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Somatisations
Encyclopédie Pratique de Médecine

Y Sarfati

L a médecine sait depuis Hippocrate (et en dépit de la parenthèse positiviste) que la psychè intervient dans toute
maladie, et que les soins prodigués à un patient, quel qu’il soit, se doivent d’impliquer de pair le corps et
l’esprit. Pourtant, il existe certaines plaintes ou pathologies somatiques qui imposent de mettre l’accent sur la prise en
charge psychologique, voire psychiatrique. Méconnaître la part importante jouée par un trouble psychique dans
certains troubles d’allure organique, c’est prendre le risque de chroniciser la plainte ou de s’égarer dans de nombreux
examens complémentaires longs, coûteux et inutiles.
© Elsevier, Paris.


stratégies à adopter face à des demandes qui et incitent à la prudence. Une étude prospective
Introduction peuvent masquer la nécessité d’une prise en charge britannique a montré que plus de 50 % des patients
psychiatrique. ayant eu un diagnostic de conversion ont
développé, dans les 11 ans qui suivirent, une


Le terme de « somatisation » possède différentes maladie organique en rapport avec le trouble
acceptations, du sens le plus large au sens le plus
Principales étiologies initialement reconnu comme conversif. Une étude
psychiatriques des somatisations américaine a chiffré à plus de 20 % les troubles
restrictif. Les classifications internationales les plus
récentes (DSM IV américain et dixième classification conversifs exigeant une révision diagnostique vers le
‚ Somatisations sans substratum trouble neurologique avéré.
internationale des maladies de l’OMS) ont cherché à
organique
limiter la signification de ce terme en lui assignant
des critères de définition précis. Dans le sens Sont regroupées sous cet intitulé toutes les
plaintes somatiques où, traditionnellement, les
Une erreur grave serait d’étiqueter
restrictif, la somatisation est considérée comme une « conversion » tout trouble somatique
pathologie fonctionnelle, polymorphe et chronique, troubles organiques et/ou biologiques sont absents.
Il n’est cependant pas totalement exclu de retrouver inexpliqué. Le diagnostic de
dénuée de valeur psychique symbolique. Le sens conversion n’est plausible qu’avec un
dans ces pathologies, exceptionnellement, de réels
large est, au contraire, celui utilisé dans l’intitulé de ce
dérèglements somatiques. C’est par exemple le cas contexte en faveur, et si l’anamnèse
chapitre ; la somatisation doit alors être considérée
pour l’hypocondrie (classiquement sans lésion retrouve des premiers antécédents
comme toute plainte somatique pouvant être « mise
organique) qui peut exister alors qu’un authentique conversifs avant 30 ans.
en relation » avec une origine psychologique. Le
problème somatique se pose (hypocondries cum
terme « mise en relation » sous-entend que la plainte
materia). Il est important de toujours garder cette
somatique soit indirectement induite ou ¶ Définition
possibilité à l’esprit avant d’aborder une Le trouble conversif se définit comme un
partiellement causée par des facteurs psychiques,
classification, par définition réductrice, des dysfonctionnement physique dont l’expression ne
avec toute la prudence qu’un tel déterminisme
somatisations avec ou sans substratum organique. coïncide avec aucun territoire anatomique ou
étiopathogénique suppose.
Plusieurs études ont montré que la « tendance à la Trouble conversif mécanisme physiologique connu, et qui ne
somatisation » serait le principal facteur de s’accompagne d’aucune atteinte organique
¶ Épidémiologie
méconnaissance des troubles psychiatriques par les objectivable. Il a été traditionnellement décrit
C’est un trouble extrêmement fréquent : son
médecins omnipraticiens. Les troubles avec comme « une mise en scène au niveau du corps d’un
incidence est estimée à 22 pour 100 000 en
somatisation ne seraient reconnus comme conflit psychique inconscient » ; à ce titre, le trouble
population générale ; sa prévalence peut atteindre
psychiatriques que dans 50 % des cas, contre près conversif se localise sur des organes ayant une forte
25 à 30 % chez des patients hospitalisés en hôpital
de 100 % lorsque le patient se présente direc- représentation symbolique. Le symptôme est
général. Paradoxalement en apparence, sa
tement avec une plainte psychologique. De plus, présumé traduire des conflits affectifs sous-jacents.
fréquence dans une population consultant en
l’association avec une maladie organique Ces conflits, tout comme le mécanisme de
psychiatrie est beaucoup plus faible. Une telle
augmenterait encore la méconnaissance de la part conversion, sont inconscients, et le trouble conversif
différence s’explique par le fait que les patients
psychologique des somatisations, dont la ne peut en aucun cas être considéré comme une
souffrant de troubles conversifs (manifestations
composante psychiatrique n’est alors évoquée que simulation.
exclusivement somatiques) ne vont qu’exceptionnel-
dans un tiers des cas. La fréquence de cette lement chez le psychiatre. C’est chez les ¶ Arguments diagnostiques
« morbidité psychiatrique cachée » impose de garder neurologues, les oto-rhino-laryngologistes, les La première condition, nécessaire mais non
à l’esprit les différents cas de figure où la plainte ophtalmologistes, et bien sûr chez les généralistes,
© Elsevier, Paris

suffisante pour évoquer un trouble conversif, est


somatique n’est que la traduction d’une souffrance que les patients souffrant de conversions consultent l’impossibilité de retrouver un processus
psychique. le plus souvent. physiopathologique connu pour expliquer une
Nous envisagerons dans ce chapitre les différents Les données épidémiologiques suggèrent que le altération physique, en dépit d’investigations
aspects diagnostiques des somatisations et les diagnostic de conversion est souvent porté à l’excès, appropriées. La deuxième condition impose de

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Tableau I. – Arguments diagnostiques en fa- Tableau II. – Troubles conversifs les plus fréquents.
veur du trouble conversif.
Troubles moteurs Mouvements involontaires
Le symptôme est le plus souvent d’allure pseudo- Blépharospasme
neurologique Torticolis
Chutes
Les organes de la vie relationnelle sont plus volon- Paralysies
tiers touchés (organes des sens, membres, organes Aphonie
sexuels) Astasie-abasie
Il existe un retentissement sur la vie sociale, affec- Toubles sensoriels Anesthésie des extrémités ou du milieu des membres
tive et/ou professionnelle Cécité
Il peut exister une indifférence du patient par rap- Vision « en tunnel »
port à son symptôme (« belle indifférence ») Surdité

La « belle indifférence » n’exclut pas une anxiété Troubles viscéraux Vomissements


du patient en lien avec son handicap Diarrhée
Rétention urinaire
Le trouble est le plus souvent transitoire : quelques
heures à quelques jours dans 75 à 90 % des cas
(mais il peut se chroniciser dans 10 à 25 % des
cas)
La suggestibilité du patient est grande et peut suf- Tableau III. – Arguments en faveur du diagnostic de troubles conversifs devant un signe
fire à modifier le symptôme neurologique.
Il existe des antécédents d’autres manifestations du Trouble neurologique Exploration clinique Résultats de l’exploration clinique
même type (une conversion est suivie dans 25 %
des cas par une autre conversion dans les 6 ans) Vision « en tunnel » Champs visuels Modification du champ visuel d’un
examen à l’autre
Les premiers symptômes conversifs apparaissent
avant 30 ans. L’évocation d’un premier trouble Anesthésie Cartographie des dermatomes Le trouble sensoriel ne correspond
conversif chez le sujet âgé est exclue à aucune distribution topographi-
que connue
Il peut exister, mais pas toujours, des traits de per-
sonnalité pathologique Hémianesthésie Sensibilité superficielle et pro- L’anesthésie se localise rigoureu-
fonde du milieu du corps sement sur un hémicorps
La personnalité pathologique la plus fréquente est
la personnalité hystérique (15 à 50 % des cas) Astasie-abasie Faire marcher et danser Capacité à marcher, mais pas à
danser (ou l’inverse)
Anomalies modifiables par la sug-
gestion

réunir un faisceau d’arguments reconnus comme Paralysie du membre supérieur Faire chuter le membre sur le vi- Le membre chute à côté du visage,
sage non sur lui
appartenant à la sémiologie de la conversion. Parmi
ces arguments, certains sont classiques, voire Aphonie Faire tousser Toux normale (les cordes vocales
historiques, mais subjectifs et empiriquement ne sont pas paralysées)
difficiles à mettre en évidence, c’est le cas de la « belle
indifférence », du bénéfice secondaire, de la
symbolisation et des troubles de la sexualité.
D’autres, plus objectifs, ont été repris par les Tableau IV. – Diagnostics différentiels à évoquer devant un trouble neurologique présumé
classifications internationales et figurent dans le conversif.
tableau I. Troubles neurologiques Sclérose en plaques
Chacun de ces arguments pris séparément est Tumeur cérébrale
contributif, mais non pathognomonique ; seule Myasthénie
l’existence de plusieurs d’entre eux plaide en faveur Syndrome de Guillain-Barré
Myopathies
du diagnostic de conversion, dont il ne faudra pas
Manifestations neurologiques du sida
oublier qu’il est un diagnostic d’exclusion souvent Hématome sous-dural
porté à l’excès. Névrite optique
Paralysie périodique
Maladie de Parkinson débutante
Une erreur grave serait de faire un
Troubles psychiatriques Épisode dépressif
lien trop rapide ou une interprétation Syndrome de stress posttraumatique
sauvage entre un événement de vie et Personnalité hystérique
un symptôme. Catatonie
Autres somatisations

Poser le diagnostic de conversion peut exiger


plusieurs heures d’interrogatoire et d’examen. Ce
délai important est souvent rendu nécessaire par sémiologie évoluant avec l’Histoire, et les techniques Pathologie de somatisation
l’intrication de plusieurs facteurs : l’atypicité de la d’exploration. Le tableau III propose, en regard de
symptomatologie, les imprécisions anamnéstiques troubles neurologiques, quelques arguments de ¶ Épidémiologie
et biographiques, la distorsion subjective de la l’examen clinique devant faire évoquer le trouble Plusieurs études basées sur d’importants
symptomatologie (minimisation ou exagération). Le conversif. Le tableau IV résume les principaux échantillons estiment la prévalence de la pathologie
tableau II fait figurer les troubles conversifs les plus diagnostics différentiels à évoquer devant un trouble de somatisation à environ 1 pour 1 000 en
fréquemment rencontrés de nos jours, cette conversif neurologique présumé. population générale. Ce chiffre est multiplié par 50

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(5 %) si l’on se réfère à la population consultant en


médecine de ville. Cette variation s’explique Tableau V. – Plaintes somatiques évoquant une pathologie de somatisation.
logiquement par une concentration des patients Type de trouble invoqué Exemples
présentant ce type de trouble dans les cabinets
médicaux, puisque l’expression somatique Au moins quatre signes douloureux Céphalées
Douleurs dorsales
plurisympomatique incite les patients à consulter Douleurs articulaires
presque exclusivement les médecins généralistes ou Douleurs prémenstruelles
internistes. Les pathologies de somatisation Douleurs urinaires...
représentent 2,2 % des admissions à l’hôpital
Au moins deux symptômes gastro-intestinaux Nausées
général. Diarrhée
Vomissements
¶ Définition Intolérances alimentaires...
La somatisation, au sens strict désormais adopté
par la communauté psychiatrique internationale, se Au moins un symptôme appartenant à la sphère gé- Manque de désir
nitale Trouble de l’excitation
définit comme des plaintes somatiques multiples,
Trouble de l’orgasme
chroniques et/ou récurrentes, requérant une prise en Ménorragie...
charge médicale, mais sans pathologie organique
sous-jacente mise en évidence. Les symptômes ne Au moins un symptôme pseudoneurologique Troubles neurologiques de type conversif (tableau II)
doivent pas être explicables par un trouble médical,
et les conséquences des plaintes somatiques doivent
paraître excessives au regard du handicap Tableau VI. – Diagnostic différentiel de la névrose hystérique et de la névrose hypocondriaque.
objectivement mis en évidence par l’examen
Névrose hystérique Névrose hypocondriaque
clinique et les explorations complémentaires. La
pathologie de somatisation a pu être définie comme Attire l’attention Organes invisibles
Se montre Se cache
un syndrome plurisymptomatique de conversion
(qui serait alors un syndrome monosymptomatique). Théâtral Non théâtral

¶ Arguments diagnostiques Corps mis en jeu Corps « disséqué »


Les points communs entre somatisation et Méconnaissance de la représentation anatomique Bonnes connaissances anatomiques et médicales
pathologie conversive sont historiques, nombreux et
touchent à tous les domaines : l’âge de début (avant Pas de langage médical Langage médical
30 ans), le terrain (personnalité pathologique Symbolisme des symptômes Absence de symbolisme
volontiers hystérique, mais également psychopa-
Inattention pour le symptôme « belle indifférence » Attention concentrée sur les troubles
thique), le sex-ratio (un homme pour quatre à cinq
femmes), les modalités évolutives (rémissions Relation au médecin personnalisée Recherche d’un thérapeute de qualité
spontanées, fluctuations et récidives), le handicap Demande volontiers érotisée Demande revandiquante et agressive
(social, affectif, professionnel), et les facteurs
Mobilité de la symptomatologie Fixité de la symptomatologie
psychologiques associés.
Aujourd’hui, les critères requis pour poser le Invalidité inconstante, temporaire, intermittente Invalidité fréquente et durable
diagnostic de pathologie de somatisation sont
codifiés et impliquent la coexistence d’au moins
ruptures (séparations, divorces, instabilité somatisation, l’examen médical clinique et
quatre plaintes somatiques différentes, ainsi que le
professionnelle, mais également changements de paraclinique ne retrouve aucune anomalie
montre le tableau V. Il est important de préciser que
médecins) est un des traits de personnalité somatique. On considère traditionnellement (sans
les symptômes recensés dans ce tableau n’ont pas
fréquemment rencontrés. qu’aucune étude contrôlée vienne confirmer ces
besoin d’être considérés comme légitimes par le
chiffres) que 50 % des hypocondriaques ont une
clinicien pour entrer en ligne de compte dans le Hypocondrie évolution péjorative chronique, tandis que 50 %
diagnostic : le seul fait d’être rapportés par le patient
¶ Épidémiologie peuvent espérer une rémission de leur trouble.
suffit. En revanche, on considère qu’au moins un des
symptômes doit avoir débuté avant 30 ans. La prévalence du trouble hypocondriaque a été
Un argument diagnostique de poids est le vécu
estimée, sur 6 mois, à 4 à 6 % de la population ¶ Arguments diagnostiques
consultant un médecin, généralistes et spécialistes L’hypocondrie est un trouble évoluant de façon
subjectif du sujet : les patients souffrant de
confondus. La distribution du trouble est comparable chronique continue (sur plusieurs années) ou
somatisations ont tendance à se considérer
entre hommes et femmes, et ne répond à aucune intermittente (rechutes de quelques mois avec
eux-mêmes comme sévèrement malades, plus que
caractéristique sociodémographique. L’âge intervalles libres). On retrouve fréquemment un
ne le font les patients souffrant de pathologies
d’apparition du trouble est également extrêmement début soudain que le patient peut décrire et dater.
somatiques graves et/ou chroniques. Par contraste,
variable. Un niveau socio-économique élevé, l’absence de
les études montrent que la mortalité des patients
souffrant de somatisation est identique à celle de la ¶ Définition troubles de la personnalité et de trouble organique
population générale. L’hypocondrie se définit comme la préoccupation sont classiques, de même qu’une faible aptitude à
Les patients présentant une pathologie de et la croyance de souffrir d’une maladie grave. La l’introspection. Le retentissement social, affectif et
somatisation sont classiquement grands conviction est forte mais n’a pas, néanmoins, familial est variable.
consommateurs de soins, d’abord en raison de la l’intensité d’une croyance délirante : le patient est Le principal diagnostic différentiel de
multiplicité des investigations et des traitements sensible, même transitoirement, à la réassurance l’hypocondrie est le trouble conversif. Le tableau VI
requis par le caractère plurisymptomatique du que lui apporte son médecin. Cette conviction d’être résume schématiquement les points opposant ces
syndrome, ensuite parce qu’il existe chez ces malade repose sur la perception de sensations deux entités qui diffèrent autant par leurs
patients une tendance à se montrer réfractaires aux physiques réelles, mais qui sont interprétées, à tort, caractéristiques symptomatiques propres que par les
conseils modérateurs de leur thérapeute, enfin parce comme des signes de dysfonctionnement traits de personnalités sous-jacents et l’attitude face à
que le parcours biographique marqué par les organique. Tout comme dans la conversion et la la maladie et au médecin.

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Ce dernier point mérite quelques précisions. Il mentir. Il peut éventuellement reconnaître sa


n’est pas rare de retrouver chez le patient supercherie. La simulation se reconnaît grâce à la Tableau VII. – Maladies considérées comme
« psychosomatiques ».
hypocondriaque une animosité envers deux types connaissance du contexte (obtenir un bénéfice direct
de praticiens : d’une part le psychiatre, qu’il se refuse et concret) plutôt qu’à la connaissance de la Hypertension artérielle
en général à consulter, d’autre part le premier psychologie du malade.
Coronaropathie, infarctus du myocarde
médecin rencontré au début de la maladie, qui peut
être diversement accusé d’être incapable (n’avoir Trouble de l’image corporelle Asthme bronchique
« pas su agir à temps »), voire responsable. L’attitude Il s’agit d’un trouble au cours duquel le sujet se Pathologies cancéreuses
hypocondriaque peut alors confiner au délire de plaint d’une altération qualitative de son corps ou
revendication, avec démarches procédurières et d’un sentiment de malaise ou de dégoût que
Ulcère gastroduodénal
demandes de réparation ; c’est le cas dans la procurent certains aspects de celui-ci. Traditionnel- Constipation chronique
sinistrose délirante, délire de type paranoïaque. lement, ces plaintes surviennent en dépit d’une
Allergies
apparence physique normale, et si un défaut
Dépression masquée physique existe, le malaise qu’il procure au sujet est Affections dermatologiques
¶ Épidémiologie disproportionné. Il est rare que ce trouble soit isolé, Rectocolite hémorragique
Même si les données épidémiologiques sont et il doit être alors replacé dans un cadre
Processus auto-immuns
imprécises, la dépression masquée peut être psychiatrique plus large.
considérée comme une forme rare de dépression, de ■ Le début de schizophrénie, où le sentiment de
diagnostic difficile. transformation corporelle prend l’allure de
mais des circonstances déclenchantes. La difficulté
préoccupations angoissantes. La dysmorphophobie
¶ Définition schizophrénique se manifeste traditionnellement par
diagnostique vient du fait que ces facteurs
La dépression masquée est une dépression déclenchants peuvent être parfois minimes, n’avoir
l’impression subjective d’une modification du visage,
atypique, où les signes classiques de dépression sont aucune spécificité, ou rester inapparents. Le terrain
du nez ou de l’éclat du regard ; la plainte a souvent
au second plan, voire absents, et masqués par une anxieux, les antécédents, les manifestations
un caractère bizarre. Il s’agit d’un signe classique
symptomatologie somatique prédominante. associées d’angoisse et la réponse aux traitements
mais rare qui ne suffit jamais isolément à faire le
peuvent alors aider au diagnostic.
¶ Arguments diagnostiques diagnostic. Il ne doit pas être confondu avec la
Il s’agit le plus souvent de douleurs atypiques, simple anxiété de maturation morphologique des ‚ Somatisations
fixes et persistantes. Elles ont généralement fait adolescents, beaucoup plus anodine et fréquente. avec substratum organique
l’objet de nombreuses explorations fonctionnelles ■ Les états névrotiques (hystérie, évitement
qui se sont toutes révélées négatives. Ces douleurs phobique, trouble obsessionnel compulsif), où le Trouble psychosomatique
peuvent être accompagnées éventuellement de trouble de l’image corporelle est lié à une
¶ Définition
signes traditionnels de dépression, mais leur absence insatisfaction subjective pathologique à propos
On parle de maladie « psychosomatique » lorsqu’il
complète n’élimine pas le diagnostic, tout en le d’une partie du corps. La demande de chirurgie
existe des altérations organiques ou biologiques
rendant plus difficile. Quand ils sont présents, ces esthétique est fréquente dans ce cas, avec la
objectivables cliniquement ou par les examens
signes dépressifs sont minimes, incomplets, ou croyance quasi magique que la correction
complémentaires, ces altérations tirant une partie de
peuvent être niés par le patient refusant d’admettre chirurgicale de ce qui est ressenti comme un défaut
leurs origines du psychisme. C’est le cas, par
le caractère psychogène d’une douleur bien va modifier la vie du sujet (amour, chance, travail).
exemple, de l’ulcère gastrique.
physique. Un interrogatoire précis doit pouvoir On a pu estimer que 2 % de la clientèle des
Néanmoins, on peut admettre comme
mettre en évidence des arguments indirects en chirurgiens plasticiens présentaient un trouble de
psychosomatiques des manifestations fonctionnelles
faveur d’un trouble thymique : antécédents l’image corporelle.
ne reposant sur aucune lésion organique ou
personnels et familiaux de troubles de l’humeur plus ■ L’anorexie mentale, où le trouble de l’image
biologique sous-jacente, mais ayant, elles aussi, un
typiques, caractère cyclique en fonction des saisons corporelle se traduit par le sentiment « d’être trop
déterminisme psychologique important. C’est le cas,
(récurrence au printemps, à l’automne) et du gros » et justifie les troubles des conduites
par exemple, de certains troubles du transit.
nycthémère (fluctuations au cours de la journée). alimentaires.
Une fois qu’il est installé, le trouble physique
Les atteintes dont se plaint le patient concernent ■ Le syndrome dépressif peut s’accompagner de
évolue pour son propre compte, indépendamment
volontiers les sphères digestive et cardiorespiratoire. critiques à propos de son propre aspect physique, à
des facteurs psychologiques qui ont été à son
Sont également classiques les algies localisées, replacer dans un contexte d’autoaccusations et de
origine.
rebelles, telles que lombalgies, dorsalgies, sentiments d’indignité.
glossodynies et acouphènes. Parfois, une asthénie ■ Les sujets présentant une personnalité border ¶ Reconnaître les pathologies psychosomatiques
résume le tableau. line peuvent entretenir des rapports ambigus à Il est important de pouvoir reconnaître les
Un des meilleurs arguments diagnostiques reste l’égard de leur aspect physique, pouvant aller jusqu’à pathologies psychosomatiques afin d’améliorer leur
le test thérapeutique : les plaintes somatiques des maltraitances auto-infligées (brûlures de prise en charge. En effet, il a été prouvé que
accompagnant une dépression masquée restent cigarettes, scarifications...). l’appréhension globale d’une maladie psychosoma-
rebelles aux antalgiques classiques et disparaissent tique, prenant en compte la composante psychique,
après l’instauration d’un traitement antidépresseur. Expression somatique de l’angoisse permettait de mieux comprendre la maladie. Cette
L’anxiété, surtout dans ses manifestations aiguës appréhension globale permet d’optimiser l’efficacité
Simulation (attaques de panique), peut s’accompagner de des traitements symptomatiques, d’améliorer le
Dans la simulation, le patient contrôle ou mime manifestations neurovégétatives (dyspnée, troubles pronostic et de réduire les rechutes. Cette prise en
volontairement un symptôme, avec l’idée d’obtenir du transit, tachycardie, manifestations musculaires, charge globale se doit d’être la plus précoce possible,
un avantage matériel que l’on doit pouvoir mettre à etc). C’est la classique « crise de spasmophilie ». Ces car la pathologie somatique devient de plus en plus
jour. Le symptôme est utilisé pour parvenir à un manifestations peuvent être au premier plan et indépendante des facteurs psychiques avec le temps
objectif que l’interrogatoire soigneux doit chercher à suffisamment inquiéter le sujet pour l’amener à et son évolution propre.
repérer : arrêt de travail, suspencion de poursuites consulter (souvent dans le cas d’un premier épisode, Plusieurs maladies sont classiquement reconnues
judiciaires, réforme vis-à-vis de l’armée, etc. Il n’existe de la répétition des crises, ou après un accès comme psychosomatiques. Elles figurent dans le
pas de lésion organique, mais le patient « fait comme paroxystique particulièrement intense). Il n’existe pas tableau VII. Ce tableau est bien entendu
si » il était souffrant, tout en étant conscient de de lésion organique expliquant ces symptômes, schématique et ne doit pas réduire l’enquête à la

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Tableau VIII. – Profils de personnalité prédisposant aux pathologies psychosomatiques.

