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Les auteurs
Antoine Garnier, praticien et consultant en hypnose appliquée depuis 2005, est l’auteur du
livre Autohypnose – 20 exercices pour se sentir mieux (Hachette, 2018).
Nazmiye Guler est médecin-urgentiste au CH de Metz-Thionville, et en consultation hypnose
et thérapies brèves. Formatrice à l’institut UTHyL et au CHTIP, elle a co-rédigé les recommandations
de la SFMU sur les « alternatives thérapeutiques non médicamenteuses » pour l’analgésie et la sédation
aux urgences (Lavoisier, 2016).
Florent Hamon est infirmier anesthésiste. Il a débuté l’hypnose en anesthésie auprès des grands
brûlés puis dans le cadre de tumorectomie en sénologie. Il est également hypnothérapeute en ville et
chargé d’enseignement au CHTIP.
Idrissa N’Diaye est médecin généraliste et praticien en hypnose en Loire-Atlantique.
Enseignant attaché à la faculté de Médecine de Nantes, il est formateur en hypnose dans plusieurs
instituts publics et privés.
Corinne Pissevin est psychiatre, psychothérapeute, praticien hospitalier au sein du GHU Paris
Psychiatrie et Neurosciences, et formatrice en hypnose à l’AFEHM.
Elle est l’auteure de plusieurs publications : « Les phobies : une problématique de temporalité et
d’autonomie » dans Le Guide de l’hypnose médicale (Éditions In Press, 2015) ; « Clinique et
neurosciences. Les liens hypnotiques », Hors-série n° 13 de la revue Hypnose et thérapies brèves
(Éditions Métawalk, 2019).
Pascale Reynette est docteur en chirurgie dentaire, diplômée de la Faculté de Nancy,
praticienne libérale à Nancy, formée en implantologie et parodontologie. Formée à l’hypnose et aux
thérapies brèves (institut UTHyL Nancy), elle est formatrice en hypnose pour l’institut UTHyL et au
CHTIP. Hypnopraticienne passionnée, elle utilise quotidiennement l’hypnose dans son exercice.
Sabine Robier est sage-femme. Après un début de carrière en région lyonnaise, elle pratique à
La Réunion puis en Guadeloupe, où elle travaille en salle d’accouchement au CHU de Pointe-à-Pitre.
Elle décrit sa rencontre avec l’hypnose comme une « révélation » l’ayant aidée à améliorer sa manière
de travailler à de nombreux niveaux.
Jordan Vérot est praticien et formateur au Centre Hypnose Nice. Il est également coach RNCP
et auteur de plusieurs livres dont Guide pratique d’hypnose rapide (2018) et Hypnose –
Leviers de changement : comment les détecter et les activer (2018).
Remerciements
Cet ouvrage a été écrit, interrompu, retardé, puis repris, édité et corrigé
pendant l’année 2020, celle où la Covid-19 a retenu toute notre attention. Y
arriver n’était pas gagné d’avance ; ce fut une œuvre collective et je remercie
celles et ceux qui y ont, directement ou non, participé.
Je remercie chacun des auteurs qui, malgré les urgences qui les ont parfois
débordés, ont pris du temps pour cet ouvrage, consciencieusement.
Je les remercie aussi d’avoir toujours laissé l’humain au cœur de leur métier,
souvent sous la forme d’une place pour l’hypnose dans leur pratique,
montrant que nous pouvons l’appliquer même quand le temps nous semble
manquer.
Je les remercie également pour leur envie enthousiaste de partager leur savoir
dans ces pages. J’ai beaucoup appris en les lisant et en dirigeant ce collectif
hétéroclite.
Je remercie Nissa Bernard aux éditions Vuibert d’avoir cru en ce projet et
« motivé les troupes » quand il le fallait. Merci à elle et toute l’équipe pour le
travail d’édition du texte et de préparation du livre.
Je remercie enfin les patients qui se « prêtent au jeu » de l’hypnose, même
quand l’urgence leur semble ailleurs. Leur coopération est précieuse et leurs
témoignages et histoires cliniques sont sources de quantité d’apprentissages
pour les praticiens.
Philippe Aïm
Préface
Faire de l’hypnose aux urgences, quelle idée saugrenue ! C’est dans cet état
d’esprit que j’accueillais, il y a maintenant quelques années, une consœur du
service, urgentiste, qui venait me demander la possibilité de s’inscrire à une
formation d’hypnose.
Les urgences, c’est l’immédiateté, la rapidité diagnostique et thérapeutique,
nous n’avons pas de temps à perdre avec des pratiques chronophages et,
pensais-je, aléatoires. Connaissant l’opiniâtreté de cette jeune consœur et
considérant, inculte que j’étais, que si le service n’avait rien à y gagner, il
n’avait rien à y perdre, j’ai cédé à leur demande : car entretemps, elle avait
déjà réussi à convaincre une autre collègue...
J’abordais donc l’introduction de cette pratique avec une bienveillante
indifférence.
Quelle erreur de ma part ! Ces deux « pionnières » ont eu vite fait de me
convaincre, témoignages à l’appui, de l’efficacité et de la rapidité de la
pratique de l’hypnose, même aux urgences : suture chez l’adulte comme
chez l’enfant, réduction de luxations d’épaule, de coude, réalisation d’un acte
invasif comme la ponction lombaire, atténuation de l’angoisse et de la
douleur lors de l’infarctus, même en préhospitalier.
Encore mieux, d’une pratique destinée à soulager les patients, l’hypnose
devenait également un outil permettant aux soignants-pratiquants de se sentir
mieux. Renouer un contact relationnel avec les patients, dans le cadre d’un
exercice médical devenu technologique et déshumanisé, permet de retrouver
le vrai sens de notre engagement. J’ai (re)découvert, grâce à elle, la force de
la parole, du verbe, y compris pour soigner. De là à imaginer utiliser
l’hypnose en régulation médicale, au Samu-Centre 15, au téléphone... il n’y
eu qu’un pas pour ces exploratrices, un pas suivi par d’autres qui ouvrent la
porte à la « communication thérapeutique » dans la formation des assistants
de régulation médicale et des futurs urgentistes.
Dans cet ouvrage écrit par des spécialistes passionnés et passionnants, vous
découvrirez les multiples facettes de « l’hypnose en urgence », du service
d’urgences au cabinet de médecine générale en passant par le bloc opératoire,
la salle d’accouchement, le « divan » du psychiatre ou le cabinet dentaire. À
la fin de votre lecture, vous serez, au mieux convaincu sinon conforté dans
l’idée que cette pratique, efficace pour les patients comme pour les soignants,
a toute sa place dans les urgences.
Merci à Nazmine Guler pour son opiniâtreté et son investissement auprès des
patients et à Philippe Aïm d’avoir coordonné cet ouvrage.
Dr François Braun
Président de SAMU-Urgences de France
Chef du pôle Urgences du centre hospitalier de Metz-Thionville
Avant-propos
La vitesse et la précipitation
Philippe Aïm
3. L’hypnose
La relation
■ La communication
Le support de cette relation particulière, apte à jouer de l’influence pour
développer l’autonomie et les compétences, est une communication
soignée. Le praticien en hypnose est attentif à la manière dont il amène le
sujet, dont il se sert des mots, mais aussi des intonations et du langage
paraverbal, pour attirer l’attention du patient.
Nous avons commencé notre description de l’hypnose par cette notion
d’attention, nous terminerons aussi avec elle, en soulignant que l’attention du
patient doit être attirée vers l’hypnose et ce, en tenant compte de son
expérience du moment. Il s’agit donc de faire preuve d’acceptation. Non
pas d’accepter tous les points de vue du patient, mais plutôt d’accepter son
ressenti (y compris douloureux), son état ou son besoin du moment. Si le
praticien cherche à le rassurer à tout prix, le patient peut ne pas se sentir
assez écouté, il peut alors se mettre à revendiquer son ressenti, à l’affirmer
plus fortement encore et voir son champ de conscience envahi par la douleur
et la difficulté.
Mais si le praticien peut tenir compte de ce que le patient ressent, de
l’environnement, du contexte et du moment : par cela, malgré cela et à
partir de tout cela, dériver l’attention du patient vers le ressenti hypnotique,
l’efficacité en sera meilleure.
C’est particulièrement vrai, par exemple, dans un contexte pédiatrique. Avec
les enfants, peut-être encore plus qu’avec les adultes, il s’agit véritablement
de captiver l’attention, de la capter par n’importe quel moyen et de la
maintenir, pour accompagner le sujet vers la transe hypnotique. Une fois son
attention captée, les connaissances techniques feront leur office pour
l’induction de l’hypnose.
En thérapie, c’est bien ce mécanisme qui fait qu’à partir de la difficulté du
patient, le praticien attire son attention vers d’autres points de vue, des
alternatives ou des ressources qui n’étaient plus visibles, masquées par le
problème, et auxquelles il aura accès.
En urgence, le principe est un peu le même quand la capacité de s’apaiser, de
s’analgésier est masquée par l’anxiété ou la douleur. D’abord accepter que la
douleur ou l’anxiété est là, ne pas la nier, ne pas la dédramatiser, l’accepter
pleinement. Puis, la relation créée, l’attention attirée, l’hypnose déploie ses
capacités à faire changer le ressenti. De nombreux principes sont identiques
aux situations, peut-être davantage connues par certains lecteurs, de thérapie,
mais il faut le faire plus rapidement ; et pour un temps plus court, car il ne
s’agit pas de changer de point de vue sur la vie mais de pouvoir passer un
moment aigu, potentiellement difficile. Cela demande des connaissances,
une exigence technique tant dans notre cœur de métier – pour pratiquer en
urgence un geste médical par exemple – que des compétences en hypnose,
que ce livre souhaite modestement vous aider à développer.
Mais ce chemin, qui paraît long, peut-il vraiment être parcouru plus
rapidement ou emprunter des raccourcis ?
Les praticiens que vous allez rencontrer dans ces pages viennent de divers
horizons. Ils nous parlent d’eux et des adaptations des techniques à leur
pratique de soin.
Je ne peux que vous recommander de ne pas vous arrêter à leur
métier pour guider votre lecture !
En effet, un praticien d’une autre spécialité peut être une grande source
d’inspiration pour la vôtre tant il y a de similarités possibles dans la façon
dont se présentent les situations urgentes, et de sources d’inspiration pour
trouver les ressources pour les apaiser. Chacun présente une pratique engagée
et riche qui ne peut que nous faire progresser, quel que soit notre domaine.
Chaque praticien présentera le contexte et les enjeux de sa pratique ainsi que
la façon dont se présentent les situations urgentes et rapides. Chaque chapitre
sera illustré de cas cliniques réels, une ou des techniques y seront présentées
et expliquées. Malgré cette trame et ces grands éléments communs, nous
avons au maximum respecté le style de chaque auteur. Leur expérience
personnelle est inspirante, leur manière unique de la retranscrire est utile à
mieux nous l’approprier. Vous pourrez, de chapitre en chapitre, acquérir
quelques grandes idées, tenter de retranscrire ces apprentissages à votre
contexte, et surtout, c’est conseillé, mettre en application les techniques !
Puisse cet ouvrage contribuer à inspirer les soignants, pour aider les patients
grâce à l’hypnose, y compris dans les situations urgentes et dans celles où
tout s’accélère.
1. Si vous souhaitez en savoir plus sur ces grands noms de l’hypnose, vous pouvez consulter le premier chapitre de mon
ouvrage, L’hypnose, ça marche vraiment ? (Marabout, 2017) ou tout simplement cette série de vidéos qui résume l’histoire
de l’hypnose : https://www.youtube.com/playlist?list=PLr7zIXWfb622ah-l5JpkC1oN4VG7h2P8O
2. Ensemble de techniques de communication, d’outils langagiers, à visée initialement psychologique, notamment
inspirés de l’hypnose et développés par Bandler et Grindler dans les années 1970 et 1980.
3. La dernière fois que je m’y suis essayé, j’ai résumé mes idées en un livre, qui devrait répondre à la plupart des
questions que vous vous posez sur l’hypnose : L’hypnose : ça marche vraiment ? (op. cit. 2017)
4. Notez que je n’emploie pas ce mot au sens de Bernheim, de « la tendance d’une idée à se transformer en acte » et qui
incluait tous les phénomènes puisque « l’acte » pouvait être un acte psychique ou perceptif, comme une sensation, etc. Je
préfère employer le mot composé « idéo-dynamique » comme une idée qui change la dynamique de fonctionnement de
l’esprit.
5. Erickson (1901-1980) est le praticien qui a le plus marqué l’hypnose. On trouvera une présentation détaillée de ce
psychiatre américain de génie dans mon livre ou les vidéos citées à la note 1.
6. Pour en savoir plus, j’ai développé ce sujet de la relation/la liberté et du débat de l’époque Bernheim/Charcot/Freud,
comment ce débat aurait pu faire disparaître l’hypnose et comment Erickson a changé toute la donne dans cette courte
conférence disponible sur YouTube : https://youtu.be/33g9I8G1F8o
7. Voir, par exemple, toute la complexe réflexion de E. Rossi sur le travail d’Erickson dans Du symptôme à la lumière,
Édtions Satas, 2009 ou le propos de F. Roustang dans La fin de la plainte, Éditions Odile Jacob, 2001.
Sommaire
Partie 1 : La rapidité
3. L’hypnose rapide
1. Définition
2. Objectifs
3. Accueil
4. La compétence
5. L’engagement
6. Rituels et focalisation
7. Réactivité et simultanéité
8. Dissociation : volonté vs automatisme
9. Dissociation corporelle
10. Conclusion
Conclusion générale
Partie 1
LA RAPIDITÉ
Cette première partie plante le décor avec les
notions les plus importantes : la notion de
rapidité en hypnose et son évolution,
indispensable pour situer où nous en sommes ;
les techniques essentielles pour rendre
l’hypnose plus rapide et, plus humain que
technique, un témoignage - qui peut inspirer
certains d’entre nous et faire écho aux
questions qu’ils se posent - d’un praticien qui
vit une évolution personnelle et professionnelle
en intégrant l’hypnose à son exercice quotidien
d’urgentiste.
1 L’hypnose était-elle plus rapide avant ?
Antoine Garnier
En 1826, pour Alexandre Bertrand10, une réaction rapide n’est pas même à
prendre avec trop d’enthousiasme.
Pourtant, on observe bien que des personnes tombent en hypnose profonde
comme on tombe dans les pommes, qu’elles n’ont pas besoin d’un
conditionnement laborieux. L’abbé Faria11 (1819) note : « Il m’est souvent
arrivé que des personnes que je n’avais jamais vues se soient endormies sur le
seuil même de mon salon, seulement en m’apercevant, avant que j’eusse pu
les remarquer. Il m’a fallu même quelquefois accourir, en laissant en suspens
mes occupations du moment, pour empêcher qu’il n’en tombât quelqu’une
à la renverse et d’autres fois, ce malheur serait sans doute arrivé, s’il ne se fût
quelqu’un pour les soutenir, en les croyant évanouis ».
À
« À mesure que la santé revient, le sujet est de moins en moins
hypnotisable. »
Chez Janet, l’hypnose s’entend dans un sens très strict et constitue une
indication exceptionnelle aux conditions très contraignantes. Rien qui ne lui
promette une grande popularité à venir. Pourtant, pendant que certains
poussaient l’hypnose au fond d’un entonnoir conceptuel, d’autres, au
contraire, en tiraient les bords pour en offrir une conception moins figée, et
s’émancipant de la fascination pour le somnambulisme profond et ses
manifestations spectaculaires, accordaient une valeur nouvelle au « petit
hypnotisme », aux hypnoses légères, états d’hypnose passagers, états
hypnoïdes, allant jusqu’à une suggestion débarrassée de l’hypnose. À Nancy,
le Dr Liébeault guérit tout un chacun par le mesmerisme dans sa
consultation ordinaire et attire l’attention du professeur Bernheim et d’autres
chercheurs qui étudient sa pratique pour la comprendre. Comme leurs
homologues parisiens, ces chercheurs s’intéressent aux perspectives qu’offre
l’hypnotisme en termes de recherche fondamentale et pour des applications
comme la médecine légale, mais le patronage du Dr Liébeault nourrit
surtout leur intérêt pour l’application thérapeutique la plus concrète et la
plus universelle. Comment l’hypnotisme se propose de guérir les gens
ordinaires, et notamment par l’effet des idées et de l’imagination, voilà ce qui
vaudra au professeur Bernheim d’inventer la psychothérapie28. Or, l’hypnose
au service de la psychothérapie clinique, sur des patients qui ne relèvent pas
de l’institution psychiatrique, donne pour la première fois la primauté à la
suggestion sur la qualité et la profondeur de l’état second d’hypnose.
L’attention est portée sur une hypnose qui parvient à être efficace dans un
temps raisonnable, accessible à la personne qui n’est pas lourdement
névrosée, mais souvent par davantage d’efforts et sous une forme moins
spectaculaire. Depuis la Suède, Wetterstrand29, également inscrit dans une
logique clinique, nous résume le biais parisien et l’intuition nancéenne à
laquelle il se rallie : « Contre la croyance générale, je dirai que les personnes
nerveuses sont très difficiles à hypnotiser. Beaunis appelle l’attention sur ce
fait ; et l’opinion soutenue par quelques médecins de Paris que l’hypnotisme
dans la plupart des cas est en relation étroite avec l’hystérie doit être tenue
pour erronée. Il faut se rappeler qu’à l’École de la Salpêtrière les
phénomènes hypnotiques sont étudiés continuellement et exclusivement sur
les hystériques et, d’une façon générale, toujours sur les mêmes sujets (qui
arrivent à un haut degré d’entraînement), tandis que l’École de Nancy a fait
des expériences sur des gens de tout âge, sur des personnes en bonne santé et
sur des malades.
« J’ai étudié les phénomènes de l’hypnotisme uniquement d’un point de vue
thérapeutique et je n’ai jamais trouvé qu’ils eussent un rapport quelconque
avec l’hystérie. Une des meilleures somnambules que je n’ai jamais vue était
une jeune fille de dix-sept ans, n’ayant jamais été malade, comme on pouvait
s’en douter à voir son magnifique aspect physique. Extrêmement suggestible,
elle exécutait, même à l’état de veille, toutes les suggestions qui lui étaient
faites. Elle était aussi accessible à ce que Bernheim appelle les hallucinations
négatives, et réalisait ponctuellement des suggestions à un intervalle de
quinze jours. Ni moi, ni d’autres médecins n’avons jamais trouvé en elle la
plus petit trace de névrose ou la moindre apparence d’hystérie. »
D’autres auteurs, comme Paul Joire, partagent cette vision critique et
modérée30.
Sur le tout-venant, une hypnose authentique et profonde demandera une
fois de plus du temps et de la patience. Dès lors, on se détourne de cet idéal
somnambulique : l’hypnose peut être plus rapide si on accepte qu’elle soit
moins profonde. Et le réel enjeu des hypnotistes devient alors de
perfectionner l’art de la suggestion. Si la suggestion prend la forme grossière
d’un ordre quasi militaire comme ce fut souvent l’usage, elle doit entrer par
la porte principale qu’on aura pris le temps d’ouvrir en grand par une
longue induction d’hypnose (une longue « hypnotisation »). Si la suggestion
est plus subtile, elle s’insinuera dans les interstices offerts par de brefs
moments de confusion mentale, de surprise ou d’hypnose légère. Hippolyte
Bernheim, en 1884 fait déjà le lien entre la subtilité de la suggestion et la
rapidité des effets :
« En procédant ainsi par insinuation douce, plutôt que par ordre impératif,
en très peu de temps, variable d’une demi-heure à quelques minutes, la
résolution est obtenue, et l’état normal reconstitué »31.
C’est dans cette dynamique qu’au xxe siècle, le psychiatre américain Milton
Erickson apporte des innovations telles, qu’on désigne bien souvent les
auteurs jusqu’à lui comme classiques. Puis, on considère qu’une modernité
« ericksonienne », voire « post-ericksonienne » voit le jour dans les années
1960-1970. Erickson, pourtant coutumier des longues inductions classiques
et capable de prendre des heures pour entraîner un patient à un niveau
d’hypnose profond, décrivait volontiers des approches très suggestives et
naturalistes permettant d’ouvrir rapidement un dialogue avec l’inconscient.32
« Voyez, quand je parle à un patient dans mon cabinet, j’obtiens que son
regard soit fixé sur moi, et je lui parle d’une telle façon qu’il sache que je suis
en train de lui parler. Il sait que je veux qu’il écoute, que je veux qu’il
m’entende, et que je ne suis pas le moins du monde intéressé par les bruits
en dehors de mon cabinet, l’avion au-dessus de nos têtes, les voitures qui
passent dans la rue, les oiseaux qui chantent dans le jardin. Je ne parle qu’à
lui, et je retiens son attention. Il se sent figé et il se sent rigide, mais la
douceur de ma voix et mon regard si direct concentrent tout son attention
sur moi. Et alors, il est dans un état de transe hypnotique.
