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FAITES LE POINT
Maryline Pellegrini
MOTS CLÉS Résumé L’hypnose éricksonienne, outil thérapeutique actuellement reconnu comme digne
Hypnose d’intérêt dans la prise en charge de la douleur chronique, sème encore doutes et controverses
éricksonienne ; au sein même du corps médical. Ce travail de réflexion tente de démystifier cette approche, en
Douleur chronique abordant ses mécanismes d’action sur la douleur d’un point de vue clinique et neurophysiolo-
gique. Les points d’impact possibles de l’hypnose sur la modulation de la douleur chronique sont
multiples. Elle permet des réajustements cognitivocomportementaux autant que le traitement
du symptôme douloureux lui-même. Cette technique s’inscrit dans une prise en charge pluri-
disciplinaire et il apparaît licite que les structures de prise en charge de la douleur enrichissent
leur arsenal thérapeutique de cet outil. Des études cliniques et neurophysiologiques restent
nécessaires pour mieux comprendre le phénomène d’analgésie hypnotique et adapter au mieux
cette technique aux symptômes variés, rencontrés chez les patients douloureux chroniques.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Summary Eriksonian hypnosis is a currently recognized therapeutic tool for the treatment
Ericksonian hynosis; of chronic pain, but with a contingent of doubt and controversy highly debated within the
Chronic pain medical community. In this work, we attempt to demystify this approach by describing the
mechanisms of action against pain from a clinical and neurophysiological point of view.
There are many possible ways hypnosis could have a potential impact on modulating chro-
nic pain. Cognitivobehavioral readjustments can be affected as much by hypnosis as by
chronic pain itself. It would be licit to include this therapeutic tool as part of an overall
夽 Travail élaboré à partir d’un travail de thèse, soutenue le 15 décembre 2006 sur « Apport de l’hypnose éricksonienne dans la
prise en charge de la fibromyalgie ».
Adresse e-mail : maryline.pellegrini@free.fr.
1624-5687/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.douler.2008.02.009
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pluridisciplinary approach to the chronic pain patient. Clinical and neurophysiological studies
are needed to better understand the phenomenon of hypnotic pain relief and to better adapt
the technique to the variety of symptoms presented by patients suffering from chronic pain.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
superposition objectivable des différentes aires activées. De insulaire, cingulaire et fonto-orbitaire, qui
plus, Levine en 1978, puis Gracely en 1983 et Lipman en interagissent entre elles.
1990 ont successivement démontré l’antagonisation par la
naloxone de l’action analgésique du placebo, ce qui n’est
pas le cas de l’analgésie hypnotique [5]. À ce jour, les auteurs s’accordent à dire que l’antalgie
engendrée par l’hypnose est à considérer comme le résultat
Un état de sommeil de la sommation et de l’interaction d’effets à de multiples
niveaux, et non comme la mise en action d’un seul système.
Le sujet en état d’hypnose présente un enregistrement élec- Les travaux menés par Rainville ont montré qu’il était
troencéphalographique d’éveil, bien distinct d’un état de possible, sous l’effet d’une suggestion hypnotique, de dis-
sommeil, avec des particularités non spécifiques. socier les dimensions sensorielle et affective de la sensation
douloureuse [7]. Des suggestions visant à réduire la per-
Une prise de pouvoir du thérapeute sur le ception de l’intensité de la douleur ont été associées à
patient une diminution significative de l’activité du cortex somes-
thésique primaire. Les suggestions visant à atténuer le
La soumission à la volonté du thérapeute est une peur répan- désagrément de la douleur ont été corrélées à l’activité du
due. Pour autant, ce n’est pas le pouvoir du thérapeute qui cortex cingulaire antérieur (CCA) [8].
