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    Les auteurs

Philippe Aïm est psychiatre et psychothérapeute. Il a dirigé la rédaction de


ce livre. Ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Nancy,
praticien hospitalier, il exerce maintenant en ville, à Paris. Fondateur de
l’institut UTHyL et directeur pédagogique du CHTIP (Collège hypnose et
thérapies intégratives de Paris), il forme depuis de nombreuses années des
soignants à l’hypnose et aux thérapies brèves. Il anime la chaîne YouTube
« CommPsy » et est l’auteur de Écouter, parler : soigner aux éditions Vuibert,
L’hypnose ça marche vraiment ? aux éditions Marabout et Harcèlement scolaire :
guide pratique pour aider nos enfants à s’en sortir aux éditions Plon.
 
Denys Coester est médecin anesthésiste-réanimateur, formé à l’hypnose médicale depuis 2006.
Curieux des différentes sensibilités de l’hypnose, il s’est également formé à l’hypnose non médicale
classique, l’hypnose de scène et l’hypnose de rue. Instructeur certifié à la NGH (National Guild of
Hypnotists), coach et auteur de Zéro sucre grâce à l’auto-hypnose (Larousse, 2020) et Les
secrets d’une bonne immunité (Albin Michel, 2020).
 
Cécile Colas-Nguyen est sage-femme et hypnothérapeute, titulaire d’une licence de
psychologie et du DU d’hypnose médicale, directrice du Centre «  double lien  » et membre de
l’Institut Erickson de Strasbourg-Alsace. Officier du service de santé des sapeurs-pompiers du Bas-
Rhin et sous-officier de réserve du service de santé des armées, elle est moniteur de secourisme et
chargée d’enseignement au SDIS 67.

 
Antoine Garnier, praticien et consultant en hypnose appliquée depuis 2005, est l’auteur du
livre Autohypnose – 20 exercices pour se sentir mieux (Hachette, 2018).

 
Nazmiye Guler est médecin-urgentiste au CH de Metz-Thionville, et en consultation hypnose
et thérapies brèves. Formatrice à l’institut UTHyL et au CHTIP, elle a co-rédigé les recommandations
de la SFMU sur les « alternatives thérapeutiques non médicamenteuses » pour l’analgésie et la sédation
aux urgences (Lavoisier, 2016).

 
Florent Hamon est infirmier anesthésiste. Il a débuté l’hypnose en anesthésie auprès des grands
brûlés puis dans le cadre de tumorectomie en sénologie. Il est également hypnothérapeute en ville et
chargé d’enseignement au CHTIP.

 
Idrissa N’Diaye  est médecin généraliste et praticien en hypnose en Loire-Atlantique.
Enseignant attaché à la faculté de Médecine de Nantes, il est formateur en hypnose dans plusieurs
instituts publics et privés.

 
Corinne Pissevin est psychiatre, psychothérapeute, praticien hospitalier au sein du GHU Paris
Psychiatrie et Neurosciences, et formatrice en hypnose à l’AFEHM.

Elle est l’auteure de  plusieurs publications  : «  Les phobies  : une problématique de temporalité et
d’autonomie  » dans Le Guide de l’hypnose médicale (Éditions In Press, 2015)  ;  «  Clinique et
neurosciences. Les liens hypnotiques », Hors-série n° 13 de la revue Hypnose et thérapies brèves
(Éditions Métawalk, 2019).

 
Pascale Reynette est docteur en chirurgie dentaire, diplômée de la Faculté de Nancy,
praticienne libérale à Nancy, formée en implantologie et parodontologie. Formée à l’hypnose et aux
thérapies brèves (institut UTHyL Nancy), elle est formatrice en hypnose pour l’institut UTHyL et au
CHTIP. Hypnopraticienne passionnée, elle utilise quotidiennement l’hypnose dans son exercice.

 
Sabine Robier est sage-femme. Après un début de carrière en région lyonnaise, elle pratique à
La Réunion puis en Guadeloupe, où elle travaille en salle d’accouchement au CHU de Pointe-à-Pitre.
Elle décrit sa rencontre avec l’hypnose comme une « révélation » l’ayant aidée à améliorer sa manière
de travailler à de nombreux niveaux.

 
Jordan Vérot est praticien et formateur au Centre Hypnose Nice. Il est également coach RNCP
et auteur de plusieurs livres dont Guide pratique d’hypnose rapide (2018) et Hypnose –
Leviers de changement : comment les détecter et les activer (2018).
     Remerciements

Cet ouvrage a été écrit, interrompu, retardé, puis repris, édité et corrigé
pendant l’année 2020, celle où la Covid-19 a retenu toute notre attention. Y
arriver n’était pas gagné d’avance ; ce fut une œuvre collective et je remercie
celles et ceux qui y ont, directement ou non, participé.
Je remercie chacun des auteurs qui, malgré les urgences qui les ont parfois
débordés, ont pris du temps pour cet ouvrage, consciencieusement.
Je les remercie aussi d’avoir toujours laissé l’humain au cœur de leur métier,
souvent sous la forme d’une place pour l’hypnose dans leur pratique,
montrant que nous pouvons l’appliquer même quand le temps nous semble
manquer.
Je les remercie également pour leur envie enthousiaste de partager leur savoir
dans ces pages. J’ai beaucoup appris en les lisant et en dirigeant ce collectif
hétéroclite.
Je remercie Nissa Bernard aux éditions Vuibert d’avoir cru en ce projet et
« motivé les troupes » quand il le fallait. Merci à elle et toute l’équipe pour le
travail d’édition du texte et de préparation du livre.
Je remercie enfin les patients qui se «  prêtent au jeu  » de l’hypnose, même
quand l’urgence leur semble ailleurs. Leur coopération est précieuse et leurs
témoignages et histoires cliniques sont sources de quantité d’apprentissages
pour les praticiens.
Philippe Aïm
     Préface

Faire de l’hypnose aux urgences, quelle idée saugrenue ! C’est dans cet état
d’esprit que j’accueillais, il y a maintenant quelques années, une consœur du
service, urgentiste, qui venait me demander la possibilité de s’inscrire à une
formation d’hypnose.
Les urgences, c’est l’immédiateté, la rapidité diagnostique et thérapeutique,
nous n’avons pas de temps à perdre avec des pratiques chronophages et,
pensais-je, aléatoires. Connaissant l’opiniâtreté de cette jeune consœur et
considérant, inculte que j’étais, que si le service n’avait rien à y gagner, il
n’avait rien à y perdre, j’ai cédé à leur demande : car entretemps, elle avait
déjà réussi à convaincre une autre collègue...
J’abordais donc l’introduction de cette pratique avec une bienveillante
indifférence.
Quelle erreur de ma part  ! Ces deux «  pionnières  » ont eu vite fait de me
convaincre, témoignages à l’appui, de l’efficacité et de la rapidité de la
pratique de l’hypnose, même aux urgences  : suture chez l’adulte comme
chez l’enfant, réduction de luxations d’épaule, de coude, réalisation d’un acte
invasif comme la ponction lombaire, atténuation de l’angoisse et de la
douleur lors de l’infarctus, même en préhospitalier.
Encore mieux, d’une pratique destinée à soulager les patients, l’hypnose
devenait également un outil permettant aux soignants-pratiquants de se sentir
mieux. Renouer un contact relationnel avec les patients, dans le cadre d’un
exercice médical devenu technologique et déshumanisé, permet de retrouver
le vrai sens de notre engagement. J’ai (re)découvert, grâce à elle, la force de
la parole, du verbe, y compris pour soigner. De là à imaginer utiliser
l’hypnose en régulation médicale, au Samu-Centre 15, au téléphone... il n’y
eu qu’un pas pour ces exploratrices, un pas suivi par d’autres qui ouvrent la
porte à la « communication thérapeutique » dans la formation des assistants
de régulation médicale et des futurs urgentistes.
Dans cet ouvrage écrit par des spécialistes passionnés et passionnants, vous
découvrirez les multiples facettes de «  l’hypnose en urgence  », du service
d’urgences au cabinet de médecine générale en passant par le bloc opératoire,
la salle d’accouchement, le « divan » du psychiatre ou le cabinet dentaire. À
la fin de votre lecture, vous serez, au mieux convaincu sinon conforté dans
l’idée que cette pratique, efficace pour les patients comme pour les soignants,
a toute sa place dans les urgences.
Merci à Nazmine Guler pour son opiniâtreté et son investissement auprès des
patients et à Philippe Aïm d’avoir coordonné cet ouvrage.
Dr François Braun
Président de SAMU-Urgences de France
Chef du pôle Urgences du centre hospitalier de Metz-Thionville
 Avant-propos
      La vitesse et la précipitation
Philippe Aïm

1.  Le monde a changé

Quand j’ai commencé à parler d’hypnose il y a une quinzaine d’années, on


me disait souvent que l’hypnose « faisait son entrée dans le monde du soin ».
Il y a trois ans, quand je faisais la promotion de mon ouvrage sur l’hypnose,
on me demandait : « Alors vous nous parlez de cette technique qui fait son
entrée dans la médecine » ?
Cette idée est donc récurrente… mais fausse. Depuis 50 ans, et peut-être
avant, on entend sans cesse que l’hypnose « fait son entrée » dans les soins,
alors qu’elle ne les a jamais vraiment quittés. La transe a toujours eu une
utilisation visant le soulagement, qui apparait clairement (bien
qu’accompagnée d’une dimension religieuse ou métaphysique) dans les
pratiques chamaniques, ancestrales.
Dès que l’usage de la transe fut autre chose qu’un phénomène mystique
(généralement à partir de Mesmer, le « magnétiseur », au xviiie siècle), elle
est utilisée pour soigner des maux. Même si les premiers concepteurs et
praticiens de l’hypnose1 (Puységur, de Faria, etc.) n’étaient pas tous
médecins, ils l’utilisaient clairement pour soulager des souffrances.

De façon bien identifiée au xixe siècle, à partir, au moins, de Braid,


d’Esdaile, de Bernheim puis, au xxe siècle, la médecine officielle,
scientifique, académique, universitaire s’en empare pleinement et cette
dimension soignante devient une évidence.
Alors que l’hypnose connaît des périodes glorieuses et des périodes de bien
moindre enthousiasme – comme au début du xxe siècle quand le dogme
freudien empêche de penser le psychisme autrement – les soignants ne
cessent de l’utiliser.
Même s’il y a toujours eu des usages divers, hors de la doxa, voire ludiques et
de spectacle, même s’il y a bien évidemment des usages non médicaux au
sens strict de l’hypnose (préparation mentale des sportifs, par exemple), celle-
ci traverse tout de même l’histoire du soin et de la médecine.
Malgré cela, elle a beaucoup entraîné de méfiance, de crainte, de
scepticisme.
Peut-être, justement, parce qu’il y a des usages ludiques dans lesquels les
hypnotiseurs mettent parfois en scène, avec plus ou moins de bon goût, une
sorte de jeu de pouvoir entre sujet et opérateur, donnant une image parfois
désespérante ou effrayante de cette pratique.
Peut-être parce que l’hypnose apprend à utiliser à bon escient l’influence que
le praticien a, de facto, sur son patient, et que l’on craint toujours un
mésusage de l’influence par manque d’éthique.
Peut-être parce que les phénomènes hypnotiques peuvent consister à faire
susciter au patient des phénomènes inconscients, hors de son complet
contrôle volontaire, et que cette idée inquiète.
Peut-être parce que son mécanisme, même quand on a de bonnes raisons de
croire en son efficacité, reste encore incomplètement expliqué…
En tout cas, longtemps, les nombreux praticiens qui l’ont toujours intégrée à
leur arsenal thérapeutique, étaient considérés comme de drôles
d’« hurluberlus ».
Et c’est sur ce point, au moins, que le monde a changé, depuis à peine
quelques décennies. Les chercheurs ont pu nous dire que l’hypnose n’était
probablement pas qu’un jeu de rôle et que notre cerveau était influencé par
les suggestions hypnotiques  ; que l’hypnose avait une efficacité de plus en
plus démontrée sur la douleur, certains troubles physiques, psychiques,
anxieux ou traumatiques. Elle est devenue un des sujets de recherche les plus
étudiés et sa pratique clinique a littéralement explosé.
Pour ces découvertes et pour d’autres raisons, aujourd’hui, dire que l’on
pratique l’hypnose dans un hôpital ou en tant que soignant n’est plus chose
étrange, même si une part de mystère continue d’attiser la curiosité. De
nombreux hôpitaux inscrivent l’hypnose dans leur programme de
formation  ; de nombreuses écoles de formation, de qualités différentes,
remplissent tous les ans leurs salles de cours de soignants dont la pratique
s’améliore.

2.  Tout s’accélère

Mais s’il n’est plus incohérent qu’on la pratique, on peut se demander


comment on la pratique. Il semble que dans les années 1970 et 1980, sous
l’influence de praticiens comme le grand Ernest Rossi (1933-2020) ou sous
l’influence de praticiens en PNL2 puis, plus tard, sous l’influence d’un
rapprochement (légitime mais qui ne devrait pas être une assimilation) avec
certaines formes de méditation ou de relaxation, on a tenté de débarrasser
l’hypnose de son côté spectaculaire – pour bien se différencier de ce
qu’Erickson appelait les «  charlatans  »  : les hommes de spectacle qui
pratiquent l’hypnose pour montrer leur pouvoir ou amuser la galerie, quand
un praticien de la relation d’aide devrait plutôt orienter sa pratique au
bénéfice unique du patient – on a voulu la débarrasser un peu de son aspect
impressionnant, qui pouvait passer pour autoritaire et directif, au profit de la
douceur, l’indirectivité, la transe plus légère, les phénomènes de relaxation,
les séances qui «  prennent le temps  » et s’orientent vers les ressources.
L’hypnose, notamment dans le domaine de la thérapie, a donné à voir
particulièrement cet aspect pendant les dernières décennies. Les «  post-
éricksoniens  » ont semblé négliger la directivité, la profondeur et d’autres
aspects qui étaient pourtant au cœur des pratiques de leur maître-à-penser.
Bien entendu, ces façons de faire, liées au contexte de leur époque moderne,
sont utiles, thérapeutiques et efficaces pour beaucoup de patients. Bien sûr,
les thérapies brèves, « filles » de l’hypnose, ouvrent sur de meilleures manières
d’explorer les difficultés et de trouver des ressources, sans transe formelle, par
la communication et hors de tout aspect idéaliste. Bien évidemment, les
techniques d’hypnose, même «  modernes  », n’empêchent pas d’explorer de
nombreuses dimensions, plus ou moins profondes et complexes.
Mais tout de même, on sent bien, au sein des organismes de formation
notamment, que les praticiens actuels ont une demande de pouvoir de
nouveau explorer, d’une part en thérapie, les notions de profondeur de
transe, de phénomènes hypnotiques plus actifs, de directivité des
suggestions  ; et d’autre part, d’explorer la dimension de rapidité de
l’hypnose.
Les situations urgentes nous démontrent l’efficacité de l’hypnose, notamment
sur la douleur aiguë ou l’anxiété, et nous invitent à nous questionner sur la
manière de rendre l’hypnose plus rapidement efficace ou profonde, autant
que possible et que nécessaire.
Quand on apprend l’hypnose de soins psychothérapiques « telle qu’on se la
représente  », caricaturale, patient assis dans un fauteuil confortable, quasi
endormi, thérapeute qui lui chuchote des mots rassurants à l’oreille, on a
parfois du mal à se représenter comment faire quand il est nécessaire
d’accélérer. Trop souvent, chez les praticiens formés, on entend « oui, je fais
de l’hypnose quand j’ai le temps  ». Quel dommage de se priver de cette
possibilité dans des situations plus rapides où, pourtant, l’hypnose rend de
tels services.
Ce livre est là pour répondre à cette interrogation : s’il est vrai qu’une « belle
séance, bien préparée  » dans les conditions idéales peut paraître prendre du
temps, s’il est vrai qu’une thérapie peut parfois être brève et parfois, bien
moins ; pour autant, l’hypnose peut-elle être utilisée en situation urgente ?
Les praticiens qui ont écrit ce livre vous répondraient oui sans trop
d’hésitations.
Et nous parlons bien là d’hypnose, avec tout son cortège de techniques de
communication, d’états de conscience, de suggestions et de phénomènes.
D’un simple détournement d’attention à une transe approfondie, il est
possible de travailler quand tout s’accélère, quelle que soit notre pratique.
Parfois, il s’agira de techniques spécifiques, parfois, simplement de certaines
techniques très habituelles mais qu’on mettra particulièrement en avant dans
un contexte urgent.
Bien entendu, l’hypnose se pratique aux urgences, mais aussi en urgence
dans diverses situations de soin.
À n’importe quel moment la situation peut dégénérer et s’accélérer.
N’importe quel praticien peut se sentir pressé par les circonstances, par le
contexte, par l’état psychique ou l’urgence médicale organique, et ne peut
s’imaginer entrer dans la caricature de l’hypnose « calme relaxante et lente ».
Comment l’hypnose peut-elle aller vite à ce moment-là, sans être l’autre
caricature d’elle-même, celle d’un homme de spectacle qui hurle des ordres
et soumet les patients à un sommeil cataleptique ou les marionnettise ?
Comment aider le patient à trouver, vite, efficacement, et dans le cadre
d’une relation soignante, les ressources nécessaires pour gérer et apaiser la
situation urgente ?
Comment donner rapidement l’essentiel du potentiel de cette technique
pourtant si  … technique, et qui semble, parfois, demander attention,
précision, calme, lenteur et un temps de réponse ?
Bref, de quelle manière faire de l’hypnose quand tout s’accélère en situation
d’urgence ?

3.  L’hypnose

Une pratique difficile à définir


Comme toujours, il est difficile de définir l’hypnose  ; je ne me risquerai
donc pas à tenter de le faire. Il me semble qu’une définition courte est
lapidaire, partielle, tant la définition de l’hypnose est complexe. Il est plus
cohérent, soit de tenter de cerner un peu mieux l’hypnose, ce qu’elle est ou
n’est pas, comment elle marche (et cela peut prendre quelques dizaines de
pages3  !)  ; soit de donner certaines de ses caractéristiques, de ses
composantes. C’est ce que je voudrais faire ici rapidement, en insistant sur les
composantes qui vont être les plus déterminantes pour un travail en urgence.
Cela permettra au lecteur ignorant de l’hypnose de s’en faire une idée, et au
lecteur qui la connaît bien de cerner ce sur quoi se focaliser dans sa lecture
puis, dans son travail clinique.

Une expérience de modification perceptive


L’hypnose comporte une dimension qui concerne l’état de conscience. En
hypnose, le sujet vit une expérience de modification perceptive  : ses
sensations, ses représentations, ses contenus de conscience sont différents, en
qualité, en intensité et dans la hiérarchisation de leur importance. Le patient
peut se retrouver focalisé par les paroles du thérapeute au détriment des
autres perceptions (qui lui parviennent tout de même, mais de plus loin ou
déformées ou encore imperceptibles), il peut être absorbé dans certaines
perceptions qui lui sont suggérées, en laissant d’autres de côté. Un
mécanisme clé de ce changement perceptif est la différente gestion de
l’attention. L’art du thérapeute est d’amener l’attention du patient sur ce
qui lui sera le plus utile au détriment de ce qui est gênant.
Et c’est là qu’il faut bien un état de conscience particulier et non un « simple
détournement d’attention ». Car notre esprit est bel et bien programmé, et
c’est logique, pour mettre en avant les sensations douloureuses ou les peurs,
qui sont des signes de danger. Quand une douleur ou une angoisse est là, elle
nous focalise, le reste semble s’effacer. Certains appellent cette absorption-là
une « transe hypnotique négative ». Ce réflexe est « animal », un mécanisme
de protection. On le voit bien, dans ces situations, parler d’autre chose,
rassurer en rationnalisant, ne fonctionne pas. Il faut passer par un état
particulier de la conscience dans lequel les cartes (même celles-ci) peuvent
être rebattues pour que de drôles de phénomènes se passent, comme celui où
un contenu de l’imaginaire va prendre le pas sur la situation réelle ! C’est la
hiérarchie des sensations qui change grâce aux manœuvres de
communication hypnotique.

Des phénomènes hypnotiques de natures différentes


Une autre caractéristique est la production de phénomènes hypnotiques.
Les phénomènes hypnotiques peuvent être de nature idéo-sensorielle (une
idée suggérée mène à une sensation ou une absence de sensation). Ce sera le
cas de la relaxation musculaire (très utile pour certains gestes médicaux et
interventions) ou encore de l’analgésie (suppression de la sensation de
douleur) au centre du travail de l’hypnose médicale. On peut aussi signaler
«  l’hallucination  » hypnotique, qui est le fait de voir/entendre/ressentir ce
qui nous est proposé, «  comme si c’était vrai  », comme si nous étions
réellement au contact de cette perception, de façon plus intense que la
simple imagination (ébloui ou transpirant, si l’on se projette hypnotiquement
au soleil, apaisé, si on est dans un lieu sécure, sentant «  réellement  » une
odeur, si on est dans un massif de fleurs, etc.).
Les phénomènes peuvent être de nature idéo-motrice (une idée suggérée
mène à un mouvement ou à une absence de mouvement) ; par exemple, la
catalepsie du bras qui reste suspendu dans l’air, la lévitation qui déclenche un
mouvement d’élévation du bras de façon non volontaire et sous l’effet de la
suggestion, la paralysie, etc.
Enfin, les phénomènes peuvent être, pourrait-on dire, idéo-dynamiques4,
une idée suggérée menant à un changement de dynamique de
fonctionnement mental  ; par exemple, une distorsion du temps, une
amnésie, une dépersonnalisation, etc.
Bien sûr, ce ne sont que des points de repères. Certains phénomènes en sont
une accumulation de plusieurs comme « l’onirisme hypnotique » (impression
de rêve éveillé, d’être pleinement ailleurs, ce qui est le plus utilisé dans le
cadre de la douleur aiguë), qui inclut à la fois un phénomène dissociatif (être
présent et ailleurs, changement de dynamique de fonctionnement) avec des
hallucinations (idéo-sensoriel) ou la régression en âge qui est une sorte de
dépersonnalisation qui peut comporter des éléments hallucinatoires,
idéomoteurs, etc.

Une classification des phénomènes


Voici un tableau qui reprend certains des divers phénomènes selon cette
classification, avec une forme de «  progressivité  », qui n’est pas universelle
(l’ordre peut changer d’un individu à un autre, bien sûr) mais donne
quelques repères des phénomènes usuellement plus simples à plus complexes
à obtenir dans leur forme complète.

Idéo-sensoriel Idéo-moteur Idéo-dynamique


- Être présent à ses sensations actuelles - Signaling - Distorsion temporelle
- Être présent à des sensations conscient (accélération/ralentissement)
habituellement non ressenties consciemment - Catalepsie - Déréalisation
- Imaginer des sensations « suspendue » - Futurisation
- Focaliser sur certaines sensations et en - Lévitation - Mono-idéisme
« anesthésier » d’autres (hallucination - Paralysie - Hypermnésie
négative) - Signaling - Paramnésie
- Ressenti « réel » « hallucinatoire » de inconscient - Amnésie (spontanée)
sensations imaginaires - Écriture - Dépersonnalisation
- Analgésie/Anesthésie automatique - Régression dans le temps
- Onirisme - Sommeil hypnotique
- Hallucination positive yeux ouverts - Somnambulisme
- Hallucination négative yeux ouverts - Amnésie sur commande
- Régression en âge
- Suggestion post-hypnotique

La relation

■ Comment l’autonomie peut naître de l’influence


Pour arriver à produire des phénomènes souvent inconscients, sous
l’influence de quelqu’un, il faut qu’une relation particulière se crée. Il s’agit
justement d’une relation de gestion de l’influence. Par rapport aux autres
thérapies, l’hypnose s’est rapidement démarquée sur cette thématique.
Beaucoup de praticiens et de théoriciens du soin psychique pensaient qu’il
fallait tout faire pour rester neutre. Si nous influencions trop le patient, alors
nous le privions de trouver par lui-même, se saisir, s’approprier sa solution
ou simplement sa compréhension. En somme, en rendant trop influente la
relation, nous le privions de liberté, d’autonomie. Cette opposition
apparente entre « relation donc influence » d’une part et « autonomie donc
liberté » d’autre part, est probablement à l’origine de la critique par Freud –
et dans ses suites de l’ensemble du monde de la psychiatrie et de la
psychologie –, de la notion de suggestion. La psychanalyse tente de
minimiser l’influence (praticien derrière le divan, qui parle très peu, etc.),
privilégiant l’autonomisation, au risque que certains patients se sentent un
peu « seuls » pourrait-on dire avec malice. D’autres thérapies aussi, malgré un
côté plus interventionnel, tenteront de rester neutres.
Mais cette contradiction apparente, cette défiance envers l’influence
relationnelle qui aurait pu coûter son avenir à l’hypnose, a été résolue par le
plus grand des praticiens du xxe siècle, Milton H. Erickson5. Il a montré
qu’en vérité, l’influence est inévitable, la recherche de la neutralité est un
fantasme impossible, une illusion. Comme le disent les praticiens inspirés
d’Erickson, de l’école de Palo Alto «  On ne peut pas ne pas influencer  ».
Alors plutôt que de fuir ou subir l’influence, Erickson propose de l’utiliser. Il
met en lumière que la relation est un lien qui libère6.
Il compare l’hypnose à la relation d’apprentissage. Si le maître, le parent,
paraît en position haute, en vérité, s’il est un bon enseignant, il n’a d’autre
but que de laisser l’élève, l’enfant, s’approprier le savoir pour l’assimiler à sa
manière, l’utiliser peut-être très différemment dans sa propre vie. Vous avez
tout oublié de vos difficultés à apprendre à marcher, parler ou lire. Et ces
compétences n’ont pas été mises en vous, c’est plutôt un potentiel a été
révélé par ceux qui vous ont accompagné dans ces acquisitions. Et par vous-
même, pour vous-même, vous avez marché sur de beaux chemins, eu de
jolies conversations ou lu des livres marquants.
Bref, on influence le patient, mais toujours pour qu’il libère sa propre
énergie, ses propres ressources et capacités. Plus tard, les théoriciens de
l’attachement montreront aussi, à leur manière, que c’est une sécurité
relationnelle qui permet l’autonomisation et la liberté. Les théoriciens plus
modernes ne feront que renforcer cette idée7.

■ La communication
Le support de cette relation particulière, apte à jouer de l’influence pour
développer l’autonomie et les compétences, est une communication
soignée. Le praticien en hypnose est attentif à la manière dont il amène le
sujet, dont il se sert des mots, mais aussi des intonations et du langage
paraverbal, pour attirer l’attention du patient.
Nous avons commencé notre description de l’hypnose par cette notion
d’attention, nous terminerons aussi avec elle, en soulignant que l’attention du
patient doit être attirée vers l’hypnose et ce, en tenant compte de son
expérience du moment. Il s’agit donc de faire preuve d’acceptation. Non
pas d’accepter tous les points de vue du patient, mais plutôt d’accepter son
ressenti (y compris douloureux), son état ou son besoin du moment. Si le
praticien cherche à le rassurer à tout prix, le patient peut ne pas se sentir
assez écouté, il peut alors se mettre à revendiquer son ressenti, à l’affirmer
plus fortement encore et voir son champ de conscience envahi par la douleur
et la difficulté.
Mais si le praticien peut tenir compte de ce que le patient ressent, de
l’environnement, du contexte et du moment  : par cela, malgré cela et à
partir de tout cela, dériver l’attention du patient vers le ressenti hypnotique,
l’efficacité en sera meilleure.
C’est particulièrement vrai, par exemple, dans un contexte pédiatrique. Avec
les enfants, peut-être encore plus qu’avec les adultes, il s’agit véritablement
de captiver l’attention, de la capter par n’importe quel moyen et de la
maintenir, pour accompagner le sujet vers la transe hypnotique. Une fois son
attention captée, les connaissances techniques feront leur office pour
l’induction de l’hypnose.
En thérapie, c’est bien ce mécanisme qui fait qu’à partir de la difficulté du
patient, le praticien attire son attention vers d’autres points de vue, des
alternatives ou des ressources qui n’étaient plus visibles, masquées par le
problème, et auxquelles il aura accès.
En urgence, le principe est un peu le même quand la capacité de s’apaiser, de
s’analgésier est masquée par l’anxiété ou la douleur. D’abord accepter que la
douleur ou l’anxiété est là, ne pas la nier, ne pas la dédramatiser, l’accepter
pleinement. Puis, la relation créée, l’attention attirée, l’hypnose déploie ses
capacités à faire changer le ressenti. De nombreux principes sont identiques
aux situations, peut-être davantage connues par certains lecteurs, de thérapie,
mais il faut le faire plus rapidement ; et pour un temps plus court, car il ne
s’agit pas de changer de point de vue sur la vie mais de pouvoir passer un
moment aigu, potentiellement difficile. Cela demande des connaissances,
une exigence technique tant dans notre cœur de métier – pour pratiquer en
urgence un geste médical par exemple – que des compétences en hypnose,
que ce livre souhaite modestement vous aider à développer.
Mais ce chemin, qui paraît long, peut-il vraiment être parcouru plus
rapidement ou emprunter des raccourcis ?

4.  Pour conclure : les objectifs de ce livre

Les praticiens que vous allez rencontrer dans ces pages viennent de divers
horizons. Ils nous parlent d’eux et des adaptations des techniques à leur
pratique de soin.
Je ne peux que vous recommander de ne pas vous arrêter à leur
métier pour guider votre lecture !
En effet, un praticien d’une autre spécialité peut être une grande source
d’inspiration pour la vôtre tant il y a de similarités possibles dans la façon
dont se présentent les situations urgentes, et de sources d’inspiration pour
trouver les ressources pour les apaiser. Chacun présente une pratique engagée
et riche qui ne peut que nous faire progresser, quel que soit notre domaine.
Chaque praticien présentera le contexte et les enjeux de sa pratique ainsi que
la façon dont se présentent les situations urgentes et rapides. Chaque chapitre
sera illustré de cas cliniques réels, une ou des techniques y seront présentées
et expliquées. Malgré cette trame et ces grands éléments communs, nous
avons au maximum respecté le style de chaque auteur. Leur expérience
personnelle est inspirante, leur manière unique de la retranscrire est utile à
mieux nous l’approprier. Vous pourrez, de chapitre en chapitre, acquérir
quelques grandes idées, tenter de retranscrire ces apprentissages à votre
contexte, et surtout, c’est conseillé, mettre en application les techniques !
Puisse cet ouvrage contribuer à inspirer les soignants, pour aider les patients
grâce à l’hypnose, y compris dans les situations urgentes et dans celles où
tout s’accélère.

1. Si vous souhaitez en savoir plus sur ces grands noms de l’hypnose, vous pouvez consulter le premier chapitre de mon
ouvrage, L’hypnose, ça marche vraiment ? (Marabout, 2017) ou tout simplement cette série de vidéos qui résume l’histoire
de l’hypnose : https://www.youtube.com/playlist?list=PLr7zIXWfb622ah-l5JpkC1oN4VG7h2P8O
2. Ensemble de techniques de communication, d’outils langagiers, à visée initialement psychologique, notamment
inspirés de l’hypnose et développés par Bandler et Grindler dans les années 1970 et 1980.
3. La dernière fois que je m’y suis essayé, j’ai résumé mes idées en un livre, qui devrait répondre à la plupart des
questions que vous vous posez sur l’hypnose : L’hypnose : ça marche vraiment ? (op. cit. 2017)
4. Notez que je n’emploie pas ce mot au sens de Bernheim, de « la tendance d’une idée à se transformer en acte » et qui
incluait tous les phénomènes puisque « l’acte » pouvait être un acte psychique ou perceptif, comme une sensation, etc. Je
préfère employer le mot composé « idéo-dynamique » comme une idée qui change la dynamique de fonctionnement de
l’esprit.
5. Erickson (1901-1980) est le praticien qui a le plus marqué l’hypnose. On trouvera une présentation détaillée de ce
psychiatre américain de génie dans mon livre ou les vidéos citées à la note 1.
6. Pour en savoir plus, j’ai développé ce sujet de la relation/la liberté et du débat de l’époque Bernheim/Charcot/Freud,
comment ce débat aurait pu faire disparaître l’hypnose et comment Erickson a changé toute la donne dans cette courte
conférence disponible sur YouTube : https://youtu.be/33g9I8G1F8o
7. Voir, par exemple, toute la complexe réflexion de E. Rossi sur le travail d’Erickson dans Du symptôme à la lumière,
Édtions Satas, 2009 ou le propos de F. Roustang dans La fin de la plainte, Éditions Odile Jacob, 2001.
     Sommaire

Partie 1 : La rapidité

1. L’hypnose était-elle plus rapide avant ?


1. La nécessité du temps
2. L’illusion de l’instantanéité
3. Pathologie et hypnose rapide 
4. L’hypnose thérapeutique : plus rapide, plus universelle, moins profonde
5. L’apport d’Erickson
6. Hypnose et drogues
7. xxe siècle, le retour de l’hypnose chirurgicale

2. « Nous sommes tous des urgentistes »


1. Cheminement d’une hypnosceptique
2. Transformations personnelles et professionnelles
3. Est-ce un don ou un savoir-faire qu’on peut apprendre ?
4. Pour conclure

3. L’hypnose rapide
1. Définition
2. Objectifs
3. Accueil
4. La compétence
5. L’engagement
6. Rituels et focalisation
7. Réactivité et simultanéité
8. Dissociation : volonté vs automatisme
9. Dissociation corporelle
10. Conclusion

Partie 2 : La vitesse


Pratique de l’hypnose dans les contextes urgents

4. « L’hypnose en urgence… aux urgences »


1. Introduction
2. Règle n° 1 : éviter l’effet nocebo... en pratiquant « l’asepsie du langage »
3. Règle n° 2 : jongler entre la position haute et basse
4. Règle n° 3 : faire confiance à l’hypnose et aux patients
5. Règle n° 4 : utiliser stratégiquement la directivité
6. Règle n° 5 : l’hypnose tout-terrain
7. Règle n°6 : observer, observer, observer pour s’adapter
8. Conclusion 

5. L’hypnose « en situations extrêmes »


1. Quelles sont ces « situations extrêmes » ?
2. Un praticien préparé
3. Auprès du patient
4. Cas cliniques
5. Inspiration et poussière d’étoile
6. En résumé, quelques conseils pour l’hypnose de terrain
7. Conclusion

6. L’hypnose en anesthésie non programmée


1. Le contexte
2. Qu’est-ce que l’hypnose dans le cadre de l’anesthésie ?
3. La communication « hypnotique » dans le cadre de l’urgence
4. La communication hypnotique : histoire clinique
5. Technique classique d’hypnosédation
6. Une induction plus rapide dans une situation d’urgence

7. Rôle de l’infirmier praticien en hypnose dans les contextes urgents


1. Rôle infirmier
2. Pour aller vite, prendre du recul
3. En pratique
4. Quand ce n’est pas si simple : le besoin de contrôle en situation incontrôlable
5. Quelques outils techniques
6. La prise en compte des ressources immédiates ou décalées
7. Finir en silence
8. Conclusion : le mode sans échec

Partie 3 : L’accélération


Pratique de l’hypnose dans les contextes qui peuvent devenir urgents

8. L’hypnose en urgence en psychiatrie 


1. Introduction
2. L’urgence en situation d’entretien
3. L’urgence dans les services d’urgence psychiatrique
4. Situations de crise et adaptation au contexte : exemple du traumatisme ou de l’agressivité
5. Conclusion

9. L’hypnose en urgence au cabinet dentaire


1. Introduction
2. L’utilisation de l’hypnose en dentisterie
3. Les contextes d’urgence en médecine dentaire
4. Conclusion

10. L’hypnose en urgence en salle d’accouchement


1. Introduction
2. Premier contact
3. Cas cliniques
4. Conclusion

11. L’hypnose en urgence au cabinet de médecine générale


1. Les enjeux de la rapidité en médecine générale
2. L’urgence de prendre soin de celui qui prend soin
3. L’urgence/importance perçue par le patient 
4. L’urgence/importance perçue par le médecin
5. Il est urgent de…

Conclusion générale
Partie 1

LA RAPIDITÉ
Cette première partie plante le décor avec les
notions les plus importantes  : la notion de
rapidité en hypnose et son évolution,
indispensable pour situer où nous en sommes ;
les techniques essentielles pour rendre
l’hypnose plus rapide  et, plus humain que
technique, un témoignage - qui peut inspirer
certains d’entre nous et faire écho aux
questions qu’ils se posent - d’un praticien qui
vit une évolution personnelle et professionnelle
en intégrant l’hypnose à son exercice quotidien
d’urgentiste.
 1  L’hypnose était-elle plus rapide avant ?
Antoine Garnier

Antoine Garnier est hypnothérapeute, formateur en hypnose, et un excellent


connaisseur de l’histoire et des fondements de l’hypnose. Dans ce chapitre
remarquable d’érudition, de précision, il nous propose un regard historique. Il est
utile de savoir d’où les idées viennent pour nous situer et nous enrichir.
Quelle est l’histoire de la rapidité en hypnose ? On découvrira que, globalement, pour
les anciens, un minimum de temps est incompressible pour arriver à un résultat.
Malgré l’image d’Epinal qu’on peut avoir de l’hypnose classique comme puissante et
rapide, les anciens y voyaient plutôt un exercice méthodique et laborieux. La
possibilité d’une hypnose rapide ou en urgence est une idée plus moderne qu’il n’y
paraît.
De nos jours, les praticiens ayant l’envie d’obtenir des effets rapides et puissants
s’opposent parfois à ceux qui défendent la précision et la lenteur.
Que peut-on en retirer pour notre pratique ?

Combien de temps faut-il pour induire une hypnose satisfaisante et en tirer


profit ? De cette réponse dépend la possibilité d’utiliser ou non l’hypnose et
ses phénomènes dans une situation d’urgence.
Une idée reçue voudrait que les hypnotiseurs d’antan subjuguassent de leur
charisme leurs patients, et les fissent basculer dans une hypnose abyssale d’un
« Dormez » tonitruant.
Or, s’il est une notion qui a très vite était comprise et intégrée par les
pionniers de l’hypnotisme, c’est bien la nécessité de prendre son temps pour
induire des transes de qualité.
Alors comment nos grands prédécesseurs géraient-il l’urgence  ? Comment
utilisaient-ils l’hypnose quand le temps leur manquait  ? Quel éclairage
historique peut nourrir notre compréhension actuelle de la temporalité
hypnotique et notre pratique d’une hypnose dans un temps court ?
1.  La nécessité du temps

À la source même de l’hypnotisme moderne se trouvent les cérémonies


magnétiques de Franz-Anton Mesmer. Les sujets tombaient dans des transes
convulsives grâce à des dispositifs souvent très complexes comme le célèbre
baquet magnétique. Il s’agissait de toucher une barre de métal reliée à un
baquet plein d’objets et d’eau magnétisés, le tout dans une salle obscure
emplie de musiques et de chants énigmatiques.

Un siècle plus tard, Regner et de Grandchamps8 (1890) rapportent le récit


détaillé d’un témoin anonyme. Il apparaît que c’est seulement après avoir
attendu les étapes du rituel d’installation du baquet, et souvent après avoir
assisté à la magnétisation d’autres personnes, dans une ambiance calme et
même ennuyeuse9, qu’une magnétisation relativement longue est appliquée à
l’individu, le plus souvent des femmes déjà sujettes à des « accès de vapeurs et
des convulsions hystériques  ». Or, ces personnes déjà impressionnables par
nature mettent encore du temps pour entrer dans l’état de crise, et bien
davantage pour en tirer profit.
«  Une heure ou deux suffisent à la production de ces signes. Dans les
traitements particuliers ils sont bien moins accentués. Souvent, après
plusieurs séances, les maux dont on souffrait sont nuls ou plus légers ».
En fait d’une guérison soudaine, il s’agit bien d’un long processus par lequel
des personnes, parmi les mieux disposées, sont mises en condition puis,
accompagnées patiemment vers l’état second et enfin, vers la guérison. On
trouve, à cette époque, une temporalité assez similaire à celle utilisée encore
aujourd’hui dans les applications faites de l’hypnose en thérapie brève. Brève
certes, mais qui se produit dans un temps qui n’est pas celui de l’urgence.
L’effet le plus spectaculaire, la crise, la conversion cathartique, peut être
soudaine et brève, mais elle découle d’une préparation minutieuse et
exigeante.
Ensuite, les élèves de Mesmer, en faisant connaître au « magnétisme animal »
de nombreux avatars, le dépouillant d’un lourd décorum et de ses théories
hasardeuses, ont progressivement créé une pratique de l’hypnose dont nous
sommes encore les héritiers directs, et s’accordent assez sur ce temps
nécessaire  : pour qu’une personne imite hypnotiquement un sommeil
profond puis qu’elle reproduise un somnambulisme satisfaisant, et pour
qu’elle tire de cet état second une guérison authentique, il faut la préparer,
l’entraîner patiemment, l’accompagner.

En 1826, pour Alexandre Bertrand10, une réaction rapide n’est pas même à
prendre avec trop d’enthousiasme.
Pourtant, on observe bien que des personnes tombent en hypnose profonde
comme on tombe dans les pommes, qu’elles n’ont pas besoin d’un
conditionnement laborieux. L’abbé Faria11 (1819) note  : «  Il m’est souvent
arrivé que des personnes que je n’avais jamais vues se soient endormies sur le
seuil même de mon salon, seulement en m’apercevant, avant que j’eusse pu
les remarquer. Il m’a fallu même quelquefois accourir, en laissant en suspens
mes occupations du moment, pour empêcher qu’il n’en tombât quelqu’une
à la renverse et d’autres fois, ce malheur serait sans doute arrivé, s’il ne se fût
quelqu’un pour les soutenir, en les croyant évanouis ».

Le Général Noizet observe, en 185412, cette même disparité en la comparant


à la diversité des temps nécessaires à s’endormir. Ce sont d’ailleurs les
personnes douées pour le sommeil qu’il considère comme particulièrement
disposées à atteindre en un temps très rapide, après seulement un effet de
surprise, quelques invitations à dormir et quelques manipulations tactiles, un
somnambulisme «  magnétique  » profond (nous dirions, aujourd’hui,
hypnotique, c’est-à-dire provoqué, maintenu et dirigé par la suggestion).« Et
c’est beaucoup lorsque sur dix personnes on en rencontre une qui soit
sensible à une telle action », précise-t-il.
La norme reste que la majorité des personnes plonge dans ce sommeil
artificiel avec un tel effet d’immédiateté, uniquement après un entraînement
sur plusieurs séances, et encore, quand elles y parviennent.

Puis, le magnétisme animal a continué son chemin au xixe siècle traversant


des vagues successives d’enthousiasme et de désintérêt13, jusqu’à connaître à
la belle époque (entre les années 1880 et le début du xxe siècle) un véritable
renouveau scientifique, prenant définitivement son nouveau nom
d’« hypnotisme », proposé depuis longtemps par Braid14 et Cuvillers15 avant
lui. Or, les auteurs de cette époque semblent d’accord avec leur aïeux : sauf
exceptions, l’hypnose s’obtient au prix d’une mise en condition, d’une
préparation, voire d’un entraînement. En 1907, Géraud Bonnet16, nous
ressert l’antienne, désormais incontournable, du catéchisme de l’hypnose  :
« Ne vous attendez pas à provoquer le sommeil d’emblée dans une première
séance  ; peut-être tomberez-vous sur un excellent sujet qui s’endormira,
mais n’y comptez pas. (…) En général, soyez patients, ne vous pressez pas ;
l’hypnotisme est, dans ses différents degrés, un état progressif qui n’augmente
que lentement : il faut du temps et ne pas craindre de prolonger la durée des
séances et de les renouveler. »
Alfred Binet et Charles Feré17, qui comptent parmi les grands fondateurs de
la psychologie expérimentale, ajoutent un éclairage scientifique par des
études concrètes et rigoureuses.
«  Si les moyens de produire l’hypnose sont très nombreux, leur efficacité
dépend de beaucoup de conditions. La première est l’accoutumance. On l’a
dit avec raison, lorsqu’on essaye d’endormir une personne pour la première
fois, presque tout échoue, et lorsqu’on a répété plusieurs fois l’expérience,
tout réussit. Ce fait de l’éducation hypnotique est très important à
noter (…). Des expériences nombreuses de psychométrie ont montré que :
— lorsqu’un acte est répété un grand nombre de fois, avec des intervalles de
repos suffisants, chaque série de répétition s’accompagne d’un gain de
temps de réaction ;
—  le gain de temps s’accroît à mesure que le nombre de répétitions
augmente ;
— il finit par atteindre une limite difficile à dépasser ».

2.  L’illusion de l’instantanéité

Cet entraînement minutieux, cette «  éducation  » laborieuse, permet que


finalement, une personne sache plonger dans une hypnose sur un simple
claquement de doigt, ce que l’on nomme aujourd’hui une « réinduction ».
Dès 1866, Ambroise-Auguste Liébeault écrit18 :
« Lorsque la personne que l’on endort l’a déjà été plusieurs fois, elle peut, de
même que le dormeur ordinaire, passer de la veille au sommeil tellement vite
que, pour tout phénomène objectif appréciable, l’on ne s’aperçoit que du
mouvement d’occlusion des paupières. »
Et pour qui n’assisterait qu’à cette part de l’expérience et ne serait pas
informé de toute la préparation qu’ont suivie les sujets, l’illusion d’une
hypnose fulgurante assure à l’hypnotiste une aura de fascinateur digne des
vedettes de l’hypnose de spectacle. Un exemple édifiant nous est cité par
Pierre Janet en 191919 : « Chose étrange, Charcot qui était considéré dans le
public comme le plus grand hypnotiseur n’a jamais hypnotisé personne. Les
sujets qu’on lui amenait avait déjà été hypnotisés cent fois par d’autres et
étaient dressés par ceux-ci à changer d’état sur un signe du professeur.
Charcot ne faisait que le signal et, quand le sujet avait l’air de lui obéir, il
restait en réalité sous la dépendance d’une autre personne qui était le
véritable et le seul hypnotiseur. » 
Sous l’apparence de l’immédiateté se cache encore un apprentissage
progressif, et pour tout don, les hypnotistes ont celui de la patience. Et c’est
sous la houlette de ce même professeur, Jean-Martin Charcot, que les
chercheurs de l’école parisienne dite « de la Salpêtrière » explorent le « grand
hypnotisme  »20, une hypnose somnambulique dont on ne conserve, en
général, aucun souvenir au réveil. En cela, ils s’inscrivent dans la tradition
ouverte un siècle plus tôt par le Marquis de Puységur21, cet illustre disciple
de Mesmer, qui découvrit et exploita l’état de somnambulisme artificiel.
Puységur obtenait cet état après de longues sessions répétées de passes
magnétiques et seulement sur quelques personnes particulièrement sensibles
au fluide magnétique. Chez les chercheurs de la Salpêtrière, ce ne sont plus
des personnes sensibles ou douées, mais des personnes malades qui ont le
privilège d’être hypnotisables : les hystériques.

3.  Pathologie et hypnose rapide 


L’hystérie désignait alors un spectre large de troubles dissociatifs sévères. Une
personne développait une insensibilité du côté gauche, elle recevait un
diagnostic d’hémianesthésie hystérique, une personne perdait la vue sans
lésion détectable par les moyens de l’époque, elle faisait une cécité
hystérique, une personne manifestait des troubles aigus de la personnalité, des
épisodes d’amnésie, des crises de convulsion, des hallucinations, le diagnostic
d’hystérie tombait, à condition qu’on identifiât la nature «  morale  » du
trouble, c’est-à-dire psychique ou psychosomatique, dirions-nous
aujourd’hui, et bien souvent traumatique22.
Psychologiquement fragilisés, les hystériques étaient réputés suggestibles et
très hypnotisables. On pourrait imaginer que les séances d’hypnose sur les
hystériques fussent rapides et permissent de gérer certaines de leurs urgences.
Mais comme on reste attaché à une conception puriste de l’hypnose qui
n’accepte que des transes somnambuliques d’une grande profondeur, cela
reste très long à obtenir et à stabiliser. Pourtant, à en croire certains...
Ces patients étaient déjà dans une perpétuelle hypnose de par leur condition.
Pierre Janet écrit en 189323 : « Le somnambulisme avec l’amnésie, la division
de la conscience qui l’accompagne, est le type des phénomènes mentaux de
l’hystérie, à un tel point, comme je l’ai montré bien souvent, que certains
hystériques semblent être dans un état de somnambulisme continuel. »
Et dans le même ouvrage : « C’est surtout dans la thérapeutique de l’hystérie,
que l’hypnotisme a sa place tout indiquée, puisque le somnambulisme a les
rapports les plus étroits avec tous les phénomènes hystériques et qu’il a la
plus grande influence sur leur apparition ou leurs modifications. »
Notons que le somnambulisme est pour lui l’état d’hypnose le plus profond
et le seul réellement digne de ce nom. Puis, Janet cite Prosper Despine24 en
l’approuvant  : «  Les effets du somnambulisme sont nuls chez les personnes
bien portantes. »

Cinq ans auparavant, Charles Ségard et Jules Fontan25 observaient que,


comme symptôme même de la maladie mentale, la capacité à entrer en
hypnose disparaissait en guérissant :

À
«  À mesure que la santé revient, le sujet est de moins en moins
hypnotisable. »

Et finalement, en 191926, Pierre Janet confirme son opinion : « Qu’il y ait


des hystériques non hypnotisables cela n’empêche pas qu’il y ait d’autres
hystériques susceptibles d’être hypnotisés et surtout, cela ne supprime pas ce
fait essentiel, que les individus réellement hypnotisés sont presque toujours
des hystériques. »
Leur attention focalisée sur des cas d’extrême morbidité mentale, ces
pionniers de la psychologie expérimentale poussèrent l’hypnose à sa
définition la plus restreinte. Mais qu’en est-il de la question du temps  ? Si
l’hypnose est propre aux hystériques et que les hystériques sont déjà en
hypnose, alors la question du temps de l’hypnose est quasiment réglée  :
l’induction est faite avant même d’avoir commencé. Le patient aborde la
séance d’hypnose en se trouvant lui-même déjà dans un état d’une nature
hypnotique. Le temps de l’induction pourrait sembler réduit à zéro.
Pourtant, et c’est tout le paradoxe de cette hypothèse, il semble qu’il faille
encore du temps pour hypnotiser les hystériques, et pour les maintenir
plusieurs heures voire plusieurs jours dans une hypnose solide, et en tirer les
bénéfices comme nous l’indique Janet27  : «  Sauf chez quelques sujets qui
s’endorment immédiatement, nous sommes obligés de procéder par
tâtonnements, d’user de tous les procédés bien connus et que je n’ai pas à
décrire, de profiter de toutes les circonstances favorables pour déterminer ces
états subsconscients dont nous connaissons bien l’importance, sans en savoir
suffisamment la nature et le déterminisme (…). Comme beaucoup d’auteurs
l’ont remarqué, le sommeil hypnotique, ou tout simplement le sommeil
artificiellement déterminé et prolongé, indépendamment de toute
suggestion, semble avoir une certaine action sur le système nerveux des
hystériques. Il est certain que l’on note, au réveil d’un sommeil de ce genre
ayant eu quelque durée, une modification notable dans la puissance de
synthèse mentale, qui permet de diminuer plus facilement les idées fixes,
tous les accidents et tous les stigmates. Aussi, les anciens magnétiseurs
racontent-ils souvent comment ils ont obtenu des guérisons en prolongeant
l’état somnambulique, non seulement pendant des heures, mais pendant des
jours et même des semaines. J’ai décrit autrefois, en 1889, comment à leur
exemple j’avais maintenu une hystérique dans cet état pendant quatre jours et
comment j’avais réussi à faire disparaître ainsi une paraplégie extrêmement
tenace. »

4.  L’hypnose thérapeutique : plus rapide, plus


universelle, moins profonde

Chez Janet, l’hypnose s’entend dans un sens très strict et constitue une
indication exceptionnelle aux conditions très contraignantes. Rien qui ne lui
promette une grande popularité à venir. Pourtant, pendant que certains
poussaient l’hypnose au fond d’un entonnoir conceptuel, d’autres, au
contraire, en tiraient les bords pour en offrir une conception moins figée, et
s’émancipant de la fascination pour le somnambulisme profond et ses
manifestations spectaculaires, accordaient une valeur nouvelle au «  petit
hypnotisme  », aux hypnoses légères, états d’hypnose passagers, états
hypnoïdes, allant jusqu’à une suggestion débarrassée de l’hypnose. À Nancy,
le Dr Liébeault guérit tout un chacun par le mesmerisme dans sa
consultation ordinaire et attire l’attention du professeur Bernheim et d’autres
chercheurs qui étudient sa pratique pour la comprendre. Comme leurs
homologues parisiens, ces chercheurs s’intéressent aux perspectives qu’offre
l’hypnotisme en termes de recherche fondamentale et pour des applications
comme la médecine légale, mais le patronage du Dr Liébeault nourrit
surtout leur intérêt pour l’application thérapeutique la plus concrète et la
plus universelle. Comment l’hypnotisme se propose de guérir les gens
ordinaires, et notamment par l’effet des idées et de l’imagination, voilà ce qui
vaudra au professeur Bernheim d’inventer la psychothérapie28. Or, l’hypnose
au service de la psychothérapie clinique, sur des patients qui ne relèvent pas
de l’institution psychiatrique, donne pour la première fois la primauté à la
suggestion sur la qualité et la profondeur de l’état second d’hypnose.
L’attention est portée sur une hypnose qui parvient à être efficace dans un
temps raisonnable, accessible à la personne qui n’est pas lourdement
névrosée, mais souvent par davantage d’efforts et sous une forme moins
spectaculaire. Depuis la Suède, Wetterstrand29, également inscrit dans une
logique clinique, nous résume le biais parisien et l’intuition nancéenne à
laquelle il se rallie : « Contre la croyance générale, je dirai que les personnes
nerveuses sont très difficiles à hypnotiser. Beaunis appelle l’attention sur ce
fait ; et l’opinion soutenue par quelques médecins de Paris que l’hypnotisme
dans la plupart des cas est en relation étroite avec l’hystérie doit être tenue
pour erronée. Il faut se rappeler qu’à l’École de la Salpêtrière les
phénomènes hypnotiques sont étudiés continuellement et exclusivement sur
les hystériques et, d’une façon générale, toujours sur les mêmes sujets (qui
arrivent à un haut degré d’entraînement), tandis que l’École de Nancy a fait
des expériences sur des gens de tout âge, sur des personnes en bonne santé et
sur des malades.
« J’ai étudié les phénomènes de l’hypnotisme uniquement d’un point de vue
thérapeutique et je n’ai jamais trouvé qu’ils eussent un rapport quelconque
avec l’hystérie. Une des meilleures somnambules que je n’ai jamais vue était
une jeune fille de dix-sept ans, n’ayant jamais été malade, comme on pouvait
s’en douter à voir son magnifique aspect physique. Extrêmement suggestible,
elle exécutait, même à l’état de veille, toutes les suggestions qui lui étaient
faites. Elle était aussi accessible à ce que Bernheim appelle les hallucinations
négatives, et réalisait ponctuellement des suggestions à un intervalle de
quinze jours. Ni moi, ni d’autres médecins n’avons jamais trouvé en elle la
plus petit trace de névrose ou la moindre apparence d’hystérie. »
D’autres auteurs, comme Paul Joire, partagent cette vision critique et
modérée30.
Sur le tout-venant, une hypnose authentique et profonde demandera une
fois de plus du temps et de la patience. Dès lors, on se détourne de cet idéal
somnambulique  : l’hypnose peut être plus rapide si on accepte qu’elle soit
moins profonde. Et le réel enjeu des hypnotistes devient alors de
perfectionner l’art de la suggestion. Si la suggestion prend la forme grossière
d’un ordre quasi militaire comme ce fut souvent l’usage, elle doit entrer par
la porte principale qu’on aura pris le temps d’ouvrir en grand par une
longue induction d’hypnose (une longue « hypnotisation »). Si la suggestion
est plus subtile, elle s’insinuera dans les interstices offerts par de brefs
moments de confusion mentale, de surprise ou d’hypnose légère. Hippolyte
Bernheim, en 1884 fait déjà le lien entre la subtilité de la suggestion et la
rapidité des effets :
«  En procédant ainsi par insinuation douce, plutôt que par ordre impératif,
en très peu de temps, variable d’une demi-heure à quelques minutes, la
résolution est obtenue, et l’état normal reconstitué »31.

