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Revue québécoise de psychologie, vol.

21, n° 1, 200 0

L’HYPNOTHÉRAPIE ÉRICKSONIENNE : SEPT COMPOSANTES


STRATÉGIQUES D'IMPACT EN PROFONDEUR

Liliana CANÉ1
Institut Milton H. Erickson de Montréal

Résumé

L’hypnothérapie éricksonienne est une thérapie brève qui comporte l’utilisation de la


communication et de la transe hypnotique de façon stratégique afin de générer des
transformations durables et profondes chez le client. Les phénomènes naturels déclenchés
par l’hypnose permettent d’accéder aux ressources de la personne, de faire de nouveaux
apprentissages et des réassociations internes où la formation de symptômes n’est plus
nécessaire. La personne arrive à redéfinir son concept de soi et sa perception de
l’environnement. À l’aide d’un exemple clinique, cet article illustre sept composantes de
l’hypnothérapie éricksonienne. Il explore les principes de motivation, de collaboration,
d’acceptation et d’indirection, ainsi que quelques-unes des stratégies d’intervention. Ces
stratégies sont mises en action pendant la thérapie afin d’aider le client à changer son
histoire d’échec en une de réussite, transformer les symptômes en alliés et devenir
autonome, flexible et créatif.

Mots clés : hypnose clinique, hypnothérapie éricksonienne, thérapie brève avec hypnose,
thérapie stratégique avec hypnose, logique de la communication hypnotique en
psychothérapie

« L’idée d’une simple élimination du symptôme est une terrible


simplification de ce que l’hypnothérapie judicieuse peut être.
L’hypnothérapeute est plutôt intimement lié à un programme
plus large pour faciliter une réorganisation créative de la
psychodynamique interne du patient, de façon telle que son
expérience de vie est agrandie et la formation de symptômes
n’est plus nécessaire. » (traduit d’Erickson, 1979, p. 147)

1. Mme Liliana Cané est directrice de l’Institut Milton H. Erickson de Montréal, Centre
Castelnau, 7399, boul. Saint-Laurent, Montréal (Québec), H2R 1W7.
Courriel : licane@compuserve.com, site internet : www.centrecastelnau.com/IMHEM,
téléphone : (514) 990-0449, télécopieur : (514) 273-0507.
L’auteure désire remercier Monique Senécal, psychologue, pour sa collaboration à cet
article et les trois correcteurs anonymes pour leurs suggestions pertinentes.

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INTRODUCTION

Toute psychothérapie comporte une forme de communication qui aide


le client à faire des transformations dans sa vie personnelle et affective,
dans ses comportements, ses modes de pensée et de fonctionnement. La
logique de la communication hypnotique éricksonienne, utilisée
stratégiquement en psychothérapie, peut déclencher des transformations
durables et en profondeur chez le client. Milton H. Erickson, le pionnier de
e
la renaissance de l'hypnose clinique dans le XX siècle, est à la source de
la pensée en psychothérapie de différentes approches : la thérapie
stratégique tant individuelle que familiale, les approches de l'Institut de
recherche mentale (Palo Alto en Californie), la thérapie orientée vers les
solutions, la thérapie narrative et les approches psychobiologiques (Rossi,
1994). Il sert surtout d’inspiration aux thérapeutes d’approche
éricksonienne qui continuent, selon l'esprit de recherche et d'innovation
d'Erickson, à décloisonner leur pensée créative en psychothérapie afin de
répondre de façon unique à chaque client, en élaborant spécialement des
interventions adaptées à sa réalité personnelle facilitant ainsi sa guérison
et son évolution.

Avec un esprit de recherche constant et une originalité pragmatique


très efficace, Milton H. Erickson est séminal dans la pensée des
psychothérapies plus innovatrices (Zeig et Geary, 2000) dont les
approches se centrent sur la solution active aux problèmes présentés,
plutôt que sur l'analyse et la compréhension des causes. Ainsi, l'approche
éricksonienne s'attarde à mettre en mouvement les motivations naturelles
qui propulsent le client vers sa propre transformation. Parfois, les
changements s'arrêtent à la simple amélioration des symptômes.
Cependant, dans la plupart des cas, le thérapeute éricksonien provoque
des transformations plus profondes qui affectent la façon dont la personne
se conçoit elle-même et comment elle se situe vis-à-vis de son
environnement. Ces changements de deuxième ordre ou génératifs
(Lankton, 1985b; Watzlawick, Weakland et Fisch, 1974) facilitent la
« réorganisation créative de la psychodynamique interne du patient, de
façon telle que son expérience de vie est agrandie et la formation de
symptômes n’est plus nécessaire » (Erickson, 1979, p. 147). Cette
réorganisation créative de la personne la rend plus innovatrice et confiante
dans ses capacités d'apprentissage, d'adaptation et d'utilisation flexible de
ses ressources intérieures.

Optimiste, cette approche s'attarde à créer un climat d'acceptation qui


exacerbe la motivation au changement. Pour ce faire, le thérapeute part à
la recherche des préférences, des ressources et des habiletés naturelles
de la personne. Il utilise les processus courants de communication
persuasive pour stimuler les capacités de l'imaginaire, afin de construire
des réalités intermédiaires qui facilitent la guérison et la réalisation de soi.

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L’hypnothérapie éricksonienne utilise une hypnose renouvelée qui
comporte des états subjectifs de haute concentration de l'attention, de
bien-être interne, de stimulation des fonctions de l'imaginaire ainsi que des
dissociations psychologiques, des distorsions sensorielles, des distorsions
dans le temps et dans l'espace, des changements dans la perception de
soi et des situations de la vie quotidienne. Ces phénomènes hypnotiques
naturels sont utilisés de façon stratégique afin de produire une plus grande
flexibilité interne chez la personne, de la motiver au changement et créer
de nouvelles possibilités affectives, cognitives et comportementales.