Profils de vulnérabilité et/ou de résistance Principales caractéristiques Risque accru


Alexithymie Diffıculté à identifier ses émotions Pathologies somatiques diverses par rapport à un
Diffıculté à parler de son vécu affectif groupe contrôle « névrosé »
Profil de type A Sentiment de l’urgence du temps Coronaropathie
Compétitivité et surenchère dans les performances Infarctus du myocarde
(notamment professionnelles)
Intolérance à la frustration
Profil de type C Soumission Pathologie cancéreuse
Esprit de conciliation poussé « à l’extrême », répres- Pathologie dysimmunitaire
sion de l’agressivité
Recherche de l’estime d’autrui
Tempérament à risques Prises de toxiques Tolérance au stress
Pratiques de sports dangereux
Prise de risques en conduite automobile
Indépendance, non conformisme

Tableau IX. – Les événements de vie facteurs Tableau X. – Arguments diagnostiques des pathomimies les plus fréquentes.
de risque des pathologies psychosomatiques.
Pathomimie Arguments diagnostiques
Le stress de manière générale, association entre
une demande forte et une marge décisionnelle limi- Anémie par saignements (Lasthénie de Ferjol) Anémie ferriprive
tée Nombreux prélèvements sanguins
Créations de lésions hémorragiques
Les changements en général (déracinement cultu-
rel, déménagement, modification des habitudes Fièvre inexpliquée Manipulation d’un (ou plusieurs) thermomètres
socioprofessionnelles) Auto-inoculation de substances pyrogènes

L’éclatement du réseau relationnel Pathomimies cutanées Brûlures par le feu ou par produits caustiques
Création d’abscès superficiels
Troubles métaboliques inexpliqués Hypoglycémies par injection d’insuline
recherche de facteurs de vulnérabilité psychosoma- Hyperthyroïdies par prise d’hormones thyroïdiennes
tique aux seules maladies qui y figurent. Urgences abdominales aiguës, hémorragiques ou Nombreuses interventions chirurgicales antérieures
Il est important également de ne pas oublier de pseudo-neurologiques (syndrome de Münchhausen) (cicatrices de laparotomies, trous de trépan)
rechercher une pathologie psychiatrique avérée
(comme une dépression) qui peut être associée à
une pathologie psychosomatique. également, aujourd’hui, des échelles et des motivations échappent presque totalement à la
questionnaires qui permettent de cerner au mieux conscience du sujet. Ce qui est recherché, c’est « le
¶ Repérer les facteurs de vulnérabilité les profils de personnalité et les événements de vie, rôle de malade » et la satisfaction régressive que
à une pathologie psychosomatique afin de pouvoir repérer et ainsi avoir une action procure la prise en charge médicale, éventuellement
Repérer les pathologies psychosomatiques n’est thérapeutique sur le plus grand nombre de ces hospitalière.
pas tout. Il est important de rechercher les facteurs facteurs. L’utilisation de ces échelles et
psychologiques dits « de vulnérabilité ». Ces facteurs questionnaires n’est pas de pratique courante ; ils ¶ Arguments diagnostiques
prédisposent au développement d’une maladie sont surtout utilisés par les thérapeutes spécialisés Il existe une certaine passion, chez le pathomime,
psychosomatique. De nombreuses recherches ont dans la prise en charge des « patients à être malade. On a pu assimiler la pathomimie à un
tenté de les définir au mieux. Certains de ces facteurs psychosomatiques ». plaisir masochiste, entièrement tourné vers la
de vulnérabilité sont maintenant bien reconnus,
Néanmoins, les modes de fonctionnement décrits soumission aux examens complémentaires, aux
d’autres régulièrement remis en cause.
plus haut sont loin d’être toujours retrouvés chez les investigations, voire aux interventions chirurgicales.
Parmi ces facteurs de vulnérabilité, il existe patients psychosomatiques. L’activité du sujet peut n’être consacrée qu’à cette
certains profils de personnalité qui prédisposent (ou
seule passion.
au contraire, protègent) au développement de Pathomimie
pathologies psychosomatiques. Les profils les moins La fascination exercée par la médecine explique
discutables figurent dans le tableau VIII. ¶ Épidémiologie que les pathomimes soient souvent très rompus au
Un chiffre est difficile à avancer, compte tenu de la fonctionnement médical, soit qu’ils aient opté pour
Les autres facteurs de vulnérabilité classiques sont
relative rareté de ce trouble et du caractère une profession apparentée à la médecine, soit qu’ils
des événements de vie, regroupés dans le tableau
insaisissable des sujets présentant une pathomimie aient acquis leur culture médicale à force de
IX. Il est très important de noter que des événements
(une fois « découverts », ils changent de médecin, de fréquenter les hôpitaux et les médecins.
de vie mineurs de la vie quotidienne pouvant
circuit de soins). Néanmoins, on a pu estimer que On retrouve classiquement : une absence de
paraître anodins sont surtout incriminés. Souvent en
10 % des fièvres inexpliquées de l’adulte étaient à motif apparent (contrairement à la simulation), des
raison de leur chronicité, ils ont des effets plus
mettre sur le compte d’une pathomimie. mensonges pathologiques portant sur les
toxiques que les événements de vie majeurs et
dramatiques. Les événements mineurs font le lit de ¶ Définition antécédents médicochirurgicaux, les circonstances
la maladie, tandis que les événements majeurs La pathomimie est également appelée « maladie de leur prise en charge, plusieurs hospitalisations,
jouent plus volontiers un rôle de facteur factice ». Le sujet se provoque des lésions physiques parfois conclues par des sorties contre avis médical.
déclenchant. ou organiques par divers moyens, qui peuvent être Le refus de reconnaître la pathologie comme
Pour mettre en évidence ces facteurs de éventuellement violents, tout en dissimulant au psychiatrique est total de la part de ces patients.
vulnérabilité ou de risque, l’interrogatoire, temps corps médical les gestes à l’origine de ces lésions. Le tableau X résume les pathomimies les plus
d’évaluation clinique privilégié, est capital. Il existe Ces gestes sont faits volontairement, mais les classiquement rencontrées.

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Manifestations somatiques ‚ Savoir mettre des limites – le statut du malade par rapport à son trouble et
des dérèglements de l’humeur au bilan somatique, particulièrement ses principaux traits de caractère.
Il existe dans la dépression, tout comme dans la aux examens complémentaires Une des principales difficultés rencontrées réside
manie, un retentissement somatique variable, mais dans le fait que le patient peut ne pas collaborer
Dans tous les cas, il sera bien évidemment
classique (à ne pas confondre, donc, avec les plaintes avec son médecin, soit en oubliant (inconsciem-
important de réaliser un bilan somatique le plus
somatiques atypiques des dépressions masquées). ment), soit en refusant (consciemment) de lui
complet possible en fonction du contexte, et en
Cette composante somatique est importante à communiquer certains éléments diagnostiques
cherchant à trouver un substrat anatomique à la
rechercher puisque le retentissement somatique fait importants. De plus, la description subjective de la
plainte du malade. Dans cette logique, deux écueils
partie des troubles « objectifs » que le praticien peut plainte peut faire l’objet d’une distorsion qui la
sont à éviter.
évaluer et chiffrer au cours de l’évolution de la dénature ou la rend atypique (minimisation ou
■ Multiplier à outrance les bilans et examens
maladie. majoration des troubles ressentis). L’interrogatoire de
complémentaires et les consultations de spécialistes
■ Dans la dépression, il s’agit classiquement l’entourage et l’évaluation indirecte du
devant une plainte somatique, en cherchant « à tout
d’une insomnie avec hyporexie et amaigrissement. retentissement du trouble somatique allégué
prix » à découvrir une anomalie objective alors qu’il
Tous les stades peuvent se rencontrer : la perte de (handicap social, retentissement professionnel ou
serait raisonnable de conclure qu’elle est du registre
poids peut être insensible ou atteindre 20 familial) peuvent être alors des indices précieux de la
psychiatrique. nature, de l’ampleur et de l’évolution de la
kilogrammes. Les manifestations inverses sont aussi
■ Négliger les plaintes somatiques de patients somatisation.
retrouvées : hypersomnie et prise de poids. La
connus pour être « psychiatriques », ne pas donner
constipation est également fréquente, de même que
foi à leurs demandes et éviter de plus amples
l’impuissance.
■ Dans la manie, c’est l’insomnie qui prévaut. investigations sous couvert d’antécédents de Dès qu’une suspicion de somatisation
L’existence d’une déshydratation par diminution des troubles mentaux. est évoquée, l’interrogatoire devient la
apports hydriques et par hyperactivité n’est pas rare. Il est moins grave de s’exposer au renforcement donnée essentielle au diagnostic. Il est
Elle peut être suffisamment sévère pour entraîner d’un symptôme psychiatrique que de passer à côté souvent difficile en raison du flou
une fièvre, voire, dans des cas rarissimes, la mort. d’une maladie organique. biographique, des omissions et des
réticences à évoquer les
symptomatologies passées.


Points clés de la démarche
diagnostique

‚ Distinguer les somatisations


La discordance entre la plainte
somatique et les simples données
physiques objectives doit faire évoquer
une somatisation, sans pour autant
avec ou sans lésions organiques jeter le discrédit sur la souffrance du
malade. ‚ Prendre en compte les facteurs culturels
Ainsi que la présentation de ce chapitre l’a
suggéré, il faut distinguer deux formes de Il est indispensable de tenir compte du contexte
somatisations : culturel pour éviter d’évoquer par excès (ou au
– les somatisations sans lésion organique contraire, par défaut) une somatisation. Les migrants,
‚ Redonner toute sa valeur
retrouvée, ni cliniquement, ni par les examens à l’interrogatoire notamment les sujets maghrébins, ont tendance à
complémentaires, et où la responsabilité psychique traduire à travers leur corps les difficultés
de la plainte ne peut être envisagée que comme Dans toute suspicion de somatisation, psychologiques qu’ils peuvent rencontrer. Chez ces
diagnostic d’élimination. C’est particulièrement le cas l’interrogatoire précis du patient joue un rôle sujets, l’expression de la dépression est atypique
pour les plus fréquemment rencontrées en considérable et doit faire gagner du temps en évitant selon nos critères occidentaux, et essentiellement
médecine de ville : la conversion hystérique, la la multiplication des examens complémentaires. Il physique.
pathologie de somatisation au sens étroit et doit pouvoir permettre de déterminer : Les études internationales ont pu montrer que
l’hypocondrie ; – l’existence d’antécédents du même type ; cette tendance à exprimer l’anxiété ou la dépression
– les somatisations avec lésion organique – l’existence d’antécédents, de traitement ou de sous la forme d’une souffrance physique se
objective, mais où les difficultés psychiques jouent prise en charge psychiatriques ; retrouvait avec constance chez certains peuples ou
un rôle important dans la survenue et la – l’existence d’événements de vie concomitants dans certaines cultures : Nord-Africains, déjà cités,
pérennisation du trouble. C’est surtout le cas des jouant le rôle de facteurs déclenchants ou Latino-Américains, peuples d’Afrique noire et du
pathologies psychosomatiques. précipitants ; Sud-Est asiatique.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Somatisations. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0120, 1998, 6 p

Références

[1] Besançon C, Lacour C. Pathologies psychosomatiques. In : Senon JL, Sechter [4] Jeammet P, Reynaud M, Consoli S. Psychologie médicale. Paris : Masson,
D, Richard D eds. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Hermann, 1995 : 685-691 1996

[2] Dantzer R. L’illusion psychosomatique. Paris : Odile Jacob, 1990

[3] Ford CV. The somatizing disorders. Illness as a way of life. New York :
Elsevier Biomedical, 1983

6
7-0060
7-0060

Syndrome anxieux
Encyclopédie Pratique de Médecine

C Passerieux

L ’anxiété est un symptôme présenté par un patient sur cinq en consultation de médecine générale. C’est dire
l’importance de sa reconnaissance et de sa prise en charge. Non spécifique, l’anxiété pathologique peut se
rencontrer dans nombre de tableaux psychopathologiques et organiques. Reconnaître un syndrome anxieux impose
donc, après l’avoir distingué d’une anxiété normale, d’en rechercher l’origine dont découlent les modalités de prise
en charge. Une situation particulière est celle de la crise d’angoisse qui impose par elle-même une réponse immédiate
et spécifique
© Elsevier, Paris.


organique (à type de précordialgies, de difficultés ‚ Quelle est la conduite à tenir ?
Crise d’angoisse aiguë : respiratoires, de nausées) qui peuvent conduire à
une urgence thérapeutique Une crise d’angoisse aiguë peut survenir dans
des examens secondaires excessifs, soit par des
pratiquement tous les troubles psychiatriques et de
‚ Comment reconnaître symptômes psychosensoriels (impression de
nombreux troubles organiques. Une prise en charge
une crise d’angoisse aiguë ? perte des limites corporelles ou de dédou-
adaptée ne pourra se faire qu’en connaissance du
Le plus souvent d’identification facile, la crise blement, distorsion des perceptions) pouvant
trouble dans lequel elle s’inscrit. Cependant, assurer
d’angoisse peut prendre des formes plus conduire à une conclusion erronée de
une sédation rapide de l’angoisse est nécessaire
trompeuses : soit par des symptômes d’allure symptômes psychotiques.
tant pour soulager le patient et éviter un éventuel
passage à l’acte que pour pouvoir poursuivre le
Signes cliniques de la crise d’angoisse aiguë bilan nécessaire à l’enquête étiologique.
Rassurer le patient passe d’abord par
Les symptômes somatiques sont souvent au premier plan.
l’établissement d’une relation sécurisante : dès le
✔ Sont constamment retrouvés : début de son intervention, le praticien s’efforcera
– symptômes cardiovasculaires : tachycardie, palpitations, sensations de chaud et d’établir un dialogue, de dédramatiser la situation.
froid, modifications vasomotrices, douleurs précordiales, sensations d’oppression et Procéder à un examen somatique soigneux
de gène thoracique ; permettra d’éliminer une éventuelle cause
– symptômes respiratoires : sensation de gêne respiratoire, d’étouffement, de manque organique, de rassurer le patient sur son intégrité
d’air, parfois striction pharyngée, polypnée ou hyperpnée. physique (dont il doute souvent lorsqu’il s’agit d’une
✔ De nombreux autres symptômes peuvent être présents : crise d’angoisse avec symptômes somatiques) et de
– transpiration excessive, tremblements, secousses musculaires, sensations nouer une relation de confiance. Plus le contact est
d’étourdissement, de vertige (sans caractère rotatoire), d’instabilité, parfois malaise difficile à établir, plus il sera important de parler et
avec perte de connaissance incomplète. d’expliquer au patient les différents actes accomplis.
Plus rarement : Au-delà de cette réassurance à laquelle nombre
– symptômes digestifs : nausées, gêne ou douleur abdominale, diarrhée ; de patients sont sensibles, il sera le plus souvent
– symptômes urinaires : pollakyurie, besoins impérieux, paresthésies : sensations de nécessaire d’avoir recours à un traitement
fourmillement, de picotements... médicamenteux.
✔ S’y associent des manifestations subjectives d’angoisse : Deux familles de médicaments peuvent être
– sensation de mort imminente, de maladie grave, sensation de perte de conscience, utilisées : les benzodiazépines ou les neuroleptiques
peur de devenir fou, peur de perdre le contrôle, de faire n’importe quoi (d’être sédatifs. Dans le cas d’une crise d’angoisse simple,
capable de se livrer à un acte répréhensible, dangereux ou incongru). on choisira une benzodiazépine (par exemple,
✔ Et parfois des manifestations psychosensorielles : Lexomilt : 1/2 comprimé ou Serestat 10 mg). Le
– sensations de dépersonnalisation : de perte ou de modification des limites produit sera en règle plus rapidement résorbé et
corporelles, de dédoublement ; donc actif s’il administré per os. Le Lysanxiat peut
être administré en per lingual ce qui assure une
– sensations de déréalisation : impression de perte, du caractère familier du monde
résorption très rapide. Cependant, on pourra préférer
extérieur, sensation de jamais vu, de perte de contact avec la réalité ;
une administration en intramusculaire pour son
– distorsion des perceptions : modification de l’intensité des sons ou des images,
action placebo ou lorsqu’une administration per os
vision floue, distorsion des formes.
© Elsevier, Paris

est impossible. Dans le cas d’une crise d’angoisse


Au niveau comportemental, le sujet est le plus souvent inhibé, voire sidéré et cherche intense ou s’accompagnant d’agitation ou
à se rassurer dans un lieu familier ou auprès de personnes sécurisantes. Une d’agressivité, on préférera un neuroleptique sédatif :
agitation est rare. par exemple Clopixolt ou Terciant. La voie
d’administration (per os ou intramusculaire) sera

1
7-0060 - Syndrome anxieux

fonction du degré de coopération du patient. ‚ Comment distinguer une angoisse – prenez-vous encore plaisir à certaines choses ?
L’administration d’un neuroleptique sédatif impose pathologique de l’anxiété normale ? – avez-vous du mal à prendre des décisions ?
une vigilance particulière par rapport aux effets – vous intéressez-vous encore à quelque chose ?
En effet, l’anxiété est un sentiment banal qui ne
secondaires neurologiques (risque de dyskinésies – faites-vous moins de choses que d’habitude ?
nécessite pas toujours, et loin s’en faut, une prise en
aiguës) et cardiovasculaires (risque d’hypotension – avez-vous tendance à vous perdre en
charge. On a proposé plusieurs critères de
orthostatique). ruminations moroses ?
distinction.
– vous sentez-vous fatigué, sans ressort ?
■ L’angoisse pathologique est une peur sans
‚ Quels sont les examens secondaires objet. Ce n’est pas toujours le cas : d’une part, une
– dormez-vous mal ?
à pratiquer ? – avez-vous des problèmes de mémoire et de
angoisse pathologique peut survenir en réaction à
concentration ?
Aucun examen secondaire ne doit être des facteurs de stress identifiables et disparaître
– vous est-il arrivé d’avoir envie de mourir ?
systématique. lorsque ces facteurs de stress ne sont plus présents.
Cette dernière question portant sur l’idéation
D’éventuelles investigations complémentaires C’est alors plutôt l’intensité et la durée de la réponse
suicidaire doit être posée au moindre doute : des
seront pratiquées en fonction de l’interrogatoire et anxieuse face à ces événements stressants qui en
idées de suicide sont fréquentes aussi bien chez le
de l’examen physique. En pratique, la fréquence des marquent le caractère pathologique. D’autre part, le
sujet anxieux que déprimé et les évoquer n’est pas
manifestations cardiovasculaires amène à faire un trac est une réponse anxieuse banale et ne justifiant
incitatif au passage à l’acte bien au contraire. Le fait
électrocardiogramme (ECG). Devant des signes le plus souvent aucun traitement ; pourtant les
de parler de ses idées de suicide peut constituer un
d’orientation, on pourra être amené à demander situations engendrant le trac ne comportent aucun
soulagement pour le patient, lui permettant d’éviter
une recherche de toxique, un bilan thyroïdien, un danger réel.
de passer à l’acte. Dans des cas plus sévères,
bilan biologique à la recherche de signes ■ L’angoisse pathologique est caractérisée par
l’exploration de cette question peut aider à prendre
d’imprégnation alcoolique, une glycémie chez un son intensité excessive. Là encore, ce critère est loin
les mesures de protection et de soins qui s’imposent.
d’être constamment vérifié : certaines situations de
diabétique traité, etc. D’autre part, les plaintes somatiques des déprimés
danger réel peuvent entraîner un vécu émotionnel
très intense. D’autre part, il existe des angoisses et des sujets anxieux auraient une certaine valeur
‚ Quand faut-il hospitaliser ? discriminante (tableau I).
pathologiques sans bouleversement émotionnel
La poursuite des soins peut nécessiter une mais qui ont un retentissement important sur le En pratique, devant un patient anxieux, on
hospitalisation : c’est le cas lorsque les soins fonctionnement de l’individu. explorera les différents champs (affect, estime de soi,
immédiats n’ont pas permis de résoudre la crise ■ L’angoisse pathologique entraîne une comportement, symptômes somatiques, variation
d’angoisse ou lorsque cette crise survient dans le inhibition. C’est sans doute le meilleur critère. au cours de la journée) à la recherche d’un éventuel
cadre d’un trouble psychiatrique sévère : état L’angoisse pathologique bloque les capacités de syndrome dépressif (tableau II). La notion d’une
dépressif sévère, état délirant. L’expression d’idées réponse, d’initiative, d’adaptation du sujet. modification du fonctionnement habituel du sujet,
suicidaires pourra également inciter à avoir recours à Widlöcher propose de la caractériser par cet d’une rupture par rapport à son état antérieur est
l’hospitalisation. D’une façon plus générale, une aphorisme : « Ne rien pouvoir faire, mais ne pouvoir essentielle.
hospitalisation brève peut permettre de faire un faire que ce rien ».


bilan dans un climat plus serein afin de mieux cerner
le diagnostic dans certains cas difficiles ou douteux. ‚ Comment distinguer un syndrome Prise en charge
Une orientation en milieu spécialisé pour la suite des anxieux d’un syndrome dépressif ? d’un syndrome anxieux
soins pourra être envisagée si nécessaire au-delà de En effet, l’anxieux est souvent triste, l’inhibition
cette période d’observation. anxieuse peut facilement être confondue avec le Elle dépend du trouble psychiatrique dans lequel
Le plus souvent, la prise en charge immédiate ralentissement dépressif. De plus, une complication il s’inscrit.
permet d’obtenir une sédation de la crise et dépressive est très fréquente dans les troubles
l’hospitalisation ne semble pas nécessaire. Il faudra anxieux et nombre de dépressions comportent des ‚ Syndrome anxieux d’origine organique
alors s’assurer que le cadre thérapeutique symptômes anxieux. Il s’agit sans doute de l’un des Avant d’envisager les différentes causes
permettant la prise en charge du trouble dans lequel diagnostics différentiels les plus difficiles en psychiques d’un syndrome anxieux, il conviendra
s’inscrit cette crise soit bien établi. On rejoint alors le psychiatrie, essentiel cependant pour la mise en d’éliminer une cause organique par un examen
cas plus général de la prise en charge d’un œuvre d’une prise en charge adaptée. somatique : rechercher par l’interrogatoire des prises
syndrome anxieux que nous allons à présent Une série de questions simples peut aider le de toxiques (surtout chez l’adolescent et le jeune
envisager. clinicien à dégager le syndrome dépressif au cours adulte) et une interruption brutale d’un traitement
d’une simple consultation : psychotrope (benzodiazépines surtout) minimisé ou


Comment reconnaître
un syndrome anxieux ?
Tableau I. – Symptômes somatiques les plus fréquents dans l’anxiété et dans la dépression.

