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La thérapie cognitive

MODULE 6
Introduction
La thérapie cognitive a émergé au cours de ce que l’on a appelé « la révolution
cognitive », et a progressé jusqu’à devenir aujourd’hui l’un des traitements les plus
employés. On ne peut nier les liens qui existent entre la thérapie comportementale,
que nous avons déjà abordée, et la thérapie cognitive. Elles fonctionnent d’ailleurs
souvent de pair. Cependant, certains facteurs les distinguent.

La thérapie comportementale se focalise sur le comportement appris d’un individu.


Elle a pour objectif de désapprendre les comportements problématiques. En revanche,
la thérapie cognitive se concentre sur les croyances d’un individu au sujet de lui-même,
du monde et du futur.

Ainsi, les causes des pathologies, et donc les cibles des interventions
thérapeutiques, sont les pensées ou les cognitions inadaptées, le plus souvent très
enracinées, et fonctionnant de manière automatique. Mais avant de définir
concrètement cette thérapie, revenons brièvement sur les circonstances qui ont permis
son avènement.

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Historique
La théorie cognitive est fondée sur des traditions intellectuelles qui remontent aux
philosophes stoïciens. Ces derniers affirmaient que ce qui nous dérange, ce ne sont pas
les choses en elles-mêmes, mais plutôt les jugements que nous portons sur ces choses.
La psychothérapie cognitive contemporaine se base donc sur le concept de
constructivisme psychologique.

Ce concept avance que les individus développent des systèmes de signification


personnels, afin d’organiser leurs interactions avec le monde. Ces systèmes s’avèrent
relatifs, et se construisent sur des connaissances personnelles et culturelles qui peuvent
n’entretenir aucun lien avec la réalité objective.

En outre, le développement de cette forme particulière de thérapie tient à deux


sources principales : le succès et les limites du comportementalisme, et le rapport à
l’ordinateur, métaphore du traitement d’informations par l’humain.

Dans les années soixante, le comportementalisme pur convient de moins en moins


aux thérapeutes qui considèrent que, malgré l’efficacité du conditionnement classique et
opérant, celui-ci ne s’avère pas satisfaisant pour expliquer la condition humaine.

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Ce qui manque dans la thérapie
comportementale, c’est de pouvoir rendre compte
des processus cognitifs comme les pensées, les
croyances, les assomptions, les attitudes, les
mémoires, les images mentales ou encore les
fantasmes, dont les clients font part en thérapie. De
plus, elle ne peut que s’appliquer à des problèmes
comportementaux. Les praticiens finissent donc par
estimer que tous les problèmes des clients ne
peuvent pas être appréhendés ainsi.

Les fondements de la thérapie comportementale


sont ainsi perçus comme se focalisant trop sur les
interactions entre les personnes et leurs
environnements. Cette focalisation s’est avérée très
utile et productive, puisque les événements
observables permettent de ne plus spéculer
uniquement sur des processus internes, latents,
devant être soutenus, puisque non directement
observables.

Les chercheurs comportementalistes ne sont donc


pas prêts à abandonner la vision du monde sur
laquelle leur approche thérapeutique est basée, mais
un nouveau modèle théorique s’avère nécessaire. En
1956, un paradigme cognitif est introduit par le
symposium sur le traitement des informations, qui
s’est déroulé au MIT (Massachussetts Institute of
Technology).

La familiarité croissante avec les modèles de


traitement de l’information par ordinateur collait
parfaitement aux méthodes empiriques. En effet, les
ordinateurs ne partagent pas des expériences
subjectives, mais on peut observer la manière dont ils
traitent l’information. Ce traitement s’effectue selon
des règles fiables et linéaires.

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La métaphore de l’ordinateur pour la
cognition humaine suggère donc un modèle
dans lequel la pensée humaine peut être
considérée comme objective, ou à tout le
moins mesurable, plutôt qu’uniquement
subjective.

Dans les années soixante, Albert Bandura


présente une théorie réellement
révolutionnaire : la théorie de
l’apprentissage social, grâce à laquelle il
démontre que le comportement n’est pas
uniquement déterminé par les stimuli
environnementaux et leurs conséquences,
mais que des processus cognitifs peuvent
intervenir dans le rapport de l’individu avec
son environnement.

Bandura utilise les principes du


traitement de l’information pour expliquer
son modèle. Les comportementalistes
peuvent ainsi prendre en compte les
thématiques non-comportementales que les
clients abordent en thérapie, comme les
questions de choix et de contrôle de soi. En
parallèle, Aaron Beck explore l’importance
des cognitions, et leur lien avec les troubles
psychologiques et les problèmes personnels.
Beck cherche à valider empiriquement
l’hypothèse de Freud selon laquelle la
dépression est le résultat d’une haine contre
soi.

Cependant, ce n’est pas ce qu’il observe


chez les clients qui viennent le consulter.
Selon lui, ils expriment davantage un biais
négatif sur la façon qu’ils ont de se penser
eux-mêmes, le monde qui les entoure et le
futur. De plus, les personnes déprimées font
l’expérience de types spécifiques de
cognitions, sous forme de pensées
automatiques qui tendent à faire surface
très rapidement, comme par réflexe.

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Ces pensées ne semblent pas
inconscientes ou étranges, ainsi que
Freud les avait décrites, mais elles sont
traitées comme parfaitement plausibles
par les clients. Elles sont également
associées à un affect négatif. Beck
conceptualise ces pensées comme
faisant partie d’un système interne de
traitement de l’information. Si des
changements sont effectués pour que ce
système interne soit moins biaisé
négativement, alors l’état dépressif
diminue.

Dans toutes ces approches se


développant au même moment, de
nombreuses similarités existent. Il s’agit
d’apprendre aux clients à faire attention
à la survenue de pensées inadaptées, à
reconnaître leur impact négatif, et à les
remplacer par des schémas de pensées
plus adaptés et réalistes. L’ensemble de
ces approches est basé sur des
fondements théoriques relevant du
traitement de l’information, elles sont
testables empiriquement.

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Fondements
théoriques
La thérapie cognitive considère que le sens que
nous donnons aux situations influence notre
comportement et notre ressenti. Ceci est
particulièrement vrai quand nous ne percevons pas
correctement des situations, par exemple en les
voyant plus négativement qu’elles ne le sont en
réalité.

Les mauvaises interprétations des situations ou


des sensations, mais aussi les attentes négatives nous
rendent tristes, malheureux, sans raison valable. Ces
distorsions de notre pensée sont particulièrement
importantes dans le développement et le maintien
de nombreux troubles psychologiques. À l’inverse, en
regardant les situations de manière plus objective et
rationnelle, il devient possible de modifier la pensée,
et donc l’émotion et le comportement associés.