L’hypnothérapie s’utilise pour toutes sortes de problématiques


psychologiques et médicales : pour le traitement de la douleur (Barber et
Adrian, 1982), comme anesthésie chirurgicale (Robles et Abia, 1991), pour
des interventions médicales (Simon, 1999), pour l'insomnie (Stanton,
1989), pour améliorer l’estime de soi (Watkins, 1986), pour traiter les
phobies (Kirsch, Capafons, Cardena et Amigo, 1999), la dépression
(Yapko, 1988), les désordres obsessifs-compulsifs (Moore et Burrows,
1991), les troubles sexuels (Araoz, 1996; Hammond, 1984), le syndrome
de stress post-traumatique (Phillips et Frederick, 1995), les séquelles de
l’abus sexuel (Dolan, 1996), les dépendances (Crasilneck et Hall, 1985;
Zeig, 1982) et d’autres désordres des habitudes (Barabasz, 1987;
Erickson, 1980), tant chez les adultes que chez les enfants.

L'hypnothérapie éricksonienne s’attarde sur le symptôme afin de


découvrir la façon dont la personne construit sa réalité. En effet, l’apparition
du symptôme est considérée comme une solution créative et adaptée à un
contexte de vie spécifique. Par la suite, le problème se développe lorsque
la personne continue à appliquer la même solution trouvée dans un
contexte spécifique à d’autres contextes où la même réponse n’est plus
adaptée. Ainsi, le symptôme, dans cette approche, est considéré comme
une surgénéralisation de la réponse, qui la rend rigide et inadaptée. Par
exemple, lorsque la personne vit une situation traumatique et adopte le
mécanisme de dissociation comme réponse de survie psychologique, elle
va dire : « Je n’étais plus là, je me retrouvais dans la tapisserie, à regarder
mon corps sur le lit. ». Cette habileté à dissocier qui lui a permis de
survivre, dans un premier temps entraîne, ultérieurement, une dissociation
de sa vie affective. Elle va dire : « Depuis, je me sens comme vide à
l’intérieur; lorsque je suis en présence d’autrui, je ne ressens rien. ».

À l’intérieur d’un contexte interpersonnel de collaboration et de


permissivité, le thérapeute accepte tout le matériel présenté par le client
comme étant valable et utile pour découvrir ses ressources personnelles et
faciliter l’accès à des solutions nouvelles. Il s’agit de créer un contexte de
confiance et de communication profonde qui motive l’orientation vers
l’action et le décloisonnement de la créativité et de l’autonomie. Le
thérapeute utilise des stratégies de communication persuasive puissantes
telles que l’escalade d’acceptation (yes-set), les paradoxes, les ambiguïtés,
les doubles liens, les métaphores et, bien sûr, la transe hypnotique.

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À l’aide d’exemples cliniques, cet article illustre quelques-unes des
stratégies d’intervention ainsi que sept composantes de l’hypnothérapie
éricksonienne : l’établissement du contact, le diagnostic et l’établissement
des buts thérapeutiques, le décloisonnement des ressources, le travail
avec les résistances et les symptômes, l’utilisation du langage et le
recadrage, les nouvelles ouvertures et les apprentissages et, finalement, le
passage à l’action et le suivi.

Ces composantes sont déterminées dans un but de compréhension de


l’approche, mais ne s’appliquent pas nécessairement dans l'ordre
présenté.

Première composante : l’établissement du contact

Élément clé de la relation thérapeutique éricksonienne, la qualité du


contact est une condition nécessaire pour produire des changements
thérapeutiques ainsi que pour induire une transe hypnotique. Le premier
contact est alors d’une très grande importance. Souvent, il s’agit d’une
conversation téléphonique qui ne dure que quelques minutes. Ensuite,
lorsque le thérapeute rencontre son client pour la première fois, il peut
constater l’efficacité de cette communication initiale par la présence d’un
cadre d'attentes positives. Lors de l'entrevue initiale, le thérapeute explore
la situation présentée dans un climat d'appréciation. Ce climat positif établi
dès le début du processus thérapeutique définit le cadre de cette thérapie
orientée vers les solutions.

Dans cet article, nous nous attarderons à trois des stratégies


développées par Erickson : l’accompagnement, l’utilisation et la validation
de toute l’expérience de la personne et l’orientation positive. Afin de nous
aider dans la compréhension de ces stratégies, faisons connaissance avec
Marie, une cliente.

Marie appelle pour se renseigner et avoir un rendez-vous. « Bonjour


madame, j’aimerais vous consulter pour un problème; j’aimerais avoir
quelques renseignement. »

« Oui, bien sûr. »

« Oui, en fait, j’ai plusieurs problèmes pour lesquels je veux


consulter… J’ai quitté mon mari depuis quelques semaines… je me
retrouve très anxieuse; je souffre d’insomnie; je n’arrive pas à me
concentrer, et même d’autres choses que je ne veux pas mentionner au
téléphone… Pensez-vous que l’hypnose peut m’aider? »

« Vous venez de vivre une séparation? »

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« Oui, c’est ça, j’ai quitté mon mari, il y a six semaines. Au début, ça
allait très bien, je me sentais soulagée, mais depuis un mois, je ne dors
plus; je suis très anxieuse. Ça commence à affecter mon travail. »

« Vous n’arrivez plus à vous concentrer et vous vous sentez en perte


de moyens? »

« Oui, je me demandais si l’hypnose… enfin, j’en sais très peu sur


l’hypnose. »

« Oui, l’hypnose peut être une stratégie intéressante à explorer. Enfin,


l’hypnose, dans le cadre d’une thérapie, permet d’apprendre à se laisser
glisser dans un état de détente profonde et ainsi accéder à des ressources
moins contrôlées par le mode de fonctionnement conscient. On trouve
parfois des solutions simples à des problèmes qui semblent insolubles, car
on se bute à essayer de les régler toujours de la même façon. Il est
important aussi de démythifier l’hypnose dans ce cadre. Il ne s’agit pas de
l’acceptation passive d’une suggestion donnée par le thérapeute, mais
plutôt de la stimulation de vos propres ressources créatives. »

« Oh! Oui, ça m’intéresse. J’aimerais prendre rendez-vous. »

L’accompagnement (pacing) est une stratégie de communication


subtile qui permet au thérapeute de s’ajuster au rythme et au cadre de
référence de son client. Le client se sent profondément écouté, ce qui
facilite la relation de confiance. Elle permet aussi au thérapeute d’avoir une
perception très proche de ce que son client vit tant au niveau cognitif
qu’émotionnel. Cette information est précieuse d’un point de vue
diagnostique. Le thérapeute met ainsi à sa disposition une façon d’évaluer
en tout temps où se trouve son client et ainsi de décider tantôt de ralentir
ou de préciser, tantôt d’accélérer ou d’approfondir le travail thérapeutique
ou la transe. Il s’agit d’une source continue d’information sur l’habileté du
client à traiter l’information ou à vivre l’expérience dont il est question.