Dépression Anxiété
‚ Principales caractéristiques Troubles du sommeil : réveil précoce, réveil en mi- Dérèglements neurovégétatifs : précordialgies, pal-
lieu de nuit, diffıcultés d’endormissement, sommeil pitations, dyspnée, troubles de la miction
Un syndrome anxieux se caractérise par : non réparateur, hypersomnie
– un vécu subjectif : sensation de tension Diminution de l’appétit, amaigrissement, prise de Sensations vertigineuses, lipothymies, fourmille-
intérieure, sentiments de peur ou de danger poids, constipation ments des membres
imminent sans danger réel, soucis excessifs ou
Maux de tête ou tête lourde, douleurs Tensions et douleurs musculaires, modification des
injustifiés, sensations de dépersonnalisation ; somatiques diffuses réflexes ostéotendineux, intolérance aux bruits
– et une composante somatique dont les
Fatigue générale, diminution générale de l’effı- Irrégularité ou arrêt des règles
manifestations sont très diverses (cf tableau I) ;
cience, troubles mnésiques allégués ou objectifs,
– l’anxiété et ses manifestations sont souvent diffıcultés de concentration
d’intensité fluctuante au cours de la journée,
Hyperkinésie, signes confusionnels, akinésie, amimie Troubles digestifs : gastralgies, douleurs abdomina-
pouvant aller jusqu’au paroxysme de la crise les, sécheresse de la bouche, goût amer
d’angoisse aiguë.

2
Syndrome anxieux - 7-0060

être maintenu à doses efficaces sans effets


Tableau II. – Principaux éléments du diagnostic différentiel entre anxiété et dépression. secondaires sédatifs qui pourraient s’avérer gênants
Symptômes Anxieux Dépressifs au-delà des premières semaines de traitement.

L’avenir est craint et vu en noir, le Il n’y a plus d’avenir, sentiment de ‚ Anxiété symptomatique
sujet peut être réconforté et les affects « voie sans issue », le pessimisme et d’un trouble anxieux
La tristesse
dépressifs sont labiles les idées dépressives sont
permanentes il s’agit d’un syndrome anxieux « pur ».
La tristesse et les ruminations dé- Plus qu’une tristesse, le déprimé peut Dans le cas où la symptomatologie résume et
pressives sont liées au niveau d’an- exprimer une anesthésie affective : organise le tableau clinique, il s’agit d’un trouble
L’humeur
xiété. L’anxieux est hyperréactif à « plus rien ne me touche vraiment » anxieux. Selon le type de syndrome anxieux, trois
l’environnement
types de troubles anxieux sont distingués donnant
La capacité à trouver du plaisir La perte d’intérêt et de plaisir est lieu à des prises en charge distinctes.
Le désintérêt
persiste globale
Insomnie d’endormissement, sensible Insomnie de milieu et de fin de nuit, Trouble panique
Le sommeil
aux hypnotiques résistante aux hypnotiques La symptomatologie s’organise autour de la
L’énergie est conservée mais Absence d’énergie ou d’élan survenue inopinée de crises d’angoisse aiguë ou
L’inhibition
entravée attaques de panique : il s’agit d’un trouble panique.
L’extérieur est rendu responsable des Sentiment de dévalorisation, de cul- C’est le plus souvent à l’occasion d’une crise
L’estime de soi diffıcultés pabilité, à l’extrême, le sujet s’accuse d’angoisse ou à son décours que le patient va
de fautes qu’il n’a pas commises consulter, convaincu d’être atteint d’un trouble
Les troubles fluctuent sans régularité Les troubles prédominent le matin et somatique auquel il impute les manifestations
Le rythme nycthéméral physiques intenses qu’il a ressenti. Après un
ou prédominent le soir s’améliorent en fin de journée
interrogatoire soigneux qui recensera les
Souvent conservé, avec des nausées Souvent absent
L’appétit symptômes décrits par le patient et qui recherchera
ou un seuil de satiété abaissé
les manifestations subjectives de la crise d’angoisse
Une tentative de suicide peut être La mort peut être envisagée comme la
(cf encadré), un examen somatique éliminera une
envisagée ou réalisée pour fuir les seule issue
Le suicide cause organique. L’examen cardiovasculaire sera
diffıcultés mais sans réelle volonté
de mort particulièrement attentif et on recherchera une
hypertension artérielle (HTA) compte tenu de son
Les troubles ont débuté à l’adoles- Toute anxiété débutant après 40 ans
L’âge cence ou chez l’adulte jeune chez un patient sans antécédent est risque accru dans le trouble panique.
évocatrice de dépression La chronologie du développement des
symptômes permettra de confirmer le diagnostic :
méconnu par le praticien jusqu’alors. Un sevrage en non d’une hospitalisation) se justifie au moindre les troubles ont débuté par une attaque de panique
toxiques (alcool, produits illicites) devra également doute. L’hospitalisation sera nécessaire en cas de inaugurale, inopinée et brutale et dont le patient se
être évoqué. risque suicidaire important (et l’existence d’une souvient en général très bien même si elle date de
anxiété est un facteur favorisant le passage à l’acte), plusieurs années. Cette crise est survenue en dehors
L’examen somatique permettra d’éliminer les
en cas de dépression grave avec risque de mauvaise d’une situation particulière et sans facteur
principales causes organiques de syndromes
observance du traitement ou lorsque l’environ- déclenchant, même si des événements de vie
anxieux : troubles endocriniens (dysthyroïdie surtout)
nement est défaillant (manque de soutien familial). difficiles sont éventuellement survenus dans les
pour les troubles chroniques, troubles cardio-
semaines ou les mois précédents. Puis de nouvelles
vasculaires, épilepsie, hypoglycémie pour les crises Le diagnostic différentiel entre syndrome anxieux
crises se sont produites et plus ou moins rapidement,
d’angoisse aiguë. et syndrome dépressif, nous l’avons vu, est difficile.
parfois d’emblée, s’est installée une peur de la
En dehors de l’existence de signes d’orientation à En cas de doute persistant, l’attitude préconisée
survenue de ces crises ou anxiété anticipatrice. Le
l’interrogatoire ou lors de l’examen physique, aucun consiste généralement à privilégier les éléments
terrain est évocateur d’un trouble anxieux : il s’agit
examen complémentaire particulier ne se justifie dépressifs du tableau clinique et à prescrire un
d’un adulte jeune, le plus souvent une femme. Le
devant un syndrome anxieux. antidépresseur. Il y a en effet moins de risques à
diagnostic de trouble panique peut être posé.
donner un antidépresseur à un anxieux qu’à ne pas
‚ Anxiété symptomatique traiter rapidement une dépression réelle. Si on opte On recherchera alors la survenue d’éventuelles
d’un état dépressif néanmoins pour un traitement tranquillisant, le complications : en premier lieu une complication
patient devra être revu à 8 jours pour vérifier son dépressive, particulièrement fréquente puisqu’elle
Le premier diagnostic psychiatrique à évoquer
amélioration et pouvoir introduire un antidépresseur concernerait un à deux tiers des patients, une
devant la survenue d’un syndrome anxieux est celui
si nécessaire. agoraphobie, c’est-à-dire l’évitement de certaines
d’un trouble dépressif : extrêmement fréquent, trop
situations dans la crainte de la survenue de
souvent méconnu, sa reconnaissance est d’autant En ce qui concerne le traitement médicamenteux,
nouvelles crises, et un abus d’alcool ou de
plus essentielle que le pronostic d’un état dépressif on pourra opter, devant un tableau de dépression
tranquillisants.
tient pour beaucoup à la rapidité de sa prise en avec une forte composante anxieuse, soit pour un
charge et que ses risques évolutifs sont antidépresseur sédatif (par exemple : amitriptyline, ¶ Quelle est la stratégie thérapeutique devant un
potentiellement sévères (risque suicidaire en Laroxylt, miansérine, Athymil t, fluvoxamine, trouble panique ?
particulier). L’apparition d’une anxiété après 40 ans Floxyfralt) soit pour une association d’un L’existence d’une prise en charge spécifique pour
chez un sujet indemne jusque-là orientera fortement antidépresseur (par exemple un tricyclique type le trouble panique a justifié son isolement au sein
vers un diagnostic de dépression. clomipramine, Anafranilt, ou un inhibiteur de la des troubles anxieux : elle repose sur la prescription
Un diagnostic de trouble dépressif imposera la recapture de la sérotonine type fluoxétine, Prozact d’un traitement médicamenteux préventif de la
mise en route d’une prise en charge adaptée. Le ou paroxétine, Déroxatt) que l’on associera à un survenue des attaques de panique. Les
recours à une consultation spécialisée soit pour la traitement tranquillisant. Cette deuxième solution antidépresseurs ont fait la preuve de leur efficacité
mise en route du traitement médicamenteux (et permet une plus grande souplesse d’emploi : le dans cette indication.
éventuellement psychothérapique), soit pour décider traitement tranquillisant est supprimé dès que Le traitement est en général initié en ambulatoire.
du cadre initial de la prise en charge (nécessité ou possible alors que le traitement antidépresseur peut Du fait d’une hypervigilance anxieuse à toute

3
7-0060 - Syndrome anxieux

Trouble anxieux généralisé


Critères diagnostiques du trouble Traitements médicamenteux dans le La symptomatologie anxieuse évolue sur un
panique sans agoraphobie selon le trouble panique mode chronique sans attaques de panique
DSM IV caractérisées : il s’agit d’un trouble anxieux
✔ Les benzodiazépines sont le
✔ À la fois (1) et (2) : traitement de choix des attaques de généralisé.
(1) attaques de panique récurrentes et panique : Les circonstances de demande de soins sont plus
diverses et ce peut être à l’occasion d’un problème
inattendues ; l’administration se fera plutôt per os,
somatique mineur que le trouble anxieux est
(2) au moins une des attaques s’est éventuellement en per lingual
identifié. Les manifestations sont extrêmement
accompagnée pendant 1 mois (ou plus) (Lysanxiat). La posologie sera
polymorphes (tableau I) et là encore, un examen
de l’un (ou plus) des symptômes fonction de la sensibilité individuelle
somatique attentif devra éliminer un problème
suivants : du patient (par exemple, Lexomilt 1/4 organique et rassurer le patient. L’interrogatoire
– crainte persistance d’avoir d’autres à 3/4 cp, Serestat 10 à 25 mg). essayera de préciser le retentissement fonctionnel de
attaques de panique ; ✔ Les antidépresseurs sont prescrits l’anxiété (importance de l’inhibition anxieuse,
– préoccupations à propos des pour éviter la survenue de nouvelles changements de mode de vie liés à l’anxiété ou à
implications possibles de l’attaque crises d’angoisse : des préoccupations somatiques en rapport avec
ou bien de ses conséquences (par – antidépresseurs tricycliques : par l’anxiété) et recherchera ses fréquentes
exemple, perdre la raison, avoir une exemple, imipramine (Tofranilt) ou complications : la dépression d’abord et un abus
crise cardiaque, « devenir fou ») ; clomipramine (Anafranilt) à une d’alcool ou de médicaments (benzodiazépines +++).
– changement de comportement posologie de 25 à 200 mg/j ; La prise en charge de ce type de trouble associe
important en relation avec les – inhibiteurs de la recapture de la des prescriptions de tranquillisants et un abord
attaques. sérotonine : par exemple fluoxétine psychologique. Le traitement médicamenteux de
(Prozact) ou paroxétine (Déroxatt). choix est un traitement tranquillisant, benzodiazé-
✔ Absence d’agoraphobie.
pines surtout.
Les benzodiazépines ont également
✔ Les attaques de panique ne sont
montré une efficacité, en particulier
pas dues aux effets physiologiques Traitements médicamenteux dans le
l’alprazolam (Xanaxt) mais la
directs d’une substance (par trouble anxieux généralisé
nécessité d’une prescription de longue
exemple, une substance donnant lieu
durée pose problème avec ce type de
à un abus, un médicament) ou d’une ✔ Les benzodiazépines.
molécules.
affection médicale générale (par De préférence à demi-vie longue pour
exemple, hyperthyroïdie). éviter les rebonds anxieux et limiter
les symptômes de sevrage. Choisir en
✔ Les attaques de panique ne sont fonction de ses habitudes ou en
pas expliquées par un autre trouble fonction d’une bonne réactivité
Exemple d’ordonnance initiale pour
mental, telle une phobie sociale (par antérieure du patient. La posologie est
le traitement médicamenteux d’un
exemple, survenant lors de variable et à adapter en fonction de la
trouble panique.
l’exposition aux situations sociales
✔ Tofranilt 10 : sensibilité individuelle.
redoutées), une phobie spécifique – La buspirone (Buspart) est une
– 1 cp matin et soir pendant 2 jours ;
(par exemple, lors de l’exposition à alternative intéressante. Son effet est
– 1 cp matin, midi et soir pendant 2
une situation phobogène spécifique), plus progressif et différé.
jours ;
un trouble obsessionnel compulsif – Les bêtabloquants peuvent être
– puis augmenter de 1 cp tous les
(par exemple lors de l’exposition à la prescrits pour certains symptômes
jours jusqu’à 6 cp/j répartis dans la
saleté chez quelqu’un ayant une anxieux somatiques (symptômes
journée.
obsession de la contamination), un
✔ Lexomilt : 1/4 cp matin et soir et cardiovasculaires, tremblements). Il
état de stress post-traumatique (par s’agit cependant d’un usage
1/4 de cp si besoin.
exemple, en réponse à des stimulus
✔ Me contacter par téléphone en cas détourné.
associés à un facteur de stress – Les antidépresseurs tricycliques en
de problème.
sévère) ou à un trouble anxiété de
✔ Ordonnance pour 2 semaines. particulier seraient efficaces dans
séparation (par exemple, en réponse l’anxiété. On préfère cependant en
au fait d’être éloigné de son domicile général réserver leur utilisation aux
ou de ses proches). troubles dépressifs.
✔ Les neuroleptiques ne doivent pas
sensation corporelle, le traitement, son but, ses effets Un traitement psychologique peut être indiqué
être prescrits dans cette indication.
secondaires éventuels, son délai d’action devront dans un second temps en cas de réponse
être clairement expliqués et le patient devra pouvoir insuffisance à un traitement médicamenteux bien
joindre facilement son médecin en cas de problème. conduit ou en cas de conduites phobiques avec La principale difficulté du traitement réside dans
La posologie sera très progressivement croissante en évitement des situations supposées déclencher les sa durée : trop court, il ne permet pas de réelle
fonction de la tolérance et une benzodiazépine crises d’angoisse. Les thérapies cognitives et amélioration, trop long, il risque d’induire une
pourra être initialement et transitoirement associée. comportementales sont particulièrement indiquées. dépendance médicamenteuse. Le principe du
La durée totale du traitement de fond par Elles devront être réalisées par un thérapeute formé traitement est la répétition de cures les plus brèves
antidépresseur est en règle prolongée : on préconise à cette technique. Une psychothérapie d’inspiration possible lors des périodes de stress et de
une durée de 4 à 12 mois de maintien de la psychanalytique pourra également être proposée en recrudescence anxieuse. On considère qu’au-delà de
posologie efficace, puis une réduction très cas de trouble de la personnalité avec difficultés 3 mois de traitement par benzodiazépines, le risque
progressive des doses sous surveillance afin de relationnelles et chez des patients désireux de d’une dépendance et donc de survenue de
vérifier l’absence de réémergence symptomatique. comprendre leurs conflits internes. symptômes de sevrage à l’arrêt du traitement est

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Syndrome anxieux - 7-0060

réel. C’est d’ailleurs la durée maximale de Dans le trouble phobique, l’angoisse ne survient également être proposée dans des formes
prescription préconisée par les RMO. que lorsque le sujet est confronté à une situation d’intensité modérée et survenant sur une structure
L’abord psychologique est particulièrement utile (lieu dont on ne peut sortir facilement dans de personnalité pathologique.
pour aider le patient à affronter les situations l’agoraphobie, situations sociales particulières dans
stressantes sans avoir systématiquement recours les phobies sociales) ou à un objet (animaux, vue du Trouble obsessionnel compulsif
aux tranquillisants. Différentes formes de sang, etc) qu’il craint d’une manière irraisonnée et
L’angoisse réside dans la survenue de pensées
psychothérapies peuvent être proposées : extrême. En règle générale, le sujet évite cette
obsédantes que le sujet considère comme absurdes
psychothérapie de soutien, psychothérapie cognitive confrontation dont il sait qu’elle peut déclencher de
ou indignes et qu’il cherche à neutraliser par des
et comportementale, psychothérapie d’inspiration véritables attaques de panique. Il peut également,
actes ou des pensées ritualisés : il s’agit d’un trouble
psychanalytique. Un abord corporel est pour affronter la situation phobogène, se faire
obsessionnel compulsif.
recommandé dans les formes à expression accompagner par une personne de son entourage
somatique : la relaxation, l’apprentissage de la Les pensées obsédantes, par leur contenu
investie d’un pouvoir protecteur. En dehors de cette
maîtrise de la respiration peuvent aider à une absurde ou répugnant, en contradiction avec les
confrontation (ou de la crainte qu’elle ne survienne),
meilleure maîtrise des sensations corporelles. règles morales du sujet, leur caractère intrusif et
l’anxiété n’apparaît pas.
irrépressible sont extrêmement pénibles. Le sujet
Trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse La prise en charge d’un trouble phobique lutte souvent activement et avec une forte anxiété
La symptomatologie anxieuse est survenue en nécessite en principe une intervention spécialisée pour éviter leur survenue qu’il ne parvient pas à
réaction à un facteur de stress identifiable : il s’agit dans la mesure où une psychothérapie structurée est contrôler. Il met en place des rituels pour essayer de
d’un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse. le plus souvent nécessaire. Le traitement associe réduire son anxiété : par exemple, refaire le même
Le tableau clinique est proche de celui d’un généralement un traitement médicamenteux chemin ou vérifier dans son rétroviseur et l’état des
trouble anxieux généralisé mais un facteur (antidépresseurs dans le but de prévenir la survenue roues à l’arrivée en cas d’obsession d’écraser un
déclenchant (en général un événement important d’attaques de panique ou benzodiazépines afin de passant en roulant en voiture, ou bien se laver les
dans le domaine affectif ou professionnel) peut être réduire l’anxiété anticipatrice et éventuellement les mains en cas d’obsession de la contamination. Ces
clairement identifié et a précédé la survenue du attaques de panique) et un abord psychologique. Les rituels peuvent devenir très envahissants et occuper
tableau anxieux chez un sujet jusque-là indemne de troubles phobiques constituent l’indication de choix le sujet pendant des heures et sont eux-mêmes
ce type de manifestations. En fait, les formes de des thérapies cognitives et comportementales : elles source d’angoisse par le caractère impératif qu’ils
passage avec un trouble anxieux généralisé visent à aider le sujet à se confronter à l’objet de sa acquièrent rapidement.
chronique sont nombreuses. phobie en contrôlant sa réponse émotionnelle et à Le terrain est évocateur : les troubles ont débuté
L’intérêt de l’identification de ce trouble réside faire disparaître le renforcement lié aux conduites dans l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte jeune,
dans l’idée qu’un traitement adapté peut, dans un d’évitement (éviter une situation renforce la crainte des traits de personnalité obsessionnelle sont
certain nombre de cas, éviter un passage à la initiale de son caractère dangereux). Une souvent présents. Le diagnostic de trouble
chronicité. Un traitement médicamenteux obsessionnel compulsif peut être posé.
psychothérapie d’inspiration psychanalytique peut
(tranquillisants) est nécessaire afin de faire
disparaître les symptômes anxieux et l’inhibition qui
en résulte et de permettre au sujet de retrouver ses
capacités de réaction et d’adaptation. Ce traitement Critères diagnostiques du DSM IV du trouble obsessionnel-compulsif
doit être donné à doses efficaces. Le risque
✔ Existence soit d’obsessions, soit de compulsions :
d’apparition d’une dépendance est en principe très
– Les obsessions sont définies par (1), (2), (3) et (4) :
faible. Ce traitement sera accompagné par un
(1) les pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes, à certains
soutien psychologique chaleureux visant à renforcer
chez le patient une image positive et active d’un
moments de l’affection, sont ressenties comme intruses et non appropriées et qui
sujet capable de faire face à la situation difficile. entraînent une anxiété ou une détresse importante ;
Un cas particulier de ce trouble est la réaction (2) les pensées, impulsions ou représentations ne sont pas simplement des
anxieuse face à une maladie grave. Le patient attend préoccupations excessives concernant les problèmes de la vie réelle ;
alors du médecin qui le suit pour cette pathologie (3) le sujet fait des efforts pour ignorer ou réprimer ces pensées, impulsions ou
sévère, qu’il l’aide à surmonter cette réaction représentations ou pour neutraliser celles-ci par d’autres pensées ou actions ;
anxieuse. (4) le sujet reconnaît que les pensées, impulsions ou représentations obsédantes
proviennent de sa propre activité mentale (elles ne sont pas imposées de l’extérieur
‚ Anxiété symptomatique comme dans le cas de pensées imposées).
d’un trouble névrotique
– Les compulsions sont définies par (1) et (2) :
Ce sont ses circonstances d’apparition qui (1) les comportements répétitifs (par exemple, lavage des mains, ordonner, vérifier)
orienteront vers le diagnostic. ou les actes mentaux (par exemple, prier, compter, répéter des mots silencieusement)
Là encore, après avoir essayé de caractériser au que le sujet se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession ou selon
mieux le trouble névrotique et ses conséquences sur
certaines règles qui doivent être appliquées de manière inflexible ;
le fonctionnement du sujet (degré de retentissement
(2) les comportements ou les actes mentaux sont destinés à neutraliser ou à diminuer
du trouble sur sa vie quotidienne, sur son image de
le sentiment de détresse ou à empêcher un événement ou une situation redoutée ;
lui-même, sur sa relation à ses proches), la recherche
cependant, ces comportements et ces actes mentaux sont soit sans relation réaliste
de complications sera primordiale et avant tout la
recherche d’une complication dépressive,
avec ce qu’ils se proposent de neutraliser ou de prévenir, soit manifestement
particulièrement fréquente, et d’un abus d’alcool ou
excessifs.
de tranquillisants (un sevrage peut être à l’origine de ✔ À un moment donné d’évolution du trouble, le sujet a reconnu que les obsessions
la recrudescence anxieuse motivant la consultation). ou les compulsions étaient excessives ou irraisonnées.
✔ Les obsessions ou compulsions sont à l’origine de sentiments marqués de
Trouble phobique détresse, d’une perte de temps considérable (prenant plus de 1 heure par jour) ou
L’angoisse est liée à des situations ou des objets interfèrent de façon significative avec les activités habituelles du sujet, son
spécifiques auxquels le sujet évite d’être confronté : il fonctionnement professionnel ou ses activités ou relations sociales habituelles.
s’agit d’un trouble phobique.