Par exemple, quelqu’un qui souhaite rencontrer


de nouvelles personnes, et entend parler d’un cours
de poterie pourra se dire : « Ça a l’air intéressant,
c’est juste ce qu’il me fallait ». Cette personne se sent
joyeuse et optimiste. Une autre personne face à la
même information se dira : « J’aimerais vraiment
faire de la poterie, mais je ne pense pas que ce soit
pour moi ». Cette personne se sent triste et
découragée.

La façon dont nous nous sentons


émotionnellement n’est donc pas une simple
réaction à une situation. De plus, ces pensées ne se
situent pas à un niveau réfléchi de la conscience. Les
pensées qui influencent notre comportement et
notre humeur sont plutôt évaluatives, brèves, et
émergent de façon automatique. On peut les
percevoir quand on nous demande : « À quoi tu
pensais à l’instant ? »

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Quand nous sommes énervés, ce sont les
pensées automatiques qui sont responsables de
notre mauvaise humeur. La thérapie cognitive aide
les personnes à identifier les pensées à l’origine de
leur détresse et à évaluer leur degré de réalisme. Les
clients apprennent alors à changer leur pensée
biaisée. Quand nous pensons de manière plus
réaliste, nous ne souffrons pas gratuitement.

La thérapie cognitive consiste donc en une


combinaison de stratégies et de tâches, conçues pour
modifier de façon effective les distorsions cognitives
à l’origine des problèmes psychologiques.
L’application appropriée de ces tâches nous permet
de nous débarrasser de la source de nos difficultés
émotionnelles.

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Concepts-clés
• La triade cognitive

La conception de la triade cognitive est l’œuvre de Beck qui,


comme nous l’avons expliqué, cherche à décrire les pensées
négatives de ses clients dépressifs. Grâce à sa pratique clinique, il
se rend compte que les personnes déprimées ont généralement
une vision très négative de leur propre personne, du monde et du
futur.

En revanche, les clients anxieux ont des pensées différentes


des clients déprimés. Ils ont tendance à voir le monde ou les
autres comme potentiellement menaçants, ils ont ainsi une
perception vigilante et trop prudente du futur. La triade cognitive
constitue donc un cadre pour analyser les pensées automatiques
et les suppositions tacites que les clients décrivent.

Tous les problèmes des clients peuvent être reliés à des


croyances inadaptées ou dysfonctionnelles dans un de ces trois
domaines. Ainsi, en début de thérapie, il est primordial pour le
praticien de questionner les pensées de son client. En évaluant
leur contribution à la détresse du client, le thérapeute pourra
commencer à définir les aspects qui devront être travaillés.

• Les schémas

Les schémas ont une place centrale dans les modèles


cognitifs des troubles émotionnels. Les schémas sont maintenus,
élaborés et consolidés par des processus d’assimilation, et sont
modifiés lors de nouvelles expériences. Ils se développent dans
l’enfance et la petite enfance de l’individu.

Les schémas inadaptés précoces sont conçus pour remplir


une fonction adaptative, et peuvent s’expliquer par une
internalisation des comportements répétés des parents. Un
enfant dont le parent a un comportement punitif ou imprévisible
envers lui, ou qui ne le soutient pas, se comportera sans doute de
la même manière dans les années qui suivent.

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Les croyances naissantes de l’enfant, comme « mes
besoins ne sont pas respectés par les autres », « je suis
incompétent ou je ne sers à rien», et « je dois me
soumettre au contrôle des autres pour éviter d’être puni »
sont initialement représentées de façon non-verbale, en
tant qu’encodages subjectifs d’expériences vécues.

Ces croyances sont ensuite élaborées, puis consolidées


par des événements plus tardifs. Elles sont entérinées en
tant que mémoires procédurales, croyances tacites, ou
représentations de soi-même et du monde. Elles
deviennent des données-clés de l’existence, et sont à
l’origine de distorsions cognitives observables chez les
individus.

Si les pensées sur la faiblesse personnelle, le


désespoir, et une déception sans fin prennent le dessus, les
individus deviennent moins actifs et s’engagent moins sur
le plan social, leur humeur étant de plus en plus dépressive
et désespérée. Le jugement que les personnes portent sur
elles-mêmes quand elles sont dans cet état ne fait
qu’apporter davantage de preuves de leur inadéquation, et
contribue à empirer leurs problèmes interpersonnels.

Les schémas inadaptés précoces sont conçus dans cinq


domaines principaux :

- La déconnexion et le rejet : l’individu perçoit


de l’instabilité dans ses relations interpersonnelles ;
- Une défaillance de l’autonomie et de la
performance : la personne a du mal à fonctionner de
manière indépendante et à se différencier
correctement des autres ;
- Des limites problématiques sur la réciprocité
et l’autodiscipline ;
- La soumission aux autres : l’individu se focalise
sur les besoins des autres et néglige les siens ;
- Une vigilance et une inhibition trop marquées
: les pulsions et les sentiments propres sont
supprimés.

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Ainsi, les personnes déprimées parlent du schéma
suivant : « je suis incompétent». Ce schéma relève de
difficultés au niveau de l’autonomie et de la performance.
Elles fonctionnent aussi sous l’emblème de la déconnexion
et du rejet, pensant que « les personnes ne sont pas dignes
de confiance ». En revanche, les personnes très colériques
pensent que « le monde est dangereux ». Elles démontrent
une vigilance et une inhibition trop marquées, et croient
que « les personnes sont mal intentionnées ».

• Les distorsions cognitives

Les informations que nous avons à traiter au quotidien


sont extrêmement nombreuses. Nous devons donc
répondre de manière sélective aux stimuli ou événements,
qui sont les plus importants pour notre survie. Certains sont
examinés, remémorés, nous réfléchissons à leur sujet,
tandis que d’autres sont uniquement survolés, ignorés, ou
aussitôt oubliés, car considérés comme inintéressants et
sans importance.

Ainsi, puisque notre attention et notre habilité à


traiter les informations est limitée, nos expériences
subissent obligatoirement certaines distorsions. Les
perceptions, mémoires et pensées d’un individu peuvent
être distordues de façon adaptée ou inadaptée. Une
personne peut par exemple percevoir la vie de façon trop
positive et irréaliste, et penser qu’elle a le pouvoir de
contrôler ou d’influencer des choses, qu’en réalité elle ne
maîtrise pas.