C’est la technique que j’utilise habituellement parce que je n’aime pas perdre
de temps avec les techniques formelles de suggestion. Expliquer
“Maintenant, vous décroisez les jambes et posez vos pieds sur le sol. Vous
vous enfoncez dans le fauteuil et vous fixez mon regard”, tout cela prend
trop de temps, et j’ai beaucoup de choses à faire avec ce patient, alors je parle
tout simplement.
Je ne sais pas à quelle vitesse le patient peut apprendre, avec quelle facilité il
peut comprendre, ni ce que l’hypnose pourra bien lui apporter. Avec certains
patients, c’est très rapidement efficace, avec d’autres, ça marche plus
lentement. Les patients ont besoin de prendre leur temps, et il n’est pas
important qu’ils réalisent qu’ils ont été en hypnose. Leur inconscient le sait. »
C’est par cet aspect qu’Erickson inspira la plupart des mouvements
revendiquant son héritage, et servit de base au développement d’une hypnose
dite conversationnelle, c’est-à-dire qui prend les aspects d’une simple
conversation et dont les ficelles hypnotiques sont dissimulées dans le langage
corporel et dans les associations d’idées. Si en considérant le rôle dynamique
de la suggestion, Bernheim finira par renier l’hypnotisme, Erickson quant à
lui, parvient à concilier le primat de la suggestion et l’utilité de l’hypnose
profonde dans certains cas thérapeutiques. Il écrit en 194433 : « Pour une
application médicale, l’hypnose légère et l’hypnose profonde sont toutes
deux satisfaisantes, en fonction de la nature et du caractère du but
thérapeutique à atteindre. Cependant, si l’hypnose légère ne donne pas de
résultat, il est possible de recourir à l’induction progressive d’une hypnose
plus profonde. »
Erickson développe ainsi toutes sortes de techniques subtiles de
communication, astuces verbales et corporelles, permettant d’assurer un
résultat équivalent sans recourir systématiquement au somnambulisme. En
avançant dans sa carrière, et donc dans la maîtrise de la communication
suggestive, Erickson s’oriente de plus en plus vers cette approche informelle
de l’hypnose. Lors d’une conférence qu’il donne sur le paquebot, Ocean
Monarch, en 1957, il dit34 : « Je n’accorde pas tellement d’importance à la
profondeur de la transe dans laquelle le patient se trouve parce que je pense
qu’on peut accomplir une psychothérapie complète et profonde dans une
transe légère, aussi bien que dans une transe moyenne plus profonde. Il suffit
juste de savoir comment parler au patient de façon à s’assurer des résultats
thérapeutiques. »
Et parmi ses innovations concernant le « comment parler au patient », il met
notamment l’accent sur une notion nouvelle qu’est la densité de la
suggestion. Au lieu d’administrer une instruction extrêmement détaillée
pendant de longues minutes, certaines formulations, certains jeux sur la
présupposition, sur des significations implicites, lui permettent de
communiquer les mêmes informations en beaucoup moins de mots, plus
subtilement et dans un temps plus court. Erickson conseille souvent à ses
élèves de s’entraîner à densifier ainsi leurs suggestions. Il conseille également,
pour gagner du temps, de s’appuyer sur les mécanismes de la personnalité et
de la communication qui préexistent à la séance, sur l’expérience et les
ressources de l’individu, ses associations d’idée et ses compréhensions
personnelles. Par exemple, plutôt que d’utiliser un jargon sans signification
personnelle pour le patient, Erickson encourage à suggérer le sommeil,
s’inscrivant en cela dans une certaine tradition35 : « “ Vous avez sommeil ! ”
est une injonction simple et directe. C’est également une déclaration pleine
de force qui porte en elle tellement de signification. (…) Quand vous dites
« Vous avez sommeil ! », vous vous retrouvez face aux compréhensions que le
patient a accumulé durant toute sa vie sur le sommeil comme phénomène
physiologique. Immédiatement, vous atteignez tous les apprentissages que le
patient a fait durant sa vie entière en lien avec le mot « sommeil ». Tout le
monde se couche sur un lit et s’endort. »
L’hypnose n’est pas physiologiquement du sommeil comme le rappelle
Erickson lui-même, mais « dormir » est une suggestion parlante, très dense
(elle contient, sans même formulation explicite, de nombreuses « sous-
suggestions » comme la fermeture des yeux, la détente, la moindre
importance à l’environnement, le calme, la possibilité du rêve, etc.) et à
laquelle il est facile et familier pour une personne de répondre d’une manière
toute personnelle.
Mais si, grâce à ces procédés, l’hypnose elle-même est écourtée, la thérapie
ne l’est pas nécessairement et le résultat n’est pas obtenu dans un délai plus
bref. Il devient plus rapide de planter la graine puisqu’il n’est plus nécessaire
de creuser un trou bien profond, mais pour autant, elle pousse, devient un
arbre et porte ses fruits toujours dans le temps qui lui est propre. Lors de la
même conférence, Erickson ajoute : « Il existe une tendance trop fréquente
pour l’opérateur à penser qu’il doit corriger le comportement immédiat du
patient. On ne doit pas avoir une telle attitude. Votre attitude doit exprimer
que le patient finira par tirer bénéfice de cela “ un beau jour ”, un jour ou
l’autre. Peut-être dans un jour, une semaine, un mois, six mois, en tout cas
dans un délai raisonnable, mais pas maintenant. »
Et durant toute sa carrière, il continua d’être fidèle à l’approche classique de
l’hypnose profonde en même temps qu’il développa cette pratique rapide et
subtile. Il continua d’être d’une patience inébranlable et tout en même temps
capable d’aller subtilement au plus rapide. Et même lui, qui a travaillé
comme personne avant lui à optimiser les techniques de l’induction, répète
sans cesse l’importance du temps dans tout travail d’hypnose. À lui seul, il est
un point de pivot historique, à la fois porteur de l’héritage des anciens
magnétiseurs et s’inscrivant dans la modernité des nancéiens.
Cela étant dit, Milton Erickson lui-même évoque bien une façon inattendue
et efficace d’écourter l’induction de l’hypnose et de résoudre le problème des
résistances éventuelles : le recours à la chimie. Nous avons croisé plus haut la
mention par Janet de l’intoxication comme facteur d’hypnotisabilité, et
Erickson fait régulièrement référence à l’usage de drogues en lieu de
l’induction hypnotique. En 1934, il écrit dans un article de présentation
générale de l’hypnose36 : « Du fait de la compréhension scientifique actuelle
du phénomène, la technique de suggestion verbale directe est devenue la plus
commune. Les médicaments (drugs) peuvent également être utilisés pour
produire l’état hypnotique, mais les résultats ne sont pas satisfaisants car les
effets narcotiques interfèrent souvent avec les manifestations de la transe. Les
drogues qui peuvent être utilisées sont le paraldéhyde, les composés
barbituriques et l’amobarbital. »
En réalité, la perspective de remplacer l’hypnose par la chimie n’a rien
d’étonnant, puisque c’est précisément ce qui s’est produit un siècle plus tôt
dans le domaine de l’anesthésie chirurgicale. Entre les années 1820 et
184037, le somnambulisme dit « magnétique » était utilisé par de nombreux
auteurs comme les Français Teste, Récamier et plus tard, Broca, ou encore
Topham et Esdaile, en Angleterre, pour mener toutes sortes d’opérations
chirurgicales légères ou lourdes sans douleur. L’amputation de la cuisse,
menée par William Topham et Squire Ward et relatée en 1843 par John
Elliotson38 et qui fit si forte impression sur la communauté scientifique en
son temps, est bel et bien rendue possible par l’entraînement progressif du
patient pendant plusieurs mois à développer un état suffisamment profond de
plus en plus rapidement. C’était donc assez long, mais il n’y avait pas mieux
à cette époque et les travaux d’Elliotson, ainsi que l’édification de sa clinique
mesmérique, donnèrent un élan à des chirurgiens comme James Braid et
James Esdaile qui contribuèrent de façon essentielle à la fondation de
l’hypnotisme moderne. À partir de 1845, Esdaile39 systématisa l’usage du
mesmérisme en chirurgie, à l’hôpital de Calcutta, et acquis une très grande
expérience en la matière. Sa première opération mesmérique porta sur une
double hydrocèle accomplie sans aucune réaction du sujet aux procédés
particulièrement douloureux de l’époque. La description de Esdaile fait état
de plusieurs heures très compliquées pour créer une anesthésie satisfaisante et
d’une opération qui dura quatorze heures en tout. Les nombreux autres cas
décrits par Esdaile rendent compte de la difficulté d’assurer un état
d’anesthésie assez profond pour la plupart des patients, sans y consacrer
beaucoup de temps et d’effort, et du caractère très prometteur mais encore
bien aléatoire de la méthode.
Il n’est donc pas étonnant que la découverte du chloroforme et de l’éther à
la même époque ait quasiment plongé cette méthode aux oubliettes de la
médecine en résolvant d’un seul coup le problème du temps et celui des
résistances psychologiques. C’était précisément l’urgence de la situation qui
conduisit à abandonner l’hypnose au profit de la chimie. L’hypnose ne
répondait pas aux contraintes de l’urgence.
Un siècle plus tard, chez Erickson, la chimie ne devrait pas remplacer
l’hypnose dans son entier mais la phase d’entraînement à l’état hypnotique.
L’état d’anesthésie chimique n’est pas seulement utile pour mener une
chirurgie mais également pour mener des actes de psychothérapie, comme il
l’indique dans son étude de l’usage de l’éther en psychothérapie en 1963.40
Et bien qu’il note les difficultés que pose cette approche, cette remarque a au
moins le mérite de nous rendre attentifs aux possibilités de détacher
l’hypnose des procédés laborieux d’induction verbale pour s’intéresser aux
activations physiologiques de la transe, que ce soit par la chimie ou par
d’autres moyens, afin de l’adapter à la contrainte d’un temps drastiquement
réduit.
Nazmine Guler
Janvier 2012
Un matin de fin de garde aux urgences, une autre nuit d’apocalypse.
Des brancards partout, des patients et des familles agressifs et mécontents,
souvent à juste titre, des délais de prise en charge trop longs, des collègues
sur les rotules, un sentiment de mal faire, d’avoir oublié quelque chose.
J’apprends qu’une personne âgée a passé toute la nuit sur un brancard,
oubliée sur son bassin pendant presque dix heures ! Je crie intérieurement :
« Stop, c’en est trop. Je ne peux plus travailler dans ces conditions aux
urgences, cela va mal finir ! »
Cela fait sept ans déjà que je travaille aux urgences. Je suis épuisée, je n’en
peux plus, je ramène ce mal-être à la maison. J’aime ce travail mais il faut
que je le quitte. C’est la rupture : il faut que je divorce de la médecine
d’urgence !
Après ces années de passion pour cette spécialité, comment en suis-je arrivée
là ?
Revenons en arrière.
Novembre 2005
Jeune médecin, la médecine d’urgence me passionne. Je m’engage dans un
service exceptionnel, très attrayant, très technique où l’on est confronté à
toutes les pathologies, graves ou non, de toutes spécialités. L’effort
intellectuel est intense, la diversité est au rendez-vous : au sein du service des
urgences mais aussi en préhospitalier, en sortie SMUR et au centre de
régulation médicale, le Samu-Centre 15.
Travaillant en équipe, on ne se sent pas seul face aux difficultés et à la
souffrance des patients. Dans des circonstances souvent dramatiques, notre
engagement nous habille, parfois, du costume d’un « héros » de la médecine.
Mon entourage est toujours impressionné par les urgences et adore écouter
les anecdotes de patients, qu’elles soient tristes ou drôles.
Un collègue de travail nous confie que son fils lui demande à chaque fois
qu’il rentre à la maison : « Combien de vies as-tu sauvées aujourd’hui ? »
Pour un temps, cette image hyperbolique de sauveur, nous valorise, remonte
l’estime de soi quand la garde aux urgences nous rappelle aussi l’injustice de
la maladie ou le fait que la médecine n’est pas toute puissante. Notre ego
n’est pas surdimensionné, nous avons juste la chance de connaître cette
sensation agréable et humaine de se sentir utile.
Je suis médecin et je revendique de pouvoir soigner humainement,
dignement.
Je ne cherche pas les remerciements, trop rares, de nos patients ou de notre
hiérarchie hospitalière, mais la satisfaction personnelle lorsqu’une prise en
charge a été efficace et que j’ai le sentiment d’un travail bien fait.
Septembre 2010
Cinq ans après, ma vision des urgences est moins rose et il y a, comme
toujours, un revers à cette médaille de héros que j’avais imaginée. Sauver une
vie, empêcher la mort de faire son funeste et injuste travail est une réelle
satisfaction, mais malheureusement trop rare dans le flot des patients
sollicitant les urgences. L’urgence vitale ne concerne qu’environ 10 % de nos
patients !
Faire la morale à toutes ces personnes qui viennent aux urgences pour des
raisons que j’estime inappropriées est littéralement épuisant.
Notre niveau émotionnel passe sans cesse d’un extrême à l’autre : joie,
colère, tristesse, peur… et il faut savoir les gérer sinon c’est la descente aux
enfers : le burn-out.
Nos conditions de travail sont difficiles, elles se dégradent au fil des années. Il
devient compliqué de survivre à ce milieu « extrême », hostile à première
vue, où l’on est régulièrement exposé aux agressions et aux émotions
négatives, celles des autres aussi. Cette médecine ne répond plus à mes
idéaux.
Régulièrement j’entends les plaintes de mes collègues urgentistes : « Je n’ai
pas fait médecine pour soigner dans ces conditions, à la chaîne comme à
l’usine ! », « Je viens travailler la boule au ventre », « on nous considère
comme les OS (ouvriers spécialisés) de l’hôpital ».
Janvier 2020
Dix ans après, encore une nuit blanche aux urgences : je suis toujours
là, vivante ! Je prends une grande inspiration et je me pose quelques instants
pour libérer mon corps des tensions de la garde avant le staff du matin.
Sereine, confiante, avec de l’espoir pour l’avenir !
Peut-être que vous aussi, urgentiste ou pas, vous êtes-vous posé des questions
sur votre travail en situation difficile, en stress ou fatigue professionnels ?
Peut-être avez-vous pensé qu’il ne fallait pas s’apitoyer sur son sort, laisser
passer la vague… et pourtant, celle-ci peut nous emporter.
C’est bien en tant que soignante, et non comme une patiente, que je vais
mieux professionnellement et l’hypnose y a plus que contribué. Je vais
tellement mieux maintenant que c’est pour moi un devoir et une mission de
partager mon parcours et mon expérience. Aujourd’hui, je suis toujours
passionnée par la médecine d’urgence mais je la vis sereinement ! Que s’est-il
donc passé ?
Novembre 2012
J’écoute le formateur médecin psychiatre parler d’hypnose…
Mais qu’est-ce que moi, urgentiste, je fais là, dans cette formation sur
l’hypnose ? Pourquoi me suis-je laissée entraîner ici par ma collègue et
amie ? Certes, elle est convaincue et pense que c’est une pratique très
sérieuse mais je suis cartésienne, pragmatique et, j’en suis persuadée,
hypnoseptique !
J’ai une image bien ancrée de l’hypnose qui, pour moi, est de la
manipulation mentale, le contrôle de l’autre où pour y arriver il faut fixer un
pendule ou bien les yeux de l’hypnotiseur. Dans ma jeunesse, j’avais tenté
d’hypnotiser ma petite sœur avec une montre. Bien sûr ce fut un échec.
L’hypnose s’apparente au charlatanisme !
Bon, au moins, cet enseignement est sans contrainte scolaire, sans examen à
la fin de l’année. Cet « interlude » me permet de changer d’air, de partager
avec des soignants d’autres horizons mais, curieuse de nature, cette formation
m’intrigue tout de même : c’est un médecin, psychiatre, qui en assure
l’enseignement ! Cela certainement me rassure et me pousse, in fine, à être
attentive à ses propos.
Surprise : je découvre, contrairement à mes a priori, que l’hypnose repose
sur des bases scientifiques et qu’elle permet d’agir sur la douleur, le stress, les
émotions négatives ! Il ne s’agit pas de secouer une montre : j’apprends, au
bout de quelques jours de formation, que l’hypnose est très technique et ne
se limite pas à des paroles empathiques !
Pour autant, s’applique-t-elle à la médecine d’urgence ? À ce jour, je ne
retrouve aucune étude sérieuse réalisée en service d’urgence et les
publications se limitent à quelques cas cliniques peu documentés.
Scientifique et cartésienne, j’ai besoin d’en savoir plus !
Mon groupe de formation est essentiellement composé de psychiatres. J’ai
du mal à imaginer comment utiliser cette technique aux urgences, persuadée
qu’elle est plutôt réservée à la thérapie dans le cadre de douleurs chroniques
ou bien en psychiatrie, ou encore à l’anesthésie car elle demande un temps
de préparation qui me semble incompatible avec mon exercice professionnel.
Comme tout urgentiste, je pense qu’il est impossible de faire de l’hypnose
aux urgences : c’est une perte de temps et d’ailleurs, l’environnement n’est
pas adapté : trop de bruit, pas de temps, et un état de stress des patients qui,
je le crois, les rendent résistants à l’hypnose.
Pourtant, un doute persiste… mais pas question pour moi de me lancer dans
des séances d’hypnose avec les patients des urgences sans me faire avant ma
propre idée, ma propre expérience. Une amie fut ma première patiente.
Victime au cours de sa grossesse de vomissements incoercibles, elle me
demande de l’aide. À ma grande satisfaction, après une séance de 15 minutes,
elle n’a plus que des nausées très supportables.
Ma deuxième patiente fut une aide-soignante du service, victime d’une
migraine tenace résistant aux traitements médicamenteux. Après une courte
séance de 15 minutes, les céphalées ont régressé.
Et si finalement… Je prends alors mon courage à deux mains et décide de
proposer de l’hypnose aux patients à chaque fois que j’en ai l’opportunité
pour gérer douleur et/ou stress que celui-ci soit procédural, c’est-à-dire liés à
des gestes médicaux, ou non.
Dès le début de notre pratique de l’hypnose aux urgences, moqueries et
blagues sur le sujet font partie de notre quotidien. Notre chef de service et
les collègues nous taquinent tous les jours en nous disant « ne me regarde pas
dans les yeux », les collègues spécialistes n’osent plus nous serrer la main.
D’« héroïnes », nous passons « aux sorcières mal-aimées » ?
Je ne peux en vouloir à mes collègues car auparavant, je partageais leur
scepticisme. Heureusement, nos très bonnes relations nous ont permis de
passer au-delà de cette phase initiale et ce sont eux qui, maintenant, viennent
me solliciter pour leurs patients.
Les sapeurs-pompiers transportent aux urgences un enfant de sept ans qui a
chuté à l’école et présente une plaie large et profonde sur le front : la suture
est inévitable. Il pleure, il est seul, sans ses parents, et j’imagine bien son
angoisse. Le choix est simple : soit j’opte pour une maîtrise physique pour
éviter qu’il ne bouge sans cesse, soit je tente de le calmer sous hypnose. Mon
choix est vite fait et je suture sa plaie, sans anesthésie locale, sous hypnose. À
ma grande satisfaction, tout se passe très bien, l’enfant est coopérant et très
souriant jusqu’à la fin des soins. Ses parents arrivent très stressés et constatent
avec étonnement et soulagement que leur enfant les accueille avec un grand
sourire en leur racontant son expérience hypnotique. Ils expriment alors une
très grande reconnaissance envers l’équipe soignante qui nous émeut : nous
n’avons pas l’habitude d’être remerciés.
Il est probable que nous avons évité à cet enfant un stress post-traumatique
lié aux soins et surtout, nous avons évité de générer chez lui un stress
démesuré pour des soins futurs. Cette belle expérience accroît ma
motivation.
Ma deuxième expérience est la réduction d’une luxation d’épaule chez une
patiente présentant une insuffisance rénale chronique pour laquelle elle est
dialysée. Elle me demande de ne pas lui injecter de drogues pour réduire sa
luxation car elle ne veut pas être hospitalisée. Elle s’est déjà luxée la même
épaule et a dû être hospitalisée pour une séance de dialyse après une
réduction sous médicaments. Elle pleure et ne veut pas rester à l’hôpital. Je
lui propose alors naturellement une réduction sous hypnose. Elle me répond
ouvertement ne pas croire en l’hypnose mais qu’elle est prête à tout essayer
pour ne pas rester à l’hôpital.
La réduction a duré six minutes avec une durée de prise en charge totale aux
urgences de 45 minutes radiographies comprises sans sédatif, ni antalgique.