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7-0060 - Syndrome anxieux

État de stress post-traumatique Elle associe un traitement médicamenteux et une d’un risque suicidaire, une hospitalisation brève est
L’angoisse est liée à la confrontation avec des prise en charge psychologique dont les modalités le plus souvent nécessaire. Un traitement
situations ou des objets rappelant au sujet une seront fonction du tableau clinique. Dans l’immédiat neuroleptique sédatif, un environnement
situation de stress extrême : il s’agit d’un état de et avant l’intervention du spécialiste, il sera sécurisant et un abord psychologique du vécu
stress post-traumatique. important de soulager l’angoisse du patient par un d’abandon permettent en général en quelques
Dans l’état de stress post-traumatique, le sujet a soutien chaleureux et la prescription d’un traitement jours la sédation de l’angoisse et la disparition des
été confronté à un événement stressant d’une tranquillisant. symptômes psychotiques. L’hospitalisation
exceptionnelle gravité (durant lequel son intégrité permettra en outre de rechercher un état dépressif
physique ou celle d’autrui a été menacée) et qu’il a
Décompensation anxieuse particulièrement fréquent chez ces sujets fragiles et
vécu dans un climat de peur intense, d’impuissance L’anxiété, le plus souvent de survenue aiguë et dont l’existence instable est émaillée événements
et d’horreur. Il peut s’agir par exemple d’un viol, très intense, est liée à une situation de menace de de vie difficiles.
d’une prise d’otage, d’un attentat, de faits de guerre, séparation ou de perte et s’associe à des troubles du
etc. comportement ou à des sentiments persécutifs : il Symptômes psychotiques
La confrontation ultérieure avec des stimuli en s’agit d’une décompensation anxieuse chez un sujet Ils sont au premier plan car il s’agit d’une angoisse
relation avec cet événement peut être à l’origine présentant une organisation limite de la psychotique.
d’une résurgence anxieuse d’une intensité extrême. personnalité. Plus fréquemment qu’une angoisse de
Par exemple, retourner sur les lieux du traumatisme, Ces sujets présentant un trouble sévère de la néantisation ou de morcellement, l’angoisse chez un
rencontrer quelqu’un qui était présent, entendre aux personnalité sont susceptibles de décompensations patient psychotique est généralement sous-tendue
informations le récit d’un événement du même type, anxieuses graves et brutales durant lesquelles un par des idées délirantes qu’il faudra savoir
etc. passage à l’acte est particulièrement à redouter rechercher. Le patient peut cependant être réticent à
Le diagnostic repose sur l’existence de signes compte tenu de leur impulsivité. Des symptômes livrer ses idées délirantes, soit parce qu’il pressent
spécifiques (en particulier des cauchemars répétitifs psychotiques de courte durée ne sont pas rares : qu’elles ne seront pas partagées, soit parce qu’il
ayant un lien avec l’événement, des souvenirs sentiments de perte des limites de soi, d’hostilité de s’agit d’idées délirantes de persécution qui peuvent
répétitifs et envahissants, un émoussement affectif l’ambiance, voire idées délirantes plus structurées en concerner l’interlocuteur. Ainsi, le seul indice de
touchant tout ce qui ne concerne pas le général à thèmes persécutifs. Le facteur déclenchant l’existence d’idées délirantes est parfois la réticence.
traumatisme, etc) et doit conduire à une prise en de ces décompensations est le plus souvent une Toute suspicion et a fortiori toute certitude
charge spécialisée. situation d’abandon réelle ou imaginaire. concernant l’existence d’idées délirantes chez un
Cette prise en charge sera d’autant plus efficace Du fait de l’intensité de l’angoisse qui résiste patient doit amener à l’orienter le plus rapidement
qu’elle intervient rapidement après le traumatisme. généralement aux premières mesures d’urgence et possible vers une consultation psychiatrique.

Christine Passerieux : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Syndrome anxieux.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0060, 1998, 6 p

Références

[1] American Psychiatric Association. MINI DSM IV. Critères diagnostiques [3] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiques
(Washington DC, 1994). Traduction française par Guelfi JD et al. Paris : Masson, en psychiatrie. Paris : Doin, 1993
1996 : 1-384
[4] Senon JL, Sechter D, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-
[2] Dantchev N, Hardy-Baylé MC, Hardy P. Anxiété. Encycl Med Chir (Elsevier, mann Science et Pratique médicale, 1995
Paris), Thérapeutique, 25-428-A-10, 1994 : 1-8

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7-0070
7-0070

Démarche diagnostique
Encyclopédie Pratique de Médecine

devant un syndrome délirant


V Olivier

U n syndrome délirant est caractérisé par la présence d’une ou de plusieurs idées délirantes qui peuvent ou non
avoir un lien entre elles. Il est parfois difficile de reconnaître le caractère délirant d’un propos, en particulier
lorsque la cohérence du discours et la conviction du sujet sont telles qu’elles peuvent entraîner l’adhésion de
l’entourage, voire celle du médecin. Le rôle du médecin est donc, dans un premier temps, de reconnaître le caractère
délirant d’une ou de plusieurs idées
© Elsevier, Paris.


L’apparition brutale d’idées délirantes impose le la réalité pour affirmer la fausseté des propos (par
Introduction plus souvent des soins immédiats en milieu exemple, des idées de jalousie ou de persécution) ;
hospitalier en raison de troubles du comportement soit par l’existence, dans le discours du sujet, d’un
fréquemment associés. Le médecin généraliste a certain degré de critique ou de doute à l’égard de ses
Un syndrome délirant ne constitue pas à lui seul pour rôle de convaincre le patient et/ou sa famille de idées fausses (perplexité par rapport à la réalité de
une entité clinique. En effet, un syndrome délirant la nécessité de l’hospitalisation et, si nécessaire, ses idées).
peut apparaître au cours de différentes pathologies d’aider la famille à prendre une décision
psychiatriques (troubles thymiques, schizophrénie, d’hospitalisation sous contrainte en cas de refus du


délires chroniques...) et médicales. L’existence d’idées patient. Une telle hospitalisation peut s’effectuer Caractériser le syndrome
délirantes impose donc un bilan diagnostique qui avec l’aide du service psychiatrique de secteur.
délirant et rechercher les signes
permettra d’intégrer ces idées dans une pathologie
associés
psychiatrique ou médicale. Le rôle du médecin
généraliste est d’éliminer une pathologie médicale Le rôle fondamental du médecin Les caractéristiques du délire et les signes associés
(maladie neurologique, alcoolique, endocrinienne, généraliste dans la prise en charge au syndrome délirant permettent d’orienter le
toxicomanie...), toxique (cannabis, hallucinogènes, d’un trouble délirant est donc de diagnostic et la prise en charge immédiate.
cocaïne, amphétamines) ou iatrogène (antitubercu- faciliter un diagnostic et une prise en
leux, corticoïdes, antiparkinsoniens, L-dopa, charge précoces en assurant le lien ‚ Caractéristiques du délire
anticholinergiques...) par un examen clinique entre le patient, sa famille et le milieu Les caractéristiques principales du délire sont les
soigneux et la pratique éventuelle d’examens psychiatrique. thèmes délirants c’est-à-dire le contenu des idées
complémentaires. Lorsqu’une affection médicale est délirantes, les mécanismes de construction de
écartée, la présence d’idées délirantes doit l’activité délirante, le degré d’organisation et
La démarche diagnostique devant un syndrome
systématiquement justifier une consultation d’extension du délire, la participation émotionnelle
délirant comporte deux étapes :
psychiatrique pour un bilan diagnostique et du sujet à son activité délirante (conviction délirante),
– la première est de reconnaître ou de confirmer
thérapeutique. et la qualité de la communication.
l’existence d’un syndrome délirant ;
Les caractéristiques du délire (caractère aigu ou
– la deuxième est de préciser les caractéristiques
chronique, thèmes et mécanismes délirants, Thèmes du délire
du délire et les signes associés qui permettent
investissement du délire, qualité de la communi-
d’orienter le diagnostic et la prise en charge Le contenu des idées délirantes peut être très
cation) et les signes associés (incohérence et
immédiate varié et est variable selon les sujets. Il dépend en
désorganisation du discours, symptômes thymiques,
partie de la culture, de l’histoire, de la personnalité du
dépressifs ou maniaques) permettent d’orienter le


sujet, du trouble dans lequel il s’inscrit. Les principaux
diagnostic et de prendre des mesures thérapeutiques Reconnaître une ou des idées thèmes rencontrés en psychiatrie sont les thèmes de
urgentes (prescription d’un traitement sédatif en cas délirantes persécution, mélancoliques, (culpabilité,
d’agitation ou de troubles du comportement en
autoaccusation, dévalorisation prenant un caractère
rapport avec le délire (cf chapitre « Moyens
Une idée délirante est une idée fausse, erronée, délirant), mégalomaniaques (idées de grandeur),
psychopharmacologiques »), hospitalisation sous
apparaissant en opposition manifeste avec la réalité hypocondriaques (idées fausses concernant le corps
contrainte en cas de dangerosité du patient pour
et à laquelle le sujet attache une conviction absolue, et son fonctionnement), d’influence (conviction
lui-même ou les autres).
inébranlable. d’agir sous l’influence d’autrui ou de forces
L’interprétation du caractère invraisemblable extérieures), de référence (tout ce qui se passe dans
À titre d’exemple, la prescription en d’une idée délirante nécessite de prendre en compte l’environnement du sujet se rapporte à lui), de
la culture du sujet. En effet, les croyances varient jalousie, érotomaniaques (conviction d’être aimé
© Elsevier, Paris

cas d’agitation ou de troubles du


comportement pourra être : d’une culture à l’autre ; par exemple, certains sujets par un autre sans aucune preuve de cet amour).
Loxapact (ampoule 50 mg) : 4 à 6 croient au « mauvais sort », à la sorcellerie. Ces thèmes peuvent apparaître isolés ou associés
ampoules en intramusculaire. Il est parfois difficile de reconnaître le caractère dans de nombreuses pathologies psychiatriques.
délirant d’un propos ; soit par manque d’éléments de Aucun thème n’est spécifique d’une affection

1
7-0070 - Démarche diagnostique devant un syndrome délirant

psychiatrique et ne permet donc à lui seul de poser impose une grande prudence pour le sujet « aimé » spatialisées. Les plus fréquentes en psychiatrie sont
un diagnostic. Les idées délirantes de persécution qui risque d’être l’objet d’actes hétéroagressifs graves les hallucinations auditives et visuelles :
sont notamment très fréquentes au cours d’épisodes au moment de la phase dite de rancune et pour le – les hallucinations auditives : il s’agit le plus
délirants et ne sont absolument pas spécifiques médecin qui risque d’être englobé dans le système souvent de voix. Le patient peut reconnaître la ou les
d’une maladie psychiatrique. Elles peuvent délirant du patient. L’attitude de ce dernier devra être voix, les identifier, les localiser dans l’espace. Cette
a p p a r a î t r e d a n s d iff é r e n t e s p a t h o l o g i e s souple et diplomatique et basée sur une écoute ou ces voix peuvent s’adresser directement à lui, lui
psychiatriques : dépression, manie, schizophrénie, attentive, compréhensive et neutre en évitant toute donner des conseils, des ordres, le guider. Le
trouble délirant chronique. prise de position. La prise en charge ambulatoire contenu des voix est variable, mais le plus souvent
Certains thèmes peuvent cependant orienter vers devra être effectuée dès que possible par un hostile ;
une pathologie : les thèmes mélancoliques évoquent psychiatre. Une hospitalisation en urgence et sous – les hallucinations visuelles : elles sont plus
un trouble dépressif, les thèmes mégalomaniaques contrainte doit être demandée, avec l’aide d’une fréquentes dans les pathologies organiques et
un trouble maniaque. Les thèmes mystiques ou de équipe psychiatrique de secteur, en cas de menace doivent donc faire évoquer en premier lieu un
filiation grandiose peuvent être rattachés à des ou d’actes hétéroagressifs. trouble organique. Lorsqu’elles apparaissent au
thèmes mégalomaniaques. cours d’une pathologie psychiatrique, elles sont le
Les thèmes hypocondriaques sont fréquemment Mécanismes du délire plus souvent associées à d’autres hallucinations qu’il
rencontrés en médecine générale et concernent Ce sont les mécanismes de pensée par lesquels faudra donc rechercher.
donc particulièrement le généraliste. Différentes l’idée délirante apparaît et le délire se construit.
idées hypocondriaques existent ; certaines sont Même si certains mécanismes permettent d’orienter
évocatrices d’une pathologie. Mais seul le contexte La présence d’hallucinations visuelles
le diagnostic psychiatrique, aucun n’est spécifique
de survenue de ces idées, et en particulier la impose un bilan organique afin
d’un trouble psychiatrique donné. L’ensemble des
présence de symptômes associés, permet d’établir le mécanismes délirants peuvent se rencontrer au
d’éliminer une pathologie somatique :
diagnostic. Les idées hypocondriaques de cours de différentes pathologies psychiatriques.
alcoolisme, épilepsie, prise de
transformation et de métamorphose, concernant la toxiques...
forme, le volume, la consistance du corps ou d’un ¶ Principaux mécanismes délirants
organe évoquent plutôt un trouble schizophrénique ; Intuition
les idées hypocondriaques de négation (négation Les autres types d’hallucination sont plus rares :
Le sujet admet comme vraie et réelle une
d’organe, de la personne) évoquent un trouble – les hallucinations tactiles ou cénesthésiques :
connaissance, une idée immédiate et intuitive, sans
dépressif. L’association d’une négation de la sensations de décharges électriques, sensations
justification logique. Ce mécanisme est rarement
personne, du monde extérieur, d’idées d’immortalité sexuelles... ;
isolé ; il s’associe le plus souvent à d’autres
et de damnation définit le syndrome de cottard. La – les hallucinations olfactives (perception
mécanismes délirants.
présence d’idées hypocondriaques de négation d’odeurs le plus souvent désagréables) ;
témoigne de la gravité d’une dépression et impose Interprétation – les hallucinations gustatives (perception de
une prise en charge urgente en milieu spécialisé. Les C’est un des mécanismes les plus fréquemment goûts).
idées hypocondriaques « de revendication » retrouvés au cours d’un syndrome délirant. Les hallucinations intrapsychiques sont des
survenant après une intervention chirurgicale ou un L’interprétation est l’explication erroné d’un fait réel ; phénomènes complexes, difficiles à mettre en
diagnostic insatisfaisant évoquent un délire le sujet donne une signification erronée à un fait réel. évidence. Elles sont décrites comme des voix
paranoïaque. La prise en charge initiale de ces Exemple : « Mon voisin ouvre sa fenêtre pour intérieures qui n’ont pas les caractéristiques
patients est souvent effectuée par le médecin prévenir mes ennemis que je quitte mon acoustiques d’une voix normale. Par opposition aux
généraliste, ces patients déniant toute atteinte appartement. » hallucinations psychosensorielles, elles ne sont ni
mentale et refusant donc un suivi psychiatrique. La sensorialisées, ni extériorisées. Le sujet entend des
Imagination
prise en charge psychiatrique succède le plus mots ou des phrases ou des conversations
Le sujet utilise pour enrichir son délire des
souvent à une hospitalisation (sous contrainte) qui a interférant avec sa propre pensée. Il décrit des voix,
éléments issus de son imagination, sans rapport
eu lieu à l’occasion d’un trouble du comportement des conversations parfaitement perçues à l’intérieur
avec la réalité, volontiers extravagants et fantaisistes
en rapport avec le délire. L’abord initial de ces de lui-même, mais de façon non sonore. Le patient
et construit ainsi un roman dans lequel il serait le
patients nécessite une grande prudence compte les explique souvent par des phénomènes de
héros.
tenu de leur grande méfiance et de leur télépathie ou de transmissions de pensée. Les
Exemple : un patient qui prétend être un savant et hallucinations psychiques sont à rapprocher du
susceptibilité, et du risque constant d’être englobé
démontrer de nouvelles lois de la physique ; ce qui syndrome d’automatisme mental de Clérambault
dans leur système persécutif. Le médecin généraliste,
va lui permettre de diriger le monde et voyager dans qui consiste en une sorte d’autonomisation et de
pouvant être conseillé par un psychiatre, devra rester
l’espace. mécanisation d’une partie de la pensée du malade.
« neutre » dans la relation afin d’éviter de devenir
persécuteur, cherchera à établir une relation de Illusion Ce dernier a le sentiment de perdre le contrôle d’une
relative confiance avec son patient et à lui faire C’est un phénomène de déformation sensorielle. partie de ses pensées qui se met à fonctionner en
accepter une aide thérapeutique spécialisée, Le sujet déforme, dénature une perception qu’il dehors de sa volonté.
notamment à l’occasion d’une décompensation reçoit. L’illusion peut affecter tous les sens (visuel, Les hallucinations intrapsychiques sont
anxieuse ou dépressive. olfactif, tactile, cénesthésique, auditif). évocatrices d’un trouble schizophrénique.
Enfin, les idées hypocondriaques de possession Exemple : entendant des cris à la télévision, un L’hallucination n’a, comme les autres mécanismes
et d’habitation (le patient est convaincu d’être patient croit entendre son enfant pleurer. délirants, pas de signification diagnostique. Des
possédé par une sorte de puissance, le diable, le hallucinations peuvent survenir au cours de
mal...) ne sont pas spécifiques et peuvent apparaître Hallucination différentes pathologies psychiatriques (troubles
au cours de différentes pathologies telles qu’un C’est une perception sans object à percevoir. Le schizophréniques, dépressifs, maniaques, troubles
trouble dépressif, maniaque ou schizophrénique. sujet halluciné attribue à autrui ou à des forces délirants chroniques) et organiques et même chez le
Les idées délirantes érotomaniaques doivent faire extérieures des phénomènes générés par lui-même. sujet normal dans certaines situations (d’isolement
évoquer, surtout lorsqu’elles sont isolées et On distingue les hallucinations psychosensorielles sensoriel, d’états proches de la rêverie diurne).
s’accompagnent de revendications affectives, un et les hallucinations intrapsychiques. Les modèles pathogéniques récents explicatifs
délire paranoïaque de type passionnel (cf chapitre Les hallucinations psychosensorielles sont des hallucinations sont issus des modèles des
« Troubles psychotiques »). La présence de telles idées perçues par l’intermédiaire des sens et sont sciences cognitives.