5.  L’apport d’Erickson

C’est dans cette dynamique qu’au xxe siècle, le psychiatre américain Milton
Erickson apporte des innovations telles, qu’on désigne bien souvent les
auteurs jusqu’à lui comme classiques. Puis, on considère qu’une modernité
«  ericksonienne  », voire «  post-ericksonienne  » voit le jour dans les années
1960-1970. Erickson, pourtant coutumier des longues inductions classiques
et capable de prendre des heures pour entraîner un patient à un niveau
d’hypnose profond, décrivait volontiers des approches très suggestives et
naturalistes permettant d’ouvrir rapidement un dialogue avec l’inconscient.32
«  Voyez, quand je parle à un patient dans mon cabinet, j’obtiens que son
regard soit fixé sur moi, et je lui parle d’une telle façon qu’il sache que je suis
en train de lui parler. Il sait que je veux qu’il écoute, que je veux qu’il
m’entende, et que je ne suis pas le moins du monde intéressé par les bruits
en dehors de mon cabinet, l’avion au-dessus de nos têtes, les voitures qui
passent dans la rue, les oiseaux qui chantent dans le jardin. Je ne parle qu’à
lui, et je retiens son attention. Il se sent figé et il se sent rigide, mais la
douceur de ma voix et mon regard si direct concentrent tout son attention
sur moi. Et alors, il est dans un état de transe hypnotique.
C’est la technique que j’utilise habituellement parce que je n’aime pas perdre
de temps avec les techniques formelles de suggestion. Expliquer
“Maintenant, vous décroisez les jambes et posez vos pieds sur le sol. Vous
vous enfoncez dans le fauteuil et vous fixez mon regard”, tout cela prend
trop de temps, et j’ai beaucoup de choses à faire avec ce patient, alors je parle
tout simplement.
Je ne sais pas à quelle vitesse le patient peut apprendre, avec quelle facilité il
peut comprendre, ni ce que l’hypnose pourra bien lui apporter. Avec certains
patients, c’est très rapidement efficace, avec d’autres, ça marche plus
lentement. Les patients ont besoin de prendre leur temps, et il n’est pas
important qu’ils réalisent qu’ils ont été en hypnose. Leur inconscient le sait. »
C’est par cet aspect qu’Erickson inspira la plupart des mouvements
revendiquant son héritage, et servit de base au développement d’une hypnose
dite conversationnelle, c’est-à-dire qui prend les aspects d’une simple
conversation et dont les ficelles hypnotiques sont dissimulées dans le langage
corporel et dans les associations d’idées. Si en considérant le rôle dynamique
de la suggestion, Bernheim finira par renier l’hypnotisme, Erickson quant à
lui, parvient à concilier le primat de la suggestion et l’utilité de l’hypnose
profonde dans certains cas thérapeutiques. Il écrit en 194433  : «  Pour une
application médicale, l’hypnose légère et l’hypnose profonde sont toutes
deux satisfaisantes, en fonction de la nature et du caractère du but
thérapeutique à atteindre. Cependant, si l’hypnose légère ne donne pas de
résultat, il est possible de recourir à l’induction progressive d’une hypnose
plus profonde. »
Erickson développe ainsi toutes sortes de techniques subtiles de
communication, astuces verbales et corporelles, permettant d’assurer un
résultat équivalent sans recourir systématiquement au somnambulisme. En
avançant dans sa carrière, et donc dans la maîtrise de la communication
suggestive, Erickson s’oriente de plus en plus vers cette approche informelle
de l’hypnose. Lors d’une conférence qu’il donne sur le paquebot, Ocean
Monarch, en 1957, il dit34 : « Je n’accorde pas tellement d’importance à la
profondeur de la transe dans laquelle le patient se trouve parce que je pense
qu’on peut accomplir une psychothérapie complète et profonde dans une
transe légère, aussi bien que dans une transe moyenne plus profonde. Il suffit
juste de savoir comment parler au patient de façon à s’assurer des résultats
thérapeutiques. »
Et parmi ses innovations concernant le « comment parler au patient », il met
notamment l’accent sur une notion nouvelle qu’est la densité de la
suggestion. Au lieu d’administrer une instruction extrêmement détaillée
pendant de longues minutes, certaines formulations, certains jeux sur la
présupposition, sur des significations implicites, lui permettent de
communiquer les mêmes informations en beaucoup moins de mots, plus
subtilement et dans un temps plus court. Erickson conseille souvent à ses
élèves de s’entraîner à densifier ainsi leurs suggestions. Il conseille également,
pour gagner du temps, de s’appuyer sur les mécanismes de la personnalité et
de la communication qui préexistent à la séance, sur l’expérience et les
ressources de l’individu, ses associations d’idée et ses compréhensions
personnelles. Par exemple, plutôt que d’utiliser un jargon sans signification
personnelle pour le patient, Erickson encourage à suggérer le sommeil,
s’inscrivant en cela dans une certaine tradition35 : « “ Vous avez sommeil ! ”
est une injonction simple et directe. C’est également une déclaration pleine
de force qui porte en elle tellement de signification. (…) Quand vous dites
« Vous avez sommeil ! », vous vous retrouvez face aux compréhensions que le
patient a accumulé durant toute sa vie sur le sommeil comme phénomène
physiologique. Immédiatement, vous atteignez tous les apprentissages que le
patient a fait durant sa vie entière en lien avec le mot « sommeil ». Tout le
monde se couche sur un lit et s’endort. »
L’hypnose n’est pas physiologiquement du sommeil comme le rappelle
Erickson lui-même, mais « dormir » est une suggestion parlante, très dense
(elle contient, sans même formulation explicite, de nombreuses «  sous-
suggestions  » comme la fermeture des yeux, la détente, la moindre
importance à l’environnement, le calme, la possibilité du rêve, etc.) et à
laquelle il est facile et familier pour une personne de répondre d’une manière
toute personnelle.
Mais si, grâce à ces procédés, l’hypnose elle-même est écourtée, la thérapie
ne l’est pas nécessairement et le résultat n’est pas obtenu dans un délai plus
bref. Il devient plus rapide de planter la graine puisqu’il n’est plus nécessaire
de creuser un trou bien profond, mais pour autant, elle pousse, devient un
arbre et porte ses fruits toujours dans le temps qui lui est propre. Lors de la
même conférence, Erickson ajoute : « Il existe une tendance trop fréquente
pour l’opérateur à penser qu’il doit corriger le comportement immédiat du
patient. On ne doit pas avoir une telle attitude. Votre attitude doit exprimer
que le patient finira par tirer bénéfice de cela “ un beau jour ”, un jour ou
l’autre. Peut-être dans un jour, une semaine, un mois, six mois, en tout cas
dans un délai raisonnable, mais pas maintenant. »
Et durant toute sa carrière, il continua d’être fidèle à l’approche classique de
l’hypnose profonde en même temps qu’il développa cette pratique rapide et
subtile. Il continua d’être d’une patience inébranlable et tout en même temps
capable d’aller subtilement au plus rapide. Et même lui, qui a travaillé
comme personne avant lui à optimiser les techniques de l’induction, répète
sans cesse l’importance du temps dans tout travail d’hypnose. À lui seul, il est
un point de pivot historique, à la fois porteur de l’héritage des anciens
magnétiseurs et s’inscrivant dans la modernité des nancéiens.

6.  Hypnose et drogues

Cela étant dit, Milton Erickson lui-même évoque bien une façon inattendue
et efficace d’écourter l’induction de l’hypnose et de résoudre le problème des
résistances éventuelles : le recours à la chimie. Nous avons croisé plus haut la
mention par Janet de l’intoxication comme facteur d’hypnotisabilité, et
Erickson fait régulièrement référence à l’usage de drogues en lieu de
l’induction hypnotique. En 1934, il écrit dans un article de présentation
générale de l’hypnose36 : « Du fait de la compréhension scientifique actuelle
du phénomène, la technique de suggestion verbale directe est devenue la plus
commune. Les médicaments (drugs) peuvent également être utilisés pour
produire l’état hypnotique, mais les résultats ne sont pas satisfaisants car les
effets narcotiques interfèrent souvent avec les manifestations de la transe. Les
drogues qui peuvent être utilisées sont le paraldéhyde, les composés
barbituriques et l’amobarbital. »
En réalité, la perspective de remplacer l’hypnose par la chimie n’a rien
d’étonnant, puisque c’est précisément ce qui s’est produit un siècle plus tôt
dans le domaine de l’anesthésie chirurgicale. Entre les années 1820 et
184037, le somnambulisme dit « magnétique » était utilisé par de nombreux
auteurs comme les Français Teste, Récamier et plus tard, Broca, ou encore
Topham et Esdaile, en Angleterre, pour mener toutes sortes d’opérations
chirurgicales légères ou lourdes sans douleur. L’amputation de la cuisse,
menée par William  Topham et Squire Ward et relatée en 1843 par John
Elliotson38 et qui fit si forte impression sur la communauté scientifique en
son temps, est bel et bien rendue possible par l’entraînement progressif du
patient pendant plusieurs mois à développer un état suffisamment profond de
plus en plus rapidement. C’était donc assez long, mais il n’y avait pas mieux
à cette époque et les travaux d’Elliotson, ainsi que l’édification de sa clinique
mesmérique, donnèrent un élan à des chirurgiens comme James Braid et
James Esdaile qui contribuèrent de façon essentielle à la fondation de
l’hypnotisme moderne. À partir de 1845, Esdaile39 systématisa l’usage du
mesmérisme en chirurgie, à l’hôpital de Calcutta, et acquis une très grande
expérience en la matière. Sa première opération mesmérique porta sur une
double hydrocèle accomplie sans aucune réaction du sujet aux procédés
particulièrement douloureux de l’époque. La description de Esdaile fait état
de plusieurs heures très compliquées pour créer une anesthésie satisfaisante et
d’une opération qui dura quatorze heures en tout. Les nombreux autres cas
décrits par Esdaile rendent compte de la difficulté d’assurer un état
d’anesthésie assez profond pour la plupart des patients, sans y consacrer
beaucoup de temps et d’effort, et du caractère très prometteur mais encore
bien aléatoire de la méthode.
Il n’est donc pas étonnant que la découverte du chloroforme et de l’éther à
la même époque ait quasiment plongé cette méthode aux oubliettes de la
médecine en résolvant d’un seul coup le problème du temps et celui des
résistances psychologiques. C’était précisément l’urgence de la situation qui
conduisit à abandonner l’hypnose au profit de la chimie. L’hypnose ne
répondait pas aux contraintes de l’urgence.
Un siècle plus tard, chez Erickson, la chimie ne devrait pas remplacer
l’hypnose dans son entier mais la phase d’entraînement à l’état hypnotique.
L’état d’anesthésie chimique n’est pas seulement utile pour mener une
chirurgie mais également pour mener des actes de psychothérapie, comme il
l’indique dans son étude de l’usage de l’éther en psychothérapie en 1963.40
Et bien qu’il note les difficultés que pose cette approche, cette remarque a au
moins le mérite de nous rendre attentifs aux possibilités de détacher
l’hypnose des procédés laborieux d’induction verbale pour s’intéresser aux
activations physiologiques de la transe, que ce soit par la chimie ou par
d’autres moyens, afin de l’adapter à la contrainte d’un temps drastiquement
réduit.

7.  xxe siècle, le retour de l’hypnose chirurgicale

Mais si les chercheurs du passé ont envisagé de remplacer la parole


hypnotique par des médicaments, ils n’ont pas poussé l’idée bien loin et cela
reste davantage une piste qui s’ouvre pour des pratiques à venir. L’histoire
ancienne de la discipline, quant à elle, laisse bien peu de place à une hypnose
réellement rapide, et nous éclaire assez peu sur son utilisation en
urgence.  C’est seulement à partir des années 1950 que les cliniciens
urgentistes et les chercheurs commencèrent à se pencher plus sérieusement
sur cette question.

Durant la Seconde Guerre mondiale


Les chercheurs australiens Sampimon et Woodruf41 pallièrent le manque de
produits anesthésiques dans un hôpital pour prisonniers de guerre, en faisant
usage de l’hypnose sur vingt-neuf patients. La procédure fut totalement
infructueuse sur seulement trois patients, tandis que plus de deux tiers
développèrent rapidement une hypnose profonde. Parmi les opérations
effectuées, citons des extractions dentaires, chirurgie de la main, dissection
d’un doigt avec un tourniquet en raison d’une ténosynovite, la plupart
entraînant une amnésie totale de l’opération. Bien que la procédure fût
relativement rapide, on ne peut pas encore parler d’un usage de l’hypnose en
situation d’urgence car la méthode utilisée consistait à hypnotiser les patients
la veille de l’opération, puis à les ré-hypnotiser juste avant l’opération. En
cela, ils ne faisaient guère mieux que les chirurgies sous sommeil magnétique
décrites un siècle plus tôt.

Dans les années 1950


Aux urgences de l’hôpital Maudsley de Londres, en 1956, le
Dr  Lawrence  Goldie42 fait usage de l’hypnose avec une série de patients
souffrant d’une fracture de Pouteau-Colles, de dérangements internes du
genou, d’une dislocation de l’épaule, d’une fracture de l’ulna et du radius,
d’une lacération de la lèvre inférieure, d’un abcès mammaire, mais également
pour une extraction dentaire. L’hypnose visée était de forme léthargique et
souvent qualifiée de sommeil.
« Une femme mariée de vingt-sept ans plongea dans un sommeil profond en
dix minutes, et se trouvait complètement flaccide pendant qu’on réduisait sa
fracture (fracture de Pouteau-Colles) et qu’on lui appliquait le plâtre. Elle se
réveilla sur demande, ne pouvant croire que toute la procédure était
terminée. Questionnée le lendemain, elle n’avait aucun souvenir. La fracture
se guérit finalement dans une excellente position. »
Dans beaucoup de cas, Goldie obtenait un sommeil profond en dix à quinze
minutes et le patient développait une amnésie totale de l’opération. Mais il
observe entre cet état profond et l’état de veille tout un spectre d’états et de
degrés d’anesthésie ou d’analgésie. Goldie insiste sur le fait qu’en service
d’urgence, il n’est pas nécessaire de rechercher la plus grande profondeur
d’hypnose comme dans certains cadres expérimentaux, mais la profondeur
suffisante pour permettre l’intervention en remplacement de l’anesthésie
chimique. En cela, il rejoint, en chirurgie, les observations d’Erickson en
psychothérapie à la même époque.
Goldie procède entre autres en divertissant le patient de sa douleur par
l’invitation à se plonger dans une imagination agréable, un souvenir de
vacances, ou le souvenir du moment d’aller se coucher, et à s’y plonger au
point d’en faire une expérience hypnotique profonde, et suggérant une
grande détente physique à chaque respiration. Il observe une réceptivité
particulière des sujets en situation d’urgence douloureuse ou dans la
perspective d’une douleur, ce qui facilite la possibilité, pour l’hypnose, de
prendre la place d’une anesthésie chimique.
« La technique est efficace avec des sujets non entraînés, en particulier ceux
qui ont le plus besoin d’une anesthésie. »
Sur la question du recours aux médicaments, Goldie considère dans ce
même article de 1956, que le processus de l’anesthésie hypnotique nécessite
un patient en pleine possession de ses facultés et coopérant volontairement et
activement à l’expérience et que les drogues diminuent les succès du patient
aux expériences hypnotiques.
Dans un article incontournable de 2014 dressant un panorama très riche de
l’hypnose en urgence, Kenneth Iserson43 rapporte la remarque de Goldie à
propos de son étude portant sur des centaines de cas d’urgences
pédiatriques :
«  La majorité des applications où l’hypnose a été appliquée avec succès se
trouve chez les patients qui viennent à l’hôpital, souvent pour la toute
première fois, avec une blessure pour laquelle ils sentent qu’un traitement
immédiat est impératif. »
La position d’Iserson, lui-même, dans son étude de cette histoire moderne
de l’hypnose en urgence, est que l’hypnose est assez idéalement adaptée aux
urgences : « C’est sûr, rapide, facile d’accès, peu coûteux, ça nécessite peu de
personnel et d’équipement, et ça ne présente aucun risque. »
Il ajoute que l’hypnose s’applique à tous et réduit le coût du soin. Au regard
des observations que nous avons rapportées jusque-là, cette position s’inscrit
dans la vision universaliste de l’hypnose portée par Erickson et Bernheim
avant eux et suppose une définition de l’hypnose qui considère les états
d’hypnose légère comme valides et utiles.

Depuis les années 1980


L’hypnose d’urgence est à nouveau le sujet d’un intérêt foisonnant
notamment à travers les travaux académiques de cliniciens américains
souvent par ailleurs impliqués dans le courant de l’époque consistant à jeter
des ponts avec des pratiques moins académiques comme la programmation
neurolinguistique, le yoga ou la méditation. En 1984, le Dr Joseph Deltito
publie «  Hypnosis in the treatment of acute pain in the emergency
department setting  ». En 1986 Kohen publie «  Applications of
relaxation/mental imagery (self-hypnosis) in pediatric emergencies  ». En
1989, Dr Steve Bierman publie « Hypnosis in the emergency department »,
etc.
C’est dans ce contexte que Daniel Amen et Harold Waint publient l’article
«  Emergency room use of hypnosis  »44, dans lequel ils identifient l’état de
choc des patients en situation d’urgence médicale à une forme d’état
d’hypnose dans laquelle l’attention est grandement focalisée sur leurs
symptômes. En outre, dans le contexte de l’urgence, les notions de
préparation et d’entraînement à l’hypnose cèdent la place à une façon de
capitaliser sur les capacités hypnotiques des patients au moment de la prise en
charge.
«  Tous les patients ne sont pas capables d’atteindre un niveau profond
d’hypnose, mais tous peuvent tirer un bénéfice de la relaxation qui en résulte
ou tout au moins de la distraction causée par le fait de déplacer le centre de
leur attention. La profondeur de la capacité hypnotique peut se fonder sur le
« don » ou le talent inhérent au patient. »
L’enthousiasme des auteurs est tel qu’ils en viennent à mettre en garde contre
une trop grande efficacité de l’hypnose à supprimer la douleur chez certains
sujets, ce qui impose que l’examen des sources de la douleur soit mené avant
l’induction de l’anesthésie hypnotique.
En 2000, Mary Jo Peebles-Kleiger 45 rejoint Amen et Waint sur
l’identification de l’état de choc à une forme d’hypnose et témoigne
également d’une pratique de l’hypnose qui ne s’embarrasse pas des longs
entraînements historiques au somnambulisme profond :
« L’état d’hypnose peut être induit par quelques mots simples, sans induction
ritualisée très chronophage, et peut-être accompli tandis que d’autres
procédures sont en train d’être menées. (…) La plupart des interventions
utilisent l’état hypnoïde naturel des patients en urgence médicale (c’est-à-dire
la concentration augmentée, la dépendance et la perception restreinte) et le
redirige. L’état hypnoïde naturel est généré par la peur et la panique. »
En outre, elle insiste sur l’utilisation dans les urgences pédiatriques et dans les
cas de brûlures pour lesquelles l’hypnose permettraient de limiter la
profondeur de la brûlure et d’accélérer la guérison. Elle indique également
d’autres bénéfices de l’hypnose notamment en obstétrique et dans les
urgences psychiatriques, même si elle recommande de ne pas l’utiliser pour
le diagnostic des troubles de conversions et du syndrome de stress post-
traumatique.
Et ce ne sont là que quelques témoignages d’une foi grandissante dans
l’avenir médical de l’hypnose. Ironie du sort  : en son temps, la chimie a
remplacé l’hypnose par l’anesthésie, et désormais c’est également la volonté
de prescrire moins de médicaments dans les services d’urgence et pour le
traitement de la douleur qui conduit à développer l’alternative d’une
l’hypnose médicale.
 
Si nous ne nous attardons pas davantage sur les travaux de la fin du siècle
dernier malgré leur intérêt évident, c’est qu’ils ne sont pas à considérer
comme historiques mais parfaitement contemporains, puisqu’ils fondent et
confirment la pratique de l’hypnose en chirurgie, et notamment en urgence,
qui est encore en développement aujourd’hui ; de telle sorte qu’on puisse en
conclure que l’hypnose en urgence n’a pas tellement d’ancrage historique,
mais constitue précisément une page nouvelle de la pratique hypnotique, un
territoire dont l’exploration ne fait que commencer et dont l’histoire reste à
écrire.
Lorsqu’il s’agit d’hypnose, la rapidité est surtout le fait, au cours de l’histoire,
d’une redéfinition des attentes de moins en moins favorables à la profondeur
du phénomène hallucinatoire global, et donnant la part belle aux effets de la
suggestion. Les anciens, quant à eux, rendent compte d’une hypnose dont le
temps capricieux et incompressible force ses pratiquants à la persévérance et à
l’humilité. En 1897, le frère dominicain Marie Thomas Coconnier46,
écrivait, après un bel hommage au professeur Bernheim  : «  Une dernière
qualité nécessaire à l’hypnotiste autant que toutes les autres, c’est la patience.
(…) Tout homme sain de corps et d’esprit peut endormir certains sujets
convenablement disposés, en se servant des procédés somatiques en usage.
Encore, tout homme intelligent, avisé, énergique et ne doutant pas de soi,
sachant suggérer et imposer l’image du sommeil, réussira à endormir un bon
nombre de cas. Il appartiendra à la catégorie des hypnotiseurs de places
publiques et de cafés, qui hypnotisent vaille que vaille, à l’aventure, aux très
grands risques et périls des pauvres sujets. Quant aux vrais hypnotistes, ils
seront toujours en aussi petit nombre que le sont les hommes doués tous
ensemble d’une science psychologique profonde, d’un grand talent
d’observation, d’une perspicacité remarquable, d’une présence d’esprit, d’une
énergie de volonté et d’une patience à tout épreuve. »
Souhaitons donc aux praticiens d’aujourd’hui et de demain toute la patience
nécessaire pour donner une vraie place à l’hypnose en urgence.
 
Un immense merci à Mohamed Ammar pour son considérable travail de
documentation et sa coopération généreuse et passionnée à l’élaboration de ce chapitre.

8. Regnier et de Grandchamps, Histoire de l’hypnotisme, 1890.


9. L’action dans le temps d’une stimulation ennuyeuse, monotone, fera l’objet en 1909 des travaux de Boris Siddis dans « An
experimental study of sleep », ou de divers articles d’Ivan Pavlov. Siddis préconise cependant une stimulation monotone
et ennuyeuse mais intense plutôt qu’un environnement calme.
10. Bertrand A, Du magnétisme animal en France, 1826. «  La rapidité avec laquelle surviennent les effets que je viens
d’énumérer est très variable. Il peut arriver qu’à la première séance, on n’obtienne aucun résultat ; ce cas est même le
plus ordinaire  : mais les malades qui commencent ainsi par une insensibilité absolue finissent rarement par ne rien
éprouver de bien saillant. Dans la majorité des cas, malgré les résultats qu’on obtient dès la première séance, ce n’est
qu’au bout de quelques jours que les procédés du magnétisme animal produisent tout leur effet. »
11. Jose Custodio de Faria, De la cause du sommeil lucide, 1819.
12. Joseph Noizet F, Mémoire sur le somnambulisme et le magnétisme animal, 1854
13. Pour s’en rendre compte, lire le chapitre « L’Histoire de la suggestion et de l’hypnotisme » de Pierre Janet dans Les
médications psychologiques, Volume 1, 1919.
14. Braid J., Neurypnology, or the rationale of nervous sleep, considered in relation with animal magnetism. Illustrated by
numerous case of its successful application in the relief and cure of disease, 1843.
15. D’Hénin de Cuvillers E. F, Le magnétisme animal retrouvé dans l’Antiquité, 1919.
16. Bonnet G, Traité pratique d’hypnotisme et de suggestion thérapeutiques, procédés d’hypnotisation simples, rapides,
inoffensifs, à l’usage des médecins, pharmaciens, professeurs, instituteurs et gens du monde, 1907
17. Binet A, Ferré C, Le magnétisme animal, 1890.
18. Liébeault A.-A, Du sommeil et des états analogues, considérés surtout du point de vue de l’action morale sur le physique,
1866.
19. Ibid.
20. Charcot J.-M, Sur les divers états nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques, 1882.
21. De Chastenet de Puységur A, Mémoires pour servir à l’histoire et à l’établissement du magnétisme animal, 1784.
22. Précisons qu’aujourd’hui le terme d’hystérie n’a plus cette signification. Au xxe siècle et notamment sous l’impulsion
de la psychanalyse, le concept d’hystérie a connu beaucoup d’évolutions pour aboutir à son abandon. Pour la
psychopathologie d’aujourd’hui, ces symptômes caractérisent des troubles dissociatifs à différents degrés, et l’hystérie
de la psychanalyse a laissé place à la notion d’histrionnisme.
23. Janet P, L’état mental des hystériques, 1893.
24. Despine P, Somnambulisme, 1880.
25. Ségard C et Fontan J, Médecine suggestive, 1887.
26. Janet P, Les médications psychologiques, Volume 1, 1919.
27. Janet P, L’état mental des hystériques, 1893.
28. Bernheim H, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, études nouvelles, 1891.
29. Wetterstrand O. G, L’hypnotisme et ses applications à la médecine pratique, 1890.
30. Par exemple : « Certains auteurs conseillent de choisir une hystérique, pour arriver plus vite et plus sûrement au but.
Si l’on cherche seulement à arriver au phénomène le plus simple, le sommeil hypnotique, ou bien si l’on veut provoquer
brusquement un état de catalepsie ou de léthargie, comme, par exemple, par une impression brusque sur le sens de la
vue ou de l’ouïe ; on arrivera en effet plus sûrement et plus rapidement à ces résultats en prenant une femme hystérique.
Mais si, au contraire, on veut pousser plus loin les expériences, les varier et les analyser à volonté, et arriver jusqu’aux
phénomènes les plus délicats de l’hypnotisme, il ne faudra pas craindre de marcher plus lentement, de consacrer aux
premières séances un certain temps pendant lequel l’expérimentateur pourra développer la sensibilité de son sujet,
reconnaître ses prédispositions, et arriver ainsi d’une manière peut-être plus lente, mais en tous cas beaucoup plus sûre,
à des résultats sérieux. » Joire P, Précis théorique et pratique de neurohypnologie, 1892.
31. Bernheim H, De la suggestion, 1884.
32. Rossi E, Margaret Ryan M, Milton Erickson M, Life Reframing in Hypnosis, 1985.
33. Erickson M, Hypnosis in Medicine, 1944.
34. Rossi E, Erickson M, Experiencing Hypnosis, therapeutic approaches to altered states, 1981.
35. Rossi E, Ryan M, Erickson M, Creative Choice in Hypnosis, 1985.
36. Erickson M, A Brief Survey of Hypnotism, 1934.
37. Pour cette page d’histoire, je renvoie encore au chapitre « L’Histoire de la suggestion et de l’hypnotisme » de Pierre
Janet dans Les médications psychologiques, Volume 1, 1919.
38. Elliotson J, Numerous cases of surgical operations without pain in the mesmeric state, 1843.
39. Esdaile J, Mesmerism in India, 1846.
40. Erickson M, Chemo-Anaesthesia in Relation to Hearing and Memory, 1963.
41. Sampimon, Woodurf, Some observations concerning the use of hypnosis as a substitute for anesthesia, 1946.
42. Goldie L, Hypnosis in the Casualty Department, 1956.
43. Iserson KV, «  An hypnotic suggestion: review of hypnosis for clinical emergency care  », J Emerg Med. 2014
Apr;46(4):588-96.
44. Wain HJ, Amen DG. « Emergency room use of hypnosis ». Gen Hosp Psychiatry. 1986 Jan;8(1):19-22.
45. Peebles-Kleiger MJ. « The use of hypnosis in emergency medicine ». Emerg Med Clin North Am. 2000 May;18(2):327-38
46. Marie Thomas Coconnier, L’hypnotisme franc, 1897.
 2  « Nous sommes tous des urgentistes »
Qu’est-ce qui pousse un urgentiste à faire de l’hypnose
ou un hypnotiste à faire de l’urgence ?

Nazmine Guler

Le Dr Nazmine Guler est médecin urgentiste au centre hospitalier de Metz-Thionville.


Elle est également formatrice en hypnose et corédactrice des recommandations de la
SFMU (Société française de médecine d’urgence) sur l’utilisation de l’hypnose en
médecine d’urgence. Dans ce chapitre très personnel, elle évoque son propre
parcours, mais celui-ci pourra résonner chez de nombreux praticiens qui se posent
peut-être cette question : qu’est-ce qui pousse un urgentiste et médecin du SAMU à
apprendre l’hypnose  ? Quels changements ou bénéfices doit-on en attendre en
l’intégrant à notre travail ?
Chaque praticien peut retirer quelque chose de différent des changements apportés
par l’hypnose, mais ce témoignage issu d’une praticienne d’un des plus grands
services d’urgences de France, où cette pratique a trouvé sa place au milieu de la
vitesse, de la souffrance et du tumulte qu’on associe généralement à ce travail,
correspond à des enjeux que nous rencontrons tous dans nos pratiques soignantes.
Peut-être alors dirons-nous que « nous sommes tous des urgentistes » ?

1.  Cheminement d’une hypnosceptique

Janvier 2012
Un matin de fin de garde aux urgences, une autre nuit d’apocalypse.
Des brancards partout, des patients et des familles agressifs et mécontents,
souvent à juste titre, des délais de prise en charge trop longs, des collègues
sur les rotules, un sentiment de mal faire, d’avoir oublié quelque chose.
J’apprends qu’une personne âgée a passé toute la nuit sur un brancard,
oubliée sur son bassin pendant presque dix heures ! Je crie intérieurement :
«  Stop, c’en est trop. Je ne peux plus travailler dans ces conditions aux
urgences, cela va mal finir ! »
Cela fait sept ans déjà que je travaille aux urgences. Je suis épuisée, je n’en
peux plus, je ramène ce mal-être à la maison. J’aime ce travail mais il faut
que je le quitte. C’est la rupture  : il faut que je divorce de la médecine
d’urgence !
Après ces années de passion pour cette spécialité, comment en suis-je arrivée
là ?
Revenons en arrière.

Novembre 2005
Jeune médecin, la médecine d’urgence me passionne. Je m’engage dans un
service exceptionnel, très attrayant, très technique où l’on est confronté à
toutes les pathologies, graves ou non, de toutes spécialités. L’effort
intellectuel est intense, la diversité est au rendez-vous : au sein du service des
urgences mais aussi en préhospitalier, en sortie SMUR et au centre de
régulation médicale, le Samu-Centre 15.
Travaillant en équipe, on ne se sent pas seul face aux difficultés et à la
souffrance des patients. Dans des circonstances souvent dramatiques, notre
engagement nous habille, parfois, du costume d’un « héros » de la médecine.
Mon entourage est toujours impressionné par les urgences et adore écouter
les anecdotes de patients, qu’elles soient tristes ou drôles.
Un collègue de travail nous confie que son fils lui demande à chaque fois
qu’il rentre à la maison  :  «  Combien de vies as-tu sauvées aujourd’hui  ?  »
Pour un temps, cette image hyperbolique de sauveur, nous valorise, remonte
l’estime de soi quand la garde aux urgences nous rappelle aussi l’injustice de
la maladie ou le fait que la médecine n’est pas toute puissante. Notre ego
n’est pas surdimensionné, nous avons juste la chance de connaître cette
sensation agréable et humaine de se sentir utile.
Je suis médecin et je revendique de pouvoir soigner humainement,
dignement.
Je ne cherche pas les remerciements, trop rares, de nos patients ou de notre
hiérarchie hospitalière, mais la satisfaction personnelle lorsqu’une prise en
charge a été efficace et que j’ai le sentiment d’un travail bien fait.

Septembre 2010
Cinq ans après, ma vision des urgences est moins rose et il y a, comme
toujours, un revers à cette médaille de héros que j’avais imaginée. Sauver une
vie, empêcher la mort de faire son funeste et injuste travail est une réelle
satisfaction, mais malheureusement trop rare dans le flot des patients
sollicitant les urgences. L’urgence vitale ne concerne qu’environ 10 % de nos
patients !
Faire la morale à toutes ces personnes qui viennent aux urgences pour des
raisons que j’estime inappropriées est littéralement épuisant.
Notre niveau émotionnel passe sans cesse d’un extrême à l’autre  : joie,
colère, tristesse, peur… et il faut savoir les gérer sinon c’est la descente aux
enfers : le burn-out.
Nos conditions de travail sont difficiles, elles se dégradent au fil des années. Il
devient compliqué de survivre à ce milieu «  extrême  », hostile à première
vue, où l’on est régulièrement exposé aux agressions et aux émotions
négatives, celles des autres aussi. Cette médecine ne répond plus à mes
idéaux.
Régulièrement j’entends les plaintes de mes collègues urgentistes : « Je n’ai
pas fait médecine pour soigner dans ces conditions, à  la chaîne  comme à
l’usine  !  », «  Je viens travailler la boule au ventre  », «  on nous considère
comme les OS (ouvriers spécialisés) de l’hôpital ».

Plusieurs études récentes47 identifient le médecin urgentiste comme étant à


haut risque d’épuisement professionnel. Parmi les facteurs de risque  : une
charge de travail élevée, un environnement violent, des relations
conflictuelles entre collègues, une faible satisfaction au travail et des
difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale.
Je suis médecin et ma vocation est de bien soigner, avec des moyens
adéquats, dignement et humainement, dans un cadre respectueux de la
relation soignant-soigné. Je suis urgentiste car je ne veux pas perdre mes
moyens ni avoir peur lorsque les prises en charge se compliquent et
deviennent plus graves. Ce stress qui devient vite une drogue. Chef
d’orchestre d’une équipe qui s’occupe de la vie des gens, je veux pouvoir
garder le contrôle en permanence et ne jamais laisser transparaître mon
anxiété.
Mais je prends conscience que ces principes ne sont pas toujours simples à
appliquer en pratique. Maints fois, mes collègues m’ont confié avoir dû gérer
des situations difficiles dans le cadre d’urgences vitales sans montrer aucune
émotion. Révéler sa peur lors d’une situation critique peut être interprété
comme un signe de faiblesse, de manque de confiance en soi et par
conséquent, déstabiliser toute l’équipe soignante  : le capitaine doit rester
calme aux commandes du navire même en pleine tempête…
Si d’apparence nous semblons maîtres de la situation, nombreuses sont les
circonstances qui nous mettent en difficulté : le stress, l’anxiété et l’agressivité
des patients et de nos collègues ; annoncer la mort d’un enfant, d’un proche,
être empathique alors que l’on sait pertinemment que le diagnostic est sans
appel. Nous apprenons un peu sur le tas mais en vérité, nous n’avons pas, ou
pas suffisamment, été formés à cela !
Alors oui, j’ai subi les foudres des familles parce que, maladroite, je n’ai pas
eu les mots ni les gestes adaptés. J’ai dû apprendre sur le terrain, me forger
une « technique de communication » qui aide, tant bien que mal. Et les trop
rares moments de répit ne me permettent plus d’échanger avec les collègues
autour d’un café pour partager cet excès de pression émotionnelle.
Notre affrontement quotidien avec Thanatos (la mort) est celui qui laisse le
plus de cicatrices : un drame de plus en plus douloureux lorsqu’un patient,
surtout s’il est jeune, meurt alors que je me suis battue jusqu’au bout !
Que de « stress post-traumatique » accumulé au fil des années. Le pire, c’est
que notre costume de héros, qui n’est qu’un costume, nous persuade que
l’on gère, que l’on est fort, que cela va passer  : on ne pense même pas à
demander de l’aide. Pas plus moi que mes collègues d’ailleurs, ne prenons
soin de nous et de nos émotions. Lorsque je vois mes jeunes collègues
intervenir sur la mort subite d’un nourrisson ou bien lors d’accouchements
difficiles où ils perdent la mère ou le bébé, je sens leur souffrance, c’est
terrible. Il n’y a pas de mots pour décrire ces émotions !
À cela s’ajoute la crainte, objectivement peu justifiée, des risques médico-
légaux (les procès contre nous), alors que l’on a fait de son mieux pour le
patient. Cette crainte est ressentie comme une épée de Damoclès par de
nombreux urgentistes : devoir s’expliquer et justifier ses choix thérapeutiques
est normal ; ce qui l’est moins, c’est de le faire de plus en plus dans un climat
constant d’agressivité et de suspicion. Si les doléances et les plaintes sont
nombreuses, les mises en cause sont heureusement exceptionnelles mais cette
crainte continue de la sanction juridique pousse souvent à « en faire trop ».
Personne ne peut prétendre qu’une mise en cause, perçue comme injuste,
n’a pas de retentissement sur son état émotionnel.
Il n’est pas normal de venir au travail angoissé surtout lorsqu’on y passe la
moitié de son temps !

Janvier 2020
Dix ans après, encore une nuit blanche aux urgences  : je suis toujours
là, vivante ! Je prends une grande inspiration et je me pose quelques instants
pour libérer mon corps des tensions de la garde avant le staff du matin.
Sereine, confiante, avec de l’espoir pour l’avenir !
Peut-être que vous aussi, urgentiste ou pas, vous êtes-vous posé des questions
sur votre travail en situation difficile, en stress ou fatigue professionnels  ?
Peut-être avez-vous pensé qu’il ne fallait pas s’apitoyer sur son sort, laisser
passer la vague… et pourtant, celle-ci peut nous emporter.
C’est bien en tant que soignante, et non comme une patiente, que je vais
mieux professionnellement et l’hypnose y a plus que contribué. Je vais
tellement mieux maintenant que c’est pour moi un devoir et une mission de
partager mon parcours et mon expérience. Aujourd’hui, je suis toujours
passionnée par la médecine d’urgence mais je la vis sereinement ! Que s’est-il
donc passé ?

Novembre 2012
J’écoute le formateur médecin psychiatre parler d’hypnose…
Mais qu’est-ce que moi, urgentiste, je fais là, dans cette formation sur
l’hypnose  ? Pourquoi me suis-je laissée entraîner ici par ma collègue et
amie  ? Certes, elle est convaincue et pense que c’est une pratique très
sérieuse mais je suis cartésienne, pragmatique et, j’en suis persuadée,
hypnoseptique !
J’ai une image bien ancrée de l’hypnose qui, pour moi, est de la
manipulation mentale, le contrôle de l’autre où pour y arriver il faut fixer un
pendule ou bien les yeux de l’hypnotiseur. Dans ma jeunesse, j’avais tenté
d’hypnotiser ma petite sœur avec une montre. Bien sûr ce fut un échec.
L’hypnose s’apparente au charlatanisme !
Bon, au moins, cet enseignement est sans contrainte scolaire, sans examen à
la fin de l’année. Cet « interlude » me permet de changer d’air, de partager
avec des soignants d’autres horizons mais, curieuse de nature, cette formation
m’intrigue tout de même  : c’est un médecin, psychiatre, qui en assure
l’enseignement  ! Cela certainement me rassure et me pousse, in fine, à être
attentive à ses propos.
Surprise  : je découvre, contrairement à mes a priori, que l’hypnose repose
sur des bases scientifiques et qu’elle permet d’agir sur la douleur, le stress, les
émotions négatives ! Il ne s’agit pas de secouer une montre : j’apprends, au
bout de quelques jours de formation, que l’hypnose est très technique et ne
se limite pas à des paroles empathiques !
Pour autant, s’applique-t-elle à la médecine d’urgence  ? À ce jour, je ne
retrouve aucune étude sérieuse réalisée en service d’urgence et les
publications se limitent à quelques cas cliniques peu documentés.
Scientifique et cartésienne, j’ai besoin d’en savoir plus !
Mon groupe de formation est essentiellement composé de psychiatres. J’ai
du mal à imaginer comment utiliser cette technique aux urgences, persuadée
qu’elle est plutôt réservée à la thérapie dans le cadre de douleurs chroniques
ou bien en psychiatrie, ou encore à l’anesthésie car elle demande un temps
de préparation qui me semble incompatible avec mon exercice professionnel.
Comme tout urgentiste, je pense qu’il est impossible de faire de l’hypnose
aux urgences : c’est une perte de temps et d’ailleurs, l’environnement n’est
pas adapté : trop de bruit, pas de temps, et un état de stress des patients qui,
je le crois, les rendent résistants à l’hypnose.
 
Pourtant, un doute persiste… mais pas question pour moi de me lancer dans
des séances d’hypnose avec les patients des urgences sans me faire avant ma
propre idée, ma propre expérience. Une amie fut ma première patiente.
Victime au cours de sa grossesse de vomissements incoercibles, elle me
demande de l’aide. À ma grande satisfaction, après une séance de 15 minutes,
elle n’a plus que des nausées très supportables.
Ma deuxième patiente fut une aide-soignante du service, victime d’une
migraine tenace résistant aux traitements médicamenteux. Après une courte
séance de 15 minutes, les céphalées ont régressé.
 
Et si finalement… Je prends alors mon courage à deux mains et décide de
proposer de l’hypnose aux patients à chaque fois que j’en ai l’opportunité
pour gérer douleur et/ou stress que celui-ci soit procédural, c’est-à-dire liés à
des gestes médicaux, ou non.
Dès le début de notre pratique de l’hypnose aux urgences, moqueries et
blagues sur le sujet font partie de notre quotidien. Notre chef de service et
les collègues nous taquinent tous les jours en nous disant « ne me regarde pas
dans les yeux  », les collègues spécialistes n’osent plus nous serrer la main.
D’« héroïnes », nous passons « aux sorcières mal-aimées » ?
Je ne peux en vouloir à mes collègues car auparavant, je partageais leur
scepticisme. Heureusement, nos très bonnes relations nous ont permis de
passer au-delà de cette phase initiale et ce sont eux qui, maintenant, viennent
me solliciter pour leurs patients.
Les sapeurs-pompiers transportent aux urgences un enfant de sept ans qui a
chuté à l’école et présente une plaie large et profonde sur le front : la suture
est inévitable.  Il pleure, il est seul, sans ses parents,  et j’imagine bien son
angoisse. Le choix est simple  : soit j’opte pour une maîtrise physique pour
éviter qu’il ne bouge sans cesse, soit je tente de le calmer sous hypnose. Mon
choix est vite fait et je suture sa plaie, sans anesthésie locale, sous hypnose. À
ma grande satisfaction, tout se passe très bien, l’enfant est coopérant et très
souriant jusqu’à la fin des soins. Ses parents arrivent très stressés et constatent
avec étonnement et soulagement que leur enfant les accueille avec un grand
sourire en leur racontant son expérience hypnotique. Ils expriment alors une
très grande reconnaissance envers l’équipe soignante qui nous émeut : nous
n’avons pas l’habitude d’être remerciés.
Il est probable que nous avons évité à cet enfant un stress post-traumatique
lié aux soins et surtout, nous avons évité de générer chez lui un stress
démesuré pour des soins futurs. Cette belle expérience accroît ma
motivation.
Ma deuxième expérience est la réduction d’une luxation d’épaule chez une
patiente présentant une insuffisance rénale chronique pour laquelle elle est
dialysée. Elle me demande de ne pas lui injecter de drogues pour réduire sa
luxation car elle ne veut pas être hospitalisée. Elle s’est déjà luxée la même
épaule et a dû être hospitalisée pour une séance de dialyse après une
réduction sous médicaments. Elle pleure et ne veut pas rester à l’hôpital. Je
lui propose alors naturellement une réduction sous hypnose. Elle me répond
ouvertement ne pas croire en l’hypnose mais qu’elle est prête à tout essayer
pour ne pas rester à l’hôpital.
La réduction a duré six minutes avec une durée de prise en charge totale aux
urgences de 45  minutes radiographies comprises sans sédatif, ni antalgique.
De son propre avis, la réduction est beaucoup moins inconfortable que lors
de sa première expérience aux urgences ; elle est tellement heureuse qu’elle
me remercie et me tient la main d’une manière si chaleureuse que je ne m’y
attends pas  ! C’est incroyable, certains de mes préjugés tombent
instantanément :
— je ne perds pas de temps avec l’hypnose bien au contraire, j’en gagne ;
— les patients ne résistent pas et finalement sont très coopératifs ;
— je n’ai pas besoin d’une longue préparation préalable, je peux en faire de
façon impromptue ;
— la gratitude des patients va bien au-delà de ce que j’ai connu auparavant :
c’est plus qu’un simple remerciement, comme si l’on avait « vraiment »
pris soin d’eux : c’est aussi gratifiant pour moi et me donne une énorme
satisfaction du « travail bien fait ».
Le scepticisme fut bien sûr la première réaction de mes collègues « Non mais
c’est bon, ça marche parce que tu es gentille avec les patients, l’hypnose c’est
en fait de l’empathie » mais je ne me décourage pas et pleine d’enthousiasme,
je poursuis mon chemin. J’hypnotise « tout ce qui bouge » ou plutôt tous les
patients qui présentent des douleurs : j’ai besoin de tester et me rassurer sur
le fait que ce n’était ni le hasard ni l’effet placebo et encore moins l’empathie
seule comme le prétendent certains collègues !
Plus encore, j’hypnotise tout mon entourage. Si quelqu’un a le malheur (ou
le bonheur !) de me dire qu’il a mal ou bien qu’il est stressé, je lui propose
systématiquement une séance d’hypnose ! La famille, les amis, les voisins, les
secrétaires, les collègues, le personnel de l’école de musique, ma femme de
ménage, etc. Plus les effets sont positifs, plus je pratique et plus je suis
convaincue de l’efficacité de l’hypnose, c’est-à-dire du pouvoir de l’esprit sur
le corps. C’est incroyable car vraiment, j’ai très peu d’échec !
Mais petit à petit, l’hypnose gagne du terrain, les moqueries laissent place à
la surprise et aux interrogations.
Un soir, je prends en charge un adolescent de 16  ans, transporté aux
urgences pour une «  crise de nerfs  ». Je le découvre dans un box des
urgences attaché au brancard en train de pleurer. Ce jeune me fait de la
peine et je décide de passer un contrat avec lui « Si tu es d’accord pour une
séance d’hypnose, je te détache  ». Il me répond «  Madame, vous allez
contrôler mon cerveau  ? Et puis, je m’en moque, tout ce que vous voulez
mais détachez-moi ! » Je lui assure qu’il gardera le contrôle tout au long de la
séance et que l’objectif est surtout qu’il diminue son stress. Derrière le
hublot de la salle des urgences, les collègues font des pieds de nez, des
grimaces. La séance terminée, alors que je suis en train de faire un débriefing
avec le jeune patient, les collègues entrent et plaisantent devant lui : « Alors
tu as fait de l’hypnose ou bien de l’Hypnovel ® ? ». À ma grande surprise,
l’adolescent prend ma défense, met sa main sur mon épaule de manière très
affectueuse et protectrice et me dit « Madame, ne faîtes pas attention à eux,
ils ne peuvent pas vous comprendre mais moi je vous comprends ».
C’était un moment incroyable de complicité et de confiance avec
l’adolescent, et tellement gratifiant. Ce jeune, au lieu d’être attaché et sédaté
toute la nuit aux urgences, a pu repartir rapidement, serein. Peut-être lui
avons-nous évité un traumatisme et peut-même amélioré son estime de lui-
même en lui autorisant à vivre une expérience où il s’est senti utile et
compris dans sa souffrance.

2.  Transformations personnelles


et professionnelles

Ces premières expériences ont ramené, en moi, la satisfaction du travail bien


fait, du temps utilement passé avec les patients et de leurs remerciements.
Dans mon élan, je teste l’hypnose dans beaucoup de situations cliniques aux
urgences  : les sutures, les luxations d’articulations, certaines fractures, les
poses de drain thoracique et pleural, les ponctions lombaires, les voies
veineuses périphériques chez les enfants et adultes angoissés, la gestion du
stress d’un insuffisant respiratoire sous VNI (ventilation non invasive) pour
une meilleure adaptation au respirateur, les crises d’angoisse, etc.
J’expérimente même l’hypnose en préhospitalier pour la gestion de la
douleur et du stress de l’infarctus du myocarde, des accidentés de la voie
publique, des relevages de fractures compliquées, utilisant moins de
médicaments antalgiques et/ou anxiolytiques. Peu à peu, je sens que je me
réconcilie avec mon métier.
Je repousse les limites et tente l’expérience hypnotique au Samu-Centre 15,
au téléphone. Les techniques d’hypnose me permettent alors un meilleur
contrôle de la situation, du stress des appelants et par conséquent, un recueil
d’informations plus efficace et surtout une facilitation de la réalisation de
gestes de secourisme, y compris dans des situations extrêmes comme l’arrêt
cardiaque. Des séances d’hypnose, très brèves, permettent même de gérer les
crises d’anxiété aiguë.
Une autre barrière est tombée : je peux faire de l’hypnose malgré le bruit ;
en préhospitalier, malgré les secousses des ambulances et même au téléphone
sans voir le patient ! L’hypnose est décidemment tout terrain.
Contrairement à mes craintes initiales, mon taux d’échec aux urgences est
très faible.
Au fil du temps, je me rends bien compte que l’hypnose est, aussi et parfois
surtout, un outil de communication efficace qui permet de vraiment rassurer
les patients. J’arrive beaucoup mieux à désamorcer les situations
conflictuelles non seulement avec les patients mais aussi avec les collègues et
même à la maison. Je n’y rapporte plus mes contrariétés qui sont néfastes
pour mes enfants et mon époux. Je ne suis plus en colère et c’est reposant
pour mon entourage et moi-même.
Je prends maintenant du temps pour moi, je me pose et je pratique
l’autohypnose régulièrement. Je respire à nouveau correctement et je rentre
chez moi plus sereine et apaisée. J’ai cette satisfaction d’avoir fait de mon
mieux.
J’accepte davantage les limites du système (ce qui ne veut pas dire que je les
approuve ou que je ne voudrais rien y changer) et celles du patient en état de
détresse psychologique. Je suis plus patiente, je communique mieux et fait
preuve de plus d’empathie. Encore une fois, cela ne veut pas dire que
j’accepte tout, mes valeurs n’ont pas changé. J’ai juste changé ma façon
d’agir pour être plus « confortable » et donc efficiente.
Finalement, je vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Je me fais
de moins en moins agresser, je relativise, je prends de la distance.
Quand j’y pense, il y a quelques années, mon surnom était le «  Dragon  »,
mon chef de service me disait que « j’étais une grenade dégoupillée prête à
exploser ».
Ma relation avec les patients a changé, devient collaborative et confortable. Je
contrôle maintenant beaucoup mieux les situations difficiles. Avant l’hypnose
je nageais contre la vague (et contre le patient) et depuis l’hypnose, je nage
avec la vague et j’utilise son énergie pour faire alliance avec le patient. Je
prescris moins de médicaments, cela veut dire moins d’effets indésirables,
atout majeur, notamment pour les patients fragiles avec une défaillance
d’organe.
Au cours d’un atelier lors d’un congrès, j’ai rempli une échelle de burn-out,
le Maslach Burnout Inventory. Et je me suis aperçue que mes réponses avant et
après l’hypnose auraient été bien différentes.
Je m’étais certainement sauvée d’un burn-out en plus de m’être réconciliée
avec mon travail.