De son propre avis, la réduction est beaucoup moins inconfortable que lors
de sa première expérience aux urgences ; elle est tellement heureuse qu’elle
me remercie et me tient la main d’une manière si chaleureuse que je ne m’y
attends pas ! C’est incroyable, certains de mes préjugés tombent
instantanément :
— je ne perds pas de temps avec l’hypnose bien au contraire, j’en gagne ;
— les patients ne résistent pas et finalement sont très coopératifs ;
— je n’ai pas besoin d’une longue préparation préalable, je peux en faire de
façon impromptue ;
— la gratitude des patients va bien au-delà de ce que j’ai connu auparavant :
c’est plus qu’un simple remerciement, comme si l’on avait « vraiment »
pris soin d’eux : c’est aussi gratifiant pour moi et me donne une énorme
satisfaction du « travail bien fait ».
Le scepticisme fut bien sûr la première réaction de mes collègues « Non mais
c’est bon, ça marche parce que tu es gentille avec les patients, l’hypnose c’est
en fait de l’empathie » mais je ne me décourage pas et pleine d’enthousiasme,
je poursuis mon chemin. J’hypnotise « tout ce qui bouge » ou plutôt tous les
patients qui présentent des douleurs : j’ai besoin de tester et me rassurer sur
le fait que ce n’était ni le hasard ni l’effet placebo et encore moins l’empathie
seule comme le prétendent certains collègues !
Plus encore, j’hypnotise tout mon entourage. Si quelqu’un a le malheur (ou
le bonheur !) de me dire qu’il a mal ou bien qu’il est stressé, je lui propose
systématiquement une séance d’hypnose ! La famille, les amis, les voisins, les
secrétaires, les collègues, le personnel de l’école de musique, ma femme de
ménage, etc. Plus les effets sont positifs, plus je pratique et plus je suis
convaincue de l’efficacité de l’hypnose, c’est-à-dire du pouvoir de l’esprit sur
le corps. C’est incroyable car vraiment, j’ai très peu d’échec !
Mais petit à petit, l’hypnose gagne du terrain, les moqueries laissent place à
la surprise et aux interrogations.
Un soir, je prends en charge un adolescent de 16 ans, transporté aux
urgences pour une « crise de nerfs ». Je le découvre dans un box des
urgences attaché au brancard en train de pleurer. Ce jeune me fait de la
peine et je décide de passer un contrat avec lui « Si tu es d’accord pour une
séance d’hypnose, je te détache ». Il me répond « Madame, vous allez
contrôler mon cerveau ? Et puis, je m’en moque, tout ce que vous voulez
mais détachez-moi ! » Je lui assure qu’il gardera le contrôle tout au long de la
séance et que l’objectif est surtout qu’il diminue son stress. Derrière le
hublot de la salle des urgences, les collègues font des pieds de nez, des
grimaces. La séance terminée, alors que je suis en train de faire un débriefing
avec le jeune patient, les collègues entrent et plaisantent devant lui : « Alors
tu as fait de l’hypnose ou bien de l’Hypnovel ® ? ». À ma grande surprise,
l’adolescent prend ma défense, met sa main sur mon épaule de manière très
affectueuse et protectrice et me dit « Madame, ne faîtes pas attention à eux,
ils ne peuvent pas vous comprendre mais moi je vous comprends ».
C’était un moment incroyable de complicité et de confiance avec
l’adolescent, et tellement gratifiant. Ce jeune, au lieu d’être attaché et sédaté
toute la nuit aux urgences, a pu repartir rapidement, serein. Peut-être lui
avons-nous évité un traumatisme et peut-même amélioré son estime de lui-
même en lui autorisant à vivre une expérience où il s’est senti utile et
compris dans sa souffrance.
Octobre 2013
Je décide d’organiser une conférence médicale, au sein de notre hôpital, pour
expliquer l’hypnose et son utilisation possible aux urgences : c’est un succès,
et de nombreux soignants, convaincus, souhaitent se former.
Juin 2014
Premier atelier hypnose au « congrès urgence » qui a lieu tous les ans à Paris.
La Société française de médecine d’urgence (SFMU) me soutient dans le
développement de l’hypnose aux urgences : une belle opportunité pour
convaincre les urgentistes venus des quatre coins de la France.
Octobre 2016
Invitée aux Journées interactives de la SFMU pour parler d’hypnose aux
urgences : six mois de travail de recherche pour une présentation qui
convaincra même le président de la SFMU de l’époque. « J’étais venu vérifier
que tout allait bien », me dit-il, « et vous m’avez hypnotisé. Je suis resté
jusqu’à la fin, vous m’avez convaincu » ! Je suis soulagée et rassurée.
L’hypnose fait son chemin et grandit. Je finirai par coécrire les
recommandations de la SFMU sur les alternatives thérapeutiques non
médicamenteuses de la douleur aux urgences, je décrirai, bien sûr,
l’hypnose48.
Janvier 2020
Même les instances de direction ont fini par se laisser convaincre. En face de
moi, vingt paramédicaux de l’hôpital sont en formation hypnose, la relève est
assurée, je peux dormir tranquille.
C’est un parcours du combattant, mais d’une combattante joyeuse et fière.
Convaincre les soignants des urgences en multipliant les conférences et
congrès en France, prochaine étape, convaincre les urgentistes au-delà des
frontières.
Mais…
Mars 2020
Plan blanc, toute l’activité habituelle s’est arrêtée, nous sommes en situation
de catastrophe et devons faire face à un afflux massif de victimes de la Covid-
19. Il y a beaucoup trop de malades graves, les services de réanimation sont
pleins et les capacités de l’hôpital sont insuffisantes.
Ce matin, j’ai transféré un collègue en choc septique en salle de réveil
devenu « Réa Covid », c’est trop dur et je m’effondre. Ce virus que j’ai sous-
estimé me fait maintenant terriblement peur. L’angoisse de le transmettre à
mes proches m’envahit.
Je pratique après chaque garde et journée de travail, des exercices
d’autohypnose pour m’apaiser, garder ma concentration et augmenter ma
résilience.
Nous ne sommes certes pas tous des urgentistes. Les urgentistes ont un
métier particulier avec des contraintes spécifiques pour lesquelles ils militent
(à juste titre) afin de les faire reconnaître. Mais peut-être que vous aussi, vous
vous êtes posé des questions sur votre pratique. Peut-être que parfois, vous
aussi, vous vous êtes laissé emporter par l’aspect technique et avez mis de
temps en temps l’aspect relationnel au second plan. Peut-être que vous aussi
vous aimeriez savoir mieux gérer la douleur, l’anxiété, l’agressivité ou la
plainte d’une manière efficace, voire agréable ou du moins qui ne vous
« bouffe » pas. Peut-être que vous aussi vous aimeriez trouver des moyens de
renouveler votre pratique et renouer avec ce qui a fait votre vocation. Peut-
être que vous aussi, vous connaissez des situations qui « s’accélèrent » et qui
semblent ne pas permettre une relation satisfaisante avec le patient, et encore
moins, une technique « relaxante ».
Tous les soignants sont confrontés régulièrement aux émotions négatives
telles la colère, l’anxiété, la tristesse, la peur, cumulées au fil des années
provoquant inévitablement l’épuisement psychologique de tout un chacun.
La gestion de patients agressifs et anxieux très fréquente dans les contextes
aigus est particulièrement difficile. J’ai pu y perdre mon sang-froid.
Comment gérer plus sereinement les relations humaines sans être une
éponge, avec la juste dose d’empathie ?
Garder l’esprit clair pour la partie technique du métier, s’économiser, ne plus
prendre trop à cœur ou contre soi les émotions négatives d’autrui ?
Ces questionnements ne sont pas spécifiques à une spécialité, même s’ils sont
très présents dans la mienne. C’est en ce sens que « nous sommes tous des
urgentistes ». Y a-t-il un seul soignant peu importe son titre, sa spécialité, son
lieu de travail indemne d’agression ? Ou bien jamais exposé à une situation
dramatique ? À la gestion concomitante de l’émotionnel, de la technique, de
l’anxiété, de la douleur avec le risque de négliger certaines de ces
dimensions…
Alors, pratiquez plus que jamais quand la situation est urgente. Contre toute
attente, l’urgence est une situation propice à la pratique de l’hypnose car les
résistances des patients sont au plus bas en raison de la détresse psychologique
ressentie. Confrontés régulièrement à des situations aiguës douloureuses
anxieuses inopinées d’urgence ressenties ou réelles, vous aurez à créer
rapidement la confiance quel que soit votre métier de soignant. Les mêmes
défis, les mêmes apports.
En ce sens-là, quel que soit notre métier de soignant, « nous
sommes tous des urgentistes ».
Et peut-être que les réponses que j’ai trouvées pour moi vous donneront
envie de trouver les vôtres. Peut-être étais-je plus « en colère » ou sensible ou
passionnée, mais je sais que beaucoup d’urgentistes partagent mon vécu,
surtout en ce moment.
Bien sûr, si l’hypnose éclaire ma pratique d’un jour nouveau, rien n’est
totalement rose pour autant. Si j’ai donné l’impression de « vendre du rêve »,
je voudrais dire pour finir qu’il faut rester lucide.
Est-ce que mes conditions de travail se sont améliorées au final ?
Bien sûr que non ! Elles ne dépendant pas de nous mais de décisions
politiques ! D’ailleurs, elles se sont même aggravées au fil du temps. La
« crise des urgences » est une réalité, pas juste un titre dans les médias.
Pour autant, ma relation avec les patients et avec les autres s’est réhumanisée,
même au milieu de ce marathon qu’est la vie d’un urgentiste. Si l’hypnose
ne résout pas le problème de politique de santé, elle permet au soignant de se
déculpabiliser, d’augmenter sa résilience car il est certain que nous faisons de
notre mieux avec ce qu’on nous donne. L’hypnose permet une meilleure
gestion de la douleur et du stress du patient, mais également du soignant. Ce
n’est pas un exercice chronophage et il permet, j’en suis sûre, même si cela
reste à démontrer, de fluidifier les passages et lutter, à sa manière, contre la
surcharge de nos services. En régulation médicale, la « conversation
hypnotique »49 permet une meilleure compliance du patient et une
diminution de l’agressivité. Elle améliore la relation à tous les niveaux et, je
crois, protège du burn-out et c’est en ce sens que les urgentistes
gagneraient à devenir plus hypnotistes50.
47. Kansoun Z, Boyer L et al., « Burnout in French physicians: A systematic review and meta-analysis », Journal of
Affective Disorders, volume 246, 1 March 2019, pages 132-147.
48. Guler N, Depil-Duval A, Weber S et al., Analgésie et sédation : alternatives thérapeutiques non médicamenteuses :
cryothérapie, hypnose, relaxation et autres techniques. Lavoisier, 2016.
49. C’est-à-dire les techniques de communication issues de l’hypnose mais qui peuvent être utilisées sans forcément de
transe formelle.
50. Voir Schmutz T et al., « Hypnose en médecine d’urgence : bousculons nos habitudes ! », Rev Med, Suisse, 2020 ; 16 :
1757-62.
3 L’hypnose rapide
Jordan Vérot
Jordan Vérot est praticien en hypnose et formateur en hypnose à Nice. Il s’est entre
autres spécialisé sur la question de l’hypnose rapide. Bien que non soignant lui-
même, et donc non confronté au quotidien à des situations d’urgence, il bénéficie des
retours et de la pratique de soignants qu’il forme et qui vont chercher auprès de lui
cette compétence, qu’il a développée, parmi d’autres, pour la technicité de cette
forme d’hypnose. Dans ce chapitre détaillé, technique, il nous donnera des
ingrédients indispensables à l’amélioration de la pratique et des éléments précis
pour que l’hypnose soit rapide. Ce sont des détails (en apparence !) de l’induction
(accompagnement menant une personne en état hypnotique) qui vont tout changer,
augmenter la réactivité du sujet aux suggestions et rendre l’hypnose plus effective en
un temps restreint.
1. Définition
2. Objectifs
Quel est l’objectif quand on met une personne dans un état hypnotique ?
Dans les situations d’urgence, l’hypnose va avoir son utilité pour maximiser
l’efficacité de l’accès aux automatismes psychophysiologiques, c’est-à-
dire aux phénomènes physiques, psychiques et sensoriels qui se produisent
automatiquement, sans la volonté du patient et/ou sous l’effet de la
suggestion du thérapeute.
En accentuant la dissociation entre la volonté et les automatismes
psychophysiologiques (certains diraient entre le conscient et l’inconscient),
on stoppe les solutions inefficaces engagées par la volonté, et on aide la
personne à actionner des processus inconscients ou automatiques par
suggestion ou autosuggestion.
Cette dissociation aura un grand intérêt si l’on souhaite, par exemple,
accéder à un processus automatique d’analgésie. En effet, on entend souvent
que tout le monde sait s’anesthésier. Et c’est, en partie, vrai. On peut
regarder tout un film attrayant sans sentir le siège de cinéma inconfortable (si
ce n’est à la fin). Mais si le film est mauvais, la « suggestion » d’entrer dans
l’imaginaire du film, et ce faisant de « sortir de son corps », créant ainsi
l’analgésie, n’aura pas lieu. La volonté va au contraire essayer de trouver une
position confortable pour au moins être bien, à défaut de voir un film
intéressant. Ce faisant, elle va créer des solutions peu productives, car
l’attention va être encore plus portée sur le corps et son inconfort.
De la même façon, si l’on dit à la personne de se relaxer alors qu’elle vit une
situation douloureuse, on risque de se prendre un gros retour de bâton.
Ainsi, l’aspect dissociatif de l’hypnose permettant d’accéder à certains
automatismes par suggestion ou imagination prendra tout son intérêt.
Avant même de parler d’hypnose, nous allons voir qu’il est important de
soigner l’accueil de la personne.
3. Accueil
Regarder
Regarder la personne dans les yeux crée de l’empathie et donne l’indication
à la personne qu’on est là et qu’elle compte. Si au lieu de cela, on lui parle
en installant une perfusion sans la regarder, on témoigne forcément moins de
présence. Il vaut mieux prendre 30 secondes pour le faire.
Se présenter
Se présenter est rassurant. Évidemment, la blouse blanche joue son effet,
mais le fait de donner son prénom n’est pas anodin, non plus. Cela crée un
rapprochement plus fort que si l’on dit : « Je suis le docteur Smith ».
« Vous avez vécu le plus dur » suggère implicitement que cela va changer. La
phrase est au passé et tout de suite après, il y a une rupture avec
« Maintenant » et un passage au présent.
É
Établir un contact physique
Le contact crée de la connivence et du rapprochement. C’est un outil
d’influence majeur53. Évidemment, ce contact devra se faire sur des zones
corporelles relevant de la sphère relationnelle et non pas de la sphère intime.
Ainsi, les mains, les épaules, l’extérieur des bras seront privilégiés.
Le fait de serrer la main à ce moment précis n’est pas anodin. Ce geste
montre que l’on a conscience de la dureté de la situation et accueille la
souffrance sans la nier.
Ensuite, desserrer la main appuie implicitement le fait que cela va changer.
En outre, cela entraîne inconsciemment le client à suivre les suggestions non
verbales par contact qui feront partie des suggestions privilégiées en hypnose
rapide.
Bien sûr, c’est un exemple. Ajustez le discours afin qu’il vous corresponde.
Mais s’il contient les points précédents, il sera plus rassurant.
Questionner
Enfin, la question est une première phase de leading. Implicitement, nous
disons à la personne « Je vais te demander des choses ». Et la première
question est une question anodine de la sphère relationnelle. C’est une
question simple à laquelle on répond très facilement, en permanence dans
notre vie. Cela crée de la compétence chez le sujet. C’est rassurant. Si, au
contraire, je demande à la personne, « Où ressentez-vous la douleur ? », je lui
pose une question complexe nécessitant une introspection.
Il est plus intéressant de commencer par de petits succès pour en construire
de grands, et la personne que vous accompagnez aura besoin de se sentir
compétente.
4. La compétence
Si je ne devais enseigner qu’une chose à un praticien en hypnose, je
choisirais celle-là. Une personne hypnotisée a besoin de se sentir
compétente. En effet, aller en hypnose est un peu comme un apprentissage.
Et apprendre sous cortisol ne marche pas très bien, car cela stimule
l’impuissance apprise54.
Ainsi, il est important que la personne allant en hypnose sente qu’elle réussit
ce que vous demandez. Il s’agit, par exemple, de féliciter la personne sur des
choses toutes simples en disant « Exactement comme ça » ou « Parfait » ou
« Super ». Pour les aficionados de Milton Erickson, rappelez-vous son
« That’s right ».
Et lorsque l’on va guider une personne en hypnose, la volonté va passer de
plus en plus de la position d’actrice à la position d’observatrice. Dans le
même temps, les processus automatiques vont être de plus en plus activés.
Ainsi, les félicitations (sans exagérer non plus) seront, dans un premier temps,
plus axées sur les actes volontaires demandés à la personne puis, elles seront
ensuite plus pour les actes automatiques55. Voici un exemple simple : fixez
attentivement la pointe de ce stylo en mouvement (pause), c’est ça
(félicitation de la volonté), et sentez vos paupières s’alourdir d’elles-mêmes
(pause), exactement comme ça (félicitation lorsqu’elles commencent à se
fermer automatiquement).
5. L’engagement
Objectifs
Nous créons donc des rituels qui sont une succession d’actes volontaires
simples demandés au sujet. Ces actes servent à plusieurs choses :
— apprendre à la personne à répondre volontairement et automatiquement
aux demandes du praticien ;
— stimuler l’engagement de type « pied dans la porte ». Une fois que l’on a
commencé à s’engager à suivre, difficile de revenir en arrière ;
— vérifier que la personne est réactive à ce qu’on lui demande ;
— créer de la compétence, car la personne sentira qu’elle arrive à faire ce
qu’on lui demande simplement ;
— servir de support aux suggestions.
Notez bien que lorsque vous demandez à quelqu’un de faire un acte
volontaire pour vous, indirectement vous demandez toujours à des processus
automatiques de faire quelque chose pour vous. Par exemple, si vous
demandez à quelqu’un de regarder un point sur le plafond de l’ambulance,
elle va volontairement diriger ses yeux vers le plafond, mais l’adaptation des
muscles de l’œil se fera inconsciemment. Ainsi, les processus automatiques
auront aussi agi sur votre demande. De même, si vous demandez à une
personne debout de lever les bras devant elle, le système vestibulaire
provoquera de nombreux ajustements d’équilibre pour éviter la chute. Ainsi,
des processus automatiques participeront à votre demande. De cette manière,
les rituels entraînent aussi la personne à vous suivre inconsciemment tout en
se sentant compétente. L’hypnose est donc grandement facilitée par des
rituels tout simples.
On évite On préfère
- « Pouvez-vous choisir un point devant vous ? » : - « Regardez ce point noir (montrez un
cette phase ne veut strictement rien dire. Un point point sur le plafond du véhicule) et
destiné à quoi ? « Pouvez-vous » présuppose-t-il maintenez toute votre attention fixée
qu’il pourrait « ne pas » ? Nous ne sommes pas dessus. »
dans un cadre de politesse sociale.
« Placez votre main sur la mienne ». Cela est très « Placez votre paume de main (en
vague ; la placer comment ? De quelle main parle-t- touchant la main gauche de la
on ? Cela risque de demander des corrections personne) ici, sur la mienne » (en
inutiles pour que la personne fasse vraiment ce que montrant votre main, paume en haut
l’on demande. Ce qui pourrait jouer sur son dans l’axe de vision du client). Si on la
sentiment de compétence. place, l’engagement est différent,
moins actif mais parfois, ce sera
nécessaire.
« Soyez curieux de la manière dont vous inspirez « Prenez une grande inspiration (le
avant de laisser les yeux se fermer en soufflant » : praticien prend une grande inspiration
complexe et sans demande directe d’action ou en passant la main devant le menton
d’observation. de la personne jusqu’au front) et
laissez vos yeux se fermer (en
repassant la main devant les yeux
depuis le front jusqu’au menton). »
Il ne s’agit pas d’être autoritaire mais
de faire preuve de clarté et de
précision pour que l’hypnotisé sache
exactement ce qu’il a à faire et que le
praticien puisse vérifier que la
personne suit.
On évite On préfère
- « Vous pouvez peut-être choisir de regarder un « Regardez très attentivement la pointe
point devant vous ou de vous concentrer sur une de ce stylo et suivez-la du regard. »
image intérieure » ; les termes « peut-être », « vous
pouvez », « ou » ne créent que du doute vraiment
inutile. Et si la personne choisit l’image intérieure,
le fait qu’elle reste focalisée sur l’image ne sera
pas vérifiable par le praticien.
Clothilde est assise à côté du futur hypnotisé à sa gauche. Lui, est allongé sur le
brancard dans l’ambulance.
Clothilde : Bonjour, je m’appelle Clothilde, je suis médecin-urgentiste, vous m’avez
comprise (demande d’engagement à répondre) ?