Lors de l’accompagnement, le thérapeute se sert d’une grille simple de


lecture, à l’écoute du langage verbal et non verbal du client. Le langage
verbal comporte le contenu du message, écouté de façon active et les
choix de mots qui reflètent le mode d’orientation au monde, privilégié par la
personne (Gilligan, 1987). De plus, il comporte des éléments
paralinguistiques : des gestes et des mimiques (kinésie), des rythmes, des
hésitations et des intonations (prosodie), des mouvements et des positions
du corps (proxémie).

Le langage non verbal véhicule des informations importantes, souvent


de nature affective et non consciente (Cané, 1984), qui peuvent confirmer
ou infirmer le message verbal qui est livré simultanément. Il s’agit d’une
source d’informations précieuse à ne pas négliger et à suivre dans un
processus d’accompagnement flexible et très actif.

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Dans l’exemple cité, Marie privilégie l’univers de sensations comme
mode de définition de sa réalité : elle se sent anxieuse, soulagée, etc.
Cette façon de parler de son vécu permet de déterminer chez Marie un
mode kinesthésique. Dans un souci de la suivre au niveau de son langage,
les réponses se font dans un mode de langage parallèle : « Vous vous
sentez en perte de moyens » et « se laisser glisser dans un état de détente
profonde ». Ceci est fait à un rythme qui épouse de près celui véhiculé par
Marie. Le résultat est immédiat; Marie se sent écoutée et très vite en
confiance. Déjà, elle est prête à s’aventurer plus loin.

Lors de la première consultation, Marie parle plus en détail de sa


relation de couple et de la détérioration de celle-ci. Lorsqu’elle parle
d’événements qui ont mené à la rupture, elle se met à pleurer. La
thérapeute l’accompagne avec le même rythme respiratoire.

« J’étais rendue à bout; je ne savais plus quoi faire », ajoute-t-elle en


sanglotant.

« C’était devenu une situation insoutenable, » répond la thérapeute.


Marie acquiesce avec des hochements de tête. « Vous avez exploré toutes
les alternatives. »

« Oui », répond Marie, « j’ai essayé de me taire, de lui parler; on en


était arrivés à des confrontations pas possibles. »

« Vous avez essayé de parler avec lui. »

« Oui, mais on dirait que ça n’a jamais passé… ce que je voulais ne


comptait pas. Je me sentais toujours écrasée. À la fin, ce n’était que des
crises. Il ne m’a jamais touchée, mais j’avais peur. Déjà, je ne dormais
plus. »

« Vous ne vous sentiez pas prise en considération et les confrontations


s’accentuaient. »

« Oui, je ne dormais plus; je ne savais plus quoi essayer pour sauver


mon couple, alors j’ai décidé de partir. »

« Partir vous a semblé la solution ultime et ça a bien été au début.


Maintenant vous ressentez le besoin de changer des choses plus en
profondeur. Peut-être, apprendre à dire les choses de façon plus efficace,
arriver à vous détendre, dormir de nouveau… »

« C’est ça. Et j’aimerais aussi comprendre. Qu’est ce qui s’est passé?


Je n’arrive pas à le saisir encore. »

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Le principe d’utilisation (Erickson, 1959) et d’acceptation de toute
expérience comme étant valide est une attitude très importante dans cette
approche. Il s’agit d’accueillir et d’accepter tous les aspects de l’expérience
de la personne, même ceux qui semblent négatifs. Le client se sent
reconnu dans son expérience, ce qui augmente son niveau de confiance.

Le principe d’utilisation comporte un postulat fondamental dans


l’approche éricksonienne : le client a toutes les ressources internes
nécessaires pour faire face à toute situation de vie. Les actions et les
gestes que Marie a utilisés pour régler son problème de couple sont
valables et créatifs. Dans la reconnaissance positive de ceux-ci par le
thérapeute, Marie va retrouver sa confiance en elle-même. L’exploration
des solutions qui ont donné de bons et de mauvais résultats fait ressortir ce
qui a fait défaut et ce qu’il faut faire pour régler la situation présente de
même que les forces et les faiblesses de Marie, ses motivations et ses
réussites dans sa vie quotidienne. Dans un deuxième temps, les
compétences et les motivations de Marie servent pour bâtir de nouveaux
répertoires de réponses et surtout elles permettent de changer son histoire
de défaite en une réussite. Cette stratégie est une première étape dans le
processus thérapeutique qui permet de transformer les symptômes en
alliés.

La thérapeute accepte l’expérience de Marie et la valide : « Partir vous


a semblé la solution ultime et ça a bien été au début ». Mais, elle a
préalablement conçu avec Marie une escalade d’acceptation qui l’a
amenée dans un état de réceptivité très semblable à la transe hypnotique.
Marie est alors motivée à accepter les suggestions que le thérapeute lui
propose. Le thérapeute profite de ce moment d’ouverture pour suggérer,
par un « peut-être », un changement en profondeur et la possibilité
d’expression de soi différente : « Peut-être apprendre à dire les choses de
façon plus efficace, arriver à vous détendre, dormir de nouveau ». Le
thème de la motivation, présent tout au long de l’interaction thérapeutique,
sera discuté plus loin.

Deuxième composante : le diagnostic et l’établissement des buts


thérapeutiques

Bien connaître la personne et son contexte, ses symptômes et ses


résistances, ses compétences et ses motivations est important pour mener
l’intervention à bon terme. Le diagnostic est intimement lié au plan d’action
qui comporte l'intervention à court terme (déjà explorée plus haut), les
stratégies à être utilisées à moyen terme, la création de cadres
d'apprentissage intermédiaires et les buts thérapeutiques à long terme.
Cette façon de concevoir le diagnostic comme un processus continu
permet de capitaliser sur les motivations immédiates de la personne et de
les utiliser pour s'orienter constamment vers les buts thérapeutiques à long
terme.