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Démarche diagnostique devant un syndrome délirant - 7-0070

Chez le sujet normal, des hallucinations peuvent mécanismes sont multiples et coexistent sans lien
survenir dans des situations de passivité, où le sujet logique. Un délire polymorphe nécessite des soins Il est essentiel de rechercher
se laisse aller à une rêverie au cours de laquelle un immédiats en milieu psychiatrique en raison de systématiquement des symptômes
dialogue intérieur peut s’externaliser et être vécu troubles du comportement fréquemment associés. Il thymiques, dépressifs ou maniaques,
comme une hallucination. De telles hallucinations peut inaugurer différentes pathologies psychia- devant un syndrome délirant. La
surviennent surtout chez des sujets ayant l’habitude triques (trouble de l’humeur, schizophrénie). présence de tels symptômes orientera
de penser en utilisant des représentations visuelles vers un trouble de l’humeur.
ou des images sonores des mots. À la différence du ¶ Degré d’extension du délire
sujet malade, le sujet normal est capable de critiquer Il est défini par le degré d’envahissement du délire
ses hallucinations. dans les différents secteurs de la vie. Le délire est dit ¶ Présence de symptômes non psychotiques
Chez le sujet schizophrène, l’hallucination serait
associés au délire
« en secteur » lorsqu’il est limité à un secteur de la vie
une conséquence d’un trouble de l’intentionnalité. Le du sujet. Un délire de jalousie dans le cadre d’un Présence de symptômes thymiques (dépressifs
sujet ne reconnaît plus comme venant de lui ses délire chronique de type paranoïaque est par ou maniaques)
propres pensées, sentiments et perceptions, et les exemple un délire en secteur ; il est en principe limité Elle permet d’orienter le diagnostic vers un trouble
attribue à autrui. à la vie affective du patient. de l’humeur. Il sont à rechercher systématiquement.
Le délire est dit « en réseau » lorsqu’il s’étend à L’existence d’antécédents personnels ou familiaux
l’ensemble des secteurs de la vie du sujet. La bouffée de troubles thymiques sont également des
Les hallucinations sont le plus souvent délirante aiguë est un exemple de délire polymorphe arguments en faveur de ce diagnostic.
des phénomènes pathologiques qui en réseau.
doivent systématiquement justifier une
consultation spécialisée afin d’orienter L’apparition brutale d’une activité
¶ Participation émotionnelle du sujet à son
le diagnostic et d’assurer une prise en activité délirante
délirante après 40 ans témoigne le
charge thérapeutique précoce. C’est un facteur essentiel à prendre en compte car plus souvent d’un trouble thymique
il conditionne le comportement et la réactivité du (accès dépressif ou maniaque) ou
sujet à son délire. Elle correspond à l’investissement d’une pathologie organique.
Autres caractéristiques affectif du délire, à la conviction du malade
D’autres caractéristiques du délire peuvent être (adhésion à l’idée délirante). Plus une activité Présence de symptômes dépressifs et/ou
des arguments utiles au diagnostic et permettent délirante est investie émotionnellement, plus le sujet mélancoliques
d’orienter la prise en charge immédiate. Mais ces y adhère et plus cette activité le fera passer à l’acte. Elle doit, surtout lorsque ces symptômes
caractéristiques sont le plus souvent insuffisantes Une hospitalisation s’impose lorsque la participation précèdent l’émergence délirante, faire évoquer un
pour trancher en faveur d’un diagnostic. Ce sont les émotionnelle du sujet à son délire est complète et diagnostic de dépression délirante. Les mécanismes
signes associés et l’évolution des troubles qui entraîne des troubles du comportement. délirants sont fréquemment l’interprétation et
généralement permettent d’établir le diagnostic. l’intuition, mais peuvent également être
Les caractéristiques du délire à prendre en compte ¶ Qualité de la communication l’imagination, voire l’hallucination. Les thèmes sont
sont : Il s’agit de la relation que le malade peut établir le plus souvent congruents à l’humeur : thèmes
– le degré d’organisation du délire ; avec son interlocuteur, qui est fonction des mélancoliques (autoaccusation délirante, idées
– le degré d’extension du délire ; caractéristiques du délire. C’est également un facteur hypocondriaques) ou thèmes de persécution ou de
– la participation émotionnelle du sujet à son important à prendre en compte. Lorsque le contact possession articulés aux idées mélancoliques « on
délire ; est de mauvaise qualité et qu’aucune relation ne cherche ma mort car j’ai commis une faute ». Les
– la qualité de la communication. peut être établie, une hospitalisation est nécessaire. thèmes sont plus rarement non congruents à
Généralement, les caractéristiques du délire l’humeur (thèmes de persécution sans rapport avec
¶ Degré d’organisation du délire peuvent permettre d’orienter le diagnostic, mais ne les thèmes mélancoliques, thèmes d’influence...).
IL qualifie la structure logique et organisée du
suffisent pas pour poser le diagnostic. Ce sont surtout
discours délirant. Il permet d’orienter le diagnostic. Présence de symptômes maniaques
les signes associés et les caractéristiques évolutives
Un délire « organisé » dans lequel l’enchaînement des Elle doit, surtout lorsque ces symptômes
du syndrome délirant qui permettront de trancher en
idées apparaît cohérent et logique, évoque un délire précèdent l’émergence délirante, faire évoquer un
faveur d’un diagnostic.
chronique de type paranoïaque. Les propos délirants diagnostic de manie délirante. Au cours des épisodes
semblent tout à fait compréhensibles et peuvent maniaques, le délire est fréquemment polymorphe.
même être convainquants. Un délire organisé se ‚ Signes associés et les caractéristiques Les mécanismes sont surtout intuitifs et imaginatifs,
développe le plus souvent autour d’un thème ; évolutives du syndrome délirant souvent interprétatifs, plus rarement hallucinatoires.
lorsque plusieurs thèmes existent, ils s’enchaînent Les thèmes sont le plus souvent congruents à
Le caractère aigu ou chronique de l’activité
logiquement. En cas d’épisode aigu entraînant des l’humeur, c’est-à-dire essentiellement mégaloma-
délirante permet d’emblée d’orienter le diagnostic et
troubles du comportement (menaces d’agression du niaques s’exprimant dans différents domaines
de distinguer les délires aigus et les délires
persécuteur), une hospitalisation sous contrainte en (thèmes mystiques, de filiation divine, érotiques). Ils
chroniques.
psychiatrie est nécessaire. En l’absence de risque de peuvent être également non congruents à l’humeur :
passage à l’acte hétéroagressif, l’objectif du thèmes de persécution, de référence,
Délires aigus
généraliste sera d’établir un lien de confiance et de hypocondriaques.
faire accepter au patient une prise en charge Dans les délires aigus, la présence ou non d’autres Les accès thymiques délirants nécessitent le plus
psychiatrique à l’occasion de moments anxieux ou symptômes dits « non psychotiques » (c’est-à-dire ni souvent une hospitalisation et des soins en urgence,
dépressifs. délirants, ni dissociatifs) et notamment de en milieu spécialisé. Le médecin généraliste a pour
À l’inverse, un délire peut être totalement symptômes thymiques (dépressifs ou maniaques), rôle de convaincre le patient et sa famille de la
incohérent, incompréhensible et hermétique. On permet de s’orienter soit vers une pathologie « non nécessité de cette hospitalisation et de l’efficacité des
parle de délire polymorphe. Les thèmes sont en psychotique » (trouble de l’humeur s’accompagnant traitements chimiothérapiques sur les troubles de
général multiples et sans lien logique entre eux. La d’idées délirantes), soit vers une pathologie l’humeur. Il pourra également aider la famille à
bouffée délirante aiguë est un exemple de délire « psychotique » trouble schizophrénique ou délire prendre une décision d’hospitalisation sous
polymorphe au cours duquel les thèmes et les chronique). contrainte en cas de refus du patient.

3
7-0070 - Démarche diagnostique devant un syndrome délirant

Présence de symptômes confusionnels du caractère et du comportement, d’une dissociation et d’évolution déficitaire, l’absence de
Associés aux idées délirantes elle doit faire symptomatologie déficitaire insidieuse (retrait, signes évoquant un trouble thymique ou organique,
évoquer une confusion mentale. Le mécanisme isolement sociale, perte des activités et des intérêts), un âge de plus de 35 ans.
délirant est essentiellement hallucinatoire (surtout d’un délire moins riche et plus dissocié, à thèmes Le délire est le plus souvent bien systématisé,
hallucinations visuelles). Les thèmes sont le plus hypocondriaques et persécutifs, d’une angoisse logique et cohérent, s’organisant souvent autour
souvent des scènes d’épouvante ou de caractère majeure non liée aux thèmes délirants exprimés, et d’un thème unique.
pénible. Le délire est souvent mobile, plus intense le surtout d’une résolution incomplète de l’accès avec On distingue trois types cliniques de délire
soir et la nuit. L’adhésion du patient au délire est critique partielle des idées délirantes. chronique selon la prédominance d’un mécanisme
importante, des passages à l’acte auto- ou Le diagnostic d’accès psychotique réactionnel délirant. Ces trois types de délire chronique
hétéroagressifs sont alors à craindre. Le diagnostic sera probable devant le caractère réactionnel de nécessitent des prises en charge distinctes (cf
différentiel principal de la confusion mentale est la l’épisode, succédant à un traumatisme émotionnel chapitre « Troubles psychotiques »).
bouffée délirante aiguë dans ses formes important, survenant sur un terrain psychologique Lorsque le mécanisme interprétatif prédomine, on
confusodélirantes. fragile : sujets immatures, frustes, débiles, parle de délire paranoïaque. Parmi les délires
psychopathes ou présentant une personnalité paranoïaques, on retrouve les délires interprétatifs,
¶ Absence de symptômes non psychotiques thèmes persécutifs le plus souvent, voire
associés au délire hystérique passive dépendante ou état limite, la
brièveté de l’épisode, la bonne réactivité au mégalomaniaques, les délires passionnels (thèmes
Les délires polymorphes aigus sont classiquement
traitement, et l’excellente critique des idées de jalousie, érotomaniaques), les délires de relation
décrits en France sous le terme de « bouffée délirante
délirantes au sortir de l’accès. des sensitifs. Les délires interprétatifs et passionnels
aiguë ».
Plus rarement, il s’agira d’un accès inaugurant un caractérisés par la quérulence, l’agressivité et
La symptomatologie délirante est d’apparition
délire chronique (interprétatif, hallucinatoire ou l’hypersthénie imposent une grande prudence en
brutale et généralement de durée brève (moins de 6
imaginatif). Des éléments cliniques, en particulier les raison de leur dangerosité potentielle, avec le risque
mois). Le délire est de type polymorphe, non
caractéristiques du délires, la personnalité de passage à l’acte hétéroagressif sur le persécuteur.
systématisé. Les mécanismes sont multiples : intuitif,
prémorbide, permettront de porter le diagnostic (cf La prise en charge initiale est souvent effectuée par
interprétatif, imaginatif, hallucinatoire, avec des
chapitre « Troubles psychotiques »). Un épisode le généraliste en raison du déni de toute atteinte
hallucinations psychiques (automatisme mental) et
délirant aigu associé à des troubles du mentale par ces patients et de l’évolution souvent
psychosensorielles. Les thèmes sont variés ; les plus
comportement en rapport avec le délire impose, progressive et à bas bruit de l’activité délirante. Elle
fréquemment retrouvés sont des thèmes d’influence,
surtout s’il s’agit d’un délire interprétatif paranoïaque, aura pour but d’aménager une relation
mystiques, érotiques, mégalomaniaques, persécutifs.
une mesure d’hospitalisation sans consentement. thérapeutique de confiance et d’amener le patient à
L’investissement affectif et l’adhésion au délire sont accepter un suivi psychiatrique en particulier lors de
majeurs, entraînant des troubles du comportement. moments dépressifs ou anxieux.
Il n’existe pas de réelle désorientation temporospa- Délires d’évolution chronique
Lorsque le mécanisme hallucinatoire prévaut, on
tiale, mais on peut retrouver des troubles Outre les caractéristiques du délire, la présence de parle de psychose hallucinatoire chronique. Les
attentionnels ainsi qu’une légère obnubilation de la signes de dissociation (cf chapitre « États thèmes sont variés, persécution, jalousie, grandeur.
conscience pouvant faire évoquer un diagnostic de psychotiques ») permettra d’orienter le diagnostic. La suspicion d’un diagnostic de psychose
confusion mentale. L’existence de signes dissociatifs Lorsque le syndrome délirant est associé à un hallucinatoire chronique impose une consultation
dans un tableau de bouffée délirante aiguë est syndrome de dissociation, le diagnostic le plus psychiatrique afin de mettre en route un traitement
possible. Elle ne signe pas, dans ce contexte, un probable est celui d’une schizophrénie. Lorsque l’on neuroleptique qui permettra une régression plus ou
diagnostic de schizophrénie. ne retrouve pas de signes de dissociation, on moins complète des phénomènes hallucinatoires et
Ce tableau justifie le plus souvent une évoquera un diagnostic de délire chronique. D’autres le maintien d’une adaptation sociale et
hospitalisation en psychiatrie en urgence. Le éléments (cliniques, évolutifs, antécédents professionnelle correcte. Cette entité clinique, peu
traitement repose sur les neuroleptiques. personnels et familiaux...) pourront aider à confirmer fréquente, est spécifiquement française ; elle est
La bouffée délirante aiguë ne constitue pas une l’un ou l’autre de ces diagnostics. intégrée par les psychiatres américains au groupe
entité clinique à elle seule et doit être considérée Dans tous les cas, la présence d’un syndrome des schizophrénies.
comme une entité syndromique devant être intégrée délirant justifie une consultation spécialisée pour un Lorsque le mécanisme imaginatif prédomine, on
dans une pathologie psychiatrique. Elle peut être la bilan diagnostique et la mise en place d’une prise en parle de paraphrénie. Le thème le plus fréquent est
première manifestation de différentes maladies charge ambulatoire de secteur compte tenu de la mégalomaniaque. Les délires chroniques imaginatifs
psychiatriques : soit un accès inaugural d’un trouble chronicité des troubles. sont d’une part rares, d’autre part rarement vu en
de l’humeur (manie délirante, mélancolie délirante Classiquement, le syndrome délirant schizophré- consultation car ils coexistent en général avec une
ou état mixte délirant), soit une entrée dans la nique, dit « délire paranoïde », est un délire remarquable adaptation à la réalité quotidienne et à
schizophrénie ; ou correspondre à un état polymorphe, non systématisé, souvent extrê- la vie sociale et professionnelle du fait d’une activité
psychotique réactionnel à un événement de vie mement flou et illogique, incompréhensible ; de délirante bien circonscrite qui se juxtapose à la
particulièrement traumatique venant émailler la vie thèmes variés (hypocondriaques, d’influence, de réalité.
d’un sujet ayant une personnalité fragile. Certains persécution, mégalomaniaques) et de mécanismes


éléments permettront d’orienter le diagnostic vers multiples (surtout hallucinatoires avec un
l’une ou l’autre de ces hypothèses diagnostiques. automatisme mental). La participation émotionnelle Causes des délires
Mais c’est surtout l’évolution des troubles au délire est variable ; mais on retrouve
(récupération complète ou non) qui permettra fréquemment une indifférence affective ainsi qu’une
d’établir le diagnostic. froideur. Elles sont fonction de la maladie psychiatrique
Le diagnostic de trouble de l’humeur (état mixte La prise en charge et le traitement doivent dans laquelle apparaît le délire.
délirant) reposera sur les antécédents familiaux de s’effectuer en milieu spécialisé, sur le secteur Dans la schizophrénie, les modèles actuels
troubles thymiques, l’importance de la composante psychiatrique du patient (cf chapitre « Schizophré- postulent l’existence d’un dysfonctionnement
thymique de l’accès et une restitutio ad integrum nie »). Le traitement du syndrome délirant repose biologique des structures du cerveau. Différents
après l’accès associée à une critique des idées sur les neuroleptiques. facteurs étiologiques participent à des degrés divers
délirantes. Le diagnostic de délire chronique repose sur à la pathogénie de la maladie : génétique, cognitif,
Le diagnostic de schizophrénie sera envisagé sur l’existence d’un syndrome délirant chronique (au neurodéveloppemental... (cf chapitre
l’existence avant l’accès délirant de certains troubles moins 6 mois), l’absence de symptômes de « Schizophrénie »).

4
Démarche diagnostique devant un syndrome délirant - 7-0070

Dans les troubles de l’humeur, les manifestations patient et à sa famille les principes du traitement, en
délirantes pourraient être en partie liées, pour Dans tous les cas, la présence d’un particulier la nécessité d’une hospitalisation et
certains auteurs, à la personnalité des sujets. syndrome délirant impose une prise en l’excellente efficacité des traitements médica-
Certaines personnalités seraient « plus susceptibles charge spécialisée le plus souvent en menteux sur les symptômes délirants. Il sera
de délirer » lors d’un accès thymique. milieu hospitalier. également de rassurer la famille et de l’aider à
Dans les délires paranoïaques, le délire apparaît accepter une décision d’hospitalisation sous
sur une personnalité prédisposée : la personnalité contrainte. Généralement, les patients se sentent
paranoïaque. souvent en raison de l’importance des troubles du rassurés par l’hospitalisation et reconnaissent, à la
comportement et de l’absence habituelle de sortie de leur accès délirant, la nécessité d’une telle
reconnaissance des troubles par le patient. Lorsque hospitalisation.


le patient refuse les soins et qu’il existe un risque Le traitement symptomatique repose essentiel-
Traitement des syndromes
délirants pour lui-même ou pour autrui, il est nécessaire de lement sur les neuroleptiques qui ont une excellente
recourir à une mesure de protection légale : une efficacité sur les symptômes prévalents des
hospitalisation sur demande d’un tiers le plus syndromes délirants (délire, hallucination), et sur
Il dépend de la maladie psychiatrique dans souvent, voire une hospitalisation d’office. Ces l’abord psychologique quand celui-ci est possible. La
laquelle apparaît le délire. hospitalisations sous contrainte peuvent être conduite à tenir au sortir de l’épisode aigu est
Un syndrome délirant aigu constitue une urgence effectuées avec l’aide de l’équipe psychiatrique de fonction de la qualité de la récupération et de
thérapeutique. Une hospitalisation s’impose le plus secteur. Le rôle du généraliste sera d’expliquer au l’évaluation diagnostique.

Véronique Olivier : Chef de clinique - assistant,


service de psychiatrie, Hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Démarche diagnostique devant un syndrome délirant.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0070, 1998, 5 p

Références

[1] Guelfi JD, Boyer P, Consoli S, Olivier-Martin R. Psychiatrie. Vendôme : [3] Lempérière T, Féline A, Gutmann A, Adès J, Pilate C. Psychiatrie de l’adulte.
Presses Universitaires de France, 1987 Paris : Masson, 1977

[2] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Paris : Doin, 1986

5
7-0080
7-0080

Syndrome dépressif
Encyclopédie Pratique de Médecine

C Zeitter

L a dépression va toucher au cours de sa vie entre un sujet sur cinq et un sujet sur dix. Un seul déprimé sur dix
sera correctement traité.
© Elsevier, Paris.


Le traitement proprement dit sera envisagé au Une récente étude en médecine générale révèle
Introduction chapitre consacré aux troubles thymiques. cependant que sur 100 patients déprimés, 50 sont
reconnus comme ayant un trouble psychologique,
25 comme déprimés, et environ la moitié de ceux-ci

La pathologie dépressive est une pathologie qui


pose régulièrement de nombreux problèmes au
praticien dans les différentes étapes de sa prise en
charge.

Épidémiologie de la dépression

La dépression est une maladie fréquente,


recevront un traitement antidépresseur approprié.

Du fait que seul un déprimé sur dix


est correctement traité, et dans la
invalidante, avec des conséquences importantes
Repérage : les tableaux cliniques sont trompeurs, non seulement pour l’individu lui-même, mais mesure où il se trouve souvent en
masqués par des plaintes somatiques ou d’autres également pour son entourage et pour la société. « première ligne », le médecin
symptômes psychiatriques. généraliste doit observer une grande
Diagnostic de maladie dépressive : la vigilance par rapport à ce trouble.
symptomatologie peut être considérée comme Épidémiologie de la dépression
« normale » par le médecin lorsqu’elle survient dans
Prévalence ponctuelle : 5 %.


les suites d’événements douloureux ne débouchant
alors pas sur une prescription adaptée (avec les
Sur la vie entière : la dépression Circonstances de découverte
conséquences éventuelles suivantes : handicap, touche entre un sujet sur cinq et un d’un syndrome dépressif
chronicité, suicide) ; le diagnostic par excès entraîne sujet sur dix.
une prescription injustifiée d’antidépresseurs, ‚ Symptômes d’alerte (tableau I)
installant le patient dans une prise en charge Le suicide est une des conséquences évidemment
médicale stricte pouvant conduire à des attitudes de Symptômes somatiques
les plus marquantes, avec un risque relatif du sujet
dépendance et de régression, alors qu’un travail déprimé par rapport au sujet non déprimé de l’ordre Le syndrome dépressif s’accompagne
psychologique s’imposait ; il existe une absence de de 30, en sachant qu’environ 15 % des sujets régulièrement de symptômes somatiques qui
reconnaissance par le patient de son statut de déprimés décéderont par suicide. peuvent ainsi représenter un motif de consultation
malade déprimé. en médecine générale.
Outre ce risque, la dépression peut être
Traitement et prise en charge : un déprimé sur responsable d’un handicap sur le plan social et ¶ Asthénie
deux prend correctement son traitement ; professionnel dès lors que le sujet présente des Symptôme parmi les plus réguliers de la
l’intrication de la dépression avec des pathologies épisodes récurrents fréquents, insuffisamment dépression, l’asthénie n’est pas expliquée par une
somatiques peut constituer des facteurs de traités, ou s’installe dans une dépression chronique. affection somatique. Elle se caractérise par une
résistance ; les troubles psychiatriques associés, en Cette modalité évolutive, qui aboutit dans bien des grande fatigabilité, tant lors d’un effort physique que
particulier les troubles de la personnalité, rendent le cas à une invalidité, est loin d’être exceptionnelle, psychique, de concentration ou d’attention, ou lors
traitement plus difficile et complexifient la relation puisqu’elle représente environ 20 % des évolutions de la confrontation à une situation de stress. Elle
thérapeutique ; enfin, le rôle de l’entourage peut des épisodes dépressifs majeurs.
avoir un effet délétère. Concernant la prévalence de la dépression, les
Après quelques données épidémiologiques, Tableau I. – Signes principaux devant faire
études s’intéressent aux deux grands troubles
seront ainsi abordés : rechercher une dépression en consultation de
dépressifs actuellement caractérisés dans les médecine générale.
– les symptômes d’alerte devant inciter le classifications internationales, la dysthymie, forme
médecin à rechercher une dépression ; chronique d’intensité moyenne, et les épisodes Asthénie à prédominance matinale
– les éléments principaux du diagnostic ; dépressifs majeurs. Insomnie, en particulier du petit matin
– les formes cliniques et en particulier les formes La prévalence sur la vie entière de la dysthymie Anorexie et perte de poids
masquées n’évoquant pas d’emblée un syndrome varie de 2 à 4 % selon les études, alors que celle de Douleurs mal expliquées par une lésion organique
dépressif ; l’épisode dépressif majeur varie de 4 à 10 %. Au Anxiété
– le diagnostic étiologique dont le but est de total, et en prenant en considération les études de Erreurs à ne pas commettre en présence de ce
différencier les troubles dépressifs primaires et les cohorte les plus récentes, on peut estimer que, type de symptômes
troubles dépressifs secondaires d’une autre globalement, la dépression va toucher au cours de
Prescription d’hypnotiques seuls pour une insom-
© Elsevier, Paris

pathologie justifiant un traitement spécifique ; sa vie entre un sujet sur cinq et un sujet sur dix.
nie dont l’origine primaire n’est pas établie
– l’évaluation du contexte et la recherche des Du fait de la fréquence de ce trouble, le médecin (consultation spécialisée)
éléments indispensables à l’élaboration d’un projet généraliste va régulièrement y être confronté. La Prescription systématique de tranquillisants seuls
de soins ; gravité de la dépression impose que le diagnostic pour une symptomatologie anxieuse
– la place de la famille. soit posé et un traitement adapté proposé.