Fred : Oui, j’ai très mal.
C. : Oui, je me doute que pour l’instant vous avez encore très mal (répéter ce que le
client dit, permet de lui montrer qu’on l’a compris, on modifie avec les termes en gras pour
intégrer une ouverture vers autre chose) et vous avez vécu le plus dur (elle serre la main
du patient), maintenant, je suis là pour vous aider (desserre l’étreinte progressivement).
Quel est votre prénom (demande d’engagement à répondre) ?
F. : Fred.
C. : Enchanté Fred. On fait tout ce qu’il faut pour votre corps (elle le rassure), et vous
allez m’aider aussi pour le mental, prêt à me suivre (demande d’engagement à suivre) ?
F. : Oui.
C. : Cool (clin d’œil pour féliciter le client de temps en temps, cela lui permet de se sentir
actif et en même temps compétent, ce qui est primordial). Alors Fred, placez votre paume
de main (en touchant sa main gauche) ici, sur la mienne (avec son index droit, elle montre
à Fred sa propre paume de main gauche tournée vers le haut dans l’axe de vision du client
pour qu’il puisse y déposer la sienne). Il s’exécute.
C. : Maintenant, Fred, lorsque je descends ma main ainsi (elle descend sa main), fermez
vos paupières très lentement, c’est ça, parfait. Et quand la main se relève ainsi (elle
remonte sa paume vers le haut), prenez une inspiration et rouvrez les yeux en fixant ce
point (elle montre un point noir sur le plafond de l’ambulance), et quand la main
redescend ainsi (elle baisse sa main et donc celle de Fred), laissez le corps souffler et
fermez lentement les paupières, et la main remonte, alors vous les rouvrez doucement
et fixez le point. Vous faites ça très bien (félicitations pour le sentiment de compétence).
Ici, le rituel mis en place est vraiment très simple, mais il permet de vérifier
que Fred comprend, qu’il suit, ce qui permet à Clothilde de vérifier sa
réactivité. En suivant ce rituel, Fred répond volontairement, mais aussi de
manière automatique, car, par exemple, lorsque les paupières s’ouvrent, des
muscles de l’œil s’actionnent automatiquement pour tenter la mise au point.
D’autre part, le contact de Clothilde avec la main de Fred lui permet de
développer une sensibilité tactile lui donnant de l’information sur Fred
(tonus musculaire, tension, relâchement, sudation éventuelle, etc.).
Ce petit rituel canalise la conscience de Fred sur les paupières, mais aussi sur
le mouvement de la main. Il y a ainsi focalisation de la conscience, que ce
soit yeux ouverts ou fermés et donc canalisation de la conscience sur une
activité très restreinte. Clothilde gagnera ensuite à se caler sur la respiration
de Fred, pour qu’il continue à suivre, mais de plus en plus automatiquement,
sans avoir besoin d’y réfléchir, permettant ainsi d’éloigner un peu plus la
conscience déjà restreinte. Comme vous le percevez, il n’y a encore pas de
suggestions menant vers l’état hypnotique. Nous améliorerons encore ce
rituel ensuite.
Cependant, ce petit rituel va aussi donner beaucoup d’informations sur la
réactivité de Fred. Nous allons définir dans le paragraphe suivant ce qu’est la
réactivité.
10. Conclusion
LA VITESSE
Dr Nazmine Guler
1. Introduction
Certains mots sont toxiques, ne soyons pas iatrogènes. On dit parfois que « le
cerveau n’entend pas la négation ». Une façon de dire que nier quelque
chose, c’est parfois attirer l’attention dessus. Ainsi, dans une phrase telle que :
« Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal, ce n’est pas grave », le patient
retiendra « inquiétez », « mal » et « grave » et l’on obtiendra l’inverse de
l’effet attendu. Il est préférable de dire « Soyez rassuré, ça va aller » pour
calmer un patient.
Ce n’est pas si simple. Certaines phrases sont entrées dans notre langage
courant. Mais à l’origine d’un effet nocebo, comme jeter de l’huile sur le feu
pour l’éteindre.
Préférez donc les phrases affirmatives, parlez au présent. Votre langage
corporel et votre posture doivent dire la même chose, sinon vous ne serez pas
crédible. Dans une relation, les neurones miroirs s’activent et permettent
ainsi que ce que vous exprimez corporellement (que ce soit positif ou
négatif) se transmet aux patients, aux collègues et à vos proches.
Il y a suffisamment de stress, de peur, d’angoisse de douleurs aux urgences :
inutile de les amplifier. L’asepsie du langage est indispensable comme « se
laver les mains » avant de commencer un soin.
I.P. Semmelweis, jeune médecin hongrois, démontra en 1844 l’utilité
du lavage des mains après la dissection d’un cadavre afin de diminuer la
mortalité des jeunes femmes que les étudiants accouchaient juste après. À
l’époque, on ne l’a pas cru. Comment le médecin pouvait-il, sur ses propres
mains, amener la mort au patient ?
Si je ne me lave pas les mains avant un soin, j’augmente le risque d’infection
avec un risque de gangrène pour les patients fragiles. Si je ne fais pas l’asepsie
du langage, je risque d’exacerber une douleur et d’augmenter les émotions
négatives voire même de provoquer une crise d’angoisse ou d’agitation.
Même, et surtout en urgence, il faut expliquer au patient les soins que nous
lui procurons, sans alarmer inutilement en gardant une posture rassurante.
Transe ou pas, « aseptiser » son langage est essentiel : nous préparons le
terrain d’une relation apaisée.
Il y a quelques années, j’avais demandé à une manipulatrice de radiologie
d’éviter de dire aux patients en train de passer un scanner avec injection
d’iode en urgence « Attention, je vais injecter un produit qui brûle, ça va
chauffer ! » et à la place, de dire plutôt « Vous allez ressentir une sensation de
chaleur et c’est normal ». Les retours d’expérience confirment que les
patients, plutôt que de ressentir une brûlure désagréable et anxiogène avant
même l’injection d’iode, vivent une expérience qui leur est particulière, mais
surtout plus confortable. Les patients ne se plaignent plus et partagent cette
expérience.
De même, il est préférable d’éviter de dire : « Attention, je vais vous
piquer », « Avez-vous encore mal ? », « Ne bougez pas ».
Préférez : « Êtes-vous assez soulagé ? » « Est-ce plus confortable/Est-ce que
ça va mieux ? », « Restez tranquille », « Soyez rassuré ».
Le fils d’un patient est en colère car sa mère a attendu huit heures sur un brancard
avant d’être installée. L’infirmière prévient le médecin qui va la prendre en charge de
l’agressivité de l’accompagnant. Nul besoin de vous expliquer comment l’effet nocebo
(l’effet d’attente négative) commence déjà à agir sur le personnel soignant.
- Le fils : « Ah enfin un médecin ! Cela fait huit heures qu’on attend, c’est inadmissible,
ici on peut crever la bouche ouverte ! »
- Le médecin : « Huit heures ? Ah, effectivement, ça fait huit heures, c’est difficile et
difficilement admissible ; vous avez raison d’être en colère ! Ce n’est pas normal
d’attendre aussi longtemps »
- Le fils : « Non mais, vous vous moquez de moi ? »
- Le médecin : « Est ce que j’ai l’air de me moquer de vous ? Je trouve que c’est
inadmissible et pire, je trouve que c’est de la maltraitance. Comment avez-vous fait
pour tenir huit heures ? Je pense que je serais partie, ou alors, si c’était ma mère sur ce
brancard, je me serais moi aussi énervée, et avant ! »
- Le fils : « Vous êtes sérieuse ? »
- Le médecin : « Oui, monsieur. Il est vrai qu’on a fait ce qu’on a pu, qu’on a essayé de
prendre les patients en fonction de la gravité et de l’heure arrivée, mais on manque de
personnel, et nous non plus, nous n’aimons pas que ça se passe comme ça… Tout à
l’heure, vous avez dit à l’infirmière que vous vouliez faire un courrier. Vous pouvez.
Écrivez, cela va nous soutenir. Nous non plus on ne veut pas continuer comme cela ! »
- Le fils : « Non mais docteur, je sais que c’est dur pour vous aussi, je vous vois courir
partout. C’est parce que je suis inquiet… »
- Le médecin : « C’est normal et heureusement que vous vous inquiétez pour elle,
maintenant, si vous êtes d’accord, je vais examiner votre maman ».
Exemple 1
« Docteur, je ne veux pas rester aux urgences. Je passe ma vie à l’hôpital. Je ne veux
pas de médicament. La dernière fois, je n’ai pas réussi à me relâcher, j’avais trop mal et
à cause des médicaments, on m’a gardée pour une dialyse !»
J’installe donc la patiente dans un endroit sûr hypnotiquement, un lieu où elle se sent
bien sans l’interroger auparavant et sans lui demander où elle aimerait être. Je brode
de manière très indirecte et permissive autour d’un lieu sûr (un lieu où l’on se sent en
sécurité) : « Vos yeux peuvent voir des couleurs, des odeurs, des personnes, la nature
ou bien autre chose », « les oreilles entendent des bruits familiers peut-être, peut-être
pas, la nature, des voix ou bien quelque chose de différent connu ou bien inconnu, je ne
sais pas », « peut-être vous êtes accompagnée, peut-être pas, ou bien en train de faire
une activité favorite ou bien celle qui vous convient là maintenant », « vous pouvez
ressentir la lumière du jour ou bien celle du soir ou bien autre chose, peut-être la
chaleur ou bien de la fraîcheur ou bien une température plus neutre encore », etc.
Et dans ce lieu sûr, je formule une suggestion directe : « un petit vent agréable caresse
l’épaule, le bras, les sensations changent, les muscles se détendent, ils se relâchent
et maintenant, ils ne ressentent presque plus rien, quelque chose de confortable
arrive et là je vous demande de me confier ce bras cette épaule le temps des soins
pendant que le corps profite et fait ce qu’il a à faire dans cet endroit agréable… ». La
suggestion directe apporte bien le relâchement musculaire et l’analgésie. Concernant
le lieu sûr, le demander avant la séance au patient est possible évidemment. Mais il est
parfois plus simple de ne pas le connaître. Lors d’une séance d’hypnose, on suggère
souvent au patient de s’installer dans un endroit agréable où il se sent bien, lieu que
l’on a auparavant défini avec lui.
Sinon, on le laisse libre d’aller où il le souhaite sans aucune information préalable par
le biais de suggestions indirectes et permissives (« Vous pouvez ressentir toutes les
sensations liées à cet endroit... ») sachant que son lieu se précisera naturellement dans
son imaginaire au cours de la séance. Le patient aura ainsi l’impression d’avoir du
contrôle et d’être plus libre.
Exemple 2
Lors d’une ponction lombaire sous hypnose, un jeune patient souhaitait aller voir la
mer.
À son réveil, je lui demande : « C’était bien la mer ? ». Il me répond : « Docteur, la mer
ça m’a saoulé, je suis parti à Berlin ! » Très surprise, je poursuis « Mais cela ne vous a
pas dérangé ? J’ai parlé de la mer et du sable tout le temps ! » Étonnement !
« Franchement non, je ne vous entendais plus. »
Conclusion
Le patient fait vraiment ce dont il a envie. Depuis ces expériences, je ne
demande presque plus son lieu sûr au patient, cela lui laisse un espace de
liberté et je gagne du temps.
« Écoutez le patient », conseillait, parait-il, Erickson comme quelque chose
de primordial, « observer, observer, observer puis, pratiquer, pratiquer,
pratiquer ».
Le réveil ne pose généralement pas de problème. Penser simplement à ne pas
réveiller un patient en lui parlant sur le même ton calme et dissocié.
Reprenez une voix normale, parlez énergiquement et laissez-lui du temps. À
la fin, vérifiez l’orientation temporo-spatiale du patient.
La catalepsie
La catalepsie est également une technique avantageuse. Son intérêt est
multiple :
— vérifier que le patient est bien en état de transe hypnotique, au moins
légère puisqu’il produit un phénomène (ce qui rassurera le thérapeute
débutant) ;
— surprendre le patient et favoriser la transe ; notamment dans un geste
« d’arrêt » (des ruminations anxieuses, du mouvement…) ; par ce
phénomène on obtient une confusion. Par cet arrêt de mouvement
involontaire, surprenant, on peut « embrouiller » encore la conscience
rationnelle ;
— convaincre le patient et les collègues : chacun voit à travers cette
catalepsie qu’il se passe quelque chose de différent ; par ce phénomène
on obtient une confusion. Par cet arrêt de mouvement involontaire,
surprenant, on peut « embrouiller » encore la conscience rationnelle. En
conscience ordinaire, garder son bras en suspension demande un effort
volontaire et provoque rapidement une fatigue verbalisée par le patient,
alors qu’en hypnose cette immobilité n’entraîne pas de fatigue comme si
le bras tenait tout seul sans effort. Ce mouvement involontaire et cette
aisance, sans fatigue, à le maintenir, provoquent une surprise et curiosité
chez le patient et les collègues.
La catalepsie peut être utilisée à chaque étape de l’hypnose : au début à
l’induction, à l’approfondissement, ou au moment du travail.
Pratiquer l’hypnose en contexte pré-hospitalier
Au début de ma pratique, je me suis rendu compte que nous passions,
parfois, du temps pendant le transport SMUR entre le domicile du patient et
l’hôpital. Était-il possible de faire de l’hypnose pendant ce temps, malgré les
bruits et les secousses ?
■ En SMUR
■ En SAMU-Centre 15
Au Samu-Centre 15, il est possible de mieux contrôler la régulation médicale
avec des outils simples (qui seront illustrés plus loin par un cas clinique) :
— la communication positive, épurée de termes toxiques, est
fondamentale. On peut parfaire cette communication avec quelques
autres techniques (présentées ci-dessous) ;
— le saupoudrage : insister sur un mot porteur d’une suggestion,
notamment à connotation positive (« plus confortable » au lieu de
« moins douloureux » ; « réussir » plutôt que « d’essayer », « dès que vous
pouvez » au lieu de « si vous le pouvez » ;
— la liaison : pas de « mais » car le « mais » annule le début de phrase,
remplacer par « oui et », lier toutes les phrases entre elles par des « et »
« et puis » « alors ». Par exemple, ne dîtes pas : « C’est difficile mais »,
dîtes plutôt : « C’est difficile ET on va vous aider ») ;
— la gratification : complimenter l’appelant pour son action,
principalement lorsqu’il effectue des gestes de secourisme à la demande
du médecin régulateur ;
— le pacing : parler au rythme du patient pour être synchrone avec lui ;
— la directivité : faire preuve d’autorité bienveillante.
Bien sûr, toutes les techniques peuvent être utilisées simultanément, c’est-à-
dire que les mots positifs sont saupoudrés et liés les uns aux autres avec une
posture bienveillante directive. Tout cela s’apprend en formation et il faut
l’avoir très consciemment en tête au moment des appels avant que cela ne
devienne automatique.
Une patiente de 73 ans appelle le SAMU pour son mari en arrêt cardiaque,
situation terrible et extrême qui implique d’être en position haute d’emblée
avec quelques transitions en position basse.
La communication est positive, directive, saupoudrée de mots rassurants
(mis en gras ci-dessous), des liaisons et des compliments nécessaires.
— L’épouse : « Docteur s’il vous plait, venez vite, mon mari ne bouge plus,
il est tout bleu, il est mort au secours, aidez-moi je vous en supplie !»
— Le médecin : « Madame, les secours arrivent très vite avec un médecin,
soyez rassurée, écoutez-moi, c’est important ».
— L’épouse : « J’ai peur, il est tout bleu, il est mort ! »
— Le médecin : « C’est normal d’avoir peur (empathie, acceptation),
Madame, maintenant écoutez-moi, c’est très important, très
important, les secours arrivent très vite avec un médecin, soyez
rassurée. Maintenant c’est encore plus important et très important de
m’écouter, je vais vous conseiller et vous devez faire le massage
cardiaque, c’est très important, je vous accompagne le temps que les
secours arrivent ».
Cas concret
Un adolescent est transporté aux urgences pour une plaie du front nécessitant une
suture.
La seule chose qu’il dit : « J’ai peur ». Je lui propose de l’hypnose et l’installe
hypnotiquement dans un lieu sûr en réalisant une anesthésie hypnotique. Pour cela, je
mélange des suggestions plus directes d’analgésie et le cadre général de ma séance de
« lieu sûr ». C’est-à-dire comme décrit précédemment, lui suggérer d’aller dans un
endroit où il se sent bien, afin d’endormir le front pour le rendre insensible à la douleur
et rendre ainsi les soins plus confortables.
Mauvaise surprise ! Cela ne fonctionne pas et le patient sort de transe se plaignant de
douleur. Pourtant, cette technique marche souvent très bien ! La situation m’est très
inconfortable.
Je me souviens alors des mots du jeune homme lors de son arrivée : « J’ai peur ».
Je me rends compte ne pas l’avoir assez écouté et surtout, ne pas avoir pris en
considération son anxiété. Il a besoin d’être rassuré et avant tout que l’on tienne compte
de son angoisse.
Je passe au « plan B » : je le rejoins là où il est ; il est inutile de lui dire de se calmer car
s’il le pouvait, il l’aurait déjà fait.
Le stress le fait respirer très vite. Je lui suggère alors de bien faire ce qu’il sait déjà
faire, à savoir respirer vite et de plus en plus vite. Du fait de l’alcalose respiratoire, il
ressent des fourmillements au niveau des bras et des jambes que je transporte
hypnotiquement au niveau du front pour suturer sans anesthésie locale, pendant qu’il
est occupé à respirer très vite.
8. Conclusion
Alors que j’étais dans le jury d’examen d’une jeune infirmière qui présentait
son mémoire sur l’hypnose en milieu hospitalier, je suis restée sidérée par le
résultat de son questionnaire soumis aux hypnopraticiens du centre
hospitalier référent. Sur les vingt personnes interrogées (d’obédiences et
d’anciennetés diverses quant à la pratique de l’hypnose, formées à des
endroits différents avec une expérience allant de de six mois à dix ans), toutes
ont répondu à l’unanimité que leur limite à la pratique de l’hypnose était la
douleur aiguë. J’étais consternée.
Trop de praticiens se sentent démunis dès que le contexte devient hostile, dès
que le temps manque ou que le patient, dans un doux euphémisme,
manifeste un peu trop bruyamment son inconfort.
Certes la douleur aiguë n’est pas toujours accessible à l’hypnose mais dans de
nombreux cas, la raison en est la procédure d’approche inadaptée car trop
stéréotypée, trop longue et réservée aux longs fleuves tranquilles. Les
protocoles classiques et efficients menés dans un cadre paisible ne
fonctionnent plus lorsque le patient est en stress dépassé. Les croyances
limitantes brident le praticien : « On n’a pas assez de temps », « L’ambiance
n’est pas assez calme », « On est sans arrêt dérangé ». Ces assertions classiques
oublient manifestement la souplesse infinie qu’autorisent les techniques
hypnotiques. À nous le charme des inductions rapides, l’alliance
opportuniste avec l’ambiance sonore, et les vertus indéniables de la transe
fractionnée67 qui, rappelons-le, est une technique puissante
d’approfondissement. Les contraintes et interruptions incontournables
inhérentes à l’intervention extrahospitalière n’entravent en rien la réceptivité
du patient, bien au contraire. C’est-à-dire que si l’alliance hypnotique avec le
patient est rompue quelques instants, elle se renforce d’autant dès sa reprise.
Ceci posé, en contexte d’urgence, la polyvalence du praticien s’avère
indispensable, c’est ce genre de détail qui change la donne. Il faut connaître
tous les rouages de l’hypnose et l’éventail de l’hypnose technique disponible
sur le bout des doigts pour se mettre au service du patient et de sa situation
(parfois, épique) avec la compliance d’un caméléon.
Autrement dit, utiliser tout ce que nous savons et tout ce qui passe à notre
portée, le matériel, le personnel et même le patient lui-même. Pour m’être
volontairement formée à plusieurs « formes d’hypnose » (ericksonienne,
traditionnelle, rapide…) et les avoir adaptées aux contextes difficiles, je
trouve fort dommage que trop de praticiens abandonnent le combat avant de
l’avoir tenté limités, peut-être, par un arsenal trop pauvre. Ce chapitre, et ce
livre, sont donc faits pour que vous n’abandonniez pas !
C’est justement la lutte altruiste pour le bien-être du patient qui rend créatif
et inventif. Quand l’enjeu est la protection immédiate et rapide d’une
victime, le contexte devient rapidement une formidable source d’inspiration
et regorge d’inductions opportunistes. Quand j’explique ce qu’est une
induction, j’illustre souvent mon propos par cet exemple très pragmatique.
Imaginez que vous êtes à côté d’un enfant de cinq ans et que là, juste à côté,
se déroule une abomination à laquelle vous voulez le soustraire.