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Dans un premier temps, il s’agit de comprendre comment la personne
construit son problème puisque cette compréhension fournit les pistes de
référence vers ses solutions :

Marie verbalise son problème de la façon suivante : « J’ai quitté mon


mari depuis quelques semaines… je me retrouve très anxieuse; je n’arrive
pas à dormir, à me concentrer… ». La façon dont elle verbalise sa situation
nous fait penser qu’elle souffre d’un problème d’anxiété en raison de sa
séparation. Cependant, certaines questions seront pertinentes pour
découvrir ce qui la motive, ce qui la fait se sentir compétente et en sécurité
et l’étape du développement qu’elle doit maintenant affronter. Après avoir
exploré, par exemple, ce qui a changé depuis qu’elle n’est plus avec son
mari, Marie en arrive à dire qu’elle se sent seule et qu’elle s’inquiète, car
elle ne sait pas comment se refaire un réseau social. Elle s’était trop
renfermée dans sa relation de couple et, maintenant, elle se retrouve
seule.

En s’intéressant au contexte de vie dans lequel le symptôme se


présente, on découvre souvent qu'il constitue une solution à un problème
présent dans un contexte de vie particulier. Pour Marie, le symptôme attire
l’attention, comme un système d’alarme, sur un besoin qui émerge
lorsqu’elle doit faire face à une nouvelle étape de vie (elle s’inquiète car elle
ne sait pas comment se refaire un réseau social) et accomplir une nouvelle
tâche de développement.

Ainsi, le symptôme est vu comme une construction créative de la


personne et la meilleure réponse qu'elle a trouvée face à une situation de
vie spécifique. Il est donc respecté et exploré pour sa valeur
communicative et comme une voie royale vers la croissance et la
transformation (Rossi, 1996). La solution n’est pas d’éliminer le symptôme,
mais plutôt de mettre en action le système naturel de résolution de
problèmes afin de trouver une alternative plus efficace et mieux adaptée.
Apprendre à Marie à se détendre pour mieux dormir peut être une solution
à très court terme; cependant, mettre en branle ses ressources intérieures
pour décloisonner ses habiletés interpersonnelles peut constituer un vrai
changement génératif. Le but thérapeutique pour Marie est de se refaire un
réseau de relations sociales satisfaisantes qui va contrer sa solitude,
donner une nouveau sens à sa vie et, peut-être, créer une nouvelle relation
de couple.

L’approche éricksonienne est orientée vers le futur. L’analyse des


problèmes du passé se limite généralement à comprendre la nature du
symptôme et à établir les ressources et motivations de la personne
quoique, parfois, le thérapeute va carrément s'attarder à transformer le
passé (ou plutôt la façon dont la personne construit son passé). L’analyse
du problème permet de comprendre quelles sont les habiletés nécessaires
pour faire face à la prochaine étape de vie de la personne.

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Une exploration détaillée du cycle de vie du client et de ses besoins
actuels et futurs apporte une information précieuse au processus
thérapeutique. Stephen Lankton (1985) propose la grille d’évaluation
suivante : changements dans la structure familiale, attitudes qui facilitent la
genèse et le maintien du symptôme, flexibilité émotionnelle,
comportements correspondant à l’âge chronologique pour obtenir l’intimité
et accomplir d’autres tâches de développement, image de soi qui soutient
les attitudes, les émotions, les rôles et les comportements adéquats,
habileté du client à se discipliner et à avoir du plaisir.

Le thérapeute doit se donner différents objectifs : identifier les


domaines de compétence du client; l’aider à accorder plus d’attention à ce
qui va bien dans sa vie dans le but de diminuer l’importance de ce qui ne
va pas bien; aussi, aider le client à définir ce qu’il veut dans la vie; l’aider à
découvrir qu’il a les ressources nécessaires pour l’atteindre; apprendre au
client à ne pas s’identifier avec une étiquette de « malade » mais se voir
plutôt comme une personne pleine de ressources et d’expériences uniques
et valables. Dans ce cadre, tout objectif spécifique et possible à atteindre
avec succès permet au client de comprendre qu’il est capable de
transformation. De plus, une fois que le client arrive à produire un petit
changement, il est alors capable de produire, aussi, un autre changement
plus important, et bien d’autres encore. Il s’agit de construire une escalade
de changements permettant à la personne de se sentir compétente et
efficace dans les modifications qu’elle veut imposer à sa vie.

Marie a compris qu’elle était capable de se détendre et de se laisser


glisser dans une transe où elle était libre d’anxiété et se voyait se réveiller
chez elle un matin, agréablement surprise d’avoir dormi toute la nuit. Puis,
encore sous hypnose, elle a vécu l’expérience d’assister à la conférence
d’un auteur qui l’intéresse et d’entamer une plaisante discussion avec une
personne de l’audience qui attirait son attention. Ensuite, elle a exploré
différents aspects d’une amitié plus importante avec cette même personne.
Sous l’état de transe, Marie a réfléchi sur elle-même et développé un
concept de soi plus compétent et libéré de symptômes. De plus, elle a
expérimenté des sensations réelles dans son corps. Étant donné son mode
kinesthésique, ceci lui permet de valider son expérience en concordance
avec ce qu’elle est réellement. Chacun de ces événements a un sens
thérapeutique valable.

Tout objectif qui peut s’avérer difficile à atteindre ou inutile doit être
minimisé ou redéfini. Par exemple, Marie n’a pas besoin de se faire une
nouvelle relation de couple pour se sentir bien dans sa vie. Le fait de
remarquer qu’elle est bien en devenant flexible et indépendante dans ses
relations sociales peut être suffisant.

Troisième composante : le décloisonnement des ressources

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Afin d’installer chez Marie un mouvement orienté vers les solutions, le
thérapeute s’attarde à établir et explorer les domaines de compétence, les
forces, les ressources et les motivations de celle-ci. Cette démarche donne
un cadre positif à la thérapie qui s’attarde beaucoup plus à décloisonner les
ressources et motivations naturelles du client qu’à l’analyse des
pathologies sous-jacentes. Marie, par exemple, est secrétaire exécutive
dans une firme au centre-ville. Chaque jour, elle répond à de multiples
demandes de son service et des clients de l’entreprise. La description de
quelques interactions précises dans son travail permet au thérapeute de
souligner certaines compétences sociales qui existent déjà dans son
répertoire. Plus tard, à l’aide d’une transe hypnotique, le thérapeute peut
suggérer à Marie, par exemple, de remplacer le visage d’un collègue de
travail par celui d’une nouvelle connaissance dans un nouveau contexte
social. De cette façon, il décloisonne une habileté que Marie utilise de
façon restrictive dans son travail et rend cette ressource flexible. Ainsi,
Marie augmente son sens de compétence et son concept d’elle-même
devient moins rigide.