soigne, mais la mise en acte des ressources personnelles En 2000, Faymonville et al. [9] ont tenté d’affiner la
du patient. L’hypnose éricksonienne n’est pas un pouvoir, compréhension des mécanismes de modulation de la dou-
mais un savoir. Elle se veut permissive et non autoritaire, leur par l’hypnose chez 11 volontaires sains. Les résultats
permettant au patient de garder son libre arbitre. La psy- obtenus par tomographie par émissions de positons ont indi-
chothérapie est faite par le patient lui-même, le thérapeute qué un changement significatif de l’activité du CCA en cours
fournissant au patient la possibilité et le contexte pour se d’hypnose en relation avec la composante affective et sen-
faire. Il aide le patient à mettre en route des programmes sorielle de la douleur.
inconscients de recherche de solutions à des problèmes. En utilisant une méthode d’analyse psychologique pour
évaluer la connectivité fonctionnelle1 , cette même équipe
Une psychanalyse à la recherche d’un refoulé a précisé que les suggestions d’analgésie en état d’hypnose
agissent plus précisément sur la partie moyenne du CCA, qui
Selon Roustang, « l’hypnose ne se fonde pas comme la va interagir avec des structures corticales et sous corticales,
psychanalyse, sur l’étude des névroses, elle ne prend responsables des modifications sensorielles, affectives,
appui sur aucune psychopathologie [. . .], elle n’éprouve cognitives et comportementales du message douloureux
nulle nécessité de faire appel au passé. Tous les moyens [10].
qu’elle utilise tendent à faire surgir dans le présent des Plus récemment, a été mise en évidence la reproductibi-
potentialités jusqu’alors insoupçonnées [. . .]. Sa question lité d’activation des deux thalamus, de l’insula gauche et
n’est pas « pourquoi en est-il ainsi ? Mais « comment épouser des deux CCA pendant l’état d’hypnose, comparé à l’état
et modifier les mouvements et orientations » [6]. de conscience en situation contrôle, malgré des conditions
Contrairement à l’hypnose, la psychanalyse n’est pas expérimentales distinctes [11].
une thérapie adaptative. Le travail de la psychanalyse, Les preuves neurophysiologiques et cliniques appa-
cherche semble-t-il en premier lieu à éclairer l’origine des raissent bien réelles. Mais elles s’accompagnent d’un certain
problèmes, et l’hypnose à chercher des solutions dans les nombre d’interrogations et de critiques qui méritent d’être
ressources propres du sujet. soulevées. Comment s’articule la modulation de la connecti-
vité du CCA avec l’ensemble des régions participant à la per-
ception émotionnelle, affective et sensoridiscriminative ?
Ne pourrait-elle pas être liée à la libération de substances
Rationalisation des phénomènes
biochimiques ? Les mécanismes de modulation de la dou-
analgésiques de l’état hypnotique : leur chronique sous hypnose sont-ils identiques en tout point
neuroanatomie fonctionnelle de la aux mécanismes visualisés pour des douleurs aiguës pro-
modulation de la nociception par voquées expérimentalement ? Ne peut-on pas se prononcer
quant à une certaine spécificité des effets de l’hypnose dans
l’hypnose la prise en charge des patients douloureux, aux vues de la
reproductibilité de certains effets neurophysiologiques ? Les
L’un des objectifs de l’approche neurophysiologique est de
conditions de l’expérimentation versus la pratique clinique
donner plus de crédibilité scientifique à l’hypnose. Au moyen
n’opposent-elles pas l’hypnose expérimentale de l’hypnose
de méthodes proposées par l’imagerie fonctionnelle, les
thérapeutique ? Qu’en est-il des effets à long terme de
chercheurs tentent d’identifier des paramètres neurophy-
l’hypnose sur la modulation d’une douleur chronique ?
siologiques objectifs et quantifiables, visant à confirmer la
Autant de questions, d’inconnus et de limites qui continuent
réalité des effets constatés de l’hypnose.
à alimenter l’enthousiasme des chercheurs actuels, avides
de saisir et comprendre mieux le phénomène hypnotique.
La douleur expérimentale s’accompagne de
l’activation d’un réseau de structures cérébrales
incluant notamment le thalamus, les cortex
somesthésiques primaire et secondaire, 1 Communication entre des aires cérébrales éloignées.