Soudainement, votre cerveau va faire montre d’une créativité incroyable
pour focaliser cet enfant sur quelque chose que votre savoir-faire et votre
technicité transformeront de « diversion » en « induction ». C’est presque la
pierre philosophale du soin : changer l’horreur en bonheur !
En résumé, l’hypnose « extrême » implique, tout d’abord et bien
évidemment, de maîtriser son geste médical et de garantir la sécurité du
patient avant de songer à utiliser l’hypnose. Ensuite, viennent la réactivité,
l’inventivité, « l’utilisationisme », cher à Erickson et un certain stoïcisme
quant aux agressions extérieures.
Il faut savoir ignorer les sourires goguenards et le scepticisme ambiant et
même s’en réjouir quand ils aboutissent à la naissance d’une vocation chez
l’observateur initialement hostile. Les meilleurs ambassadeurs de notre
croisade restent les convertis (anciens sceptiques).
1. « Réifier » signifie « rendre chose » : c’est transformer une sensation en représentation mentale d’un « objet »
qui a une forme, une couleur, etc. (par exemple, « comme un poignard dans ma jambe », « comme une boule
d’angoisse », etc.)
2. C’est-à-dire en faisant produire au patient une série d’approbations qui renforcent l’alliance et accompagnent
progressivement vers un changement.
1. C’est-à-dire le fait d’approuver ce qui se passe pour le patient, comme « voilà, c’est très bien ».
Parlons maintenant des petits clins d’œil qui ont jalonné mon parcours
opérationnel, de l’intervention tranquille aux situations franchement
périlleuses, l’hypnose a su s’adapter et se saupoudrer partout. De la poudre
d’hypnose qui s’insinue dès qu’elle peut, même trois secondes, pour
simplifier la vie des gens (la victime, l’équipe, l’intervenant).
Partout : avec les enfants, les vieillards, quand le temps est compté, et même
quand les gens sont, a priori, peu coopérants. Du petit saupoudrage
conversationnel léger aux turbos inductions lumineuses dignes d’une aurore
boréale, n’hésitez jamais à sortir de votre poche cette poudre d’étoile qui fait
papillonner les yeux même des plus réticents. À chaque situation sa stratégie,
le tout est qu’on y arrive et pour reprendre les mots de mon Colonel au sujet
de ma pratique : « (Vous savez Cécile), moi je m’en moque, qu’on utilise une
petite lance ou une grande lance, tant que le feu est éteint vous avez carte
blanche ! »
Et pour illustrer encore ces principes, voici, pêle-mêle, des petits instants
d’hypnose furtive, informelle, esquissée ou plus « agressive », intégrée façon
camouflage à l’aventure du patient.
Le pompier créatif, champion de la restitution d’autonomie (preuve qu’il a
tout compris !) qui décroche ses galons pour les poser sur la poitrine d’un
petit garçon terrorisé et à qui il confie le pseudo-commandement de
l’intervention.
L’infirmier militaire à qui j’ai appris à utiliser les seules zones corporelles
accessibles laissées par l’équipement lourd pour faire une induction rapide.
L’improvisation opportuniste que je prône sans cesse et qui nous fait utiliser
la fraîcheur d’une perfusion ou un simple sachet de thé qu’on frotte près de
l’oreille pour démarrer une induction.
La chasse aux Strubitchs qui ravit les enfants et révolutionne les poses de
perfusion…
Les inductions vibratoires (bouche contre oreille, à basse fréquence) quand la
discrétion est de rigueur ou au contraire quand le niveau sonore est trop
élevé et que le bruit ambiant couvre notre voix.
Faites feu de tout bois et si possible de manière rapide. Développez une
réactivité maximale en partant de ce qu’amène le patient ou la victime.
Gagnez du temps et libérez votre créativité.
7. Conclusion
Des petites histoires comme celles-ci, j’en ai plein mon sac d’intervention,
offertes par des gens formidables qui, malgré leur souffrance, ont bien voulu
accepter le modeste outil que je leur offrais. Certains ont compris que c’était
de l’hypnose, d’autres n’ont rien voulu savoir de cet état particulier qu’ils ont
juste savouré au milieu d’un séisme émotionnel. Mais aucun d’entre eux n’a
jamais mal réagi.
Et dans un moment de vie où l’ésotérisme n’a pas sa place, il y a bien un
petit sésame pour proposer, de manière élégante, au patient d’être hypnotisé.
Quand le temps est compté et que le mot « hypnose » semble incongru voire
déplacé, une petite phrase magique parfois suffit… même si elle est
emprunte de paradoxe.
Osez partir d’une phrase non édulcorée, apparemment presque « toxique »
tant elle valide sa souffrance pour ensuite, mieux la juguler et installer
rapidement une alliance implicite pourvoyeuse d’autonomie.
En quelques petits mots simples, vous pouvez obtenir ce résultat.
« Je vois que ça ne va pas, ça vous intéresse qu’ensemble on améliore un
peu ça ? »
Et entre nous, restons simples : dans un contexte aigu, qui répondrait « non »
à cette question-là ?
66. Groupes de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux, sauvetage en montagne…
67. Technique qui consiste à faire entrer et ressortir le patient de transe, plusieurs fois, et qui a pour effet d’intensifier
l’état hypnotique à chaque « réentrée en transe ».
68. Techniques verbales qui donnent une directive impliquée, implicite ou présupposée, que le patient perçoit sans l’avoir
vraiment entendue. Par exemple : « Vous sentez une différence plutôt à droite ou à gauche? », « Quand vos yeux se
fermeront, vous constaterez ce qui se produit en vous ». On trouvera des exemples et définitions dans Megglé D.,
Erickson, hypnose et psychothérapie, Retz (2005) ou dans les nombreux ouvrages sur les techniques de base de l’hypnose.
69. Technique qui consiste à occuper, à mobiliser plusieurs canaux sensoriels ou plusieurs facultés du patient à la fois en
lui demandant entre autres d’effectuer ou de constater, de ressentir plusieurs choses à la fois. L’effet de saturation
consciente permet de faciliter l’abaissement des résistances et l’entrée en transe.
70. L’induction désigne les manœuvres qui permettent de passer de l’état de conscience habituel (« veille ») à l’état
hypnotique (« transe »).
6 L’hypnose en anesthésie non programmée
Denys Coester
1. Le contexte
1. « Words are, of course, the most powerful drug used by mankind », une des plus célèbres citations de Kipling
issue d’un discours prononcé au Royal College of Surgeons à Londres en 1923.
2. Truisme = le fait de dire l’évidence. Par exemple, vous êtes en train de lire ce livre.
Définition
La technique la plus classique dans le cadre de l’utilisation de l’hypnose en
anesthésie est l’adjonction d’une anesthésie locale, d’une sédation légère et
de la suggestion d’un « safe place » (« lieu de sécurité ») ou de
l’accompagnement du patient dans un souvenir agréable. Cette technique est
à la fois une induction et un accompagnement hypnotique. C’est le classique
« pensez à vos dernières vacances » qui est très utilisé par le personnel du bloc
opératoire, mais parfois un peu hors de propos pour un patient opéré en
urgence qui a autre chose à penser qu’à ses dernières vacances.
Dans la position du patient qui doit se faire opérer, la notion de souvenir
agréable, ainsi imposé, peut paraître en opposition totale avec son état
d’esprit. On peut néanmoins le proposer, mais peut-être de manière
détournée : « Si je vous propose de revivre un souvenir agréable (ou d’aller
dans un lieu particulier), lequel vous vient spontanément ? » ou bien plus
simplement « où voudriez-vous être ? ».
Il s’agit d’inviter le patient (en général, les yeux fermés) à revivre, par
l’imaginaire, un souvenir, et à ressentir les émotions qu’il y a vécues. Cette
technique simple peut s’utiliser en association à une anesthésie locale ou
locorégionale lors d’une intervention ou avant une anesthésie générale.
Les étapes
L’accompagnement du patient dans un souvenir passe par plusieurs étapes :
— le recueil du thème. Il n’y a pas besoin d’obtenir beaucoup de détails. Il
s’agit souvent d’un endroit dans la nature (campagne, mer, forêt, etc.). Il
est utile de recueillir des éléments VAKOG et d’utiliser les six serviteurs
de Kypling : qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Et pourquoi ?
« I keep six honest serving men
They taught me all I knew
Their names are what and why and when
And how and where and who”
— éventuellement convenir d’un signaling c’est-à-dire d’un geste simple
pour communiquer. Bien sûr, il est possible de garder un contact verbal
avec un patient en transe mais il est parfois plus facile de convenir de
gestes simples comme lever un doigt ou faire une grimace en cas
d’inconfort ;
— l’orientation dans l’ici et le maintenant. Avec cette série de truismes,
le praticien invite le patient à prendre sa place dans un environnement
qui lui est étranger. Il s’approprie le lieu. Cela démystifie le bloc
opératoire et prépare à la transe. En se focalisant sur l’extérieur, le patient
se défocalise de son état intérieur.
— l’accompagnement progressif vers le souvenir. Il est important
d’avoir un langage flou qui permet au soignant d’être toujours connecté
au patient. Il est aussi fondamental d’avoir un feed back du patient. Par
exemple, si le praticien commence par évoquer une balade en forêt et
qu’au cours de la transe, un mot comme « soleil » renvoie le patient à la
mer, par exemple, le lien peut être rompu si le praticien ne s’est pas
enquis du feed back, en lui demandant ce qui se passe, par exemple.
Cela me rappelle le cas d’un praticien qui a accompagné son patient sur le
thème d’un souvenir de plage. Le patient était complètement embarqué dans
l’histoire mais en est sorti à l’évocation du mot « maillot de bain ». Dans son
souvenir revisité par la transe, le patient se voyait seul et nu sur la plage. Le
maillot de bain n’était donc pas adapté à la situation et le lien a été rompu ;
— les suggestions post-hypnotiques. Elles sont le plus souvent une
prescription de guérison, de réussite de l’opération, de bien-être, de
confort, de cicatrisation, d’immunité… Il y a une suggestion post-
hypnotique que j’utilise souvent : « et vous retournez chez vous avec le
souvenir de cette opération qui s’est tellement bien passée » ;
— la réorientation dans l’ici et le maintenant. Le patient quitte sa transe
pour retrouver le lieu, désormais familier, du bloc opératoire. En
retrouvant cet espace, le patient prend conscience qu’il est réveillé et que
l’intervention s’est achevée.
La technique de l’accompagnement dans un souvenir ou dans un lieu
ressource est certainement la technique la plus simple et intuitive à mettre en
place. En outre, elle est respectueuse et écologique, parce qu’on laisse au
patient la liberté du choix d’un souvenir qui lui fait du bien. Elle peut être
utilisée chez l’enfant.
Quand on est dans une situation « urgente » ou que l’on veut gagner du
temps, on peut avoir besoin d’une induction assez rapide pour focaliser
l’attention du patient. Ces inductions hypnotiques simples peuvent se
poursuivre par l’accompagnement décrit ci-dessus, qui n’en sera que plus
intense.
Le crâne de verre
Cette technique est simple et efficace. Elle peut même se pratiquer sur un
patient allongé. C’est l’induction rapide que je préfère. Elle se fait en
plusieurs étapes :
— une focalisation ;
— une convergence des globes oculaires vers le haut ;
— et une injonction.
Pour cette dernière étape : le praticien propose au patient de fixer l’extrémité
d’un de ses doigts en lui suggérant qu’à l’instant où le doigt du praticien
touchera le front du patient, celui-ci fermera les yeux et suivra le doigt du
regard comme s’il avait un crâne en verre. Le praticien fait glisser son doigt
jusqu’au sommet du crâne du patient. Ses yeux seront alors révulsés. Le
praticien donne alors la suggestion que les paupières sont bien fermées et que
le patient peut se relaxer.
Il est physiologiquement impossible d’ouvrir les paupières quand celles-ci
sont fermées et que les yeux regardent en l’air. Ainsi la suggestion s’appuie et
se renforce grâce à un phénomène purement anatomique.
Ces deux techniques sont rapides et efficaces et peuvent se combiner
facilement entre elles et se suivre par un accompagnement hypnotique.
Induction d’Elman
Bien que Dave Elman76 soit bien moins connu en France qu’Erickson, son
induction est certainement une des plus pratiquée dans le monde. Dave
Elman était homme de radio et de scène mais il a formé de nombreux
médecins à l’hypnose. Son propre père souffrant de douleurs chroniques
soulagées par l’hypnose, le jeune Dave Elman s’est beaucoup intéressé à ce
sujet.
Voici une traduction de cette induction que l’on peut retrouver dans le livre
Hypnotherapy77. Là encore, il est possible de poursuivre avec un
accompagnement hypnotique ou alors de l’associer à une anesthésie
locorégionale ou générale.
- « Maintenant, prenez une longue inspiration profonde et maintenez-la pendant
quelques secondes. En expirant, permettez à vos paupières de se fermer (ici, on fait un
mouvement de la main doucement du haut vers le bas devant les yeux du sujet) et laissez
aller la tension de surface de votre corps. Laissez votre corps se détendre le plus
possible maintenant.
Maintenant, concentrez-vous sur les muscles de vos paupières et détendez tous les
muscles autour de vos yeux de façon à ce qu’ils ne fonctionnent plus. Au moment où
vous êtes convaincu qu’aussi longtemps que vous maintenez ce niveau de relaxation à
vos paupières, elles ne fonctionneront plus alors gardez cette relaxation et testez-les
pour vous assurer qu’elles ne fonctionnent pas. Attendez 3 à 4 secondes et dites “Vous
pouvez cesser de tester maintenant”.
Cette détente complète que vous avez appliquée à vos yeux est la même qualité de
détente que je voudrais vous voir appliquer à tout votre corps. Alors, laissez cette
qualité de détente totale circuler librement dans tout votre corps, du haut de votre tête
jusqu’au bout de vos pieds.
Maintenant, vous pouvez approfondir cette détente encore plus. Dans un moment, je
vais vous demander d’ouvrir et de refermer les yeux. Au moment où vous refermez les
yeux, ce sera pour vous le signal qui vous indiquera de laisser cette sensation de
détente devenir dix fois plus profonde. Tout ce que vous avez à faire c’est de désirer
que cela se produise et vous pourrez faire en sorte que ça se produise très aisément.
Alors, maintenant, ouvrez les yeux (faire un mouvement, en douceur, de la main, de bas
en haut devant les yeux du patient). Refermez vos yeux (mouvement de main vers le bas)
et sentez bien toute cette détente circuler à travers tout votre corps, et vous amener
encore plus en profondeur. Servez-vous de votre imagination et imaginez que tout votre
corps est confortablement lové dans une couverture douce et moelleuse de relaxation
et de détente.
À présent, vous pouvez encore approfondir cette détente. Dans un moment, je vais vous
demander d’ouvrir vos yeux, une fois de plus. De la même façon, quand vous fermerez
les yeux vous doublerez cette relaxation ; laissez cette détente devenir deux fois plus
profonde… Maintenant, encore une fois, ouvrez les yeux (mouvement de main vers le
haut et refermez-les (mouvement de main vers le bas) et doublez cette douce détente…
Très bien… Laissez chaque muscle de votre corps devenir tellement détendu, qu’aussi
longtemps que vous maintenez ce niveau de détente, ils ne fonctionneront plus.
Dans un instant, je vais lever votre main en la prenant par le poignet, juste quelques
centimètres, et la relâcher. Si vous avez bien suivi toutes mes instructions depuis le
début, cette main sera tellement détendue qu’elle sera aussi molle et lourde qu’un
chiffon mouillé et elle se laissera tomber sans aucune retenue. N’essayez pas de
m’aider. Laissez la main être lourde et molle. Voilà... comme ça, c’est une détente totale
maintenant.
Vous savez sûrement déjà qu’il y a deux façons de se détendre. Vous pouvez vous
détendre physiquement, et vous pouvez vous détendre mentalement. Vous avez fait la
preuve que vous pouvez vous détendre physiquement alors maintenant, laissez-moi
vous montrer comment vous détendre mentalement.
Dans un petit moment, je vous demanderai de compter à rebours à voix haute à partir
de 100. Voici le secret de la détente mentale. À chaque nombre que vous direz à voix
haute, vous allez doubler votre détente mentale. À chaque fois que vous dites un
nombre, vous laissez votre esprit devenir deux fois plus détendu. Alors, si vous faites
comme ça, et peut-être même avant, votre esprit sera devenu tellement relaxé et
détendu que vous allez laisser disparaître tous les autres nombres qui seraient venus
après 98. Il n’y aura plus alors d’autres nombres, ils auront disparu. Vous devez faire
cela pour vous-même, je ne peux pas le faire pour vous. Ces nombres s’en iront, si vous
voulez bien qu’ils disparaissent. Alors, commencez avez l’idée que c’est bien ce que
vous ferez et vous pourrez alors facilement les faire disparaître de votre esprit.
- Maintenant, dites le premier nombre, 100, et doublez votre détente mentale…
- 100.
- Doublez votre détente mentale et commencez à laisser les autres nombres dériver au
loin…
- 99.
- Doublez votre détente mentale et laissez tous les autres nombres disparaître au loin.
- 98.
- Maintenant, laissez-les tous partir, bannissez-les… Faites en sorte que ça se produise
comme ça, vous pouvez le faire et je ne peux pas le faire pour vous. Poussez-les en
dehors de votre esprit. Faites-le… Sont-ils tous partis ? »
Le sujet dit oui. Il est possible d’approfondir la transe et de poursuivre avec un
accompagnement hypnotique.
Cette induction peut paraître longue mais elle permet d’atteindre un état de
relaxation profond en quelques minutes.
Conclusion
Le point positif est que l’hypnose en urgence au bloc opératoire est facilitée
par la transe négative (une transe désagréable, focalisée et absorbée sur des
sensations négatives et non « positives » comme le confort et la relaxation du
patient qu’il suffit de rediriger) ; le point plus difficile au début est que le
praticien doit se montrer sûr de lui et être prêt à improviser.
Un acronyme, un peu carabin, résume bien les qualités requises : COIT,
pour Confiance, Opportunisme, Imagination, Technique.
L’utilisation de l’humour est conseillée (manié avec respect, bien sûr). Aux
yeux d’un patient, si le médecin se permet de plaisanter et montre une
certaine assurance, c’est que la situation est simple et que le médecin est sûr
de sa prise en charge.
71. Cuvillon et al., « Hypnose et anesthésie en 2019 : l’état de l’art », Congrès de la SFAR, 2019,
https://sfar.org/download/hypnose-et-anesthesie-en-2019-etat-de-lart/.
72. Elvira V Lang et al., « Can words hurt? Patient-provider interactions during invasive procedures », Pain, 2005 Mar.
73. Coué, E (1922a), La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente : autrefois de la suggestion et de ses
applications, Nancy, 1922.
74. Lang E et al., « Can words hurt? Patient-provider interactions during invasive procedures ». PMID: 15733657.DOI:
10.1016/j.pain.2004.12.028.
75. Erickson et Rossi, Collected Papers of milton Erickson, T4, Éditions Satas, 2001, p. 309.
76. (1900-1967) Homme de théâtre et de télévision, il s’intéressa à l’hypnose et, bien que non soignant, l’enseigna à des
médecins et dentistes ; il reste connu dans le milieu pour son induction assez rapide et la pratique de l’hypnoanalyse.
77. Elman D, Hypnotherapy, Westwood Publishing Co, 1984.
7 Rôle de l’infirmier praticien en hypnose dans
les contextes urgents
Florent Hamon
Le rôle de l’infirmier dans l’équipe de soins lui offre une place charnière dans
la gestion de l’urgence. Il doit à la fois être disponible pour le patient,
l’écouter, le rassurer tout en effectuant des gestes techniques, et pour le
médecin, préparer et mettre en œuvre les prescriptions. La proximité amenée
par la répétition de soins quotidiens fait de l’infirmier un interlocuteur
privilégié pour le patient.
Le temps consacré à la relation dans les soins est de plus en plus compressé
par souci d’efficience. La déshumanisation des soins progresse par souci de
rentabilité. Mais le rôle infirmier ne se cantonne pas au geste technique.
L’hypnose nous aide à utiliser au mieux ce temps relationnel qui nous reste, à
le rendre plus utile et humain. En situations d’urgence, l’hypnose trouve tout
son intérêt pour optimiser notre communication au sein d’un travail
d’équipe qui se veut rapide et efficace.
Un rôle pivot
L’infirmier doit prendre sa place auprès du patient et respecter sa fonction
infirmière dans l’équipe. La relation avec le patient en milieu hospitalier à la
forme d’un trio « patient/médecin/infirmier(e) »78. Le patient est en relation
avec deux types de personnels (médical et paramédical) qui collaborent à le
prendre en charge et qui portent chacun des cultures différentes, des
compétences différentes, des représentations différentes. Tous deux, malgré
leurs différences, possèdent un vocabulaire commun, des habitudes
communes, une culture commune, un but commun : le soin. Le duo
médecin-infirmier, préoccupé par la réalisation d’un acte, l’exploration d’un
diagnostic ou l’analyse d’examens, communique, parfois, de façon
maladroite. Il peut exclure involontairement le patient de cette relation
triangulaire.