Pour décloisonner les ressources, il s’avère utile d’explorer les modes


d’interaction privilégiés par Marie. Dans certains cas, les domaines de
compétence se limitent à un seul contexte de vie. Le travail du thérapeute
éricksonien est d’identifier et de décloisonner ses ressources. Par
exemple, Marie était devenue très dépendante des comportements de son
mari. Elle s’était beaucoup enfermée dans sa relation. Cependant, dans
son travail, Marie se démarque par ses initiatives; elle suggère des
solutions innovatrices et raconte une situation où, grâce à son intervention,
un conflit avec un client fut réglé avec succès. Le thérapeute enregistre
cette information précieuse pour ensuite, de façon stratégique, l’utiliser en
vue de faire vivre à Marie des situations de succès qui vont augmenter son
sentiment de compétence dans des relations sociales.

Tout au long de la thérapie, il est important d’orienter la motivation vers


le changement. En se servant de la stratégie d’utilisation de ce qu’apporte
Marie, le thérapeute essaie de stimuler son désir d’apprendre, sa curiosité,
son sens de la découverte et d’émerveillement. Il va aussi utiliser les
motivations naturelles déjà existantes. Il s’agit, en effet, d’une approche
écologique où les ressources et les motivations vont être recyclées, voire
même décloisonnées pour devenir flexibles. Marie s’intéresse beaucoup à
la lecture. Elle passe beaucoup de son temps libre à lire chez elle. Le
thérapeute fait une petite manœuvre sous forme de tâche thérapeutique; il
demande à Marie d’aller lire à la bibliothèque publique. Elle y découvrira un
club de lecture dont elle deviendra membre. Cette deuxième partie de la
tâche thérapeutique a été présentée seulement de façon implicite par le
thérapeute lorsqu’il lui demande de se renseigner, aussi, sur les autres
activités de la bibliothèque.

Quatrième composante : le travail avec les résistances et les


symptômes

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Le changement n’est pas un processus unidimensionnel. Avec chaque
demande de changement émerge une résistance qui peut se définir
comme une manifestation de l’inertie écologique. Tout système tend vers
son équilibre et tout changement comporte un mouvement de déséquilibre.
La résistance est perçue comme faisant partie de l’orientation du client
envers la réalité. En général, elle est étroitement liée au comportement
symptomatique (Erickson, 1980).

Il ne s’agit pas nécessairement d’un refus du changement, mais mal


gérer une résistance peut transformer la thérapie en dialogue ardu et figé.
Il est important pour le thérapeute éricksonien de faire un certain travail
avec les résistances; dans certains cas, il s’agit de les contourner, dans
d’autres cas, de les augmenter avant de les faire diminuer, ou bien encore
de les transformer en alliés et les rendre convergentes avec le processus
thérapeutique. Dans tous les cas, travailler avec les résistances est une
stratégie de motivation puissante qui réduit le temps de thérapie et qui aide
à promouvoir le changement.

Une première façon de travailler avec la résistance est de la


circonscrire à un contexte particulier. Une stratégie typique d’Erickson et
utilisée avec Marie fut de la faire essayer un fauteuil, puis une chaise
droite, puis une chaise pivotante, puis un sofa pour finalement conclure
que le meilleur endroit pour se détendre et se laisser glisser vers une
transe hypnotique était un tapis matelassé installé par terre.

Une autre stratégie consiste à utiliser la résistance. Lors de la même


séance, Marie garde les yeux grands ouverts, même lorsque l’induction de
transe est entamée. Alors, le thérapeute suggère : « Et c'est souvent plus
confortable de garder les yeux ouverts afin de voir… et permettre… à
chaque partie du corps de se sentir de plus en plus détendue ».

Une troisième stratégie utilisée dans le cas de Marie a été celle de


prescrire la résistance. Ainsi, lorsque le thérapeute lui demande de se
rendre à la bibliothèque, il lui dit de le faire « un samedi matin, mais dans la
mesure du possible pas ce samedi qui vient, mais n’importe quel autre
samedi ». Dès lors, si Marie devait résister en trouvant mille et une
excuses pour ne pas se rendre à la bibliothèque, elle est stimulée, par
l’intervention thérapeutique, à le faire dès le samedi suivant.

Finalement, la manière la plus créative de travailler avec les


résistances est de les contourner. Deux stratégies nettement
« éricksoniennes » sont très efficaces dans ce cas : l’indirection qui
consiste à faire des suggestions indirectes et les métaphores.

Il y a plusieurs façons de donner des suggestions indirectes : les unes


par évocation, les autres de façon implicite. Par exemple, une façon rapide
de déclencher un état de détente sans jamais utiliser le mot « relaxation »

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est d’inviter simplement la personne à évoquer un moment agréable lors
des dernières vacances. De cette manière, au lieu de « résister » à la
commande « détends-toi » (qui est d’ailleurs souvent totalement
inefficace), la personne accepte de bâtir son propre état de détente à
travers l’évocation d’une situation déjà vécue d’une manière très agréable.
La même réponse peut être provoquée de façon implicite si le thérapeute
se met à parler d’une situation agréable de vacances que quelqu'un a déjà
vécue. Le client répond, alors, tout naturellement avec des souvenirs qui lui
appartiennent et selon la réponse de détente qui les accompagne.

La métaphore est une figure du langage qui fonctionne par


isomorphisme, c’est-à-dire qu’une idée ou une situation est représentée
par quelque chose qui lui ressemble dans la forme. Il s’agit d’une stratégie
très utile pour créer des réalités qui n’existent pas encore, tout en
déclenchant des réponses émotionnelles et sensorielles puissantes. Il
s’agit aussi d’une stratégie qui s’appuie sur l’habileté créative et la capacité
à visualiser. La métaphore est utilisée en thérapie et, plus spécifiquement,
en hypnose (Hammond, 1990; Lankton et Lankton, 1983, 1989; Mills et
Crowley, 1986), car elle est facile à appliquer dans presque toute situation
thérapeutique et elle permet de communiquer des idées complexes de
façon simple et motivante.