Ainsi, elle peut être amenée à prendre des risques que


d’autres personnes ne prendraient pas, ce qui peut la
mener à la réussite, dans le cadre de la création d’une
entreprise innovante, par exemple. Mais ces distorsions
peuvent aussi s’avérer problématiques puisqu’en pensant
tout contrôler, elle peut se mettre plus facilement en
danger. Ainsi, elle pourrait refuser de consulter un
spécialiste malgré de fortes douleurs à la poitrine,
uniquement parce qu’elle est persuadée que « rien ne peut
lui arriver ».

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La thérapie cognitive a donc tendance à se focaliser sur les
distorsions négatives ou inadaptées. L’un des aspects du traitement est
d’analyser ces distorsions et d’aider les clients à reconnaître leurs
conséquences dans leur vie.

Nous avons réuni certaines des distorsions les plus courantes et des
pathologies qui y sont associées :

- La pensée dichotomique : « les choses sont noires ou


blanches », « soit tu es avec moi, soit tu es contre moi ». Cette
tendance au « tout ou rien » se retrouve fréquemment chez les
individus souffrant de troubles obsessionnels compulsifs.
- Lire dans les pensées : « ils pensent sûrement que je suis
incompétent » ou « je suis sûr qu’ils désapprouveront ». Cette
façon de traiter les informations est très commune chez les
personnes souffrant de troubles paranoïaques.
- Le raisonnement émotionnel : « je ne me sens pas à ma
place, donc c’est sûr que je ne suis pas à ma place » ou « je me
sens énervé, donc il doit y avoir quelque chose qui cloche ».
Cette distorsion s’observe souvent chez les individus souffrant
de troubles anxieux.
- Personnalisation : « cette remarque n’était pas gratuite, je
suis sûr qu’elle était dirigée contre moi ». Poussée à l’extrême,
cette distorsion est typique des personnalités paranoïaques.
- Sur-généralisation : « tout ce que je fais est un échec » ou «
peu importe les choix que je fais, ça finit toujours par tomber à
l’eau ». Les personnes souffrant de dépression ont tendance à
faire part de cette distorsion.
- Dramatiser : « si je vais à cette fête, il y aura des
conséquences terribles », « si je rate cet examen, je suis
complètement fichu » ou « j’ai mal à la tête, ça doit être une
tumeur ». Cette forme de distorsion est typique des troubles de
l’anxiété, en particulier des phobies sociales.
- Les déclarations de devoir : « je devrais visiter ma famille à
chaque fois qu’ils me le demandent » ou « ils devraient faire ce
que je dis, parce que c’est la bonne chose à faire ». Les individus
souffrant de troubles obsessionnels compulsifs et ceux qui
ressentent une culpabilité excessive font souvent part de cette
forme de distorsion.
- L’abstraction sélective : « je dois me focaliser sur les détails
négatifs, les choses positives qui m’arrivent ne comptent pas ».
Cette distorsion est courante chez les personnes dépressives.

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Buts de la
thérapie
cognitive
La thérapie cognitive est basée sur un modèle
éducationnel, puisqu’elle part du principe que les
distorsions cognitives à l’origine des problèmes
émotionnels et cognitifs sont apprises. Dès lors, le
but de la thérapie est d’aider les clients à identifier
les processus de pensées inadaptées, et de leur
enseigner de nouvelles façons de penser. Ainsi, si le
client parvient à apprendre ce que le thérapeute a à
lui enseigner, il ne sera plus confronté aux problèmes
personnels qui le font souffrir.

Mais cet aspect éducationnel a un autre


avantage. Quand les personnes comprennent
comment et pourquoi elles vont mieux, elles
peuvent préserver les bénéfices obtenus, mais aussi
s’adapter face à de nouveaux défis. L’idéal d’une
personne saine, d’après le point de vue d’un
thérapeute cognitiviste, n’est donc pas éloigné de
celui du scientifique qui pense, juge, analyse, décide
et agit de façon précautionneuse, méthodique et
logique.

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Étude de cas - Grégory
Grégory a quarante-trois ans, il est marié et a deux filles de
dix-huit et vingt ans. Depuis bientôt dix ans, il est le patron de
sa propre entreprise de réparation d’ordinateurs, qui marche
plutôt bien. Malgré tout, il est malheureux au fond de lui. Bien
qu’il bénéficie de tous les signes extérieurs de réussite, il a
l’impression de ne pas avoir réalisé pleinement son potentiel.

Ses amis lui disent qu’il traverse la crise de la quarantaine


et que c’est normal. Ses deux filles s’apprêtent à quitter la
maison pour poursuivre leurs études, et il va bientôt se
retrouver seul avec sa femme dans la maison familiale. Grégory
pense que ce sont des excuses stupides, mais il ressent qu’il ne
va pas bien et il veut se débarrasser de ces sensations
désagréables, ou au moins les contrôler.

Il décide donc de consulter un thérapeute, mais il a peur


que la plupart d’entre eux aient les mêmes idées stupides que
ses amis, ou qu’ils aient des méthodes irrationnelles, et lui
parlent d’ouvrir ses chakras ou de ses vies antérieures. Il fait
donc quelques recherches et trouve un thérapeute cognitif, qui
décrit ses méthodes comme prouvées scientifiquement.

Grégory est impressionné par la précision et la justesse


avec laquelle le thérapeute se focalise sur ses problèmes. Il
apprécie qu’il parvienne à mettre des mots sur ses sentiments
vagues, et qu’il lui explique que ces derniers sont liés à sa façon
de penser. Il quitte la première séance très optimiste et content
d’avoir du travail à faire à la maison pour agir sur sa tristesse. Il
passe la semaine suivante à noter ses pensées automatiques et
développe même quelques idées pour tester leur justesse.

Au cours de sa thérapie, Grégory se rend compte de la


manière dont ses erreurs de pensée le rendent malheureux. Au
début, il se sent un peu bête quand il découvre à quel point il
peut être illogique. Il pense même à interrompre sa thérapie
pour éviter un sentiment de honte vis-à-vis du thérapeute.

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Cependant, lorsque ce dernier lui rappelle qu’il a démarré
son entreprise avec succès, et lui dit qu’il peut se servir des
mêmes compétences pour apprendre de nouvelles façons de
penser, Grégory se sent profondément reconnu et encouragé. Il
finit par comprendre qu’il a tendance à voir n’importe quel petit
échec, et même une réussite mineure, comme une pure
défaillance.

Grégory apprend à identifier ces distorsions et à les


remplacer par des interprétations plus réalistes : « Personne
n’est parfait et mes erreurs ne signifient pas que je suis en
échec total, « Je peux les réparer ou apprendre de ces erreurs,
et je ferai mieux la prochaine fois ». Il remarque qu’au fur et à
mesure qu’il gagne de l’expérience avec ces pensées plus
adaptées, il se sent plus satisfait de lui-même dans son travail et
dans ses relations.