L’infirmier peut jouer un rôle pivot au cœur de ce trio. Alors que le médecin
est occupé à coordonner les différents intervenants lors de situations
d’urgence, à établir un diagnostic ou à choisir les meilleurs traitements ;
l’infirmier pourra expliquer les procédures en cours, les termes techniques
employés, répondre aux questions et rassurer le patient tout en réalisant les
soins. Il a ici un rôle d’accompagnement qui lui est propre. Une hypnose
infirmière a toute sa place. Elle peut avoir un aspect formel ou
conversationnel. Elle facilite la coopération du patient, elle peut augmenter
l’efficacité des traitements entrepris. Elle offre un meilleur vécu du soin. La
proximité patient-infirmier peut faciliter cette pratique, mais un autre
interlocuteur de choix peut se dégager naturellement auprès du patient.
Que ce soit le médecin ou l’infirmier, l’important est que cette relation
préférentielle soit, au mieux, respectée. Quand une alliance se tisse, il faut la
repérer, la préserver et la développer autant que possible. Chacun remplira le
rôle qui lui revient dans la prise en charge du patient et l’un ou l’autre peut
s’engager plus pleinement dans cette relation.
Un questionnement nécessaire
■ Qui est le plus à l’aise avec ce patient ?
Une personne de l’équipe a-t-elle déjà une affinité particulière avec le
patient ? Une relation est-elle déjà créée ? Ou, au contraire, existe-il une
tension ou une incompatibilité avec un membre de l’équipe ?
■ La motivation
Lors de situations d’urgence, le patient est facilement motivé car il est
souvent désarmé et impuissant. Vous pouvez proposer une technique en
précisant qu’elle a déjà été très efficace dans des cas similaires. Présentez votre
approche avec le mot hypnose ou toute autre périphrase, mais en restant
concis, en vous appuyant sur des données scientifiques ou des exemples en
relation avec votre exercice.
■ La confiance
La confiance du patient dans le soignant80 est essentielle pour que le travail
soit envisageable. Dès les premiers instants de la relation, il est important
d’installer cette confiance. N’hésitez pas à souligner au patient que vous êtes
présent pour lui, que vous l’accompagnerez en permanence, jusqu’à ce que
le soin soit terminé. Le soignant doit également avoir confiance dans ses
propres compétences. Il utilisera l’approche qu’il maîtrise le mieux. Ayez
confiance en vous pour inspirer confiance.
D’autre part, vous pouvez souligner des points communs que vous avez avec
le patient, une forme de proximité favorable en découlera.
■ La coopération
Elle permet au patient de reprendre du contrôle dans des situations qui
peuvent le dépasser. Cette coopération est essentielle. L’hypnose n’est pas
unidirectionnelle, avec un émetteur et un récepteur passif. Elle offre
l’opportunité, qui n’est pas toujours possible lors de soins, au patient de
rester actif.
Le niveau de coopération sera variable. Certains auront déjà une
connaissance préalable de l’hypnose médicale, nous nous appuierons alors sur
cette compétence. D’autres seront immédiatement prêts à rentrer dans
l’expérience hypnotique : un échange facile et fluide, des yeux qui se
ferment avant qu’on ne le demande. Et parfois, cette coopération prend du
temps à s’installer, alors, il faudra se focaliser d’abord sur la confiance et la
motivation, rechercher les éventuels freins et trouver la clé la plus appropriée
au patient.
■ Observer
D’où part le patient, de quel état émotionnel ? Beaucoup de patients pris en
charge dans un contexte d’urgence ou en phase aiguë d’un soin sont dans un
état d’hyperfocalisation :
— focalisation vers un catastrophisme avec anticipation négative sur les suites
de la prise en charge, les complications éventuelles, les difficultés
matérielles ou la perte d’autonomie ;
— focalisation vers le souvenir de soins qui se sont mal passés ou
d’expériences négatives personnelles ;
— focalisation sur des récits d’expériences, des témoignages qui alimentent
le fantasme de la pire issue possible ;
— focalisation sur des peurs ;
— focalisation sur les sensations douloureuses de l’instant qui l’envahit
complètement.
■ Accueillir
Le soignant devra se mettre dans une position d’accueil ; une forme d’attente
sans présupposition, sans intention ; une présence vide d’influence pour
rejoindre le patient et partir de son état émotionnel : une présence vide
d’influence, dans un premier temps, pour mieux suivre le patient dans sa
perception du moment ou du soin à venir. Cette phase importante, de pleine
présence, se nourrit simplement de ce que le patient apporte. Une pleine
disposition à recevoir. Un temps d’accordage qui permet de rejoindre le
patient. Il ne s’agit ni d’être envahi par une litanie plaintive, ni d’être une
simple écoute passive. Un temps d’accueil déjà stratégique car il nous montre
où rejoindre le patient, et il cherche les compétences propres du patient pour
coconstruire l’hypnose.
■ Accepter
Dans le cadre de prises en charge urgentes, ce temps indispensable peut être
bref. Il peut se faire par des truismes, c’est-à-dire en énonçant une série de
vérités incontestables, qui entraînent une « approbation de l’évidence » dans
l’esprit du patient, un climat « qui dit oui », d’acceptation mutuelle. Par
exemple : vous avez eu un accident, vous avez mal au niveau du poignet,
vous avez peur... Le recueil de l’identité du patient et tous les éléments dont
vous disposez vous permettront de développer cette phase.
Votre acceptation (en renforçant chez le patient la sensation d’avoir été
compris dans ses craintes qui sont légitimes) va permettre d’amener le patient
vers son acceptation de travailler avec vous.
Des reformulations permettront de valider cette phase d’accordage tout en
redonnant de la liberté relationnelle au patient (par exemple, « donc si je
comprends bien, et surtout reprenez-moi si je me trompe…»).
■ Complimenter
Trouvez de quoi mettre le patient en valeur, que ce soit au sujet de son
parcours de vie, de ses loisirs ou des épreuves qu’il a déjà été capable de
traverser au cours de sa prise en charge. Ce sera l’occasion de souligner
quelques ressources qu’il ne soupçonnait peut-être pas. N’attendez pas de
« faire de l’hypnose » pour activer ces ressources. La communication est
influente, potentiellement thérapeutique dès les premiers instants.
■ Présenter l’hypnose
Dans les situations qui demandent de la rapidité, un long exposé sur ce qu’est
l’hypnose est trop fastidieux. Parfois, les patients connaissent ou pratiquent
déjà l’hypnose, ce sera l’occasion de s’appuyer sur leur perception du sujet.
Dans le cas contraire, je propose simplement un exercice d’imagination qui
m’aidera à les aider, par exemple : « Pour démarrer la séance, fermez
simplement les yeux et imaginez... ». À chacun de trouver sa formulation
concise.
3. En pratique
■ Observer encore
Pour ce faire, c’est de nouveau l’observation qui nous est utile. Dans le cadre
d’un soin au domicile, d’une intervention en extérieur ou dans une chambre
d’hôpital, des détails peuvent nous aider. Nous les relevons et avançons avec
prudence sur chaque piste. Par exemples :
— vous avez aperçu une alliance, peut-être un conjoint, des enfants et petits-
enfants ?
— un tableau, une photo, un signe religieux accroché au mur ;
— vous avez vu, dans le dossier, un lieu de résidence que vous connaissez ou
qui vous évoque quelque chose ;
— vous remarquez un physique sportif, une fréquence cardiaque basse ;
Relevez chaque élément, toujours avec prudence, et n’exploitez que ce qui
intéresse le patient.
Un domaine qui peut se révéler très efficace est la cuisine. Dans certaines
cultures, c’est une évidence, et à chaque région sa spécialité. Créez un pont,
ouvrez une porte vers la cuisine pour préparer un tajine, une tropézienne, un
yassa, un mafé, un bœuf bourguignon ou un kouign-amann. Préférez les
recettes aux ingrédients multiples et qui demandent du temps, c’est bien plus
hypnotique.
■ Questionner
Quand l’observation ne vous offre pas de pistes sur lesquelles vous engager,
quelques questions anodines vous aideront. Des questions qui cherchent une
clé, un pont vers autre chose que la focalisation dans laquelle se trouve le
patient :
— Vous êtes venu comment ?
— Que feriez-vous si vous n’étiez pas là ?
— Qu’est-ce que vous aimeriez faire si vous aviez le temps de vous faire
plaisir ?
— Quelle sera la première chose que vous ferez en sortant d’ici, en rentrant
chez vous, une fois que toutes ces épreuves seront passées ?
Et à partir de là, franchissez le pont de façon directe :
— Accepteriez-vous de me rendre service ? De faire un exercice qui
m’aiderait ?
— Oui.
— Ok, alors fermez simplement les yeux pour retrouver ce moment où…
Posez des questions régulièrement pour vous orienter, ça n’empêche pas la
transe. Vous offrirez au contraire plus de réalité à l’expérience : « Et là sur
cette plage, qui vient vers vous ? Votre fils ou votre fille ? »
Pour les patients qui ont besoin de contrôle, il est encore plus important de
passer par une phase d’installation dans le présent : ici et maintenant.
Un protocole ?
Lors de l’apprentissage des techniques d’hypnose nous espérons trouver le
protocole adapté à chaque situation : la métaphore de la sonde gastrique, le
script de la perfusion ou l’induction du pansement de jambe. Aucun des cas
cliniques présentés ici n’est un protocole suivi, ou à suivre. Les séances se
produisent spontanément, semblent convenir au patient à ce moment donné.
Je vous invite à utiliser votre environnement pour étayer votre créativité.
Rien ne vous empêche, cependant, dans les exemples lus, de ne retenir que
le plan de la séance.
Par exemple :
1. Accordage, acceptation ;
2. Proposition d’une tâche à réaliser, lui donner un sens ;
3. Focalisation VAKOG dans cette tâche ;
4. Réorientation de l’attention.
Pour se sentir libre de créer sa propre approche ou sa technique personnelle,
il est important de connaître ses gammes. En jazz, l’improvisation suit des
règles, et le soliste s’aide de phrasés travaillés en amont, de théories, même
s’il s’appuie sur le reste du groupe dans un échange constant.
Tout de go
La première approche consiste à exploiter directement la ressource détectée.
Le patient a choisi son souvenir agréable d’apprentissage (ou autre), il vous le
présente et la séance commence après votre induction préférée. Ou, pendant
que vous échangez sur les ressources du patient, l’une d’elles vous semble
opportune, vous vous en saisissez et le patient rentre dans l’expérience
directement sans induction formelle. Il vous suffira de lui dire : « Je vous
propose de … fermer(z) les yeux… pour retrouver(z) ce moment où… ».
Ces deux procédés permettent de rentrer rapidement dans le processus
hypnotique pour des patients coopérants, déjà en confiance, suffisamment
rassurés ou qui ont déjà pratiqués l’hypnose ou l’auto-hypnose.
Cette approche en deux temps peut prendre plusieurs formes. Ici, nous
sommes restés dans la métaphore, ce qui me semblait utile pour cette
patiente, dans ce contexte précis. Mais nous pouvons également lier ces
étapes au corps. Il est alors proposé au patient d’observer « comment ça fait
dans le corps », à l’intérieur, quand le stress, la peur ou tout autre problème
est là. Puis, se saisissant du langage métaphorique, nous amenons le patient à
se focaliser tellement sur cette sensation qu’elle deviendra un objet d’étude.
Le vocabulaire développant la dissociation amène une externalisation de cet
« objet d’étude » qui peut alors être travaillée en la modelant différemment.
Par exemple, une patiente me dit être très anxieuse, que ça lui fait comme
un point rouge, une boule dans le ventre. Finalement, cela devient vert, et se
transforme en ballon moelleux. Puis, en embarcation confortable sur l’eau.
Quand le temps est condensé, chaque faux pas sera cher payé. Il est essentiel
de diminuer les possibilités d’échec. Voici quelques pistes pour vous
prémunir d’éventuels insuccès :
— faites tomber les fausses croyances. Le patient entend ce qui se passe
autour, il perçoit des sensations mais sans douleur, en restant confortable.
À un moment, il n’entendra plus rien d’autre que votre voix ou les sons
de son souvenir agréable, mais peut-être pas tout de suite ;
— mettez un parachute sous le siège : « si mes mots ne correspondent pas
exactement à ce que vous ressentez, vous pourrez librement les
changer » ;
— ratifiez chaque manifestation que vous n’aviez pas prévue comme si cela
était tout à fait normal et attendu ;
— utilisez les suggestions couvrant toutes possibilités et finissez par « ou
autre chose ».
— soyez le plus vague et flou possible quand vous ne connaissez pas les
détails.
— si vous voulez détailler, ne faites aucune projection. N’hésitez pas à
demander un retour du patient : « Et là, c’est comment ? L’été, l’hiver ?
Êtes-vous déjà installé sur votre vélo ? » On peut parfaitement converser
avec un patient en transe (si le soin le permet) et cela permet d’être plus
précis ;
— associez les suggestions directes à des notions de progressions pour
prévenir le fait que ce ne soit pas encore là : « progressivement, de mieux
en mieux, de plus en plus, petit à petit, de proche en proche, à votre
rythme, peut-être déjà » ;
— accompagnez par des questionnements en position basse : « Je me
demande si vous êtes déjà au trot ou au pas sur votre cheval ? » ; « Et, je
ne sais pas si, quand vous marchez sur cette plage, il y a un grand ciel
bleu ou quelques nuages ? »
— utilisez des adjectifs : particulier, propre, spécial, spécifique. Ils invitent à
développer la perception, sans l’orienter dans une direction préétablie ;
— pour décrire un paysage, proposez de le découvrir comme s’il sortait
progressivement d’un brouillard, ou comme s’il était peint au fur et à
mesure ou de moins en moins flou sur un écran, cela diminue la pression
et permet de moins se tromper.
78. Brèche F, Desanneaux-Guillou S, Hypnose médicale en situation difficile, Éditions Arnette, 2014.
79. Elvira V Lang, Kevin S Berbaum, Stephen G Pauker, Salomao Faintuch, Gloria M Salazar, Susan Lutgendorf, Eleanor
Laser, Henrietta Logan, David Spiegel, « Beneficial effects of hypnosis and adverse effects of empathic attention during
percutaneous tumor treatment: when being nice does not suffice », Journal of Vascular and Interventional Radiology, 2008
Jun.
80. Nous appellerons soignant celui qui utilise l’hypnose ou les techniques d’hypnose, qu’il soit infirmier, médecin,
kinésithérapeute ou autre.
81. Les sens sont représentés par ces initiales : Visuel - Auditif - Kinesthésique - Olfactif et Gustatif.
82. L’utilisation des verbes du premier groupe permet d’amener des suggestions très directes en transformant l’infinitif
en impératif suivant l’intonation donnée au verbe.
Partie 3
L’ACCÉLÉRATION
1. Introduction
Dans les situations d’urgence psychiatriques qui suivent : une agitation, une
attaque de panique et des idées suicidaires, l’hypnose a permis, dans un laps
de temps réduit, une sortie de crise dans l’alliance thérapeute patient.
Faire asseoir Mme S, l’avoir accompagnée à focaliser son attention sur son
sens kinesthésique et du toucher de son corps sur le fauteuil lui a permis de
se connecter à elle-même dans l’ici et le maintenant et de traverser la crise
d’angoisse. En effet, nous pouvons retrouver chez les personnes sujets aux
crises d’angoisse, une difficulté à s’inscrire dans une temporalité au présent.
Elles ont tendance soit à ruminer sur ce qu’elles ont fait ou pas fait par le
passé et être dans les regrets, soit à anticiper des catastrophes donc à se
projeter dans le futur de manière négative.
Elles ne se sentent également rarement à leur place. Or, la seule manière
d’être à sa place est d’être là, tout simplement, assis, et d’investir notre
posture. Les accompagner à adhérer au présent sur un axe espace-temps a
une action anxiolytique.
Cas concret : M. R amené par sa famille en urgence « Je veux mourir, vous ne pouvez
rien pour moi »
M. R, âgé d’une trentaine d’années est amené au centre d’accueil et d’urgence où je (CP)
suis de garde par ses parents, inquiets car il évoque des idées noires depuis quelques
jours. Inquiétude d’autant plus grande qu’il a déjà fait des tentatives de suicide.
M. R se présente d’emblée de manière provocatrice, dans l’opposition, n’ayant pas
choisi de venir consulter et ne voyant pas pourquoi il ne serait pas libre de mettre un
terme à sa vie. Ses parents, qui ne dorment plus, souhaitent qu’il soit hospitalisé pour
le protéger. L’enjeu est d’amener M. R à accepter d’être aidé, en évitant l’hospitalisation
sous contrainte à la demande d’un tiers, les soins sous contrainte ayant souvent des
répercussions dans les relations familiales et dans la relation au soin.
Après avoir entendu les parents me décrire la situation ainsi que les comportements de
« surveillance » qu’ils ont mis en place de peur que leur fils se suicide, je les fais sortir
du bureau et reste en présence de M. R.
Je tente de rentrer en relation avec lui sur le même mode « provoquant » en étant
connectée en non-verbal à sa détresse profonde afin qu’il ne se sente ni jugé, ni un
sujet de moquerie. J’adopte son intonation de voix monocorde, je ressens la lourdeur
de sa situation au niveau corporel. J’habite la tristesse.
CP : « Vous êtes totalement libre de mourir… Comment vous vous êtes débrouillé pour
être encore vivant ? »
M. R : « Je ne suis pas vivant, je veux mourir. »
- Le mouvement respiratoire, vous le sentez ? (En tant qu’être vivant, on ne peut pas ne
pas avoir la sensation de respirer.)
Un peu surpris, ne voyant pas où je voulais en venir : « oui, et alors ? »
- Les battements du cœur, vous les sentez ? (Volontairement, je n’utilise, dans mon
langage, aucun article possessif afin d’induire une dissociation.)
- oui…
- Le mouvement respiratoire et les battements du cœur en même temps ?
- Oui…
J’observe que son regard change et qu’il s’absorbe de plus en plus en focalisant son
attention sur ses deux sensations.
- Observez comment ça (la vie) circule entre les deux… peut-être même que vous
pouvez sentir la sensation des pulsations du cœur au bout des doigts, des pieds…
J’observe des signes de transe, je tente d’être plus directe.
- Observez comment la vie circule en vous, dans tout le corps… sans rien faire de
particulier… et vous n’avez rien à faire pour le sentir… la vie circule en vous.
Je répète plusieurs fois les mêmes phrases avec quelques variantes autour du thème
de la circulation de la vie dans le corps.
J’accompagne M. R à sortir de la transe et à se réorienter au niveau temporo-spatial
dans le bureau.
Sa posture corporelle s’est modifiée, je le perçois plus apaisé, moins pris dans la
contradiction d’avoir envie de mourir et d’être vivant. Je lui dis : « Vous êtes aussi
totalement libre de vivre. »
M. R acquiesce. Il accepte et s’engage vis-à-vis de moi à revenir en consultation, le
lendemain. Afin de permettre qu’il puisse honorer son engagement. Je revois ses
parents avec lui pour travailler sur le contexte. En effet, M. R est également pris dans
une relation de dépendance à ses parents avec une difficulté d’autonomisation. Ses
idées noires peuvent être lues comme une tentative de séparation.
Je demande aux parents de s’engager par écrit à avoir confiance sur le fait que leur fils
va revenir en consultation, le lendemain. Je précise les comportements induits par
« avoir confiance », je prends le contre-pied des comportements de vérification qu’ils
m’avaient décrits au début de l’entretien.
À la place du tiers qu’ils s’apprêtaient à remplir pour que leur fils soit hospitalisé sous
contrainte, je rédige « le contrat » et les fais signer en tant que père et mère.
M. R est revenu, le lendemain, à sa consultation d’urgence sans urgence en étant
capable de dire qu’il avait des envies et qu’il ne savait pas comment faire pour les
réaliser.
Dans certains cas, ce sont des interventions atypiques, où l’essentiel n’est pas
dans la gestion d’un entretien mais dans l’adaptation de notre posture quand
certaines émotions débordent. Cela peut être le cas dans la crise d’angoisse
(exemple vu plus haut) quand celle-ci n’a pas lieu durant un entretien
classique mais ailleurs, dans un couloir ou une chambre d’hôpital. Mais cela
peut aussi être l’émotion et le comportement du patient qui invitent à un
changement de posture. Prenons l’exemple de la dissociation en péri-
traumatique ou de l’agressivité. Sans avoir la possibilité de détailler toutes les
techniques, nous verrons que des outils de communication issus de l’hypnose
peuvent nous inspirer. Voici quelques idées.
