ou sous-lexicales) et leur correspondant phonologique. Toutefois,

seul le modèle à niveau multiples est en mesure de rendre compte d’un

phénomène extrêmement robuste et spectaculaire qu’est le phénomène

d’unitisation.

8
Le phénomène d’unitisation

Plusieurs études utilisant le paradigme expérimental de recherche de

lettres ont permis de mettre en évidence ce phénomène « d’unitisation » et

viennent ainsi à l’appui du modèle à niveaux multiples (pour une revue de la

littérature, voir Healy, 1994). L’exemple le plus remarquable de ce phénomène

provient d’une expérience réalisée par Drewnowski et Healy (1977). Je vous

propose de réaliser maintenant vous même cette expérience en suivant

précisément les consignes suivantes de (1) à (3).

En Annexe de cet article, vous trouverez un petit texte écrit en

MAJUSCULES et en anglais. Je vous demande : (1) de lire ce texte du début

jusqu’à la fin sans revenir en arrière ; (2) tout en lisant le texte, je vous

demande également de compter le nombre de fois où vous voyez la lettre F ;

(3) une fois terminé, vous pouvez poursuivre la lecture de cet article. Effectuez

cette expérience maintenant et faites attention de ne lire le texte qu’une seule

fois!

Combien de « F » avez-vous trouvé ? A cette question, un grand nombre

de personnes répondent généralement avoir détecté 3 « F » alors qu’il y en a au

total 6. Vous vous trouvez peut-être dans ce cas de figure. Retournez alors au

texte et recomptez le nombre de « F » contenus dans ce texte. Après une

9
relecture, peut-être continuerez-vous à ne voir que 3 « F » ! Rassurez-vous,

cela arrive aussi fréquemment.

Pour les personnes qui persistent à ne voir que 3 « F », la solution à

votre problème est la suivante : les « F » que vous n’avez pas détecté se

trouvent dans le petit mot anglais très fréquent et très fonctionnel « OF ». Tout

comme Healy et Drewnowski (1977), on constate en effet qu’il est plus

difficile de détecter la lettre F dans le mot OF que dans tout autre mot contrôle

moins fréquent. Pourquoi ? Il semble que dans cette tâche où il faut à la fois

lire et rechercher la lettre « F », lorsque nous arrivons au niveau du mot très

fréquent et très fonctionnel « OF », nous traitons ce mot comme une unité ou

un « tout perceptif ». Nous ne réalisons pas de décodage au niveau de chaque

lettre de ce mot mais nous accédons directement à sa représentation en mémoire

et nous le traitons ainsi comme une unité. Une fois l’unité identifiée, notre

attention se porte tout naturellement sur les prochaines unités du texte en

omettant de réaliser une analyse au niveau des lettres composant ce mot.

Ce phénomène « d’unitisation » vient donc à l’appui du modèle à

niveaux multiples dont l’idée centrale est la présence d’unités au sein du

système de lecture qui seraient traitées comme des « touts perceptifs » ou

encore comme des « atomes » élémentaires de la lecture, atomes difficilement

dissociables chez le lecteur adulte. Une question reste cependant en suspens :

quelle est la nature de ces atomes ou unités perceptives de la lecture ?

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Les unités perceptives de la lecture

Pour tenter de préciser et de définir le concept d’unité perceptive de la

lecture, nous avons réalisé une série d’expériences qui s’articulent autour d’une

double hypothèse. Tout d’abord, un groupe de lettres n'acquiert le statut d'unité

que si cette unité est le correspondant d’une unité du langage oral et nous

permet ainsi un accès facilité à la phonologie. Ensuite, ces unités ne deviennent

des unités perceptives que si elles sont fréquemment rencontrées par les

lecteurs. Donc, selon cette double hypothèse, ces unités doivent être

fonctionnelles du point de vue de leur lien avec la phonologie, mais elles

doivent aussi être traitées très fréquemment de manière à établir en mémoire

des représentations stables de ces unités ainsi que de leurs associations avec les

unités orales.

Le premier type d’unité que nous avons étudié est le graphème. Les

graphèmes répondent en effet parfaitement à nos deux critères. En tant que

correspondants orthographiques des phonèmes, unités minimales du langage

oral, ils apparaissent comme les unités orthographiques minimales du langage

écrit. Par ailleurs, les graphèmes sont des unités extrêmement fréquentes dans le

langage écrit. Aussi, nous avons montré récemment, dans un paradigme de

recherche de lettres, que cette unité semble être traitée comme une unité

perceptive de la lecture (Rey, Ziegler, & Jacobs, 2000).