La thérapie se termine quand Grégory se rend compte qu’il


a atteint les buts que lui et son thérapeute avaient fixés au
départ. Il revient deux et quatre mois après la fin de la thérapie
pour deux séances planifiées où ils revoient ensemble les
progrès effectués. Ils développent également de nouvelles
stratégies pour gérer ses sentiments de perte, alors que ses
deux filles s’apprêtent à quitter la maison pour mener leurs
études.

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L’évaluation en thérapie
cognitive
L’identification de problèmes spécifiques et l’évaluation objective des interventions sont
des éléments essentiels de la thérapie cognitive. De nombreux outils ont été conçus pour
cet usage, le plus souvent administrés au début du traitement, puis répétés à des étapes
plus avancées de la thérapie. Nous vous présentons ici l’exemple de l’YSQ, pour Young
Schema Questionnaire. Il est employé pour évaluer les schémas inadaptés précoces.

Consigne à donner au client : vous trouverez ci-dessous des affirmations qui pourraient
être utilisées par une personne pour se décrire elle-même. Lisez chaque affirmation et
indiquez à côté à quel point elle donne une bonne description de vous-même (échelle de 1 à
6). Si vous hésitez, basez votre réponse sur ce que vous ressentez émotionnellement, et non
pas sur ce que vous pensez rationnellement être vrai pour vous.

Échelle :

1. Cela ne m'a jamais correspondu.


2. Cela a été vrai pour une période de ma vie, mais pas la plupart du temps.
3. Cela me concerne en ce moment même, mais généralement cela ne m'a pas concerné
dans ma vie.
4. Assez vrai pour moi dans certaines périodes de ma vie.
5. Assez vrai pour moi dans la majeure partie de ma vie.
6. Me décrit parfaitement tout au long de ma vie.

______ La plupart du temps, je n’ai eu personne pour m’éduquer et avec qui je puisse
partager une relation, ou qui se soucie vraiment de tout ce qui m’arrive.
______ En général, les autres n’ont pas été présents pour me donner de la chaleur, du
soutien et de l’affection.
______ Dans la majeure partie de ma vie, je n’ai jamais eu le sentiment que j’étais
important pour quelqu’un d’autre.
______ En grande partie, je n’ai eu personne qui m’écoute réellement, me comprenne, et
soit en accord avec mes vrais besoins et mes vrais sentiments.
______ J’ai eu rarement une personne forte pour me donner des bons conseils, ou le
chemin à suivre quand je n’étais pas sûr(e) de ce qu’il fallait faire.
ED

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______ Je suis souvent en train de m’accrocher aux personnes dont je suis proche, car j’ai
peur qu’elles me quittent.
______ Quand je sens que quelqu’un à qui je tiens s’éloigne de moi, je deviens
désespéré(e).
______ Parfois, j’ai si peur que les autres me quittent que je les rejette.
______ Je m’inquiète beaucoup que les gens que j’aime trouvent quelqu’un d’autre qu’ils
préfèrent, et qu’ils finissent par m’abandonner.
______ J’ai tellement besoin des autres, que je m’inquiète de les perdre.
AB

______ J’ai l’impression que les autres abusent de moi.


______ Je sens que je ne peux pas baisser ma garde devant les autres, sinon ils vont faire
exprès de me blesser.
______ Être trahi(e) par quelqu’un est uniquement une question de temps.
______ Je trouve tout à fait suspectes les motivations des autres.
______ Habituellement, je cherche les motivations cachées des autres.
MA

______ Je suis fondamentalement différent(e) des autres.


______ Je ne suis pas adapté(e).
______ Je suis à part, je suis un(e) solitaire.
______ Je me sens éloigné(e) des autres.
______ Je me sens toujours à l’extérieur des groupes.
SI

______ Aucun homme ou femme que je désire ne pourra m’aimer une fois qu’il (ou elle)
aura vu mes défauts.
______ Aucune personne que je désire ne pourrait rester à mes côtés, si elle sait qui je suis
réellement.
______ Je ne mérite pas l’amour, l’attention et le respect des autres.
______ Je sens que je suis quelqu’un que l’on ne peut pas aimer.
______ Je suis trop fondamentalement inacceptable pour me révéler aux autres.
DS

______ Presque rien de ce que je fais au travail (ou à l’école) n’est aussi bon que ce que les
autres font.
______ Je suis incompétent(e) quand il s’agit de réussir.
______ La plupart des gens sont plus capables que moi.
______ Je n’ai pas autant de talent que les autres au travail.
______ Je ne suis pas aussi intelligent(e) que la plupart des gens quand il s’agit du travail (ou
de l’école).
FA

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______ Je ne me sens pas capable de me débrouiller par moi-même dans la vie de tous les
jours.
______ Je me considère comme une personne dépendante au quotidien.
______ Si je faisais confiance à mon instinct dans les situations quotidiennes, je prendrais la
mauvaise décision.
______ Je manque de bon sens.
______ On ne peut pas se fier à mon jugement dans les situations quotidiennes.
DI

_____ Il ne me semble pas possible d’échapper au sentiment que quelque chose de mauvais
va bientôt se passer.
_____ J’ai le sentiment qu’un désastre naturel, criminel, financier ou médical pourrait
frapper à tout moment.
_____ J’ai peur d’être attaqué(e).
_____ Je me soucie de perdre tout mon argent et de me retrouver dans le besoin.
_____ Je me soucie de développer une maladie grave, même si rien de sérieux n’a été
diagnostiqué par un médecin.
VH

_____ Je n’ai pas été capable de me séparer de mes parents, comme les autres personnes
de mon âge l’ont fait.
_____ Mes parents et moi avons tendance à être trop impliqués dans les vies et les
problèmes des uns et des autres.
_____ Il est vraiment difficile pour mes parents et pour moi-même de garder secrets des
détails intimes, sans que nous nous sentions trahis ou coupables.
_____ Je sens souvent que je n’ai pas une identité distincte de mes parents ou de mon
partenaire.
_____ J’ai souvent l’impression que mes parents vivent à travers moi, je n’ai pas une vie qui
me soit propre.
EM

_____ Je pense que si je fais ce que je veux, je suis seulement en train de créer des
problèmes.
_____ Je sens que je n’ai pas d’autre choix que de me soumettre aux souhaits des autres,
autrement ils exerceront des représailles ou me rejetteront d’une façon ou d’une autre.
_____ Dans les relations, je laisse l’autre me dominer.
_____ Je laisse toujours les autres choisir pour moi, car je ne sais pas vraiment ce que je
veux moi-même.
_____ J’ai beaucoup de difficultés à exiger que mes droits soient respectés et que mes
sentiments soient pris en compte.
SB