Agressivité : acceptation
Dans les situations urgentes, l’agressivité est fréquente. Je(PA) me remémore
l’histoire dans laquelle Erickson dit à son enfant blessé : « C’est ici que tu as
mal ? Très mal ? C’est bien ici n’est-ce pas ?... Pas ici ? (désignant un côté)…
Ni ici ? (désignant un autre côté) … Mais bien ici ? (désignant de nouveau la
blessure) »83. En de nombreuses occasions avant de diminuer une douleur
nous commençons par l’augmenter. Il ne s’agit pas seulement ici de
dissociation ou de captation de l’attention, mais en premier lieu
d’acceptation. Il n’est pas possible de faire évoluer un ressenti sans, tout
d’abord, l’accepter. Le but n’est pas d’amener le patient à reconnaître qu’il a
tort (pour apaiser l’agressivité, avoir raison ne sert à rien), à reconnaître qu’il
ne devrait pas s’énerver ou à lui suggérer directement un changement de
comportement.
Il conviendra d’abord d’accepter ce qui est, avant d’introduire une différence
avec des phrases comme : « Vous êtes en colère… oui je vois… évidemment,
ce n’est pas simple… ah ? tout cela ?... ». C’est de cette manière que
l’agressivité se calme. Une fois le ton redescendu (après avoir d’abord
monté !), on peut introduire un changement, dans un second temps ; par
exemple, en créant d’abord une relation avec une question qui mobilise un
choix, comme « Vous voulez un verre d’eau ? », « Vous préférez qu’on
s’assoie ? ». La discussion sera alors être plus facilement envisageable84.
C’est d’ailleurs la même chose pour toute « crise » : accepter. Non pas
accepter l’opinion de la personne (on n’est pas obligé d’être d’accord avec ses
raisons de tout casser ou de vouloir mourir) mais accepter son ressenti (ce
qui nous rapproche grandement de la phase d’acceptation en hypnose).
Par exemple : « Je ne sais pas si c’est une dépression, je vois juste comment
votre souffrance vous ronge, et je me demande quoi faire pour vous aider… »
Par exemple, il m’est arrivé de dire à un patient désespéré :
« Quand je vous vois (visuel), là, devant moi, assis sur cette chaise, dans ce
bureau (attendre l’acquiescement de chaque proposition en fera un yes-set),
quand je vous entends me raconter tout cela (auditif)… et bien, ce que je
ressens (kinesthésique), c’est qu’en face de moi il y a quelqu’un (dissociation)
qui a beaucoup souffert (acceptation et formulation du problème au passé). »
Cette formulation hypnotique s’avère bien plus efficiente qu’un banal « je
comprends » et ne dit pas « je suis d’accord », mais bien « je perçois votre
difficulté ».
Ou encore : « Avec tout ce qui vous arrive, vous avez beaucoup souffert, et
vous avez fait des efforts, vous avez essayé plein de choses en pensant parfois
que vous ne tiendriez pas le coup… et à chaque fois, vous avez continué à
essayer même quand ça ne marchait pas… c’est assez courageux… et là vous
en êtes venu à demander de l’aide… du coup je me dis que…»
Concernant les autres aspects de l’entretien, utiles à l’hypnotiste : il va
demander des détails très concrets, tant sur le problème que sur des
ressources qui pourraient apparaître, car ce sont, dans les détails, qu’il puisera
la matière à une éventuelle séance : « Si je comprends bien, vous éprouvez
cette sensation que vous comparez à un nœud et vous pensez alors que vous
commencez une crise de panique, est-ce bien cela ? » ; « Et donc, ce tout
petit moment, mercredi soir, était le seul moment où vous vous sentiez un
peu mieux ? Avec un peu d’espoir ? Cela vous dérange si je vous pose des
questions sur ce moment, car cela m’intrigue, ça ne colle pas avec le reste et
je me demande juste… »
De façon globale, la crise ne permet pas toujours (surtout dans les crises
agressives, suicidaires, etc.) d’utiliser l’hypnose formelle, comme dans les
situations d’entretien plus ordinaires, c’est pourquoi nous n’insisterons pas.
Mais des outils de communication issus de l’hypnose font de nous de
meilleurs communicants. Même si ce n’est absolument pas une indication
d’hypnose, sans l’apprentissage de cette dernière et des pratiques proches des
« thérapies brèves », je n’aurais pas su me sortir sans encombre de certaines
situations d’hospitalisation sous la contrainte ou de crises agressives.
5. Conclusion
83. L’histoire est contée de façon plus précise dans Espoir et résilience de Dan Short, Éditions Satas, 2009.
84. J’ai (PA) attiré l’attention sur les outils issus des thérapies brèves et de l’hypnose, et utiles dans les cas de crise
agressive, crise suicidaire ou crise psychique, dans mon ouvrage, Écouter, parler : soigner, Éditions Vuibert, 2015. Je ne
les détaille pas ici. D’autant qu’ils ne relèvent pas tous de l’hypnose formelle mais bien de la communication et des
thérapies brèves, elles-mêmes inspirées de l’hypnose.
9 L’hypnose en urgence au cabinet dentaire
Dr Pascale Reynette
1. Introduction
■ Se présenter
Il est nécessaire, même dans un contexte d’urgence, si l’on n’a jamais traité le
patient précédemment, de prendre le temps de se présenter et de nommer ses
spécialisations éventuelles. Prenez soin également de nommer votre patient.
■ Accepter la peur
Comme dans tout autre contexte nécessitant un changement, même dans un
contexte d’urgence, il est utile de rappeler qu’il est indispensable de passer
par une phase d’acceptation avant que ne se produise le changement. Ici,
devant un patient apeuré, il est donc important de reconnaître cette émotion.
Il suffit de le lui demander :
— Praticien : « Vous avez peur ? »
— Patient : « Un peu. »
— Praticien : « Il est tout à fait normal que vous ayez peur, nous ne nous
connaissons que très peu, et vous allez me confier votre bouche afin que
je vous soigne. Et nous allons tout mettre en œuvre pour rendre cette
peur acceptable. »
Le patient montre déjà un soulagement.
L’hypnose conversationnelle
Elle n’implique pas de transe hypnotique visible.
C’est une forme de communication qui utilise des techniques d’hypnose au
cours d’une conversation. Le but étant d’absorber l’attention du patient et de
contourner les éventuelles résistances. Il est utile, ici, de savoir repérer les
signes de transe hypnotique pour les utiliser plus avant, par exemple (liste
non exhaustive) :
— un ralentissement des gestes et de l’idéation ;
— une perception différente de la réalité ;
— des larmes physiologiques ;
— une pâleur ;
— des bâillements répétitifs ;
— une fixité du regard ;
— une déglutition répétée ;
— des mouvements oculaires ;
— des mouvements saccadés ;
— des signes de détente.
■ Distraction
La distraction, très souvent utilisée par les parents avec leurs enfants, est
efficace pour se détacher de la douleur, s’en éloigner, « écouter » autre chose.
Elle n’est, cependant, qu’un simple moyen de détourner l’attention. Elle
peut être utilisée comme technique d’induction à l’hypnose, mais demeure
insuffisante pour un soin.
■ Lieu sûr ou souvenir agréable
On peut profiter de ce moment d’hypnose conversationnelle pour faire
évoquer au patient un lieu sûr ou un souvenir agréable, qui pourra nous être
utile en guise d’induction. Par exemple, en lui demandant ce qu’il fait
habituellement à cette heure-ci quand il n’est pas avec nous. Ou encore en le
questionnant sur ses loisirs, ou sur la manière dont il va se détendre en
sortant du cabinet (projection temporelle).
■ Catalepsie
J’utilise la catalepsie du bras pour certaines inductions, notamment après une
échelle de peur ou d’anxiété. Ma technique (décrite page 177) est un peu
plus longue qu’une « simple » catalepsie, puisqu’elle va me servir, à la fois
d’induction, et quand j’en ai besoin, d’approfondissement.
Par des métaphores en cours de soin, on va utiliser également la catalepsie de
la bouche ouverte, afin d’éviter une fatigue musculaire lors de longues
séances.
■ Réification
Lors d’une anxiété importante ou d’une phobie, on va pouvoir demander au
patient comment il reconnaît cette peur dans son corps : « C’est comme
quoi ? »
L’hypnose formelle
Les soins dentaires nécessitent des séances longues, parfois même très
longues, on a donc souvent recours à de l’hypnose formelle. Nous ne
pouvons pas détailler les techniques ici. Mais nous verrons comment gérer
l’urgence dans ce genre de séances. L’hypnose formelle comprend, en
chirurgie dentaire comme dans toute autre discipline ayant recours à
l’hypnose, quatre phases :
— l’induction ;
— l’approfondissement ;
— le travail sous hypnose (durant lequel nous aurons parfois recours à des
suggestions directes pour faire face à une urgence en cours de soin) ;
— un retour.
Dans le contexte urgent, nous décrirons, dans la deuxième partie, quelques
inductions rapides, un approfondissement original et utile en chirurgie
longue parce qu’il permet d’obtenir une transe profonde dans un délai court.
Nous allons aussi détailler l’utilisation de suggestions directes lors du travail
hypnotique pour obtenir des effets physiques immédiats.
Nous allons, ici, nous attarder sur les contextes d’urgence. Dans un cabinet
dentaire, l’induction hypnotique, dans tous les cas, va devoir être la plus
rapide possible, afin de ne pas empiéter sur le créneau horaire réservé et
prédéfini pour chaque acte technique. Cependant, certaines situations vont
être considérées comme urgentes :
— le réflexe nauséeux survenant lors une prise d’empreinte ;
— la douleur de pulpite aiguë nécessitant une anesthésie intrapulpaire (geste
extrêmement douloureux mais bref). En milieu très inflammatoire et/ou
très infectieux, les tissus sont très acides, ce qui rend les conditions peu
propices à une bonne diffusion des molécules anesthésiques (elles-mêmes
acides) au sein des tissus nerveux à anesthésier ;
— la phobie de l’aiguille alors que le soin nécessite une anesthésie ;
— la réduction du débit salivaire ;
— la réduction du débit sanguin ;
— la gestion d’une crise d’angoisse.
— la prise en charge d’un enfant en pleurs.
Il est important de rappeler que, malgré le contexte d’urgence, l’hypnose
s’inscrit dans le cadre d’une relation thérapeutique. D’autre part, je tiens à
spécifier que les soins techniques demeurent identiques, particulièrement en
ce qui concerne l’anesthésie, qui est toujours utilisée dans les actes qui la
nécessitent. Il s’avère, cependant, que les patients ne demandent plus de
« rappel » d’anesthésie (injection supplémentaire en cours de soins parce que
le patient sent à nouveau des douleurs dans la zone anesthésiée) depuis que
j’utilise l’hypnose concomitamment.
On entend parfois dire que l’hypnose seule peut être utilisée pour une
extraction dentaire en cas de contre-indication absolue à l’anesthésie. Il est
permis d’en douter, et pour ma part je ne tenterai jamais de l’expérimenter,
puisque comme nous le rappelle le professeur Vianney Descroix,
chirurgien-dentiste qui utilise l’hypnose en odontologie à la Pitié-Salpêtrière
à Paris, une étude88 à grande échelle révèle que seulement 5 % de la
population mondiale serait capable de supporter de tels soins sans anesthésie.
J’invite chaque praticien à ne voir ici qu’une source d’inspiration et en
aucun cas des scripts à appliquer stricto sensu. Ce serait une façon
dommageable de réduire les possibilités que nous offre la palette créative de
l’hypnose de nous adapter à chaque patient, afin de créer cette précieuse
alliance thérapeutique bien plus forte que la simple confiance.
- « Et maintenant que cette main est comme suspendue dans les airs (confusion)
seriez-vous d’accord pour l’observer, un peu comme si c’était la première fois que vous
voyiez cette main ?
- Oui (focalisation visuelle).
- En observant, par exemple, tous ses contours, les différences de couleurs entre le
dessus et le dessous de cette main, les différences de température, un peu comme si
c’était la main de quelqu’un d’autre (confusion). Sans doute même que déjà vous
commencez à avoir l’impression que cette main est comme un objet, comme si elle
était endormie, calmement, profondément (suggestions et saupoudrage), vous pouvez
d’ailleurs observer que certaines parties de cette main commencent à devenir
autonomes, à bouger sans que vous leur ayez demandé (confusion en observant les
tressaillements d’un doigt ou deux). Vous serait-il possible maintenant d’observer
suffisamment attentivement cette main pour pouvoir continuer à l’imaginer quand vos
yeux vont se fermer (suggestion directe).
- Oui.
- Quand ce sera bon pour vous, vous pourrez alors continuer à observer cette
(confusion) main derrière vos paupières fermées » (suggestion directe).
Les yeux se ferment, on peut alors approfondir avec le mouvement de la main qui
descend à son rythme vers la cuisse.
Vous allez fermer les yeux et choisir une partie de votre corps que vous aimeriez
endormir, une main, un pied (confusion). Puis, vous allez imaginer que vous plongez
cette partie de votre corps dans un courant d’eau glacée ou peut-être un ruisseau en
altitude à la montagne, ou bien encore dans une bassine remplie de glace, jusqu’à
ressentir les sensations, comme quand on tient à main nue un aliment qui sort du
congélateur et que l’on ressent des picotements, des brûlures puis (réutiliser le
vocabulaire du patient), vous allez laisser cette partie de votre corps s’endormir, ainsi,
complètement, et quand ce sera bon pour vous, vous me le ferez savoir en laissant un
index se soulever (signaling). Très bien. Et maintenant, vous allez transférer cette
sensation dans un endroit que vous souhaitez endormir complètement, peut être votre
bouche ou toute votre tête (confusion) et vous allez imaginer que cette sensation diffuse
à travers vos nerfs ou tout autre circuit et vous pouvez même y ajouter de la glace,
autant que nécessaire, très bien, et à nouveau quand ce sera bon pour vous, un de vos
index se soulèvera ».
Approfondissement en « urgence »
Lors d’une chirurgie, sous anesthésie locale, on peut, à certains moments,
avoir besoin de la coopération du patient, et par conséquent souhaiter
pouvoir le sortir de son état léthargique lié à une hypnose profonde. On met
en place un système de « variateur » tactile, qui permet de palier à ce
problème et en même temps, d’obtenir une hypnose profonde par
fractionnement de la transe.
Le principe est de prévenir le patient que l’on va toucher son bras et en
l’accompagnant dans son approfondissement, on va lui suggérer que l’on
déplace un curseur de l’épaule vers le coude et que plus on déplace le
curseur vers le coude, plus l’hypnose est profonde.
À partir de maintenant, vous allez imaginer que plus vous descendez sur ce chemin,
plus vous rentrez profondément en vous-même et plus vous descendez en vous-même,
plus votre curseur d’hypnose se déplace vers votre coude (on glisse un doigt en parlant
depuis l’épaule vers le coude, lentement) et inversement (confusion ; on peut alors
remonter légèrement le curseur et le redescendre lentement jusqu’au coude en ratifiant)
oui, voilà, comme ça. Maintenant, je vais remonter le curseur jusqu’à vous permettre
d’ouvrir à nouveau les yeux (on accompagne la parole du geste jusqu’à ce que le patient
ouvre les yeux) et maintenant, je vais le redescendre, pour que vos yeux se referment
et que vous puissiez descendre encore plus profondément en hypnose, aussi
profondément que nécessaire pour vous, oui, voilà, comme ça. Je vais lâcher ce
curseur, pour vous permettre de rester dans cet état que vous avez choisi (confusion,
puisqu’il n’a rien choisi). Et quand j’en aurais besoin, je remonterai ce curseur pour vous
permettre de sortir d’hypnose (suggestion directe avec ancrage).
Ce type d’approfondissement est très rapide et donc très utile pour répondre
au contexte « d’urgence » d’une chirurgie programmée. Si l’on a l’impression
que la transe n’est pas suffisamment profonde, on peut jouer plusieurs fois
avec le curseur pour la fractionner davantage.
Utilisation de la directivité
Vous allez serrer l’un de vos poings en laissant toute la peur (externalisation de la peur)
se diriger vers ce poing. C’est plus facile de la sentir couler (confusion) en fermant les
yeux (suggestion directe), voilà, comme ça, et plus cette peur arrive dans ce poing et
plus le poing se serre, et plus il se serre, plus vous sentez le confort s’installer dans
tout le reste du corps (confusion), un peu comme un soulagement (saupoudrage) après
une forte émotion (suggestion de projection temporelle). Et quand le poing devient
tellement serré, tellement dur qu’il ne peut plus s’ouvrir (confusion induisant une
puissante catalepsie avec focalisation), rempli de toute cette peur, vous pouvez alors
imaginer un système, peut-être une petite soupape, peut-être une cheminée ou toute
autre chose qui permette à cette peur de sortir tout doucement de votre corps, comme
une fumée, peut-être même que cette fumée a une couleur, et plus elle s’échappe, plus
le confort s’installe dans tout le corps et aussi dans tout le poing. L’intervention est
terminée !
« Mme M, vous allez fermer les yeux (directivité) afin de mieux vous concentrer sur
toute cette énergie d’anesthésie et de calme qui diffuse dans tout votre corps sous
forme d’ondes vibratoires, un peu comme les ondes sonores d’une musique apaisante
(métaphore et saupoudrage). Vous allez imaginer que vous commandez le volume de
cette musique (on redonne du pouvoir à la patiente, elle ne subit plus la situation) à l’aide
d’un variateur, et vous allez commencer par augmenter le volume (elle tremble
davantage) oui, voilà, comme ça, et maintenant, vous allez le diminuer (les tremblements
s’apaisent), parfait, maintenant vous allez pouvoir régler le variateur au volume qui
vous convient le mieux, afin de conserver un souvenir agréable (saupoudrage) de cette
expérience (suggestion post-hypnotique) et ainsi, prendre une grande inspiration et
laisser vos yeux s’ouvrir si vous le souhaitez. »
On peut lâcher ses mains, la patiente est apaisée.
■ Gestion du saignement ou d’une hypersalivation en cours
d’intervention
Ce type de gestion n’est possible qu’au décours d’une hypnose formelle
permettant l’hypersuggestibilité. Ici, seule la directivité va être efficace :
« vous allez fermer tous les robinets à votre disposition, afin de stopper tout
type d’écoulement, et ainsi permettre une intervention et une cicatrisation
dans les meilleures conditions (on en profite pour glisser une suggestion
post-hypnotique) ». Le saignement s’arrête instantanément, et si ce n’était pas
le cas, on peut ajouter « comme si vous vouliez boucher les vaisseaux
sanguins responsables de cet écoulement » (éviter le mot saignement).
Ce type de suggestion est très utile et très efficace.
■ Minimalisme
Dans le cas de plusieurs séances utilisant l’hypnose pour un même patient,
j’utilise fréquemment le minimalisme. Au fond, c’est une approche directive
car, en disant le moins de mots possible, on dit très clairement au patient de
faire tout le travail.
« Voilà, installez-vous dans le fauteuil et vous pourrez laisser vos yeux se fermer afin
que votre corps et votre esprit retrouvent l’état confortable dans lequel ils aiment se
mettre pour les soins. Voilà, c’est très bien. Et vous pouvez laisser votre corps prendre
sa place sur ce siège, sa juste place, juste sa place, très bien, pendant que vous prenez
une grande inspiration par la bouche (ouverture buccale permettant les soins), voilà. »
Et les soins débutent.
4. Conclusion
85. Derbyshire SWG et al., « Cerebral activation during hypnotically induced and imagined pain ». Neuroimage 2004
Sep;23(1):392-401.
86. Le cabinet dentaire est un lieu anxiogène pour la plupart des patients, il va s’agir ici de transformer ces perceptions
négatives en perceptions positives, d’apaisement ; on va transformer ce cadre anxiogène en un cadre sécurisant.
87. On appelle portrait chinois une méthode d’enquête projective sous forme de questions du type : « Si votre peur était...
une couleur, un objet, une musique... » ; c’est en réalité une métaphore qui sert à transposer un élément, ici la peur, dans
un autre contexte.
88. Facco E, Casiglia E, Masiero S, Tikhonoff V, Giacomello M, Zanette G. « Effects of hypnotic focused analgesia on dental
pain threshold ». Int J Clin Exp Hypn. 2011; 59(4):454-468.
La notion de « 5% de la population », vient d’une interview du Dr Jean-Marc BENHAIEM, qui estime qu’une extraction
dentaire est techniquement possible chez les 5 % de patients hyper-suggestibles, c’est-à-dire très sensibles à l’hypnose.
Pour lui, l’hypnose n’est pas une alternative à l’anesthésie, mais un appui, elle sert surtout à réduire l’appréhension de
l’extraction. (Article : Barge S. « Sous hypnose on peut se faire arracher une dent sans souffrir ». Le Point.fr. 8 mars
2013).