3.  Est-ce un don ou un savoir-faire qu’on peut


apprendre ?

Mieux prendre en charge nos patient et aller mieux soi-même, «  ma  »


solution avec l’hypnose était-elle reproductible ?
Il me parait dès lors urgent de convaincre mes collègues urgentistes de se
former à l’hypnose.
Je veux qu’ils aillent mieux car certains vont vraiment mal. Beaucoup de
collègues abandonnent la médecine d’urgence à contrecœur. Peut-on arrêter
cette hémorragie qui ne profite à personne ?
L’hypnose aide à réhumaniser les soins même dans des conditions complexes.
Se dissocier de cet environnement stressant pour se concentrer dans sa
relation avec son patient. Enrichir cette relation pour laquelle nous avons
tous fait nos études…
C’est le chemin vers un meilleur vécu de son travail.
Devant mon changement de comportement et la satisfaction des patients,
mes collègues deviennent de plus en plus curieux et intrigués. Ils posent
beaucoup de questions sur l’hypnose, viennent observer les soins, demandent
mon concours lorsque le traitement médical a échoué ou lorsqu’ils
s’occupent de malades fragiles : l’hypnose gagne du terrain dans le service et,
petit à petit, j’arrive à convaincre notre chef de service de développer cette
pratique thérapeutique au sein du service. Chacun s’en rend compte  :
l’hypnose est une technique qui s’apprend et est accessible à tout soignant, et
sûrement pas un héritage familial ou un don.

Octobre 2013
Je décide d’organiser une conférence médicale, au sein de notre hôpital, pour
expliquer l’hypnose et son utilisation possible aux urgences : c’est un succès,
et de nombreux soignants, convaincus, souhaitent se former.

Juin 2014
Premier atelier hypnose au « congrès urgence » qui a lieu tous les ans à Paris.
La Société française de médecine d’urgence (SFMU) me soutient dans le
développement de l’hypnose aux urgences  : une belle opportunité pour
convaincre les urgentistes venus des quatre coins de la France.

Octobre 2016
Invitée aux  Journées interactives de la SFMU pour parler d’hypnose  aux
urgences  : six mois de travail de recherche pour une présentation qui
convaincra même le président de la SFMU de l’époque. « J’étais venu vérifier
que tout allait bien  », me dit-il, «  et vous m’avez hypnotisé. Je suis resté
jusqu’à la fin, vous m’avez convaincu  »  ! Je suis soulagée et rassurée.
L’hypnose fait son chemin et grandit. Je finirai par coécrire les
recommandations de la SFMU sur les alternatives thérapeutiques non
médicamenteuses de la douleur aux urgences, je décrirai, bien sûr,
l’hypnose48.
Janvier 2020
Même les instances de direction ont fini par se laisser convaincre. En face de
moi, vingt paramédicaux de l’hôpital sont en formation hypnose, la relève est
assurée, je peux dormir tranquille.
C’est un parcours du combattant, mais d’une combattante joyeuse et fière.
Convaincre les soignants des urgences en multipliant les conférences et
congrès en France, prochaine étape, convaincre les urgentistes au-delà des
frontières.
Mais…

Mars 2020
Plan blanc, toute l’activité habituelle s’est arrêtée, nous sommes en situation
de catastrophe et devons faire face à un afflux massif de victimes de la Covid-
19. Il y a beaucoup trop de malades graves, les services de réanimation sont
pleins et les capacités de l’hôpital sont insuffisantes.
Ce matin, j’ai transféré un collègue en choc septique en salle de réveil
devenu « Réa Covid », c’est trop dur et je m’effondre. Ce virus que j’ai sous-
estimé me fait maintenant terriblement peur. L’angoisse de le transmettre à
mes proches m’envahit.
Je pratique après chaque garde et journée de travail, des exercices
d’autohypnose pour m’apaiser, garder ma concentration et augmenter ma
résilience.

4.  Pour conclure

Nous ne sommes certes pas tous des urgentistes. Les urgentistes ont un
métier particulier avec des contraintes spécifiques pour lesquelles ils militent
(à juste titre) afin de les faire reconnaître. Mais peut-être que vous aussi, vous
vous êtes posé des questions sur votre pratique. Peut-être que parfois, vous
aussi, vous vous êtes laissé emporter par l’aspect technique et avez mis de
temps en temps l’aspect relationnel au second plan. Peut-être que vous aussi
vous aimeriez savoir mieux gérer la douleur, l’anxiété, l’agressivité ou la
plainte d’une manière efficace, voire agréable ou du moins qui ne vous
« bouffe » pas. Peut-être que vous aussi vous aimeriez trouver des moyens de
renouveler votre pratique et renouer avec ce qui a fait votre vocation. Peut-
être que vous aussi, vous connaissez des situations qui « s’accélèrent » et qui
semblent ne pas permettre une relation satisfaisante avec le patient, et encore
moins, une technique « relaxante ».
Tous les soignants sont confrontés régulièrement aux émotions négatives
telles la colère, l’anxiété, la tristesse, la peur, cumulées au fil des années
provoquant inévitablement l’épuisement psychologique de tout un chacun.
La gestion de patients agressifs et anxieux très fréquente dans les contextes
aigus est particulièrement difficile. J’ai pu y perdre mon sang-froid.
Comment gérer plus sereinement les relations humaines sans être une
éponge, avec la juste dose d’empathie ?
Garder l’esprit clair pour la partie technique du métier, s’économiser, ne plus
prendre trop à cœur ou contre soi les émotions négatives d’autrui ?
Ces questionnements ne sont pas spécifiques à une spécialité, même s’ils sont
très présents dans la mienne. C’est en ce sens que «  nous sommes tous des
urgentistes ». Y a-t-il un seul soignant peu importe son titre, sa spécialité, son
lieu de travail indemne d’agression ? Ou bien jamais exposé à une situation
dramatique ? À la gestion concomitante de l’émotionnel, de la technique, de
l’anxiété, de la douleur avec le risque de négliger certaines de ces
dimensions…
Alors, pratiquez plus que jamais quand la situation est urgente. Contre toute
attente, l’urgence est une situation propice à la pratique de l’hypnose car les
résistances des patients sont au plus bas en raison de la détresse psychologique
ressentie. Confrontés régulièrement à des situations aiguës douloureuses
anxieuses inopinées d’urgence ressenties ou réelles, vous aurez à créer
rapidement la confiance quel que soit votre métier de soignant. Les mêmes
défis, les mêmes apports.
En ce sens-là, quel que soit notre métier de soignant, «  nous
sommes tous des urgentistes ».
Et peut-être que les réponses que j’ai trouvées pour moi vous donneront
envie de trouver les vôtres. Peut-être étais-je plus « en colère » ou sensible ou
passionnée, mais je sais que beaucoup d’urgentistes partagent mon vécu,
surtout en ce moment.
Bien sûr, si l’hypnose éclaire ma pratique d’un jour nouveau, rien n’est
totalement rose pour autant. Si j’ai donné l’impression de « vendre du rêve »,
je voudrais dire pour finir qu’il faut rester lucide.
Est-ce que mes conditions de travail se sont améliorées au final ?
Bien sûr que non  ! Elles ne dépendant pas de nous mais de décisions
politiques  ! D’ailleurs, elles se sont même aggravées au fil du temps. La
« crise des urgences » est une réalité, pas juste un titre dans les médias.
Pour autant, ma relation avec les patients et avec les autres s’est réhumanisée,
même au milieu de ce marathon qu’est la vie d’un urgentiste. Si l’hypnose
ne résout pas le problème de politique de santé, elle permet au soignant de se
déculpabiliser, d’augmenter sa résilience car il est certain que nous faisons de
notre mieux avec ce qu’on nous donne. L’hypnose permet une meilleure
gestion de la douleur et du stress du patient, mais également du soignant. Ce
n’est pas un exercice chronophage et il permet, j’en suis sûre, même si cela
reste à démontrer, de fluidifier les passages et lutter, à sa manière, contre la
surcharge de nos services. En régulation médicale, la «  conversation
hypnotique  »49 permet une meilleure ­compliance du patient et une
diminution de l’agressivité. Elle améliore la relation à tous les niveaux et, je
crois, protège du burn-out et c’est en ce sens que les urgentistes
gagneraient à devenir plus hypnotistes50.

47. Kansoun Z, Boyer L et al., «  Burnout in French physicians: A systematic review and meta-analysis  », Journal of
Affective Disorders, volume 246, 1 March 2019, pages 132-147.
48. Guler N, Depil-Duval A, Weber S et al., Analgésie et sédation  : alternatives thérapeutiques non médicamenteuses  :
cryothérapie, hypnose, relaxation et autres techniques. Lavoisier, 2016.
49. C’est-à-dire les techniques de communication issues de l’hypnose mais qui peuvent être utilisées sans forcément de
transe formelle.
50. Voir Schmutz T et al., « Hypnose en médecine d’urgence : bousculons nos habitudes ! », Rev Med, Suisse, 2020 ; 16 :
1757-62.
 3  L’hypnose rapide
Jordan Vérot

Jordan Vérot est praticien en hypnose et formateur en hypnose à Nice. Il s’est entre
autres spécialisé sur la question de l’hypnose rapide. Bien que non soignant lui-
même, et donc non confronté au quotidien à des situations d’urgence, il bénéficie des
retours et de la pratique de soignants qu’il forme et qui vont chercher auprès de lui
cette compétence, qu’il a développée, parmi d’autres, pour la technicité de cette
forme d’hypnose. Dans ce chapitre détaillé, technique, il nous donnera des
ingrédients indispensables à l’amélioration de la pratique et des éléments précis
pour que l’hypnose soit rapide. Ce sont des détails (en apparence  !) de l’induction
(accompagnement menant une personne en état hypnotique) qui vont tout changer,
augmenter la réactivité du sujet aux suggestions et rendre l’hypnose plus effective en
un temps restreint.

1.  Définition

Le terme même d’« hypnose rapide » peut sembler d’emblée attirant pour la


pratique en situation d’urgence.
Mais d’abord, qu’est-ce que l’hypnose rapide telle que nous l’entendons ? Il
ne s’agit pas de brusquer la personne, comme on peut le voir en faisant une
recherche sur YouTube. Au contraire, le but est de créer une collaboration
mais de façon rapide, ainsi qu’un engagement fort et une réactivité
intense afin de maximiser l’impact des suggestions, et ainsi permettre à la
personne hypnotisée de rentrer le plus efficacement possible en hypnose.
L’hypnose rapide est une hypnose qui ne ralentit pas inutilement le
patient et maximise l’utilisation de ses compétences hypnotiques.
Les personnes qui se forment à l’hypnose rapide le font généralement pour
avoir des routines inductives efficaces. Souvent, lors de leur formation de
base, on leur a appris à faire des suggestions indirectes. Comme «  je me
demande de quelle façon vous sentez votre corps se relaxer  » ou «  soyez
curieuse de voir quelle est la partie de votre corps qui rentre en transe en
premier ». Ce sont des suggestions présupposant des effets, avec un rythme
plutôt lent et un faible leading51. On est en position basse de « non savoir » de
la part du praticien (c’est-à-dire que le praticien se met dans une posture
dans laquelle il ne « sait pas à la place du patient ce qui est bon pour lui », lui
laissant de la place pour être en position «  haute  » qui favorise le travail
intérieur, actif.
Lors d’une phase de changement thérapeutique, ce genre de suggestion peut
parfois s’avérer utile, car effectivement le praticien n’a pas à imposer la façon
de voir le changement. En revanche, lors de l’induction, accompagnement
amenant la personne en état d’hypnose, ce genre de suggestions est inutile.
En situation d’urgence, ces suggestions peuvent même s’avérer contre-
productives, car la personne en souffrance a besoin de sentir de l’assurance
chez la personne qui l’accompagne et non pas du doute ou du « non savoir ».
La personne en souffrance est souvent prête à n’importe quoi pour s’en
libérer. Nous verrons, dans ce chapitre, une autre forme de suggestion plus
efficace, moins implicite.
Nous allons parcourir les outils de l’hypnose rapide adaptés à une prise en
charge en situation d’urgence et de détresse en se focalisant sur les aspects
pratiques52.

2.  Objectifs

Quel est l’objectif quand on met une personne dans un état hypnotique  ?
Dans les situations d’urgence, l’hypnose va avoir son utilité pour maximiser
l’efficacité de l’accès aux automatismes psychophysiologiques, c’est-à-
dire aux phénomènes physiques, psychiques et sensoriels qui se produisent
automatiquement, sans la volonté du patient et/ou sous l’effet de la
suggestion du thérapeute.
En accentuant la dissociation entre la volonté et les automatismes
psychophysiologiques (certains diraient entre le conscient et l’inconscient),
on stoppe les solutions inefficaces engagées par la volonté, et on aide la
personne à actionner des processus inconscients ou automatiques par
suggestion ou autosuggestion.
Cette dissociation aura un grand intérêt si l’on souhaite, par exemple,
accéder à un processus automatique d’analgésie. En effet, on entend souvent
que tout le monde sait s’anesthésier. Et c’est, en partie, vrai. On peut
regarder tout un film attrayant sans sentir le siège de cinéma inconfortable (si
ce n’est à la fin). Mais si le film est mauvais, la « suggestion » d’entrer dans
l’imaginaire du film, et ce faisant de «  sortir de son corps  », créant ainsi
l’analgésie, n’aura pas lieu. La volonté va au contraire essayer de trouver une
position confortable pour au moins être bien, à défaut de voir un film
intéressant. Ce faisant, elle va créer des solutions peu productives, car
l’attention va être encore plus portée sur le corps et son inconfort.
De la même façon, si l’on dit à la personne de se relaxer alors qu’elle vit une
situation douloureuse, on risque de se prendre un gros retour de bâton.
Ainsi, l’aspect dissociatif de l’hypnose permettant d’accéder à certains
automatismes par suggestion ou imagination prendra tout son intérêt.
Avant même de parler d’hypnose, nous allons voir qu’il est important de
soigner l’accueil de la personne.

3.  Accueil

La première étape dans l’accompagnement d’une personne est l’accueil. Dans


un premier temps, il faut la rejoindre dans son état émotionnel. Il est
impossible d’accompagner une personne rapidement en hypnose, sans un
minimum d’empathie.
L’accueil froid et purement corporel du sujet ne permettra pas une hypnose
simple. Le praticien va devoir porter une attention forte à la personne.
Même s’il y a aussi, en parallèle, des «  actions à accomplir  » (mettre une
perfusion ou découper la tôle d’une voiture en vue d’une désincarcération),
lorsque le praticien parle à la personne. Il gagne à lui transmettre rapidement
le fait qu’elle est, durant ce moment, la personne la plus importante pour lui
et qu’il n’est là que pour elle (au moins durant le moment où il lui parle).
Les premières choses importantes à mettre en place pour cela seront :
— une présentation rapide ;
— l’accueil de la souffrance, sans pour autant la suggérer ;
— le regard et le contact ;
— puis, une suggestion pour rassurer ;
— et enfin, une prise de leading simple.
Tout cela peut se faire en moins d’une minute. Par exemple : pendant tout le
moment où elle parle, Clothilde va regarder la personne dans les yeux avec
une attitude rassurante.
« Bonjour, je m’appelle Clothilde, je suis médecin-urgentiste, vous avez vécu
le plus dur (elle serre la main du patient). Maintenant, je suis là pour vous
aider (desserre l’étreinte, tout en gardant la main). Quel est votre prénom ?

Regarder
Regarder la personne dans les yeux crée de l’empathie et donne l’indication
à la personne qu’on est là et qu’elle compte. Si au lieu de cela, on lui parle
en installant une perfusion sans la regarder, on témoigne forcément moins de
présence. Il vaut mieux prendre 30 secondes pour le faire.

Se présenter
Se présenter est rassurant. Évidemment, la blouse blanche joue son effet,
mais le fait de donner son prénom n’est pas anodin, non plus. Cela crée un
rapprochement plus fort que si l’on dit : « Je suis le docteur Smith ».
« Vous avez vécu le plus dur » suggère implicitement que cela va changer. La
phrase est au passé et tout de suite après, il y a une rupture avec
« Maintenant » et un passage au présent.

É
Établir un contact physique
Le contact crée de la connivence et du rapprochement. C’est un outil
d’influence majeur53. Évidemment, ce contact devra se faire sur des zones
corporelles relevant de la sphère relationnelle et non pas de la sphère intime.
Ainsi, les mains, les épaules, l’extérieur des bras seront privilégiés.
Le fait de serrer la main à ce moment précis n’est pas anodin. Ce geste
montre que l’on a conscience de la dureté de la situation et accueille la
souffrance sans la nier.
Ensuite, desserrer la main appuie implicitement le fait que cela va changer.
En outre, cela entraîne inconsciemment le client à suivre les suggestions non
verbales par contact qui feront partie des suggestions privilégiées en hypnose
rapide.
Bien sûr, c’est un exemple. Ajustez le discours afin qu’il vous corresponde.
Mais s’il contient les points précédents, il sera plus rassurant.

Questionner
Enfin, la question est une première phase de leading. Implicitement, nous
disons à la personne «  Je vais te demander des choses  ». Et la première
question est une question anodine de la sphère relationnelle. C’est une
question simple à laquelle on répond très facilement, en permanence dans
notre vie. Cela crée de la compétence chez le sujet. C’est rassurant. Si, au
contraire, je demande à la personne, « Où ressentez-vous la douleur ? », je lui
pose une question complexe nécessitant une introspection.
Il est plus intéressant de commencer par de petits succès pour en construire
de grands, et la personne que vous accompagnez aura besoin de se sentir
compétente.

4.  La compétence
Si je ne devais enseigner qu’une chose à un praticien en hypnose, je
choisirais celle-là. Une personne hypnotisée a besoin de se sentir
compétente. En effet, aller en hypnose est un peu comme un apprentissage.
Et apprendre sous cortisol ne marche pas très bien, car cela stimule
l’impuissance apprise54.
Ainsi, il est important que la personne allant en hypnose sente qu’elle réussit
ce que vous demandez. Il s’agit, par exemple, de féliciter la personne sur des
choses toutes simples en disant « Exactement comme ça » ou « Parfait » ou
«  Super  ». Pour les aficionados de Milton Erickson, rappelez-vous son
« That’s right ».
Et lorsque l’on va guider une personne en hypnose, la volonté va passer de
plus en plus de la position d’actrice à la position d’observatrice. Dans le
même temps, les processus automatiques vont être de plus en plus activés.
Ainsi, les félicitations (sans exagérer non plus) seront, dans un premier temps,
plus axées sur les actes volontaires demandés à la personne puis, elles seront
ensuite plus pour les actes automatiques55. Voici un exemple simple  : fixez
attentivement la pointe de ce stylo en mouvement (pause), c’est ça
(félicitation de la volonté), et sentez vos paupières s’alourdir d’elles-mêmes
(pause), exactement comme ça (félicitation lorsqu’elles commencent à se
fermer automatiquement).

5.  L’engagement

Nous allons maintenant voir une des composantes importantes de l’hypnose


rapide  : la notion d’engagement. Les psychologues sociaux ont montré,
depuis longtemps, qu’accepter une requête minimaliste engage à répondre
plus favorablement à une requête plus forte.56 Vous avez trois fois plus de
chances d’avoir 20 centimes en les demandant après avoir demandé l’heure.
Il y a plusieurs types d’engagements. Les voici du plus faible au plus efficace :
— l’engagement non verbal involontaire. Par exemple, le fait de hocher
la tête ou d’acquiescer à quelque chose dans notre tête ;
— l’engagement verbal. Celui-ci sera fonction du nombre de mots ;
—  l’engagement argumentatif: le sujet argumente dans le sens de ce que
l’on dit ;
— l’engagement non verbal volontaire. Par exemple : se serrer la main
ou signer un contrat.
On décrit souvent dans les formations ce que l’on appelle le Yes-Set. C’est
également celui qui est utilisé par les opérateurs téléphoniques pour vendre
un nouveau portable. Par exemple :
— Vous avez actuellement un smartphone 4G n’est-ce pas ?
— Oui.
— Et vous avez un forfait illimité France et Europe ?
— Oui.
— Avec un forfait internet 50 Go ?
— C’est ça.
—  Et vous ne pouvez exploiter tout ce forfait, car votre téléphone
commence à dater maintenant, n’est-ce pas ?
Mais pourquoi l’opérateur pose-t-il l’ensemble de ces questions sachant qu’il
a le dossier devant lui ? Le Yes-Set ou « séquence de oui » consiste à faire dire
au moins trois « oui » (non verbal involontaire ou engagement verbal) pour
faciliter le quatrième. Heureusement, l’engagement utilisé par les opérateurs
est l’engagement le plus faible.
Afin de maximiser l’acceptation des suggestions, nous allons amener la
personne accompagnée à s’engager à nous répondre consciemment et
automatiquement. Ceci afin de la rendre active dans l’accompagnement.
L’engagement qui sera le plus efficace dans les situations d’urgence sera
l’engagement le plus fort, c’est-à-dire le fait d’amener la personne à nous
suivre sur des actes volontaires (permettant de déclencher un suivi
inconscient). Ces actes volontaires, comme nous l’avons vu précédemment,
seront des actes simples que la personne réussira forcément, renforçant sa
confiance dans le processus.
D’ailleurs, les hypnotiseurs de spectacle le font tous, même s’ils ne savent pas
tous pourquoi.
Par exemple, l’hypnotiseur demande de serrer les pieds, de mettre les bras le
long du corps, de fixer un point dans la main, avant de commencer des
suggestions impactant l’automatisme comme : « quand ma main avance vers
vous, le corps est irrémédiablement attiré vers l’arrière et comme il bascule,
vous dormez profondément  » et le partenaire de l’hypnotiseur rattrape la
personne et la pose au sol. L’enchaînement précédent n’est pas forcément
utile, mais il permet à la personne de sentir qu’elle est compétente et il
permet à l’hypnotiseur de vérifier son influence et le suivi de la personne. Il
la met dans une spirale de réussite volontaire avant de passer aux suggestions
activant l’automatisme.
Tous les types d’engagements peuvent être utilisés, mais les actes privilégient
la simplicité et l’efficacité.
Chez Erickson, l’induction hypnotique est loin d’être un long monologue.
Au contraire, le sujet continue à parler. En revanche, les questions qu’il pose
amènent la personne vers une focalisation interne. Induire la transe en
continuant à maintenir une interactivité donne beaucoup plus d’indications,
mais permet aussi un engagement fort, car la personne répond aux questions
suggestives57.
Le monologue est une des pires choses que vous pouvez faire à une personne
pour l’amener en état d’hypnose. En effet, comment guider quelqu’un si
vous ne savez pas ce qu’il fait ?
En questionnant, vous imposez à la personne de focaliser là où vos questions
l’emmènent. Puis, vous lui permettez de s’engager par ses réponses. Bien sûr,
dans les situations d’urgence, la personne ne peut pas toujours parler. Dans
ce cas, utilisez un signe pour qu’elle puisse répondre à vos questions. Vous
pouvez, par exemple, lui demander de serrer votre main, ou de cligner des
yeux, mais aussi de garder un contact qui vous permet de la suivre. Des
phénomènes hypnotiques comme une main qui se lève d’elle-même peuvent
aussi permettre de continuer à vérifier la réactivité, mais ils sont moins
engageants car il n’y a alors pas de conscience réflexive de l’engagement,
autrement dit de conscience de sa propre existence et par extension de
l’attribution de nos actes à nous-même.
Enfin, le rituel permet également de savoir que la personne continue de
suivre.

6.  Rituels et focalisation

Objectifs
Nous créons donc des rituels qui sont une succession d’actes volontaires
simples demandés au sujet. Ces actes servent à plusieurs choses :
— apprendre à la personne à répondre volontairement et automatiquement
aux demandes du praticien ;
— stimuler l’engagement de type « pied dans la porte ». Une fois que l’on a
commencé à s’engager à suivre, difficile de revenir en arrière ;
— vérifier que la personne est réactive à ce qu’on lui demande ;
—  créer de la compétence, car la personne sentira qu’elle arrive à faire ce
qu’on lui demande simplement ;
— servir de support aux suggestions.
Notez bien que lorsque vous demandez à quelqu’un de faire un acte
volontaire pour vous, indirectement vous demandez toujours à des processus
automatiques de faire quelque chose pour vous. Par exemple, si vous
demandez à quelqu’un de regarder un point sur le plafond de l’ambulance,
elle va volontairement diriger ses yeux vers le plafond, mais l’adaptation des
muscles de l’œil se fera inconsciemment. Ainsi, les processus automatiques
auront aussi agi sur votre demande. De même, si vous demandez à une
personne debout de lever les bras devant elle, le système vestibulaire
provoquera de nombreux ajustements d’équilibre pour éviter la chute. Ainsi,
des processus automatiques participeront à votre demande. De cette manière,
les rituels entraînent aussi la personne à vous suivre inconsciemment tout en
se sentant compétente. L’hypnose est donc grandement facilitée par des
rituels tout simples.

Application en situation d’urgence 


Dans mon cabinet, je travaille exactement de la même façon, mais dans une
situation d’urgence, ce que je vais dire est plus important encore. L’hypnotisé
a besoin de sentir que vous êtes là et en contrôle de la situation. Il ne s’agit
pas d’insinuer du doute. Ainsi, lorsque l’on va guider la personne, nous
allons utiliser ce que l’on appelle des «  instructions  ». Il s’agit d’être clair,
précis et véritable.

On évite On préfère
- « Pouvez-vous choisir un point devant vous ? » : - « Regardez ce point noir (montrez un
cette phase ne veut strictement rien dire. Un point point sur le plafond du véhicule) et
destiné à quoi ? « Pouvez-vous » présuppose-t-il maintenez toute votre attention fixée
qu’il pourrait « ne pas » ? Nous ne sommes pas dessus. »
dans un cadre de politesse sociale.
« Placez votre main sur la mienne ». Cela est très « Placez votre paume de main (en
vague ; la placer comment ? De quelle main parle-t- touchant la main gauche de la
on ? Cela risque de demander des corrections personne) ici, sur la mienne » (en
inutiles pour que la personne fasse vraiment ce que montrant votre main, paume en haut
l’on demande. Ce qui pourrait jouer sur son dans l’axe de vision du client). Si on la
sentiment de compétence. place, l’engagement est différent,
moins actif mais parfois, ce sera
nécessaire.
« Soyez curieux de la manière dont vous inspirez « Prenez une grande inspiration (le
avant de laisser les yeux se fermer en soufflant » : praticien prend une grande inspiration
complexe et sans demande directe d’action ou en passant la main devant le menton
d’observation. de la personne jusqu’au front) et
laissez vos yeux se fermer (en
repassant la main devant les yeux
depuis le front jusqu’au menton). »
Il ne s’agit pas d’être autoritaire mais
de faire preuve de clarté et de
précision pour que l’hypnotisé sache
exactement ce qu’il a à faire et que le
praticien puisse vérifier que la
personne suit.
On évite On préfère
- « Vous pouvez peut-être choisir de regarder un « Regardez très attentivement la pointe
point devant vous ou de vous concentrer sur une de ce stylo et suivez-la du regard. »
image intérieure » ; les termes « peut-être », « vous
pouvez », « ou » ne créent que du doute vraiment
inutile. Et si la personne choisit l’image intérieure,
le fait qu’elle reste focalisée sur l’image ne sera
pas vérifiable par le praticien.

Continuons l’entretien précédent avec Clothilde en y intégrant un peu plus


d’engagement et en déclenchant un rituel.

Clothilde est assise à côté du futur hypnotisé à sa gauche. Lui, est allongé sur le
brancard dans l’ambulance.
Clothilde  : Bonjour, je m’appelle Clothilde, je suis médecin-urgentiste, vous m’avez
comprise (demande d’engagement à répondre) ?
Fred : Oui, j’ai très mal.
C.  : Oui, je me doute que pour l’instant vous avez encore très mal (répéter ce que le
client dit, permet de lui montrer qu’on l’a compris, on modifie avec les termes en gras pour
intégrer une ouverture vers autre chose) et vous avez vécu le plus dur (elle serre la main
du patient), maintenant, je suis là pour vous aider (desserre l’étreinte progressivement).
Quel est votre prénom (demande d’engagement à répondre) ?
F. : Fred.
C.  : Enchanté Fred. On fait tout ce qu’il faut pour votre corps (elle le rassure), et vous
allez m’aider aussi pour le mental, prêt à me suivre (demande d’engagement à suivre) ?
F. : Oui.
C. : Cool (clin d’œil pour féliciter le client de temps en temps, cela lui permet de se sentir
actif et en même temps compétent, ce qui est primordial). Alors Fred, placez votre paume
de main (en touchant sa main gauche) ici, sur la mienne (avec son index droit, elle montre
à Fred sa propre paume de main gauche tournée vers le haut dans l’axe de vision du client
pour qu’il puisse y déposer la sienne). Il s’exécute.
C. : Maintenant, Fred, lorsque je descends ma main ainsi (elle descend sa main), fermez
vos paupières très lentement, c’est ça, parfait. Et quand la main se relève ainsi (elle
remonte sa paume vers le haut), prenez une inspiration et rouvrez les yeux en fixant ce
point (elle montre un point noir sur le plafond de l’ambulance), et quand la main
redescend ainsi (elle baisse sa main et donc celle de Fred), laissez le corps souffler et
fermez lentement les paupières, et la main remonte, alors vous les rouvrez doucement
et fixez le point. Vous faites ça très bien (félicitations pour le sentiment de compétence).
Ici, le rituel mis en place est vraiment très simple, mais il permet de vérifier
que Fred comprend, qu’il suit, ce qui permet à Clothilde de vérifier sa
réactivité. En suivant ce rituel, Fred répond volontairement, mais aussi de
manière automatique, car, par exemple, lorsque les paupières s’ouvrent, des
muscles de l’œil s’actionnent automatiquement pour tenter la mise au point.
D’autre part, le contact de Clothilde avec la main de Fred lui permet de
développer une sensibilité tactile lui donnant de l’information sur Fred
(tonus musculaire, tension, relâchement, sudation éventuelle, etc.).
Ce petit rituel canalise la conscience de Fred sur les paupières, mais aussi sur
le mouvement de la main. Il y a ainsi focalisation de la conscience, que ce
soit yeux ouverts ou fermés et donc canalisation de la conscience sur une
activité très restreinte. Clothilde gagnera ensuite à se caler sur la respiration
de Fred, pour qu’il continue à suivre, mais de plus en plus automatiquement,
sans avoir besoin d’y réfléchir, permettant ainsi d’éloigner un peu plus la
conscience déjà restreinte. Comme vous le percevez, il n’y a encore pas de
suggestions menant vers l’état hypnotique. Nous améliorerons encore ce
rituel ensuite.
Cependant, ce petit rituel va aussi donner beaucoup d’informations sur la
réactivité de Fred. Nous allons définir dans le paragraphe suivant ce qu’est la
réactivité.

7.  Réactivité et simultanéité

Le mot «  responsiveness  » représente la «  capacité à répondre  ». C’est une


caractéristique essentielle de l’induction chez Erickson, qui vise à développer
la capacité de l’hypnotisé à répondre fidèlement, que ce soit volontairement
ou automatiquement à des instructions (conscience) ou des suggestions
(processus automatiques) données sur des canaux de communication
multiples (sonore, visuelle, tactile, verbale). Nous le traduirons par réactivité,
ce qui n’est pas entièrement satisfaisant, mais il n’y a pas d’équivalent
sémantique exact.
Lorsqu’on commence à induire un état hypnotique chez quelqu’un, il est
très important de vérifier sa réactivité à divers types de suggestions. La
deuxième étape étant ensuite d’améliorer cette réactivité pour atteindre les
phénomènes hypnotiques nécessaires au travail prévu.
Si l’on regarde le début de la séance précédente avec Clothilde et Fred, il n’y
a pas de suggestions verbales destinées à activer des automatismes. Et
pourtant, il y a déjà des suggestions destinées à activer des automatismes.
Lorsque Clothilde demande à Fred d’inspirer quand la main se lève (légère
suggestion de dissociation ; si la main se lève d’elle-même, elle est autonome,
ce qui suggère un processus inconscient à venir), elle crée une association
entre la lévitation de main potentiellement utilisable dans le futur et le fait
d’inspirer. Or, quand vous inspirez, vous levez légèrement la cage thoracique,
ce qui fait légèrement bouger les épaules vers le haut et donc suggère une
élévation. Lorsqu’en même temps il regarde vers le haut en fixant, cela crée
une absorption vers le haut, ce qui suggère aussi l’élévation. Lorsque la main
redescend avec la fermeture des paupières, cela suggère de la détente car la
fermeture des paupières est relative au sommeil. Et le fait de descendre la
main, en même temps que la cage thoracique descend, suggère un
relâchement et une focalisation interne.
Il y a une simultanéité des suggestions et Clothilde gagne à aller plus loin. En
effet, elle peut aussi suggérer la même chose de manières différentes :
—  en montant légèrement la tête lorsqu’elle élève la main et que Fred
inspire. Puis, en prenant, elle-même, une bonne inspiration. Ainsi, le lieu
d’émission de la voix suggère aussi l’élévation ;
— en montant le ton de sa voix pour suggérer plus de tonicité ;
— en tendant plus la paume de sa main en contact avec celle de Fred pour
suggérer plus de tonicité ;
— en soufflant plus et en faisant descendre sa tête lorsqu’elle descend la main
et qu’il laisse le corps souffler. Ce qui arrivera automatiquement si elle
souffle en même temps ;
— en descendant le ton de sa voix pour suggérer plus de relâchement ;
— en relâchant plus la paume de sa main pour suggérer du relâchement.
Ainsi, les mêmes suggestions sont transmises sur plusieurs canaux en même
temps : ton de la voix, lieu d’émission de la voix, tonus dans la paume de la
main. Puis, dans la montée et la descente de la main et dans l’inspiration et le
souffle.
Par conséquent, Fred est déjà immergé dans plusieurs suggestions qui ne sont
pas prononcées. Le fait qu’elles ne soient pas prononcées évite toute
résistance. En effet, si Clothilde dit immédiatement à Fred de se relaxer, alors
qu’il ressent de fortes douleurs, cela risque de ne pas passer. Mais là, les
suggestions sont des indices minimaux. Il est donc difficile d’y résister. Par
contre, cela peut créer un gros impact. Ceci prépare le terrain aux
suggestions verbales potentielles ensuite.
Cette manière de suggérer sur plusieurs canaux est caractéristique de
l’hypnose que j’appelle l’hypnose rapide, car elle active en dehors de la
conscience. Mais il y a un autre avantage majeur  : elle permet à Clothilde
d’observer attentivement l’impact de sa communication suggestive. Ainsi, elle
peut regarder la manière dont Fred ferme les yeux et sentir la manière dont
sa main est posée sur la sienne. Elle peut aussi voir si Fred la suit bien. Elle
peut même stopper un type de suggestion et voir l’impact sur la réactivité de
Fred. Par exemple, si elle ne baisse plus le ton de sa voix et qu’elle sent que
le tonus dans la main de Fred est moins relâché, alors elle a une indication
sur le fait que le ton de voix est une suggestion efficace pour Fred. Le rituel
permet alors, à la fois d’engager la personne hypnotisée, de créer de la- ­
compétence chez elle et de repérer la réactivité aux suggestions non verbales.
Cette simultanéité des suggestions gagnera à continuer même lorsque les
suggestions verbales vont commencer. En effet, le rituel va servir de support
aux suggestions verbales. Si, par exemple, Clothilde dit « et ressentez comme
cette descente (lorsque la main descend) vous apaise », elle peut aussi poser sa
main légèrement en tension sur l’épaule de Fred et la relaxer sur son épaule
pour suggérer l’apaisement d’une façon simultanée.

8.  Dissociation : volonté vs automatisme


Lorsque le rituel est en place, les suggestions vont commencer à venir s’y
greffer.
Il est assez fréquent d’entendre des hypnotiseurs dits Ericksoniens faire des
suggestions comme : « je me demande où tu ressens le plus de relâchement »
ou «  je ne sais pas à quelle vitesse cet état va s’approfondir  ». En hypnose
rapide, on évite de telles suggestions qui sont contre-productives pour
l’induction car elles peuvent créer du doute, des réflexions chez le sujet
comme « Ah bon, il ne sait pas ? » voire, au pire, une perte de confiance en
l’hypnotiseur.
Dans un travail thérapeutique, elles peuvent éventuellement avoir un intérêt
mais les présupposés sont souvent bien plus intéressants que ces suggestions
un peu lourdes.
Nous avons vu un exemple de présupposés plus haut dans le démarrage de
l’entretien entre Clothilde et Fred  : «  Pour l’instant, vous avez encore
mal ». Ce qui est en gras présuppose que cela peut changer. Voici quelques
exemples :
— Sentez comment cet apaisement continue à se répandre :
• comment  : présuppose que cela continue à se répandre, qu’il s’agit
juste de percevoir de quelle manière ;
• cet apaisement : présuppose son existence ;
• continue : s’il continue, cela présuppose qu’il a ­commencé.
—  Observez l’approche automatique de cette main  : le fait que l’on
demande de l’observer présuppose que cette approche existe.
— Avez-vous déjà expérimenté la transe avant  ? La question sous-entend
que ça va arriver.
— Ressentez la manière dont commence l’engourdissement quand cette
main descend :
•  cela sous-entend qu’un engourdissement commence et que seule la
manière dont il commence est à remarquer ;
• « commence » sous-entend que cela va continuer.
— Dans quelle partie de votre corps l’engourdissement commence-t-il  ?
Cela sous-entend que ça commence dans une partie du corps.
Ensuite, nous pouvons entretenir la dissociation volonté/automatisme ou
conscient/inconscient, dans le but d’amener la volonté en observatrice et les
processus automatismes en acteur. Pour cela il suffit de donner, dans une
même phrase, une instruction pour la volonté et une suggestion pour les
processus automatiques :
— Instruction  : observez, remarquez, sentez, soyez attentif, laissez, dites-
moi, etc.
— Suggestion : l’approche de la main, la relaxation qui continue dans les
paupières, comment la détente se répand, le ralentissement des paupières,
l’engourdissement de cette main, les yeux se ferment, etc.
Nous n’allons pas ici décrire tous les outils hypnotiques, mais notons qu’ils
peuvent prendre place dans les boucles inductives qui relient ce qui est
indubitablement présent à ce que l’on veut créer ou, dit autrement, qui
relient les faits déjà présents aux suggestions créant un effet. Par exemple : et
pendant que cette main redescend (geste de la main qui descend  = un fait),
sentez la manière dont les paupières s’alourdissent (une suggestion insérée
dans une dissociation volonté/automatisme).
Voyons donc la suite de l’exemple avec Clothilde en rajoutant les boucles,
dissociations et suggestions.

Clothilde  : Et pendant que la main descend, sentez comment les paupières


s’alourdissent. (boucle inductive et dissociation avec suggestion). Et quand la main se
relève (Clothilde remonte la main sur l’inspiration de Fred), remarquez que les paupières
sont de plus en plus relaxées, endormies, tranquilles. Sentez-vous déjà cela ?
Fred : Oui, elles ont comme envie de rester fermées (ton de voix et rythme légèrement
plus bas. Fred vient de s’engager. S’il avait dit non, nous aurions pu lui dire : « pas encore et
… »).
C.  : … de rester fermées, c’est ça. Et quand la main descend (souffle de Clothilde), de
plus en plus endormies et … (silence, juste la main qui monte) restent fermées- ­
complètement (à nouveau descente et montée de la main) … complètement endormies
d’un sommeil hypnotique ou vous m’entendez toujours, sentez-vous que les paupières
sont endormies ?
F. : (ton de voix plus bas encore, respiration plus ventrale) oui, endormies.

Les boucles, suggestions et dissociations entre le conscient et l’inconscient,


s’appuient sur le rituel précédent qui suggérait déjà tout cela non
verbalement. 
Maintenant, nous avons commencé à créer un autre type de dissociation. En
effet, Fred est focalisé différemment, car nous l’avons amené à être attentif à
un rituel puis, à ses paupières. Ce qui sous-entend qu’il est moins attentif au
reste donc à ses douleurs. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas les ressentir
auquel cas, elles seront incorporées (comme ce qui est) dans l’induction pour
ne pas les nier. Cette focalisation peut donc amorcer une dissociation
corporelle plus forte. Pour cela, nous pouvons ensuite passer par une
«  induction par loisirs  » (une séance d’hypnose basée sur un loisir de la
personne). Il est intéressant que la séance se poursuive en utilisant
l’engagement. Si l’on prend l’exemple de Clothilde et Fred, les questions
gagnent à être posées sur une levée de la main, les suggestions sur une
descente de la main.

9.  Dissociation corporelle

Le but est d’amener Fred à sortir du moment présent en le connectant à un


souvenir de loisir agréable. A priori, tous les praticiens connaissent cette
manière d’induire un état dissocié du présent et du lieu, et associé à un
souvenir et un lieu différent.
Je ne vais pas le décrire tout au long de l’exemple ci-dessous, mais le rituel
avec la main continue pendant ce temps.

Clothilde : … endormies, et pendant que l’endormissement se répand, dites-moi ce que


vous adorez faire pendant vos loisirs ?
Fred : Construire des cabanes avec ma Chloé, ma fille.
C. : Construire des cabanes avec Chloé et où faites-vous cela ?
F. : Dans la forêt.
C.  : Et dans cette forêt avec votre Chloé (pendant que la main descend. Ici, c’est une
suggestion le replaçant dans le contexte au présent), qu’est-ce qui rend ce moment si
génial ? (pendant que la main monte)
F. : La lumière, ses rires, le bon air. (sourire de Fred)
C. : La lumière (dit avec le même ton de voix), ses rires (sourire dans la voix), le bon air
(inspiration plus forte de Clothilde. Ce sont des suggestions simultanées rendant
l’accompagnement plus immersif) vous font ressentir quoi ? (ici, débute l’intériorisation et
l’association plus forte. Fred peut ramener les sensations ici et maintenant).
F. : Du bonheur.
C. : Du bonheur et quoi d’autre ?
F. : De l’amour.
C. : Et où ressentez-vous cet amour et ce bonheur (elle continue l’intériorisation) lorsque
vous regardez cette lumière et que vous entendez les rires de Chloé (sourire dans la
voix), en inspirant le bon air (levée de la main car liée au départ avec l’inspiration de Fred
et l’inspiration plus forte de Clothilde) ?
F. : Dans la poitrine, c’est chaud.
C.  : Waouh (félicitations indirectes). C’est chaud dans votre poitrine. (Contact sur la
poitrine en redisant les mots de Fred. Ce qui le suggère aussi).
F.  : Oui (Fred sourit, ce qui permet de voir son association à ce moment, et donc la
dissociation du moment dans l’ambulance).
C. : Et là, dans cette lumière avec les rires de votre fille (sourire dans la voix), et le bon
air (Clothilde inspire plus fort), laissez ce bonheur et cet amour s’amplifier avec cette
chaleur (dissociation volonté/automatismes) comme la main continue à monter d’elle-
même automatiquement comme un curseur qui intensifie cette chaleur, ce bonheur,
comme vous inspirez ce bon air (inspiration de Clothilde) et que vous entendez ses rires
(sourire dans la voix)…

10.  Conclusion

Dans cet accompagnement, on retrouve la spirale d’engagement. Le fait de


maintenir des questions pousse Fred à rester focalisé (on retrouve la
focalisation sous une autre forme) dans l’environnement donné et à donner
de l’information réutilisable sous forme de boucle inductive. Cela permet
aussi à Clothilde de ne pas naviguer dans le flou et de l’accompagner très
précisément avec ses propres mots. Un accompagnement vague dans une
forêt (sans questions) pourrait créer une échappée de la focalisation de
l’esprit, le faisant reconnecter à son corps dans l’ambulance.
Nous retrouvons également les suggestions simultanées sur lesquelles la
réactivité de Fred a été testée indirectement lors du rituel inductif. Les
suggestions et la contextualisation sont faites au présent.
La main de Fred est lâchée et lancée dans une lévitation de main
hypnotique58. C’est aussi une manière non verbale de suggérer une
autonomisation de Fred.
Ainsi, tous les outils vus lors de la mise en place du rituel inductif continuent
ensuite à être utilisés pour le travail.
Pour l’induction par loisirs, nous avons, ici, donné un bref exemple
permettant de percevoir la continuité entre les manœuvres d’induction (qui
amènent dans l’état d’hypnose) et le «  loisir  » dans lequel on emmène la
personne, une fois la personne en transe59. Ce sont tous ces détails qui
permettent une hypnose rapide, ces quelques minutes à peine d’induction
qui rendront l’hypnose plus active, directe et par conséquent, la suggestion
plus efficace.

51. Le leading est le fait que le praticien dirige, guide la séance.


52. Pour une vision plus large, en dehors des situations d’urgence et notamment pour l’utilisation en cabinet, le lecteur
pourra se référer à mon livre, Guide pratique d’hypnose rapide, Independantly Published, mai 2018.
53. Sur ce sujet et bien d’autres, je vous recommande de lire Influence et manipulation de Robert Cialdini afin d’explorer
les outils d’influence relevant de la psychologie sociale.
54. C’est à dire l’état psychologique ravivant des expériences passées dans lesquelles le sujet a vécu une expérience
d’absence de maîtrise, sans expérience correctrice. Pour ceux qui ne connaissent pas, je vous invite à aller voir la vidéo
suivante que j’ai traduite : https://centre-hypnose-nice.fr/impuissance-apprise/
55. On demande des actes car on mobilise ce que l’on appelle l’engagement qui est le cœur du livre Influence et
manipulation dont j’ai parlé précédemment, et que tout praticien en hypnose devrait, à mon avis, connaître.
56. Par exemple, l’expérience menée pour la première fois en 1966 par Jonathan Freedman et Scott Fraser qui ont publié
les résultats dans Journal of Personality and Social Psychology. Voici l’expérience : un enquêteur se présentant comme un
travailleur bénévole se rend chez des personnes possédant une maison pour leur demander l’autorisation de poser une
énorme pancarte indiquant « prudence au volant » sur leur pelouse. 83 % de ce groupe de personnes ont naturellement
refusé cette requête. Donc, seulement 17  % d’acceptation. Pourtant, la même requête posée dans un autre groupe de
personnes a été acceptée à 76  %. Comment est-ce possible  ? Ce deuxième groupe de personnes, contrairement au
premier, avait été démarché 15 jours avant pour mettre une minuscule pancarte de 20 centimètres carrés avec
l’inscription « soyez un bon conducteur ». La pancarte avait été acceptée par quasi tout le monde étant donné sa petite
taille. Mais cette première acceptation a engendré un total revirement dans l’acceptation de la grande. Pourquoi ? Parce
que les clients s’étaient engagés une première fois.
57. En voici un exemple que j’ai traduit : https://centre-hypnose-nice.fr/m-h-erickson-jeu-avec-le-doute/
Dans l’exemple de la vidéo ci-dessus. Lorsque Milton demande à la cliente si elle est sûre que ses yeux sont ouverts et
qu’elle répond « à l’instant, oui », elle s’engage sans le savoir à fermer les yeux, car elle présuppose que dans un autre
instant, ce sera différent. Erickson prend bien le temps de le répéter.
Je ne reviendrai pas dessus car le but n’est pas d’écrire un cours d’hypnose, mais remarquez comment, dans cette vidéo,
Erickson répète quasiment tout ce que la personne dit pour intensifier le rapport hypnotique, mais également pour
suggérer à nouveau ce que la personne vient de dire. D’où, encore une fois, l’intérêt de maintenir une interaction
consciente permettant d’accentuer la dissociation.
58. La lévitation est le phénomène hypnotique par lequel une main de la personne s’élève dans les airs sous l’effet de la
suggestion, sans que la personne ait conscience de faire volontairement le mouvement, sans se sentir pleinement l’agent
de son acte.
59. Pour les personnes parlant anglais, vous pouvez approfondir en lisant Mastering the Leisure Induction écrit par Old
Graham en 2014. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’équivalent français satisfaisant.
Partie 2

LA VITESSE

Pratique de l’hypnose dans les


contextes urgents
Cette deuxième partie présente la pratique de
l’hypnose dans des domaines qui sont
naturellement le terrain de soins rapides et
urgents  : les urgences bien sûr avec le SAMU,
la régulation, et leur versant hospitalier  ; les
interventions de pompiers sur des lieux
d’accidents et situations extrêmes ; mais aussi,
les urgences chirurgicales avec l’anesthésie
non programmée. Nous y verrons également le
point de vue de l’infirmier anesthésiste dans
ces situations où les soignants ont peu de
temps pour agir au mieux.
 4  « L’hypnose en urgence… aux urgences »
Hypnose en médecine d’urgence, SMUR et régulation
médicale téléphonique

Dr Nazmine Guler

Le Dr Nazmine Guler prend la parole à nouveau et nous invite à la suivre dans


l’étrange univers des urgences, du SAMU, de la régulation où l’hypnose a pris sa
place, améliore le quotidien des patients et des soignants et fait gagner du temps et
diminuer les prescriptions. De nombreuses notions qu’elle évoque dans ce chapitre
sont la base absolue du travail en urgence. La notion d’« inversion de la charge de la
confiance » devrait inspirer tous les praticiens.

1.  Introduction

Pour tous ceux qui la pratiquent, l’hypnose est devenue un outil


indispensable en médecine d’urgence et devrait faire partie de l’arsenal
thérapeutique de tout soignant. Contrairement aux idées reçues, l’hypnose
peut s’appliquer à tous les champs de la médecine d’urgence, de la régulation
médicale au service des urgences, en passant par le SMUR. Les structures de
médecine d’urgence sont perçues par beaucoup comme des zones hostiles et
angoissantes, synonymes de tensions, cris, douleurs, tristesse, colère et
parfois, agressivité. Mais aussi d’un exercice débordant, où l’on n’a pas le
temps. C’est en partie vrai mais justement, l’hypnose est particulièrement
aidante face à ces difficultés.
Comme pour tout apprentissage, la posture et la façon de communiquer
particulières à l’hypnose demandent beaucoup d’énergie afin de trouver ses
marques et son propre style. Au fur et à mesure de la pratique, cela devient
très vite un automatisme.
Les avantages de cette méthode sont multiples :
— l’hypnose, au-delà de son aspect formel, nous donne un excellent outil de
communication  : elle améliore les relations avec les patients et les
collègues favorisant ainsi une ambiance de travail plus sereine ;
—  l’autohypnose améliore le bien-être et permet de mieux faire face au
stress aussi bien professionnel que personnel ;
— l’hypnose formelle diminue la douleur et le stress du patient évitant une
surconsommation médicamenteuse. Ceci est particulièrement vrai pour
les patients les plus vulnérables.
La douleur aiguë est l’un des motifs de consultation le plus fréquent aux
urgences quel que soit son origine60. L’indication médicale de l’hypnose
dans ce cas a fait l’objet de nombreuses études61 et son efficacité est
reconnue62.
Chaque étape du parcours du patient, de la régulation médicale du Samu-
Centre 15 au Smur et au service des urgences, peut être revue en y intégrant
les techniques de communication visant à lutter contre la transe négative
«  urgences-induite  »63 et modifier ainsi les sensations désagréables sur
lesquelles le patient s’hyperfocalise.
L’objectif de ce chapitre n’est pas d’effectuer un inventaire de toutes les
indications de l’hypnose mais de donner quelques repères sur l’usage de cette
technique dans l’arsenal thérapeutique des services d’urgence.
Je sais aussi, pour avoir été parmi les premiers dans mon service à la
pratiquer, un peu «  seule contre tous  », qu’intégrer un nouvel outil
thérapeutique dans les situations d’urgence n’est pas chose aisée. Mais avec
une équipe hostile, c’est encore pire. Il faut, patiemment et avec opiniâtreté,
convaincre nos collègues soignants du bien-fondé de cette technique, leur
montrer, leur expliquer64.
Les publications scientifiques sur l’hypnose aux urgences sont trop peu
nombreuses et seule l’expérience acquise sur le terrain, petit à petit, permet
de démontrer l’efficacité de l’hypnose dans la prise en charge des patients en
urgence. Comme l’enfant qui apprend à marcher, il faut accepter de tomber
plusieurs fois, et toujours se relever pour y aboutir. L’aide des patients est
essentielle, tout comme celle, progressivement acquise, des collègues. La
médecine est faite d’apprentissage, de répétitions et de compagnonnage  :
l’hypnose n’échappe pas à cette règle.