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_____ Je suis celui ou celle qui finit
habituellement par prendre soin des
autres.
_____ Je suis quelqu’un de bon, car je
pense aux autres plus qu’à moi-même.
_____ Je suis si occupé(e) à faire des
choses pour les gens dont je me soucie,
que j’ai peu de temps pour moi.
_____ J’ai toujours été celui ou celle qui
écoute les problèmes des autres.
_____ Les autres me voient comme
quelqu’un qui en fait trop pour les autres,
mais pas assez pour lui-même.
SS

_____ Je suis trop préoccupé(e) par moi-


même pour montrer aux autres les
sentiments positifs et l’affection que j’ai
pour eux.
_____ Je trouve embarrassant de montrer
mes sentiments aux autres.
_____ Il me semble difficile d’être
chaleureux et spontané.
_____ Je me contrôle tant que les autres
pensent que je n’ai pas d’émotions.
_____ Les gens me considèrent comme
trop contrôlé(e) émotionnellement.
EI

_____ Je dois être le(a) meilleur(e) dans


tout ce que je fais, je ne peux accepter
d’être le(a) second(e).
_____ J’essaie de faire de mon mieux, «
assez bien » n’est pas suffisant pour moi.
_____ Je dois faire face à toutes mes
responsabilités.
_____ Je sens qu’il y a une pression
constante pour que je réussisse, et pour
que je termine les choses.
_____ Je n’arrive pas à m’excuser
facilement pour mes erreurs.
US

19
_____ J’ai beaucoup de mal à accepter qu’on me réponde « non »
quand je veux obtenir quelque chose de la part des autres.
_____ Je suis quelqu’un de spécial, et je ne devrais pas accepter la
plupart des restrictions auxquelles les autres doivent se
soumettre.
_____ Je déteste être limité(e) ou empêché(e) de faire ce que je
veux.
_____ J’ai le sentiment que je n’ai pas à suivre les règles et les
conventions comme les autres.
_____ Je ressens que ce que j’ai à offrir est d’une plus grande
valeur que les contributions des autres.
ET

_____ Il me semble impossible de terminer des tâches de routine


ou ennuyeuses.
_____ Si je n’arrive pas atteindre un but, je deviens facilement
frustré(e) et j’abandonne.
_____ Je passe par un moment très difficile quand je sacrifie une
gratification immédiate, pour mener à bien un objectif à long
terme.
_____ Je ne peux pas me forcer à faire les choses qui ne me
plaisent pas, même quand je sais que c’est pour mon bien.
_____ Il m’est rarement arrivé(e) d’être capable de me tenir à mes
résolutions.
IS

Interprétation des résultats : une fois le test complété, faites


une moyenne des scores obtenus pour chaque schéma. Vous
pourrez expliquer à votre client quels schémas ont reçu des scores
relativement élevés (entre 4 et 5) et quels sont ceux qui ont reçu
des scores très élevés (entre 5 et 6). Bien évidemment, vous
devrez au préalable discuter des schémas cognitifs avec votre
client, dans un langage accessible, et évoquer avec lui celui qui
semble le plus significatif dans son existence.

20
Ce test constitue une bonne base pour
déterminer sur quelles distorsions cognitives la
thérapie devra se focaliser. Voici une brève description
des 15 schémas différents, signalés en gras et en
majuscules dans le test, dont l’YSQ rend compte :

- ED = Privation émotionnelle : impression qu’un


degré normal de soutien émotionnel ne sera pas
correctement satisfait par les autres.
- AB = Abandon : manque de confiance, ou
perception d’une instabilité chez les personnes avec
qui le client est lié. Implique le sentiment que les
proches ne seront pas capables de continuer à offrir
du soutien émotionnel, de la connexion, de la force ou
de la protection, parce qu’ils sont émotionnellement
instables et imprévisibles, non fiables ou peu présents,
parce qu’ils sont susceptibles de mourir ou
d’abandonner le client pour quelqu’un d’autre.
- MA = Méfiance, abus : conviction que les autres
vont faire souffrir, abuser, humilier, profiter, tromper,
manipuler, mentir... Implique généralement le
sentiment que le mal est intentionnel, ou la
conséquence d’une négligence extrême et injustifiée.
- SI = Isolation sociale : sentiment que l’on est isolé
du reste du monde, différent des autres et/ou que l’on
ne fait partie d’aucun groupe ou communauté.
- DS = Défaillance, honte : croyance que l’on est
défaillant, mauvais, non-désiré, inférieur ou incapable,
ou que l’on ne pourra pas être aimé par les autres s’ils
venaient à découvrir qui l’on est réellement. Peut
impliquer une hypersensibilité aux critiques, au rejet
et à la culpabilité, des comparaisons et une insécurité
face aux autres, ou un sentiment de honte envers ses
propres défauts. Ces défauts peuvent être d’ordre
privé (égoïsme, pulsions de rage, désirs sexuels
inacceptables) ou public (apparence physique
indésirable, inadaptation sociale).

21
- FA = Échec : croyance que l’on a échoué,
que l’on échouera inévitablement, ou que l’on
est fondamentalement inadéquat dans
différents domaines de réalisation (école,
carrière, sports, etc.). Implique souvent la
croyance que l’on est stupide, inapte, sans
talent, ignorant, moins doué ou talentueux
que les autres.
- DI = Dépendance, incompétence,
impuissance : croyance que l’on est incapable
de gérer les responsabilités quotidiennes de
façon compétente, sans l’aide significative des
autres.
- VH = Vulnérabilité au mal, aux maladies :
peur exagérée qu’une catastrophe imminente
va frapper, et que l’on sera incapable de
l’empêcher de se produire.
- EM = Enchevêtrement : implication
émotionnelle et proximité excessive avec un
proche ou plus (souvent les parents), aux
dépens d’une individuation complète ou d’un
développement social normal. Implique
souvent la croyance qu’au moins un des
individus enchevêtrés ne peut survivre ou être
heureux sans le soutien constant de l’autre.
Peut aussi inclure l’impression d’être étouffé
ou fusionné avec d’autres, ou d’avoir une
identité individuelle insuffisante.
- SB = Subjugation : soumission excessive
au contrôle des autres, habituellement pour
éviter leur colère, leurs représailles ou leur
abandon.
- SS = Sacrifice de soi : focalisation
excessive sur les besoins des autres, au
détriment de son propre bien-être. Les
raisons le plus souvent invoquées sont : éviter
de faire du mal aux autres, éviter le sentiment
de culpabilité en se sentant égoïste, ou
maintenir le lien avec les autres. Résulte
d’une hypersensibilité à la douleur des autres.
Débouche parfois sur le sentiment que ses
propres besoins ne sont pas pris en compte,
ou un ressentiment envers ceux qu’on a aidés.