1
7-0080 - Syndrome dépressif

s’accompagne d’une réduction des activités, le sujet sévères, on observe parfois un refus alimentaire, le systématiquement faire rechercher une dépression,
ayant des difficultés à les initier dans les cas les plus plus souvent lié à une activité délirante à thématique surtout lorsque le patient n’est pas connu pour être
sévères, ou à les poursuivre. Le repos et le sommeil corporelle (négation d’organes de Cotard) ou de tempérament anxieux et que cette symptomato-
ne sont pas réparateurs. persécutive (empoisonnement). Ces tableaux logie représente une rupture par rapport à son
Cette fatigue se repère chez le sujet dont les imposent l’hospitalisation, surtout chez des sujets fonctionnement habituel.
gestes sont plus lents et rares, pesants, et dont le âgés, le pronostic vital étant rapidement engagé, et La dépression anxieuse est décrite avec les
visage présente des traits souvent tirés, un regard constituent une indication de sismothérapies. formes cliniques.
moins vif, terne et las. Plus rarement, une hyperphagie ou la survenue
de crises de boulimie se rencontrent chez une
¶ Troubles du sommeil Principaux éléments de diagnostic
L’hypersomnie n’est pas le trouble du sommeil le personne n’ayant au demeurant aucun antécédent
de troubles du comportement alimentaire, et d’un syndrome dépressif
plus fréquemment rencontré dans la pathologie
peuvent s’accompagner d’une prise de poids
dépressive, mais doit néanmoins être signalée. On la ✔ Tristesse pathologique : qualité
rencontre plus particulièrement dans les dépressions douloureusement ressentie et culpabilisée.
particulière de l’humeur dépressive.
saisonnières hivernales. Le point fondamental est le L’hyperphagie fait plutôt partie du tableau des
✔ Ralentissement moteur.
changement que représente ce symptôme par dépressions saisonnières hivernales.
✔ Ralentissement psychique.
rapport au sommeil normal du sujet. Le nombre ¶ Troubles sexuels
d’heures de sommeil nocturne est augmenté par
✔ Signes somatiques :
Plus rarement évoqués spontanément, ils – anorexie ± perte de poids ;
rapport aux habitudes du sujet, qui se couche plus peuvent néanmoins constituer un motif de
tôt, fatigué, ou qui a du mal à émerger le matin, – asthénie ;
consultation lorsqu’une culpabilité est ressentie à
repoussant l’heure du lever. l’égard du partenaire. Il s’agit d’une baisse de la
– insomnie ;
L’hypersomnie peut également être diurne, libido, d’une perte de l’énergie sexuelle, souvent – fluctuations nycthémérales.
accompagnée d’une difficulté à maintenir un niveau associée à l’anhédonie du déprimé, et qui entraîne ✔ Rupture par rapport à l’état
de vigilance suffisant pour accomplir les activités impuissance, anéjaculation, dyspareunie et/ou antérieur.
habituelles, pouvant aller jusqu’à un tableau de frigidité.
clinophilie, où le sujet passe la plus grande partie de


sa journée allongé. L’hypersomnie diurne peut ¶ Douleurs
s’accompagner d’une insomnie nocturne, réalisant à La douleur, lorsqu’elle n’a pas de point d’appel Diagnostic de syndrome dépressif
l’extrême une inversion du cycle veille-sommeil, somatique ou lorsque les atteintes somatiques
cette perturbation pouvant être accentuée, voire semblent insuffisantes pour rendre compte du
provoquée, par la prescription inadéquate de tableau douloureux, doit faire évoquer un processus Le diagnostic de syndrome dépressif s’appuie sur
tranquillisants, en particulier de benzodiazépines, dépressif. Certaines dépressions s’expriment en effet un ensemble de symptômes, que les classifications
utilisés seuls pour un syndrome dépressif. essentiellement par des plaintes douloureuses internationales qualifient de critères, dont un certain
L’hypersomnie dépressive a ceci de particulier variées, en général intenses et pénibles (dépressions nombre doivent être présents pour porter un
qu’elle ne permet pas au sujet de récupérer de la dites « masquées »). diagnostic de trouble dépressif.
fatigue généralement ressentie. En revanche, tout patient douloureux chronique
Beaucoup plus fréquente, l’insomnie consiste en pour lequel aucune étiologie organique n’a été ‚ Humeur dépressive
une réduction du temps de sommeil, peut être en retrouvée n’est pas pour autant déprimé. Il convient L’humeur dépressive se différencie de la tristesse
rapport avec des difficultés d’endormissement, des de faire une analyse précise des circonstances « normale », réactionnelle à un événement
réveils nocturnes répétés, ou des réveils matinaux d’apparition des douleurs, de l’aspect diachronique douloureux, non seulement par son intensité, par
précoces. Ces deux derniers troubles, et et évolutif, et de rechercher les autres symptômes son caractère extensif, mais également par sa
particulièrement les réveils matinaux précoces, sont susceptibles d’étayer le diagnostic de dépression. qualité. Elle envahit la vie psychique du sujet, colore
plus spécifiques de la pathologie dépressive que l’ensemble de ses pensées, de son éprouvé, de sa
¶ Autres plaintes somatiques
l’insomnie d’endormissement, rencontrée surtout perception de l’environnement et de son rapport au
Les plaintes somatiques des patients déprimés
dans la pathologie anxieuse. Cependant, l’anxiété, monde. Tout ce qui arrive à la conscience du sujet se
peuvent toucher plusieurs appareils, et certaines sont
souvent associée à l’état dépressif, peut être voit attribuer une connotation négative, noire,
le témoin d’une anxiété associée qui s’exprime sur le
responsable de troubles de l’endormissement chez pénible et douloureuse.
corps. Ces manifestations, qui touchent les appareils
un sujet authentiquement déprimé. Si l’humeur dépressive se manifeste dans les
c a r d i o v a s c u l a i r e ( p a l p i t a t i o n s , b o uff é e s
Les réveils précoces sont pénibles en ce sens que suites d’une perte, elle ne reste pas centrée sur
vasomotrices, hypertension, ou au contraire
les ruminations dépressives envahissent l’événement déclenchant, mais déborde sur les
hypotension et bradycardie, plus souvent associées
immédiatement la conscience du sujet, qui ne peut autres champs de conscience du sujet, non
au ralentissement dépressif), digestif (dyspepsie,
se rendormir. directement liés à l’éventuelle perte.
nausées, constipation ou diarrhée) ou urinaire
L’insomnie du déprimé persiste, se répétant de Elle réalise ainsi ce que l’on qualifie de douleur
(pollakiurie, dysurie), sont détaillées au chapitre des
nuit en nuit, sans que la fatigue, déjà présente, mais morale, qui revêt parfois un côté indicible pour le
troubles anxieux.
probablement aggravée par le manque de sommeil, patient qui, confronté à une expérience nouvelle, ne
aide le sujet à trouver un sommeil réparateur. ¶ Tristesse trouve pas de mots pour en exprimer la teneur.
Cette insomnie peut être sensible aux Elle est un symptôme inconstant du syndrome
Les sentiments du sujet sont souvent abrasés,
hypnotiques classiques, au moins dans un premier dépressif. En outre, ce n’est pas sa présence, mais sa
allant jusqu’à une certaine anesthésie affective,
temps, et s’imposer ainsi comme une insomnie qualité (tristesse pathologique) qui importe pour le
fortement culpabilisée lorsqu’elle touche également
réactionnelle à un quelconque facteur de stress ; diagnostic de dépression. Il ne s’agit probablement
l’entourage proche, conjoint, enfants, parents. Le
mais après un soulagement initial, un échappement pas du motif de consultation le plus fréquent, bien
sujet ne réagit plus aux sollicitations ni aux
se produit rapidement, ne devant pas conduire à que la médiatisation accrue de la dépression et des
manifestations d’affection de cet entourage. Il paraît
une augmentation des posologies, mais à la antidépresseurs puisse amener certains patients se
distant, lointain, détaché.
recherche des signes associés qui pourront conduire croyant déprimés à souhaiter un traitement en
L’anhédonie se caractérise par une perte des
au diagnostic de syndrome dépressif, et permettre rapport, alors que la tristesse ressentie, qui
intérêts, du goût et des plaisirs habituels. Le sujet ne
ainsi le traitement de fond indispensable. représente le motif de la consultation, n’est pas
recherche plus les sources habituelles de plaisir et de
d’ordre dépressif.
¶ Troubles de l’appétit détente, et n’éprouve plus rien lorsqu’il parvient
L’anorexie est la perturbation du comportement ¶ Anxiété encore à se mobiliser pour leur recherche. La
alimentaire la plus fréquemment rencontrée dans les Plus facilement évoquée et plus rapidement participation affective est atténuée, voire absente.
troubles dépressifs, et peut s’accompagner d’une repérée (sujet tendu, crispé, ne tenant pas en place, L’image que le sujet a de lui-même est souvent
perte de poids significative. Dans certains tableaux logorrhéique), la présence d’une anxiété doit altérée. Il s’adresse des reproches, rumine sur des

2
Syndrome dépressif - 7-0080

échecs passés, ne se sent plus à la hauteur dans la perte de la capacité à assurer comme avant ses la dépression) s’est effectué de manière parallèle à la
majorité des situations rencontrées, éprouve un tâches quotidiennes sont des éléments importants remise en question de la distinction entre
sentiment de perte de l’estime de soi, très pénible et du diagnostic de dépression. Il s’agit là encore d’une dépressions endogènes et dépressions psychogènes.
rarement formulé spontanément en raison des rupture par rapport au fonctionnement habituel du L’intérêt des auteurs se porte donc actuellement
sentiments de honte qui s’y associent, pouvant aller sujet. sur des signes supposés être en rapport étroit avec
jusqu’aux idées d’indignité du tableau mélancolique. les perturbations biologiques rencontrées dans la
Les pleurs, qui peuvent alerter l’entourage, sont ‚ Symptômes somatiques dépression, signes qualifiés de « mélancoliques »
parfois fréquents, répétés, le sujet ne parvenant pas Déjà évoqués dans les signes d’appel de la dans le DSM IV, de « somatiques » dans la CIM-10.
à les expliquer. Les crises de larmes sont ainsi dépression, ce sont : La mélancolie définie de manière classique par la
décrites comme survenant sans raison, de manière – les troubles du sommeil, en particulier les thématique évoquée plus haut n’a actuellement plus
brutale et impromptue. Dans les états les plus réveils matinaux précoces ; qu’une valeur descriptive, et sa présence n’est pas un
sévères cependant, la capacité à pleurer est – l’anorexie avec ou sans perte de poids ; facteur permettant de prédire l’évolution, en
dépassée, le sujet apparaissant alors prostré, figé – l’asthénie. particulier vers un trouble récurrent ou bipolaire.
dans une douleur morale qu’il ne peut plus Les fluctuations nycthémérales de la symptoma- Certains auteurs considèrent qu’elle dépend surtout
communiquer. tologie dépressive sont également à ranger dans de la personnalité du sujet, de son histoire
En dehors des cas de mutisme ou de mélancolie cette rubrique, en particulier l’aggravation matinale personnelle.
délirante, le sujet est capable de faire part du de la symptomatologie avec amélioration vespérale.
caractère nouveau de cette expérience. Il se trouve Ces symptômes somatiques font classiquement Dépressions stuporeuses
changé, ne se reconnaît plus dans sa façon de se partie des « critères d’endogénicité » du trouble L’inhibition psychomotrice est ici à son degré
penser et de penser le monde. Ce constat qu’il peut dépressif, c’est-à-dire signant une participation d’intensité maximal. Le sujet est prostré, mutique,
faire est comme tous les autres, pénible et biologique au processus dépressif. Cependant, cette incurique, refuse de s’alimenter. Le risque vital
douloureux. distinction dépression endogène/dépression impose en règle générale un traitement par
La notion de changement perçue par le sujet dans exogène est actuellement remise en cause . sismothérapie.
son être par rapport à un état antérieur est Le concept de « dépression névrotique » est en
importante à préciser, et permet souvent d’aider à effet abandonné dans le nosographie psychiatrique Dépressions délirantes
différencier les simples réactions dépressives, où le actuelle. On estime qu’un trouble avéré de l’humeur (mélancolies délirantes)
sujet a des difficultés à s’adapter à une situation relève d’un processus pathogénique en partie Idées délirantes et hallucinations sont fréquentes
nouvelle, à un stress quelconque, de l’épisode biologique, avec réactivité au traitement au cours des épisodes dépressifs. Ainsi, plus de la
dépressif où il se sent lui-même différent. Et si antidépresseur, en dehors des cas particuliers de moitié des patients maniacodépressifs (unipolaires et
certains sujets déprimés disent parfois qu’ils se sont résistance. bipolaires) présentent des idées délirantes. De l’ordre
sentis ainsi « depuis toujours », l’entourage a
de 20 à 25 % de ces patients ont des hallucinations
généralement constaté un changement chez le


au cours des accès de la maladie.
patient, une sorte de rupture dans sa trajectoire.
Formes cliniques La présence d’idées délirantes ou d’hallucinations
‚ Ralentissement au cours d’un accès ne témoigne aucunement d’une
organisation psychotique de la personnalité, de
Composante motrice ‚ Formes symptomatiques l’existence d’un délire chronique, ou d’une
Les gestes sont plus lents, réduits en ampleur et schizophrénie, même dysthymique.
en quantité. L’expressivité faciale est atténuée, voire
Accès mélancolique Les idées délirantes les plus fréquemment
absente (sujet hypo- ou amimique), les traits sont Le terme de mélancolie prête actuellement à rencontrées sont des idées de culpabilité, de faute,
figés, tirés, et le front est barré du classique « oméga confusion. Il revêt différentes significations selon le avec châtiment réclamé par le patient, de
mélancolique ». La voix est monocorde et ne système diagnostique que l’on adopte, selon les catastrophe imminente, de danger pour ses proches,
présente plus les habituelles modulations références théoriques. dont le patient peut s’attribuer la responsabilité, des
prosodiques. Les classifications internationales désignent en idées hypocondriaques, le patient étant persuadé
L’activité physique du sujet est diminuée dans son effet par mélancoliques un ensemble de symptômes d’être atteint d’une maladie grave, incurable (cancer,
ensemble. Le patient limite ses déplacements, attribués aux perturbations biologiques de la sida), des idées de dysfonctionnement ou de
devenant aboulique, parfois clinophile. Les soins dépression, et qui correspondent aux critères négation d’organes (syndrome de Cotard), ou des
personnels et l’hygiène sont négligés, aboutissant à classiques « d’endogénicité ». idées de persécution. Les idées de persécution sont
l’incurie. Au maximum, le tableau est celui de la Certains auteurs utilisent le terme de mélancolie considérées comme congruentes à l’humeur
stupeur, où le sujet, prostré, ne présente plus aucune pour qualifier l’intensité particulièrement sévère d’un lorsqu’elles ont un lien avec les idées de faute et de
réaction, ne bouge ni ne parle plus. état dépressif. culpabilité, le patient estimant en quelque sorte
De façon plus classique, en France, la mélancolie légitime d’être suivi, épié, surveillé.
Composante psychique désigne une thématique idéique particulière du sujet Les hallucinations sont le plus souvent auditives,
Les capacités de concentration et d’attention sont déprimé, qui consiste en : parfois olfactives (odeurs de putréfaction,
altérées. Le sujet a plus de mal à associer ou à – idées d’indignité ; d’immondices, de décomposition), rarement
enchaîner ses idées. Il paraît absent, lointain, la – idées de faute, de culpabilité ; visuelles, dans ce cas toujours associées aux
latence de réponse aux questions, même simples, – idées de ruine ; hallucinations auditives. Il s’agit de voix proférant
est augmentée, le débit verbal est lent, le discours – idées d’incurabilité. des menaces, tenant des propos diffamatoires,
plus pauvre. L’accès mélancolique défini par cette thématique insultant le sujet, l’informant de ses péchés et de son
Le contenu des pensées est moins varié. Le a longtemps été considéré comme le prototype de la châtiment.
déprimé a des difficultés à passer d’un sujet à l’autre dépression survenant dans le cadre de la psychose Les hallucinations intrapsychiques à type de
avec souplesse, et il a tendance à revenir maniacodépressive. Or il s’avère que ces critères ne divulgation de la pensée, de pensée imposée ou
systématiquement sur des pensées en rapport avec sont pas pertinents pour différencier les épisodes d’influence sont plus rares, mais peuvent se
son humeur dépressive, à s’y « engluer ». Les dépressifs récurrents, à déterminisme biologique, rencontrer, en dehors de tout processus
ruminations l’envahissent, il ne peut y échapper, y d’autres épisodes dépressifs. En effet, les patients schizophrénique.
revient sans cesse, ce qui confine parfois au maniacodépressifs présentent des accès dépourvus
monoïdéisme. de ces critères mélancoliques, que l’on peut en Dépressions atypiques
Le déprimé est conscient de ses difficultés, qui revanche rencontrer dans des dépressions qualifiées Le terme d’atypicité est un terme ambigu, les
retentissent sur ses performances intellectuelles, auparavant de « névroticoréactionnelles ». psychiatries françaises et anglo-américaines lui
dans les domaines scolaire ou professionnel. La L’abandon de ces critères de mélancolie (il en va de attribuant chacune un sens particulier. Pour les
baisse du rendement scolaire ou professionnel et la même pour la mélancolie définie par la sévérité de psychiatres américains (et le DSM IV), il s’agit d’une

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7-0080 - Syndrome dépressif

dépression présentant certaines particularités coprescription d’anxiolytiques afin d’apporter au La dépression survenant dans le post-partum
symptomatiques : hypersomnie, hyperphagie, patient un soulagement rapide et de limiter le risque impose une grande vigilance quant à la recherche
sensation de lourdeur importante dans les membres, de raptus suicidaire. de signes mélancoliques (dévalorisation, indignité,
humeur réactive et sensibilité au rejet. En France, le incapacité à s’occuper de son enfant, culpabilité) ou
¶ Dépression hostile
terme d’atypicité renvoie à la schizophrénie. Une délirants (négation de la grossesse, du mariage, de
La dépression hostile est une forme de dépression
dépression « atypique » est une dépression chez un l’existence du bébé). Ils représentent en effet un
dans laquelle prédominent certains aspects
patient schizophrène qui constitue alors souvent la risque considérable de passage à l’acte suicidaire et
caractériels : réactivité, hostilité, agressivité,
première manifestation de cette maladie. Les signes d’infanticide, imposant alors une hospitalisation
susceptibilité. Ce concept n’est pas univoque et fait
d’atypicité sont essentiellement une froideur, immédiate et une surveillance rapprochée.
vraisemblablement intervenir à la fois des éléments
l’humeur étant davantage abrasée que douloureuse, La dépression du post-partum représente souvent
biologiques, en rapport ou non avec le processus
un mauvais contact, distant, réticent, une pauvreté le premier épisode d’une maladie maniacodé-
dépressif, et des facteurs de personnalité. L’hostilité
de la thématique dépressive et des ruminations, pressive, d’autres épisodes pouvant survenir à
peut ainsi régresser à la faveur du traitement
plutôt « vides ». Cependant, il est souvent difficile de l’occasion de grossesses ultérieures, ou
antidépresseur, et être donc symptomatique de la
porter un diagnostic de schizophrénie à l’occasion indépendamment de celles-ci.
dépression. Elle en est parfois le seul signe
d’un épisode de dépression, même en présence de (intolérance au bruit, irritabilité avec les proches, les
troubles du cours de la pensée ou d’idées délirantes, enfants), et son apparition chez un sujet ne Dépressions saisonnières
et c’est l’évolution, sous antidépresseurs, qui développant habituellement pas ce type de
permettra d’identifier le trouble. Il est préférable Si dans le cours évolutif de la maladie
comportement doit faire rechercher une dépression.
d’éviter dans un premier temps les neuroleptiques, maniacodépressive les épisodes de dépression sont
Dans d’autres cas, elle va persister après la
dont le risque est d’induire une symptomatologie parfois sensibles aux saisons, survenant
guérison de l’accès dépressif, semblant plus
d’aspect déficitaire, d’entraver la levée des signes de préférentiellement à l’automne, on décrit des
constitutive de la personnalité du sujet.
ralentissement liés à une dépression, et donc, du fait dépressions saisonnières hivernales ayant certaines
de l’enrichissement de ce type de symptomatologie ¶ Dépression « masquée » particularités symptomatologiques et considérées
au cours du temps, de conforter à tort le clinicien Les symptômes somatiques sont ici au premier par certains auteurs davantage comme un trouble
dans une hypothèse de schizophrénie. plan, et « masquent » la symptomatologie dépressive du comportement saisonnier que comme un réel
proprement dite : troubles du sommeil, de l’appétit, trouble de l’humeur. Elles associent une
Formes masquées de la libido, asthénie. Les douleurs sont fréquentes, hyperphagie, une prise de poids, une hypersomnie,
sans étiologie lésionnelle avérée : céphalées, une baisse de la libido, des difficultés de
¶ Dépression anxieuse
douleurs gingivofaciales (glossodynies), douleurs concentration et des modifications émotionnelles
Dépression et anxiété sont des troubles
périnéales, troubles digestifs, urinaires, lombalgies. (irritabilité, anxiété et susceptibilité davantage qu’une
fréquemment associés. Un sujet présentant l’un de
Ces douleurs ont souvent un caractère périodique, et tristesse) pouvant entraîner une baisse de
ces troubles a un risque accru de présenter l’autre
peuvent alterner avec des symptômes plus typiques dynamisme professionnel. Le traitement classique
par rapport à un sujet sain. Ainsi, les sujets
de dépression. Elles sont spectaculairement repose sur la photothérapie.
paniquants et ceux présentant un trouble
améliorées par les antidépresseurs.
obsessionnel compulsif (TOC) développent
fréquemment des épisodes dépressifs. Cependant, ‚ Formes avec caractéristiques ‚ Particularités liées à l’âge
l’existence de symptômes anxieux peut être évolutives particulières
strictement contemporaine d’un épisode de Dépression chez l’adolescent
dépression et s’y limiter. Dépression du post-partum
L’humeur revêt moins souvent les caractéristiques
On appelle dépression anxieuse un syndrome Épisode dépressif majeur dans les suites de classiques de la douleur morale. L’adolescent est
dépressif avéré au cours duquel les manifestations l’accouchement, il est à distinguer du postpartum morose, davantage irritable et coléreux. Les
anxieuses sont au premier plan, parfois associées à blues, dont les symptômes doivent disparaître au modalités de l’agir étant privilégiées, le risque
une agitation. Le ralentissement est alors masqué septième jour après l’accouchement. La dépression suicidaire est important (le suicide est la première
par l’agitation, les déambulations et/ou la logorrhée du post-partum survient surtout dans les 3 premiers cause de mortalité des adolescents devant les
anxieuse. Le risque de passage à l’acte suicidaire est mois. Certains auteurs estiment cependant qu’un accidents), de même que le risque de dévelop-
important dans ces formes anxieuses. L’anxiété va lien entre la grossesse, l’accouchement et la pement de conduites addictives. Il faut s’attacher à
régresser à la faveur du traitement antidépresseur, survenue d’un épisode dépressif peut être évoqué repérer les modifications comportementales et
mais son délai d’action impose souvent la jusqu’à 2 ans après l’accouchement.
relationnelles. La baisse des résultats scolaires et la
réduction de la gamme des investissements sont des
signes d’alerte devant faire rechercher une
Il faut systématiquement évoquer une dépression devant :
dépression.
✔ une anxiété (dépression anxieuse), en particulier une symptomatologie anxieuse
d’apparition récente chez un sujet n’ayant pas de tempérament anxieux, ou chez Dépression chez le sujet âgé
un sujet anxieux qui présente une recrudescence de ces manifestations. Les tentatives de suicide sont fréquentes chez les
✔ un changement de comportement : une modification de caractère, en particulier sujets âgés (augmentation de leur fréquence à partir
une irritabilité, une agressivité, une intolérance au bruit, une susceptibilité, ainsi de 65 ans), et elles aboutissent plus souvent au
qu’une conflictualisation des rapports avec l’entourage doivent faire rechercher suicide réussi en raison d’une intention létale plus
une maladie dépressive, notamment quand elles représentent une rupture par forte et d’un terrain plus fragile. Elles s’intègrent
rapport au comportement habituel du sujet (dépression hostile). essentiellement dans un contexte dépressif. Certains
✔ des douleurs atypiques (dépression masquée) : des douleurs non expliquées par signes de dépression peuvent être à tort attribués à
une détérioration mentale débutante (troubles
une lésion organique, ou disproportionnées quand une telle lésion existe.
mnésiques, troubles de l’attention et de la
✔ chez un adolescent qui devient morose, parfois coléreux et irritable, qui présente concentration). Il est ainsi classique de débuter un
des comportements transgressifs (vols, fugues, mensonges), une baisse des résultats traitement antidépresseur devant un tableau
scolaires, le risque étant de considérer ces symptômes comme l’expression d’une démentiel débutant, qui, dans le doute, permettra
« banale » crise d’adolescence. rétrospectivement de faire le diagnostic. Les
✔ chez un sujet âgé plaintif sur le plan somatique, asthénique, dont les facultés dépressions des sujets âgés s’expriment souvent sur
intellectuelles paraissent s’altérer. Il faut éviter d’attribuer ce type de le mode de plaintes somatiques, malheureusement
manifestations au vieillissement « normal ». souvent négligées, car considérées comme
« habituelles » aux âges avancés.