2.  Règle n° 1 : éviter l’effet nocebo...


en pratiquant « l’asepsie du langage »

Certains mots sont toxiques, ne soyons pas iatrogènes. On dit parfois que « le
cerveau n’entend pas la négation  ». Une façon de dire que nier quelque
chose, c’est parfois attirer l’attention dessus. Ainsi, dans une phrase telle que :
«  Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal, ce n’est pas grave  »,  le patient
retiendra « inquiétez », « mal » et « grave » et l’on obtiendra l’inverse de
l’effet attendu. Il est préférable de dire «  Soyez rassuré, ça va aller  » pour
calmer un patient.
Ce n’est pas si simple. Certaines phrases sont entrées dans notre langage
courant. Mais à l’origine d’un effet nocebo, comme jeter de l’huile sur le feu
pour l’éteindre.
Préférez donc les phrases affirmatives, parlez au présent. Votre langage
corporel et votre posture doivent dire la même chose, sinon vous ne serez pas
crédible. Dans une relation, les neurones miroirs s’activent et permettent
ainsi que ce que vous exprimez corporellement (que ce soit positif ou
négatif) se transmet aux patients, aux collègues et à vos proches.
Il y a suffisamment de stress, de peur, d’angoisse de douleurs aux urgences :
inutile de les amplifier. L’asepsie du langage est indispensable comme «  se
laver les mains » avant de commencer un soin.
I.P. Semmelweis, jeune médecin hongrois, démontra en 1844 l’utilité
du  lavage  des  mains  après la dissection d’un cadavre afin de diminuer la
mortalité des jeunes femmes que les étudiants accouchaient juste après. À
l’époque, on ne l’a pas cru. Comment le médecin pouvait-il, sur ses propres
mains, amener la mort au patient ?
Si je ne me lave pas les mains avant un soin, j’augmente le risque d’infection
avec un risque de gangrène pour les patients fragiles. Si je ne fais pas l’asepsie
du langage, je risque d’exacerber une douleur et d’augmenter les émotions
négatives voire même de provoquer une crise d’angoisse ou d’agitation.
Même, et surtout en urgence, il faut expliquer au patient les soins que nous
lui procurons, sans alarmer inutilement en gardant une posture rassurante.
Transe ou pas, «  aseptiser  » son langage est essentiel  : nous préparons le
terrain d’une relation apaisée.
Il y a quelques années, j’avais demandé à une manipulatrice de radiologie
d’éviter de dire aux patients en train de passer un scanner avec injection
d’iode en urgence «  Attention, je vais injecter un produit qui brûle, ça va
chauffer ! » et à la place, de dire plutôt « Vous allez ressentir une sensation de
chaleur et c’est normal  ». Les retours d’expérience confirment que les
patients, plutôt que de ressentir une brûlure désagréable et anxiogène avant
même l’injection d’iode, vivent une expérience qui leur est particulière, mais
surtout plus confortable. Les patients ne se plaignent plus et partagent cette
expérience.
De même, il est préférable d’éviter de dire  : «  Attention, je vais vous
piquer », « Avez-vous encore mal ? », « Ne bougez pas ».
Préférez : « Êtes-vous assez soulagé ? » « Est-ce plus confortable/Est-ce que
ça va mieux ? », « Restez tranquille », « Soyez rassuré ».

3.  Règle n° 2 : jongler entre la position haute


et basse
Aux urgences, nous sommes des experts de la dimension corporelle des soins
et nous ne maîtrisons que très peu les maux de l’âme qui ne sont pas notre
domaine de compétence initial. Nous sommes tellement focalisés sur les
soins somatiques urgents que la souffrance morale du patient et de ses
accompagnants nous semble secondaire. Le patient est expert de sa vie et de
son corps et le thérapeute des soins prodigués. Nous faisons de notre mieux
mais nous pouvons encore mieux faire en adaptant notre discours à chaque
personne et situation.
Parler à un enfant comme un enfant et s’abaisser pour se mettre à son niveau
en face à face est une position basse stratégique pour permettre une
meilleure collaboration : l’enfant sera moins impressionné. Il en va de même
pour un adulte  : le rejoindre pour coopérer plutôt que lui délivrer de
l’information en position haute. Se placer au niveau de l’humain pour
communiquer simplement, sans terme technique, en position basse
stratégique.
Si vous n’avez pas vécu une situation terrible similaire, ne dites jamais «  Je
vous comprends », vous risquez de provoquer la colère du patient qui vous
reprochera de ne pas être à sa place. Dîtes plutôt  : «  Je ne peux pas vous
comprendre car je ne suis pas à votre place, c’est très dur pour vous, je le
vois, je vais faire de mon mieux pour vous accompagner… ».
Dans la gestion des conflits, la position basse stratégique est également très
efficace.

Le fils d’un patient est en colère car sa mère a attendu huit heures sur un brancard
avant d’être installée. L’infirmière prévient le médecin qui va la prendre en charge de
l’agressivité de l’accompagnant. Nul besoin de vous expliquer comment l’effet nocebo
(l’effet d’attente négative) commence déjà à agir sur le personnel soignant.
- Le fils : « Ah enfin un médecin ! Cela fait huit heures qu’on attend, c’est inadmissible,
ici on peut crever la bouche ouverte ! »
- Le médecin  :  «  Huit heures  ? Ah, effectivement, ça fait huit heures, c’est difficile et
difficilement admissible  ; vous avez raison d’être en colère  ! Ce n’est pas normal
d’attendre aussi longtemps »
- Le fils : « Non mais, vous vous moquez de moi ? »
- Le médecin  :  «  Est ce que j’ai l’air de me moquer de vous  ? Je trouve que c’est
inadmissible et pire, je trouve que c’est de la maltraitance. Comment avez-vous fait
pour tenir huit heures ? Je pense que je serais partie, ou alors, si c’était ma mère sur ce
brancard, je me serais moi aussi énervée, et avant ! »
- Le fils : « Vous êtes sérieuse ? »
- Le médecin : « Oui, monsieur. Il est vrai qu’on a fait ce qu’on a pu, qu’on a essayé de
prendre les patients en fonction de la gravité et de l’heure arrivée, mais on manque de
personnel, et nous non plus, nous n’aimons pas que ça se passe comme ça… Tout à
l’heure, vous avez dit à l’infirmière que vous vouliez faire un courrier. Vous pouvez.
Écrivez, cela va nous soutenir. Nous non plus on ne veut pas continuer comme cela ! »
- Le fils : « Non mais docteur, je sais que c’est dur pour vous aussi, je vous vois courir
partout. C’est parce que je suis inquiet… »
- Le médecin  : «  C’est normal et heureusement que vous vous inquiétez pour elle,
maintenant, si vous êtes d’accord, je vais examiner votre maman ».

Position basse stratégique d’acceptation sincère et humaine de la situation


puis, position haute bienveillante de soignant. L’acceptation entraine le
changement. La formation en hypnose ne m’a pas appris que la transe, mais
aussi à gérer de nombreuses situations d’agressivité.
Avant la formation à l’hypnose, ma réponse aurait été  : «  Oui ça fait huit
heures que vous attendez, mais le cas de votre maman ne relève pas de
l’urgence ! Et si vous n’êtes pas content, il y a d’autre hôpitaux, monsieur,
personne ne vous oblige à rester. De quel droit vous me parlez sur ce ton ?
Ça suffit maintenant ! »
C’est une position haute où l’on ne prend pas en compte le ressenti du
patient, et qui mène fatalement à une escalade symétrique.
Dans certains cas, la position haute bienveillante est nécessaire, notamment
sur les prises de décisions concernant les soins. Par exemple, lors d’un appel
au 15 pour un arrêt cardiaque, il est important de guider l’appelant, sidéré
par le stress, sur les gestes de secourisme et notamment le massage cardiaque,
ceci de façon bienveillante mais claire et précise sur ce qu’il faut faire.
« Madame, c’est très important et vraiment important et très très important
de m’écouter, je vais vous accompagner pour le massage cardiaque et faites
de votre mieux, je suis là avec vous à vos côtés et je compte avec vous ».
Laisser du contrôle au patient nous permet de mieux l’amener à collaborer
aux soins mais à l’inverse, à nous de guider un patient sidéré pour
l’accompagner dans un second temps et garder la gestion des soins.
La position haute est nécessaire lorsque le patient est perdu, dépassé par ce
qui lui arrive. Il a besoin du « sachant » qui doit exprimer son savoir pour lui
faire bénéficier des soins nécessaires. Quand un patient vous dit « Docteur,
faites tout ce que vous voulez mais enlevez-moi cette douleur  » ou bien
« Docteur, j’ai peur ! », vous êtes d’emblée en position haute qui permet à
l’hypnose médicale de donner de bons résultats.
Dans les différents cas cliniques vous verrez des exemples de positions haute
et basse.

4.  Règle n° 3 : faire confiance à l’hypnose


et aux patients

Une notion fondamentale pour que l’hypnose fonctionne en/aux urgence/s


est le « renversement de la charge de la confiance  ». L’essence même
de la relation soignant-soigné est la confiance : on nous le dit pendant nos
études, il faut gagner la confiance du patient. Certes, il faut un patient qui
accepte et participe aux soins, et dans le cas de l’hypnose, c’est indispensable.
Mais aux urgences, ou en urgence, tout s’inverse. La confiance du patient est
souvent déjà là, implicite, renforcée par la douleur et le besoin de
soulagement immédiat. L’attente, souvent longue, consentie par les patients
en est un témoignage indirect et toutes les enquêtes récentes sur «  les
urgences » montrent, malgré la crise, la confiance de nos concitoyens envers
ces services.
Le patient nous accorde, encore plus facilement que dans tout autre
contexte, sa confiance. C’est nous, soignants, qui devons faire l’effort de lui
faire confiance !
Le principal obstacle à l’utilisation de l’hypnose aux urgences est notre
incapacité à faire confiance au patient pensant que, sidéré par l’angoisse, il est
incapable de collaborer aux soins, et encore moins d’entrer en hypnose.
Mais à partir du moment où le patient vous dit « Docteur, faites tout ce que
vous voulez mais enlevez-moi cette douleur », il est prêt à tout essayer pour
aller mieux.
Un enfant fait souvent confiance aveuglement à ses parents. C’est à eux de
faire confiance à leurs enfants s’ils veulent leur permettre de s’autonomiser.
Alors, ils font ressentir à l’enfant qu’il est capable de réussir et cela
fonctionne beaucoup mieux : c’est l’effet « Pygmalion », une prophétie auto-
réalisatrice qui provoque une amélioration des performances d’un sujet, en
fonction du degré de croyance en sa réussite.
L’enjeu est là. Si je fais ressentir au patient que je crois en ses compétences,
l’hypnose fonctionnera, a fortiori dans un contexte de détresse aiguë car c’est
là que ses résistances sont au plus bas.

5.  Règle n° 4 : utiliser stratégiquement


la directivité

«  Être aussi direct que possible, et aussi indirect que nécessaire  », M. H.


Erickson.
Le patient aux urgences peut être comparé à une personne qui se noie.
Lorsqu’on lui propose une bouée de sauvetage, il répond presque toujours
positivement sans hésiter. Il faut lui dire de manière autoritaire « prends-la ».
Il ne va rarement exiger telle ou telle couleur de bouée : il tend les bras, est
prêt à tout pour sauver « sa vie ». On peut donc s’autoriser à être directif en
situation d’urgence.
Une séance d’hypnose est classiquement composée de quatre étapes  :
l’induction, l’approfondissement, le travail et le réveil.

Première et deuxième étapes : l’induction et


l’approfondissement
L’induction et l’approfondissement, sont, comme pour l’anesthésie, les
phases de préparation du patient, le moment où l’on fait apparaître la transe
pour arriver à la phase de travail.
Allez au plus simple, au plus clair. J’utilise beaucoup la technique de
comptage associée à la description du «  VAKOG  » (c’est-à-dire ce que
ressentent les cinq sens : visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif) pour
induire et approfondir car elle est plus basique.
Lors de mes premières séances, je comptais jusqu’à dix puis, n’ayant pas assez
d’expérience pour vérifier la transe du patient, j’ai tenté jusqu’à vingt.
Lorsque l’infirmière qui m’accompagnait m’a dit « J’ai failli m’endormir », je
me suis dit que c’était trop long. À présent, je compte jusqu’à cinq et cela
me convient mieux : soyez simple.
J’affectionne tout particulièrement certaines techniques de «  confusion  »
qui permettent paradoxalement de «  souffler  », de se permettre fantaisie et
liberté dans les situations urgentes où la rigueur s’impose et où nous sommes
tout le temps sous tension. Je m’autorise donc parfois à dire «  n’importe
quoi », à passer du coq à l’âne, me permettant de « décompresser » tout en
facilitant la transe. La confusion dépotentialise la conscience critique, elle lui
fait perdre tension et repères pour en trouver de nouveaux. Toujours avec
bienveillance, l’enjeu est de surprendre, d’embrouiller un peu cette
conscience qui analyse tout et réfléchit de manière cartésienne afin d’accéder
à l’inconscient du patient où se trouvent les ressources ; et ainsi faciliter un
accès plus direct à l’imaginaire, moins rationnel mais plus utile dans ce
contexte  ! Quant à moi, je suis plus détendue. Par exemple  : «  Les yeux
entendent le bruit du gyrophare  » ou bien «  vous allez sentir la tension se
prendre et toute l’attention se reporte sur la tension car il faut y porter toute
votre attention ». Ou encore, trois négations ou plus : « Vous pouvez ne pas
vous rappeler, de ne pas oublier, de ne pas vous détendre ».

Troisième étape : le travail


Pendant la phase de travail, j’effectue les suggestions thérapeutiques
nécessaires aux soins. Il n’y a pas vraiment de secret. Un peu comme tout le
monde, je «  brode  » de manière très indirecte autour d’un lieu sûr et
agréable, c’est la technique principale en aigu. Dans ce lieu sûr, j’utilise de
manière stratégique des suggestions directes et autoritaires qui ne sont pas
choisies au hasard. Le malade se noie, je lui envoie une bouée de sauvetage !
Et il n’hésite pas à l’attraper.
Par exemple, le cas de cette patiente dialysée rénale arrivant en pleurant aux
urgences pour une récidive de luxation d’épaule :

Exemple 1
« Docteur, je ne veux pas rester aux urgences. Je passe ma vie à l’hôpital. Je ne veux
pas de médicament. La dernière fois, je n’ai pas réussi à me relâcher, j’avais trop mal et
à cause des médicaments, on m’a gardée pour une dialyse !»
J’installe donc la patiente dans un endroit sûr hypnotiquement, un lieu où elle se sent
bien sans l’interroger auparavant et sans lui demander où elle aimerait être. Je brode
de manière très indirecte et permissive autour d’un lieu sûr (un lieu où l’on se sent en
sécurité) : « Vos yeux peuvent voir des couleurs, des odeurs, des personnes, la nature
ou bien autre chose », « les oreilles entendent des bruits familiers peut-être, peut-être
pas, la nature, des voix ou bien quelque chose de différent connu ou bien inconnu, je ne
sais pas », « peut-être vous êtes accompagnée, peut-être pas, ou bien en train de faire
une activité favorite ou bien celle qui vous convient là maintenant  », «  vous pouvez
ressentir la lumière du jour ou bien celle du soir ou bien autre chose, peut-être la
chaleur ou bien de la fraîcheur ou bien une température plus neutre encore », etc.
Et dans ce lieu sûr, je formule une suggestion directe : « un petit vent agréable caresse
l’épaule, le bras, les sensations changent, les muscles se détendent, ils se relâchent
et maintenant, ils ne ressentent presque plus rien, quelque chose de confortable
arrive et là je vous demande de me confier ce bras cette épaule le temps des soins
pendant que le corps profite et fait ce qu’il a à faire dans cet endroit agréable… ». La
suggestion directe apporte bien le relâchement musculaire et l’analgésie. Concernant
le lieu sûr, le demander avant la séance au patient est possible évidemment. Mais il est
parfois plus simple de ne pas le connaître. Lors d’une séance d’hypnose, on suggère
souvent au patient de s’installer dans un endroit agréable où il se sent bien, lieu que
l’on a auparavant défini avec lui.
Sinon, on le laisse libre d’aller où il le souhaite sans aucune information préalable par
le biais de suggestions indirectes et permissives («  Vous pouvez ressentir toutes les
sensations liées à cet endroit... ») sachant que son lieu se précisera naturellement dans
son imaginaire au cours de la séance. Le patient aura ainsi l’impression d’avoir du
contrôle et d’être plus libre.
Exemple 2 
Lors d’une ponction lombaire sous hypnose, un jeune patient souhaitait aller voir la
mer.
À son réveil, je lui demande : « C’était bien la mer ? ». Il me répond : « Docteur, la mer
ça m’a saoulé, je suis parti à Berlin ! » Très surprise, je poursuis « Mais cela ne vous a
pas dérangé  ? J’ai parlé de la mer et du sable tout le temps  !  » Étonnement  !
« Franchement non, je ne vous entendais plus. »

Conclusion
Le patient fait vraiment ce dont il a envie. Depuis ces expériences, je ne
demande presque plus son lieu sûr au patient, cela lui laisse un espace de
liberté et je gagne du temps.
« Écoutez le patient », conseillait, parait-il, Erickson comme quelque chose
de primordial, «  observer, observer, observer puis, pratiquer, pratiquer,
pratiquer ».
Le réveil ne pose généralement pas de problème. Penser simplement à ne pas
réveiller un patient en lui parlant sur le même ton calme et dissocié.
Reprenez une voix normale, parlez énergiquement et laissez-lui du temps. À
la fin, vérifiez l’orientation temporo-spatiale du patient.

6.  Règle n° 5 : l’hypnose tout-terrain

L’hypnose est un outil qui s’adapte à toutes les situations et circonstances.

Inclure le bruit et les mouvements dans l’hypnose


Le bruit n’est pas une limitation bien au contraire, l’exercice préhospitalier
non plus, pas plus que la régulation médicale au Samu-Centre 15.
La stratégie est d’inclure, dès le début ou pendant la séance, par des
suggestions, les bruits et le vacarme  environnants «  vos oreilles peuvent
entendre beaucoup de bruit et c’est normal, votre corps fera le tri, il prendra
et écoutera ce qui lui convient, ce qui lui sera utile  » ou bien «  plus les
oreilles écoutent ces bruits, plus le corps ressent profondément les sensations
et plus il retiendra ce qui est important et nécessaire… », « le corps ressent
naturellement les vibrations, les alarmes, les secousses, les bruits propres à cet
endroit, et c’est rassurant, une partie de vous les ressent peut-être, une autre
partie fait ce qu’elle a à faire ».
Le patient est prévenu, fait confiance, sait qu’il est entre de bonnes mains
alors que l’activité est intense autour de lui.

La catalepsie
La catalepsie est également une technique avantageuse. Son intérêt est
multiple :
—  vérifier que le patient est bien en état de transe hypnotique, au moins
légère puisqu’il produit un phénomène (ce qui rassurera le thérapeute
débutant) ;
—  surprendre le patient et favoriser la transe  ; notamment dans un geste
«  d’arrêt  » (des ruminations anxieuses, du mouvement…)  ; par ce
phénomène on obtient une confusion. Par cet arrêt de mouvement
involontaire, surprenant, on peut « embrouiller » encore la conscience
rationnelle ;
—  convaincre le patient et les collègues  : chacun voit à travers cette
catalepsie qu’il se passe quelque chose de différent  ; par ce phénomène
on obtient une confusion. Par cet arrêt de mouvement involontaire,
surprenant, on peut « embrouiller » encore la conscience rationnelle. En
conscience ordinaire, garder son bras en suspension demande un effort
volontaire et provoque rapidement une fatigue verbalisée par le patient,
alors qu’en hypnose cette immobilité n’entraîne pas de fatigue comme si
le bras tenait tout seul sans effort. Ce mouvement involontaire et cette
aisance, sans fatigue, à le maintenir, provoquent une surprise et curiosité
chez le patient et les collègues.
La catalepsie peut être utilisée à chaque étape de l’hypnose  : au début à
l’induction, à l’approfondissement, ou au moment du travail.
Pratiquer l’hypnose en contexte pré-hospitalier
Au début de ma pratique, je me suis rendu compte que nous passions,
parfois, du temps pendant le transport SMUR entre le domicile du patient et
l’hôpital. Était-il possible de faire de l’hypnose pendant ce temps, malgré les
bruits et les secousses ?

■ En SMUR

J’interviens en SMUR au domicile d’un patient de 53 ans présentant une douleur


thoracique suspecte. L’électrocardiogramme confirme le diagnostic d’infarctus du
myocarde (IDM). La course contre la montre commence avec le transport rapide en
ambulance de réanimation jusqu’en salle de coronarographie.
Pendant le transport, je lui propose de l’hypnose pour diminuer la douleur et le stress
afin de limiter l’utilisation de morphine et d’éviter des complications immédiates de
l’infarctus. Le patient me confie  : «  Je ne crois pas en l’hypnose  ». Je  souris  :
« Vous n’avez rien à perdre à tenter l’expérience ! » Il accepte.
Je lui suggère de ressentir cette partie du corps qui souffre. Les techniques de
« signaling » m’aident à savoir où en est le patient : « Faites-moi savoir en bougeant un
doigt ou une main lorsque vous avez trouvé la partie du corps qui souffre ».
Puis, sur le même modèle, je lui fais la suggestion suivante  : «  Lorsque la partie du
corps qui va bien s’exprime, faites le moi savoir en bougeant un doigt, une main ». Le
patient me montre d’abord son cœur puis, sa jambe.
De manière directive, je lui propose alors sous forme de choix illusoires : « Je ne sais
pas comment va faire la partie corps qui va bien pour venir en aide à cette partie du
corps qui souffre ».
Il reste en catalepsie tout au long de la séance. Il diminue sa douleur, passe de sept à
quatre (sur une EVA), ce qui nous évite la morphine et ses effets indésirables.
La tension artérielle diminue, ce qui améliore le pronostic.
Les suggestions post-hypnotiques sont utiles car l’enjeu est que le soigné puisse se
gérer jusqu’à la fin de la coronographie voire même au-delà.
Je lui suggère un ancrage : « Et là maintenant, le corps peut choisir une couleur ou bien
un geste qui se présente à lui de manière volontaire peut-être ou peut-être pas, et à
chaque fois que vous allez penser  à cette couleur ou bien refaire le geste, le corps
ressentira les mêmes sensations de confort ».
Enfin, je propose  : «  le corps a cette liberté de rester en hypnose jusqu’à la fin des
soins, d’entrer ou de sortir d’hypnose et même de répondre aux questions des
soignants. Il est libre de toute contrainte  ». Le patient sans rien me dire restera en
hypnose tout le temps des soins.
En salle de cathétérisation, je préviens l’interne de cardiologie que le patient est
toujours en hypnose et alors, inquiet, il me répond  : «  Comment vais-je le sortir
d’hypnose ? Je ne sais pas le faire ». Je le rassure « Tu n’as rien à faire, il se gère lui-
même ».
Je demande simplement aux soignants de communiquer positivement sans mots
anxiogènes.
Après la coronarographie, j’interroge le patient en soins intensifs de cardiologie. Il me
confie avoir gérer sa douleur et son stress tout au long de l’examen. Je lui fais une
dernière suggestion post-hypnotique :« Vous pouvez utiliser cette séance pour tout dans
votre vie ». Voilà qui ne coûte rien.
 
Les patients apprennent très vite et efficacement, en une seule séance, l’autohypnose
et l’adaptent à leur vie. Je recontacte le patient six mois plus tard pour prendre de ses
nouvelles. Il va bien et, à ma grande surprise, s’est sevré du tabac grâce à cette séance
d’hypnose unique qui n’était même pas formatée pour arrêter de fumer.

Un patient ayant vécu un événement cardiaque grave est à haut risque de


dépression car il développe un stress post-­traumatique du fait de l’atteinte
d’un organe noble65. Cette attention particulière qui a été portée dans ce
moment grave avec l’hypnose aide à mieux gérer les symptômes pendant les
soins et peut-être dans sa vie future.
Effectuer de l’hypnose en SMUR, c’est-à-dire dans l’ambulance de
réanimation, est gratifiant car je sais que personne ne va me déranger ni
ouvrir la porte. Cela me permet également de passer du temps avec le
patient de manière plus confortable et agréable.

■ En SAMU-Centre 15
Au Samu-Centre 15, il est possible de mieux contrôler la régulation médicale
avec des outils simples (qui seront illustrés plus loin par un cas clinique) :
—  la communication positive, épurée de termes toxiques, est
fondamentale. On peut parfaire cette communication avec quelques
autres techniques (présentées ci-dessous) ;
—  le saupoudrage  : insister sur un mot porteur d’une suggestion,
notamment à connotation positive («  plus confortable  » au lieu de
« moins douloureux » ; « réussir » plutôt que « d’essayer », « dès que vous
pouvez » au lieu de « si vous le pouvez » ;
—  la liaison  : pas de «  mais  » car le «  mais  » annule le début de phrase,
remplacer par « oui et », lier toutes les phrases entre elles par des « et »
«  et puis  » «  alors  ». Par exemple, ne dîtes pas  : «  C’est difficile mais  »,
dîtes plutôt : « C’est difficile ET on va vous aider ») ;
—  la gratification  : complimenter l’appelant pour son action,
principalement lorsqu’il effectue des gestes de secourisme à la demande
du médecin régulateur ;
— le pacing : parler au rythme du patient pour être synchrone avec lui ;
— la directivité : faire preuve d’autorité bienveillante.
 
Bien sûr, toutes les techniques peuvent être utilisées simultanément, c’est-à-
dire que les mots positifs sont saupoudrés et liés les uns aux autres avec une
posture bienveillante directive. Tout cela s’apprend en formation et il faut
l’avoir très consciemment en tête au moment des appels avant que cela ne
devienne automatique.
Une patiente de 73 ans appelle le SAMU pour son mari en arrêt cardiaque,
situation terrible et extrême qui implique d’être en position haute d’emblée
avec quelques transitions en position basse.
La communication est positive, directive, saupoudrée de mots rassurants
(mis en gras ci-dessous), des liaisons et des compliments nécessaires.
— L’épouse : « Docteur s’il vous plait, venez vite, mon mari ne bouge plus,
il est tout bleu, il est mort au secours, aidez-moi je vous en supplie !»
— Le médecin : « Madame, les secours arrivent très vite avec un médecin,
soyez rassurée, écoutez-moi, c’est important ».
— L’épouse : « J’ai peur, il est tout bleu, il est mort ! »
—  Le médecin  :  «  C’est normal d’avoir peur (empathie, acceptation),
Madame, maintenant écoutez-moi, c’est très important, très
important, les secours arrivent très vite avec un médecin, soyez
rassurée. Maintenant c’est encore plus important et très important de
m’écouter, je vais vous conseiller et vous devez faire le massage
cardiaque, c’est très important, je vous accompagne le temps que les
secours arrivent ».

- L’épouse : « D’accord docteur, je vous écoute ... »


Et cette dame, sur mes conseils, débute le massage cardiaque.
- Le médecin : « C’est très bien ce que vous faites, continuez, c’est dur, je sais, de faire
le massage (acceptation) et vous le faites très bien (gratification), continuez je suis là
avec vous, continuez jusqu’à l’arrivée des secours, bravo c’est très bien ».
Par la suite, nous comptons ensemble, elle massant, moi continuant à recevoir des
informations. En rendant la patiente active, nous évitons sa passivité (potentiellement
culpabilisante), elle a l’impression d’avoir «  tout fait  » plutôt que d’avoir simplement
attendu. Elle agit et se calme, l’arrivée des secours sera facilitée et, on l’espère, son
futur deuil également, si le patient décède. Cinq minutes de plus au téléphone, qui
facilitent grandement l’intervention.

Il est primordial de féliciter et d’encourager les proches pour les inciter à


continuer les gestes de secourisme et surtout, valider ce qui est fait.
Responsabiliser et mettre en action les proches est important pour éviter les
culpabilités et améliorer dans les cas extrêmes le processus de deuil. La
posture ici est empathique et autoritaire dans cette situation d’urgence vitale.

7.  Règle n°6 : observer, observer, observer


pour s’adapter

Cas concret
Un adolescent est transporté aux urgences pour une plaie du front nécessitant une
suture.
La seule chose qu’il dit  :  «  J’ai peur  ». Je lui propose de l’hypnose et l’installe
hypnotiquement dans un lieu sûr en réalisant une anesthésie hypnotique. Pour cela, je
mélange des suggestions plus directes d’analgésie et le cadre général de ma séance de
«  lieu sûr  ». C’est-à-dire comme décrit précédemment, lui suggérer d’aller dans un
endroit où il se sent bien, afin d’endormir le front pour le rendre insensible à la douleur
et rendre ainsi les soins plus confortables.
Mauvaise surprise ! Cela ne fonctionne pas et le patient sort de transe se plaignant de
douleur. Pourtant, cette technique marche souvent très bien  ! La situation m’est très
inconfortable.
 
Je me souviens alors des mots du jeune homme lors de son arrivée : « J’ai peur ».
Je me rends compte ne pas l’avoir assez écouté et surtout, ne pas avoir pris en
considération son anxiété. Il a besoin d’être rassuré et avant tout que l’on tienne compte
de son angoisse.
Je passe au « plan B » : je le rejoins là où il est ; il est inutile de lui dire de se calmer car
s’il le pouvait, il l’aurait déjà fait.
Le stress le fait respirer très vite. Je lui suggère alors de bien faire ce qu’il sait déjà
faire, à savoir respirer vite et de plus en plus vite. Du fait de l’alcalose respiratoire, il
ressent des fourmillements au niveau des bras et des jambes que je transporte
hypnotiquement au niveau du front pour suturer sans anesthésie locale, pendant qu’il
est occupé à respirer très vite.

L’hypnose est un outil qui permet de s’adapter au patient afin de reprendre le


contrôle de la situation. Dans ce cas précis, la posture initiale est haute.
L’adolescent était paniqué et perdu. Mon rôle a été de le guider
efficacement.

8.  Conclusion 

En résumé, faire confiance aux patients, utiliser la directivité, jongler entre la


position haute et basse, apprendre à s’adapter par une observation attentive,
effectuer des suggestions post-hypnotiques et des ancrages, aseptiser son
langage sont les clés de l’efficacité de l’hypnose en urgence.
La communication positive est facile à transmettre sur le terrain.
La pratique de cette technique est réalisable partout et pour tous aux
urgences.
Comme une nouvelle langue qu’on apprend, il faut la maîtriser
techniquement, la pratiquer, et elle devient fluide. Au final, moins de temps,
moins de stress, moins de médicaments.
L’hypnose réhumanise les soins par la reconnaissance du vécu des patients et
le mieux-être des soignants.
60. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/open-data/etablissements-de-sante-sociaux-et-
medico-sociaux/article/enquete-nationale-sur-les-structures-des-urgences-hospitalieres-juin-2013, dernière
consultation le 13 février 2020.
61. Uman LS, Birnie KA, Noel M, Parker JA, Chambers CT, McGrath PJ, Kisely SR, « Psychological interventions for needle-
related procedural pain and distress in children and adolescents », Cochrane Database of Systematic Reviews, 2013, Issue
10.
Kendrick C, Sliwinski J, Yimin Yu, Johnson A, Fisher W, Zoltán Kekecs, and Elkins G, « Hypnosis for acute procedural pain
Procedural Pain: A Critical Review », ntl, Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 64(1): 75–115, 2016.
62. Rainville P, Carrier B, Hofbauer RK, Bushnell MC, Duncan GH, « Dissociation of sensory and affective dimensions of
pain using hypnotic modulation », Pain, 1999 Aug ; 82(2):159-171.
Rainville P, « Hypnosis and the analgesic effect of suggestions », Pain, 2008 Jan ;134(1-2):1-2
Lang EV, Hatsiopoulou O, Koch T, Berbaum K, Lutgendorf S, Kettenmann E, Logan H, Kaptchuk TJ, «  Can words hurt?
Patient-provider interactions during invasive procedures », Pain, 2005 Mar;114(1-2):303-9.
Faymonville ME, Laureys S, Degueldre C, DelFiore G, Luxen A, Franck G et al., «  Neural mechanisms of antinociceptive
effects of hypnosis ». Anesthesiology, 2000 Mai ;92(5):1257-1267.
Vanhaudenhuyse A, Boly M, Balteau E et al., « Pain and non-pain processing during hypnosis: A thulium-YA event-related
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Stern JA, Brown M, Ulett GA, Sletten I, « A comparison of hypnosis, acupuncture, morphine, valium, aspirin, and placebo in
the management of experimentally induced pain », Ann N Y Acad Sci, 1977 Oct 7;296:175-93.
63. Benedetti F, Lanotte M, Lopiano L, Colloca L, «  When words are painful: Unraveling the mechanisms of the nocebo
effect », Neuroscience, 2007, 147;260-271.
Benedetti F, « How the doctor’s words affect the patient’s brain », Eval Health Prof 2002; 25:369-86.
64. Aïm P, L’hypnose, ça marche vraiment  ? Marabout, 2017. L’ouvrage est construit sur des questions et réponses, et
permet de trouver des arguments déjà formulés pour les questions incessantes des collègues.
65. van Dijk MR, Utens EM, Dulfer K, Al-Qezweny MN, van Geuns RJ, Daemen J, van Domburg RT, « Depression and anxiety
symptoms as predictors of mortality in PCI patients at 10 years of follow-up », Eur J Prev Cardiol, 2015 Feb 9.
 5  L’hypnose « en situations extrêmes »
Cécile Colas-Nguyen

Céline Colas-Nguyen est soignante, sage-femme, mais également officier du service


des pompiers du Bas-Rhin. Elle nous montrera comment, dans des interventions
extrêmes, lors d’accidents (avec des cris, des bruits, des blessés et très peu de
temps pour agir), nous pouvons utiliser les outils hypnotiques avec rapidité et
précision pour faciliter les prises en charge  ; et que ces outils hypnotiques,
sensoriels, relationnels, se mettent au service de l’aspect le plus technique et
complexe de la gestion d’une urgence extrême dans un tableau parfois chaotique.

1.  Quelles sont ces « situations extrêmes » ?

Les «  situations extrêmes  » sont des situations dans lesquelles il semble


difficile au premier abord de pratiquer l’hypnose du fait du contexte.
Autrement dit, lorsque l’hypnose est mariée à l’improbable, soit l’exercice
périlleux qui consiste à gérer, via l’hypnose, douleur aiguë et stress, souvent
majorés par le contexte (aléas climatiques, nuisances sonores, obscurité,
impératifs opérationnels civils et militaires et autres acrobaties, a priori peu
compatibles avec un discours ericksonien).
Il peut s’agir, par exemple, d’une pratique de l’hypnose, suspendu à 30 m du
sol en plein vent à côté d’une barquette secouriste (GRIMP66), accompagner
une victime ensevelie ou incarcérée (parfois, même sans la voir) pendant que
les disqueuses ou les pinces hydrauliques s’activent autour pour la libérer.
Alors, comment une sage-femme en vient-elle à vous parler d’hypnose en
situations extrêmes ?
Sage-femme de formation, passionnée d’urgences depuis l’enfance, j’ai
toujours rêvé d’intégrer une équipe du SAMU et suis une adepte des
situations qui bougent. De fait, j’ai réalisé partiellement ce rêve en intégrant
le service départemental d’incendie et de secours du Bas-Rhin (SDIS 67,
officier service de santé depuis 22 ans) et plus récemment, le service de santé
des armées (réserve). Formée en hypnose et thérapies brèves il y a treize ans,
ces activités se sont, à un moment donné, « télescopées » et formidablement
bien entendues, d’où ce privilège de pouvoir vous parler d’une chose que
j’adore et développe : l’hypnose de terrain.
Motivée par les bons résultats que j’obtenais dans mon ambulance et en
contexte extrahospitalier, j’ai donc développé un ensemble de techniques
adaptées à l’opérationnel et à ses impératifs (avec l’aval du ministère de
l’Intérieur de l’époque [2013]), réalisé une statistique probante sur l’impact
positif de ces techniques (publication à venir) et regroupé les principes de cette
approche sous la forme du programme PHOEBE® (Pain coverage by hypnosis
and optimization of emotional behaviour in emergency) récompensé par le prix
« Urgences et douleur 2013 » (décerné par la Fondation APICIL) et enseigné
aux personnels concernés.
Tout au long de ce livre, le lecteur découvre que l’hypnose n’est pas réservée
à la douceur feutrée d’un cabinet où le praticien a tout le temps de
développer son induction, de peaufiner l’ambiance et d’anticiper les
intrusions. Je voudrais justement expliquer, dans ce chapitre, qu’elle se
pratique aussi à plat ventre, dans le noir, en déséquilibre, dans le bruit, avec
parfois très peu de temps pour être efficace et soustraire le patient à une
situation aiguë. D’ailleurs, en formation, quand un participant s’offusque
d’un bruissement incongru qui rompt le silence, j’éclate de rire et lui
rappelle avec une bienveillance complice qu’il doit être capable de faire de
l’hypnose sous les pales d’un hélicoptère ou sous le feu de la mitraille.

2.  Un praticien préparé

Alors que j’étais dans le jury d’examen d’une jeune infirmière qui présentait
son mémoire sur l’hypnose en milieu hospitalier, je suis restée sidérée par le
résultat de son questionnaire soumis aux hypnopraticiens du centre
hospitalier référent. Sur les vingt personnes interrogées (d’obédiences et
d’anciennetés diverses quant à la pratique de l’hypnose, formées à des
endroits différents avec une expérience allant de de six mois à dix ans), toutes
ont répondu à l’unanimité que leur limite à la pratique de l’hypnose était la
douleur aiguë. J’étais consternée.
Trop de praticiens se sentent démunis dès que le contexte devient hostile, dès
que le temps manque ou que le patient, dans un doux euphémisme,
manifeste un peu trop bruyamment son inconfort.
Certes la douleur aiguë n’est pas toujours accessible à l’hypnose mais dans de
nombreux cas, la raison en est la procédure d’approche inadaptée car trop
stéréotypée, trop longue et réservée aux longs fleuves tranquilles. Les
protocoles classiques et efficients menés dans un cadre paisible ne
fonctionnent plus lorsque le patient est en stress dépassé. Les croyances
limitantes brident le praticien : « On n’a pas assez de temps », « L’ambiance
n’est pas assez calme », « On est sans arrêt dérangé ». Ces assertions classiques
oublient manifestement la souplesse infinie qu’autorisent les techniques
hypnotiques. À nous le charme des inductions rapides, l’alliance
opportuniste avec l’ambiance sonore, et les vertus indéniables de la transe
fractionnée67 qui, rappelons-le, est une technique puissante
d’approfondissement. Les contraintes et interruptions incontournables
inhérentes à l’intervention extrahospitalière n’entravent en rien la réceptivité
du patient, bien au contraire. C’est-à-dire que si l’alliance hypnotique avec le
patient est rompue quelques instants, elle se renforce d’autant dès sa reprise.
Ceci posé, en contexte d’urgence, la polyvalence du praticien s’avère
indispensable, c’est ce genre de détail qui change la donne. Il faut connaître
tous les rouages de l’hypnose et l’éventail de l’hypnose technique disponible
sur le bout des doigts pour se mettre au service du patient et de sa situation
(parfois, épique) avec la compliance d’un caméléon.
Autrement dit, utiliser tout ce que nous savons et tout ce qui passe à notre
portée, le matériel, le personnel et même le patient lui-même. Pour m’être
volontairement formée à plusieurs «  formes d’hypnose  » (ericksonienne,
traditionnelle, rapide…) et les avoir adaptées aux contextes difficiles, je
trouve fort dommage que trop de praticiens abandonnent le combat avant de
l’avoir tenté limités, peut-être, par un arsenal trop pauvre. Ce chapitre, et ce
livre, sont donc faits pour que vous n’abandonniez pas !
C’est justement la lutte altruiste pour le bien-être du patient qui rend créatif
et inventif. Quand l’enjeu est la protection immédiate et rapide d’une
victime, le contexte devient rapidement une formidable source d’inspiration
et regorge d’inductions opportunistes. Quand j’explique ce qu’est une
induction, j’illustre souvent mon propos par cet exemple très pragmatique.
Imaginez que vous êtes à côté d’un enfant de cinq ans et que là, juste à côté,
se déroule une abomination à laquelle vous voulez le soustraire.
Soudainement, votre cerveau va faire montre d’une créativité incroyable
pour focaliser cet enfant sur quelque chose que votre savoir-faire et votre
technicité transformeront de « diversion » en « induction ». C’est presque la
pierre philosophale du soin : changer l’horreur en bonheur !
En résumé, l’hypnose «  extrême  » implique, tout d’abord et bien
évidemment, de maîtriser son geste médical et de garantir la sécurité du
patient avant de songer à utiliser l’hypnose. Ensuite, viennent la réactivité,
l’inventivité, «  l’utilisationisme  », cher à Erickson et un certain stoïcisme
quant aux agressions extérieures.
Il faut savoir ignorer les sourires goguenards et le scepticisme ambiant et
même s’en réjouir quand ils aboutissent à la naissance d’une vocation chez
l’observateur initialement hostile. Les meilleurs ambassadeurs de notre
croisade restent les convertis (anciens sceptiques).

3.  Auprès du patient

Après les sceptiques combattons les trublions, rois de l’intrusion sonore ou


tactile qui s’invitent, parfois sans raison légitime, dans notre espace
hypnotique. Sortons nos barricades verbales. Armé de l’autorité bienveillante
d’un Général qui rallie ses troupes, touchez le patient, rapprochez-vous de
son oreille en lui suggérant de n’écouter que vous. Simple mais très
efficace quand aucune incorporation ou adaptation métaphorique du cadre
n’est possible.
Et l’intervenant dans tout ça ?
Dernier bastion à conquérir, notre propre stress  ! Curieusement, vous le
verrez se diluer sans effort dans la concentration nécessaire au guidage du
patient et dans l’emploi réfléchi et le choix méticuleux de nos techniques
hypnotiques.
À mon sens, l’adversité aiguise la créativité et catalyse la performance (je
doute que l’esprit de contradiction et la pugnacité naturelle de certains
suffisent à de tels résultats…).
Le patient (qui pour moi s’appellera souvent «  victime  » d’un accident ou
d’une agression) présente des caractéristiques qu’il convient de respecter, de
comprendre et d’utiliser pour assurer une prise en charge efficace. Ces
caractéristiques sont propres à la situation « hors normes » que le patient est
en train de vivre, mais aussi au contexte « hors normes » dans lequel il la vit,
d’où la nécessité d’un effort d’adaptabilité particulier du praticien pour être
efficace.
Tout d’abord, il faut bien comprendre que la victime en situation aiguë n’est
pas du tout dans le même «  étage émotionnel  » que vous. Même si votre
stress est palpable, le sien est submersif… et de cette différence naît une
inaccessibilité décourageante qui parfois arrête net tous les élans de solidarité.
Arrêtez d’appeler vos patients à vous depuis votre balcon douillet pendant
qu’ils s’enlisent dans la boue. Mettez vos cuissardes et allez les chercher  !
C’est un préalable indispensable qui peut sauver une situation qui vous
échappe.
Autrement dit et concrètement, oubliez les discours sirupeux susurrés et
inaudibles arrosés d’indirection alambiquée au profit d’une approche directe
au niveau sonore adapté (bienveillance ferme et directive, «  paternelle  »
comme disaient les anciens) qui glissera progressivement vers une hypnose
plus douce et maternante quand la situation sera cadrée. Les techniques de
confusion peuvent parfois être tentée pour désamorcer initialement la
communication, mais seule, elle reste souvent inopérante en cas de réelles
situations aiguës.
Ensuite, si votre patient le permet, touchez-le puisque cette prise de contact
lui permettra d’avoir une accroche physique à la réalité de la situation et la
sensation d’avoir un fil d’Ariane pour s’en sortir. Vous êtes son fil d’Ariane,
son « binôme » et cette solidarité va lui permettre de surnager. Et, en phase
aiguë, la victime ne veut pas d’un « sussurant timoré » qui lui parle de plage
et de cocotiers pour le tirer du bourbier ! Elle préfère un regard franc, une
main ferme et une intrusion proxémique maîtrisée pour se sentir en sécurité.
Maîtrisez et dégainez vos techniques verbales rapides les plus efficientes
comme les implications, doubles liens et autres présuppositions68.
Approfondissez, fractionnez, saturez69, tous les coups sont permis pour
gagner du temps.
Enfin, n’oubliez pas que c’est justement et paradoxalement le côté aigu de la
situation qui galvanise l’alliance thérapeutique. Les efforts nécessaires pour
apprivoiser le patient sont minimes tant il est en demande d’une amélioration
de son état.

Une prise en charge spécifique


De ces quelques observations et situations vécues, découle toute une prise en
charge spécifique, faite de logique et de bon sens. La clé réside dans une
approche atypique qui surprend souvent les praticiens dans le sens où elle
s’écarte des principes classiques enseignés en hypnose (ou en secourisme)
pour mieux les rejoindre ensuite.
À commencer notamment par l’implication précoce du patient. L’union fait
la force et le patient doit vous aider ! Oui, malgré sa situation, il doit vous
aider pour canaliser son débordement émotionnel, son adrénaline
excédentaire et l’aider à apprivoiser le contexte qui l’effraye. Faites-le donc
participer. Donnez-lui une mission, confiez-lui du matériel, occupez-lui les
mains et la tête pendant que vous posez vos bases et que vous démarrez votre
induction70.
Et comme point d’amorçage au dialogue parlez-lui de la seule chose qui
l’intéresse : SA SOUFFRANCE, et c’est seulement après ratification de cette
souffrance, une fois l’alliance thérapeutique établie que vous serez tout
doucement capable d’éloigner le patient du contexte avec toutes les stratégies
classiques que vous connaissez. En bref, soyez réactifs, directifs, solidaires du
patient et inventifs, parfois aussi rusés qu’un camelot qui n’a que quelques
minutes pour convaincre. Armés de ces quelques bases, le mieux est de vous
illustrer ces principes grâce à quelques cas cliniques vécus sur le terrain et
qui, souvent, utilisent ce que le patient et la situation amènent.

4.  Cas cliniques

Cas clinique n° 1 : Bulles d’oxygène et poésie


Mme X, 90 ans, prise en charge pour un œdème aigu du poumon.
Cette charmante nonagénaire nous attend debout avec sa valise sur le pas de sa porte,
ce qui illustre l’énergie incroyable de cette patiente. Après l’avoir ramenée à l’intérieur
et faite installer sur son fauteuil, cette dame me signale dans un souffle qu’elle est
d’origine allemande et ne parle pas bien français. Je souris et lui réponds que mon
allemand est également fort mauvais mais que je connais le poème «  La Lorelei  » et
tout en préparant l’oxygène (nos CPAP de Boussignac n’étaient pas encore d’actualité…),
je me mets à lui réciter ce poème comme une joli litanie qui fait apparaître
instantanément un magnifique sourire sur son visage fatigué et dyspnéique.
Elle mime des lèvres les mots que j’énonce dans une communion immédiate et
incroyable (pourrait-on parler d’induction  ?). Bien évidemment, en même temps, je
cherche à installer l’oxygène mais la vieille dame refuse, l’air désolé, et me dit qu’elle
ne supporte pas le masque. Alors, fidèle à mes principes de restitution d’autonomie
énoncés plus haut, je lui confie le masque à oxygène, lui pose le saturomètre sur les
genoux et lui demande de gérer elle-même la situation, chose qui semble lui convenir
parfaitement. Je lui demande de surveiller l’évolution des deux paramètres que montre
l’appareil. Avec des mots simples je lui demande de réguler, elle-même, grâce à
l’oxygène qu’elle s’auto-administre d’une main (masque libre), d’une part, le chiffre du
haut (saturation en oxygène) qu’elle doit «  rapprocher  » de 100 et, d’autre part, le
chiffre du bas (fréquence cardiaque) qu’elle doit « éloigner » le plus de 100. Bien sûr, je
reste à ses côtés, l’encourageant de ratifications régulières sur son efficacité et
j’assiste (alors) médusée à une évolution spectaculaire des paramètres qui n’est pas
due uniquement à l’oxygène. Je n’ai jamais eu à l’emmener sur la plage et les cocotiers,
juste dans sa petite bulle d’autonomie rassurante qui l’a télétransportée en quelques
instants (c’est elle qui l’a dit !) dans un service hospitalier.
Cas clinique n° 2 : Hypnose sous-terraine
M. Y, 40 ans, tombé dans un trou, probable fracture du rachis, inaccessible
immédiatement. Durée estimée du dégagement, après manœuvre, 30 à 45 minutes.
À notre arrivée sur les lieux ce monsieur est invisible et inaccessible. Je vois juste un
trou dans le béton de cet entrepôt désaffecté et une voix plaintive qui s’en échappe :
« J’ai mal au dos… ». Pendant que mes collègues pompiers s’organisent pour accéder à
la victime, je commence à poser mes questions d’usage pour établir un premier contact
verbal. Ensuite, je demande à l’homme son prénom (pour lui rendre des repères
d’identité mis à mal par la dépersonnalisation traumatique, et nécessaires à son
implication) et lui demande son concours d’un ton à la fois ferme et bienveillant : « J’ai
besoin de vous Michel, tout en restant immobile, vous allez m’aider, vous allez être mes
yeux et me faire un bilan de la situation ». Toujours la restitution d’autonomie.
Pendant ce temps, j’enlève mon gant et branche le saturomètre (et son bip bien sonore)
à mon doigt. Et à distance, je lui demande d’écouter ce bip qui va lui indiquer à quel
rythme je vais progresser vers lui à mesure que mes collègues me dégagent l’accès.
Michel joue le jeu et se concentre avec attention sur ce lien ténu qui nous unit pendant
qu’à mesure de ma progression à plat ventre dans la pénombre, je lui demande de me
décrire la localisation de sa douleur (seule chose qui l’intéresse sur le moment) pour
glisser progressivement vers une réification1 simplifiée et habilement déguisée pour
qu’elle reste acceptable et réaliste pour une victime algique. Autrement dit, après lui
avoir fait décrire sa position, sa posture dans l’espace (effet dissociatif de l’auto-
observation), je lui demande où se situe sa douleur, à quoi elle ressemble et à quoi ça
lui fait penser sans trop pinailler sur les détails comme on le ferait pour une réification
en cabinet. J’en profite pour chiffrer la douleur (donnée indispensable au bilan) et ne
plus avoir à en parler ensuite. Dès que la panique ou la douleur reprennent le dessus,
dans un savant dosage de douceur et de fermeté, j’encourage le patient à continuer sa
description grâce à la petite phrase magique qui a fait largement ses preuves : « J’ai
besoin de vous  ! Il n’y a que vous qui pouvez faire ça…». S’il décroche, j’insiste d’une
manière plus directive en soulignant volontairement mon impuissance temporaire pour
encourager son autonomie.
Focalisé, d’une part, sur l’évolution de la distance qui nous sépare (grâce au bip qui se
rapproche) et absorbé par la description pseudo-clinique qu’il est en train de me
donner sur son état, le patient ne se rend pas compte que, progressivement, c’est moi
qui prend le contrôle du dialogue descriptif et que je glisse petit à petit vers des
affirmations visant à connoter les choses (relativement) agréables de son état2 (un peu
en mode Yes-Set) et à oublier les autres («  votre corps est bien calé, votre cœur est
réactif et adapte son rythme à la situation », etc.). Il est de moins en moins sollicité, ma
voix devient de plus en plus douce, hypnotique, plus conforme aux registres classiques
de notre exercice. Bien entendu, tant que je ne suis pas sûre de l’état neurologique de
ma victime et comme nous sommes (comme souvent) dans l’obscurité ou à distance, je
ponctue mon discours de «  N’est-ce pas Michel  ?  » qui m’informe régulièrement sur
son degré de vigilance. Arrivée à sa hauteur, l’alliance thérapeutique est déjà faite,
après un bilan secouriste incontournable, j’isole Michel du contexte en lui précisant
que, quoiqu’il arrive autour, seule ma voix reste importante pendant que mes collègues
s’occupent de son confort et de sa sécurité (sans préciser quoi que ce soit sur l’aspect
technique de la manœuvre ou de l’action à venir parce que cela implique des
suggestions négatives. Les hypnotistes arrêtent vite de dire «  attention, je vais vous
piquer », « ça va vous faire mal », etc.

1. « Réifier » signifie « rendre chose » : c’est transformer une sensation en représentation mentale d’un « objet »
qui a une forme, une couleur, etc. (par exemple, «  comme un poignard dans ma jambe  », «  comme une boule
d’angoisse », etc.)
2. C’est-à-dire en faisant produire au patient une série d’approbations qui renforcent l’alliance et accompagnent
progressivement vers un changement.