22
- EI = Inhibition émotionnelle :
inhibition excessive de la communication,
des actions, des sentiments spontanés, le
plus souvent pour éviter la désapprobation
des autres, un sentiment de honte ou de
perte de contrôle de ses pulsions.
- US = Normes implacables : croyance
que l’on doit batailler pour atteindre des
normes de performance et de
comportement très élevées, souvent pour
éviter les critiques. Résulte typiquement
de sentiments de pression, ou d’une
critique excessive de soi et des autres.
- ET = Esprit de grandeur : croyance que
l’on est supérieur aux autres, que l’on a le
droit à des privilèges spéciaux, ou que les
règles de réciprocité qui guident les
interactions sociales ne s’appliquent pas à
soi. Implique souvent l’assurance que l’on
devrait pouvoir faire tout ce que l’on veut,
en dépit de ce qui est réaliste, de ce que
les autres considèrent comme
raisonnable, ou du coût pour les autres.
Focalisation exagérée sur sa supériorité
(avoir le plus de succès, être le plus
célèbre, le plus riche, etc.). Inclut parfois
une compétitivité extrême ou une
domination des autres, sans considération
pour leurs besoins et leurs sentiments.
- IS = Insuffisance du contrôle de soi,
d’autodiscipline : refus d’exercer
suffisamment de contrôle de soi ou de
tolérer la frustration pour atteindre ses
objectifs personnels, mais aussi difficulté à
restreindre l’expression excessive de ses
émotions et de ses pulsions. Dans sa
forme modérée, les clients peuvent
présenter un évitement excessif de
l’inconfort : éviter la douleur, le conflit, la
confrontation, les responsabilités, au
détriment de l’accomplissement
personnel, de l’engagement, et de
l’intégrité.

23
Les tâches thérapeutiques
permettant le changement
• Identifier et tester les pensées automatiques

Il s’agit de la tâche principale de la thérapie cognitive. Les clients sont invités à recueillir
des données sur les différents types de pensées automatiques qui les traversent, ainsi que
sur leur fréquence. Ils sont alors chargés de tester la validité de leurs croyances. Par
exemple, les clients qui pensent « personne ne m’aime » peuvent tenir un registre pour
noter les moments où quelqu’un les traite avec gentillesse.

Ainsi, même un simple sourire de la part d’une personne qu’ils ne connaissent pas, les
forcera à modifier leur croyance en : « je ne suis pas aimé par tout le monde, mais certaines
personnes m’apprécient ». Les conséquences émotionnelles sont dans ce cas tout à fait
différentes.

• Ré-attribution

Les clients se sentent souvent responsables d’événements et de situations qui ne


peuvent leur être attribués que de façon très limitée. Le thérapeute peut donc les aider à
distribuer la responsabilité entre toutes les parties concernées.

La ré-attribution consiste à tester les pensées automatiques et les suppositions, en


réfléchissant à la plausibilité d’explications alternatives. En effet, nous pouvons difficilement
savoir ce qui cause les événements dans nos vies. Culpabiliser ou faire culpabiliser les autres
pour des événements donnés est une source majeure de souffrance. Elle peut être dépassée
en faisant des attributions plus réalistes et appropriées.

24
• Dédramatiser

Cette tâche consiste à aider le client à se préparer


à des conséquences redoutées en les imaginant : « et
si... ». Si les conséquences anticipées ont une chance
de se produire, des stratégies de résolution de
problèmes peuvent être apprises et utilisées. Si au
contraire les conséquences redoutées sont très peu
probables, alors des pensées alternatives, plus
adaptées peuvent venir les substituer. La
dédramatisation peut s’avérer particulièrement utile
lorsqu’un client a pour habitude d’éviter de faire les
choses qu’il devrait faire.

• Construction d’une échelle

Cette technique peut être très utile pour


contrebalancer les pensées de type « tout ou rien ».
Une échelle des émotions, par exemple, peut amener
le client à voir les choses avec une certaine distance
et une nouvelle perspective. Ainsi, on peut demander
à un client déprimé qui pense qu’il est incompétent,
de noter sur une échelle allant de 0 à 100 la force de
sa conviction dans ce qu’il déclare.

Ensuite, on peut lui demander d’établir des points


d’ancrage pour sa croyance en identifiant « la
personne la plus incompétente du monde », qu’il note
à 0, et « la personne la plus douée et compétente au
monde », notée à 100. Le thérapeute lui demande
alors de se situer sur cette échelle de compétence.
Normalement, le client reconnaît qu’il n’est ni
complètement incompétent ni la personne la plus
compétente, mais qu’il a des défauts et des qualités,
comme tout le monde, et certaines compétences.

25
• Externalisation des voix

Quand on leur demande de réfléchir à leurs pensées, la


plupart des personnes peuvent entendre une voix dans leur tête.
Le thérapeute peut demander aux clients d’externaliser ces
pensées, ils seront alors mieux placés pour gérer ces voix et
pensées. En laissant le praticien participer à ces voix
dysfonctionnelles, les clients pourront gagner de l’expérience
pour y répondre de la bonne façon.

Par exemple, le thérapeute peut formuler des réponses


rationnelles aux verbalisations des pensées dysfonctionnelles
d’un client. Avec la pratique, ce dernier pourra apprendre à
reconnaître la nature dysfonctionnelle de ses pensées, et y
répondre correctement.

• Stopper les pensées

Les cognitions étant liées à l’humeur, les pensées


automatiques inadaptées, peuvent avoir un effet « boule de neige
». Ainsi, même des sentiments relativement modérés de tristesse
ou d’anxiété arriveront à biaiser les processus cognitifs, et
amèneront la personne à se sentir de plus en plus affolée ou
perdue.

La méthode pour stopper ces pensées sera d’autant plus utile


que l’état émotionnel négatif est reconnu. Il s’agit de rompre une
chaîne de pensées dont l’escalade pourrait conduire à la détresse.
Le praticien aide le client à identifier les séquences de pensées, et
à répondre à celles qui prennent place au début du processus.

Le thérapeute peut ainsi apprendre aux clients anxieux à se


représenter un panneau stop, ou à entendre une sonnette
d’alarme lorsqu’ils sont sur le point de succomber à une attaque
de panique. Cette pause momentanée va leur permettre de
réfléchir aux causes de l’anxiété, et répondre

rationnellement à leurs pensées avant que leur anxiété ne


déborde. Une pensée ou une image peut être suscitée
consciemment, et il est aussi possible pour le client de s’adonner
à une activité qui captive son esprit, et interrompre ainsi la chaîne
de pensées.