Les métaphores sont utilisées dans toutes les étapes de la thérapie,


tantôt pour accompagner, tantôt pour motiver, suggérer et provoquer de
nouvelles réorganisations cognitives et affectives. Par exemple, à un
moment de la thérapie, Marie parle amèrement de sa famille d'origine avec
un sentiment de rejet et de désespoir. Le thérapeute lui répond avec
l’histoire du vilain petit canard, le conte traditionnel recueilli par Hans
Christian Andersen. Marie rentre dans une transe légère pendant qu’elle
écoute l’histoire et répond avec un sens de fascination et de découverte.
Elle se sent profondément comprise par sa thérapeute et arrive à recadrer
son expérience de rejet de façon positive et autovalorisante.

Tel qu’établi plus haut, le symptôme a une valeur expressive et


constitue plus qu’une simple solution de rechange. Il comporte une valeur
écologique et un message plus profond qui souvent, une fois compris, font
du sens pour la personne. Ainsi, le thérapeute doit accompagner son client
dans l’exploration du symptôme tel qu'il se présente, dans l’observation de
ce qui le provoque, dans la recherche des conditions qui l’empirent ou le
soulagent, dans la découverte de ce qui a déjà été essayé pour l’améliorer
et dans la transformation actuelle par l'imaginaire. Par exemple, Marie
exprime sa détresse initiale par des situations où elle vit de l’anxiété. Lors
d’une transe hypnotique, le thérapeute l’accompagne pour revivre une des
situations et la faire s’attarder à la sensation de serrement dans sa poitrine
qu’il suggère de transformer en soleil intense, chaud et jaune-orange. Cette
sensation de chaleur rayonne dans tout le corps, en sortant finalement par
le bout des doigts et le bout des orteils jusqu'à ce qu’aucune sensation
d’oppression ne reste dans sa poitrine. Elle ressort de la transe lorsqu’elle

124 RQP, 21(1)


arrive à se sentir parfaitement détendue et confortable. Marie obtient ainsi
une transformation du symptôme grâce à une construction hypnotique
imaginaire.

L’hypnothérapie éricksonienne cherche à rendre la personne flexible


dans la solution de ses problèmes de vie et à stimuler sa créativité de
façon telle que la production de symptômes ne s’avère plus nécessaire.
Dans cette perspective, faire émerger de nouvelles possibilités à chaque
moment de la thérapie par des petits changements possibles à atteindre,
permet de bâtir un cadre d’apprentissage positif et de motiver l’amorce
d’un processus de changement de plus en plus important. Par exemple, un
premier objectif, facile à atteindre pour Marie, fut d’apprendre à se laisser
glisser vers une transe de détente profonde.

Cinquième composante : l’utilisation du langage et le recadrage

L’utilisation du langage est souvent très importante en psychothérapie.


Dans l’hypnothérapie éricksonienne, il est d’une importance cruciale
(Watzlawick, 1985). C’est à partir du langage que la relation thérapeutique
est établie. C'est avec le langage que le problème est défini et c’est dans
l’échange verbal que le client chemine avec le thérapeute dans la transe
hypnotique.

Le choix des mots du client est observé et utilisé lors de


l’accompagnement. Déjà, lors des premiers contacts, le thérapeute
introduit des suggestions pour transformer le langage que le client utilise
pour communiquer son problème. Par la suite, ce recadrage fait partie
intégrante de toute communication thérapeutique. Ce premier niveau de
recadrage implique que le thérapeute aide son client à trouver une façon
de définir son problème dans laquelle les éléments de solution sont déjà
présents. Par exemple, Marie a présenté son problème de la façon
suivante : « J’ai quitté mon mari depuis quelques semaines… je me
retrouve très anxieuse; je souffre d’insomnie; je n’arrive pas à me
concentrer… » Le thérapeute recadre ainsi : « Vous avez pris des
décisions pour améliorer votre situation de vie. Et maintenant, vous êtes
surprise de sentir qu’il est difficile de bien dormir toute la nuit et qu’il vous
arrive parfois d’être distraite. » Marie peut alors constater qu’elle a pris des
décisions pour améliorer sa vie. Toute prise de décision est à souligner, car
il s’agit d’un acte de pouvoir. Il est très valable comme objectif
thérapeutique d’amener la personne dans une situation de pouvoir sur sa
vie et son bien-être. De plus, bien dormir toute la nuit est difficile, ce qui
implique peut-être que, déjà, elle dort bien durant certaines parties de la
nuit. Elle est distraite, chose qui est beaucoup moins pathologique et
inquiétante que de ne pas pouvoir se concentrer. Aussi, le thérapeute
recadre ses problèmes dans un contexte qui implique l’apprentissage.
C’est d’ailleurs dans un contexte d’apprentissage que les solutions vont
venir. Marie va apprendre à se laisser glisser vers une transe de détente.

125
Le recadrage ouvre diverses possibilités. Les mots utilisés impliquent
de nouvelles alternatives et des perspectives non pathologiques qui
rassurent et motivent. Le langage devient générateur de changement. Le
thérapeute éricksonien capte l’attention du client et l’amène, d’un cadre
négatif où il y a une survalorisation du symptôme, vers une orientation plus
positive et motivante. Une façon efficace et facile d’y arriver est d’utiliser
une question qui définit des objectifs clairs et qui oriente la personne vers
le futur. Ainsi, le thérapeute demande à Marie : « Si tu avais une baguette
magique qui pouvait te projeter vers le futur et te permettre un jour de te
réveiller avec le problème complètement transformé, comment serait-ce
jour-là? » Marie répond : « Je serais parfaitement reposée et calme, car
j’aurais dormi toute la nuit. Je me lèverais contente pour aller rencontrer un
groupe d’amis avec lesquels je serais en train d’organiser une soirée
causerie. ». Marie s’est servie de son imaginaire pour bâtir une situation
qui devient un objectif à atteindre.

Le langage implicite est parfois utilisé pour contrer des déficits du


client. Il permet de créer de nouvelles motivations lorsque la confiance en
soi fait défaut provoquant un manque de flexibilité : « Lorsque vous serez
arrivée à bien dormir, vous serez moins fatiguée après le travail. Il sera
alors plus facile de participer à des conférences d’auteurs. » Le thérapeute
se sert d’une logique grammaticale, le syllogisme, pour suggérer par
implication des nouvelles réalités psychologiques et comportementales.