Chose que l’on prône malheureusement souvent dans notre enseignement


secouriste et grande pourvoyeuse de mots toxiques : « On va faire du bruit »,
« Ça va secouer », « On va arracher les portières », « On va serrer le garrot,
ça va faire mal  », «  L’hélico va tout balayer, ça va souffler et faire mal aux
oreilles…», etc.

Cas clinique n° 3 : Choc anaphylactique stabilisé doublé d’un infarctus


Il s’agit d’un patient algique (sous morphine partiellement efficace), et visiblement peu
enclin à entendre parler d’hypnose. J’ai parlé d’abord de ce qu’il ressentait, j’ai validé et
ratifié sa douleur pour ensuite, encourager sa propre stratégie antalgique, à savoir de
grandes respirations profondes. Sournoisement (je le reconnais), je lui dis que le type
de respiration qu’il a choisi spontanément fait intervenir « son pouls paradoxal ». Dans
la foulée je lui explique que «  ça veut dire que son rythme respiratoire influence son
rythme cardiaque  » (chose qui l’intéresse grandement puisque le médecin vient,
justement, de lui annoncer un problème cardiaque). Heureusement, il ne demande pas
plus d’explications sur mon interprétation «  fumeuse  » (totalement improvisée) du
«  pouls paradoxal  », mais redouble de concentration pour maîtriser l’immaîtrisable.
Parallèlement, je m’installe à ses côtés, embraye sur des ratifications1 qui se muent
assez vite en discours franchement hypnotique et transporte rapidement le monsieur
en sécurité, loin du récit détaillé qu’il me faisait au départ de ses antécédents
douloureux d’embolie pulmonaire. Au bout de quelques minutes, le médecin refait
légitimement irruption dans l’ambulance pour s’enquérir de l’évolution du patient. Je
minimise la durée d’incursion dans l’ambulance, d’un sourire et de quelques mots
rassurants et constate, sans surprise, que le patient a su gérer cette petite transe
fractionnée qui lui permet de mieux replonger. Après mon départ et durant tout son
transfert, le patient a continué seul à contrôler son « pouls paradoxal », encouragé par
une petite suggestion post-hypnotique que je lui avais glissée.

1. C’est-à-dire le fait d’approuver ce qui se passe pour le patient, comme « voilà, c’est très bien ».

5.  Inspiration et poussière d’étoile

Parlons maintenant des petits clins d’œil qui ont jalonné mon parcours
opérationnel, de l’intervention tranquille aux situations franchement
périlleuses, l’hypnose a su s’adapter et se saupoudrer partout. De la poudre
d’hypnose qui s’insinue dès qu’elle peut, même trois secondes, pour
simplifier la vie des gens (la victime, l’équipe, l’intervenant).
Partout : avec les enfants, les vieillards, quand le temps est compté, et même
quand les gens sont, a priori, peu coopérants. Du petit saupoudrage
conversationnel léger aux turbos inductions lumineuses dignes d’une aurore
boréale, n’hésitez jamais à sortir de votre poche cette poudre d’étoile qui fait
papillonner les yeux même des plus réticents. À chaque situation sa stratégie,
le tout est qu’on y arrive et pour reprendre les mots de mon Colonel au sujet
de ma pratique : « (Vous savez Cécile), moi je m’en moque, qu’on utilise une
petite lance ou une grande lance, tant que le feu est éteint vous avez carte
blanche ! »
Et pour illustrer encore ces principes, voici, pêle-mêle, des petits instants
d’hypnose furtive, informelle, esquissée ou plus « agressive », intégrée façon
camouflage à l’aventure du patient.
Le pompier créatif, champion de la restitution d’autonomie (preuve qu’il a
tout compris  !) qui décroche ses galons pour les poser sur la poitrine d’un
petit garçon terrorisé et à qui il confie le pseudo-commandement de
l’intervention.
L’infirmier militaire à qui j’ai appris à utiliser les seules zones corporelles
accessibles laissées par l’équipement lourd pour faire une induction rapide.
L’improvisation opportuniste que je prône sans cesse et qui nous fait utiliser
la fraîcheur d’une perfusion ou un simple sachet de thé qu’on frotte près de
l’oreille pour démarrer une induction.
La chasse aux Strubitchs qui ravit les enfants et révolutionne les poses de
perfusion…
Les inductions vibratoires (bouche contre oreille, à basse fréquence) quand la
discrétion est de rigueur ou au contraire quand le niveau sonore est trop
élevé et que le bruit ambiant couvre notre voix.
Faites feu de tout bois et si possible de manière rapide. Développez une
réactivité maximale en partant de ce qu’amène le patient ou la victime.
Gagnez du temps et libérez votre créativité.

6.  En résumé, quelques conseils pour l’hypnose


de terrain

—  Confrontez-vous sans peur aux dyspnées, aux douleurs aiguës et autres


crises de l’âme.
— Soyez directifs en début de prise en charge, plus la situation est aiguë, plus
cette phase est incontournable. Rentrez dans la bulle proxémique du
patient.
—  Appuyez-vous sur les caractéristiques de votre victime et de son état,
sidération ou agitation, dissociation négative, désordres neurovégétatifs,
perte d’autonomie, etc. Basez votre stratégie sur ces données de base.
—  Cultivez une position basse et l’esprit «  binôme  » avec votre patient.
L’hypnose de terrain est toujours un travail d’équipe. Fuyez la
condescendance comme la peste.
— Partez de ce que le patient vous amène ou de ce dont il a besoin. Posez-
lui la question  ! Parfois, vous serez étonnés des réponses. Le patient a
peut-être chaud quand vous pensez qu’il a froid. Au lieu de vouloir caser
absolument votre induction fétiche, partez d’un besoin réel du patient.
Savoir rebondir immédiatement sur ses désirs fait exploser votre côté
de popularité et tisse, en quelques instants, une alliance thérapeutique
indéfectible.
— Soyez toujours prêts, armés de quelques ustensiles et d’un bagou certain.
Sachez improviser et bricoler quelque chose en détournant le matériel
disponible (lampe de poche pour «  turbo inductions  », mini-fioles de
parfum, «  styligoutte  » du perfuseur, boîte à bisous, saturomètres,
aspirateurs à Strubitchs, stylos magiques et autres accessoires pseudo-
cabalistiques).
— Sollicitez l’équipe ou l’entourage pour canaliser le patient ou pour vous
aider réellement (inductions doubles, co-respiration, jeux de rôles avec
les enfants, etc.).
— Utilisez parfois la provocation, l’étonnement ou la confusion ponctuelle
et parcimonieuse. Jouez la carte du paradoxe en encourageant, par
exemple, un spasmophile à hyperventiler brièvement, lui faire constater
que son inconfort s’aggrave (évidemment) pour mieux reprendre,
ensuite, le contrôle de la situation et le guider progressivement vers un
état hypnotique satisfaisant.
—  Sortez des sentiers battus pour «  accrocher  » l’attention du patient.
Surprenez-le. Par exemple, évitez de lui parler de sa respiration. C’est à
mon sens le meilleur moyen de le perdre. Eu égard aux nombreuses
disciplines qui commencent de cette manière (yoga, méditation,
sophrologie, relaxation et training autogène, etc.) et auxquelles il a de
grandes chances d’être initié, le patient entrera en résistance dès vos
premières suggestions en vous lançant un regard assassin genre « ce n’est
pas le moment  !  » ou «  c’est bon, je connais  ». Vue et revue, cette
approche devient parfois inopérante voire agaçante pour le patient blasé
qui s’afflige de vos piètres qualités de persuasion, surtout au vu des
circonstances !
—  N’hésitez pas à employer la ruse si le bien-être du patient en dépend.
Combien de mes inductions ont commencé par un pseudo-examen
médical, un pseudo-test neurologique qui ont permis au patient de
glisser incidemment vers l’hypnose à sa plus grande satisfaction ? Je n’ai
jamais hésité une seconde avant de «  saturer  » un patient de multiples
consignes sous couvert d’étudier l’un de ses réflexes au travers d’un
examen clinique un peu « alambiqué ». Une assurance sans faille et un air
professionnel font le reste… Le patient finit souvent par fermer les yeux,
rassuré par ce pragmatisme affiché, qui lui permet ensuite d’accepter le
mieux-être comme quelque chose de naturel qu’il a lui-même créé en
étant attentif à vos consignes.
— En contexte de cabinet ou en hypnose de spectacle, l’hypnopraticien (ou
l’hypnotiseur) cherche en permanence à gagner ou amplifier la
compliance du patient (ou du sujet). En contexte d’urgence cette étape
est « shuntée », la compliance est acquise d’emblée et sert de voie royale à
qui sait la conserver. La souffrance rend compliant, à vous de savoir
utiliser ce raccourci inespéré.

7.  Conclusion

Des petites histoires comme celles-ci, j’en ai plein mon sac d’intervention,
offertes par des gens formidables qui, malgré leur souffrance, ont bien voulu
accepter le modeste outil que je leur offrais. Certains ont compris que c’était
de l’hypnose, d’autres n’ont rien voulu savoir de cet état particulier qu’ils ont
juste savouré au milieu d’un séisme émotionnel. Mais aucun d’entre eux n’a
jamais mal réagi.
Et dans un moment de vie où l’ésotérisme n’a pas sa place, il y a bien un
petit sésame pour proposer, de manière élégante, au patient d’être hypnotisé.
Quand le temps est compté et que le mot « hypnose » semble incongru voire
déplacé, une petite phrase magique parfois suffit… même si elle est
emprunte de paradoxe.
Osez partir d’une phrase non édulcorée, apparemment presque «  toxique  »
tant elle valide sa souffrance pour ensuite, mieux la juguler et installer
rapidement une alliance implicite pourvoyeuse d’autonomie.
En quelques petits mots simples, vous pouvez obtenir ce résultat. 
«  Je vois que ça ne va pas, ça vous intéresse qu’ensemble on améliore un
peu ça ? »
Et entre nous, restons simples : dans un contexte aigu, qui répondrait « non »
à cette question-là ?
66. Groupes de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux, sauvetage en montagne…
67. Technique qui consiste à faire entrer et ressortir le patient de transe, plusieurs fois, et qui a pour effet d’intensifier
l’état hypnotique à chaque « réentrée en transe ».
68. Techniques verbales qui donnent une directive impliquée, implicite ou présupposée, que le patient perçoit sans l’avoir
vraiment entendue. Par exemple  : «  Vous sentez une différence plutôt à droite ou à gauche?  », «  Quand vos yeux se
fermeront, vous constaterez ce qui se produit en vous  ». On trouvera des exemples et définitions dans Megglé D.,
Erickson, hypnose et psychothérapie, Retz (2005) ou dans les nombreux ouvrages sur les techniques de base de l’hypnose.
69. Technique qui consiste à occuper, à mobiliser plusieurs canaux sensoriels ou plusieurs facultés du patient à la fois en
lui demandant entre autres d’effectuer ou de constater, de ressentir plusieurs choses à la fois. L’effet de saturation
consciente permet de faciliter l’abaissement des résistances et l’entrée en transe.
70. L’induction désigne les manœuvres qui permettent de passer de l’état de conscience habituel («  veille  ») à l’état
hypnotique (« transe »).
 6  L’hypnose en anesthésie non programmée
Denys Coester

Le Dr Denys Coester est médecin anesthésiste et formateur en hypnose. Il  nous


décrira les interventions possibles en anesthésie lors des gardes, là où, par
définition, le patient va se faire opérer en urgence, de façon non préparée. Dans ce
contexte particulièrement anxiogène, il est possible de créer un lien hypnotique, de
proposer des inductions rapides et de viser une analgésie et une anxiolyse rapide
pour que les médecins travaillent sereinement et que les patients vivent la situation
le mieux possible malgré les circonstances. On trouvera aussi, en fin de chapitre, une
transcription in extenso d’une version de l’induction d’Elman, qui peut s’avérer
pratique pour obtenir rapidement une transe assez léthargique, même avec un sujet
peu entraîné.

1.  Le contexte

Chaque année en France, plus de 10 millions d’anesthésies sont réalisées.


Parmi celles-ci, 15  % le sont dans le cadre d’une intervention non
programmée, autrement dit dans le cadre d’une urgence chirurgicale.
Depuis les années 1990, sous l’impulsion de Marie-Elisabeth Faymonville,
l’hypnose est devenue une technique d’anesthésie à part entière et évoquée
comme telle dans des congrès de la Société française d’anesthésie et de
réanimation (SFAR)71. Utilisée seule ou en association avec une anesthésie
locale, locorégionale, une sédation ou encore avant une anesthésie générale,
son efficacité est corroborée par plus de mille publications. Elle est pratiquée
non seulement dans le cadre de l’analgésie pré et post-opératoire mais aussi
dans le cadre de la prise en charge de l’anxiété.
La réglementation a rendu obligatoire, depuis 1994, la consultation
d’anesthésie au moins deux jours avant l’opération. Cette consultation, outre
son aspect purement médical, permet au patient de recevoir toutes les
informations nécessaires au bon déroulement de son hospitalisation et ainsi
de s’y préparer au mieux.
Lorsqu’une anesthésie est programmée avec le concours de l’hypnose, le
médecin anesthésiste peut donc expliquer au patient les modalités de la
technique lors de la consultation préopératoire et recueillir des informations
personnelles sur sa vie (informations qui pourront alimenter une transe
hypnotique).
Mais dans le cadre de l’urgence, la consultation préopératoire se déroule au
mieux dans les heures qui précèdent l’acte, voire sur la table d’opération
avant l’induction anesthésique. Le patient a donc très peu de temps pour se
préparer psychologiquement à son intervention.
Plusieurs points sont donc à prendre en considération. Il y a, tout d’abord,
les effets psychologiques du traumatisme initial ou de l’apparition d’une
pathologie à gérer de manière urgente. Le patient, tour à tour et parfois en
quelques minutes, apprend un diagnostic et la nécessité d’un traitement
rapide. Il doit, non seulement, gérer sa douleur mais aussi son anxiété. Après
l’annonce dudit diagnostic, le patient se voit conduit dans le monde étrange
du bloc opératoire qui constitue une véritable « agression » des sens :
—  la vue  : souvent situé en sous-sol, le bloc opératoire est éclairé par des
néons puissants. Le personnel est affublé de tenues de bloc standardisées
avec pyjama de bloc, calot et masque. Tout le monde se ressemble. Bien
souvent, rien n’indique la fonction de tel ou tel personnel du bloc  :
brancardier, infirmier, chirurgien ou anesthésiste encore que, bien
souvent, ces derniers indiquent leur fonction par un stéthoscope autour
du cou, symbole universel de l’« autorité médicale » ;
—  l’ouïe  : le bloc est un lieu de passage. Souvent, le personnel parle fort
pour communiquer. Le système de ventilation engendre un son léger
mais permanent. Le matériel opératoire est enfermé et transporté dans
des caisses métalliques qui s’entrechoquent lors des manipulations. Les
appareils de surveillance d’anesthésie sont munis de systèmes d’alarme
très sensibles qui se déclenchent parfois sans justification réelle mais dont
le son est très anxiogène ;
—  le kinesthésique  : le patient est nu, allongé sur un brancard. La
température est froide, bien souvent inférieure à 20 °C. À la douleur de
la maladie causale s’ajoutent d’autres sensations désagréables  : mise en
place d’une perfusion, administration d’antalgiques, parfois froids,
brassard à tension qui se gonfle et se dégonfle régulièrement ;
—  l’olfactif  : les odeurs du bloc opératoire sont un mélange d’odeurs de
différents produits chimiques comme les désinfectants et parfois, d’odeurs
de chair brûlée à cause du bistouri électrique qui permet l’hémostase
chirurgicale ;
— le gustatif : le patient est à jeun, depuis parfois plusieurs heures, peut-être
même souffre-t-il de nausées dues à la pathologie elle-même ou aux
médicaments préalablement injectés.
Tout cet environnement entraine une véritable «  transe négative  » qui va
participer à retirer au patient son esprit critique. Il sera ainsi plus enclin à mal
interpréter une parole, un bruit, un regard d’un membre du personnel et
parfois, à prendre tout propos d’un soignant comme le concernant.
Dès son arrivée au bloc opératoire, le patient doit répondre à une «  check
list  » parfois stressante  : «  comment vous appelez-vous  ?  », «  qui vous
opère ? », « de quoi ? », « de quel côté ? », etc.
Ces questions obligatoires, et même nécessaires à la sécurité, peuvent être
extrêmement anxiogènes. Souvent, les patients s’étonnent que leur
interlocuteur semble ignorer la raison de leur présence au bloc.
Paradoxalement, cette «  transe négative  » sera d’une grande aide pour
l’hypnose. Le patient est sensibilisé aux suggestions « nocebo » ou négatives,
il sera d’autant plus sensible à des suggestions « placebo » ou positives. Cette
susceptibilité particulière au langage des soignants a été bien mis en évidence
par Elvira Lang dans la revue Pain72.

2.  Qu’est-ce que l’hypnose dans le cadre


de l’anesthésie ?
La Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) en donne une
définition très pragmatique : « La pratique hypnotique est l’application d’une
technique relationnelle qui cherche à séparer le patient de la réalité
environnante afin de l’immerger dans un changement suggéré à
l’imagination afin de procurer, dans un cadre de soin, une analgésie ou une
anxiolyse. »
Cette définition peut sembler obscure mais, en la décortiquant, elle prend
tout son sens :
—  «  pratique hypnotique  »  : l’hypnose n’est pas considérée comme une
technique théorique floue pour laquelle il est parfois difficile de donner
une définition précise mais comme un outil pratique ;
— « technique relationnelle » : il est bien question d’une relation d’humain à
humain. L’hypnose permet aussi de réhumaniser le lien soignant-soigné
avec une nouvelle manière de communiquer mettant l’accent sur des
termes spécifiques et une attitude compatissante.
—  «  séparer le patient de la réalité environnante  »  : il s’agit, par une
communication adaptée, de dissocier le patient de sa problématique de
stress ou de douleur pour défocaliser son attention de son mal-être
intérieur et de l’environnement du bloc opératoire ;
—  «  immerger dans un changement suggéré à l’imagination  »: le praticien
invite le patient à une perception différente de la réalité, grâce à
l’imaginaire.
— « analgésie et anxiolyse » : c’est précisément ce dont le patient a besoin !
L’hypnose a donc bien sa place, sa légitimité au bloc opératoire dans cette
définition.

3.  La communication « hypnotique » dans le


cadre de l’urgence
Pour une communication efficace, l’accent doit être mis sur la création du
rapport entre le praticien et le patient. C’est la priorité dans le cadre de
l’urgence. Le patient devant être opéré en urgence confie sa vie, son corps et
son intégrité à des personnes qu’il ne connait pas, qu’il n’a pas choisis. Mis à
part les personnes âgées qui peuvent être gênées, l’utilisation du prénom
(avec vouvoiement et respect bien sûr) crée un climat d’intimité voire
d’amitié qui peut être très rassurant. Le prénom ramène le patient à son
identité propre dans un bloc opératoire uniforme.
Comme l’indique la définition de la SFAR, la clé de voute de l’hypnose est
l’utilisation de l’imaginaire. À ce propos, Emile Coué73 écrit que
l’imagination est plus forte que la volonté. Il incombe au soignant de guider
l’imaginaire du patient avec des termes positifs et invitant au confort et à la
sécurité.
Le praticien peut être un «  placebo  » dans sa communication mais il peut
aussi être un « nocebo » comme l’a montré E. Lang74, dans la revue « Pain ».
Elle a publié une étude de référence qui a remis en cause la phraséologie
habituelle des soignants. Il a ainsi été montré que, contrairement à la pratique
courante, le fait de prévenir de la réalisation d’un acte douloureux était
générateur de stress, d’anxiété et inductif de douleur. L’utilisation de mots à
connotation médicale ou en rapport avec la douleur doit être évitée autant
que possible.
Ainsi les classiques  : «  ne bougez pas  »  ; «  n’ayez pas peur  »  ; «  ne vous
inquiétez pas » ; « ça ne fera pas mal » ; « attention, je pique » et autres sont à
proscrire et à remplacer par des mots invitant au confort, à la sécurité et à la
détente comme : « soyez rassuré » à la place du classique « ne vous inquiétez
pas ». À plus forte raison dans un contexte d’urgence dans lequel le patient
n’a pas eu le temps de se préparer mentalement à l’acte dont il doit
bénéficier. D’ailleurs, je précise bien « bénéficier » et non pas « subir ». Je suis
toujours gêné par l’utilisation de ce vocabulaire négatif concernant les
opérations.
Pour mémoire, la douleur est due à un déséquilibre entre des mécanismes
neurologiques excitateurs et des mécanismes inhibiteurs de la douleur.
Lorsque le patient s’attend à avoir mal, il bloque ses mécanismes inhibiteurs
de la douleur tant cérébraux que spinaux.

La conclusion de Lang rejoint les écrits d’Erickson75. Celui-ci définit les


trois tiers de la douleur  : «  La douleur du moment est augmentée de la
douleur du passé majorée par la possibilité de la douleur à venir. Les stimuli
immédiats ne constituent que le tiers central de l’expérience globale. »
La douleur est donc constituée de trois tiers :
— la douleur « vraie » du stimulus nociceptif actuel ;
— la mémoire de la douleur, « stockée » dans l’inconscient.
— l’anticipation de la douleur future qui est imaginée et crainte.
Cette répartition est transposable à l’anxiété ou aux autres émotions. Tout
ressenti est perçu aussi en fonction d’un passé vécu ou d’un futur craint. Bien
souvent hélas, l’être humain ne trouve que ce qu’il cherche, ne cherche que
ce qu’il connaît et ne crée que ce qu’il craint. Il en est ainsi pour la douleur
et les émotions.

4.  La communication hypnotique :


histoire clinique

À travers cette anecdote vécue, vous comprendrez comment utiliser des


techniques simples de communication qui sont parfaitement adaptables au
bloc opératoire.

Quelques mois avant la rédaction de ce chapitre, je roulais vers mon domicile. En


arrivant à un carrefour, je suis le témoin d’un accident de la route survenu quelques
minutes plus tôt.
Une jeune fille en scooter venait de se faire renverser. Une dame âgée qui conduisait
vite pour rentrer s’occuper de son mari malade ne l’a pas vue arriver alors que la nuit
commençait à tomber en cette soirée d’automne.
La jeune fille était allongée sur le sol, son scooter transformé en amas de ferrailles et
en miettes de plastique éparpillées baignant dans une flaque d’huile. Elle présentait, de
toute évidence, une fracture ouverte du genou. Son articulation était à vif, l’os était
visible. La jeune fille tremblait, frigorifiée, choquée, douloureuse et tellement anxieuse.
Pourtant, elle était silencieuse, encore sidérée par la violence de l’impact. Les premiers
témoins sur les lieux se répartissaient entre la conductrice qui peinait à calmer ses
sanglots et ses remords et cette jeune fille en détresse, en véritable «  transe
négative ».
Arrivé sur les lieux, je me suis présenté, j’ai donné mon prénom, Denys, et lui ai
demandé le sien, Héléna. Je lui ai dit que j’étais médecin et que j’allais m’occuper d’elle.
Tout en faisant un rapide bilan des fonctions vitales, j’ai utilisé mes drogues
d’anesthésie les plus puissantes d’après Rudyard Kipling1  : LES MOTS  ! Je lui ai
expliqué ce qui s’était passé : le choc, l’accident, le scooter cassé, la blessure, le genou,
le son au loin de la sirène des pompiers… et progressivement, je l’ai guidée dans une
transe hypnotique.
 
En me présentant en tant que médecin, figure d’autorité, et en parlant avec empathie et
bienveillance, j’ai su capter son attention.
 
Voici la situation  : elle a été accidentée, elle est allongée au sol, le scooter est à côté
d’elle, le genou a été blessé, elle entend au loin l’arrivée des pompiers... Cette
orientation dans l’ici et le maintenant, ainsi que la description de faits indiscutables
constituent une série de truismes, créent un climat d’accueil et d’acceptation
empathique impliquant le visuel, l’auditif et le kinesthésique.
Cette série de truismes2 permet d’enchainer avec un «  Yes-set  » ou séquence
d’acceptation : comme tout ce que je viens de lui exposer est réel, elle sera plus encline
à croire la suite de mes propos.
Je lui ai donc décrit la suite de la prise en charge future : les pompiers vont arriver, la
transporter en sécurité et en douceur dans leur véhicule dans lequel elle sera installée
confortablement et réchauffée. Elle sera alors transportée vers l’hôpital le plus proche
où elle sera soignée. Et, dans quelques temps, elle reprendra ses activités habituelles.
Bien sûr, toute cette partie de mon discours était hypothétique  : je ne sais pas si les
pompiers qu’elle entend viennent pour elle, je ne sais pas s’ils sont expérimentés, je ne
sais pas si leur véhicule contient du chauffage, je ne sais si l’hôpital le plus proche a un
service d’urgence orthopédique et surtout, je ne sais pas si elle retrouvera une activité
normale… Néanmoins, tout ce discours a permis de l’extraire de la réalité environnante
avec une futurisation positive suggérée à l’imaginaire. La séquence ainsi décrite de
truismes, Yes-set (pas clair, à reformuler. Séquence de truismes = Yes-set ?) permet à
l’esprit d’accepter plus facilement une série de suggestions positives et de rediriger
une transe négative vers un monde imaginaire positif.
Ce principe « d’empilement » des suggestions, d’expression des suggestions de plus en
plus compliquées ou ambitieuses, chacune venant renforcer la suivante, est un principe
classique de l’hypnose mais utilisé notamment par des hypnotiseurs de spectacle pour
obtenir des transes rapides. Par exemple  : doigts collés, mains collées, catalepsie,
lévitation d’un membre, amnésie, hallucinations. Il ne s’agit, bien sûr, pas d’utiliser
dans le cadre de l’urgence de telles techniques mais bien d’en connaître la mécanique
et de l’utiliser.

1. « Words are, of course, the most powerful drug used by mankind », une des plus célèbres citations de Kipling
issue d’un discours prononcé au Royal College of Surgeons à Londres en 1923.
2. Truisme = le fait de dire l’évidence. Par exemple, vous êtes en train de lire ce livre.

5.  Technique classique d’hypnosédation

Définition
La technique la plus classique dans le cadre de l’utilisation de l’hypnose en
anesthésie est l’adjonction d’une anesthésie locale, d’une sédation légère et
de la suggestion d’un «  safe place  » («  lieu de sécurité  ») ou de
l’accompagnement du patient dans un souvenir agréable. Cette technique est
à la fois une induction et un accompagnement hypnotique. C’est le classique
« pensez à vos dernières vacances » qui est très utilisé par le personnel du bloc
opératoire, mais parfois un peu hors de propos pour un patient opéré en
urgence qui a autre chose à penser qu’à ses dernières vacances.
Dans la position du patient qui doit se faire opérer, la notion de souvenir
agréable, ainsi imposé, peut paraître en opposition totale avec son état
d’esprit. On peut néanmoins le proposer, mais peut-être de manière
détournée : « Si je vous propose de revivre un souvenir agréable (ou d’aller
dans un lieu particulier), lequel vous vient spontanément  ?  » ou bien plus
simplement « où voudriez-vous être ? ».
Il s’agit d’inviter le patient (en général, les yeux fermés) à revivre, par
l’imaginaire, un souvenir, et à ressentir les émotions qu’il y a vécues. Cette
technique simple peut s’utiliser en association à une anesthésie locale ou
locorégionale lors d’une intervention ou avant une anesthésie générale.
Les étapes
L’accompagnement du patient dans un souvenir passe par plusieurs étapes :
— le recueil du thème. Il n’y a pas besoin d’obtenir beaucoup de détails. Il
s’agit souvent d’un endroit dans la nature (campagne, mer, forêt, etc.). Il
est utile de recueillir des éléments VAKOG et d’utiliser les six serviteurs
de Kypling : qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Et pourquoi ?
     « I keep six honest serving men
     They taught me all I knew
     Their names are what and why and when
     And how and where and who”
— éventuellement convenir d’un signaling c’est-à-dire d’un geste simple
pour communiquer. Bien sûr, il est possible de garder un contact verbal
avec un patient en transe mais il est parfois plus facile de convenir de
gestes simples comme lever un doigt ou faire une grimace en cas
d’inconfort ;
— l’orientation dans l’ici et le maintenant. Avec cette série de truismes,
le praticien invite le patient à prendre sa place dans un environnement
qui lui est étranger. Il s’approprie le lieu. Cela démystifie le bloc
opératoire et prépare à la transe. En se focalisant sur l’extérieur, le patient
se défocalise de son état intérieur.
—  l’accompagnement progressif vers le souvenir. Il est important
d’avoir un langage flou qui permet au soignant d’être toujours connecté
au patient. Il est aussi fondamental d’avoir un feed back du patient. Par
exemple, si le praticien commence par évoquer une balade en forêt et
qu’au cours de la transe, un mot comme « soleil » renvoie le patient à la
mer, par exemple, le lien peut être rompu si le praticien ne s’est pas
enquis du feed back, en lui demandant ce qui se passe, par exemple.
Cela me rappelle le cas d’un praticien qui a accompagné son patient sur le
thème d’un souvenir de plage. Le patient était complètement embarqué dans
l’histoire mais en est sorti à l’évocation du mot « maillot de bain ». Dans son
souvenir revisité par la transe, le patient se voyait seul et nu sur la plage. Le
maillot de bain n’était donc pas adapté à la situation et le lien a été rompu ;
—  les suggestions post-hypnotiques. Elles sont le plus souvent une
prescription de guérison, de réussite de l’opération, de bien-être, de
confort, de cicatrisation, d’immunité… Il y a une suggestion post-
hypnotique que j’utilise souvent : « et vous retournez chez vous avec le
souvenir de cette opération qui s’est tellement bien passée » ;
—  la réorientation dans l’ici et le maintenant. Le patient quitte sa transe
pour retrouver le lieu, désormais familier, du bloc opératoire. En
retrouvant cet espace, le patient prend conscience qu’il est réveillé et que
l’intervention s’est achevée.
La technique de l’accompagnement dans un souvenir ou dans un lieu
ressource est certainement la technique la plus simple et intuitive à mettre en
place. En outre, elle est respectueuse et écologique, parce qu’on laisse au
patient la liberté du choix d’un souvenir qui lui fait du bien. Elle peut être
utilisée chez l’enfant.

6.  Une induction plus rapide dans une situation


d’urgence

Quand on est dans une situation «  urgente  » ou que l’on veut gagner du
temps, on peut avoir besoin d’une induction assez rapide pour focaliser
l’attention du patient. Ces inductions hypnotiques simples peuvent se
poursuivre par l’accompagnement décrit ci-dessus, qui n’en sera que plus
intense.

Induction par catalepsie


Une manière simple et efficace de commencer est de proposer au patient
une action simple en précisant l’importance  : on obtient ainsi une
focalisation du patient en captant son attention. En outre, on le rend acteur
du processus. Il se sentira plus impliqué, acteur des soins et non comme une
personne passive. Il est possible, par exemple, de proposer au patient de tenir
une compresse dans la main. En outre, cette action peut permettre d’obtenir
rapidement une catalepsie du bras car, en général, un patient allongé qui lève
la main pour tenir une compresse la gardera en l’air. Il est aussi possible
d’obtenir une catalepsie des yeux en proposant au patient de fixer un point.

Induction par le souvenir ou la croyance


Il peut être utile de demander au patient s’il a déjà été hypnotisé lors d’un
spectacle ou d’un soin. Il est possible alors de l’inviter à se remettre dans cet
état (si cette expérience a été bien vécue, bien sûr). Il est aussi utile de savoir
quelles sont ses croyances par rapport à l’hypnose pour l’inviter à se mettre
dans l’état imaginaire qu’il croit être de l’hypnose.
À ce propos, faut-il ou non parler d’hypnose  ? Personnellement, je la
pratique sans préciser au patient ce que je fais. Parfois, c’est le patient de lui-
même qui m’interroge sur ce sujet car l’utilisation de l’hypnose commence à
se diffuser dans les structures de soins, et les médias en parlent souvent.
Si le patient n’a jamais connu d’hypnose mais semble ouvert sur le sujet, la
représentation qu’il en a doit être utilisée : a-t-il peur de l’hypnose ? Peur de
rester « bloqué » ? Peur d’une prise de contrôle ? À l’inverse, si le patient en a
une représentation très positive, ne pas hésiter à lui proposer de se mettre lui-
même dans l’état qu’il appelle « hypnose ».

Induction par choix illusoire


Quand je pose sur le visage du patient le masque d’oxygène, je lui propose
souvent de tourner sa tête du côté où il dort le mieux, comme à la maison.
Cette suggestion, si elle est suivie par le patient, montre qu’il adhère à l’idée
de dormir comme chez lui.
D’autres techniques, encore plus « rapides », nécessitent plus d’expérience en
hypnose car elles semblent se rapprocher de l’hypnose de spectacle (sans
tomber dans la caricature). C’est le cas des inductions par rupture de
pattern  : ces inductions consistent à interrompre brutalement un schéma
préétabli. L’exemple le plus connu est la «  poignée de main  » de Bandler,
technique qui consiste à tendre la main au patient et à la retirer de manière
soudaine avant que le patient ait pu la saisir. Il n’est, certes, pas adapté de
fixer les yeux du patient avec une injonction comme « dormez, je le veux ».
Elles nécessitent de la part du praticien une assurance. C’est le praticien qui
est l’hypnotiste. Il doit croire en sa technique et l’appliquer avec
enthousiasme. Il vaut mieux ne pas montrer de doute car le doute sera
perceptible par le patient.
Leur pratique n’est pas nécessaire car si elles sont mal pratiquées, elles
peuvent paraitres intrusives ou violentes par certains patients. Par ailleurs, le
patient étant déjà en «  transe négative  », une induction formelle n’est pas
forcément nécessaire ni même souhaitable. Dans ma pratique, je les utilise,
mais peu, sauf celle du « crâne de verre » que je vais détailler ci-dessous.
Pour pratiquer ces techniques, la première étape est la captation de
l’attention du patient. Une fois le patient focalisé sur le praticien, la transe
peut se poursuivre.

La butterfly chez un patient semi-assis


Il s’agit, dans un premier temps, de prendre le bras du patient avec son
autorisation, le bras étant « mou comme une poupée de chiffon ». Une fois
que le bras saisi est parfaitement relâché, commencez à créer ainsi un pattern
(c’est-à-dire un «  motif  » répétitif) kinesthésique en balançant le bras avec
douceur. Levez alors votre main au niveau des yeux du patient. Bougez les
doigts de façon aléatoire de haut en bas, comme des ailes de papillon (d’où le
nom de cette induction) en demandant au patient de suivre vos doigts. Après
quelques secondes, les patterns sont rompus en même temps  : tirez d’une
légère secousse le bras, en abaissant l’autre main, pour que le regard du
patient redescende. Dans le même temps, utilisez une injonction simple
comme « relax » ou « dormez ». Il est possible ensuite d’allonger le patient et
de poursuivre l’accompagnement, par exemple en poursuivant la transe par
l’exploration d’un souvenir agréable.

Le crâne de verre
Cette technique est simple et efficace. Elle peut même se pratiquer sur un
patient allongé. C’est l’induction rapide que je préfère. Elle se fait en
plusieurs étapes :
— une focalisation ;
— une convergence des globes oculaires vers le haut ;
— et une injonction.
Pour cette dernière étape : le praticien propose au patient de fixer l’extrémité
d’un de ses doigts en lui suggérant qu’à l’instant où le doigt du praticien
touchera le front du patient, celui-ci fermera les yeux et suivra le doigt du
regard comme s’il avait un crâne en verre. Le praticien fait glisser son doigt
jusqu’au sommet du crâne du patient. Ses yeux seront alors révulsés. Le
praticien donne alors la suggestion que les paupières sont bien fermées et que
le patient peut se relaxer.
Il est physiologiquement impossible d’ouvrir les paupières quand celles-ci
sont fermées et que les yeux regardent en l’air. Ainsi la suggestion s’appuie et
se renforce grâce à un phénomène purement anatomique.
Ces deux techniques sont rapides et efficaces et peuvent se combiner
facilement entre elles et se suivre par un accompagnement hypnotique.

Induction d’Elman
Bien que Dave Elman76 soit bien moins connu en France qu’Erickson, son
induction est certainement une des plus pratiquée dans le monde. Dave
Elman était homme de radio et de scène mais il a formé de nombreux
médecins à l’hypnose. Son propre père souffrant de douleurs chroniques
soulagées par l’hypnose, le jeune Dave Elman s’est beaucoup intéressé à ce
sujet.
Voici une traduction de cette induction que l’on peut retrouver dans le livre
Hypnotherapy77. Là encore, il est possible de poursuivre avec un
accompagnement hypnotique ou alors de l’associer à une anesthésie
locorégionale ou générale.
 
-  «  Maintenant, prenez une longue inspiration profonde et maintenez-la pendant
quelques secondes. En expirant, permettez à vos paupières de se fermer (ici, on fait un
mouvement de la main doucement du haut vers le bas devant les yeux du sujet) et laissez
aller la tension de surface de votre corps. Laissez votre corps se détendre le plus
possible maintenant.
Maintenant, concentrez-vous sur les muscles de vos paupières et détendez tous les
muscles autour de vos yeux de façon à ce qu’ils ne fonctionnent plus. Au moment où
vous êtes convaincu qu’aussi longtemps que vous maintenez ce niveau de relaxation à
vos paupières, elles ne fonctionneront plus alors gardez cette relaxation et testez-les
pour vous assurer qu’elles ne fonctionnent pas. Attendez 3 à 4 secondes et dites “Vous
pouvez cesser de tester maintenant”.
Cette détente complète que vous avez appliquée à vos yeux est la même qualité de
détente que je voudrais vous voir appliquer à tout votre corps. Alors, laissez cette
qualité de détente totale circuler librement dans tout votre corps, du haut de votre tête
jusqu’au bout de vos pieds.
Maintenant, vous pouvez approfondir cette détente encore plus. Dans un moment, je
vais vous demander d’ouvrir et de refermer les yeux. Au moment où vous refermez les
yeux, ce sera pour vous le signal qui vous indiquera de laisser cette sensation de
détente devenir dix fois plus profonde. Tout ce que vous avez à faire c’est de désirer
que cela se produise et vous pourrez faire en sorte que ça se produise très aisément.
Alors, maintenant, ouvrez les yeux (faire un mouvement, en douceur, de la main, de bas
en haut devant les yeux du patient). Refermez vos yeux (mouvement de main vers le bas)
et sentez bien toute cette détente circuler à travers tout votre corps, et vous amener
encore plus en profondeur. Servez-vous de votre imagination et imaginez que tout votre
corps est confortablement lové dans une couverture douce et moelleuse de relaxation
et de détente.
À présent, vous pouvez encore approfondir cette détente. Dans un moment, je vais vous
demander d’ouvrir vos yeux, une fois de plus. De la même façon, quand vous fermerez
les yeux vous doublerez cette relaxation ; laissez cette détente devenir deux fois plus
profonde… Maintenant, encore une fois, ouvrez les yeux (mouvement de main vers le
haut et refermez-les (mouvement de main vers le bas) et doublez cette douce détente…
Très bien… Laissez chaque muscle de votre corps devenir tellement détendu, qu’aussi
longtemps que vous maintenez ce niveau de détente, ils ne fonctionneront plus.
 
Dans un instant, je vais lever votre main en la prenant par le poignet, juste quelques
centimètres, et la relâcher. Si vous avez bien suivi toutes mes instructions depuis le
début, cette main sera tellement détendue qu’elle sera aussi molle et lourde qu’un
chiffon mouillé et elle se laissera tomber sans aucune retenue. N’essayez pas de
m’aider. Laissez la main être lourde et molle. Voilà... comme ça, c’est une détente totale
maintenant.
Vous savez sûrement déjà qu’il y a deux façons de se détendre. Vous pouvez vous
détendre physiquement, et vous pouvez vous détendre mentalement. Vous avez fait la
preuve que vous pouvez vous détendre physiquement alors maintenant, laissez-moi
vous montrer comment vous détendre mentalement.
Dans un petit moment, je vous demanderai de compter à rebours à voix haute à partir
de 100. Voici le secret de la détente mentale. À chaque nombre que vous direz à voix
haute, vous allez doubler votre détente mentale. À chaque fois que vous dites un
nombre, vous laissez votre esprit devenir deux fois plus détendu. Alors, si vous faites
comme ça, et peut-être même avant, votre esprit sera devenu tellement relaxé et
détendu que vous allez laisser disparaître tous les autres nombres qui seraient venus
après 98. Il n’y aura plus alors d’autres nombres, ils auront disparu. Vous devez faire
cela pour vous-même, je ne peux pas le faire pour vous. Ces nombres s’en iront, si vous
voulez bien qu’ils disparaissent. Alors, commencez avez l’idée que c’est bien ce que
vous ferez et vous pourrez alors facilement les faire disparaître de votre esprit.
- Maintenant, dites le premier nombre, 100, et doublez votre détente mentale…
- 100.
- Doublez votre détente mentale et commencez à laisser les autres nombres dériver au
loin…
- 99.
- Doublez votre détente mentale et laissez tous les autres nombres disparaître au loin.
- 98.
- Maintenant, laissez-les tous partir, bannissez-les… Faites en sorte que ça se produise
comme ça, vous pouvez le faire et je ne peux pas le faire pour vous. Poussez-les en
dehors de votre esprit. Faites-le… Sont-ils tous partis ? »
 
Le sujet dit oui. Il est possible d’approfondir la transe et de poursuivre avec un
accompagnement hypnotique.

Cette induction peut paraître longue mais elle permet d’atteindre un état de
relaxation profond en quelques minutes.

Conclusion
Le point positif est que l’hypnose en urgence au bloc opératoire est facilitée
par la transe négative (une transe désagréable, focalisée et absorbée sur des
sensations négatives et non « positives » comme le confort et la relaxation du
patient qu’il suffit de rediriger)  ; le point plus difficile au début est que le
praticien doit se montrer sûr de lui et être prêt à improviser.
Un acronyme, un peu carabin, résume bien les qualités requises  : COIT,
pour Confiance, Opportunisme, Imagination, Technique.
L’utilisation de l’humour est conseillée (manié avec respect, bien sûr). Aux
yeux d’un patient, si le médecin se permet de plaisanter et montre une
certaine assurance, c’est que la situation est simple et que le médecin est sûr
de sa prise en charge.

71. Cuvillon et al., «  Hypnose et anesthésie en 2019  : l’état de l’art  », Congrès de la SFAR, 2019,
https://sfar.org/download/hypnose-et-anesthesie-en-2019-etat-de-lart/.
72. Elvira V Lang et al., « Can words hurt? Patient-provider interactions during invasive procedures », Pain, 2005 Mar.
73. Coué, E (1922a), La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente  : autrefois de la suggestion et de ses
applications, Nancy, 1922.
74. Lang E et al., «  Can words hurt? Patient-provider interactions during invasive procedures  ». PMID: 15733657.DOI:
10.1016/j.pain.2004.12.028.
75. Erickson et Rossi, Collected Papers of milton Erickson, T4, Éditions Satas, 2001, p. 309.
76. (1900-1967) Homme de théâtre et de télévision, il s’intéressa à l’hypnose et, bien que non soignant, l’enseigna à des
médecins et dentistes ; il reste connu dans le milieu pour son induction assez rapide et la pratique de l’hypnoanalyse.
77. Elman D, Hypnotherapy, Westwood Publishing Co, 1984.
 7  Rôle de l’infirmier praticien en hypnose dans
les contextes urgents
Florent Hamon

Florent Hamon complètera utilement les aspects vus au chapitre 6. Infirmier-


anesthésiste, hypnothérapeute et formateur en hypnose, il évoque le rôle de
l’infirmier dans le contexte d’urgence avec des exemples cliniques pertinents ainsi
que des outils pratiques. Avec l’œil aiguisé du soignant souvent le plus présent
auprès du patient, il nous montre l’importance de se préparer, d’observer le patient et
de s’y adapter, de pouvoir, même dans une situation imprévue, prendre le peu de
temps dont on dispose pour adopter une position de recul, paradoxalement, pour
pouvoir aller plus vite.
Comme dit le poète  : «  Je prends de l’avance en prenant du recul, car prendre du
recul c’est prendre de l’élan. »

1.  Rôle infirmier

Le rôle de l’infirmier dans l’équipe de soins lui offre une place charnière dans
la gestion de l’urgence. Il doit à la fois être disponible pour le patient,
l’écouter, le rassurer tout en effectuant des gestes techniques, et pour le
médecin, préparer et mettre en œuvre les prescriptions. La proximité amenée
par la répétition de soins quotidiens fait de l’infirmier un interlocuteur
privilégié pour le patient.
Le temps consacré à la relation dans les soins est de plus en plus compressé
par souci d’efficience. La déshumanisation des soins progresse par souci de
rentabilité. Mais le rôle infirmier ne se cantonne pas au geste technique.
L’hypnose nous aide à utiliser au mieux ce temps relationnel qui nous reste, à
le rendre plus utile et humain. En situations d’urgence, l’hypnose trouve tout
son intérêt pour optimiser notre communication au sein d’un travail
d’équipe qui se veut rapide et efficace.

Un rôle pivot
L’infirmier doit prendre sa place auprès du patient et respecter sa fonction
infirmière dans l’équipe. La relation avec le patient en milieu hospitalier à la
forme d’un trio « patient/médecin/infirmier(e) »78. Le patient est en relation
avec deux types de personnels (médical et paramédical) qui collaborent à le
prendre en charge et qui portent chacun des cultures différentes, des
compétences différentes, des représentations différentes. Tous deux, malgré
leurs différences, possèdent un vocabulaire commun, des habitudes
communes, une culture commune, un but commun  : le soin. Le duo
médecin-infirmier, préoccupé par la réalisation d’un acte, l’exploration d’un
diagnostic ou l’analyse d’examens, communique, parfois, de façon
maladroite. Il peut exclure involontairement le patient de cette relation
triangulaire.
L’infirmier peut jouer un rôle pivot au cœur de ce trio. Alors que le médecin
est occupé à coordonner les différents intervenants lors de situations
d’urgence, à établir un diagnostic ou à choisir les meilleurs traitements  ;
l’infirmier pourra expliquer les procédures en cours, les termes techniques
employés, répondre aux questions et rassurer le patient tout en réalisant les
soins. Il a ici un rôle d’accompagnement qui lui est propre. Une hypnose
infirmière a toute sa place. Elle peut avoir un aspect formel ou
conversationnel. Elle facilite la coopération du patient, elle peut augmenter
l’efficacité des traitements entrepris. Elle offre un meilleur vécu du soin. La
proximité patient-infirmier peut faciliter cette pratique, mais un autre
interlocuteur de choix peut se dégager naturellement auprès du patient.
Que ce soit le médecin ou l’infirmier, l’important est que cette relation
préférentielle soit, au mieux, respectée. Quand une alliance se tisse, il faut la
repérer, la préserver et la développer autant que possible. Chacun remplira le
rôle qui lui revient dans la prise en charge du patient et l’un ou l’autre peut
s’engager plus pleinement dans cette relation.

Un questionnement nécessaire
■ Qui est le plus à l’aise avec ce patient ?
Une personne de l’équipe a-t-elle déjà une affinité particulière avec le
patient  ? Une relation est-elle déjà créée  ? Ou, au contraire, existe-il une
tension ou une incompatibilité avec un membre de l’équipe ?

■ Qui est le plus disponible à ce moment donné pour être


complètement présent ?
Si un geste technique est à effectuer, une personne en dehors de la réalisation
de l’acte serait plus confortable pour accompagner le patient. Pour des
contraintes de personnel, de nombreux actes sont souvent effectués seul. Il
sera alors important d’être suffisamment à l’aise, à la fois dans la réalisation du
soin ou de l’acte médical, et en hypnose pour pouvoir les effectuer en même
temps.

■ Qui a envie d’investir cette relation ?


L’investissement personnel est aussi un élément important. Il arrive que pour
des raisons parfois extérieures ou relationnelles, l’investissement que
demande un accompagnement avec les techniques d’hypnose semble difficile
(fatigue du personnel, manque de temps et de confiance...). Il conviendra de
passer le relais, lorsque c’est possible, si l’on ne peut faire abstraction de la
difficulté ou s’en « dissocier ».

■ Qui est formé à ce type d’intervention ?


Si, dans l’équipe, une personne est formée à l’hypnose, il sera pertinent de
lui laisser la place. Les études montrent que l’empathie et la bienveillance ne
suffisent pas79.

■ Chacun connaît-il les pratiques des autres ?


Pour que chacun trouve sa place sans se sentir frustré, il est important de
connaître les gestes et les techniques mises en œuvre pour les respecter. À de
multiples occasions, après que j’ai débuté un accompagnement hypnotique,
les médecins bien intentionnés prévenaient que l’injection du produit « brûle
un peu la veine mais ne va pas faire mal longtemps ». Tout mon travail pour
emmener la personne ailleurs est alors mis à mal par l’usage inapproprié de
ces mots à connotation négative. Chacun doit trouver sa place sans se sentir
frustré. La meilleure solution est d’échanger, d’informer sur nos pratiques en
amont.
Ces éléments semblent simples et pourtant leur mise en œuvre ne l’est pas
toujours. Ils sont indispensables au travail en équipe. Vérifiez-les, avant
même de vous demander quelle induction ou quelle séance faire.
Notons sur un plan non technique, que bien connaître et bien s’entendre
avec le co-soignant permet d’imaginer de mettre en place un duo d’hypnose
médecin/infirmer au service du patient. Chacun saura prendre le relais de
l’autre en hypnose quand c’est utile. L’un, puis l’autre, ou les deux voix
s’entremêlant au grès des besoins. Cette pratique peut être très agréable et
offre encore plus de créativité.

2.  Pour aller vite, prendre du recul

Comment aller au plus vite, ou comment utiliser l’hypnose lors d’un


accompagnement qui doit être rapide ?
Prenons le temps de faire un pas en arrière, c’est-à-dire de se demander
«  comment prendre de l’élan  ?  ». Un pas en arrière qui prend appui sur la
relation, élément central de l’hypnose. Que ce soit pour un geste à effectuer
ultérieurement ou dans le cadre d’un soin à réaliser rapidement sans délai, il
sera important de prendre cet «  élan relationnel  ». Un accompagnement
efficace ne sera possible que sur la base d’une relation établie.

Motivation, confiance, coopération


L’hypnose nécessite trois notions essentielles : la motivation, la confiance
et la coopération.

■ La motivation
Lors de situations d’urgence, le patient est facilement motivé car il est
souvent désarmé et impuissant. Vous pouvez proposer une technique en
précisant qu’elle a déjà été très efficace dans des cas similaires. Présentez votre
approche avec le mot hypnose ou toute autre périphrase, mais en restant
concis, en vous appuyant sur des données scientifiques ou des exemples en
relation avec votre exercice.

■ La confiance
La confiance du patient dans le soignant80 est essentielle pour que le travail
soit envisageable. Dès les premiers instants de la relation, il est important
d’installer cette confiance. N’hésitez pas à souligner au patient que vous êtes
présent pour lui, que vous l’accompagnerez en permanence, jusqu’à ce que
le soin soit terminé. Le soignant doit également avoir confiance dans ses
propres compétences. Il utilisera l’approche qu’il maîtrise le mieux. Ayez
confiance en vous pour inspirer confiance.
D’autre part, vous pouvez souligner des points communs que vous avez avec
le patient, une forme de proximité favorable en découlera.

■ La coopération
Elle permet au patient de reprendre du contrôle dans des situations qui
peuvent le dépasser. Cette coopération est essentielle. L’hypnose n’est pas
unidirectionnelle, avec un émetteur et un récepteur passif. Elle offre
l’opportunité, qui n’est pas toujours possible lors de soins, au patient de
rester actif.
Le niveau de coopération sera variable. Certains auront déjà une
connaissance préalable de l’hypnose médicale, nous nous appuierons alors sur
cette compétence. D’autres seront immédiatement prêts à rentrer dans
l’expérience hypnotique  : un échange facile et fluide, des yeux qui se
ferment avant qu’on ne le demande. Et parfois, cette coopération prend du
temps à s’installer, alors, il faudra se focaliser d’abord sur la confiance et la
motivation, rechercher les éventuels freins et trouver la clé la plus appropriée
au patient.

Observation, accueil, acceptation

■ Observer
D’où part le patient, de quel état émotionnel ? Beaucoup de patients pris en
charge dans un contexte d’urgence ou en phase aiguë d’un soin sont dans un
état d’hyperfocalisation :
— focalisation vers un catastrophisme avec anticipation négative sur les suites
de la prise en charge, les complications éventuelles, les difficultés
matérielles ou la perte d’autonomie ;
—  focalisation vers le souvenir de soins qui se sont mal passés ou
d’expériences négatives personnelles ;
— focalisation sur des récits d’expériences, des témoignages qui alimentent
le fantasme de la pire issue possible ;
— focalisation sur des peurs ;
—  focalisation sur les sensations douloureuses de l’instant qui l’envahit
complètement.