26
• La technique des quatre colonnes

La technique des quatre colonnes est habituellement employée comme tâche à réaliser
à la maison, pour aider les clients à identifier leurs pensées automatiques et irrationnelles.
Le thérapeute peut demander au client de construire un tableau, comme celui présenté ci-
dessous, qui répertorie la situation de cause, la pensée automatique, l’erreur logique que la
pensée automatique renferme, et une réponse rationnelle à la situation initiale.

Sous la pression de la pensée rationnelle, l’emprise des pensées illogiques tend à


diminuer. De même, l’absence de ces pensées inadaptées résulte en l’élimination des
sentiments négatifs qu’elles génèrent.

Situation Pensée Erreur logique Réponse


automatique rationnelle
illogique
Des membres de « Ils ne m’aiment Personnalisation « Ils ont leurs
ma famille proche pas. » propres raisons. »
déménagent

Une personne avec « Ma vie est ruinée. Exagération « Je peux


qui je suis sorti me » rencontrer
rejette. quelqu’un d’autre.
»
J’ai eu une « Je suis un bon à Pensée polarisée « Je peux mieux
mauvaise note à un rien. » faire. »
examen
J’ai perdu mon « Je ne trouverai Inférence arbitraire « Je vais devoir
travail. jamais un autre essayer. »
travail. »
Je souhaite porter « Tout le monde va Aucune preuve « J’aime mes
de nouveaux se moquer de moi. nouveaux
vêtements. » vêtements. »

Je dois faire une « Les dernières fois, Sur-généralisation « Je peux y arriver.


présentation orale. j’étais paralysé, ça »
va recommencer. »

27
Étude de cas - Margot
Margot a vingt-deux ans et elle vit encore chez ses parents
lorsqu’elle se rend pour la première fois chez le thérapeute. Elle
travaille à mi-temps comme caissière, et a récemment
abandonné sa deuxième année de Licence en Littérature dans
une prestigieuse université. Margot a suivi une psychanalyse
pendant trois ans, et a été diagnostiquée dépressive. Depuis un
an, un psychiatre lui a prescrit un traitement médicamenteux,
sans que celui-ci se montre très efficace.

Les sentiments dépressifs de Margot continuent à empirer,


ainsi que ses pensées suicidaires. La thérapie cognitive
constitue en quelque sorte pour elle une thérapie de la «
dernière chance ». L’évaluation initiale du thérapeute conclut
que Margot présente une dépendance et une insécurité dans sa
relation aux autres, elle se sent incapable de répondre aux défis
de la vie quotidienne.

Ses pensées automatiques démontrent qu’elle est très


préoccupée par l’opinion des autres, elle a du mal à rester
seule, et n’arrête pas de penser à ses erreurs passées. Margot
est une fille unique, qui a grandi dans une famille à l’aise
financièrement. Elle a toujours été une bonne élève, de l’école
primaire au lycée, mais ses relations interpersonnelles ont
toujours été difficiles, de même que son fonctionnement
émotionnel.

Margot a toujours été persécutée par des sentiments


d’inutilité et de doute sur ses capacités. Elle est très critique
envers elle-même. Elle a tendance à se comparer aux autres,
qu’elle place sur un piédestal, tandis qu’elle se voit comme
quelqu’un de stupide, un imposteur. Quand le praticien lui
demande d’élaborer sur ce sentiment, Margot signale que bien
qu’elle ait obtenu son Bac avec mention, sa mère l’aidait
souvent à rédiger ses dissertations et que sans elle, elle s’en
sentait incapable.

28
Quand elle a quitté la maison familiale
pour suivre ses études universitaires, Margot
a commencé à s’isoler de plus en plus, elle
n’allait plus en cours, et ses pensées
suicidaires étaient de plus en plus présentes.
Après plusieurs appels désespérés à ses
parents, il a été décidé que Margot devait
rentrer à la maison, et faire une pause dans
ses études jusqu’à aller mieux. Ainsi, bien
qu’elle ait toujours tenté d’être une « enfant
parfaite », Margot est en proie à des
sentiments internes de colère, de dépression
et d’inadéquation.

La dépression et l’anxiété de Margot sont


accentuées par une personnalité
perfectionniste et critique envers elle-même.
Elle a des attentes très hautes, grandioses vis-
à-vis de sa propre performance. Elle croit
devoir gagner des prix littéraires pour ses
œuvres à venir, et anticipe d’être rejetée par
ceux qui viendraient à mieux la connaître. La
façon d’agir et les croyances de Margot sont
caractéristiques de modèles de dépression.
Elle entretient des visions négatives sur elle-
même, le monde et le futur.

Ses compétences sociales sont pauvres et


son comportement a tendance à éloigner les
autres. Margot s’engage dans peu d’activités
qui pourraient faire d’elle une personne
accomplie, ou d’où elle pourrait tirer du
plaisir. Lorsqu’elle réussit quelque chose, elle a
tendance à minimiser la portée de son
accomplissement et se replonge dans ses
échecs passés.

29
Voici comment le thérapeute conceptualise les
difficultés de Margot :

- Stratégies comportementales adaptatives :


évitement ou retrait, cherche à se rassurer avec les
autres.
- Distorsions cognitives : dichotomisations (ex : « si je
n’ai pas raison, je dois avoir tort sur toute la ligne »),
abstraction sélective (ex : « je n’étais pas à l’aise ce
jour-là pendant les cours, je ne me sentais pas à ma
place - je le sais, je ne suis pas faite pour la fac »),
personnalisations (ex : « tout le monde était assis
ensemble à la cafétéria, ça montre bien que personne
ne m’apprécie »), déclarations de devoir (ex : « je
devrais être plus intelligente et en faire davantage »),
exagérations et minimisations (ex : « je sais qu’il m’a
envoyé un mail en me disant qu’il avait beaucoup
apprécié mon travail, mais ce n’est rien, ça ne compte
pas »), vision catastrophique des choses (ex : « je suis
incompétente dans la vie, je ne suis capable de rien »),
comparaisons aux autres et critique de soi (ex : « tout
le monde est mieux que moi »).
- Pensées automatiques : « je suis tellement stupide,
tellement bête », « les gens vont découvrir que je suis
une coquille vide », « je n’aurai jamais de succès », «
ma vie n’a aucun sens, je n’ai personne avec qui la
partager », « je suis vraiment dérangée, je ne suis pas
bien dans ma tête ».
- Postulats : « si je peux éviter les autres, alors je peux
me sentir en sécurité », « si j’arrive à avoir du succès,
alors je pourrais me sentir bien avec moi-même ».
- Schémas : « je suis fondamentalement défectueuse
», « le monde est un endroit dangereux », « on ne
peut pas faire confiance aux gens ».