Le langage utilisé par le thérapeute est décloisonnant dans le sens qu’il


ouvre des possibilités multiples. Il est aussi dissociatif dans le sens qu’il
crée des réalités autonomes par rapport à l’expérience consciente du
client. Ainsi, lorsque Marie a commencé à entrer en transe, « peut-être que
les talons ont déjà commencé à sentir le contact avec le tapis, et les
mollets, les cuisses, les fesses, le dos, la nuque, les coudes, les bras et les
mains ressentent déjà… et puisque les mains ont peut-être déjà
commencé à expérimenter des sensations intéressantes… un certain
engourdissement ou bien une espèce d’électricité qui les rend
curieusement… bien différentes d’avant… comme si le poids changeait
complètement... difficile à dire encore si elles sont devenues plus lourdes
ou plus légères, mais définitivement… le changement se fait… de plus en
plus clair. ». Et lorsque les doigts commencent à bouger, le thérapeute
continue : « C’est ça, de plus en plus, ce mouvement se transforme en
agréable légèreté… ».

Sixième composante : les nouvelles ouvertures et les apprentissages

Erickson conceptualise la transe thérapeutique comme une façon


d’utiliser le potentiel intérieur de chaque personne pour atteindre ses buts.
Il s’agit d’une expérience psychologique spéciale dans laquelle la personne
peut créer de nouvelles associations et réorganiser sa propre expérience
(Erickson, 1980). En effet, afin de regarder une situation problématique
avec une nouvelle perspective ou de créer des situations d’apprentissage

126 RQP, 21(1)


et de nouvelles associations, l’hypnose s’avère un outil extrêmement utile.
C’est une façon d’utiliser l’imaginaire au profit du bien-être psychologique. Il
s’agit de donner à la personne une sensation de maîtrise et d’autorité sur
sa vie passée, présente et future sans quitter le fauteuil où elle se trouve
confortablement assise.

Il faut aussi ajouter que l’utilisation de l’hypnose est agréable tant pour
la personne qui consulte que pour le thérapeute. En effet, la personne vit
toutes sortes de situations avec un degré de réalité étonnant tout en étant
détendue et dans une situation protégée. Pour le thérapeute, il est plus
facile de travailler dans cette approche s’il se laisse aussi glisser vers une
transe légère orientée vers l’extérieur. Il s’agit d’un état d’orientation de
l’attention vers le client qui permet au thérapeute d’écouter le contenu du
message verbal, de voir toutes les réactions non verbales (tant du visage
que du restant du corps), de s’harmoniser complètement avec l’expérience
affective et cognitive de son client et d’être attentif à une foule de micro-
indices de communication. Cette réponse est extrêmement valable en
psychothérapie puisqu’elle permet au thérapeute d’être en même temps
très détendu et très attentif à toute l’information provenant de son client.

Une question importante, souvent posée dans les formations en


hypnothérapie, porte sur la pertinence, voire même la sécurité de l’utiliser
avec certains clients. Dès le premier contact avec le client, il est important
d’évaluer la pertinence d’utiliser l’hypnose. Le cas échéant, il est important
de déterminer la façon stratégique dont elle sera utilisée. Des précautions
doivent être prises avec des patients présentant certains symptômes et
états émotionnels (Crasilneck et Hall, 1985; Wester et Smith, 1984). Par
exemple, lorsqu’une personne vit déjà un état de dissociation importante,
elle peut bénéficier de l’hypnose parce que celle-ci comporte des
procédures de réassociation. Celles-ci, normalement utilisées à la fin de
l’induction de transe, permettent de revenir à l’état d’éveil dans une attitude
orientée vers la réalité extérieure, donc en contact avec celle-ci. Un
thérapeute bien entraîné dans cette approche et ayant une bonne
connaissance de son client peut alors utiliser l’hypnose avec ce client.
Cependant, son utilisation n’est pas recommandée si le thérapeute
considère que l’hypnose n’apportera pas une situation d’apprentissage
valable. Une telle situation pourrait se produire si le client utilise l’hypnose
comme excuse pour se déresponsabiliser de ses actes ou pour attribuer à
l’hypnotiseur (thérapeute) des pouvoirs sur lui ou encore si l’hypnose
augmente son état de dissociation au lieu de faciliter la réassociation.

Les attentes du client en ce qui concerne la réponse hypnotique et son


pouvoir de produire grâce à son imaginaire des réalités thérapeutiques
sont d'une très grande importance. Trop de conceptions erronées sur
l’hypnose sont encore présentes dans notre culture : la peur de « perdre le
contrôle », de se faire induire des suggestions non désirables, la peur de
« ne pas pouvoir revenir de la transe », la peur de « devenir fou » pendant
la transe ou bien croire que tout ce dont on se souvient pendant la transe

127
est vrai. Le thérapeute doit éduquer son client en ce qui a trait à des
attentes réalistes vis-à-vis de l’hypnose et sur l’aide qu’elle peut apporter
dans le processus thérapeutique.

Le point clé dans la décision d’utiliser l’hypnose reste la qualité de la


relation thérapeutique et la conviction du thérapeute qu’il peut mener à bon
terme une situation d’apprentissage important dans laquelle le client peut
arriver à vivre des états émotionnels intenses et réels. L’attitude
d’ouverture du thérapeute, sa solidité et sa qualité de présence dans
l’accompagnement de son client, ainsi que sa manœuvrabilité
thérapeutique restent les éléments cruciaux dans l’utilisation de l’hypnose
clinique.

À travers l’hypnose, le thérapeute et le client se concertent pour


transformer une expérience en une histoire de succès et de maîtrise.
Tantôt le thérapeute crée des situations où le client vit des expériences
nouvelles qui le projettent vers le futur (Torem, 1992) et ainsi ils
parviennent à réécrire l’histoire actuelle. Tantôt l’exploration d’expériences
passées sert à réactualiser des ressources existantes mais non utilisées.
Le passé contient toujours des expériences positives de succès,
d’apprentissage, de plaisir et de maîtrise. Ces ressources sont parfois
inexploitées, tout spécialement chez des personnes qui vivent des
situations pénibles comme une dépression, des phobies ou des problèmes
associés à la douleur physique.