11
Dans cette expérience de recherche de lettre, nous présentons d’abord une

lettre cible suivie juste après d’un mot (Figure 3). La tâche des participants est

de répondre le plus rapidement possible si la lettre est ou non présente dans le

mot. Dans notre expérience, nous comparons deux conditions : l’une où il faut

détecter la lettre A dans des mots comme “VAGUE” et l’autre où il faut

détecter la lettre A dans des mots comme “DANSE”. Nous observons alors des

temps de détection de la lettre cible A plus longs pour le mot DANSE que pour

le mot VAGUE. Notre interprétation de ce résultat est que les sujets sont plus

lents pour A dans DANSE parce que A se trouve ici dans le graphème multi-

lettre AN qui est, selon notre hypothèse, traité comme une unité ou un tout

perceptif. Toutefois, dans la tâche de recherche de lettre, les participants ne

doivent justement plus traiter l'unité AN comme un tout mais la décomposer

pour détecter la lettre cible A, ce qui va prendre un certain temps. Inversement,

les participants sont plus rapides pour A dans VAGUE car, ici, A ne fait pas

partie d'un graphème multi-lettre et ils n’ont donc aucune décomposition à

faire. Cette série d’expériences, réalisées également en anglais, indique que les

graphèmes semblent bien être des unités perceptives de la lecture (voir aussi,

Rey, Jacobs, Schmidt-Weigand, & Ziegler, 1998).

Le même phénomène d’unitisation a également été obtenu en anglais

pour d’autres unités fonctionnelles par Gross, Treiman et Inman (2000). Leur

étude concerne plus particulièrement le noyau de la syllabe (correspondant à la

12
voyelle dans une syllabe, par exemple A dans BAL) et le coda de la syllabe

(correspondant à la ou les consonnes finales de la syllabe, par exemple ST dans

TEST). Toujours à l’aide du paradigme de recherche de lettres, ils montrent

que les participants détectent moins bien la lettre T dans le non-mot anglais

VUST que dans le non-mot VULT. Selon ces auteurs, T dans VUST appartient

à l’unité coda ST et serait donc plus difficile à détecter. Inversement, UL dans

VULT correspond au noyau de la syllabe. Le T n’est de ce fait pas inclus dans

une unité plus grande et est ainsi plus facile à détecter. Ainsi, le noyau et le

coda de la syllabe en anglais seraient également des unités perceptives de la

lecture (voir également Nuerk, Rey, Graf & Jacobs, 2001).

De même, nous avons récemment obtenu un effet d'unitisation pour une

autre unité qui semble répondre à nos critères de fonctionnalité et de fréquence:

l’attaque de la syllabe (définie comme la ou les consonnes initiales de la

syllabe, par exemple TR dans TRAIN). Dans la tâche de recherche de lettres,

nous avons observé des temps de détection plus longs pour rechercher la lettre

R dans ABRICOT par rapport à R dans HARICOT (Brand, Puijalon & Rey,

soumis). La lettre cible appartient dans ces deux cas à l'attaque de la deuxième

syllabe mais elle est incluse dans l'attaque multi-lettres BR dans le cas du mot

ABRICOT. Là encore, nous expliquons le temps supplémentaire mis pour

détecter le R dans ABRICOT par le fait que BR serait traité comme une unité

perceptive de la lecture.

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Unitisation et cognition

Les quelques arguments empiriques que nous venons d’aborder viennent

à l'appui du modèle à niveaux multiples de la lecture (Laberge & Samuels,

1974) et semblent difficilement explicables par le modèle à deux voies

(Coltheart et al., 2001). Ces études mettent en effet en lumière le phénomène

d'unitisation et suggèrent que notre système de lecture traite certains groupes de

lettres comme des touts perceptifs ou atomes de la lecture. Ces unités

guideraient notre perception et notre traitement des mots écrits en facilitant et

en accélérant le passage des informations visuelles/écrites vers les

représentations et les unités du langage oral. Elles participeraient à la fois à la

segmentation de l'écrit et à sa mise en correspondance avec l'oral.

Nous avons également proposé deux critères de fonctionnalité et de

fréquence pour préciser le concept d'unité ou d'atome de la lecture. Certains

groupes de lettres n'acquièrent en effet le statut d'unités perceptives que si,

d'une part, ils correspondent à des unités fonctionnelles du langage oral et si,

d'autre part, ils apparaissent fréquemment au sein du langage écrit. On peut

ainsi se demander si les syllabes sont des unités de la lecture. Un certain

nombre d'études indiquent que les syllabes sont des unités fonctionnelles du

langage oral, notamment sur le plan de la production de la parole (e.g., Levelt,

Roelofs, & Meyer, 1999), et répondent ainsi à notre premier critère. Toutefois,

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la syllabe ne semble pas répondre au second critère de fréquence. Le nombre de

syllabes possibles dans nos langues alphabétiques est en effet beaucoup plus

important que le nombre de graphèmes par exemple. De ce fait, il existe une

grande variabilité quant à la fréquence d'occurrence des syllabes. On peut donc

émettre l'hypothèse que la syllabe n'est pas en soi traitée comme unité de la

lecture mais que l'établissement d'unités à un niveau syllabique est conditionné

par la fréquence d'occurrence de ces unités. Autrement dit, toutes les syllabes

ne sont certainement pas traitées comme des touts perceptifs, certaines

seulement, les plus fréquentes, pourraient prétendre à ce statut au sein du

système de lecture (Brand, Rey, Peereman, sous presse).