89. Matsuura H, Analysis of systemic complications and deaths during dental treatment in Japan, Anesth Prog. 1989 Jul-Oct;
36(4-5): 223–225.
90. Malamed S, Medical Emergencies in the Dental Office, 7th Edition, Elsevier Published Date: 4th November 2014.
10 L’hypnose en urgence
en salle d’accouchement
Sabine Robier
1. Introduction
Je suis sage-femme depuis 25 ans. J’ai passé la grande majorité de mes gardes
en salle d’accouchement. J’ai eu l’opportunité de m’initier à l’hypnose, il y a
quelques années et, à compter de ce moment-là, je n’ai plus jamais
communiqué de la même manière.
La salle d’accouchement est un lieu particulier où cohabitent de nombreuses
émotions : la joie, la fierté, le dépassement de soi mais aussi la peur : de la
douleur, de ne pas être à la hauteur, d’être dépassée, de se sentir submergée,
dépossédée de son corps, voire incomprise, et, en arrière-plan voire souvent
en toile de fond, la peur de la mort.
Le besoin des femmes et des couples que l’on reçoit est bien plus que celui
d’être rassuré, leurs attentes vont bien au-delà de quelques mots rassurants.
Mais en plus des craintes de chacun, il y a la douleur des contractions,
rythmée, qui s’intensifie au cours du temps, parfois vécue comme
extrêmement violente. Il arrive que nous n’ayons que quelques minutes
d’accalmie entre deux contractions, dont il faut profiter pour établir un lien
de confiance réciproque, une alliance thérapeutique que l’on va consolider
au fil du temps. C’est d’autant plus fondamental que la situation peut
basculer très rapidement dans l’URGENCE.
Utilisée « incognito » (en conversationnel) ou de manière formelle (avec
induction et phénomènes hypnotiques), l’hypnose est « tout terrain » : elle
permet parfois de débloquer des situations aussi extrêmes qu’une stagnation
du travail dans un contexte de mort fœtale in utéro, que d’accompagner des
couples dans des circonstances anxiogènes, gérer des douleurs intenses,
compléter une anesthésie locale pour un geste chirurgical, réguler des
vomissements gravidiques, calmer des contractions survenues
prématurément, faciliter la version par manœuvre externe d’un fœtus se
présentant par le siège...
Je voudrais souligner, dans ces pages, que dans ces situations de fragilité
potentionnellement instables, l’urgence, paradoxalement, se prépare. Ce
que l’on fait avant, détermine ce que l’on pourra faire pendant, si l’urgence
survient.
On dit souvent que tout se joue dès le premier contact. Mais c’est encore
plus vrai lorsque ce premier contact a lieu dans l’urgence, l’agitation, la
panique, les cris et les pleurs, ou même dans un silence lourd de sens cachés
à « éclairer ».
La première intention en accueillant la patiente est de la rejoindre dans sa
réalité du moment avec empathie, en reconnaissant, en acceptant le ressenti,
en ratifiant et me synchronisant sur tout ce que l’on peut observer (rythme
de voix, vocabulaire, comportements, mimiques, regards…) ; par exemple,
en lui disant :
- « Les contractions sont douloureuses, c’est difficile… »
- « Vous semblez inquiète… »
- « Est-ce que je me trompe ou vous êtes contrariée ? »
Le simple fait d’énoncer à haute voix, de reformuler ce que la patiente vit lui
apporte un soulagement. Elle se sent entendue et reconnue dans la légitimité
de sa plainte et de son ressenti.
C’est seulement à partir de là qu’on peut l’aider à trouver une solution pour
changer ce qui est inconfortable.
En me synchronisant à son rythme respiratoire (en général, soutenu),
j’entame une conversation, et au fil du discours, je ralentis le rythme :
- « Avez-vous remarqué que la tension amplifie la douleur ? Que plus vous
anticipez chaque contraction à venir et plus elles semblent se rapprocher…
durer… s’intensifier ?
- Je suis sûre que vous avez déjà constaté à quel point… après un moment de
tension… un soupir profond permet d’accéder à du soulagement…
D’ailleurs c’est instinctif… comme si une partie de nous savait… qu’en
expirant profondément… (j’expire moi-même pour lui montrer), le relâchement
va suivre.
Il est important de rester attentif à ce que les suggestions soient validées :
hochements de tête et visage qui se décrispe. À son tour de se synchroniser,
de m’imiter et de me ratifier !
La patiente s’étant calmée car se sentant comprise et entendue, la
synchronisation devient facile et l’apaisement s’en suit. Elle est alors tout à
votre écoute car en quelques minutes, elle s’est rendu compte par elle-même,
sans vraiment savoir comment, que le calme est de retour. Le rapport
s’établit sur cette base. Vous devenez une « bouée » à laquelle s’accrocher
dans cette situation où elle perdait pied, se croyait seule et ne voyait pas
d’issue, le soutien dont elle avait besoin pour retrouver sa confiance en elle.
Pour l’autonomiser un peu, je lui propose de se focaliser sur sa respiration
pour qu’elle teste par elle-même ce que cela change dans son ressenti :
diminuer sa douleur, atténuer sa peur, reprendre le contrôle.
« Tandis que vous respirez calmement, la détente musculaire peut s’installer. C’est
comme si, à chaque inspiration, vous absorbez toute la sérénité dont vous avez besoin,
comme si chaque fibre musculaire se relâche jusqu’au niveau de l’utérus et la
contraction peut alors vous sembler, plus facile à gérer. Elle peut démarrer plus tard, et
vous paraître plus courte… et si elle est plus courte, c’est que le temps de pause est
plus long n’est-ce-pas (légère confusion) ?
- Ah oui !
- Alors, continuez ce que vous savez très bien faire, maintenir cette respiration, elle est
fondamentale pour vous et votre bébé, simplement, inspirez par le nez et prenez le
temps d’expirer lentement, un peu comme si, à chaque fois que vous inspirez, vous
laissez pénétrer la détente et à chaque fois que vous expirez, vous éliminez tout ce qui
vous dérange. Laissez la contraction arriver. Quand elle se présente, l’observer de loin,
la laisser passer, puis, s’éloigner et imaginez, qu’à chaque contraction, cela vous
rapproche de la naissance de votre bébé.
Après trois ou quatre contractions :
- C’est exactement ça, vous faites cela très bien. Vous avez remarqué comme le temps
de la contraction s’est écourté n’est-ce pas ? Et comme le temps de récupération a
augmenté ? Simplement en respirant. »
Une fois que la patiente a validé cette expérience (par exemple, par un yes-
set) le lien thérapeutique est établi. Elle ne doit sa réussite qu’à elle-même et
vous êtes devenu un soignant sur qui elle peut se reposer et en qui elle peut
avoir confiance pour trouver ses propres ressources.
Souvent, en quelques minutes, la patiente et même le conjoint s’apaisent. Les
contractions sont toujours là mais elles sont perçues autrement. Elles ne sont
plus redoutées mais accompagnées et deviennent supportables.
À
À partir de cas concrets, je vais illustrer la manière dont cette communication
influente fonctionne quel que soit le contexte : lors de simples explications
mais aussi lorsque l’urgence pointe le bout de son nez.
■ Avantages
— La patiente s’est sentie reconnue dans ce qu’elle était (tendue,
inquiète…).
— Ce que je lui ai proposé comme outil lui a permis de retrouver son
calme, elle en a donc validé l’utilité.
— Ce moyen qu’elle a à disposition lui appartient et elle peut le contrôler
(autonomie).
— Et en adoptant ce procédé, elle m’a aidée à l’aider !
— Un rapport de confiance réciproque est établi.
J’ai donc utilisé cette même stratégie pour l’accompagner dans la pose de sa
péridurale à cette même patiente. L’anesthésiste a eu le temps de remplir sa
tâche dans le calme, à tel point que lui me dit s’être senti parfaitement
serein ! (Enfin, tant qu’il ne ferme pas également les yeux tout va bien !)
L’alliance est donc étendue à l’équipe médicale. Les parents, plus rassurés
concernant leur prise en charge médicale, peuvent se consacrer à leurs
émotions de l’instant présent. Au moment de rallonger la patiente, j’ajoute
une suggestion qui relie ce qui a été vécue à ce qui va suivre :
« Ne soyez pas agréablement surprise si le travail avance plus vite que prévu car la
détente de l’esprit s’accompagne souvent d’un relâchement en profondeur du corps, du
col, laissant simplement le bébé plonger dans le bassin, glisser comme sur un
toboggan » (sourire).
Panique et réification
Mme A. arrive en salle d’accouchement dans la précipitation. Il s’agit d’une multipare
(troisième enfant à venir) que l’on vient d’accueillir aux urgences à dilatation complète
(accouchement imminent). Ses contractions sont violentes ; elle ne sait plus comment
se positionner, comment respirer et elle est très agitée. Le temps pour la « rejoindre »
est court.
Comme toute personne qui souffre, elle est déjà dissociée donc il est très facile de la
rejoindre et d’activer l’imaginaire, et sa motivation car elle est « prête à tout » pour
obtenir un soulagement.
Sur un rythme soutenu, j’amorce la conversation :
- « Bonjour Mme A, je suis Sabine, la sage-femme et c’est moi qui vais m’occuper de
vous.
- Faites quelque chose… s’il vous plait… Aaaah !
- Rassurez-vous, je vais vous aider, écoutez-moi (et je baisse le ton, le but étant qu’elle
soit obligée de se calmer pour m’entendre). Elle est comment cette contraction ?
- Elle fait mal ! »
Mon phrasé est alors ferme, tranché, direct.
- « Est-ce qu’elle serre, elle brûle ou autre chose ?
- Elle serre fort, comme un étau !
- Ok, il a quelle couleur cet étau ?
- Heu… rouge.
- Vous savez, toutes les nuits on rêve, on imagine… et tout ça semble tellement réel
n’est-ce pas ? Comme si on le vivait vraiment alors qu’on ne fait que l’imaginer. Et
qu’est-ce que vous pouvez imaginer pour que cet étau rouge se relâche ?
- Le desserrer.
- Et il devient de quelle couleur quand il se desserre ?
- Plus clair… beaucoup plus clair.
- Quelle couleur vous rajouter pour que le rouge devienne plus clair ?
- Du blanc.
- Alors, avant la prochaine contraction, imaginez cet étau rouge… et à chaque fois que
vous soufflez du blanc, faites-le se desserrer, soyez bien attentive. Voyez-le s’écarter
de plus en plus à chaque fois que vous soufflez et plus il se relâche et plus il s’éclaircit,
plus cela devient supportable. Pendant que vous respirez et desserrez l’étau, je vais
vous installer plus confortablement, parce que tandis que tout se relâche… et qu’il y a
plus de place pour votre bébé, vous pourriez être surprise de la vitesse à laquelle il
amorce sa descente dans le bassin, comme si en créant de l’espace… vous le laissez
passer… glisser… plonger… pour, dans un moment, émerger… alors sentez-vous libre
de continuer ce que vous avez commencé : desserrer, relâcher, respirer le blanc qui
éclaircit, qui transforme, alors que tout devient tellement… plus clair… très bien
exactement comme ça. Cette impression de se déconnecter de soi-même pour revenir…
quand l’envie de pousser va apparaître… et vous pouvez imaginer dans quelques
instants… accueillir votre bébé avec cette satisfaction intérieure d’avoir accompli votre
mission de maman ; découvrir ce premier regard, certains traits de ressemblance
avec… alors laissez cette image se dessiner, quelque part…
Mme A. a accouché dix minutes après son arrivée, toute étonnée de la rapidité de la
naissance de son petit d’homme ! »
4. Conclusion
■ La communication
Sans que son importance soit toujours perçue, mais parfois prioritaire,
l’urgence de communication est aussi un des défis du médecin généraliste :
apporter des informations les plus claires possibles dans un laps de temps le
plus bref possible, et que ces informations soient idéalement retenues par le
patient et/ou son entourage, pour permettre au médecin de travailler
sereinement et dans une relation de confiance, même en urgence : vaste
défi ! Cette « pression relationnelle » qui vient s’ajouter aux aspects
techniques, nécessite souvent que le médecin soit praticien et lui-même
bénéficiaire de l’hypnose.
■ La demande du patient
Rapidité perçue par le patient : l’urgence à répondre à sa demande ou son
besoin. Selon les critères du patient certains symptômes ressemblent à des
pathologies gravissimes. De simples palpitations cardiaques sont parfois
interprétées comme un début d’infarctus foudroyant, ou un rhume comme
un inconfort dont il faudrait se débarrasser au plus vite ! La production d’un
certificat de sport pour une compétition 48 heures plus tard peut sembler
urgent d’un point de vue administratif pour le patient.
■ Le diagnostic
Rapidité perçue par le médecin : il existe avant tout l’urgence diagnostique.
« De quelle pathologie souffre mon patient ? ». Puis, l’urgence
thérapeutique : « Comment soigner mon patient le plus rapidement possible
et de la façon la plus efficiente possible ? ». Pour cela il peut avoir pour
objectif de réaliser un geste technique précis, le moins inconfortable possible
pour le patient et le plus correctement réalisé (frottis, point de suture).
■ L’équilibre
Rapidité du point de vue de l’équilibre physiologique : l’urgence est alors
diagnostique et thérapeutique. Le fonctionnement du corps et de ses organes
est directement menacé. C’est le cas dans l’urgence somatique (infarctus,
AVC, décompensation cardiopulmonaire…) et l’urgence psychosomatique
(état de stress post-traumatique, attaque de panique, bouffée délirante aiguë,
phase maniaque).
3. L’urgence/importance perçue par le patient
Et voilà Camille qui après avoir battu des ailes plie son coude pour applaudir
sa maman… L’examen clinique d’Alexandre est fait : l’extension et la flexion
de coude sont retrouvées. Histoire close. L’examen clinique d’Alexandre
continue au-delà de la phase de distraction de l’attention : il s’assure que son
patient est déjà sur la voie de la guérison. Les mots prononcés par Alexandre
sur la fin de consultations seront autant de suggestions :
- autorisant l’enfant à réutiliser son bras en pleine liberté et en toute sécurité
dans les amplitudes les plus complètes, comme un oiseau...
- rassurant les parents (parfois, englués dans un sentiment de culpabilité) sur
leur excellent réflexe à avoir pris soin de leur enfant en l’amenant, ce qui
aura permis à cet épisode d’être le souvenir d’un vol d’oiseau magistral dont
on pourra se rappeler aussi longtemps et dont on pourra oublier tout le reste
(suggérant ainsi l’oubli de la douleur et de l’anxiété).
91. « Communiquer une idée, un sentiment ou une émotion, et la communiquer efficacement, c’est-à-dire de manière à ce
que le patient y réponde, telle est la meilleure définition de l’hypnose », Megglé D. dans Erickson, hypnose et
psychothérapie, Éditions Retz, 2005.
Conclusion générale
La première chose à savoir avant de commencer
Dr Philippe Aïm
Chacun aura pu découvrir, au fil de ces pages, certaines pépites formulées de
façon unique, mais aussi des conseils, plusieurs fois répétés, à chaque fois
d’une manière différente selon le style de l’auteur, afin que chacun s’y
reconnaisse d’une façon ou d’une autre et que les ingrédients essentiels
demeurent pour le lecteur. Peut-être aussi repèrerez-vous quelques
contradictions entre un chapitre ou un autre. C’est le signe qu’une
adaptation est toujours possible, que face à l’urgence d’une situation, cet
adage solutionniste prend tout son sens : « Si ça ne marche pas, faites autre
chose ! » Le plus important n’est pas d’avoir la bonne recette, mais celle qui
marche, avec vous, avec le patient, à ce moment et dans ce contexte.
J’espère que ce livre fera partie de ceux dans lesquels on replonge
régulièrement, pour y relire un chapitre ou un paragraphe et y glaner du
matériel utile à la pratique. J’espère aussi qu’il encouragera le lecteur à se
former, à pratiquer, à oser l’hypnose en diverses situations, y compris dans
l’urgence avec ses spécificités.
Je ne reviendrai donc pas ici sur la manière de formuler des suggestions dans
l’urgence, les ingrédients essentiels de la captation de l’attention, le bon
usage de la directivité/leading/position haute, quand cela est nécessaire,
l’optimisation de la progression la plus efficace et rapide possible vers
l’hypnose, et tous les autres aspects techniques. Comme nous l’avions
conseillé en introduction, n’hésitez pas à lire les chapitres des professions qui
ne sont pas les vôtres, vous y trouverez forcément des sources d’inspiration.
Prenez des notes et appliquez.
Pour terminer ce livre, j’aimerais souligner un point essentiel sur le cadre de
la pratique en urgence.
L’urgence, presque par définition, est une situation temporaire. L’hypnose en
urgence est donc une « intervention de crise ». Elle ne règle pas un problème
de fond, elle permet de passer un cap. Cet aspect est fondamental et justifie,
presque à lui seul, la plupart des adaptations techniques de l’hypnose à
l’urgence.
Quand vous apaisez une crise d’angoisse, le patient va mieux, mais cela ne
fait pas, à lui seul, la thérapie de son trouble anxieux, dépressif ou
traumatique ; quand vous obtenez une hypnoanalgésie ou une
hypnosédation, le soin n’a pas commencé ; quand vous prenez fortement le
leading pour induire une transe avec autorité et bienveillance, vous allez,
secondairement, donner le contrôle, les ressources, au patient, voire lui
apprendre l’autohypnose.
L’hypnose en urgence se permet des adaptations techniques et s’autorise à
jouer des cartes qui paraîtront à certains atypiques par rapport aux séances
d’hypnose plus psychothérapeutiques, plus « classiques » dans leur
représentation, car elle n’est pas un travail de fond mais un « travail qui
permet le travail ». Bien sûr on peut utiliser des techniques similaires en
thérapie, pour induire la transe parfois, mais elles ne font pas à elles seules
une stratégie thérapeutique. Et en tout cas, dans l’urgence, une fois la crise
passée, tout est fini ou bien tout reste à faire.
L’aspect fondamentalement technique de l’hypnose pratiquée dans l’urgence
permet d’obtenir rapidement une relation de qualité et des phénomènes
hypnotiques et dissociatifs. On maintient ce phénomène le temps du soin, le
temps que la situation permette l’apaisement.
Le temps plus long et plus profond, le plus thérapeutique, le plus durable,
consisterait justement, non pas à « maintenir la dissociation le temps du
soin » mais à « utiliser cette dissociation pour réassocier autrement »,
provoquer un réaménagement intérieur, actif et durable.
Une intervention de crise par rapport à une intervention de fond, n’est ni
moins noble, ni moins importante, puisqu’elle permet le travail, levant
l’obstacle qui empêche tout accès aux ressources et même, tout accès au
patient ! Certains pourraient trouver que les situations d’urgence sont
relativement « pauvres » par rapport à la grande complexité de certaines
situations de thérapie où des stratégies fines doivent être déployées. En
vérité, il s’agit d’une toute autre richesse qui permet une créativité et une
inventivité technique incomparable. La nécessité de l’efficience ouvre des
portes. Le travail se passe sous pression, mais il s’agit de cette forme de
pression qui transforme le charbon en diamant.
Qu’il s’agisse juste de passer la crise, de passer le cap (soin douloureux,
anesthésiologie…), ou qu’il soit question, parfois, d’ouvrir une porte à un
suivi, une thérapie : gardons quelques idées en tête avant de pratiquer en
urgence. Ne cherchons pas la pratique parfaite, ne cherchons pas à tout
régler, à tout résoudre, ne cherchons pas à ne commettre aucune erreur ou
ne nous disons pas que ce que nous faisons, même d’atypique ou de peu
conventionnel, serait une faute. La créativité et « presque » tous les coups
sont permis tant que l’éthique demeure. Nous devons passer le cap, y
compris parfois, imparfaitement. Il sera temps après et peut-être dans un
autre contexte, de reprendre, affiner et traiter plus en profondeur. Entre
temps, le patient aura trouvé des ressources insoupçonnées en un temps
record, et ce n’est jamais perdu !
L’hypnose est une pratique riche, en constante exploration et évolution.
Nous espérons qu’avoir rassemblé les réflexions, techniques et témoignages
de ces praticiens, contribuera à faire avancer la pratique. Nous espérons aussi
que la publication d’un tel ouvrage ouvrira à une plus grande reconnaissance
du monde médical de la pratique de l’hypnose en situation urgente,
élargissant l’image de relaxation ou de pure psychothérapie qu’elle a parfois,
et la compétence de divers praticiens dans leurs champs variés de
compétences.
Nous espérons surtout, car c’est là notre but essentiel, que cela permettra
une meilleure prise en charge des patients, un plus grand confort pour eux et
leurs praticiens, et l’amélioration d’un domaine qui ne pourra jamais assez
être amélioré : la qualité de la relation entre les soignants et les soignés.
Composition, mise en pages : Patrick Leleux PAO
Couverture : Primo & Primo
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