■ Accueillir
Le soignant devra se mettre dans une position d’accueil ; une forme d’attente
sans présupposition, sans intention  ; une présence vide d’influence pour
rejoindre le patient et partir de son état émotionnel  : une présence vide
d’influence, dans un premier temps, pour mieux suivre le patient dans sa
perception du moment ou du soin à venir. Cette phase importante, de pleine
présence, se nourrit simplement de ce que le patient apporte. Une pleine
disposition à recevoir. Un temps d’accordage qui permet de rejoindre le
patient. Il ne s’agit ni d’être envahi par une litanie plaintive, ni d’être une
simple écoute passive. Un temps d’accueil déjà stratégique car il nous montre
où rejoindre le patient, et il cherche les compétences propres du patient pour
coconstruire l’hypnose.

■ Accepter
Dans le cadre de prises en charge urgentes, ce temps indispensable peut être
bref. Il peut se faire par des truismes, c’est-à-dire en énonçant une série de
vérités incontestables, qui entraînent une « approbation de l’évidence » dans
l’esprit du patient, un climat «  qui dit oui  », d’acceptation mutuelle. Par
exemple  : vous avez eu un accident, vous avez mal au niveau du poignet,
vous avez peur... Le recueil de l’identité du patient et tous les éléments dont
vous disposez vous permettront de développer cette phase.
Votre acceptation (en renforçant chez le patient la sensation d’avoir été
compris dans ses craintes qui sont légitimes) va permettre d’amener le patient
vers son acceptation de travailler avec vous.
Des reformulations permettront de valider cette phase d’accordage tout en
redonnant de la liberté relationnelle au patient  (par exemple, «  donc si je
comprends bien, et surtout reprenez-moi si je me trompe…»).

Compliments, présentation de la technique, attente

■ Complimenter
Trouvez de quoi mettre le patient en valeur, que ce soit au sujet de son
parcours de vie, de ses loisirs ou des épreuves qu’il a déjà été capable de
traverser au cours de sa prise en charge. Ce sera l’occasion de souligner
quelques ressources qu’il ne soupçonnait peut-être pas. N’attendez pas de
«  faire de l’hypnose  » pour activer ces ressources. La communication est
influente, potentiellement thérapeutique dès les premiers instants.

■ Présenter l’hypnose
Dans les situations qui demandent de la rapidité, un long exposé sur ce qu’est
l’hypnose est trop fastidieux. Parfois, les patients connaissent ou pratiquent
déjà l’hypnose, ce sera l’occasion de s’appuyer sur leur perception du sujet.
Dans le cas contraire, je propose simplement un exercice d’imagination qui
m’aidera à les aider, par exemple  : «  Pour démarrer la séance, fermez
simplement les yeux et imaginez...  ». À  chacun de trouver sa formulation
concise.

■ Augmenter l’attente et prescrire une tâche 


Dans le cadre d’un soin programmé, cette étape sera réalisée en amont. Pour
un soin plus immédiat, ce temps en suspens est parfois intéressant ; mettre en
place une pause qui sort de l’immédiateté du soin.
Une fois l’accordage et la séquence d’acceptation réalisés, nous amènerons
cette attente et nous lui prescrirons de se focaliser sur une «  tâche  ». Une
attention particulière est apportée à la formulation de cette tâche, comme
nous le verrons en exemple plus loin. La mise en pratique illustre aussi
l’apport des thérapies brèves qui est ici très intéressant pour rendre le patient
actif.

3.  En pratique

Exemple d’une séquence de communication


Acceptation  : «  Ok, donc si je comprends bien et reprenez-moi si je me
trompe, vous devez faire face à cette situation qui vous inquiète, et vous avez
peur de ce soin. »
Motivation par évocation d’un souvenir de compétence, implication du
patient malgré la directivité :
« Votre situation me fait penser à un cas similaire, mais différent, qui s’est très
bien passé. J’ai envie qu’on fasse la même chose vous seriez d’accord ? »
Puis, proposition d’une tâche «  chèque en blanc  », autrement dit, nous
proposons de faire quelque chose sans l’expliciter. Ce qui permet de jauger
l’alliance, le niveau de coopération. Si la réponse est négative alors il faut
retravailler la motivation, la confiance et la coopération.
« Je vais vous demander de faire quelque chose d’extrêmement important qui
m’aidera beaucoup et qui permettra que vous soyez confortable ».
Mise en tension, création d’une attente : cette tâche que je vais vous confier
est très importante. Mais vous ne savez toujours pas ce que c’est.
« Cela m’aidera » : indique malgré tout une position basse. Je ne suis pas tout
puissant, c’est moi qui ai besoin de vous, de votre coopération.
« Vous serez confortable » : suggestion très directe.
Cette phrase qui exploite la «  grammaire hypnotique  », et ne fait
qu’augmenter l’attente, tel un élastique qui se tend de plus en plus, car la
tâche n’est toujours pas donnée. Il est intéressant de laisser des blancs de
quelques secondes pour augmenter encore cette attente et recueillir le
consentement non verbal du patient, à la manière d’un « Yes-set ».
Une fois que nous « sommes d’accord » : formuler la demande de manière
directe.
« Ok, alors voilà, je vous demande de retrouver le souvenir agréable presque
oublié, d’un moment où vous avez appris à faire quelque chose ».
La recherche va s’avérer utile pour occuper le patient à chercher et choisir un
souvenir qui renvoie à l’action de faire quelque chose, ce qui sera intéressant
pour l’accompagner activement dans le soin. On s’appuiera sur cette
expérience de ressource en développant le VAKOG81 de ce moment. Une
attention particulière sera apportée au sens kinesthésique qui est très efficace
pour amener l’hypnose. Il se déclinera en proprioceptif, tactile, thermique et
en sensations émotionnelles.

Chercher des ressources en urgence


Pour un soin programmé, il est intéressant de chercher des ressources au
préalable. La prescription de «  rechercher un souvenir agréable
d’apprentissage » est l’un des moyens faciles de trouver une des ressources à
exploiter. Nous pouvons également prendre le temps, lors d’une rencontre
préparatoire, d’explorer les loisirs, les centres d’intérêts, les passions pour
trouver ce qui est le plus utile à l’accompagnement du patient.
Mais pour un soin à effectuer avec plus d’immédiateté ou quand cette
première rencontre est impossible ou trop compliquée à réaliser, il faut
rapidement trouver les ressources pour les exploiter dans l’instant. Nous
n’avons pas plus de quelques minutes pour déceler les éléments utiles afin
d’étayer notre accompagnement. Ces quelques minutes doivent permettre de
trouver la clé, de créer un pont qui sortira le patient d’une focalisation
négative.

■ Observer encore
Pour ce faire, c’est de nouveau l’observation qui nous est utile. Dans le cadre
d’un soin au domicile, d’une intervention en extérieur ou dans une chambre
d’hôpital, des détails peuvent nous aider. Nous les relevons et avançons avec
prudence sur chaque piste. Par exemples :
— vous avez aperçu une alliance, peut-être un conjoint, des enfants et petits-
enfants ?
— un tableau, une photo, un signe religieux accroché au mur ;
— vous avez vu, dans le dossier, un lieu de résidence que vous connaissez ou
qui vous évoque quelque chose ;
— vous remarquez un physique sportif, une fréquence cardiaque basse ;
Relevez chaque élément, toujours avec prudence, et n’exploitez que ce qui
intéresse le patient.
Un domaine qui peut se révéler très efficace est la cuisine. Dans certaines
cultures, c’est une évidence, et à chaque région sa spécialité. Créez un pont,
ouvrez une porte vers la cuisine pour préparer un tajine, une tropézienne, un
yassa, un mafé, un bœuf bourguignon ou un kouign-amann. Préférez les
recettes aux ingrédients multiples et qui demandent du temps, c’est bien plus
hypnotique.

■ Questionner
Quand l’observation ne vous offre pas de pistes sur lesquelles vous engager,
quelques questions anodines vous aideront. Des questions qui cherchent une
clé, un pont vers autre chose que la focalisation dans laquelle se trouve le
patient :
— Vous êtes venu comment ?
— Que feriez-vous si vous n’étiez pas là ?
—  Qu’est-ce que vous aimeriez faire si vous aviez le temps de vous faire
plaisir ?
— Quelle sera la première chose que vous ferez en sortant d’ici, en rentrant
chez vous, une fois que toutes ces épreuves seront passées ?
Et à partir de là, franchissez le pont de façon directe :
—  Accepteriez-vous de me rendre service  ? De faire un exercice qui
m’aiderait ?
— Oui.
— Ok, alors fermez simplement les yeux pour retrouver ce moment où…
Posez des questions régulièrement pour vous orienter, ça n’empêche pas la
transe. Vous offrirez au contraire plus de réalité à l’expérience  : «  Et là sur
cette plage, qui vient vers vous ? Votre fils ou votre fille ? »

Cas concret : le jeune trompettiste


Une nuit de garde, je suis appelé par les infirmiers d’un service d’hospitalisation qui
n’arrivent pas à installer une perfusion. Il est minuit passé quand j’arrive dans la
chambre où se trouve une infirmière, une aide-soignante et la mère du jeune homme
de seize ans. Alors que l’équipe suggère à la famille de sortir, je les invite à rester. S’ils
peuvent le soutenir, ce n’est pas un problème pour moi.
J’aborde le patient en récapitulant la situation et en soulignant que ce ne doit pas être
facile pour lui. Je fais un trait d’humour sur mes nouvelles lunettes ce qui rompt avec le
discours précédent puis, j’enchaîne sur la recherche de ressources. J’apprends
rapidement que notre jeune patient joue de la trompette et qu’il a un groupe d’amis
avec lesquels il répète dans un garage. Je lui propose alors de fermer les yeux et de
retrouver cet endroit où il aime jouer de la trompette. Mais, de ne pas jouer encore, de
ne pas retrouver tout de suite ce plaisir d’un ensemble où chacun à sa place, chacun
joue sa partition pour créer cette harmonie particulière. Que ce soit en jazz, en rock ou
en classique ou dans d’autres styles (je n’ai pas eu le temps de lui demander le style
qu’il aimait jouer.) Je lui suggère de retrouver simplement ce moment où il s’installe
dans cette pièce particulière que j’explore au travers du VAKOG. Et, de retrouver la boîte
dans laquelle est rangée sa trompette. Une boîte qui protège, bien solide et robuste,
certainement. Je m’attarde sur cette boîte en développant des suggestions de sécurité
et de confort intérieurs. Je retarde le moment où il prend en main l’instrument, là
encore le VAKOG est développé. Viens ensuite le plaisir de jouer et de laisser faire les
doigts sur la trompette, des suggestions de dissociation abondantes et la pose de
perfusion. Je prolonge le moment agréable avec des suggestions post-hypnotiques qui
lui permettront de retrouver ce moment quand il en aura besoin.
4.  Quand ce n’est pas si simple : le besoin
de contrôle en situation incontrôlable

Pour les patients qui ont besoin de contrôle, il est encore plus important de
passer par une phase d’installation dans le présent : ici et maintenant.

Une approche par l’utilisation des sens


Une des manières de faire est de proposer au patient d’observer
l’environnement en exploitant ses cinq sens, les uns après les autres. Et de
vérifier que c’est bien lui qui observe, qu’il est parfaitement au clair avec tout
ce qui l’entoure. Puis, de lui suggérer de fermer les yeux pour retrouver les
différents éléments de son environnement derrière ses paupières. Le discours
se fera de plus en plus dissociant. Progressivement, nous pourrons
l’accompagner pour réorienter son attention. Il commencera par retrouver
derrière les paupières, les objets et les sensations de cet environnement, ici et
maintenant. Puis une sensation viendra évoquer un souvenir ou une activité
agréable au patient : « Et les narines peuvent laisser venir l’odeur du masque
en plastique. Cette odeur particulière de plastique. Comme l’odeur de ces
bateaux de plage gonflables. Vous vous souvenez de ces bateaux souvent
jaunes qu’on gonfle avec la bouche ou avec un gonfleur à pied. Et quand on
est enfant, on s’impatiente. C’est l’été, il fait chaud, le bord de mer, on a très
envie d’aller jouer avec ce bateau. Comme si on était un aventurier, comme
si on était un sauveteur en mer. »

Une approche en fixant un point


Une autre approche possible est de proposer au patient de ne surtout pas
fermer les yeux tout de suite, et de fixer un point. Le regard fixé sur une
zone, la séance peut commencer. Le processus hypnotique peut très bien se
développer les yeux ouverts.

L’utilisation du corps comme ressource


Et parfois, comme cela a pu m’arriver, le patient vous dira : « Non, je n’ai
plus de femme, je viens de divorcer » ; « Non, je n’ai pas d’enfants » ; « Je
travaille trop pour avoir du temps pour moi » ; « Les dernières vacances ? Je
n’ai pas d’argent pour partir ! »
Alors, quelles ressources exploiter  ? Face à ces situations, le corps est une
formidable ressource.
Faire ressentir la vie présente dans le corps car il y a toujours au moins un
cœur qui bat.
Utiliser le corps pour créer des métaphores suivant le contexte :
— une peau qui sait cicatriser toute seule ;
—  un système digestif en perpétuel mouvement sans que nous en ayons
conscience ;
— une respiration qui contracte de nombreux muscles à l’inspiration, et qui
sait naturellement - les relâcher à l’expiration ;
—  un souffle qui nous libère de tout ce dont nous n’avons plus besoin  :
dioxyde de carbone, produit du métabolisme de l’organisme ;

Dans une situation stressante… que faire ?


Occuper l’espace, faire ressentir qu’on « ne lâchera rien » sont des éléments
essentiels pour les situation urgentes. N’hésitez pas à verbaliser le fait que
vous êtes là pour le patient et que vous serez là, tout au long du soin jusqu’à
ce que ce soit complètement terminé. Loin d’une hypnose directive de
spectacle, les suggestions très directes peuvent avoir un intérêt. Le patient pris
de panique, submergé par les émotions de la situation a besoin d’une
intervention très directive au début. Il est intéressant de lui donner une tâche
qui détourne et focalise son attention. Et si cette tâche participe à sa prise en
charge, elle lui donne un rôle et une impression de contrôle.
Par exemple, faites-lui compter les gouttes de la perfusion, tenir du matériel
(des ampoules très fragiles de préférence), faire de belles courbes de
capnographie, autant de tâches qui mobiliseront son attention. Et n’hésitez
pas à utiliser l’imaginaire qui reste disponible malgré les apparences.
Cas concret : la seringue « magique »
Je rencontre M. M., très stressé face au soin qui l’attend. Il bouge beaucoup, parle
beaucoup et exprime sa peur. Il dit que « c’est une peur déraisonnable, dans la tête »,
mais il ne peut pas s’empêcher d’avoir peur.
Je lui tends alors une seringue vide en lui proposant de m’aider.
Interpellé, il accepte. Je change de seringue et lui en donne une plus grande sous
prétexte qu’elle sera plus adaptée. Je lui montre comment la tenir. Le pouce est sur le
piston tiré au maximum, l’index et le majeur coincent le corps de la seringue remplie de
vide. Je demande au patient de bien regarder la seringue en plaçant le bras loin du
corps. Puis, je lui propose de fermer les yeux et de ressentir la distance entre ses
doigts qui correspond à l’espace vide dans cette seringue. Je l’invite, ensuite, à remplir
cet espace d’une couleur et à y mettre toutes ses peurs, ses craintes rationnelles et
irrationnelles, légitimes et farfelues.
Une fois que la seringue est bien remplie, je propose au patient de la vider lentement et
progressivement, et d’observer ce qui s’en dégage, d’observer ce qui sort du corps de
la seringue  : un nuage qui s’évapore  ? Des papillons ou des lions  ? Des sons ou des
bruits ? De la poussière ou de la suie ? Et, de ne garder que la vigilance utile, vitale pour
qu’il soit en sécurité ; peut-être simplement quelques millilitres.
Le patient est alors absorbé par le contact de cette seringue, par ce geste lent pour la
vider, par l’imaginaire qui est mis en mouvement.
Cette étape permet de retrouver suffisamment d’apaisement pour réorienter et
intensifier un processus hypnotique. Libre à vous d’enchaîner sur un accompagnement
de votre choix ou de revenir sur l’instant, pour observer comment est le corps
maintenant.

5.  Quelques outils techniques

Un protocole ?
Lors de l’apprentissage des techniques d’hypnose nous espérons trouver le
protocole adapté à chaque situation : la métaphore de la sonde gastrique, le
script de la perfusion ou l’induction du pansement de jambe. Aucun des cas
cliniques présentés ici n’est un protocole suivi, ou à suivre. Les séances se
produisent spontanément, semblent convenir au patient à ce moment donné.
Je vous invite à utiliser votre environnement pour étayer votre créativité.
Rien ne vous empêche, cependant, dans les exemples lus, de ne retenir que
le plan de la séance.
Par exemple :
1. Accordage, acceptation ;
2. Proposition d’une tâche à réaliser, lui donner un sens ;
3. Focalisation VAKOG dans cette tâche ;
4. Réorientation de l’attention.
Pour se sentir libre de créer sa propre approche ou sa technique personnelle,
il est important de connaître ses gammes. En jazz, l’improvisation suit des
règles, et le soliste s’aide de phrasés travaillés en amont, de théories, même
s’il s’appuie sur le reste du groupe dans un échange constant.

Cas concret : l’ampoule


M. Z. arrive au bloc opératoire, il est tendu et parle peu. Comment redonner du contrôle,
de la maîtrise dans un univers si spécial et, pourquoi pas, de la fantaisie ?
- Je vois que vous êtes tendu, pas confortable et que ce soin semble vous inquiéter.
- Tout à fait, je déteste….
- Ok, vous voulez bien me rendre un service ?
- Mouais.
- Tenez cette petite ampoule entre votre pouce et votre index, attention elle est fragile.
- Maintenant, fermez les yeux et faites-la tourner entre vos doigts. Vous sentez sa
température se réchauffer n’est-ce pas ?
- Mouais.
- OK, continuez, vous faites cela très bien mais attention, si vous serrez trop fort elle
casse, pas assez, elle tombe et se brise.
- Ok.
Puis, nous continuerons d’explorer le VAKOG de cette simple ampoule. Et de ne rien
faire d’autre que de s’installer dans cette sensation qui peut changer, évoluer, se
transformer progressivement.
Et pourquoi pas imaginer rentrer dans cette ampoule, on met bien des bateaux dans
des bouteilles…
Ou, laisser glisser dans cette ampoule toutes les pensées parasites, c’est comme une
rivière qui vient depuis le sommet de votre crâne et qui amène, dans cette ampoule,
tout ce qui vous encombrez.

Les trois communications


Pour les patients particulièrement stressés ou lors de situations anxiogènes, il
est important que la présence du soignant soit forte  : être là, pleinement
présent. Cette notion nous invite à nous attarder sur les trois prismes de
notre communication. Trois prismes qui peuvent complètement modifier
l’idée que nous souhaitons transmettre et ce qui est finalement perçu.

■ Sur le plan non verbal


Notre corps doit indiquer que nous nous engageons dans cette relation et à
quel point nous sommes confiants. Pour ce faire, il n’est pas forcément
nécessaire de savoir quels gestes ou quelles postures inspirent cette confiance.
Cette communication reflète assez naturellement l’état d’esprit du
thérapeute. Mettons-nous dans le bon état d’esprit et le geste suivra. Prenez
un très court instant pour vous dire : « Je suis sûr de moi, ça va marcher, ça
marche  ». Ce mantra vous accompagnera pour vous amener à prendre la
meilleure position. Une fois l’accordage effectué, ralentissez progressivement
vos gestes, comme si vous évoluiez dans l’eau, manipuliez avec douceur et
précaution ce que vous utilisez. Vous contribuerez à amener progressivement
une ambiance différente.
Un contact physique neutre peut permettre d’établir et/ou d’intensifier cette
présence ; un geste simple qui peut être essentiel et d’une grande efficacité.
Un contact sur l’épaule ou prendre simplement la main du patient pour
signifier : « Je suis là, pour vous, ma présence vous accompagnera tant que
vous en aurez besoin ».
Dans nos métiers de soin, il est assez facilement admis que nous touchions
nos patients, demandez, cependant, toujours l’autorisation au préalable.
Prenez le temps d’attendre la réponse. Gardez-vous de lier la question au
geste, ce qui empêcherait le patient de vous répondre librement. S’il est
d’accord, le temps d’attente de ce contact ne fera que le rendre plus intense.
Nous pouvons aussi envisager d’associer ce contact avec une suggestion. Une
fois l’accord obtenu : « Dans quelques instants, je poserai ma main sur votre
épaule et alors seulement, vous pourrez vous autoriser à fermer(z) les
yeux »82.
On peut en imaginer d’autres :
—  poser une main sur l’épaule qui capte le rythme respiratoire du patient
puis, qui l’amène doucement vers un rythme plus lent, plus profond, en
étant très légère à l’inspiration et bien plus lourde à l’expiration ;
—  inviter le patient à ressentir le contact de la main sur l’épaule. Et à
retrouver, par cette sensation, la personne la plus appropriée pour
l’accompagner dans cet instant.
—  se mettre paumes contre paumes, et faire focaliser votre patient sur la
légère pression que vous exercez de manière aléatoire sur l’un des cinq
doigts. Demandez-lui de les nommer à chaque pression ;
—  établir un contact alternatif droit/gauche très rythmé, au début sur les
tempes, les épaules, les avant-bras, les mains et qui se ralentit
progressivement ;
— poser un doigt entre les deux yeux à la base du nez. Vous pouvez mettre
du mouvement et faire progresser ce doigt sur le front, passer par le
sommet du crâne pour rejoindre l’occiput et vous y arrêter.
—  si vous avez facilement accès à la tête, déployez tous vos doigts sur le
crâne et alternez les pressions doigt par doigt ;
— une catalepsie peut facilement être induite suite à une prise de la main.
Mais, il sera intéressant de se demander, en premier lieu, au-delà de
l’habileté technique, quelle sera l’intérêt pour le patient ? Lui proposer de
l’accompagner pour le lâcher de suite pourrait être non congruent et peu
respectueux. Tout dépendra du sens que vous donnerez à cette catalepsie.
Une manière de faire pourrait être d’envelopper doucement la main
quelques instants en apportant des suggestions activatrices de ressources
puis, d’amener la catalepsie pour apporter une focalisation sur cette main
du corps (langage dissociant). Puis, par cette main, explorer le fait que le
corps sait déjà profiter de ce calme, cette légèreté...
Ces approches liées au non verbal sont également très intéressantes en cas de
barrière linguistique. Une relation s’installe progressivement au rythme du
contact, du toucher qui commence par s’accorder avec le patient avant de se
faire plus calme, doux, accompagnant.

■ Sur le plan paraverbal


Une présence forte n’est pas une présence qui s’impose par des injonctions
vociférées d’une voix puissante. Seul des cas extrêmes, nous amènent à parler
fort, dans le seul but de rejoindre le patient. Ce qui le désarçonne d’autant
plus. On ne raisonne pas un patient en colère ou paniqué en lui criant de se
calmer. Tant qu’il trouvera une force à laquelle s’opposer, il risque de
continuer. Allez dans son sens, parlez aussi fort que lui pour exprimer la
même plainte : accordage cacophonique, bruyant, mais efficace.
Cette approche est relativement rare mais osez-la si besoin.
D’autre part, lors de l’accompagnement, l’exploitation du flot verbal est
intéressante. Utiliser une rythmique soutenue pour commencer la séance
puis, pour tous les moments de stimulations algiques. Ralentissez, faites des
pauses, offrez des silences lors des moments plus confortables pour permettre
au temps de s’allonger. Jouez avec le rythme, en alternant des vitesses rapides
et plus lentes, vous favoriserez la distorsion temporelle et le processus
hypnotique.

■ Sur le plan verbal


Le discours s’enrichit du saupoudrage de notions utiles comme le confort, la
sécurité, le calme. L’utilisation paradoxale des négations et des
présuppositions est très utile pour amener sans brusquer ces notions. Par
exemple :
— « Ne cherchez pas à vous détendre ou à vous relaxer profondément tout
de suite. »
—  «  Ne vous installez pas immédiatement dans ce souvenir agréable et
confortable ».
Tout l’arsenal des techniques verbales propres à l’hypnose est exploité,
notamment celles visant à développer la dissociation. Par exemple  : «  Une
partie de votre esprit entend ma voix alors qu’une autre partie de votre esprit
laisse venir les images de...  », «  Pendant que les doigts se promènent sur le
piano et jouent la partition, votre esprit se souvient de ce moment où... ».

L’hypnose conversationnelle ou formelle


Il n’y a pas de doute sur le fait qu’une transe minutieusement induite
d’abord, et associée au contenu analgésique des suggestions est une
excellente approche. Mais un échange qui accompagne le patient par le
questionnement peut se révéler très hypnotique. Nul besoin d’une longue
induction, tout repose sur la création préalable d’une relation solide, d’une
alliance thérapeutique. Les yeux ouverts, sans transe visible, un simple
échange en apparence qui peut également aboutir à une hypnose intense.
Cette conversation semblant anodine mais qui exploite tous les ressorts de
l’hypnose est d’utilisation fréquente par les soignants. Cet usage subtil de la
communication hypnotique souffre d’une apparente simplicité. Et, il se peut
que certains collègues bien intentionnés veuillent participer à cet échange,
maladroitement, malgré eux. Il sera encore plus important d’informer nos
collaborateurs de notre pratique.

6.  La prise en compte des ressources


immédiates ou décalées

Pour mener une séance d’hypnose dans des circonstances urgentes ou


imprévues, deux autres procédés sont envisageables en introduisant un
discours rempli de métaphores basées sur les ressources et la sensorialité.

Tout de go
La première approche consiste à exploiter directement la ressource détectée.
Le patient a choisi son souvenir agréable d’apprentissage (ou autre), il vous le
présente et la séance commence après votre induction préférée. Ou, pendant
que vous échangez sur les ressources du patient, l’une d’elles vous semble
opportune, vous vous en saisissez et le patient rentre dans l’expérience
directement sans induction formelle. Il vous suffira de lui dire  : «  Je vous
propose de … fermer(z) les yeux… pour retrouver(z) ce moment où… ».
Ces deux procédés permettent de rentrer rapidement dans le processus
hypnotique pour des patients coopérants, déjà en confiance, suffisamment
rassurés ou qui ont déjà pratiqués l’hypnose ou l’auto-hypnose.

Reculer pour mieux sauter


D’autres ont besoin de prendre leur temps. Un reste de stress, d’inquiétude,
de tension est présent. Ce qui est souvent le cas dans les situations d’urgence.
Et vous l’aurez observé. Il est intéressant de commencer cette expérience
agréable par une forme de tension, de frustration pour, d’une part, rejoindre
le patient (voir «  Observation, accueil, acceptation  » page 130) et d’autre part,
augmenter l’attente, l’envie d’y aller.
La plage paradisiaque attendue est encore dans une nuit sombre d’orage.
Le cheval que l’on souhaite monter est encore sauvage.
La rivière tranquille où l’on aime pêcher n’est qu’un torrent bouillonnant
pour le moment.
Prenez le temps de partir d’une difficulté métaphorique (une façon de
rejoindre le vécu du patient) et de créer l’attente de la ressource (tout comme
le patient attend le soulagement) et d’observer comme tout change, tout
peut se transformer. Parfois, les choses se font naturellement au fil des saisons
ou des journées. Parfois, il faut avoir recours à des compétences ou savoir
trouver la bonne ressource pour transformer, modeler, façonner. Cette
évolution offre une «  méta-métaphore  » d’un changement possible pour le
patient.

Cas concret : tempête et à cheval


Lors de l’accompagnement d’une patiente pour une IVG, je glane rapidement quelques
ressources. La patiente aime faire du cheval et le bord de mer. Mais, au lieu d’aller
directement dans ce moment agréable, j’ai préféré rejoindre la patiente. Observant dès
le début de la séance des crispations dans son visage et son corps, je lui propose de
laisser venir, derrière les paupières, une tempête. Certes, un bord de mer, une plage
agréable mais qui subit une tempête noire par une nuit profonde. Une tempête violente,
froide, qui malmène les embarcations au large. Ce sera seulement après quelques
minutes passées dans cette nuit orageuse que l’accalmie viendra. Même après les nuits
les plus noires, il y a toujours un nouveau matin, une aurore aux couleurs douces (…),
l’aube d’un matin calme (…) avec cette luminosité spéciale et tranquille (…). Derrière les
nuages les plus sombres et les moins calmes, se trouve toujours un ciel bleu. C’est
seulement après ce moment que nous pourrons partir faire du cheval.

Cette approche en deux temps peut prendre plusieurs formes. Ici, nous
sommes restés dans la métaphore, ce qui me semblait utile pour cette
patiente, dans ce contexte précis. Mais nous pouvons également lier ces
étapes au corps. Il est alors proposé au patient d’observer « comment ça fait
dans le corps », à l’intérieur, quand le stress, la peur ou tout autre problème
est là. Puis, se saisissant du langage métaphorique, nous amenons le patient à
se focaliser tellement sur cette sensation qu’elle deviendra un objet d’étude.
Le vocabulaire développant la dissociation amène une externalisation de cet
« objet d’étude » qui peut alors être travaillée en la modelant différemment.
Par exemple, une patiente me dit être très anxieuse, que ça lui fait comme
un point rouge, une boule dans le ventre. Finalement, cela devient vert, et se
transforme en ballon moelleux. Puis, en embarcation confortable sur l’eau.

7.  Finir en silence

Lors d’accompagnements en hypnose, il arrive que le soignant laisse de la


place au « mode de fonctionnement par défaut ». Après une intervention en
urgence où le rythme de l’accompagnement hypnotique est rapide et
soutenu lors des gestes douloureux, un espace de silence est offert. Un
silence qui permet au patient de travailler dans ce processus hypnotique de
manière autonome  : d’améliorer, de créer, de développer, d’explorer, de
découvrir, d’apprendre... Avant d’offrir ce silence fertile, plusieurs éléments
sont à mettre en place. Il est essentiel de s’assurer du confort suffisant du
patient et de le rassurer sur la continuité de notre présence.
L’autonomie du patient pour la fin du processus hypnotique est annoncée :
«  Quand vous aurez suffisamment profité de ce moment vous pourrez
prendre trois inspirations de plus en plus amples et profondes pour ouvrir les
yeux et retrouver, à votre rythme, toute l’énergie… ».
Cette pratique sera intéressante à plusieurs niveaux.
Elle permet d’allonger le temps confortable en fin de soin, ce qui amène le
patient à se souvenir essentiellement de ce moment.
Ce silence offre, au patient, la possibilité de finir des choses importantes pour
lui ou d’élaborer, de construire, de développer des ressources.
En outre, l’autonomie donnée par cet espace redonne du pouvoir et de la
liberté au patient.
Enfin, laisser le patient finir lui-même sa séance est une manière d’insister sur
le fait que c’est lui qui travaille et qu’il sait le faire. Ce qui est très utile si
vous projetez d’aborder l’autohypnose.

8.  Conclusion : le mode sans échec

Quand le temps est condensé, chaque faux pas sera cher payé. Il est essentiel
de diminuer les possibilités d’échec. Voici quelques pistes pour vous
prémunir d’éventuels insuccès :
—  faites tomber les fausses croyances. Le patient entend ce qui se passe
autour, il perçoit des sensations mais sans douleur, en restant confortable.
À un moment, il n’entendra plus rien d’autre que votre voix ou les sons
de son souvenir agréable, mais peut-être pas tout de suite ;
— mettez un parachute sous le siège : « si mes mots ne correspondent pas
exactement à ce que vous ressentez, vous pourrez librement les
changer » ;
— ratifiez chaque manifestation que vous n’aviez pas prévue comme si cela
était tout à fait normal et attendu ;
—  utilisez les suggestions couvrant toutes possibilités et finissez par «  ou
autre chose ».
—  soyez le plus vague et flou possible quand vous ne connaissez pas les
détails.
—  si vous voulez détailler, ne faites aucune projection. N’hésitez pas à
demander un retour du patient : « Et là, c’est comment ? L’été, l’hiver ?
Êtes-vous déjà installé sur votre vélo ? » On peut parfaitement converser
avec un patient en transe (si le soin le permet) et cela permet d’être plus
précis ;
—  associez les suggestions directes à des notions de progressions pour
prévenir le fait que ce ne soit pas encore là : « progressivement, de mieux
en mieux, de plus en plus, petit à petit, de proche en proche, à votre
rythme, peut-être déjà » ;
—  accompagnez par des questionnements en position basse  : «  Je me
demande si vous êtes déjà au trot ou au pas sur votre cheval ? » ; « Et, je
ne sais pas si, quand vous marchez sur cette plage, il y a un grand ciel
bleu ou quelques nuages ? »
— utilisez des adjectifs : particulier, propre, spécial, spécifique. Ils invitent à
développer la perception, sans l’orienter dans une direction préétablie ;
—  pour décrire un paysage, proposez de le découvrir comme s’il sortait
progressivement d’un brouillard, ou comme s’il était peint au fur et à
mesure ou de moins en moins flou sur un écran, cela diminue la pression
et permet de moins se tromper.

78. Brèche F, Desanneaux-Guillou S, Hypnose médicale en situation difficile, Éditions Arnette, 2014.
79. Elvira V Lang, Kevin S Berbaum, Stephen G Pauker, Salomao Faintuch, Gloria M Salazar, Susan Lutgendorf, Eleanor
Laser, Henrietta Logan, David Spiegel, « Beneficial effects of hypnosis and adverse effects of empathic attention during
percutaneous tumor treatment: when being nice does not suffice », Journal of Vascular and Interventional Radiology, 2008
Jun.
80. Nous appellerons soignant celui qui utilise l’hypnose ou les techniques d’hypnose, qu’il soit infirmier, médecin,
kinésithérapeute ou autre.
81. Les sens sont représentés par ces initiales : Visuel - Auditif - Kinesthésique - Olfactif et Gustatif.
82. L’utilisation des verbes du premier groupe permet d’amener des suggestions très directes en transformant l’infinitif
en impératif suivant l’intonation donnée au verbe.
Partie 3

L’ACCÉLÉRATION

Pratique de l’hypnose dans les


contextes qui peuvent devenir
urgents
Cette partie présente des situations qui ne sont
pas forcément des urgences au départ mais qui
peuvent basculer rapidement, et la façon dont
le praticien peut y faire face. Dans l’exercice de
la psychiatrie, pratique réputée calme et même
lente parfois ; en chirurgie dentaire, où au cœur
d’une situation ordinaire il faut parfois réagir
vite  ; dans la salle d’accouchement quand, en
trois minutes, l’on peut passer d’un
accouchement «  ordinaire  » à une césarienne
en urgence  ; enfin en médecine générale,
comme quasiment toute pratique de cabinet
peut connaître ses changements de rythme : ce
sera l’occasion de parler de la position du
praticien et de son aptitude à réagir avec calme
et précision face à l’urgence exprimée ou
constatée.
 8  L’hypnose en urgence en psychiatrie 
Dr Corinne Pissevin, Dr Philippe Aïm

Le Dr Corinne Pissevin est psychiatre, praticien hospitalier, formatrice en hypnose.


Les situations psychiatriques ordinaires, usuellement sous la forme d’entretien,
peuvent demander une intervention atypique quand la difficulté devient brutalement
aiguë (angoisse aiguë, agitation, agressivité).
Les urgences psychiatriques sont parfois paradoxalement le lieu d’une pratique
plutôt calme (la base de la pratique restant l’entretien clinique et thérapeutique) mais
il peut s’agir d’un entretien qui se distingue par l’urgence de sa demande, ou encore
parfois, par un contexte ou une situation directement urgente.
Dans tous les cas, ces situations peuvent faire l’objet d’interventions hypnotiques et
communicationnelles inspirées de l’hypnose  : l’objectif est d’apaiser les tensions et
de permettre le lien avec une personne qui souffre psychiquement, dans cette
ambiance souvent faite d’angoisses, d’incompréhensions et de véritables défis
relationnels.

1.  Introduction

L’urgence en psychiatrie peut être :


— d’emblée caractérisée par une situation de crise qui appelle une réponse
d’aide immédiate (les troubles du comportement  : hétéroagressivité,
autoagressivité, agitation, crise d’angoisse, idées suicidaires…) ;
— une consultation non urgente au départ qui peut se transformer en une
situation de crise.
Les enjeux sont :
—  d’une part, de pouvoir établir en quelques minutes une relation secure
dans l’ici et maintenant en s’accordant à l’autre. Ce qui est d’autant plus
complexe que la pathologie psychiatrique peut perturber les capacités
relationnelles. L’«  accordage  » (c’est ainsi qu’on appelle le fait de se
«  synchroniser  » au patient, de se mettre sur la même «  longueur
d’ondes » que lui, par le langage ou par la posture) se fait essentiellement
sur un mode non verbal, de corps à corps ;
— d’autre part, tenir compte du fait que pris par la crise, la personne et son
environnement sont enfermés dans leur monde. Souvent, émane alors
une ambivalence vis-à-vis de l’aide suscitée : tout le monde voudrait que
cela change mais cela paraît insurmontable ou potentiellement pire que
le problème.
L’utilisation de l’hypnose, dans ce contexte, met le thérapeute dans une
posture particulière où il a une intentionnalité  : apaiser et contenir les
débordements émotionnels. Cette «  intervention de crise  » est la première
étape pour créer une alliance thérapeutique.

2.  L’urgence en situation d’entretien

La pratique de l’hypnose permet au praticien de développer une acuité à


percevoir au-delà du langage verbal, avec les cinq sens, le non-verbal, et de
pouvoir établir rapidement une relation.

Cas concret : « Parler le chinois »


Je (CP) me souviens d’avoir été appelée un samedi d’astreinte auprès de Mme  Z,
d’origine chinoise, hospitalisée pour un état délirant, et qui s’agitait essentiellement
verbalement dans la chambre d’isolement où elle était. Elle ne parlait que le chinois et
comprenait un peu le français. Il n’y avait pas de possibilité d’avoir un interprète ce
jour-là. Ne pouvant communiquer verbalement avec elle et essayant de comprendre la
raison de son agitation, je suis rentrée en transe hypnotique en focalisant mon attention
pour ressentir le maximum de perceptions, entendre la prosodie de sa voix, sa
respiration, voir les mouvements de son corps, la tension musculaire, sentir les
différentes sensations. Au bout de quelques minutes, une évidence m’est apparue. Je
me suis retournée vers l’infirmier qui m’accompagnait et lui ai déclaré spontanément
avec certitude : « elle dit qu’elle a mal à la tête, elle a besoin d’un antalgique. » Mme Z
fit un hochement de tête affirmatif et se calma. Je lisais dans le regard de mon collègue
un grand étonnement, ne comprenant pas ce qui venait de se passer, mais s’exécutant.
Devant cette impossibilité de communiquer verbalement due à la barrière de la langue
plus qu’à l’état de Mme Z, l’hypnose m’a permis de comprendre et de répondre à son
besoin : calmer sa douleur. Son agitation a été rapidement résolutive par un antalgique
et à éviter de lui administrer un sédatif qui n’aurait calmé son agitation que
provisoirement.

Dans les situations d’urgence psychiatriques qui suivent : une agitation, une
attaque de panique et des idées suicidaires, l’hypnose a permis, dans un laps
de temps réduit, une sortie de crise dans l’alliance thérapeute patient.
 

Cas concret : une consultation au centre médico-psychologique (CMP) qui bascule en


crise d’agitation
Alors que je (CP) consultais dans un CMP, j’entendis des cris venir d’un autre bureau. Au
moment où je me suis levée pour m’enquérir de la situation, une infirmière du service
frappa à la porte de mon bureau en me demandant de venir.
En entrant dans le bureau où se tenait l’entretien, je vois une jeune fille (Mlle T), la
vingtaine, par terre les yeux fermés, s’agitant en vociférant des propos décousus,
entourée par deux infirmières debout essayant de la calmer et la faire se rasseoir.
Je ne connaissais rien de son histoire et compte tenu de son état, je ne pouvais pas en
savoir plus que les deux phrases dites par l’infirmière dans le couloir : « Sa famille est
au Maroc, elle vit dans un internat. Elle a fait une crise là-bas suite à une rupture
sentimentale. »
J’ai cherché à m’accorder en me mettant d’abord physiquement dans la même position
qu’elle, c’est-à-dire par terre. Je me suis détachée du contenu de ses paroles, et j’ai
observé que la rapidité de sa diction ne lui permettait pas de respirer profondément.
Elle était quasiment en apnée. Cette manière de respirer était en elle-même anxiogène.
J’ai cherché à synchroniser ma respiration sur la sienne, j’ai posé une main sur une de
ses épaules. Le mouvement de ma main suivait le mouvement respiratoire. À chaque
inspiration, ma main avait un toucher allégé, et à chaque expiration, le toucher devenait
plus présent. Au fur et à mesure, je lui ai demandé d’être attentive à cette sensation de
pression de ma main sur son épaule. J’ai ralenti mes mouvements respiratoires, et les
siens ont suivis les miens. Nos deux respirations étaient synchronisées. Ses propos se
ralentissaient, son corps se posait sur le sol. En une dizaine de minutes, Mlle T a pu
s’asseoir, nous regarder, et être dans l’échange verbal. La crise d’agitation était passée.
L’urgence était de l’apaiser et qu’elle retrouve les ressources suffisantes pour pouvoir
communiquer avec l’infirmière qui l’avait reçue.
L’amplitude et la fréquence du mouvement respiratoire sont corrélées au
niveau d’anxiété, de tension interne. Respirer profondément et lentement est
une action anxiolytique en soi.
Le sens du toucher est le sens le moins vulnérable. Il est un des sens qui, en
psychiatrie, est le plus préservé, subissant le moins de distorsion,
contrairement à l’ouïe, la vue, l’odorat, la kinesthésie... Pouvoir focaliser son
attention sur le toucher permet de focaliser sur une sensation réelle en
mettant une limite corporelle. Cette action permet une induction rapide, de
ramener la personne dans l’ici et le maintenant.
Utiliser le canal sensoriel du toucher pour diminuer la fréquence respiratoire
de Mlle T lui a permis de traverser sa crise d’agitation sans avoir recours à la
pharmacologie.

Cas concret : « Vous ne pouvez pas me laisser comme ça ».


M. T est très anxieux. Tout le long de l’entretien, ses jambes tremblent, sa respiration
est assez rapide, il «  souffle un bon coup  » avant chaque prise de parole mais nous
pouvons parler. Je (PA) l’écoute me raconter son histoire. Professeur, passionné,
envoyé dans une « banlieue difficile », pas équipé pour faire face, sentiment d’injustice
face à ces jeunes qui le «  chahutent  » alors qu’il sent qu’il a tant à leur apprendre…
Angoisse, déprime et puis, «  reclassement  », «  voie de garage  », il donne des cours,
inintéressants, à des adultes en reconversion.
Nous réfléchissons à une stratégie thérapeutique, nous reprenons rendez-vous, je
m’apprête à le quitter et je vois que ses jambes tremblent toujours, sa respiration est
saccadée, il murmure :
- « Vous ne pouvez pas me laisser comme ça… vous ne pouvez pas me laisser comme
ça… ». Il se dirige tout droit vers une crise d’angoisse.
- « Effectivement, lui dis-je, je ne peux pas… »
Je m’assois à côté de lui, pose une main sur son épaule, commence à me synchroniser
et à parler, d’abord très vite :
«  C’est vrai que vous êtes très tendu, très angoissé, tendu, angoissé, difficile, c’est
même difficile de vous concentrer (puis, plus lentement) sauf une toute petite partie de
vous, qui arrive à entendre ce que je dis (puis très vite) pendant que l’autre partie est
tendue, angoissée focalisée sur ce qui est dur et difficile et votre cerveau est
embrouillé et vos muscles sont tendus, tendus, durs et tremblants (puis, lentement)
sauf peut-être un muscle ou deux plus relâches (très vite) alors que tous les autres
sont tendus et contractés, l’angoisse vous préoccupe (lent) et juste un peu de votre
esprit est assez calme pour entendre quand je vous dis qu’il est calme et que (plus vite)
le reste de votre corps… etc., etc. »
Petit à petit, les moments où je parle très vite deviennent de plus en plus courts, et les
moments où je parle lentement, plus importants. En moins de cinq minutes, M. T est
calme. Cela ne résout pas tout mais lui montre qu’il est possible d’avoir cinq minutes de
calme en ma compagnie et augure d’une bonne suite pour la thérapie.

Ce système de «  vases communicants  » est assez efficace. S’il nécessite de


parler vite par moments, il apaise rapidement, montre que le thérapeute
« accepte » pleinement le patient (et ne le brusque pas avec des suggestions
directes de calme, totalement inaudibles dans un premier temps) et met en
valeur progressivement ses ressources, et le fait qu’il n’est pas «  que  »
constitué d’angoisse.

Cas concret : Mme S en pleine crise d’angoisse


Mme S, une patiente que j’avais (CP) l’habitude de voir en consultation, entre dans le
bureau ou devrais-je dire déboule dans le bureau. Elle me dit bonjour sans me regarder
et se met à parler de manière logorrhéique en étant essoufflée. Les paroles sur ton de
plaintes fusent. Je remarque qu’elle s’est assise sur le bord du fauteuil. J’interrompt
son flot de paroles en lui demandant de s’asseoir. Elle ne m’entend pas. Je répète d’un
ton ferme : « Asseyez-vous ».
Mme S relève la tête et me regarde d’un air surpris : « Comment ? »
- « Asseyez-vous, vous êtes au bord… »
Mme S en silence, s’exécute, se recule jusqu’au fond du fauteuil. Dans la même
précipitation dans laquelle elle se trouvait, ne lui laissant pas la possibilité de repartir
dans sa tempête verbale, j’enchaîne :
- « Percevez le contact de votre corps sur le fauteuil, la manière bien à lui qu’il a de se
poser, avec la même pression à droite, à gauche, en avant, en arrière, soyez attentive
aux détails des sensations de votre corps sur le fauteuil. » Je répète plusieurs fois ces
suggestions.
Des larmes se mettent à couler sur ses joues.
- « Que disent ces larmes ? »
L’accordage relationnel est présent et le travail thérapeutique est engagé.

Faire asseoir Mme S, l’avoir accompagnée à focaliser son attention sur son
sens kinesthésique et du toucher de son corps sur le fauteuil lui a permis de
se connecter à elle-même dans l’ici et le maintenant et de traverser la crise
d’angoisse. En effet, nous pouvons retrouver chez les personnes sujets aux
crises d’angoisse, une difficulté à s’inscrire dans une temporalité au présent.
Elles ont tendance soit à ruminer sur ce qu’elles ont fait ou pas fait par le
passé et être dans les regrets, soit à anticiper des catastrophes donc à se
projeter dans le futur de manière négative.
Elles ne se sentent également rarement à leur place. Or, la seule manière
d’être à sa place est d’être là, tout simplement, assis, et d’investir notre
posture. Les accompagner à adhérer au présent sur un axe espace-temps a
une action anxiolytique.

3.  L’urgence dans les services d’urgence


psychiatrique

Aux urgences psychiatriques, nous menons de nombreux entretiens mais


non programmés ou avec des patients inconnus. Par conséquent, tout ce qui
a été dit précédemment s’applique à ces types de cas.
En revanche, certaines problématiques se rencontrent plus particulièrement
aux urgences, que nous allons évoquer ci-dessous.

Cas concret : M. R amené par sa famille en urgence « Je veux mourir, vous ne pouvez
rien pour moi »
M. R, âgé d’une trentaine d’années est amené au centre d’accueil et d’urgence où je (CP)
suis de garde par ses parents, inquiets car il évoque des idées noires depuis quelques
jours. Inquiétude d’autant plus grande qu’il a déjà fait des tentatives de suicide.
M. R se présente d’emblée de manière provocatrice, dans l’opposition, n’ayant pas
choisi de venir consulter et ne voyant pas pourquoi il ne serait pas libre de mettre un
terme à sa vie. Ses parents, qui ne dorment plus, souhaitent qu’il soit hospitalisé pour
le protéger. L’enjeu est d’amener M. R à accepter d’être aidé, en évitant l’hospitalisation
sous contrainte à la demande d’un tiers, les soins sous contrainte ayant souvent des
répercussions dans les relations familiales et dans la relation au soin.
Après avoir entendu les parents me décrire la situation ainsi que les comportements de
« surveillance » qu’ils ont mis en place de peur que leur fils se suicide, je les fais sortir
du bureau et reste en présence de M. R.
Je tente de rentrer en relation avec lui sur le même mode «  provoquant  » en étant
connectée en non-verbal à sa détresse profonde afin qu’il ne se sente ni jugé, ni un
sujet de moquerie. J’adopte son intonation de voix monocorde, je ressens la lourdeur
de sa situation au niveau corporel. J’habite la tristesse.
CP : « Vous êtes totalement libre de mourir… Comment vous vous êtes débrouillé pour
être encore vivant ? »
M. R : « Je ne suis pas vivant, je veux mourir. »
- Le mouvement respiratoire, vous le sentez ? (En tant qu’être vivant, on ne peut pas ne
pas avoir la sensation de respirer.)
Un peu surpris, ne voyant pas où je voulais en venir : « oui, et alors ? »
- Les battements du cœur, vous les sentez  ? (Volontairement, je n’utilise, dans mon
langage, aucun article possessif afin d’induire une dissociation.)
- oui…
- Le mouvement respiratoire et les battements du cœur en même temps ? 
- Oui… 
J’observe que son regard change et qu’il s’absorbe de plus en plus en focalisant son
attention sur ses deux sensations.
- Observez comment ça (la vie) circule entre les deux… peut-être même que vous
pouvez sentir la sensation des pulsations du cœur au bout des doigts, des pieds…
J’observe des signes de transe, je tente d’être plus directe.
- Observez comment la vie circule en vous, dans tout le corps… sans rien faire  de
particulier… et vous n’avez rien à faire pour le sentir… la vie circule en vous.
Je répète plusieurs fois les mêmes phrases avec quelques variantes autour du thème
de la circulation de la vie dans le corps.
J’accompagne M. R à sortir de la transe et à se réorienter au niveau temporo-spatial
dans le bureau.
Sa posture corporelle s’est modifiée, je le perçois plus apaisé, moins pris dans la
contradiction d’avoir envie de mourir et d’être vivant. Je lui dis  : «  Vous êtes aussi
totalement libre de vivre. »
M. R acquiesce. Il accepte et s’engage vis-à-vis de moi à revenir en consultation, le
lendemain. Afin de permettre qu’il puisse honorer son engagement. Je revois ses
parents avec lui pour travailler sur le contexte. En effet, M. R est également pris dans
une relation de dépendance à ses parents avec une difficulté d’autonomisation. Ses
idées noires peuvent être lues comme une tentative de séparation.
Je demande aux parents de s’engager par écrit à avoir confiance sur le fait que leur fils
va revenir en consultation, le lendemain. Je précise les comportements induits par
«  avoir confiance  », je prends le contre-pied des comportements de vérification qu’ils
m’avaient décrits au début de l’entretien.
À la place du tiers qu’ils s’apprêtaient à remplir pour que leur fils soit hospitalisé sous
contrainte, je rédige « le contrat » et les fais signer en tant que père et mère.
M. R est revenu, le lendemain, à sa consultation d’urgence sans urgence en étant
capable de dire qu’il avait des envies et qu’il ne savait pas comment faire pour les
réaliser.

La mort d’un être humain est souvent constatée devant un arrêt


cardiorespiratoire, soit une absence de battement cardiaque et de mouvement
respiratoire. Le fait d’avoir pu accompagner M. R à se connecter à l’entièreté
de son corps vivant, aux sensations perçues du fonctionnement
cardiorespiratoire, à l’intéroception, a permis qu’il adhère à la vie, lui qui
voulait mourir. L’empêcher de choisir (donc d’être vivant) ne pouvait
qu’entraîner de la résistance. Il était nécessaire de le reconnecter à la vie, le
reconnecter au choix, à la confiance, et au travail possible sur ses idées plutôt
qu’au risque de se figer, se cristalliser dessus.
Dans les situations d’urgences psychiatriques, l’utilisation de l’hypnose
permet d’entrer en relation avec le patient, d’apaiser et de contenir les
débordements émotionnels. Le processus hypnotique a été induit ici par la
focalisation sur les sens du toucher, la proprioception et l’intéroception. Les
personnes ont pu adhérer à l’entièreté de leur corps vivant. Cette adhésion a
engendré une mise en mouvement et une dissolution de la crise.

4.  Situations de crise et adaptation au contexte :


exemple du traumatisme ou de l’agressivité

Dans certains cas, ce sont des interventions atypiques, où l’essentiel n’est pas
dans la gestion d’un entretien mais dans l’adaptation de notre posture quand
certaines émotions débordent. Cela peut être le cas dans la crise d’angoisse
(exemple vu plus haut) quand celle-ci n’a pas lieu durant un entretien
classique mais ailleurs, dans un couloir ou une chambre d’hôpital. Mais cela
peut aussi être l’émotion et le comportement du patient qui invitent à un
changement de posture. Prenons l’exemple de la dissociation en péri-
traumatique ou de l’agressivité. Sans avoir la possibilité de détailler toutes les
techniques, nous verrons que des outils de communication issus de l’hypnose
peuvent nous inspirer. Voici quelques idées.