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Syndrome dépressif - 7-0080


¶ Dépression et maladies endocriniennes effets euphorisant et anxiolytique de l’alcool. Il est
Diagnostic étiologique ou métaboliques essentiel de repérer ces conduites dans la mesure où
l’alcool a un effet dépressogène au long cours et qu’il
constitue un facteur de résistance au traitement
Principales pathologies endocriniennes
‚ Trouble dépressif associé/secondaire antidépresseur. La prise d’alcool lors d’états
ou trouble dépressif primaire et métaboliques associées à des dépressifs représente en outre un risque accru de
syndromes dépressifs passage à l’acte suicidaire.
Le diagnostic de dépression posé, il va alors s’agir
de différencier les dépressions secondaires à une ✔ Corticosurrénales : syndrome de Chez les sujets maniaques, la prise d’alcool s’associe
Cushing, hypocorticisme (maladie à la libération instinctuelle qui les caractérise (multiplicité
autre pathologie, des dépressions s’intégrant dans
des contacts sociaux et des occasions festives).
un trouble thymique primaire. Cette distinction n’est d’Addison).
On décrit des alcoolismes périodiques, que
pas toujours aisée à faire dans la mesure où ✔ Thyroïdes : hypothyroïdie,
certains auteurs considèrent comme des
l’existence de facteurs « dépressogènes » ne permet hyperthyroïdie. « équivalents dépressifs », qui pourraient bénéficier
pas d’éliminer un trouble thymique primaire. En ✔ Parathyroïdes : hyperparathyroïdie, de la prescription de thymorégulateurs.
effet, les épisodes de la maladie maniacodépressive hypoparathyroïdie. Dans le cadre de l’alcoolisme primaire, la
ne se déclenchent pas toujours spontanément, et ✔ Diabète. dépression survient dans plus de la moitié des cas.
sont souvent précipités par des facteurs ✔ Avitaminose B12 (maladie de Toutes les formes de dépression peuvent se
environnementaux. Ainsi, une dépression survenant rencontrer, comme les épisodes dépressifs majeurs,
Biermer).
dans les suites d’un traitement par corticoïdes peut mais la dysthymie semble être le tableau le plus
très bien représenter l’épisode inaugural d’un trouble
✔ Carence en folates.
courant. L’apparition d’un syndrome dépressif chez
primaire de l’humeur. un alcoolique peut être un moment favorable dans
Certains éléments sont alors en faveur d’un
¶ Autres pathologies somatiques associées
à des syndromes dépressifs la mesure où elle peut entraîner une démarche de
trouble primaire de l’humeur : soins. La prescription d’antidépresseurs doit
– la persistance de la symptomatologie s’accompagner d’une prise en charge spécifique de
dépressive alors que les facteurs dépressogènes ✔ Maladies Infectieuses : encéphalites l’alcoolisme et d’un abord psychothérapique
potentiels ont été levés ou traités (autonomisation virales et bactériennes ; sida. (psychothérapie de groupe et/ou individuelle).
de la symptomatologie dépressive) ; ✔ Maladies chroniques : collagénoses. Dans les jours et semaines qui suivent un sevrage,
– la récurrence ; ✔ Maladies cardiovasculaires la présence d’affects dépressifs est fréquente, et ne
– la présence d’antécédents familiaux de troubles justifie pas l’utilisation immédiate d’antidépresseurs.
(hypertension artérielle).
de l’humeur. La psychothérapie aidera l’alcoolique dans les
✔ Insuffisance rénale et hémodialyse. aménagements psychologiques nécessaires induits
L’entretien avec le patient et l’examen somatique ✔ Pathologie tumorale.
vont permettre de repérer des pathologies médicales par l’abstinence. Seule la persistance des affects
ou psychiatriques susceptibles de jouer un rôle dans dépressifs et leur organisation en un véritable
l’apparition d’un syndrome dépressif. L’existence ¶ Dépression et prise médicamenteuse (tableau II) syndrome dépressif pourront déboucher sur un
prescription d’antidépresseurs.
d’une pathologie dépressogène va justifier le Dépression et autres troubles psychiatriques
traitement spécifique de cette pathologie. Les Des épisodes dépressifs majeurs peuvent
antidépresseurs seront indiqués en cas de ¶ Dépression et alcool également survenir des mois après un sevrage. S’ils
L’association entre alcoolisme et troubles de ne masquent pas la reprise de la consommation
persistance de la symptomatologie dépressive
l’humeur est fréquente. On distingue habituellement d’alcool, ils justifient un traitement spécifique.
malgré le traitement de l’affection primaire, ou de
les dépressions secondaires survenant chez un patient
manière systématique dans certains cas, notamment ¶ Dépression et troubles anxieux
lorsque la dépression est secondaire à une autre alcoolique et les conduites d’alcoolisation secondaires
des sujets présentant un trouble de l’humeur.
pathologie psychiatrique.
Les sujets déprimés peuvent avoir recours à Principaux troubles anxieux à
Par exemple, la symptomatologie dépressive,
extrêmement fréquente dans les suites du sevrage
l’alcool, alors souvent utilisé à des fins que l’on l’origine de syndromes dépressifs
pourrait qualifier de thérapeutiques, en raison des ✔ Trouble panique.
chez un patient alcoolique, ne justifie de traitement
antidépresseur que si elle persiste au-delà de ✔ Troubles phobiques : phobie
plusieurs semaines ou s’il existe par ailleurs un Tableau II. – Médicaments et toxiques poten- sociale.
trouble primaire de l’humeur. tiellement dépressogènes. ✔ TOC.
En revanche, un syndrome dépressif survenant
Traitements cardiologiques
dans l’évolution d’un trouble anxieux (trouble Antihypertenseurs centraux L’association entre troubles dépressifs et troubles
panique ou TOC) va nécessiter la prescription — alphaméthyldopa (Aldomett) anxieux est extrêmement fréquente. De nombreuses
d’antidépresseurs. — bêtabloquants passant la barrière hémato- études utilisant le concept de « comorbidité » (qui
méningée représente une association statistique entre deux types
— inhibiteurs calciques de troubles sans faire intervenir de relations causales ou
Dépression et maladies somatiques — digitaliques
étiopathogéniques entre eux) l’évaluent à plus de 50 %.
¶ Dépression et maladies neurologiques Antiulcéreux En pratique clinique courante, il est cependant
Cimétidine (Tagamett) essentiel de repérer le trouble primaire, la prise en
Corticoïdes charge dépendant en effet de cette analyse. Par
Principales maladies neurologiques
exemple, dans la dépression anxieuse (cf « Formes
associées à des syndromes dépressifs Immunosuppresseurs cliniques »), il est essentiel de faire le diagnostic de
Interféron
✔ Maladie de Parkinson. trouble de l’humeur (qui repose sur la notion de
Antituberculeux périodicité et la présence de symptômes dépressifs)
✔ Sclérose en plaques. Isoniazide (Rimifont) pour éviter une prescription qui se limiterait à des
✔ Démences : maladie d’Alzheimer, anxiolytiques, non curatifs, dont une conséquence
Traitements neuropsychiatriques
maladie de Pick. Neuroleptiques pourrait être l’évolution dramatique vers la
✔ Accidents vasculaires cérébraux. L-dopa chronicité de la dépression.
✔ Tumeurs. Toxiques Tous les troubles anxieux (névrotiques) sont
✔ Chorée de Huntington. Amphétamines susceptibles d’entraîner des états dépressifs
✔ Épilepsie. Alcool secondaires. Les patients souffrant de troubles
dissociatifs (hystériques conversifs) ou de TOC

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7-0080 - Syndrome dépressif


peuvent ainsi rencontrer au cours de leur parcours ‚ Contexte médical
un épisode dépressif, qui représente alors une Évaluation du contexte Il a déjà été évoqué au paragraphe précédent. Il
rupture, qu’il s’agira de différencier d’une simple
s’agit de repérer les pathologies somatiques et les
majoration des symptômes névrotiques à la faveur
traitements médicamenteux pouvant jouer un rôle
d’une situation de stress ou d’un conflit.
L’évaluation du contexte de vie du sujet dépressogène.
Deux types de troubles anxieux sont particuliè-
déprimé est importante à plus d’un titre. Outre le Le recueil de ces données s’appuie non seulement
rement exposés au risque de décompensation
repérage de facteurs éventuellement sur l’examen clinique, mais également sur un
dépressive, le trouble panique (répétition fréquente
déclenchants de la dépression, elle doit mettre en interrogatoire minutieux, dont on profitera pour
d’attaques de panique ou crises d’angoisse aiguë) et
évidence les interactions du sujet avec son rechercher les antécédents éventuels de dépression
les troubles phobiques. Les sujets paniquants ayant
environnement, et permettre de mesurer les du sujet lui-même, la nature et la durée des
un risque suicidaire élevé, comparable aux patients
facteurs susceptibles d’aggraver ou de chroniciser traitements prescrits, ainsi que les antécédents
dépressifs, la survenue d’un épisode dépressif chez
le processus dépressif, les facteurs de risque de familiaux de dépression.
ces patients augmente considérablement ce risque
passage à l’acte suicidaire, les facteurs protecteurs La prise d’alcool sera également recherchée. Le
et doit inciter à la plus grande vigilance.
de ce risque et les facteurs pouvant favoriser la problème complexe de l’association dépression-
¶ Dépression et schizophrénie récupération du sujet déprimé. alcoolisme a été abordé au paragraphe précédent.
Troubles de l’humeur et schizophrénie peuvent
s’associer dans une entité particulière dont les limites, ‚ Contexte psychologique et social
voire l’existence, sont discutées : la schizophrénie L’environnement familial, la proximité, non
dysthymique. En dehors de cette affection, la dépression Informations essentielles à obtenir seulement géographique, mais également affective,
semble représenter une modalité évolutive ou une la qualité des liens, la vie affective du sujet, la relation
pour tout sujet déprimé
complication dans 25 % des cas de schizophrénie. de couple et la présence d’enfants sont autant de
La dépression postpsychotique se caractérise par ✔ Sur la maladie : paramètres à prendre en compte, avec comme
la survenue d’une symptomatologie dépressive au – date de début ; objectif l’évaluation des interactions du sujet avec cet
décours immédiat d’un accès psychotique aigu. Sa – antécédents de troubles de l’humeur environnement, et plus particulièrement les
pathogénie et son traitement sont discutés : « deuil » modifications de ces interactions, induites par le
personnels ou familiaux ;
du délire dans une perspective psychanalytique, processus dépressif. Il s’agit d’éléments pouvant
prise de conscience douloureuse du handicap lié à la
– traitements déjà suivis et efficacité ;
éventuellement avoir un lien avec l’installation de la
maladie, effets secondaires des neuroleptiques. – antécédent(s) d’hospitalisation(s) et
dépression, mais surtout d’éléments avec lesquels le
Selon les cas, on aura recours à une diminution des raisons ; praticien devra compter pour adapter sa prise en
neuroleptiques, à une prescription de correcteurs ou – idéation suicidaire et antécédents de charge.
à un traitement antidépresseur. tentatives de suicide. Le contexte social et professionnel sera apprécié
On décrit en revanche d’authentiques états ✔ Sur le contexte : avec les mêmes objectifs : recherche de facteurs
dépressifs survenant chez des patients schizophrè- – facteurs déclenchants, facteurs de déclenchants et mesure des interactions entre le
nes stabilisés, qui présentent les caractéristiques stress ; sujet et son milieu socioprofessionnel.
habituelles des dépressions et constituent également L’évaluation de la personnalité du patient est
– activité professionnelle :
une rupture dans la trajectoire du sujet. La également indispensable, mais particulièrement
prescription d’antidépresseurs se justifie aux doses retentissement de la dépression ;
– affectif ; délicate à effectuer en période de dépression, le
habituelles. Le risque de déclencher un épisode processus dépressif pouvant altérer l’expression des
productif délirant par l’utilisation d’antidépresseurs, – familial ;
traits de personnalité, aussi bien dans le sens de
en particulier tricycliques, est très discuté et de toute – ressenti par le sujet des attitudes de l’accentuation que dans celui de l’atténuation, ou
façon limité par le maintien des neuroleptiques. l’entourage. encore dans l’expression de manifestations
¶ Dépression et hystérie « caractérielles » inhabituelles chez le sujet.
Elle sera au mieux confiée au spécialiste.

Une situation fréquente et un piège diagnostique


Le concept de « dépression névrotique », facilement utilisé lorsque s’associent des Recherche
symptômes hystériques et dépressifs, amène à proposer une réponse des éléments déterminants
pour la prise en charge
psychothérapique. Or ce concept est actuellement discuté, et la tendance actuelle
tend à considérer que des éléments biologiques interviennent dans toute forme de ‚ Éléments liés au patient
dépression, impliquant donc le recours aux antidépresseurs dans les dépressions
dites « névrotiques ». Existence d’une idéation suicidaire
Le danger de ce type de situation est en fait surtout de méconnaître une dépression La question doit être posée systématiquement à
chez un patient présentant des comportements hystériques (théâtralisme, sensibilité tout sujet déprimé. Il est irrationnel de penser que la
exacerbée à l’environnement, attitudes séductrices, affects labiles), dont l’aspect formulation d’une telle question puisse représenter
« inauthentique » et le côté « agaçant » (contre-transfert négatif) peuvent amener le pour le sujet n’ayant pas ce type d’idéation une
praticien à écarter le diagnostic de dépression, avec les conséquences inhérentes à suggestion, voire une incitation. Le sujet peut
une dépression non traitée. exprimer directement une idéation suicidaire, avec
Certains éléments sont alors en faveur d’une pathologie dépressive : parfois des projets bien établis, qu’il convient là
encore de toujours rechercher. Parfois, l’idéation
– début tardif des manifestations « hystériques » (les manifestations de l’hystérie-
suicidaire s’exprime de manière plus indirecte, au
maladie, accidents de conversion, ou de l’hystérie-personnalité, mode relationnel, travers de sentiments d’inutilité, de péjoration de
doivent se repérer dès la fin de l’adolescence) ; l’avenir, de désespoir, de fatigue, d’abandon de la
– modification du comportement (appréciée surtout par l’entourage) ; lutte. La mort n’est pas vraiment désirée, mais l’arrêt
– rupture avec le fonctionnement habituel (exemple : une première tentative de de la vie est envisagé comme l’arrêt de la souffrance
suicide à 40 ans survenant chez une hystérique doit faire suspecter une et comme la seule issue.
décompensation dépressive) ; Au pire, chez le sujet mélancolique, elle est
– présence d’antécédents familiaux ou personnels de dépression. cachée, niée, et un projet établi et déterminé de
Le moindre doute justifie le recours au spécialiste. suicide peut lui permettre de « tenir » jusqu’à
l’échéance, en masquant la souffrance dépressive.

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Syndrome dépressif - 7-0080

Signes de gravité de la dépression augmentation du sentiment d’exclusion du déprimé – explicitation du trouble et du projet
et/ou une rupture de communication avec thérapeutique ;
■ Intensité et durée de l’évolution du trouble.
l’entourage qui majore les attitudes inadaptées. – information sur les attitudes à adopter et celles
■ Caractère mélancolique de la dépression : la
à éviter.
thématique des ruminations dépressives consiste en Capacité de l’entourage


des idées de faute, d’indignité, de culpabilité, de à comprendre la dépression
ruine, de déchéance sur tous les plans (physique, Prise en charge
Les déprimés disent régulièrement qu’on ne peut du patient déprimé
moral, social) .
comprendre la dépression si l’on n’est pas « passé par
■ Caractère délirant : les thèmes délirants les plus
là ». L’entourage du déprimé est la plupart du temps La reconnaissance d’un syndrome dépressif
fréquemment rencontrés dans la dépression sont
dans cette situation d’incompréhension, devant un impose la presription d’antidépresseurs. Le
des idées de référence (sentiment que tout ce qui est
processus qui dépasse le déprimé lui-même. Il est donc maniement de ces produits et les règles de
perçu, observé dans l’environnement, se rapporte à
capital de donner une information sur la maladie prescription dans les différentes formes cliniques de
soi, que le monde s’adresse à soi), de persécution, de dépressive à l’entourage du patient et d’apprécier sa
culpabilité, de maladie (thèmes hypocondriaques du dépression sont détaillés au chapitre « Troubles
capacité à intégrer la notion de maladie, qui dépasse thymiques ».
syndrome de Cotard), avec des mécanismes intuitifs, la simple volonté du patient.
interprétatifs, mais pouvant également être Le praticien généraliste qui conduit un tel
hallucinatoires (voix proférant des injures, des traitement antidépresseur sera probablement
Capacité de l’entourage à accompagner
menaces, confortant en quelque sorte le sujet dans amené à recourir aux conseils du spécialiste dans les
le patient vers la guérison
l’idée qu’il se fait de lui-même). situations suivantes :
Cette capacité suppose que la nature du trouble a – présence d’un risque suicidaire ;
déjà pu être intégrée. Il s’agit alors de discuter les – présence d’un trouble de la personnalité
Personnalité du sujet attitudes éventuellement délétères de la famille, compliquant la prise en charge et entraînant une
Élément important dans l’évaluation pronostique d’ailleurs souvent demandeuse de conseils en la mauvaise compliance aux soins ;
et la mise en place d’un projet thérapeutique, elle matière. Cependant, certaines situations (taux – perturbation du contexte familial ;
demande en principe un avis spécialisé compte tenu d’anxiété intrafamilial élevé, réactivation d’un conflit – présence d’un autre trouble psychiatrique
des difficultés évoquées plus haut. conjugal) provoquent de telles contre-attitudes que associé ;
l’hospitalisation est indiquée. – résistance aux traitements prescrits ;
Qualité de la relation médecin/malade – refus de soins ;
– indication d’hospitalisation.