D’autres fois, le thérapeute se sert de la capacité à créer des réalités


parallèles (Hilgard, 1977) pour amener des situations de guérison de
différents aspects de la personne, comme c’est le cas dans la Thérapie
des états de l’ego (Ego-state therapy), avancée par Watkins et Watkins
(1991); ou encore, il s’en sert pour transformer les symptômes en alliés
(Erickson, 1965). Margie Phillips (1993) propose l’utilisation de cette
stratégie plus spécifiquement dans les cas de syndrome de stress post-
traumatique. L’hypnothérapie éricksonienne a un fort biais vers le
renforcement de l’ego (Hartland, 1971) et la valorisation de tout ce qui est
positif et non pathologique chez la personne.
Septième composante : le passage à l’action et le suivi

Toute transformation thérapeutique ne saurait être importante si ses


effets ne sont pas actualisés dans la vie quotidienne du client. Ainsi, pour
faciliter ce type de généralisation, le thérapeute prescrit dès le début de la
thérapie diverses tâches thérapeutiques. Ces tâches peuvent être des
pratiques directes des comportements acquis pendant une transe
hypnotique ou encore des activités qui permettent au client de découvrir de
nouvelles associations, motivations ou, simplement, de stimuler sa
curiosité et son esprit de découverte. Milton H. Erickson aimait demander à
ses clients d’escalader Squaw Peak, une montagne qui se trouve dans la
ville de Phoenix, souvent au lever du soleil, afin de stimuler l’assiduité ou
simplement pour créer une expérience d’effort et d’émerveillement. Le but

128 RQP, 21(1)


de ces tâches thérapeutiques vise à créer une ambiguïté pour provoquer
chez les clients un questionnement et un étonnement (Lankton, 1985a) et
ainsi favoriser une série d’activités internes afin qu’ils trouvent leur propre
réponse.

Une autre façon de s’assurer que les acquis se manifestent dans la vie
quotidienne du client est de le faire se projeter dans le futur. Cette stratégie
hypnotique permet à la personne de faire des pratiques supervisées
pendant lesquelles elle ancre ses acquis thérapeutiques dans la réalité.
Marie, par exemple, a vécu des transes dans lesquelles elle se réveillait le
matin et se surprenait à découvrir qu’elle avait dormi profondément toute la
nuit. Elle a aussi vécu plusieurs transes dans lesquelles elle assistait à des
activités culturelles de son choix.

Finalement, une stratégie paradoxale vise à prescrire la rechute ou des


moments durant lesquels le client ressentira les mêmes symptômes et, à
d’autres moments, en sera libéré. Comme il s’agit d’une stratégie de
double lien thérapeutique, peu importe ce que sera la réponse du client,
celle-ci sera avantageuse pour lui. En effet, si le symptôme apparaît sur
commande, au moment prescrit, le client découvre que le symptôme est
sous son contrôle et qu’il peut l’arrêter volontairement. Dans le cas
contraire, cela veut dire que le symptôme est maintenant enrayé.

CONCLUSIONS

L’hypnothérapie éricksonienne est une thérapie brève qui comporte


l’utilisation de l’état de transe hypnotique naturel et qui capitalise sur le
langage et les multiples niveaux de communication présents lorsque deux
personnes collaborent. Le thérapeute et le client créent ensemble des
situations qui décloisonnent les ressources intérieures et créatives du
client. Dans ce processus, le thérapeute utilise de façon stratégique tous
les éléments que le client présente afin de transformer les situations
problématiques qui le limitent dans sa vie actuelle.
En utilisant l’hypnose, le thérapeute motive le client à découvrir ses
ressources intérieures et l’invite à les utiliser pour résoudre ses problèmes.
Le client apprend à se laisser glisser dans un état confortable de haute
créativité où des mécanismes internes se mettent en branle pour
contribuer à la guérison. Il peut régresser dans des expériences
antérieures afin de retrouver et réactualiser des habiletés et des
compétences. Il peut se projeter dans le futur afin de regarder son présent
sous une autre perspective ou encore créer des situations nouvelles
d’apprentissage.

Souvent, à l’aide des devoirs à faire à l’extérieur de la situation de


thérapie, le thérapeute s’assure que le client met en œuvre les acquis de la
session et élargit, en même temps, son cadre d’apprentissage et de
transformation.

129
En utilisant le langage et d’autres stratégies de communication de
façon bien précise, le thérapeute décloisonne la créativité de son client. Ce
dernier arrive à s’exprimer avec plus d’efficacité, obtient des solutions à
ses problèmes et découvre de nouveaux modes de satisfaction dans sa
vie. Ceci renforce son estime de soi et la perception qu’il a de son efficacité
personnelle.

Trop souvent, les thérapies brèves s’arrêtent lorsque le symptôme


commence à s’améliorer. Dans le cas de l’hypnothérapie éricksonienne,
l’arrêt se fait lorsque la personne a obtenu un changement génératif
(Lankton, 1985b), ce qui veut dire qu’il se produit une réorganisation de
deuxième ordre dans son système (Watzlawick, 1982). La personne a
appris à apprendre et à utiliser ses ressources personnelles pour régler
ses propres problèmes; elle a appris à communiquer efficacement avec
autrui, à avoir confiance en elle et elle est devenue flexible et créative dans
ses rapports. Souvent, elle a aussi appris à se servir de l’hypnose pour se
détendre et entrer en contact facilement avec son monde intérieur et ses
aspects plus créatifs. De cette façon, la personne sort grandie et possède
une meilleure connaissance d’elle-même. De plus, lorsqu’on stimule sa
créativité, la personne devient plus efficace dans sa vie affective, ses
relations, son travail et diverses autres sphères de sa vie.

Abstract

Ericksonian hypnotherapy is a brief therapy integrating the strategic use of hypnotic


communication and trance phenomena to generate enduring psychological transformations.
Natural hypnotic responses allow the clients to get in touch with their inner resources. In this
manner they learn new repertoires and generate new associations that render old symptoms
obsolete. This article discusses seven components of Eriksonian hypnotherapy. Illustrated
with a clinical example, the principles of motivation, collaboration, acceptance and indirection
are explored trough different intervention strategies. These strategies used during the

130 RQP, 21(1)


therapeutic process help the clients transform their symptoms into allies, change their history
of failure into one of success, and become autonomous, flexible and creative.

Key words : clinical hypnosis, ericksonian hypnotherapy, brief therapy with hypnosis,
strategic therapy with hypnosis, logic of hypnotic communication in
psychotherapy

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