Dissociation péritraumatique : sécurisation


Quand un traumatisme vient de survenir, dans les minutes, les heures qui
suivent, la dissociation psychique, la désorganisation mentale est au plus haut.
Un « retour à la sécurité » est un objectif central dans ce moment aigu, pour
éviter que cette dissociation ne s’installe. Des outils hypnotiques peuvent être
utiles, pas forcément dans leur forme habituelle avec une séance formalisée,
ni avec des suggestions directes d’emblée, et surtout pas avec des
modifications sensorielles ou motrices fortement suggérées quand la
personne sort juste de cette expérience de «  passivité  » de victime. En
revanche, on peut s’assurer de son sentiment de sécurisation et le renforcer :
s’intéresser à ses besoins en proposant un verre d’eau, une boisson chaude, un
sucre dans le café. Être une relation sécure en montrant ce que nous
pouvons, ou pas, faire et en montrant notre disponibilité précise ; permettre
de reprendre un minimum de contrôle sur la situation en laissant des choix et
en posant des questions ; renforcer les sensations d’apaisement ou de sécurité
quand elles arrivent. La sécurisation doit être corporelle, relationnelle et doit
laisser une place à un choix minimal pour la personne (quand je parle de
choix minimal, cela veut dire laisser un choix même sur quelque chose
d’accessoire et d’apparemment insignifiant : « Voulez-vous vous asseoir ici ou
là  ? ou rester debout  ?  », «  Voulez-vous un verre d’eau  ?  »). Cela peut
marcher bien sûr sans pratiquer l’hypnose, mais on est probablement plus
efficace avec ces outils plus précis.

Agressivité : acceptation
Dans les situations urgentes, l’agressivité est fréquente. Je(PA) me remémore
l’histoire dans laquelle Erickson dit à son enfant blessé : « C’est ici que tu as
mal ? Très mal ? C’est bien ici n’est-ce pas ?... Pas ici ? (désignant un côté)…
Ni ici ? (désignant un autre côté) … Mais bien ici ? (désignant de nouveau la
blessure)  »83. En de nombreuses occasions avant de diminuer une douleur
nous commençons par l’augmenter. Il ne s’agit pas seulement ici de
dissociation ou de captation de l’attention, mais en premier lieu
d’acceptation. Il n’est pas possible de faire évoluer un ressenti sans, tout
d’abord, l’accepter. Le but n’est pas d’amener le patient à reconnaître qu’il a
tort (pour apaiser l’agressivité, avoir raison ne sert à rien), à reconnaître qu’il
ne devrait pas s’énerver ou à lui suggérer directement un changement de
comportement.
Il conviendra d’abord d’accepter ce qui est, avant d’introduire une différence
avec des phrases comme : « Vous êtes en colère… oui je vois… évidemment,
ce n’est pas simple… ah  ? tout cela  ?...  ». C’est de cette manière que
l’agressivité se calme. Une fois le ton redescendu (après avoir d’abord
monté  !), on peut introduire un changement, dans un second temps  ; par
exemple, en créant d’abord une relation avec une question qui mobilise un
choix, comme «  Vous voulez un verre d’eau  ?  », «  Vous préférez qu’on
s’assoie ? ». La discussion sera alors être plus facilement envisageable84.
C’est d’ailleurs la même chose pour toute «  crise  »  : accepter. Non pas
accepter l’opinion de la personne (on n’est pas obligé d’être d’accord avec ses
raisons de tout casser ou de vouloir mourir) mais accepter son ressenti (ce
qui nous rapproche grandement de la phase d’acceptation en hypnose).
Par exemple : « Je ne sais pas si c’est une dépression, je vois juste comment
votre souffrance vous ronge, et je me demande quoi faire pour vous aider… »
 
Par exemple, il m’est arrivé de dire à un patient désespéré :
« Quand je vous vois (visuel), là, devant moi, assis sur cette chaise, dans ce
bureau (attendre l’acquiescement de chaque proposition en fera un yes-set),
quand je vous entends me raconter tout cela (auditif)… et bien, ce que je
ressens (kinesthésique), c’est qu’en face de moi il y a quelqu’un (dissociation)
qui a beaucoup souffert (acceptation et formulation du problème au passé). »
Cette formulation hypnotique s’avère bien plus efficiente qu’un banal «  je
comprends  » et ne dit pas «  je suis d’accord  », mais bien «  je perçois votre
difficulté ».
Ou encore : « Avec tout ce qui vous arrive, vous avez beaucoup souffert, et
vous avez fait des efforts, vous avez essayé plein de choses en pensant parfois
que vous ne tiendriez pas le coup… et à chaque fois, vous avez continué à
essayer même quand ça ne marchait pas… c’est assez courageux… et là vous
en êtes venu à demander de l’aide… du coup je me dis que…»
Concernant les autres aspects de l’entretien, utiles à l’hypnotiste  : il va
demander des détails très concrets, tant sur le problème que sur des
ressources qui pourraient apparaître, car ce sont, dans les détails, qu’il puisera
la matière à une éventuelle séance : « Si je comprends bien, vous éprouvez
cette sensation que vous comparez à un nœud et vous pensez alors que vous
commencez une crise de panique, est-ce bien cela  ?  »  ; «  Et donc, ce tout
petit moment, mercredi soir, était le seul moment où vous vous sentiez un
peu mieux ? Avec un peu d’espoir ? Cela vous dérange si je vous pose des
questions sur ce moment, car cela m’intrigue, ça ne colle pas avec le reste et
je me demande juste… »
De façon globale, la crise ne permet pas toujours (surtout dans les crises
agressives, suicidaires, etc.) d’utiliser l’hypnose formelle, comme dans les
situations d’entretien plus ordinaires, c’est pourquoi nous n’insisterons pas.
Mais des outils de communication issus de l’hypnose font de nous de
meilleurs communicants. Même si ce n’est absolument pas une indication
d’hypnose, sans l’apprentissage de cette dernière et des pratiques proches des
« thérapies brèves », je n’aurais pas su me sortir sans encombre de certaines
situations d’hospitalisation sous la contrainte ou de crises agressives.

5.  Conclusion

Retenons globalement quelques points fondamentaux :


— la nécessité de capter et de maintenir l’attention ;
— la nécessité d’acceptation initiale du ressenti ;
—  l’importance de continuer à miser sur les ressources du patient et sur
l’hypnose, toujours possible mais dont la forme s’adapte selon les
circonstances.
L’urgence, perçue comme telle par le patient, permet de rendre plus facile
l’idée de « faire une expérience », mais aussi plus tentante car le soulagement
le plus rapide possible est sa priorité.

83. L’histoire est contée de façon plus précise dans Espoir et résilience de Dan Short, Éditions Satas, 2009.
84. J’ai (PA) attiré l’attention sur les outils issus des thérapies brèves et de l’hypnose, et utiles dans les cas de crise
agressive, crise suicidaire ou crise psychique, dans mon ouvrage, Écouter, parler : soigner, Éditions Vuibert, 2015. Je ne
les détaille pas ici. D’autant qu’ils ne relèvent pas tous de l’hypnose formelle mais bien de la communication et des
thérapies brèves, elles-mêmes inspirées de l’hypnose.
 9  L’hypnose en urgence au cabinet dentaire
Dr Pascale Reynette

Le Dr Pascale Reynette est chirurgien-dentiste à Nancy et formatrice en hypnose et


thérapies brèves. Ces pratiques lui ont permis de transformer radicalement l’image
de ce métier (qui fait peur/qui fait mal) auprès de ses patients qui viennent
maintenant passer un bon moment chez elle et oublient même, parfois, le soin qui se
déroule. Mais le temps peut manquer, et l’urgence du soin impose une mise en place
rapide d’une hypnose confortable et analgésique. Comment cela se passe-t-il quand il
faut aller plus vite ?

1.  Introduction

Dans ma profession de chirurgien-dentiste, l’hypnose concerne différents


registres :
1. la gestion de l’appréhension (pouvant s’étendre de l’inquiétude jusqu’à la
phobie) ;
2. le soulagement de la douleur aiguë dans un contexte d’urgence ;
3.  la levée de réflexes (souvent d’origine anxiogène) tels que le réflexe
nauséeux, la toux spasmodique, en urgence lors d’une prise d’empreintes ou
de l’utilisation d’instruments risquant de devenir traumatogènes dans ce
contexte ;
4. la modification de comportements pour améliorer son état de santé (lutte
contre le bruxisme, l’amélioration des pratiques alimentaires, la lutte contre
le tabagisme, l’onychophagie...) ;
5.  l’approche de pathologies particulières comme la glossodynie, la
xérostomie, les pathologies de l’articulation temporo-mandibulaire à l’origine
de craquements, les acouphènes… ;
6. la gestion temporelle de séances de soins longues de plusieurs heures sur le
fauteuil dentaire, pouvant engendrer impatience, stress, fatigue musculaire
(pose d’implants, traitements parodontaux, traitements prothétiques, etc.) ;
7.  la réduction des saignements lors d’une intervention chirurgicale et les
suggestions post-hypnotiques favorables à la cicatrisation ;
8. l’accompagnement des enfants dans leur parcours de soins buccodentaires,
souvent conditionnés négativement par des récits familiaux ou amicaux ;
9.  sans oublier l’utilité permanente pour réduire le stress de l’équipe
soignante.
Dans ce chapitre, nous allons d’abord distinguer différents «  degrés  »
d’hypnose, qui seront ici séparés les uns des autres uniquement dans un but
didactique, alors qu’ils cohabitent dans la réalité du cabinet dentaire
(communication thérapeutique, hypnose conversationnelle, hypnose
formelle).
Je proposerai, dans un second temps, des exemples de scripts adaptés à des
situations cliniques concrètes, afin de décrire les techniques utilisées en
urgence.

2.  L’utilisation de l’hypnose en dentisterie

La mise en place de l’utilisation permanente et spontanée de l’hypnose dans


l’exercice de la profession de chirurgien-dentiste nécessite quelques
modifications dans sa pratique habituelle. Il est avant tout nécessaire d’être
parfaitement à l’aise et rôdé avec les protocoles thérapeutiques et techniques,
avec l’utilisation de son matériel et des matériaux (il est, à mon sens,
malvenu de l’introduire dans l’exercice d’un praticien fraîchement diplômé
en remplacement dans un cabinet où il doit déjà se mettre avant tout à l’aise
avec le cadre, le matériel, les matériaux, et maîtriser son art thérapeutique).
D’autre part, le praticien doit avoir la capacité et s’entraîner à réaliser des
actes techniques rapides et précis tout en maintenant un lien verbal constant,
calme, et serein avec le patient. Il peut être, par contre, intéressant
d’introduire, chez le jeune diplômé, de facto, des techniques de
communication appropriées avec ses patients.
En cabinet dentaire, j’utilise l’hypnose tout le temps, tous les jours. Nous
avons beaucoup d’anxiété, de phobies à gérer, très peu de douleurs, du fait
de l’utilisation sans réserve d’anesthésiques locaux et d’anesthésiques de
contact.

La communication thérapeutique pour créer l’alliance


thérapeutique
La communication est primordiale, on ne peut pas ne pas communiquer.
Nous allons donc nous entraîner, dès le début de la séance de soin, à utiliser
notre langage, qu’il soit verbal ou non verbal, pour emmener le patient vers
un état d’apaisement et de soulagement. Nous allons, ici, rechercher à
obtenir une réduction significative de la perception douloureuse. On évite
d’évoquer la douleur car la seule idée de la douleur amplifie la perception du
stimulus douloureux, et peut même faire générer de la douleur sans stimulus
douloureux (Derbyshire, 200485). Souvent, l’idée que se fait le patient de la
douleur est même pire que la douleur, une fois le soin terminé.

Pour transformer le cadre86, on évite les négations, on utilise des mots à


valence émotionnelle neutre ou positive plus protecteurs (confort,
confortable, bien installé, je suis à votre écoute...) ou encore, on remplace les
« mais » par « et », les « si » par « quand ».
Beaucoup de nos patients ne sont pas dans un état de conscience ordinaire
lorsque nous les prenons en charge mais déjà dans un état de conscience
modifié par l’anxiété, le stress, l’abondance des informations délivrées qui les
confusionnent, les focalisent, les absorbent. Cet état « hypnotique » spontané
nécessite des précautions dans notre façon de communiquer, même en
dehors de toute hypnose formelle.

■ Être attentif aux signes de douleur/d’anxiété pour en tenir compte


— Muscles tendus.
— Visage ridé, contracté.
— Tachypnée.
— Tachycardie.
— Regard anxieux.
— Absence de sourire.
— Perception accrue des messages à connotation négative.

■ Se présenter
Il est nécessaire, même dans un contexte d’urgence, si l’on n’a jamais traité le
patient précédemment, de prendre le temps de se présenter et de nommer ses
spécialisations éventuelles. Prenez soin également de nommer votre patient.

■ Accepter la peur
Comme dans tout autre contexte nécessitant un changement, même dans un
contexte d’urgence, il est utile de rappeler qu’il est indispensable de passer
par une phase d’acceptation avant que ne se produise le changement. Ici,
devant un patient apeuré, il est donc important de reconnaître cette émotion.
Il suffit de le lui demander :
— Praticien : « Vous avez peur ? »
— Patient : « Un peu. »
—  Praticien  : «  Il est tout à fait normal que vous ayez peur, nous ne nous
connaissons que très peu, et vous allez me confier votre bouche afin que
je vous soigne. Et nous allons tout mettre en œuvre pour rendre cette
peur acceptable. »
Le patient montre déjà un soulagement.

■ Écouter et observer le patient


Lors de cet entretien, nous en profiterons pour écouter le vocabulaire utilisé
par le patient, ses intonations, le volume de sa voix, et sa sensorialité
« VAKOG ».

■ Mirroring, yes-set, pacing : rejoindre le patient


Nous profiterons de ce moment, avant le soin, pour prendre une position
relationnelle basse (le patient n’aura pas l’impression de « perdre la main »),
utiliser une tonalité de voix rassurante, un rythme de paroles rythmé, par
exemple, sur l’expiration ou «  pacing  », reprendre les mots du patient, ses
attitudes et commencer le recadrage grâce au yes-set.

L’hypnose conversationnelle
Elle n’implique pas de transe hypnotique visible.
C’est une forme de communication qui utilise des techniques d’hypnose au
cours d’une conversation. Le but étant d’absorber l’attention du patient et de
contourner les éventuelles résistances. Il est utile, ici, de savoir repérer les
signes de transe hypnotique pour les utiliser plus avant, par exemple (liste
non exhaustive) :
— un ralentissement des gestes et de l’idéation ;
— une perception différente de la réalité ;
— des larmes physiologiques ;
— une pâleur ;
— des bâillements répétitifs ;
— une fixité du regard ;
— une déglutition répétée ;
— des mouvements oculaires ;
— des mouvements saccadés ;
— des signes de détente.

■ Utilisation des échelles


Si le patient semble débordé par sa peur, il peut être utile d’utiliser une
échelle. On peut le faire de façon corporelle (comme « les mains de Rossi »
ou à partir d’une lévitation) en demandant au patient de se mettre assis sur le
siège, les mains posées sur les cuisses, d’utiliser son bras droit en lui disant :
— « sur une échelle, quand votre main est sur votre cuisse cela signifie que
vous êtes parfaitement détendu, et quand votre bras est tendu vers le haut
votre main correspond à une situation où vous avez tellement peur que
vous êtes paralysé, vous ne pouvez plus bouger ni parler. Où se situe
votre main là maintenant ? »
Le patient la positionne et je lui demande de la laisser ici (catalepsie).
— « Maintenant on va faire la même chose avec l’autre bras, qui va définir le
danger réel du soin dentaire que nous allons réaliser. Si votre main en bas
définit une situation où le danger est nul, la main tout en-haut définit
une situation où il existe un danger mortel, où se situe d’après vous votre
main par rapport à ce soin  ?  » La main va bien entendu se positionner
tout en bas ou très basse.
—  «  Que pourrions-nous faire pour équilibrer la situation  ? Vous allez
fermer les yeux et laisser vos mains travailler de concert avec votre
inconscient afin de régler ce déséquilibre. » On laisse le patient mobiliser
ses mains jusqu’à l’équilibre puis, on lui demande :
— « Comment est votre peur maintenant ? » Il montre alors une main plus
basse (généralement le niveau de ce qu’il considère comme un degré de
peur confortable) ou nous pouvons aussi lui demander de décrire sa peur.
Il est, à ce stade, possible et judicieux d’utiliser la catalepsie du bras pour
induire et approfondir l’hypnose comme décrit ultérieurement.

■ Distraction
La distraction, très souvent utilisée par les parents avec leurs enfants, est
efficace pour se détacher de la douleur, s’en éloigner, « écouter » autre chose.
Elle n’est, cependant, qu’un simple moyen de détourner l’attention. Elle
peut être utilisée comme technique d’induction à l’hypnose, mais demeure
insuffisante pour un soin.
■ Lieu sûr ou souvenir agréable
On peut profiter de ce moment d’hypnose conversationnelle pour faire
évoquer au patient un lieu sûr ou un souvenir agréable, qui pourra nous être
utile en guise d’induction. Par exemple, en lui demandant ce qu’il fait
habituellement à cette heure-ci quand il n’est pas avec nous. Ou encore en le
questionnant sur ses loisirs, ou sur la manière dont il va se détendre en
sortant du cabinet (projection temporelle).

■ Catalepsie
J’utilise la catalepsie du bras pour certaines inductions, notamment après une
échelle de peur ou d’anxiété. Ma technique (décrite page 177) est un peu
plus longue qu’une «  simple  » catalepsie, puisqu’elle va me servir, à la fois
d’induction, et quand j’en ai besoin, d’approfondissement.
Par des métaphores en cours de soin, on va utiliser également la catalepsie de
la bouche ouverte, afin d’éviter une fatigue musculaire lors de longues
séances.

■ Réification
Lors d’une anxiété importante ou d’une phobie, on va pouvoir demander au
patient comment il reconnaît cette peur dans son corps  : «  C’est comme
quoi ? »

On peut également aider le patient à la manière d’un portrait chinois87. On


va ensuite l’emmener à modifier différents paramètres en modifiant la forme,
la couleur, la matière, le poids, le bruit, l’endroit où se trouve cette peur, etc.
jusqu’à la rendre acceptable.

■ Cas particulier des enfants en bas âge


Je fais parler mes instruments, qui deviennent M. Gratte-gratte, M. et Mme
Tout-doux, M. l’éléphant avec sa trompe aspirante, M. Escargot, etc. Tous
ces personnages racontent des blagues, chantent, en «  faisant le ménage  »
dans la bouche pendant que l’enfant chatouille ou caresse un instrument ou
son doudou. On donne ainsi un rôle actif à l’enfant, on le focalise de
manière hypnotique (en faisant parler le doudou par exemple) sur la
sensorialité d’une autre région de son corps que celle où se déroule le soin.
Les suggestions de caresses ou chatouillements s’intègrent dans l’histoire, ou
le jeu de marionnettes des instruments utilisés (que l’on fait parler) ; ce qui
permet aussi de créer de la confusion chez l’enfant, en incluant les
perceptions réelles tout en le plongeant dans son monde imaginaire.

L’hypnose formelle
Les soins dentaires nécessitent des séances longues, parfois même très
longues, on a donc souvent recours à de l’hypnose formelle. Nous ne
pouvons pas détailler les techniques ici. Mais nous verrons comment gérer
l’urgence dans ce genre de séances. L’hypnose formelle comprend, en
chirurgie dentaire comme dans toute autre discipline ayant recours à
l’hypnose, quatre phases :
— l’induction ;
— l’approfondissement ;
—  le travail sous hypnose (durant lequel nous aurons parfois recours à des
suggestions directes pour faire face à une urgence en cours de soin) ;
— un retour.
Dans le contexte urgent, nous décrirons, dans la deuxième partie, quelques
inductions rapides, un approfondissement original et utile en chirurgie
longue parce qu’il permet d’obtenir une transe profonde dans un délai court.
Nous allons aussi détailler l’utilisation de suggestions directes lors du travail
hypnotique pour obtenir des effets physiques immédiats.

3.  Les contextes d’urgence en médecine


dentaire

Nous allons, ici, nous attarder sur les contextes d’urgence. Dans un cabinet
dentaire, l’induction hypnotique, dans tous les cas, va devoir être la plus
rapide possible, afin de ne pas empiéter sur le créneau horaire réservé et
prédéfini pour chaque acte technique. Cependant, certaines situations vont
être considérées comme urgentes :
— le réflexe nauséeux survenant lors une prise d’empreinte ;
— la douleur de pulpite aiguë nécessitant une anesthésie intrapulpaire (geste
extrêmement douloureux mais bref). En milieu très inflammatoire et/ou
très infectieux, les tissus sont très acides, ce qui rend les conditions peu
propices à une bonne diffusion des molécules anesthésiques (elles-mêmes
acides) au sein des tissus nerveux à anesthésier ;
— la phobie de l’aiguille alors que le soin nécessite une anesthésie ;
— la réduction du débit salivaire ;
— la réduction du débit sanguin ;
— la gestion d’une crise d’angoisse.
— la prise en charge d’un enfant en pleurs.
Il est important de rappeler que, malgré le contexte d’urgence, l’hypnose
s’inscrit dans le cadre d’une relation thérapeutique. D’autre part, je tiens à
spécifier que les soins techniques demeurent identiques, particulièrement en
ce qui concerne l’anesthésie, qui est toujours utilisée dans les actes qui la
nécessitent. Il s’avère, cependant, que les patients ne demandent plus de
« rappel » d’anesthésie (injection supplémentaire en cours de soins parce que
le patient sent à nouveau des douleurs dans la zone anesthésiée) depuis que
j’utilise l’hypnose concomitamment.
On entend parfois dire que l’hypnose seule peut être utilisée pour une
extraction dentaire en cas de contre-indication absolue à l’anesthésie. Il est
permis d’en douter, et pour ma part je ne tenterai jamais de l’expérimenter,
puisque comme nous le rappelle le professeur Vianney Descroix,
chirurgien-­dentiste qui utilise l’hypnose en odontologie à la Pitié-Salpêtrière
à Paris, une étude88 à grande échelle révèle que seulement 5  % de la
population mondiale serait capable de supporter de tels soins sans anesthésie.
J’invite chaque praticien à ne voir ici qu’une source d’inspiration et en
aucun cas des scripts à appliquer stricto sensu. Ce serait une façon
dommageable de réduire les possibilités que nous offre la palette créative de
l’hypnose de nous adapter à chaque patient, afin de créer cette précieuse
alliance thérapeutique bien plus forte que la simple confiance.

Quelques inductions rapides

Cas d’une jeune enfant de 5 ans en pleurs avant le soin


Utilisation d’un ballon gonflé d’hélium accroché au poignet induisant une catalepsie du
bras avec confusion.
- « Tu aimes les ballons Mathilde ?
... Regard détourné
- Les ballons de la foire ?
- Oui (entre deux pleurs).
- Moi j’en ai un magique, regarde, il n’apparait que dans le silence, je vais attacher sa
ficelle autour de ton poignet, comme ça (geste simulant un nœud), tu vois sa ficelle ?
- Oui (elle arrête de pleurer).
- Elle est de quelle couleur ?
- Rose  » (catalepsie du bras, cessation des pleurs, on va s’installer et les soins peuvent
débuter).

■ Gestion de la peur lors d’une avulsion dentaire


L’acte décidé et programmé, la peur peut, parfois, le jour de l’intervention,
nécessiter une intervention hypnotique en urgence, afin de permettre la
réalisation de l’acte dans de bonnes conditions. Afin de créer surprise et
confusion, on va pouvoir utiliser des outils issus des thérapies brèves,
notamment les outils non spécifiques des thérapies brèves, notamment des
outils stratégiques visant à faire entrevoir au patient l’existence d’une
ressource dans son vécu, comme par exemple lui faire décrire une situation,
rebondir sur ses propos, pour le replonger dans une expérience où la
ressource était présente. Pour mieux comprendre, le plus simple est
d’analyser un cas clinique :
 
- « Oh Docteur, j’ai un peu peur aujourd’hui !
- C’est normal d’avoir un peu peur, Mme Martin (on rebondit sur ses propos), vous avez
peur de quoi (effet de surprise et confusion en faisant décrire sa peur, d’habitude on se
contente de dire que l’on a peur) ?
- J’ai peur de... refermer la bouche (on aurait pu s’attendre à une peur d’avoir mal, ou une
peur de l’anesthésie, d’où l’intérêt de questionner).
- Ah oui ? Vous pensez que vous pourriez refermer la bouche ? Et qu’est-ce qui vous fait
penser ça (pendant tout le temps de ce questionnement, je prépare l’anesthésie) ?
- Je n’ai pas confiance en moi.
- Est-ce que vous vous souvenez d’un jour où vous avez eu une grande confiance en
vous ?
- Euh... ah oui (sourire) !
- Est-ce que ce serait possible pour vous de fermer les yeux, là maintenant (directivité)
et d’aller dans ce souvenir  ? (La patiente ferme les yeux.) Vous allez laisser vos yeux
vous montrer tous les détails de cet endroit où vous vous trouvez pendant que vos
oreilles vous transmettent les sons de ce lieu, peut-être des voix de personnes qui vous
entourent ou vous encouragent (suggestions indirectes) pendant que.... (description de
tout le VAKOG, tout en réalisant la pose de l’anesthésie et le geste technique).
- Voilà, c’est terminé !
- Déjà ? Je n’ai rien senti ! »

Voilà un exemple d’hypnose conversationnelle sans induction formelle


particulière. On joue, dans cet exemple, sur l’effet de surprise et la
confusion.

■ Induction par catalepsie du bras chez l’adulte


Ce type d’induction sera particulièrement utilisé lorsque nous aurons fait
appel à une échelle de peur et de danger réel mobilisant les mains à la
manière de Rossi.

- «  Et maintenant que cette main est comme suspendue dans les airs (confusion)
seriez-vous d’accord pour l’observer, un peu comme si c’était la première fois que vous
voyiez cette main ?
- Oui (focalisation visuelle).
- En observant, par exemple, tous ses contours, les différences de couleurs entre le
dessus et le dessous de cette main, les différences de température, un peu comme si
c’était la main de quelqu’un d’autre (confusion). Sans doute même que déjà vous
commencez à avoir l’impression que cette main est comme un objet, comme si elle
était endormie, calmement, profondément (suggestions et saupoudrage), vous pouvez
d’ailleurs observer que certaines parties de cette main commencent à devenir
autonomes, à bouger sans que vous leur ayez demandé (confusion en observant les
tressaillements d’un doigt ou deux). Vous serait-il possible maintenant d’observer
suffisamment attentivement cette main pour pouvoir continuer à l’imaginer quand vos
yeux vont se fermer (suggestion directe).
- Oui.
- Quand ce sera bon pour vous, vous pourrez alors continuer à observer cette
(confusion) main derrière vos paupières fermées » (suggestion directe).
Les yeux se ferment, on peut alors approfondir avec le mouvement de la main qui
descend à son rythme vers la cuisse.

■ Utilisation du gant magique


Nous utilisons cette technique pour une appréhension de douleur lors d’un
soin ne nécessitant pas d’anesthésie en temps normal, comme un détartrage,
par exemple, chez un patient souffrant de phobie dentaire. Nous pouvons
également l’utiliser pour gérer la douleur d’une pulpite aiguë, dont nous
avons parlé précédemment, qui peut mettre en échec une anesthésie locale
classique et nous contraindre à pratiquer une anesthésie intrapulpaire. Dans
ce cas, ce geste technique est extrêmement bref mais douloureux.
Avant d’utiliser cette technique, je demande au patient s’il a déjà eu une
anesthésie locale et s’il peut me décrire les sensations qu’il avait ressenties et
qui lui avaient fait savoir que la zone était bien endormie, profondément
(saupoudrage), ce qui me permet ensuite de réutiliser son vocabulaire pour
amplifier ses sensations d’anesthésie (je ressens des picotements puis, ça
devient dur comme du bois, comme du carton, ça gonfle...). Pour créer un
effet de surprise, on peut dire au patient « aujourd’hui j’ai un cadeau pour
vous, un gant magique ! » En parlant au patient, on mime une situation où
l’on aurait un gant en main, on lui demande de décrire son gant idéal de
protection (couleur, matière, etc.) tout en massant ses doigts comme si on lui
enfilait) puis, on teste son efficacité avec différents stimuli sur chacune des
deux mains afin de comparer et enfin, on lui demande de poser cette main
gantée sur sa bouche pour l’endormir.

■ Utilisation du bain glacé


Il m’arrive également d’utiliser, selon le même principe que le gant magique,
le bain glacé.

Vous allez fermer les yeux et choisir une partie de votre corps que vous aimeriez
endormir, une main, un pied (confusion). Puis, vous allez imaginer que vous plongez
cette partie de votre corps dans un courant d’eau glacée ou peut-être un ruisseau en
altitude à la montagne, ou bien encore dans une bassine remplie de glace, jusqu’à
ressentir les sensations, comme quand on tient à main nue un aliment qui sort du
congélateur et que l’on ressent des picotements, des brûlures puis (réutiliser le
vocabulaire du patient), vous allez laisser cette partie de votre corps s’endormir, ainsi,
complètement, et quand ce sera bon pour vous, vous me le ferez savoir en laissant un
index se soulever (signaling). Très bien. Et maintenant, vous allez transférer cette
sensation dans un endroit que vous souhaitez endormir complètement, peut être votre
bouche ou toute votre tête (confusion) et vous allez imaginer que cette sensation diffuse
à travers vos nerfs ou tout autre circuit et vous pouvez même y ajouter de la glace,
autant que nécessaire, très bien, et à nouveau quand ce sera bon pour vous, un de vos
index se soulèvera ».

Approfondissement en « urgence »
Lors d’une chirurgie, sous anesthésie locale, on peut, à certains moments,
avoir besoin de la coopération du patient, et par conséquent souhaiter
pouvoir le sortir de son état léthargique lié à une hypnose profonde. On met
en place un système de «  variateur  » tactile, qui permet de palier à ce
problème et en même temps, d’obtenir une hypnose profonde par
fractionnement de la transe.
Le principe est de prévenir le patient que l’on va toucher son bras et en
l’accompagnant dans son approfondissement, on va lui suggérer que l’on
déplace un curseur de l’épaule vers le coude et que plus on déplace le
curseur vers le coude, plus l’hypnose est profonde.
À partir de maintenant, vous allez imaginer que plus vous descendez sur ce chemin,
plus vous rentrez profondément en vous-même et plus vous descendez en vous-même,
plus votre curseur d’hypnose se déplace vers votre coude (on glisse un doigt en parlant
depuis l’épaule vers le coude, lentement) et inversement (confusion  ; on peut alors
remonter légèrement le curseur et le redescendre lentement jusqu’au coude en ratifiant)
oui, voilà, comme ça. Maintenant, je vais remonter le curseur jusqu’à vous permettre
d’ouvrir à nouveau les yeux (on accompagne la parole du geste jusqu’à ce que le patient
ouvre les yeux) et maintenant, je vais le redescendre, pour que vos yeux se referment
et que vous puissiez descendre encore plus profondément en hypnose, aussi
profondément que nécessaire pour vous, oui, voilà, comme ça. Je vais lâcher ce
curseur, pour vous permettre de rester dans cet état que vous avez choisi (confusion,
puisqu’il n’a rien choisi). Et quand j’en aurais besoin, je remonterai ce curseur pour vous
permettre de sortir d’hypnose (suggestion directe avec ancrage).

Ce type d’approfondissement est très rapide et donc très utile pour répondre
au contexte « d’urgence » d’une chirurgie programmée. Si l’on a l’impression
que la transe n’est pas suffisamment profonde, on peut jouer plusieurs fois
avec le curseur pour la fractionner davantage.

Utilisation de la directivité

■ Gestion d’une phobie de l’aiguille lors d’une anesthésie


On va utiliser, ici, la directivité pour demander au patient de serrer son
poing et ainsi créer une catalepsie de la main.

Vous allez serrer l’un de vos poings en laissant toute la peur (externalisation de la peur)
se diriger vers ce poing. C’est plus facile de la sentir couler (confusion) en fermant les
yeux (suggestion directe), voilà, comme ça, et plus cette peur arrive dans ce poing et
plus le poing se serre, et plus il se serre, plus vous sentez le confort s’installer dans
tout le reste du corps (confusion), un peu comme un soulagement (saupoudrage) après
une forte émotion (suggestion de projection temporelle). Et quand le poing devient
tellement serré, tellement dur qu’il ne peut plus s’ouvrir (confusion induisant une
puissante catalepsie avec focalisation), rempli de toute cette peur, vous pouvez alors
imaginer un système, peut-être une petite soupape, peut-être une cheminée ou toute
autre chose qui permette à cette peur de sortir tout doucement de votre corps, comme
une fumée, peut-être même que cette fumée a une couleur, et plus elle s’échappe, plus
le confort s’installe dans tout le corps et aussi dans tout le poing. L’intervention est
terminée !

■ Gestion d’une crise d’angoisse après pose d’une anesthésie


L’anesthésie locale peut engendrer la peur de la douleur. Elle est, à ce titre,
un facteur d’apparition d’urgence médicale. Pour Matsuura (1989)89 (1), au
Japon, environ 55 % des situations d’urgence en cabinet dentaire ont eu lieu
durant l’anesthésie locale ou dans les cinq minutes suivantes. Même constat
pour Malamed90 (2) aux USA  : plus de la moitié des situations d’urgence
étaient des malaises vagaux (évanouissements), ou des phénomènes
d’hyperventilation, arrivant pendant ou juste après l’injection. Il s’agit, le
plus souvent, de réactions d’ordre psychogénique.
Ici, nous allons décrire une situation de tremblements généralisés du corps
chez une patiente après pose de l’anesthésie locale, lui faisant penser à une
réaction allergique, qui augmente encore son anxiété. Utilisation d’une
hypnose métaphorique directive. Je lui prends les deux mains et maintiens le
contact physique gage de réconfort, j’utilise une voix calme et rassurante, qui
lui transmet de façon non verbale ma capacité à gérer la situation.

«  Mme M, vous allez fermer les yeux (directivité) afin de mieux vous concentrer sur
toute cette énergie d’anesthésie et de calme qui diffuse dans tout votre corps sous
forme d’ondes vibratoires, un peu comme les ondes sonores d’une musique apaisante
(métaphore et saupoudrage). Vous allez imaginer que vous commandez le volume de
cette musique (on redonne du pouvoir à la patiente, elle ne subit plus la situation) à l’aide
d’un variateur, et vous allez commencer par augmenter le volume (elle tremble
davantage) oui, voilà, comme ça, et maintenant, vous allez le diminuer (les tremblements
s’apaisent), parfait, maintenant vous allez pouvoir régler le variateur au volume qui
vous convient le mieux, afin de conserver un souvenir agréable (saupoudrage) de cette
expérience (suggestion post-hypnotique) et ainsi, prendre une grande inspiration et
laisser vos yeux s’ouvrir si vous le souhaitez. »
 
On peut lâcher ses mains, la patiente est apaisée.
■ Gestion du saignement ou d’une hypersalivation en cours
d’intervention
Ce type de gestion n’est possible qu’au décours d’une hypnose formelle
permettant l’hypersuggestibilité. Ici, seule la directivité va être efficace  :
« vous allez fermer tous les robinets à votre disposition, afin de stopper tout
type d’écoulement, et ainsi permettre une intervention et une cicatrisation
dans les meilleures conditions (on en profite pour glisser une suggestion
post-hypnotique) ». Le saignement s’arrête instantanément, et si ce n’était pas
le cas, on peut ajouter «  comme si vous vouliez boucher les vaisseaux
sanguins responsables de cet écoulement » (éviter le mot saignement).
Ce type de suggestion est très utile et très efficace.

■ Gestion d’une prise d’empreinte avec réflexe nauséeux


Durant une prise d’empreinte, tant que le matériau n’a pas terminé sa prise,
il est très compliqué de retirer le porte-empreinte. Je vais donc détailler, ici,
un exemple de script que j’utilise en cas de réflexe nauséeux :

«  On va vous installer assis, ici, bien confortablement (saupoudrage), et pendant que


j’insérerai calmement (saupoudrage) le porte-empreinte dans votre bouche, on va
bloquer le nerf responsable du réflexe (surprise  !) en respirant très fort par le nez
(confusion), jusqu’à entendre le bruit de l’air dans les narines (focalisation). Je n’entends
rien ! Plus fort, voilà, comme ça, c’est très bien !
On baisse les épaules et on se penche en avant pour augmenter la capacité de la cage
thoracique (confusion, on fait tout le contraire !) très bien, et voilà, c’est terminé ! »
 
Cette technique est rapide et très efficace. On peut également l’utiliser dans un cas de
toux spasmodique.

■ Minimalisme
Dans le cas de plusieurs séances utilisant l’hypnose pour un même patient,
j’utilise fréquemment le minimalisme. Au fond, c’est une approche directive
car, en disant le moins de mots possible, on dit très clairement au patient de
faire tout le travail.
« Voilà, installez-vous dans le fauteuil et vous pourrez laisser vos yeux se fermer afin
que votre corps et votre esprit retrouvent l’état confortable dans lequel ils aiment se
mettre pour les soins. Voilà, c’est très bien. Et vous pouvez laisser votre corps prendre
sa place sur ce siège, sa juste place, juste sa place, très bien, pendant que vous prenez
une grande inspiration par la bouche (ouverture buccale permettant les soins), voilà. »
 
Et les soins débutent.

4.  Conclusion

Je pourrais résumer l’apport de l’hypnose au cabinet dentaire de cette


manière :
— la complémentarité de l’hypnose aux techniques de soins habituelles ;
—  le gain de temps par diminution des résistances et des phénomènes de
lutte des patients ;
— l’humanisation des soins techniques ;
—  le retour du plaisir «  d’être soignant  » au-delà de la technique par
amélioration de la relation au patient,
— un champ d’application vaste.
On a pu constater, dans ce chapitre, la place prépondérante de la
bienveillance malgré la directivité de certaines techniques utilisées. En dehors
du geste technique qui nécessite une position haute de la part du chirurgien-
dentiste, il est indispensable de retrouver une position basse, qui laisse de la
place au patient, dans tous les autres aspects de la relation thérapeutique, gage
de réussite d’une coopération efficace soignant-soigné.

85. Derbyshire SWG et al., «  Cerebral activation during hypnotically induced and imagined pain  ». Neuroimage 2004
Sep;23(1):392-401.
86. Le cabinet dentaire est un lieu anxiogène pour la plupart des patients, il va s’agir ici de transformer ces perceptions
négatives en perceptions positives, d’apaisement ; on va transformer ce cadre anxiogène en un cadre sécurisant.
87. On appelle portrait chinois une méthode d’enquête projective sous forme de questions du type : « Si votre peur était...
une couleur, un objet, une musique... » ; c’est en réalité une métaphore qui sert à transposer un élément, ici la peur, dans
un autre contexte.
88. Facco E, Casiglia E, Masiero S, Tikhonoff V, Giacomello M, Zanette G. « Effects of hypnotic focused analgesia on dental
pain threshold ». Int J Clin Exp Hypn. 2011; 59(4):454-468.
La notion de « 5% de la population », vient d’une interview du Dr Jean-Marc BENHAIEM, qui estime qu’une extraction
dentaire est techniquement possible chez les 5 % de patients hyper-suggestibles, c’est-à-dire très sensibles à l’hypnose.
Pour lui, l’hypnose n’est pas une alternative à l’anesthésie, mais un appui, elle sert surtout à réduire l’appréhension de
l’extraction. (Article  : Barge S. «  Sous hypnose on peut se faire arracher une dent sans souffrir  ». Le Point.fr. 8 mars
2013).
89. Matsuura H, Analysis of systemic complications and deaths during dental treatment in Japan, Anesth Prog. 1989 Jul-Oct;
36(4-5): 223–225.
90. Malamed S, Medical Emergencies in the Dental Office, 7th Edition, Elsevier Published Date: 4th November 2014.
 10  L’hypnose en urgence
en salle d’accouchement
Sabine Robier

Sabine Robier est sage-femme en Guadeloupe et intègre l’hypnose depuis plusieurs


années dans sa pratique en salle d’accouchement. En ce moment unique où émotion,
douleur, intensité du ressenti, force et fragilité s’entremêlent, elle nous montre, à
partir de plusieurs cas concrets, comment l’hypnose aide ses patientes en toutes
circonstances, depuis l’accueil des couples avec de simples explications jusqu’à de
véritables urgences obstétricales. En salle d’accouchement, on peut passer en
quelques minutes d’un accouchement qui s’annonçait physiologique à une césarienne
en urgence. Comment faire face à ce changement de rythme ? Une notion importante
à retenir : l’urgence se prépare. Quand la situation est encore calme, on peut semer
des graines dont on récoltera les fruits si le rythme s’accélère et s’emballe. On peut
poser des mots et des ancrages qui permettront d’agir plus vite si besoin afin que les
explications et consignes soient comprises et réduites à leur minimum pour que la
situation soit la moins traumatique possible.

1.  Introduction

Je suis sage-femme depuis 25 ans. J’ai passé la grande majorité de mes gardes
en salle d’accouchement. J’ai eu l’opportunité de m’initier à l’hypnose, il y a
quelques années et, à compter de ce moment-là, je n’ai plus jamais
communiqué de la même manière.
La salle d’accouchement est un lieu particulier où cohabitent de nombreuses
émotions : la joie, la fierté, le dépassement de soi mais aussi la peur : de la
douleur, de ne pas être à la hauteur, d’être dépassée, de se sentir submergée,
dépossédée de son corps, voire incomprise, et, en arrière-plan voire souvent
en toile de fond, la peur de la mort.
Le besoin des femmes et des couples que l’on reçoit est bien plus que celui
d’être rassuré, leurs attentes vont bien au-delà de quelques mots rassurants.
Mais en plus des craintes de chacun, il y a la douleur des contractions,
rythmée, qui s’intensifie au cours du temps, parfois vécue comme
extrêmement violente. Il arrive que nous n’ayons que quelques minutes
d’accalmie entre deux contractions, dont il faut profiter pour établir un lien
de confiance réciproque, une alliance thérapeutique que l’on va consolider
au fil du temps. C’est d’autant plus fondamental que la situation peut
basculer très rapidement dans l’URGENCE.
Utilisée «  incognito  » (en conversationnel) ou de manière formelle (avec
induction et phénomènes hypnotiques), l’hypnose est «  tout terrain  »  : elle
permet parfois de débloquer des situations aussi extrêmes qu’une stagnation
du travail dans un contexte de mort fœtale in utéro, que d’accompagner des
couples dans des circonstances anxiogènes, gérer des douleurs intenses,
compléter une anesthésie locale pour un geste chirurgical, réguler des
vomissements gravidiques, calmer des contractions survenues
prématurément, faciliter la version par manœuvre externe d’un fœtus se
présentant par le siège...
Je voudrais souligner, dans ces pages, que dans ces situations de fragilité
potentionnellement instables, l’urgence, paradoxa­lement, se prépare. Ce
que l’on fait avant, détermine ce que l’on pourra faire pendant, si l’urgence
survient.

2.  Premier contact

On dit souvent que tout se joue dès le premier contact. Mais c’est encore
plus vrai lorsque ce premier contact a lieu dans l’urgence, l’agitation, la
panique, les cris et les pleurs, ou même dans un silence lourd de sens cachés
à « éclairer ».
La première intention en accueillant la patiente est de la rejoindre dans sa
réalité du moment avec empathie, en reconnaissant, en acceptant le ressenti,
en ratifiant et me synchronisant sur tout ce que l’on peut observer (rythme
de voix, vocabulaire, comportements, mimiques, regards…)  ; par exemple,
en lui disant :
- « Les contractions sont douloureuses, c’est difficile… » 
- « Vous semblez inquiète… »
- « Est-ce que je me trompe ou vous êtes contrariée ? »
Le simple fait d’énoncer à haute voix, de reformuler ce que la patiente vit lui
apporte un soulagement. Elle se sent entendue et reconnue dans la légitimité
de sa plainte et de son ressenti.
C’est seulement à partir de là qu’on peut l’aider à trouver une solution pour
changer ce qui est inconfortable.
En me synchronisant à son rythme respiratoire (en général, soutenu),
j’entame une conversation, et au fil du discours, je ralentis le rythme :
- « Avez-vous remarqué que la tension amplifie la douleur ? Que plus vous
anticipez chaque contraction à venir et plus elles semblent se rapprocher…
durer… s’intensifier ? 
- Je suis sûre que vous avez déjà constaté à quel point… après un moment de
tension… un soupir profond permet d’accéder à du soulagement…
D’ailleurs c’est instinctif… comme si une partie de nous savait… qu’en
expirant profondément… (j’expire moi-même pour lui montrer), le relâchement
va suivre.
Il est important de rester attentif à ce que les suggestions soient validées  :
hochements de tête et visage qui se décrispe. À son tour de se synchroniser,
de m’imiter et de me ratifier !
La patiente s’étant calmée car se sentant comprise et entendue, la
synchronisation devient facile et l’apaisement s’en suit. Elle est alors tout à
votre écoute car en quelques minutes, elle s’est rendu compte par elle-même,
sans vraiment savoir comment, que le calme est de retour. Le rapport
s’établit sur cette base. Vous devenez une «  bouée  » à laquelle s’accrocher
dans cette situation où elle perdait pied, se croyait seule et ne voyait pas
d’issue, le soutien dont elle avait besoin pour retrouver sa confiance en elle.
Pour l’autonomiser un peu, je lui propose de se focaliser sur sa respiration
pour qu’elle teste par elle-même ce que cela change dans son ressenti  :
diminuer sa douleur, atténuer sa peur, reprendre le contrôle.

«  Tandis que vous respirez calmement, la détente musculaire peut s’installer. C’est
comme si, à chaque inspiration, vous absorbez toute la sérénité dont vous avez besoin,
comme si chaque fibre musculaire se relâche jusqu’au niveau de l’utérus et la
contraction peut alors vous sembler, plus facile à gérer. Elle peut démarrer plus tard, et
vous paraître plus courte… et si elle est plus courte, c’est que le temps de pause est
plus long n’est-ce-pas (légère confusion) ?
- Ah oui !
- Alors, continuez ce que vous savez très bien faire, maintenir cette respiration, elle est
fondamentale pour vous et votre bébé, simplement, inspirez par le nez et prenez le
temps d’expirer lentement, un peu comme si, à chaque fois que vous inspirez, vous
laissez pénétrer la détente et à chaque fois que vous expirez, vous éliminez tout ce qui
vous dérange. Laissez la contraction arriver. Quand elle se présente, l’observer de loin,
la laisser passer, puis, s’éloigner et imaginez, qu’à chaque contraction, cela vous
rapproche de la naissance de votre bébé.
Après trois ou quatre contractions :
- C’est exactement ça, vous faites cela très bien. Vous avez remarqué comme le temps
de la contraction s’est écourté n’est-ce pas  ? Et comme le temps de récupération a
augmenté ? Simplement en respirant. »

Une fois que la patiente a validé cette expérience (par exemple, par un yes-
set) le lien thérapeutique est établi. Elle ne doit sa réussite qu’à elle-même et
vous êtes devenu un soignant sur qui elle peut se reposer et en qui elle peut
avoir confiance pour trouver ses propres ressources.
Souvent, en quelques minutes, la patiente et même le conjoint s’apaisent. Les
contractions sont toujours là mais elles sont perçues autrement. Elles ne sont
plus redoutées mais accompagnées et deviennent supportables.

3.  Cas cliniques

À
À partir de cas concrets, je vais illustrer la manière dont cette communication
influente fonctionne quel que soit le contexte : lors de simples explications
mais aussi lorsque l’urgence pointe le bout de son nez.

Assurer le confort lors d’un geste invasif

Une situation « tendue »


Ma collègue sage-femme reçoit Mme D. en salle d’accouchement. Il s’agit d’une future
maman en début de travail (à 4 cm de dilatation) à terme, enceinte de son deuxième
enfant. Elle est algique, tendue et semble tout aussi inquiète que son mari, qui lui, est à
l’affut du moindre dysfonctionnement potentiel dans la prise en charge de sa femme.
Le contexte est anxiogène. En effet, cette maman s’apprête à donner naissance à un
enfant polymalformé puisque le couple a choisi de refuser l’interruption médicale de
grossesse qui a été proposée et d’accueillir leur enfant quel que soit son état de santé.
Le pronostic vital de leur bébé est incertain et personne ne sait s’il naitra mort ou
vivant  ; et s’il naît vivant, personne ne sait pour combien de temps (les parents ne
souhaitant pas d’acharnement thérapeutique).
Nous avons besoin de poser une perfusion afin de pouvoir, par la suite, lui faire
bénéficier d’une péridurale. Or, après trois tentatives de pose de voie veineuse, l’échec
est total. Ma collègue m’appelle à la rescousse.
Instantanément, je me synchronise sur le rythme respiratoire de la patiente :
- « Bonjour Mme D, je suis Sabine, je suis sage-femme comme Colette, et on travaille
aujourd’hui avec le Dr P (anesthésiste). On dirait bien que poser une perfusion n’est pas
facile… Alors je vais avoir besoin de vous pour m’aider… (surprise chez la patiente).
Parfois, lorsque l’on est inquiète, douloureuse, agacée, voire en colère ou triste… (je
ratifie tout ce que je vois), cela entraine une certaine tension dans le corps… et cette
crispation peut même s’installer jusque dans le réseau veineux… un peu comme des
cordes qui se tendent et qui, par conséquent, diminuent leur diamètre… vous voyez  ?
(j’utilise une métaphore pour capter son attention)
- Très bien oui…
- Je vais vous demander de porter votre attention sur votre respiration. Vous avez déjà
remarqué à quel point un soupir profond peut apporter un soulagement immédiat
n’est-ce pas (Hochement de tête)  ? Alors, vous allez simplement prendre une grande
inspiration et souffler, le plus doucement possible (je ralentis le débit de mes mots au fur
et à mesure que sa fréquence respiratoire diminue), voilà comme ça… pendant que je
cherche une veine qui commence déjà à se dilater, pendant que vous respirez
calmement. Parfait. Vous faites cela très bien. J’ai trouvé  ! Si une contraction arrive,
vous allez continuer à respirer à ce rythme, comme si, à chaque fois que vous soufflez,
vous faites partir toutes les tensions, les « il faut », les « je dois »..., tout ce qui vous
dérange… pour rester confortable… et laissez passer cette contraction… un peu comme
une vague… que l’on observe de loin…
J’y vais, très bien, tout se passe très bien, et gardez ce rythme… (une contraction arrive
et la patiente met en application ce que je viens de lui expliquer tandis que je fais la même
chose qu’elle). Et soufflez, le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’elle disparaisse…
Avez-vous remarquez à quel point cette contraction a été beaucoup plus courte, plus
facile à gérer… (hochement de tête). Super, vous êtes extra !
Et la perfusion est posée. Merci ! Vous m’avez bien aidée. »
Ce bref discours m’a permis de créer une alliance thérapeutique forte avec la patiente
mais aussi avec son mari (à garder en vision périphérique, car souvent les papas sont
embarqués dans l’expérience et s’en vont... ailleurs  ! En tous cas, celui-ci a perdu sa
vigilance excessive).
« Vous avez les talents d’une oratrice ! » me dit-il. « Vous devriez écrire ». Je souris :
« Si vous le dites… »

■ Avantages
—  La patiente s’est sentie reconnue dans ce qu’elle était (tendue,
inquiète…).
—  Ce que je lui ai proposé comme outil lui a permis de retrouver son
calme, elle en a donc validé l’utilité.
— Ce moyen qu’elle a à disposition lui appartient et elle peut le contrôler
(autonomie).
— Et en adoptant ce procédé, elle m’a aidée à l’aider !
— Un rapport de confiance réciproque est établi.
J’ai donc utilisé cette même stratégie pour l’accompagner dans la pose de sa
péridurale à cette même patiente. L’anesthésiste a eu le temps de remplir sa
tâche dans le calme, à tel point que lui me dit s’être senti parfaitement
serein ! (Enfin, tant qu’il ne ferme pas également les yeux tout va bien !)
L’alliance est donc étendue à  l’équipe médicale. Les parents, plus rassurés
concernant leur prise en charge médicale, peuvent se consacrer à leurs
émotions de l’instant présent. Au moment de rallonger la patiente, j’ajoute
une suggestion qui relie ce qui a été vécue à ce qui va suivre :
«  Ne soyez pas agréablement surprise si le travail avance plus vite que prévu car la
détente de l’esprit s’accompagne souvent d’un relâchement en profondeur du corps, du
col, laissant simplement le bébé plonger dans le bassin, glisser comme sur un
toboggan » (sourire).

Mme D. a accouché une heure plus tard.