30
Les premiers objectifs de la thérapie avec
Margot sont d’établir un rapport de confiance,
dresser une liste de ses problèmes, et lui
présenter le déroulement d’une thérapie
cognitive. Au cours des premières séances,
Margot est triste et anxieuse, elle fait part
d’une vision pessimiste, et cherche toujours à
ce que le thérapeute la rassure en lui disant
qu’elle va bien.

La thérapie commence avec une


discussion autour des sentiments de Margot
sur la thérapie, et sur ses objectifs pour
l’avenir. Elle dit qu’elle veut juste être une
personne « normale » à l’université, un
objectif plutôt raisonnable et approprié. Sa
première tâche à réaliser à la maison est
d’écrire ses pensées quand elle se sent
contrariée.

Les sentiments d’anxiété et de tristesse


de Margot deviennent plus sévères, alors
qu’elle commence à mieux identifier ses
pensées automatiques. Ce phénomène n’est
pas rare, et reflète l’augmentation de la
sensibilité des clients à des pensées qu’ils
essayaient jusqu’alors d’éviter. Pour qu’elle
apprenne à affronter ses sentiments, le
thérapeute lui enseigne la technique de
réponse rationnelle.

Margot est invitée à écrire ses pensées


quand elle se sent particulièrement déprimée
ou anxieuse. Elle doit alors examiner
systématiquement les preuves qui vont dans
le sens, ou à l’opposé de chacune de ses
pensées stressantes. Ensuite, elle doit lister
des façons alternatives de considérer ces
preuves grâce à une technique de ré-
attribution, et développer des manières plus
adaptées de gérer ses préoccupations, par des
dédramatisations et la recherche de solutions
alternatives.

31
Par exemple, Margot se voit comme
quelqu’un de bête, de peu intelligent, alors
que ses résultats scolaires ou lors de sa
première année universitaire, démontrent
l’inverse. Toutes les preuves tendent à
démontrer qu’elle est même plutôt
intelligente. Une interprétation plus
raisonnable de ses expériences est la
suivante : Margot a toujours manqué de
confiance en ses capacités, et elle n’était
pas préparée à gérer l’anxiété associée à
l’éloignement de ses parents.

L’un des buts de la thérapie est d’aider


Margot à développer des compétences
pour accomplir cet objectif. Au vu de sa
faible motivation et de son isolation
sociale, le thérapeute encourage Margot à
élaborer des plannings de ses activités
quotidiennes. Elle prend note de ses
activités toutes les heures et les évalue, en
fonction du degré d’accomplissement et
de plaisir qu’elles lui apportent. Sans
surprises, il apparaît que Margot s’engage
dans peu d’activités qui lui apportent un
sentiment d’accomplissement ou de
plaisir.

Les clients déprimés comme Margot


évitent souvent les tâches qui
représentent un challenge pour eux. Des
pensées comme « je suis incapable de
faire ça » ou « quel est le but de tout ça »
les empêchent de s’engager dans ce genre
d’activités. De plus, leur évitement pour
ces tâches leur sert de preuve
supplémentaire que quelque chose ne va
pas bien chez eux.

32
Le planning des activités sert à aller à
l’encontre de ce processus. Margot et son
thérapeute développent une liste
d’activités simples qu’elle doit réaliser
chaque jour. Par exemple, se lever à 9h du
matin et prendre une douche, plutôt que
rester au lit jusqu’à midi quand elle ne
travaille pas, appeler une amie et accepter
une invitation à sortir, aller à la piscine
municipale, etc.

Alors que Margot commence à


employer ces techniques, ses sentiments
d’anxiété et de tristesse diminuent. Après
trois mois de thérapie, elle commence à
réfléchir avec le praticien à la manière
dont elle pourra retourner à l’université, et
après avoir entamé un semestre en tant
qu’auditrice libre, elle se sent fin prête.
Margot parvient à terminer ses études
universitaires avec brio, et est aujourd’hui
professeur de français dans un lycée.

33
Exercice - Être attentif au
langage dysfonctionnel
La thérapie cognitive considère le langage comme un reflet de ce que nous pensons.
Pour vous sensibiliser à la façon qu’ont les personnes de s’exprimer avec un langage qui
reflète leurs pensées, essayez de réaliser l’exercice qui suit. Prenez garde à ne pas attirer sans
cesse l’attention des personnes sur leurs distorsions cognitives, car elles pourraient vous en
tenir rigueur.

Cet exercice cherche simplement à vous faire prendre conscience de la fréquence des
pensées inadaptées. À la fin de chaque journée, relisez vos notes et demandez-vous si vous
pouvez relever la présence de certains thèmes récurrents, et par quelles formules efficaces
vous pourriez remplacer les pensées inadaptées que vous avez identifiées.

Consigne : notez sur un petit carnet ou enregistrez avec un appareil les pensées
dysfonctionnelles telles qu’elles sont exprimées dans votre langage et dans celui des autres.
Par exemple :

- Inférence arbitraire : tirer une conclusion spécifique sans en avoir la preuve.


- Abstraction sélective : conceptualiser une situation en se basant sur un détail,
pris hors de son contexte.
- Sur-généralisation : extraire une règle générale d’un incident isolé, et l’appliquer
à des situations qui n’ont aucun rapport.
- Exagération ou minimisation : traiter quelque chose de façon beaucoup plus, ou
beaucoup moins importante, qu’elle ne l’est réellement.
- Personnalisation : s’attribuer des événements, sans que cela soit justifié.
- Pensée dichotomique : catégoriser des événements en termes d’extrêmes,
comme « tout ou rien ».

34
Journal personnel de
réflexion
L’une des idées centrales de la thérapie cognitive est que le cycle pensée-sentiment-
comportement peut advenir dans des situations personnelles et interpersonnelles
particulières. Par exemple, prenez quelques instants pour vous détendre et réfléchissez à
une situation où l’on vous a critiqué. Essayez de vous rappeler tout ce que vous pouvez sur
cette situation : qui était présent ? Où étiez-vous ? etc.

À présent, essayez de vous souvenir de vos pensées face à ces critiques, suivies de vos
sentiments, et de votre comportement en réponse à ces pensées. Ensuite, choisissez des
pensées alternatives, plus positives, et imaginez le cycle qui en découlerait. Notez dans
votre journal de bord si vous avez trouvé que cet exercice était plutôt facile ou difficile. Est-
ce que ces résultats vous permettent de voir plus clairement vos affinités avec l’approche
cognitive ?

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