Plus généralement et pour conclure, ces études sur le phénomène

d'unitisation s'inscrivent dans la lignée de développements théoriques récents

sur le fonctionnement du système cognitif (i.e., Perruchet & Vinter, sous presse

a et b). D'après Perruchet et Vinter, la formation d'unités de traitement serait

un principe plus général de la cognition et serait même un axe central de l'auto-

organisation de notre activité consciente. On retrouverait en effet ce principe à

tous les niveaux de la perception et de la cognition. La mise en place de ces

unités ou atomes de la cognition serait fonction de notre fréquence d'exposition

à ces unités et ce processus d'unitisation serait lui totalement inconscient. Cet

ensemble d’unités guiderait et structurerait ainsi au quotidien notre perception

et notre compréhension du monde.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier la Fondation Fyssen pour son aide dans la réalisation


de mon travail post-doctoral. Mes sincères remerciements vont également au
Professeur Alfonso Caramazza pour son accueil, son soutien et son subtil et
radical esprit cartésien. Un grand merci enfin à Arlene Doumit El Khoury pour
son aide et sa erutceler attentive.

16
Références

Brand, M., Puijalon, C., & Rey, A. (sousmis). Syllable onsets are perceptual
reading units.

Brand, M., Rey, A., & Peereman, R. (sous presse). Where is the syllable
priming effect in visual word recognition ? Journal of Memory and
Language.

Coltheart, M., Rastle, K., Perry, C., Langdon, R., & Ziegler, J.C. (2001).
DRC: a dual route cascaded model of visual word recognition and reading
aloud. Psychological Review, 108, 204-256.

Drewnowski, A., & Healy, A. F. (1977). Detection errors on the and and:
Evidence for reading units larger than the word. Memory and Cognition, 5,
636-647.

Gross, J., Treiman, R., & Inman, J. (2000). The role of phonology in a letter
detection task. Memory and Cognition, 28(3), 349-357.

Healy, A.F. (1994). Letter detection: A window to unitization and other


cognitive processes. Psychonomic Bulletin & Review, 1, 333-344.

Laberge, D., & Samuel, S. J., (1974). Toward a theory of automatic


information processing in reading. Cognitive Psychology 6, 293-323.

Levelt, W.J.M., Roelofs, A., & Meyer, A.S. A theory of lexical access in
speech production. Target paper for Behavioral and Brain Sciences, 22(1),
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17
Norris, D. (1994). A quantitative multiple-levels model of reading aloud.
Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance,
20, 1212-1232.

Nuerk, H-C., Rey, A., Graf, R., & Jacobs, A. M. (2000). Phonographic
sublexical units in visual word recognition. Current Psychology Letters:
Behaviour, Brain & Cognition, 2, 25-36.

Perruchet, P., & Vinter, A. (sous presse). Linking learning and consciousness:
The self-Organizing Consciousness (SOC) model. In A. Cleeremans (Ed.).
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Oxford University Press.

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Behavioral and Brain Sciences.

Rey, A. (1998). Orthographe et phonologie dans la perception des mots écrits.


Doctoral Dissertation. Université de Provence, Marseille, France.

Rey, A., Jacobs, A. M., Schmidt-Weigand, F., & Ziegler, J. C. (1998). A


phoneme effect in visual word recognition. Cognition, 68, B71-B80.

Rey, A., Ziegler,J.C., & Jacobs, A.M.(2000). Grapheme are perceptual reading
units. Cognition, 75, B1-B12.

18
Figure 1 : Le modèle à deux voies de la lecture.

19
Figure 2 : Le modèle à niveaux multiples de la lecture.

20
Jusqu'à
masque XXXXX la réponse

blanc 70 ms

mot
danser 33 ms

point de
fixation : 1000 ms

lettre cible A 700 ms

Figure 3 : La tâche de recherche de lettres.

21
ANNEXE : EXPERIENCE D’UNITISATION

Texte à lire tout en comptant le nombre de « F » :

FINISHED FILES ARE THE RE-


SULT OF YEARS OF SCIENTIF-
IC STUDY COMBINED WITH
THE EXPERIENCE OF YEARS

22

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