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Modulation de la douleur chronique par et affectif du patient. Elle est amplifiée par l’imagination
et la mémoire. Elle est perturbation de la conscience et
l’hypnose
de son fonctionnement habituel. Le patient douloureux est
L’hypnose éricksonienne repose sur une technique de lan- ainsi plongé dans une expérience perceptive qui devient
gage particulière et singulière, se déroulant dans une prioritaire face à la perception ordinaire de la réalité. Ses
logique d’efficacité thérapeutique. Le choix des suggestions mouvements volontaires laissent la place à des gestes de
hypnotiques doit être adapté selon la symptomatologie de protection et d’évitement.
chaque patient. L’hypnose peut participer à la prise en
charge de la douleur chronique par deux modes d’approche L’hypnose peut permettre de modifier la
complémentaire : celui de la douleur proprement dite, celui fascination hypnoïde induite par le contexte de
des conséquences systémiques de celle-ci. L’hypnose offre douleurs, en détournant l’attention vers un
ainsi la possibilité d’agir à divers niveaux. corps qui peut être autre chose que souffrance.
« Quant à la douleur, elle serait hypnotisante dans la mesure 2 Schéma du retentissement de la douleur au cours de son évolu-
où elle porterait l’attention à se retirer du monde extérieur tion, adapté pour ce travail d’après l’ouvrage de Serrie A et Thurel
vers l’intérieur du corps propre », Delboeuf. Ainsi, la douleur C. La douleur en pratique quotidienne, diagnostic et traitements.
est fixation de l’attention, réduction du monde sensoriel Éd. Arnette, 2002, 2e éd. p. 60.
L’hypnose éricksonienne dans la prise en charge de la douleur chronique 69
accessibles à des suggestions cognitives de coping (ou le sibles facteurs d’amplification, l’hypnose peut permettre
pouvoir d’affronter). soulagement et gain en terme de qualité de vie.
En somme, l’hypnose permet de rechercher des solutions Les données neurophysiologiques apportent une valida-
afin d’atténuer les couches de souffrance. Elle garde cet tion de l’analgésie hypnotique en démontrant que cette
avantage de rompre le cercle vicieux de la douleur chro- intervention agit sur l’activité cérébrale qui sous-tend
nique par le patient lui-même, devenu acteur de sa prise l’expérience normale de la douleur. La recherche fondamen-
en charge. Elle contribue à une prise en charge adaptée et tale fait cependant ressurgir un certain nombre de limites
personnalisée non seulement à la pathologie, mais aussi à et d’interrogations qui font de ce phénomène encore peu
l’être malade et son contexte de vie globale. saisissable un sujet d’études sans précédent.
L’intérêt de l’hypnose dans la prise en charge des patients
L’hypnose, le douloureux chronique et la douloureux ne fait donc pas de doute. Il apparaît licite
relation médecin—malade d’introduire cette approche au sein des structures pluridis-
ciplinaires de prise en charge de la douleur, sans craindre
Une douleur intense, devenue orpheline d’explication et de d’être accusé de charlatanisme. Pour plus de rigueur, des
soulagement, peut rendre difficile la relation avec le malade essais cliniques restent nécessaires pour évaluer le rôle
douloureux. Par la qualité de son écoute et le climat de de l’hypnose à long terme, en association aux traitements
confiance qu’elle instaure, l’hypnose éricksonienne tient conventionnels de divers syndromes douloureux chroniques
une place de choix dans l’élaboration de l’alliance théra- et ainsi permettre une diffusion consensuelle de cette
peutique. « L’hypnose est une relation pleine de vie qui a pratique. Le choix des techniques hypnotiques à utiliser
lieu dans une personne et qui est suscitée par la chaleur et à adapter plus spécifiquement aux symptômes invali-
d’une autre », Erickson. dants de chaque patient douloureux implique que cet outil
soit entre de bonnes mains, c’est-à-dire formées à cette
approche.
Conclusion
Agir sur la douleur implique de s’intéresser à toutes ses Références
dimensions, aux symptômes associés et aux potentiels fac-
teurs d’entretien. Par ses impacts directs sur la douleur, son [1] Patterson DR, Jensen MP. Hypnotic treatment of chronic pain.
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