■ Accouchement imminent et reprise de contrôle

Panique et réification
Mme A. arrive en salle d’accouchement dans la précipitation. Il s’agit d’une multipare
(troisième enfant à venir) que l’on vient d’accueillir aux urgences à dilatation complète
(accouchement imminent). Ses contractions sont violentes ; elle ne sait plus comment
se positionner, comment respirer et elle est très agitée. Le temps pour la « rejoindre »
est court.
Comme toute personne qui souffre, elle est déjà dissociée donc il est très facile de la
rejoindre et d’activer l’imaginaire, et sa motivation car elle est «  prête à tout  » pour
obtenir un soulagement.
Sur un rythme soutenu, j’amorce la conversation :
-  «  Bonjour Mme A, je suis Sabine, la sage-femme et c’est moi qui vais m’occuper de
vous. 
- Faites quelque chose… s’il vous plait… Aaaah !
- Rassurez-vous, je vais vous aider, écoutez-moi (et je baisse le ton, le but étant qu’elle
soit obligée de se calmer pour m’entendre). Elle est comment cette contraction ? 
- Elle fait mal ! »
Mon phrasé est alors ferme, tranché, direct.
- « Est-ce qu’elle serre, elle brûle ou autre chose ? 
- Elle serre fort, comme un étau ! 
- Ok, il a quelle couleur cet étau ? 
- Heu… rouge.
-  Vous savez, toutes les nuits on rêve, on imagine… et tout ça semble tellement réel
n’est-ce pas  ? Comme si on le vivait vraiment alors qu’on ne fait que l’imaginer. Et
qu’est-ce que vous pouvez imaginer pour que cet étau rouge se relâche ? 
- Le desserrer.
- Et il devient de quelle couleur quand il se desserre ?
- Plus clair… beaucoup plus clair.
- Quelle couleur vous rajouter pour que le rouge devienne plus clair ?
- Du blanc.
- Alors, avant la prochaine contraction, imaginez cet étau rouge… et à chaque fois que
vous soufflez du blanc, faites-le se desserrer, soyez bien attentive. Voyez-le s’écarter
de plus en plus à chaque fois que vous soufflez et plus il se relâche et plus il s’éclaircit,
plus cela devient supportable. Pendant que vous respirez et desserrez l’étau, je vais
vous installer plus confortablement, parce que tandis que tout se relâche… et qu’il y a
plus de place pour votre bébé, vous pourriez être surprise de la vitesse à laquelle il
amorce sa descente dans le bassin, comme si en créant de l’espace… vous le laissez
passer… glisser… plonger… pour, dans un moment, émerger… alors sentez-vous libre
de continuer ce que vous avez commencé  : desserrer, relâcher, respirer le blanc qui
éclaircit, qui transforme, alors que tout devient tellement… plus clair… très bien
exactement comme ça. Cette impression de se déconnecter de soi-même pour revenir…
quand l’envie de pousser va apparaître… et vous pouvez imaginer dans quelques
instants… accueillir votre bébé avec cette satisfaction intérieure d’avoir accompli votre
mission de maman  ; découvrir ce premier regard, certains traits de ressemblance
avec… alors laissez cette image se dessiner, quelque part…
Mme A. a accouché dix minutes après son arrivée, toute étonnée de la rapidité de la
naissance de son petit d’homme ! »

Encore une fois, l’importance ici d’accueillir la patiente dans sa réalité, de


valider son état présent, bref, de la rejoindre et de valider et de ratifier son
ressenti. Ce cheminement permet de créer rapidement une alliance, que l’on
pourra tisser tout au long du travail.

Désamorcer l’anxiété au bloc opératoire

« Faites ce que vous savez déjà faire »


Mme B arrive au bloc opératoire, dans un contexte semi urgent, puisque le médecin
vient de décider de pratiquer une césarienne à six mois de grossesse dans un contexte
de prééclampsie (hypertension artérielle à 19/12) avec des répercussions fœtales. La
patiente, infirmière de métier, arrive tendue, inquiète en ayant du mal à croire que
l’arrivée de son bébé est imminente.
Le temps de laisser les traitements préventifs intraveineux assurer la protection
neurologique du bébé, j’en profite pour faire connaissance.
- « Bonjour Mme B, je suis la sage-femme qui vais accueillir votre bébé. Comment vous
sentez-vous ?
- Tendue, inquiète…
- Qu’est-ce qui crée cette inquiétude ?
- La naissance prématurée de mon bébé.
- Je comprends… La naissance prématurée d’un bébé peut être source d’inquiétude
(reformulation et acceptation).
Je vérifie que la patiente a bien compris tous les éléments qui ont conduit l’équipe
médicale à prendre cette décision et m’assure qu’elle en a mesuré tous les enjeux. Mes
seules explications énoncées (et synchronisées sur ses expirations) commencent déjà à
l’apaiser (sa respiration se calme, les traits de son visage se détendent et j’ai toute son
attention). Alors je ralentis le rythme de mes paroles en incrustant des pauses
synchronisées aux respirations de la patiente.
- Et que faites-vous d’habitude quand vous vous sentez tendue  ? (recherche de
ressources existantes)
- Je me concentre sur ma respiration.
- Parfait ! Alors vous allez faire ce que vous savez déjà faire… car ce n’est pas à vous
que je vais expliquer l’intérêt de la respiration pour vous et votre bébé…Vous êtes la
seule…à pouvoir assurer cette mission… oxygéner votre bébé, le mieux possible,
jusqu’à sa naissance… et vous savez déjà… à quel point le fait de se focaliser sur la
respiration… peut permettre de libérer les tensions… et la faire diminuer… »
J’accompagne donc Mme B en salle d’opération et l’aide à s’installer tout en
l’encourageant à se concentrer sur sa respiration.
La tension s’est alors normalisée : 13/9. Je félicite donc cette dame, qui me sourit avec
une certaine surprise devant les effets bénéfiques et rapides qu’elle constate elle-
même. (Le lien thérapeutique débute sur la base d’une première réussite).
- « Maintenant que vous vous rendez compte à quel point votre rôle est important pour
assurer votre bien-être et celui de votre bébé, je vais vous demander de continuer à
respirer calmement et à chaque mouvement respiratoire, percevoir la sérénité qui
s’installe…
Le médecin anesthésiste va vous poser une rachianesthésie pendant que vous
continuez à inspirer… et… expirer… de mieux en mieux pendant que l’équipe médicale
va faire ce qu’elle a à faire. Alors, prenez le temps de vous reconnecter à vous-même…
libre à vous d’atténuer ou même… de supprimer les bruits de l’environnement pour
profiter de ce corps à corps avec votre bébé. C’est ça, chez la plupart des personnes,
quand elles respirent tranquillement, il y a comme un changement de perception, un
peu comme lorsque vous êtes complètement absorbée dans une conversation
passionnante tout en faisant abstraction du brouhaha extérieur (lieu commun). Et
pendant que vous écoutez ma voix et que vous respirez tranquillement, soyez juste
attentive à ce qui change (présupposé), ce peut être une impression de lourdeur ou de
légèreté, peu importe, quelque part... Je me demande par où commence la détente chez
vous ?
- Les épaules.
- Très bien. Alors, laissez cette détente des épaules s’accentuer à chaque respiration…
C’est comme être posée, reposée, et le dos peut alors s’arrondir, un peu comme si, sous
l’effet du souffle de votre respiration, le dos s’assouplit comme un roseau ou une canne
à sucre (nous sommes en Guadeloupe) qui ploie, de plus en plus, sous l’effet du vent…
(L’anesthésiste a fini de poser la rachianesthésie)
- Et pendant que tout se passe pour le mieux ici, imaginez-vous ailleurs, un lieu paisible
qui vous appartient. Je ne sais pas si c’est une création de votre esprit ou un lieu que
vous connaissez déjà. Cela n’a pas vraiment d’importance et dans cet espace
particulier, vous allez vous allonger (on rallonge la patiente sur la table opératoire).
Parfait, comme ça… et rapidement, il y a une sensation de chaleur qui s’installe, tout
cela est parfaitement normal…
- Avez-vous remarqué comment la lourdeur du bas du corps permet de percevoir toute
la légèreté de l’esprit, n’est-ce pas ?
- Oui…
- Alors, laissez les idées s’envoler et vous accompagner dans votre lieu privilégié,
ailleurs… cette impression d’être là, sans y être vraiment, quelques sensations
lointaines, tout en restant parfaitement calme et confortable… Je me demande ce qui
vous apaise le plus, les couleurs de ce décor peut-être, à moins que ce ne soit
l’atmosphère… (la patiente amplifie sa respiration)… c’est ça, une odeur particulière.
Prenez le temps d’arrêter le temps quelques instants pour profiter du moment. C’est
comme transmettre à votre bébé toutes les molécules d’oxygène dont il a besoin,
enrichies de ce quelque chose supplémentaire, cette capacité à laisser aller la
concentratrion (confusion) en toute confiance alors, puisez en ce lieu toutes les
ressources à votre disposition. Vous avez déjà franchi de nombreux obstacles. Vous
avez su trouver la détermination, la confiance, et bien d’autres choses encore pour
survoler les difficultés que vous avez, sans doute, déjà croisées au cours de votre vie
(truisme)… Alors, imaginez récolter tout ce savoir-faire, ce savoir être et le transmettre,
à chaque respiration, à votre enfant. C’est un peu comme lui faire le plus beau cadeau
du monde… (Sourire de la maman).
- Alors, dans quelques instants, ce sera le premier cri de votre bébé qui va simplement
vous ramener, dans l’ici et le maintenant, tout en gardant cette sérénité à l’intérieur. Ce
sera un peu sa manière à lui de vous remercier. Prenez encore le temps d’imaginer son
visage, ses traits de ressemblance avec son grand frère peut-être, son père ou vous-
même, un doux cocktail avec juste ce qu’il faut de…
Léonie (680 g) a alors annoncé son arrivée, sortant sa mère de son monde imaginaire,
des larmes de bonheur plein les yeux… » (avec une tension parfaitement normale tout le
temps de la césarienne).

Soulager les douleurs lors d’un déclenchement


Contractions
Il s’agit d’une jeune femme de 22 ans, d’origine haïtienne, enceinte de son premier
enfant (grossesse peu suivie et accouchement non préparé). Elle est déclenchée à
terme pour une rupture prématurée des membranes. Cette patiente a déjà eu deux gels
de prostaglandine dans le but de faire mûrir son col, et elle est confrontée à des
contractions douloureuses qu’elle n’arrive plus à gérer. Ma collègue lui a déjà donné un
antalgique (dérivé morphinique) qu’elle ne peut pas renouveler dans l’immédiat et le
col n’est pas suffisamment favorable pour envisager une péridurale.
Lorsque j’arrive dans la chambre de la patiente, elle est accroupie dans la salle de bain,
cherchant une position antalgique et me dit :
- « Faites quelque chose, je ne peux plus, je ne peux pas… »
Je reconnais instantanément sa douleur en lui disant :
- « C’est vrai Mme W. les contractions sont intenses et ce n’est pas facile (acceptation en
terme positif). Chaque contraction vous rapproche de la naissance de votre bébé
(truisme) et j’imagine que vous avez hâte de faire sa connaissance, n’est-ce pas ? (yes
set).
- Oui mais là…
- Vous avez déjà vécu des choses difficiles dans votre vie (lieu commun), vous savez, ces
moments où on a l’impression que l’on ne s’en sortira jamais n’est-ce pas ?
- Oui…
- Et une fois l’étape franchie, vous vous êtes rendu compte à quel point, au final, vous
avez su gérer la situation, avec peut-être même une satisfaction intérieure…
(Sourire en coin de la patiente)
- Alors, je propose que vous alliez vous installer plus confortablement (on se dirige vers
le lit) et vous n’avez pas besoin de vous détendre tout de suite (suggestion inversée et
présupposé), vous allez simplement vous concentrer sur votre respiration.
Une contraction arrive, la patiente se tend, se crispe.
- Soufflez pour éliminer cette tension, transformer cette sensation. Elle a quelle
couleur, quelle température ?
- Rouge, elle est rouge ! Elle brûle ! Elle serre !
- Alors à chaque expiration, imaginez ce rouge qui s’élimine, la température qui
baisse… à chaque inspiration c’est comme si vous respiriez le calme et extériorisiez
tout ce qui vous encombre… Voilà, comme ça, exactement. Vous faites ça très bien, et
regardez-la s’éloigner, diminuer et commencer à disparaître…
- Vous avez déjà remarqué comme cette contraction a été plus facile, plus courte aussi,
parce que la tension aggrave et amplifie les sensations désagréables n’est-ce pas  ?
Alors, profitez de cette accalmie et imaginez que le souffle d’air que vous expirez, vous
permet d’accompagner et de diminuer l’intensité de la contraction, un peu comme si
vous soufflez dans les voiles d’un bateau et que chaque expiration l’emporte plus loin,
tellement plus loin, que petit à petit, il disparaît à l’horizon… »
Les contractions s’enchaînent et la patiente retrouve son autonomie. Je profite donc de
ce retour au calme pour intégrer de nouvelles suggestions entre chaque contraction.
- «  Finalement, c’est un peu comme une étape, comme un voyage, en accompagnant
chaque contraction, vous vous synchronisez avec le voilier et votre bébé parce que son
voyage doit rester confortable et qu’en respirant, vous faites une équipe formidable
(métaphore). Vous lui apportez l’oxygène dont il a besoin et la sérénité pour mener à
bien son parcours. »
À chaque contraction, je sollicite Mme W pour qu’elle accompagne le voilier et qu’il
s’éloigne et file paisiblement à l’horizon.
- « Chaque contraction vous rapproche de la naissance de votre bébé, vous rapproche
de votre objectif, de votre destination et vous ne savez pas encore à quel moment la
détente de l’esprit va guider la détente du corps, et dans chaque partie de vous il se
passe quelque chose, et comme vous vous détendez, chaque fibre musculaire
s’assouplit. Et du coup, le col peut continuer à s’ouvrir, de plus en plus, un peu comme
un élastique, comme un carambar, vous savez ce bonbon sucré qui peut s’étirer,
s’affiner à volonté.
Alors, laissez la détente et la souplesse se diffuser, le corps cheminer, s’adapter, le
bébé se faufiler confortablement…
Ce qui est formidable, c’est que lorsque l’on est profondément dans cet état particulier,
la notion du temps devient flou. C’est comme prendre le temps de s’arrêter pour mieux
avancer (confusion). Vous ne savez pas vraiment depuis combien de temps vous
entendez ma voix n’est-ce pas ?
- Heu… Je ne sais pas (cela fait quinze minutes en réalité). Alors que je vais m’absenter
quelques temps, continuez à faire ce que vous savez déjà faire et ne soyez pas surprise
de la vitesse à laquelle les choses avancent et quand je reviendrai dans quelques
instants, il sera peut-être l’heure de monter en salle d’accouchement… »
Je suis revenue faire le point avec ma jeune patiente une heure trente plus tard… Elle
était alors à trois centimètres et a pu bénéficier, à sa demande, de la pose d’une
analgésie péridurale accompagnée de « la dame qui parle en faisant du bien » ….

4.  Conclusion

Dès la première prise de contact, une calibration au sujet me permet de


comprendre sa façon de percevoir le monde ; de ce fait, la patiente se sent
rapidement reconnue dans sa globalité avec ses difficultés du moment. S’en
suit une synchronisation (mirroring-pacing-leading) qui va me permettre de la
guider pour qu’elle découvre les ressources qu’elle a déjà en elle et que nous
allons pouvoir utiliser ensemble.
L’amélioration ressentie (physiquement et/ou psychologiquement) prouve
instantanément l’efficacité du processus  ; elle va fonder et souder l’alliance
thérapeutique.
Dans ce climat de confiance réciproque, le travail d’équipe peut se
poursuivre harmonieusement  : l’acceptation et la réalisation des soins
deviennent plus aisées.
Je conserve ce mode de communication tout le long de la prise en charge de
la patiente, même en cas de changement soudain (nécessité de réaliser une
césarienne ou de pratiquer une extraction instrumentale, par exemple)  : je
fournis alors les explications sur le même ton et le même rythme, tout en lui
demandant de s’isoler de l’agitation de l’équipe médicale qui sait faire ce
qu’elle a à faire, tandis qu’elle assure une mission fondamentale pour le bien-
être de son bébé comme si elle commençait à lui apprendre, dès maintenant
une première leçon de vie : savoir rester serein, se préserver, s’isoler dans sa
bulle de confort…
Après le récit de ces quelques « tranches de vie en salle d’accouchement »,
vous comprendrez que l’hypnose est devenue pour moi un outil de
communication complètement intégré dans mon quotidien. Il s’invite
naturellement dans ma manière d’échanger avec les patientes mais aussi avec
l’équipe médicale. Elle favorise la compréhension, harmonise les relations
«  soignant/soigné  » et «  soignant/soignant  » et peut même désamorcer de
potentiels conflits...
À l’heure où le monde de la santé est sous haute tension et où la
reconnaissance se fait rare, c’est une véritable satisfaction de constater le
soulagement et recevoir la gratitude des patientes. Cela encourage à
poursuivre ce métier que je pratique depuis de nombreuses années.
Je suis très reconnaissante envers les deux formateurs qui ont croisé ma route.
Ils ont su chacun à leur manière me faire découvrir une carte, sans frontière.
Ce savoir-faire, ce savoir-être qui se travaille indéfiniment, a ajouté de la
couleur et des saveurs au «  plus beau métier du monde  ». Il fait partie
intégrante de mon quotidien et élargit ma perception du monde.
 11  L’hypnose en urgence au cabinet de
médecine générale
Dr Idrissa N’diaye

Le Dr Idrissa Ndiaye est médecin généraliste à Nantes et formateur en hypnose. Il


interroge ici la notion d’urgence en médecine générale et explique comment
l’hypnose peut aider à la gérer. Bien entendu, cette technique peut servir pour toute
pratique de cabinet, notamment celles où la qualité de la relation humaine et le geste
technique s’entremêlent. On y aborde la notion d’urgence ressentie par le patient ou
le praticien. Par moments ces ressentis ne s’accordent pas et obligent le soignant à
moduler son approche.
Il est aussi intéressant pour terminer ce livre, d’orienter notre attention vers le
praticien, son confort, sa posture ainsi que la manière dont l’hypnose et
l’autohypnose permettent de se préparer comme de faire face à l’inconnu, et de gérer
la relation au patient, y compris en cas d’urgence.

1.  Les enjeux de la rapidité en médecine


générale

Définition de l’urgence en médecine générale


Quels sont les enjeux de la rapidité dans notre pratique ? Définissons ce que
peut être l’urgence en médecine générale : ce qui est urgent est « ce dont on
doit s’occuper sans retard  ». L’urgence en médecine générale est, dans la
majorité des cas, une urgence très différente de celle observée par un service
d’urgences d’un centre hospitalier. Les urgences d’un centre hospitalier ont
pour fonction, du moins en théorie, d’accueillir et de soigner les patients
souffrant d’une pathologie grave qui menacerait leur intégrité physique ou
mentale, leur santé dans un délai court. En cabinet de médecine générale,
toutes sortes de motifs de consultations peuvent se regrouper sous le nom de
«  consultations d’urgence  »  : cela peut aller du point de suture pour une
plaie, à l’évaluation d’une fièvre chez un nourrisson, en passant par les
premiers signes d’un accident vasculaire cérébral (AVC), d’un infarctus du
myocarde, d’une décompensation d’une maladie psychiatrique… La diversité
des motifs de consultation en médecine générale est similaire à la diversité
des motifs de consultations aux urgences. Mais la nuance se fera peut-être sur
le « véritable » degré d’urgence au regard de la survie du patient.
En considérant que ce qui est urgent est «  ce dont on doit s’occuper sans
retard », la notion d’urgence apparaît donc comme étant étroitement liée à la
notion de retard. D’emblée, posons que ce qui est perçu comme du retard
pour le médecin ne l’est peut-être pas pour le patient. Prenons comme
exemple, le fait qu’un patient n’ait pas fait une prise de sang, pourtant
prescrite par le médecin depuis plusieurs mois. Cet examen pouvait sembler
secondaire pour le patient mais primordial pour le médecin.
Mais si on prend, comme exemple, le cas d’une toux  : il s’agit d’un
symptôme que le médecin n’explorera en détails seulement après trois mois
de toux continue, ce qui sera perçu comme un retard pour le patient mais ne
l’est pas pour le médecin.
Puisque le retard est subjectif, l’urgence l’est de la même façon.

La rapidité s’articule autour de 4 types d’enjeux


dans notre pratique

■ La communication
Sans que son importance soit toujours perçue, mais parfois prioritaire,
l’urgence de communication est aussi un des défis du médecin généraliste :
apporter des informations les plus claires possibles dans un laps de temps le
plus bref possible, et que ces informations soient idéalement retenues par le
patient et/ou son entourage, pour permettre au médecin de travailler
sereinement et dans une relation de confiance, même en urgence  : vaste
défi  ! Cette «  pression relationnelle  » qui vient s’ajouter aux aspects
techniques, nécessite souvent que le médecin soit praticien et lui-même
bénéficiaire de l’hypnose.
■ La demande du patient
Rapidité perçue par le patient : l’urgence à répondre à sa demande ou son
besoin. Selon les critères du patient certains symptômes ressemblent à des
pathologies gravissimes. De simples palpitations cardiaques sont parfois
interprétées comme un début d’infarctus foudroyant, ou un rhume comme
un inconfort dont il faudrait se débarrasser au plus vite ! La production d’un
certificat de sport pour une compétition 48 heures plus tard peut sembler
urgent d’un point de vue administratif pour le patient.

■ Le diagnostic
Rapidité perçue par le médecin : il existe avant tout l’urgence diagnostique.
«  De quelle pathologie souffre mon patient  ?  ». Puis, l’urgence
thérapeutique : « Comment soigner mon patient le plus rapidement possible
et de la façon la plus efficiente possible  ?  ». Pour cela il peut avoir pour
objectif de réaliser un geste technique précis, le moins inconfortable possible
pour le patient et le plus correctement réalisé (frottis, point de suture).

■ L’équilibre
Rapidité du point de vue de l’équilibre physiologique  : l’urgence est alors
diagnostique et thérapeutique. Le fonctionnement du corps et de ses organes
est directement menacé. C’est le cas dans l’urgence somatique (infarctus,
AVC, décompensation cardiopulmonaire…) et l’urgence psychosomatique
(état de stress post-traumatique, attaque de panique, bouffée délirante aiguë,
phase maniaque).

2.  L’urgence de prendre soin de celui


qui prend soin

Avant d’aborder l’urgence de la consultation en elle-même, prenons le temps


d’évoquer l’urgence de la situation générale dans laquelle se trouve le corps
médical face au risque de burn-out.
 
Il est communément admis que la première des préoccupations du soignant,
quel qu’il soit, devrait être de répondre à ses propres besoins en termes, entre
autres, d’équilibre psychique et physique. Sans ce bien-être, le reste de ce
chapitre n’a pas lieu d’être. La première utilisation de l’hypnose en médecine
générale est celle qui concerne le médecin lui-même. Celui-ci choisit
l’hypnose formelle ou informelle, l’autohypnose… L’amélioration du confort
d’exercice permet, par exemple, une sensation de travail bien fait du
médecin, un sentiment de considération par ses pairs, ses patients et lui-
même et un sens donné à son métier…
Pour illustrer ce propos, évoquons la nécessité d’une «  autohypnose
d’entretien ». Cette autohypnose sera utile à moyen/long terme au médecin
la pratiquant. À la fin de la journée, digérer les situations de stress, intégrer la
charge noradrénergique vécue par son corps, l’impact émotionnel de
situations, parfois dramatiques, de certains patients, tout cela mobilise
intensément les médecins généralistes. Un excellent moyen de prévention du
burn-out est alors de prendre le temps nécessaire pour « intégrer » la journée,
parfois en ne faisant rien de particulier, parfois en se donnant le temps d’une
transe formelle, d’une réification du vécu de la journée… Un rituel
marquant la séparation entre journée de consultation et retour au domicile
peut s’apparenter à de mini-séances d’autohypnose.
Dans les exemples suivants, nous appellerons Alexandre le médecin
généraliste qui intervient.

Accéder aux ressources de l’autohypnose


Nous sommes une après-midi d’hiver calme et tranquille où les grippes
succèdent aux gastros qui elles même succèdent aux renouvellements de
traitement. Alexandre n’a que vingt minutes de retard… Pas mal pour un
lundi. Il tient le rythme. Soudain M. I (patient de 80 ans avec de nombreux
facteurs de risques cardiovasculaires) débarque dans la salle d’attente
accompagné de sa femme. Son teint est gris, il a extrêmement mal à la
poitrine, est essoufflé et menace de s’évanouir. Alexandre pense évidemment
à l’infarctus. Pour Alexandre, l’hypnose sera, à ce moment, un outil précieux
pour lui permettre d’activer des ressources telles que :
—  le calme (nécessaire pour avoir accès à ses connaissances théoriques
médicales, même si, pour certaines, elles sont sous-corticales) ;
— l’efficience (prioriser dans son examen clinique les signes à ne pas rater,
les diagnostics différentiels) ;
— la clarté de ses propos (au patient, à sa femme, à l’équipe du SAMU et sa
secrétaire),
Sa capacité d’organisation (choisir l’ordre dans lequel faire les choses  :
prévenir ses collègues du cabinet pour avoir de l’aide, éventuellement, dire à
la secrétaire de faire le 15, que quelqu’un s’occupe de l’épouse de M. I,
pendant qu’il peut examiner le patient pour apprécier le degré d’urgence.
Si Alexandre est habitué à l’autohypnose, il accédera plus aisément à ces
ressources auxquelles il a nécessairement déjà eu recours. Un, ou idéalement
des, ancrages à la fois internes mais aussi matérialisés par des objets dans son
cabinet lui permettront un accès rapide à ces éléments.
Cette autohypnose (AH) «  flash  » aura alors tout son intérêt dans des
situations de stress aigu. Elle repose sur un travail préventif antérieur au
moment de stress. Un peu comme un sportif s’entraîne bien avant une finale,
ou comme un musicien répète ses gammes avant de se produire sur scène.
Illustrons un peu plus chacun des points.
Pour accéder au calme : Alexandre aura pris soin depuis des mois voire des
années de pratiquer l’autohypnose. Mille possibilités s’offrent à lui. Pour n’en
citer qu’une  : cette auto­hypnose pourrait consister à définir les contours
précis de ce qu’est pour lui la notion de calme :
— à quelle sensation corporelle le calme le renvoit-il ;
— à quelle musique ;
—  à quel souvenir (avec précision du souvenir  : qui était présent dans ce
souvenir, était-ce à l’intérieur ou l’extérieur, en été ou en hiver, faisait-il
jour, quelle activité pratiquait-il).
Une fois au contact de ce qu’il estime représenter le calme, Alexandre peut
prendre le temps d’ancrer cette expérience, c’est-à-dire de créer un souvenir
(un geste, un objet, un mot) qui instantanément lui permettra de
« recontacter » cette notion de calme. Après quelques séances, il lui suffira de
quelques secondes pour retrouver les sensations de calme. Plus Alexandre
s’entraîne, plus l’accès au calme est rapide, complet et précis.
Pour accéder à l’efficience  : Alexandre pourra réaliser la tâche suivante  :
chaque fois qu’il constate chez lui un fonctionnement jugé «  efficient  », il
devra avec son pouce droit venir toucher la pulpe de son index droit puis
celle de son majeur droit puis de l’annulaire et enfin celle de l’auriculaire
puis faire le chemin inverse : annulaire droit, majeur droit et index. Rien de
plus. Au début, cette tâche lui semblera un peu « poussive », peut-être même
grotesque. Après quelques mois, elle sera parfaitement automatisée. La fois
où Alexandre aura besoin d’activer la ressource « efficience » chez lui, il lui
suffira de répéter ce mouvement des doigts pour déclencher artificiellement
les ressources inconscientes et conscientes lui permettant de travailler avec
efficience.
 

 
3.  L’urgence/importance perçue par le patient 

Si l’urgence médicale, qualifiée de «  vraie  » en médecine générale, est


relativement rare (infarctus, AVC), le sentiment d’urgence ressenti par les
patients est en revanche pluriquotidien. C’est à cette impression d’urgence
que le médecin généraliste doit apporter une réponse. Celle-ci doit satisfaire
le patient : répondre de façon urgente à un problème qui ne l’est pas. Si on a
pour intention de satisfaire le patient, il nous faudra répondre de façon
urgente à un problème qui ne l’est pas. Un peu de provocation ne faisant pas
de mal, nous pourrions aller jusqu’à dire que «  faire comme si  » on y
répondait de façon urgente suffit la plupart du temps. Par exemple,
reconnaître un malaise vagal dans la description clinique que peut en faire le
patient est une chose assez facile pour un médecin. Nombre de patients
inquiets de ce qui leur est arrivé lors du malaise vagal voient dans la prise de
tension artérielle le graal de la garantie d’un examen médical bien conduit.
Voyons la prise de tension comme un acte hypnotique urgent à réaliser  :
induction hypnotique avec focalisation de l’attention augmentant au rythme
de l’aiguille du tensiomètre, transe, le temps du brassard qui dégonfle et
message avec ancrage post-hypnotique dans le fameux «  tension de jeune
homme  !  » que voudra bien déclarer le médecin. L’urgence est alors de
considérer, par les paroles et les actes, le besoin d’agir «  sans retard  » à la
réassurance médicale concernant son malaise. Il en va de même pour
l’auscultation pulmonaire, l’examen abdominal…
Nous traiterons ici des consultations urgentes où le patient déclare «  avoir
besoin de voir un médecin dans la journée ».

Communication verbale hypnotique


Lors de ces consultations dites «  d’urgence  », le principal acte médical
consiste à accueillir le patient, écouter le propos et parfois, rassurer et
conseiller. Dans toute consultation de médecine générale, avant qu’il soit
question d’actes techniques, de prescriptions thérapeutiques, d’examens
cliniques, l’accueil et le recueil d’informations sont les étapes clés de la
consultation et cela s’avère particulièrement vrai dans la consultation
d’urgence. On s’aperçoit alors de la place primordiale prise par la
communication dans ces situations.
Une des définitions possibles de l’hypnose est d’être une communication
d’excellente qualité91. Une communication hypnotique permet donc une
écoute précise du patient dans la description de ses symptômes mais aussi
dans l’écoute de ce que dit le corps du patient sans que celui-ci ait à le
verbaliser. Il s’agit là, pour le praticien, d’adopter une attitude hypnotique au
sens d’une hyperfocalisation de l’attention du soignant sur les mots et les
gestes du patient  : un médecin formé à l’hypnose saura être attentif à ces
différents éléments : reformuler la plainte, explorer la demande, observer les
gestes conscients ou inconscients du patient, être vigilant aux manifestations
d’émotions parfois vite camouflées, positiver le discours, fractionner les
objectifs...
La communication de qualité permet aussi de faire passer des messages clairs
rapidement, et ancrés dans la mémoire du patient. Les médecins généralistes
formés à l’hypnose savent parfois mieux doser les silences, rythmer leurs
phrases, choisir l’intonation, appuyer du regard un propos, créer des ancrages
visuels (ordonnance) ou corporels (une main sur une épaule lors d’un propos
important).

Gestion de l’inconfort en situation d’urgence


La douleur physique et l’anxiété représentent deux symptômes présents dans
une écrasante majorité des consultations urgentes en médecine générale. Ces
symptômes s’autoalimentant l’un l’autre, savoir créer un espace de détente,
de confort, voire d’anesthésie, se révèle être extrêmement précieux.

« Du bon usage de la distraction avec les jeunes enfants »


Alexandre reçoit cette fois Camille, 4 ans, qui se présente le bras ballant. La maman dit
avoir tenté de retenir son bras avec la main alors qu’il partait dans la direction
opposée  : tout pousse à croire que la jeune Camille souffre d’une «  pronation
douloureuse  ». La manipulation permettant de réduire cette pronation douloureuse
(subluxation de la tête du radius) est relativement simple mais nécessite que l’enfant se
laisse manipuler et que le parent laisse Alexandre s’occuper de Camille. Cette dernière
doit, elle-même, être en confiance avec ce médecin qu’elle ne connait pas. En outre,
voilà vingt minutes qu’elle souffre du bras et qu’elle refuse à toute personne la
possibilité de l’approcher. Alexandre s’affaire donc à ce que l’attention de la jeune
Camille soit réorientée vers tout autre chose que son coude. Le médecin prend une
feuille de papier, la scotche sur un carreau de fenêtre et dessine un petit chat avec un
crayon à paillettes. Surjouant, forçant l’amusement tout en étant le plus authentique
possible (les enfants repèrent le manque d’authenticité), joignant le ton aux mimiques
du visage, Alexandre, les yeux écarquillés vers sa fenêtre s’étonne : « oh, as-tu vu ce
qui vient de passer par la fenêtre, là derrière le chat  ? Quel drôle d’animal, regarde
bien, il va repasser ». Et voilà Camille (et son parent) orientant toute son attention vers
tout ce qui pourrait passer devant la fenêtre. Distraite par l’étrange animal qui serait
passé derrière la fenêtre, Camille ignore tout de la manipulation effectuée en moins de
deux secondes sur son coude. Elle reste parfaitement calme et continue de chercher où
a bien pu passer l’animal… « Je ne vois rien » dit-elle un peu déçue. Alexandre continue
à la distraire et à forcer le trait «  C’était un oiseau avec de grandes ailes… il a dû
s’envoler. Tu sais voler toi Camille ? Moi, regarde comment je vole » et voilà Alexandre
qui bat des bras mimant un vol d’oiseau. « Allez maman tu montres comment tu sais
voler ». Et voilà la maman qui bat des ailes, elle aussi… « Bravo maman !!! Hey Camille,
on applaudit maman pour son vol ? »

Et voilà Camille qui après avoir battu des ailes plie son coude pour applaudir
sa maman… L’examen clinique d’Alexandre est fait : l’extension et la flexion
de coude sont retrouvées. Histoire close. L’examen clinique d’Alexandre
continue au-delà de la phase de distraction de l’attention : il s’assure que son
patient est déjà sur la voie de la guérison. Les mots prononcés par Alexandre
sur la fin de consultations seront autant de suggestions :
- autorisant l’enfant à réutiliser son bras en pleine liberté et en toute sécurité
dans les amplitudes les plus complètes, comme un oiseau...
- rassurant les parents (parfois, englués dans un sentiment de culpabilité) sur
leur excellent réflexe à avoir pris soin de leur enfant en l’amenant, ce qui
aura permis à cet épisode d’être le souvenir d’un vol d’oiseau magistral dont
on pourra se rappeler aussi longtemps et dont on pourra oublier tout le reste
(suggérant ainsi l’oubli de la douleur et de l’anxiété).

4.  L’urgence/importance perçue par le médecin


Les techniques utilisables sont par exemple  : distraction, saturation,
confusion.
Chez le médecin, le raisonnement conscient, l’analyse cognitive, la nécessité
plus ou moins consciente de s’accrocher à ce qui est «  possible  » ou
«  crédible  » ou encore «  validé par la science  » peut parfois entraver les
bénéfices que l’hypnose conversationnelle serait susceptible d’apporter. Face
à ces freins, la directivité et la confusion d’un échange informel peuvent se
révéler être des ressources utiles.

Hypoanalgésie : chasser l’inconfort


Didier, 58 ans, chasseur, arrive sans rendez-vous avec une plaie de 10 cm sur l’avant-
bras. Il est accompagné de sa femme. Sa partie de chasse a mal tourné et il a chuté
accidentellement sur une branche. L’urgence est du côté médical, à l’exploration de
cette plaie (s’assurer que les tendons sont intacts, qu’il n’y a pas de corps étranger…)
et, si possible, à sa suture. Le patient n’y met pas la même importance et voudrait
plutôt qu’on le laisse tranquille. Il annonce d’emblée « Je vous dis tout de suite docteur,
j’ai la phobie des aiguilles, je n’irais pas à l’hôpital et la vue du sang me fait tomber
dans les pommes  ». Confiant, Alexandre propose au patient de s’asseoir sur la table
d’examen et tout en déballant les compresses, le matériel nécessaire à la suture, le
médecin s’adresse au patient dans les termes suivants :
- « Alors comme ça vous-étiez à la chasse ?
- Oui.
- Accepteriez-vous qu’on en parle un peu ?
- Oui.
- Super. Merci ! Retournons-y maintenant, ça vous dit ?
- Oui, oui… (Intrigué... Mais le yes-set est en place).
- Vous permettez que je sois avec vous, je me ferai discret, vous ne me verrez même
pas, et même si je vous touche, vous ne sentirez rien, absolument rien, tellement je
serai discret… préférez-vous que je me mette derrière vous ou sur le côté droit pour
être à votre gauche quand le gibier se montrera (Alexandre tourne autour du patient déjà
un peu confus) ?
- Euh… enfin... mettez-vous où vous voulez je ne suis pas sûr de…
- Alors… où sommes-nous ?
- Dans le bois de St Benoit, c’est mon coin ça (Le patient a déjà le regard fixe dans le vide,
Alexandre nettoie la plaie, Didier contracte son bras) !
- Beh dis donc y’a des ronces ici, ça pique (Alexandre désinfecte, le patient reste
immobile).
- Bien sûr, mais j’suis équipé.
- Vous portez quoi ? Un bermuda ?
- Hein ? Mais ça ne va pas la tête ?! On ne se met pas en bermuda pour chasser, moi
j’enfile toujours un… (Alexandre lui coupe la parole)
- Short vert ?
- Mais non ! Non !
- Ha beh oui, bleu évidemment…
- Mais pas du tout, j’ai un… (Alexandre reprend la parole)
- Hey ! Mais vos chiens je les reconnais : ce sont des yorkshires !
- Non ! C’est un fox terrier et un beagle, les yorkshires ne chassent pas !
- Vous êtes sûr, le grand ressemble comme deux gouttes d’eau à un Yorkshire ou un
New Yorkshire… »
 
Et l’échange continue comme ça, entre confusion, provocation, hyperfocalisation
sensorielle, suggestion d’anesthésie pendant une dizaine de minutes. Le temps
nécessaire pour que la plaie soit explorée, nettoyée et parée. Une fois la suture
réalisée, Alexandre ralentit le rythme soutenu du flot de paroles qu’il avait depuis le
début… Jusqu’à finalement reprendre une parole classique. Didier l’interpelle «  Bon
c’est bien beau tout ça docteur, mais il serait peut-être temps de s’occuper de… » Il ne
termine pas sa phrase et réalise alors que la plaie est suturée, il n’en a aucun souvenir.
Il regarde sa femme, éberlué. Elle l’est tout autant. Pour tout dire Alexandre aussi…
même si cela fait bien longtemps qu’il n’est plus surpris par le fait d’être surpris par
les capacités inconscientes des patients.

5.  Il est urgent de…

… Ne rien faire d’autre qu’accompagner


Un exercice qui pourrait sembler contre-intuitif en médecine général
consiste à ne rien faire. Sous la pression du patient ou sous la pression que le
médecin s’impose à lui-même, celui-ci peut vouloir supprimer ou inhiber le
symptôme qui amène le patient à consulter : un tremblement atypique non
neurologique apparu dans un contexte de stress aigu, une crise de panique,
un torticolis... À considérer que le symptôme est une manifestation d’un
travail inconscient en cours de réalisation, et qu’on garde à l’esprit que, dans
l’approche ericksonienne, l’esprit inconscient est 100 % bienveillant, alors il
apparaît logique de laisser le travail se réaliser complètement, se terminer
plutôt que de vouloir le freiner. Il ne s’agit en aucun cas, pour le médecin,
d’être vaguement attentif au patient en le laissant traverser seul l’expérience
désagréable du ressenti des symptômes. Bien au contraire, il lui faudra être
pleinement à sa tâche, lui aussi avec une attention très focalisée sur le patient,
certain de ce qu’il fait, et certain de l’issue forcément positive de « la crise ».

Accompagner à travers une crise d’angoisse


Alexandre termine sa pause déjeuner. Les consultations ne reprennent qu’à 14 h. Il est
13  h  50 et arrive Anne, très agitée. Alexandre la connait, cette patiente se décrit
souvent comme anxieuse et elle traverse un moment difficile dans sa vie. Rapidement,
le diagnostic est fait. Il s’agit d’une attaque de panique. Alexandre associe à ce
diagnostic plusieurs éléments :
- la tentative de contrôle de l’angoisse a pour effet paradoxal d’augmenter l’angoisse ;
- 100 % des patients survivent à cet épisode ;
- la peur est une émotion très rapidement contagieuse  : le médecin peut rapidement
douter du diagnostic et repérer des symptômes mimant un infarctus du myocarde, un
AVC, une crise d’asthme...
Anne s’assoit directement sur la table d’examen sa main tire sur son décolleté, elle se
sent étouffer, elle a des fourmis dans les mains… « Docteur, je ne me sens pas bien, je
sens que j’étouffe, ça ne va pas, ça ne va pas, je me sens mal… »
Alexandre se lève et rejoint la patiente à la table d’examen. Il l’invite à s’allonger et
après un rapide examen cardiovasculaire de principe, Alexandre explique d’une voix
posée et cadrante :
- «  Très bien Anne, vous vivez une attaque de panique. C’est une sensation
extrêmement désagréable pour vous. Vous avez toutes sortes de manifestations
corporelles toutes plus inconfortables les unes que les autres.
- Oui, c’est ça docteur, je sens que je pars, je me sens de moins en moins bien…
- Peut-être même êtes-vous certaine que vous allez mourir dans les prochaines
minutes…
- Cela va durer un moment avant de s’interrompre définitivement.
- Mais docteur ne me laissez pas comme ça, faites quelque chose !
- Je ne vous laisse pas et même, je vais vous dire : JE SUIS LÀ, AVEC VOUS, et je vais
rester avec vous le temps que ce phénomène s’estompe, ça peut prendre parfois trente
secondes parfois une minute, mais ça s’arrête toujours avant deux minutes.
- Ça ne va pas du tout là, je n’arrive pas à me calmer, je me sens de moins en moins
bien, dit-elle de plus en plus agitée
- C’est parfaitement normal, vous vous débrouillez très bien. Continuez, c’est bon
signe ! Ça augmente toujours juste avant de diminuer, parfois même ça augmente très
fort alors allez-y, laissez l’attaque de panique augmenter le plus possible, elle est la
bienvenue.
- C’est pire docteur c’est pire !
- Oui c’est pire, c’est très bien ce que vous faites, continuez bravo ! »
Mme ADP se tait, son visage reste très anxieux mais son agitation motrice diminue très
nettement…
- « Que faites-vous Anne ?!
- Mais rien ! J’essayais de me détendre !
- Quelle drôle d’idée ?! Je ne vous ai pas demandé de vous relaxer maintenant.
- Je sais mais… je ne le fais pas exprès.
- Qui vous a demandé d’être sereine, dès à présent ?
- Personne... Je… je me sens peut-être un peu mieux, mais un tout petit peu hein… dit-
elle dubitative.
- C’est ça. C’est très bien. Je ne cherche pas à ce que... vous vous sentiez mieux …
maintenant !
- Ça se calme, ça se calme… C’est fou ça.
- Continuez, très bien. Continuez, voilà.
- Non mais c’est fou (elle rigole) ! C’est fou votre truc !
- Mon truc ?! C’est vous ! Je n’y suis pour rien moi mince alors ! J’étais peinard en train
de manger et vous, vous débarquez juste pour le plaisir de me montrer que vous allez
mieux... »

Quelques minutes plus tard, la patiente regagne le bureau de consultation


tout à fait posée, avec le sentiment d’avoir dépassé une épreuve, d’avoir su
faire, se constituant ainsi un socle permettant de développer l’estime d’elle-
même. Le reste de la consultation dépend du thérapeute  : certains vont
amplifier le sentiment d’avoir accompli quelque chose de grandiose faisant
de cet événement un ancrage de confiance en soi pour Anne. D’autres
préfèreront banaliser la chose comme pour lui montrer qu’il est parfaitement
dans ses cordes, à présent, de reproduire ce qu’elle vient de faire.
 
Quelques points techniques à retenir :
— l’importance d’humaniser le soin et de créer le sentiment d’une relation
unique, pleinement investie, personnelle, sur-mesure : le médecin appelle
la patiente par son prénom, l’effet personnalisant sera d’autant plus
marqué si ce n’est pas dans l’habitude de la patiente de se faire appeler
par son prénom ;
—  la ratification de ce que vit la patiente et la normalisation des
phénomènes  : la normalisation est très souvent anxiolytique en elle-
même ;
—  la prophétie autoréalisatrice avec un propos directif, en position haute,
quitte à déformer un peu la réalité (prise de risque parfaitement
raisonnable) ;
— l’utilisation d’un langage thérapeutique et orienté solution ;
— l’utilisation de la négation « non captée par l’esprit inconscient » qui met
en relief ce qu’elle prétend nier.

… Se servir de ce qui est déjà là : les gestes autocentrés


Dans l’approche ericksonienne de l’hypnose, la solution émane du patient et
il nous l’amène sur un plateau. Nos patients ont pour habitude d’exprimer,
avec leurs mains, tout ce que leur bouche ne parvient pas à dire. Les gestes
de ces mains sont parfois des invitations à la transe : ils sont simples, amenés
par le patient, lui-même, ce qui limite les résistances et « colle » parfaitement
à la vision analogique que le patient a de son problème et de sa solution. En
médecine générale, nous pouvons saisir chaque mouvement, présenté par les
mains, comme une induction hypnotique : en ralentir la vitesse, fermer les
yeux pour l’habiter plus intensément, le répéter de plus en plus lentement,
comme on approfondirait une transe. «  Ce geste là que vous faites,
ralentissez-le et répétez-le, ralentissez-le encore, encore… Fermez les yeux et
continuez à le ralentir, c’est ça, habitez-le maintenant, ressentez pleinement
votre geste, ce qu’il change en vous ».
On voit rapidement que le patient, au départ amusé par l’incongruité de la
proposition, a une respiration plus lente, plus posée. Une hypotonie s’installe
progressivement… ensuite, tout peut arriver  : émotion(s), soulagement,
insight, apaisement… Il n’y a plus qu’à choisir. Le cadre de la consultation de
médecine générale rend inattendu ce genre de pratique et permet,
justement, une thérapie «  de l’instant  », avant que l’esprit conscient vienne
critiquer la faisabilité du soin.

■ Conclusion : les freins à la pratique de l’hypnose


L’un des principaux freins à l’usage de l’hypnose, surtout de façon
impromptue, non préparée, non annoncée à l’avance, pour le médecin
généraliste, est sa peur de passer pour quelqu’un d’étrange, ou pire… qui
manquerait de rigueur et de sérieux. Il lui est difficile de s’autoriser à
« croire » à sa compétence intuitive, à sa propre créativité. Dans les études de
médecine, la créativité laisse la place aux protocoles et aux arbres
décisionnels. La peur de ne pas répondre à l’image qu’on attend de lui ou,
une fois de plus, qu’il attend de lui-même le freine dans la simplification du
soin, dans l’humanisation de la relation thérapeutique qu’est venue chercher
le patient.
Cependant, l’image attendue par ce patient n’est-elle pas celle d’un être
humain ayant les compétences morales, techniques et théoriques permettant
d’accompagner le patient vers la santé ?
Le fait de paraître bizarre, imparfait, donc humain, et de plus, arriver à une
amélioration relationnelle et sur le plan de la santé, en utilisant l’hypnose,
devrait nous encourager à mettre en place cette pratique, dès qu’elle peut
l’être.

91. « Communiquer une idée, un sentiment ou une émotion, et la communiquer efficacement, c’est-à-dire de manière à ce
que le patient y réponde, telle est la meilleure définition de l’hypnose  », Megglé D. dans Erickson, hypnose et
psychothérapie, Éditions Retz, 2005.
     Conclusion générale
La première chose à savoir avant de commencer

Dr Philippe Aïm
 
Chacun aura pu découvrir, au fil de ces pages, certaines pépites formulées de
façon unique, mais aussi des conseils, plusieurs fois répétés, à chaque fois
d’une manière différente selon le style de l’auteur, afin que chacun s’y
reconnaisse d’une façon ou d’une autre et que les ingrédients essentiels
demeurent pour le lecteur. Peut-être aussi repèrerez-vous quelques
contradictions entre un chapitre ou un autre. C’est le signe qu’une
adaptation est toujours possible, que face à l’urgence d’une situation, cet
adage solutionniste prend tout son sens : « Si ça ne marche pas, faites autre
chose ! » Le plus important n’est pas d’avoir la bonne recette, mais celle qui
marche, avec vous, avec le patient, à ce moment et dans ce contexte.
J’espère que ce livre fera partie de ceux dans lesquels on replonge
régulièrement, pour y relire un chapitre ou un paragraphe et y glaner du
matériel utile à la pratique. J’espère aussi qu’il encouragera le lecteur à se
former, à pratiquer, à oser l’hypnose en diverses situations, y compris dans
l’urgence avec ses spécificités.
Je ne reviendrai donc pas ici sur la manière de formuler des suggestions dans
l’urgence, les ingrédients essentiels de la captation de l’attention, le bon
usage de la directivité/leading/position haute, quand cela est nécessaire,
l’optimisation de la progression la plus efficace et rapide possible vers
l’hypnose, et tous les autres aspects techniques. Comme nous l’avions
conseillé en introduction, n’hésitez pas à lire les chapitres des professions qui
ne sont pas les vôtres, vous y trouverez forcément des sources d’inspiration.
Prenez des notes et appliquez.
Pour terminer ce livre, j’aimerais souligner un point essentiel sur le cadre de
la pratique en urgence.
L’urgence, presque par définition, est une situation temporaire. L’hypnose en
urgence est donc une « intervention de crise ». Elle ne règle pas un problème
de fond, elle permet de passer un cap. Cet aspect est fondamental et justifie,
presque à lui seul, la plupart des adaptations techniques de l’hypnose à
l’urgence.
Quand vous apaisez une crise d’angoisse, le patient va mieux, mais cela ne
fait pas, à lui seul, la thérapie de son trouble anxieux, dépressif ou
traumatique  ; quand vous obtenez une hypnoanalgésie ou une
hypnosédation, le soin n’a pas commencé ; quand vous prenez fortement le
leading pour induire une transe avec autorité et bienveillance, vous allez,
secondairement, donner le contrôle, les ressources, au patient, voire lui
apprendre l’autohypnose.
L’hypnose en urgence se permet des adaptations techniques et s’autorise à
jouer des cartes qui paraîtront à certains atypiques par rapport aux séances
d’hypnose plus psychothérapeutiques, plus «  classiques  » dans leur
représentation, car elle n’est pas un travail de fond mais un «  travail qui
permet le travail  ». Bien sûr on peut utiliser des techniques similaires en
thérapie, pour induire la transe parfois, mais elles ne font pas à elles seules
une stratégie thérapeutique. Et en tout cas, dans l’urgence, une fois la crise
passée, tout est fini ou bien tout reste à faire.
L’aspect fondamentalement technique de l’hypnose pratiquée dans l’urgence
permet d’obtenir rapidement une relation de qualité et des phénomènes
hypnotiques et dissociatifs. On maintient ce phénomène le temps du soin, le
temps que la situation permette l’apaisement.
Le temps plus long et plus profond, le plus thérapeutique, le plus durable,
consisterait justement, non pas à «  maintenir la dissociation le temps du
soin  » mais à «  utiliser cette dissociation pour réassocier autrement  »,
provoquer un réaménagement intérieur, actif et durable.
Une intervention de crise par rapport à une intervention de fond, n’est ni
moins noble, ni moins importante, puisqu’elle permet le travail, levant
l’obstacle qui empêche tout accès aux ressources et même, tout accès au
patient  ! Certains pourraient trouver que les situations d’urgence sont
relativement «  pauvres  » par rapport à la grande complexité de certaines
situations de thérapie où des stratégies fines doivent être déployées. En
vérité, il s’agit d’une toute autre richesse qui permet une créativité et une
inventivité technique incomparable. La nécessité de l’efficience ouvre des
portes. Le travail se passe sous pression, mais il s’agit de cette forme de
pression qui transforme le charbon en diamant.
Qu’il s’agisse juste de passer la crise, de passer le cap (soin douloureux,
anesthésiologie…), ou qu’il soit question, parfois, d’ouvrir une porte à un
suivi, une thérapie  : gardons quelques idées en tête avant de pratiquer en
urgence. Ne cherchons pas la pratique parfaite, ne cherchons pas à tout
régler, à tout résoudre, ne cherchons pas à ne commettre aucune erreur ou
ne nous disons pas que ce que nous faisons, même d’atypique ou de peu
conventionnel, serait une faute. La créativité et «  presque  » tous les coups
sont permis tant que l’éthique demeure. Nous devons passer le cap, y
compris parfois, imparfaitement. Il sera temps après et peut-être dans un
autre contexte, de reprendre, affiner et traiter plus en profondeur. Entre
temps, le patient aura trouvé des ressources insoupçonnées en un temps
record, et ce n’est jamais perdu !
L’hypnose est une pratique riche, en constante exploration et évolution.
Nous espérons qu’avoir rassemblé les réflexions, techniques et témoignages
de ces praticiens, contribuera à faire avancer la pratique. Nous espérons aussi
que la publication d’un tel ouvrage ouvrira à une plus grande reconnaissance
du monde médical de la pratique de l’hypnose en situation urgente,
élargissant l’image de relaxation ou de pure psychothérapie qu’elle a parfois,
et la compétence de divers praticiens dans leurs champs variés de
compétences.
Nous espérons surtout, car c’est là notre but essentiel, que cela permettra
une meilleure prise en charge des patients, un plus grand confort pour eux et
leurs praticiens, et l’amélioration d’un domaine qui ne pourra jamais assez
être amélioré : la qualité de la relation entre les soignants et les soignés.
 
 
 
 
Composition, mise en pages : Patrick Leleux PAO
Couverture : Primo & Primo
 
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