Elle est essentielle à apprécier avant de décider de
tout projet thérapeutique qui, en matière de Place de la famille
dépression, s’inscrit dans la durée. La prescription
dans la prise en charge Indications d’hospitalisation
d’antidépresseurs devant s’appliquer sur des durées ✔ Mélancolie délirante.
d’au moins 6 mois, à posologies efficaces, et
La recherche des éléments évoqués ci-dessus
✔ Mélancolie avec idéation suicidaire.
s’accompagnant de certains effets indésirables, il est
implique donc un entretien avec la famille du ✔ Dépression avec idéation suicidaire
essentiel qu’existe une relation de confiance. Celle-ci et risque de passage à l’acte.
déprimé. La rencontre avec la famille est une règle
permettra de limiter les risques d’arrêts intempestifs ✔ Dépression avec refus alimentaire
quasi absolue. Il est hors de question, dans ce
des traitements, ou de poursuite à doses
premier temps de l’évaluation et de la mise en place qui engage le pronostic vital (sujet
infrathérapeutiques, donc sans efficacité, situations
d’un projet thérapeutique, de se placer d’emblée âgé en particulier).
malheureusement extrêmement fréquentes en
dans une position psychothérapeutique, qui elle ✔ Dépression associée à d’autres
matière de dépression.
seule pourrait justifier de réserver au patient un
troubles, en particulier troubles de la
espace dans lequel la famille ne pourrait faire
‚ Éléments liés à l’entourage « intrusion ».
personnalité, laissant augurer d’une
Il est cependant des cas où le patient lui-même va
mauvaise compliance.
Retentissement des troubles sur l’entourage
refuser que le praticien rencontre sa famille, devant ✔ Entourage défaillant ayant des
L’entourage d’un déprimé reste rarement inciter celui-ci à une grande prudence et à recourir à attitudes négatives à l’égard du sujet
indifférent. Le trouble dépressif induit régulièrement un avis spécialisé. Il peut en effet s’agir de tableaux de déprimé.
des modifications des relations du sujet qui en est dépression délirante, où le sujet développe une
atteint avec son entourage. Des attitudes souvent thématique de persécution centrée sur l’entourage, ou La collaboration avec le psychiatre, car il doit
inadaptées se développent, résultant de plusieurs de situations de conflit familial, qui de toute façon s’agir d’une collaboration et non d’un adressage
facteurs amenés par la survenue du trouble : compliquent considérablement la prise en charge du sans retour, repose alors sur quelques règles
inquiétude, incompréhension, anxiété. Les attitudes patient. élémentaires de respect des champs d’intervention
ainsi rencontrées vont de la surprotection, avec L’entretien avec la famille du déprimé a donc de chacun, qui doivent être préalablement définis. La
favorisation d’un comportement régressif, au rejet plusieurs objectifs, que l’on peut résumer ainsi : répartition des rôles est abordée dans les différents
hostile et agressif, en passant par des incitations et – recueil d’informations : sur la santé du patient chapitres de l’Encyclopédie Pratique de Médecine
injonctions multiples faites au déprimé de réagir, de au travers du regard de l’entourage, sur l’entourage consacrés aux troubles psychiatriques et à leurs
ne pas se « laisser aller ». Le résultat est alors une lui-même et sa capacité à soutenir le déprimé ; stratégies thérapeutiques.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Syndrome dépressif.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0080, 1998, 7 p

Références

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Med Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-876-A-10, 1995 : 1-6 Médecine-Sciences, 1995

[2] Leguay D. Épidémiologie des troubles dépressifs. In : Lepine JP, Rouillon F,


Terra JL eds. Épidémiologie psychiatrique. Paris : JP Goureau-IEEP, 1995 : 171-185

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Syndrome d’excitation
Encyclopédie Pratique de Médecine

C Zeitter

E xcitation, exaltation, euphorie morbide, expansivité, manie, autant de termes utilisés pour désigner des états
où prédomine l’hyperactivité d’un sujet qui perd le contrôle de lui-même, et dont le prototype en pathologie
psychiatrique est l’accès maniaque. Le diagnostic est parfois difficile et l’interrogatoire de la famille souvent primordial,
en raison du manque de lucidité du patient vis-à-vis de ses troubles. L’instauration précoce d’un traitement est le
meilleur garant d’une récupération rapide et de bonne qualité.
© Elsevier, Paris.


Changement de comportement ‚ Nécessité d’effectuer un diagnostic
Définition d’une excitation le plus précocement possible
pathologique Pour un patient bien connu, il se caractérise
volontiers par une désinhibition, une familiarité Il est donc parfois difficile de repérer ce type de
excessive, un sentiment de bien-être complet, des trouble, mais il est essentiel de s’en donner les
L’euphorie n’est pas retrouvée dans tous les états projets multiples et parfois grandioses. moyens (l’appel à la famille est indispensable), pour
d’excitation, même lorsqu’il s’agit d’états maniaques
Modifications des conduites deux raisons essentielles : les risques majeurs liés à
(on décrit des manies « dysphoriques »), et ne
cet état pathologique et la nécessité de la précocité
constitue donc pas le symptôme permettant de En particulier un début d’alcoolisation chez un
d’un traitement.
définir ces états. patient non connu pour une telle appétence.
L’excitation se décrit en fait selon ses deux Entourage (+++) Risques majeurs directement liés à cet état
composantes principales : pathologique
La famille sollicite souvent le médecin alors que le
– l’excitation psychique ou intellectuelle ;
patient n’exprime aucune demande, ce qui est ■ Sociaux : rupture, désinsertion, comportements
– l’excitation motrice ou comportementale.
caractéristique des états d’excitation où la délictuels liés à la désinhibition (passages à l’acte
Il faut différencier les états d’excitation des états hétéragressifs, désinhibition sexuelle).
reconnaissance du caractère morbide des troubles
d’agitation qui sont abordés au chapitre des
par le patient lui-même est très mauvaise. (À ■ Professionnels : perte d’emploi en raison des
urgences psychiatriques. L’excitation peut donner
l’inverse, le médecin doit faire appel à la famille troubles du comportement, difficultés à retrouver
lieu à une agitation, parfois sévère, comme dans le
lorsqu’il repère les symptômes d’alerte évoqués une activité professionnelle (temps de récupération
cas des « manies furieuses », mais il existe de
ci-dessus.) L’avis de la famille est essentiel, car de après l’accès, période d’inactivité mal justifiée aux
nombreuses autres causes aux états d’agitation.
nombreux patients maniaques sont tout à fait yeux d’un employeur).
capables de se contenir et de donner le change dans ■ Affectifs : perturbation des relations conjugales


certaines situations : pouvant entraîner une rupture.
Circonstances où l’on doit
évoquer un état d’excitation – consultation avec le médecin : le cadre de la
Nécessité impérieuse d’instaurer précocement
consultation, la présence du médecin qui questionne
un traitement
et oriente le patient lui permettent de contrôler
‚ Symptômes d’alerte C’est le meilleur garant d’une récupération rapide
l’excitation ;
Insomnie – domaine professionnel : jusqu’à un certain et de bonne qualité.
Elle peut être le motif de consultation et la seule degré, l’hyperactivité peut être efficace et appréciée
plainte exprimée.


par l’entourage professionnel ;
Troubles de la concentration – domaine social : la désinhibition, la facilité de Diagnostic de syndrome
contacts, l’euphorie « entraînante » peuvent être
d’excitation
Des difficultés à fixer son attention peuvent être
en rapport avec une tachypsychie, une fuite des appréciées et non repérées comme pathologiques.
idées, une dispersion idéique. En revanche, l’entourage proche va repérer des ‚ Excitation intellectuelle
signes, et en particulier une rupture par rapport au Elle se caractérise par une accélération de la
Perte de poids
comportement habituel du sujet. Le sujet est alors pensée. Le sujet ressent, dans les formes débutantes
Elle est liée à l’hyperactivité et à une négligence décrit comme épuisant, tyrannique, voulant imposer ou d’intensité modérée, une facilitation intellectuelle,
alimentaire.
à sa famille un rythme qu’elle a de plus en plus de une augmentation de ses capacités, de ses
« Nervosité » mal à suivre. performances. Les pensées s’enchaînent plus
L’hyperactivité ainsi constatée par les proches,
© Elsevier, Paris

Patient « impatient » qui ne tient pas en place, rapidement, avec une grande vivacité. Si, dans
parle beaucoup, avec une gestuelle importante, associée à une insomnie dont le patient ne se plaint certains cas, cette excitation peut être mise à profit
coupe la parole à son interlocuteur, a du mal à pas forcément, ne ressentant pas le besoin de se par le sujet, dans la majorité des cas, existent un
rassembler ses idées, et pour qui le médecin ne voit reposer, sont alors des éléments fondamentaux du emballement et une perte de contrôle, dont il n’a
pas « où il veut en venir ». diagnostic de l’état d’excitation. souvent pas conscience.

1
7-0090 - Syndrome d’excitation

La tachypsychie se traduit alors par une logorrhée Le rire alterne parfois subitement avec des crises premier lieu une origine organique aux troubles
intarissable qui ne laisse aucune place à l’écoute de de larmes qui ne sont alors pas l’expression d’un d’aspect psychiatrique, et faire pratiquer des
l’autre. Le sujet ne se laisse pas interrompre, coupe la moment dépressif, mais plutôt celle d’un examens complémentaires à visée étiologique.
parole à son interlocuteur. Le discours, accéléré, est bouillonnement émotionnel. Certaines circonstances doivent inciter à la plus
également perturbé dans sa qualité : les idées sont Euphorie et désinhibition peuvent se conjuguer grande vigilance. Elles sont résumées ci-dessous.
oubliées sitôt pensées, de telle sorte que le discours pour amener une prodigalité excessive et entraîner
semble perdre de sa logique, émaillé de digressions, des achats inconsidérés, avec des conséquences
de coq-à-l’âne, les idées n’étant plus développées financières parfois importantes. Éléments évocateurs d’une origine
jusqu’à leur terme (perte du but). Au maximum, le L’euphorie est cependant parfois absente et
organique :
discours peut paraître incohérent, désorganisé. remplacée dans environ 15 % des cas par une ✔ sujet âgé (déshydratation) ;
Les capacités de concentration et d’attention sont humeur qualifiée de dysphorique, à tonalité triste, ✔ sujet de plus de 40 ans avec
altérées, le sujet est distractible et réagit au moindre teintée d’irritabilité. absence de tout antécédent
stimulus externe. Ainsi, malgré les sentiments de psychiatrique ;
puissance et de performance, le rendement et la ✔ sujet ayant des antécédents
production du sujet sont réduits. Les multiples projets
ne sont pas réalisés, l’excitation intellectuelle est
stérile.

Conduite à tenir devant
un syndrome d’excitation
psychiatriques mais présentant une
symptomatologie inhabituelle ;
✔ maladies somatiques connues
pouvant entraîner des désordres
Comme pour tout tableau associant troubles du ioniques ou métaboliques ;
‚ Excitation motrice
comportement et troubles du discours, et évoquant ✔ présence de signes de confusion :
Hyperactif, le sujet ne tient pas en place, se lance une maladie psychiatrique, l’examen somatique du – désorientation temporospatiale,
avec frénésie dans de multiples activités, qu’il patient est indispensable. À l’exception des cas – troubles de la vigilance,
s’agisse de tâches habituelles ou de projets d’agitation importante, nécessitant contention et
– perplexité anxieuse.
nouveaux, dans des champs variés : travail, sédation rapides, cet examen est le plus souvent
distractions, sports, rencontres. Il ne supporte aucun possible, accepté par le patient, et permet de nouer
temps mort, doit sans cesse être en mouvement. un premier contact, de contenir et de rassurer, de La famille peut enfin être amenée à participer à la
L’aspect pathologique réside essentiellement dans parler avec le patient, et ainsi d’obtenir certains prise en charge, lorsqu’il s’agit d’hospitaliser contre
cette incapacité à ne pas agir. Là encore, cette renseignements anamnestiques pouvant orienter le sa volonté un patient qui refuse des soins qui
débauche d’énergie ne donne pas lieu à la diagnostic. s’imposent en milieu hospitalier psychiatrique
réalisation correcte des projets entrepris, le sujet est (hospitalisation à la demande d’un tiers).
dispersé et son hyperactivité brouillonne.
Éléments à rechercher au cours de


En situation d’entretien, le sujet est incapable de
rester assis, se lève sans cesse, déambule. l’examen :
Causes des états d’excitation
L’excitation psychomotrice s’accompagne de ✔ antécédents médicaux ;
troubles des fonctions instinctuelles, et en particulier ✔ histoire personnelle d’accès
d’une réduction du temps de sommeil, pouvant aller antérieurs similaires ; ‚ Causes psychiatriques
jusqu’à l’insomnie totale, mais dont le sujet ne se ✔ antécédents d’épisodes de
dépression ; Accès maniaque
plaint pas forcément, profitant de ce temps
supplémentaire de veille pour ses activités. ✔ antécédents familiaux de Accès inaugural ou dans le cours évolutif d’une
Une hyperphagie peut s’observer, de même dépression ou d’accès maniaques ; maladie maniacodépressive, il associe dans sa forme
qu’une consommation excessive d’alcool, mais le ✔ existence d’un suivi psychiatrique ; typique l’excitation psychomotrice, l’euphorie, les
sujet perd parfois du poids, conséquence de ✔ nature d’un éventuel traitement troubles du sommeil, un sentiment de puissance, des
l’hyperactivité et d’une négligence de la prise psychotrope ; idées de grandeur. Le début est souvent brutal,
alimentaire par « manque de temps ». ✔ prises médicamenteuses ou précédé parfois de quelques nuits d’insomnie qui
changements récents de traitement ; sont davantage à considérer comme un symptôme
Le comportement sexuel peut se modifier, dans le
✔ prises de toxiques. « avant-coureur » que comme la cause de l’accès,
sens là aussi d’une plus grande activité
bien que les privations de sommeil puissent
(hypergénésie), avec parfois des conduites à
déclencher des accès maniaques.
caractère médicolégal (exhibitionnisme, agressions
La présence de la famille, qu’il convient donc Il existe des formes où l’agitation prédomine,
sexuelles).
impérativement de solliciter, permet souvent parfois incontrôlable (manies furieuses), des formes
Une asthénie survient après quelque temps, les
d’apporter des renseignements précieux que le délirantes (idées religieuses ou mystiques de mission,
ressources s’épuisant peu à peu.
patient lui-même aura du mal à livrer en raison de idées de grandeur, de possession, de dons, de
troubles du cours de la pensée, d’une réticence ou pouvoirs, idées de filiation grandiose, parfois de
‚ Euphorie
d’une hostilité, ou d’un manque de lucidité par persécution) à mécanismes souvent intuitifs et
Caractéristique des états maniaques, illustrant rapport à ses troubles (cf supra). parfois hallucinatoires, des formes atténuées
l’aspect « thymique » du trouble, son caractère Outre les éléments évoqués ci-dessus, on tentera qualifiées d’hypomanies, où l’entourage sera d’une
morbide se traduit par sa permanence et sa relative de préciser la nature des troubles présentés, le mode grande aide pour aider au repérage des troubles.
indépendance par rapport au contexte. Elle vient de début, les changements de comportement,
colorer toute expérience, tout le vécu du sujet, de l’existence de troubles du sommeil, d’éventuelles Schizophrénie
manière envahissante, comme le fait la tristesse modifications du caractère, et l’on recherchera Les patients schizophrènes peuvent présenter,
pathologique chez le déprimé. Le sujet éprouve un l’existence de facteurs de stress psychologique, dans l’évolution de la maladie, des accès dépressifs
sentiment intense de bien-être, de joie, tout lui paraît d’événements de vie, qu’ils soient de tonalité francs, mais aussi des accès d’excitation. Lorsque ces
possible, l’avenir est vu avec un optimisme sans agréable ou désagréable. accès thymiques se répètent de manière périodique,
bornes. Il rit, fait jeux de mots et calembours, se Au cours de l’examen, on recherchera tout on parle alors de schizophrénie dysthymique.
montre familier, désinhibé dans les relations sociales, particulièrement des signes de confusion. La L’accès maniaque chez le schizophrène se
abordant dans la rue des personnes inconnues. présence de tels signes doit faire suspecter en caractérise par certains signes d’ « atypicité » :

2
Syndrome d’excitation - 7-0090

l’euphorie est souvent absente, le contact est plus


hostile, moins ludique, le discours est plus Tableau I. – Manies secondaires à des prises Tableau II. – Manies secondaires à des prises
de toxiques. médicamenteuses.
stéréotypé, les digressions plus incongrues, l’affect
plus inadapté, discordant. Cependant, ces signes cocaïne et crack antibiotiques, antifongiques : isoniazide (Rimi-
n’ont pas de valeur de spécificité, et le diagnostic de font), imidazolés
amphétamines
schizophrénie sera posé sur la présence des critères
corticostéroïdes
de cette affection (dissociation, délire) au décours de cannabis
la période de perturbation thymique. hormones thyroïdiennes
caféine
antiulcéreux : cimétidine (Tagamett), ranitidine
Bouffée délirante aiguë solvants : éther, acétone, trichloréthylène (Azantact, Raniplext)
Tableau délirant aigu, à début brutal, chez un hallucinogènes : LSD, phencyclidine, psilocybine bêtastimulants
sujet jeune, à thèmes et mécanismes délirants
polymorphes et surtout hallucinatoires, elle yohimbine
s’accompagne souvent d’éléments d’excitation Tumeurs frontales substances dopaminergiques : L-dopa, amantadine,
psychomotrice et d’altération de l’humeur. Il n’existe Elles associent, à des degrés divers, une euphorie, bromocriptine (Parlodelt)
actuellement pas de critères validés permettant de une désinhibition, une hyperactivité et une anticholinergiques : trihexyphénydile (Artanet)
prévoir l’évolution d’une bouffée délirante. Les logorrhée (méningiome olfactif).
statistiques montrent qu’environ 30 % des bouffées antidépresseurs
Syphilis tertiaire
délirantes représentent l’accès inaugural d’une benzodiazépines
Le début est souvent aigu, prenant parfois l’aspect
entrée dans la maladie maniacodépressive.
d’un accès maniaque associant excitation, euphorie,
Psychose puerpérale prodigalité, désinhibition. La phase terminale se déclenchant ou précipitant. Le traitement
caractérise plutôt par une euphorie béate et symptomatique devra être poursuivi plus longtemps
Survenant dans le post-partum, autour de 6 à 8
tranquille. (traitement curatif classique d’un accès maniaque sur
semaines après l’accouchement, chez des femmes
entre 20 et 30 ans, elle consiste en des états délirants Méningoencéphalites plusieurs mois), et se posera la question d’un
aigus à mécanismes multiples, dans un climat traitement préventif des rechutes.
Les atteintes infectieuses du système nerveux
confusionnel et anxieux, avec perturbations central peuvent associer aux signes confusionnels Ces considérations s’appliquent également aux
thymiques. L’évolution se rapproche de celle des généralement présents des troubles de l’humeur. médicaments (tableau II).
bouffées délirantes aiguës et peut se faire vers une L’infection par le virus de l’immunodéficience
‚ Cas des antidépresseurs
maladie maniacodépressive, dont elle constituerait humaine (VIH) est pourvoyeuse d’états dépressifs,
et des benzodiazépines
l’accès inaugural. d’états psychotiques et d’accès maniaques tout au
long de l’évolution de la maladie. Antidépresseurs
Syndrome de Kleine-Levine
Sclérose en plaques Le traitement par antidépresseurs d’un état
Ce syndrome, survenant chez l’adolescent, se
États dépressifs et états d’excitation sont assez dépressif peut, en quelque sorte, « dépasser » son but
caractérise par des accès de plusieurs jours qui
fréquents dans l’évolution de cette maladie. et amener, au-delà d’un redressement de l’humeur,
associent hypersomnie, hyperphagie et
un état maniaque ou hypomaniaque. Cela s’observe
désinhibition instinctuelle avec hypersexualité,
‚ Causes toxiques surtout avec les antidépresseurs tricycliques et les
accompagnées de troubles du comportement à type
inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO), mais
d’excitation et de manifestations thymiques Alcool se rencontre également avec les antidépresseurs
expansives. Ces accès se répètent et sont
Dans le cadre de l’alcoolisme chronique, les plus récents, sérotoninergiques.
entrecoupés d’intervalles libres de bonne qualité,
troubles de l’humeur sont fréquents, et plutôt d’un L’intégration au groupe des troubles bipolaires
avec une évolution généralement favorable sur
registre dépressif. Par ailleurs, dans le cadre des des patients ayant présenté un virage hypoma-
plusieurs années. Des rapports ont été évoqués avec
troubles thymiques, on rencontre souvent une niaque lors d’un traitement antidépresseur, en
la maladie maniacodépressive, et un traitement
alcoolisation contemporaine des périodes l’absence de tout antécédent d’accès maniaque, est
préventif par lithium proposé par certains auteurs.
dépressives, l’alcool étant alors utilisé à visée discutée par les auteurs (on les qualifie de bipolaires
‚ Causes médicales dynamisante ou euphorisante, ou des périodes de type III). Cependant, une hypomanie
d’excitation maniaque où il participe de la pharmacologiquement induite est un critère fort de
Causes endocriniennes désinhibition et de la libération instinctuelle. prédiction d’évolution vers la bipolarité.
Les plus fréquemment impliquées sont : L’ivresse simple s’accompagne d’un sentiment
– hyperthyroïdie : maladie de Basedow ; Benzodiazépines
d’euphorie, de désinhibition et de logorrhée.
– hyperparathyroïdie ; Enfin, parmi les ivresses pathologiques, on décrit Outre les effets paradoxaux bien connus des
– hypercorticisme. les formes excitomotrices où l’agitation prédomine. benzodiazépines (agitation anxieuse), certains
produits ont été décrits comme ayant provoqué des
Causes neurologiques Autres toxiques et médicaments états d’excitation avec expansivité (alprazolam :
¶ Les plus fréquemment en cause Xanaxt, diazépam : Valiumt, chlorazépate :
Les autres toxiques et médicaments susceptibles
Tranxènet).
Démences frontales d’entraîner des états d’excitation maniaque figurent
Dans la maladie de Pick, les signes évocateurs de dans le tableau I.


détérioration intellectuelle (fonctions mnésiques, L’état d’excitation apparu après la prise de ces
syndrome aphaso-apraxo-agnosique) sont tardifs, et toxiques doit régresser après l’arrêt de ceux-ci. La
Prise en charge
des états d’excitation
précédés de troubles du comportement persistance des troubles au-delà de l’arrêt (en
(gloutonnerie, répétition inlassable d’activités prenant en compte la période d’élimination des
stéréotypées, désinhibition sociale et instinctuelle produits) doit faire suspecter un accès maniaque La prise en charge est rarement possible en milieu
pouvant amener des actes médicolégaux à caractère inaugural d’une maladie maniacodépressive. La ambulatoire. En effet, et surtout lorsqu’il s’agit d’un
sexuel) et de troubles de l’humeur, dépression ou prise de toxiques n’est alors plus considérée comme premier accès, le patient est rarement compliant. On
« moria », euphorie niaise et béate. un facteur causal, mais comme un facteur prend alors le risque d’une majoration des troubles,

3
7-0090 - Syndrome d’excitation

avec les conséquences déjà évoquées sur les plans


sociaux, professionnels et affectifs, et d’un retard Tableau III. – Produits neuroleptiques utilisés dans les états d’excitation
d’accès à un traitement efficace, facteur péjoratif Droleptant À réserver aux formes avec agitation sévère, et à ne pas associer à d’autres produits
pour le délai avant rémission et pour la qualité de la (Dropéridol) hypotenseurs, en particulier en cas d’absorption d’alcool
récupération. Ampoules buvables ou IM de 50 mg : 1 à 2 ampoules/j
Toutefois, lorsque le diagnostic de trouble de Loxapact Risque limité d’hypotension, action rapide sur l’anxiété et l’agitation sans effet majeur
l’humeur est clairement posé, et notamment lorsqu’il (Loxapine) sur la vigilance
s’agit de patients déjà connus et suivis, certains états En injection IM : 2 à 6 ampoules de 50 mg
hypomaniaques, voire maniaques, sont susceptibles Per os : cp à 25 et 50 mg, dose initiale de 300 mg jusqu’à 600 mg/j
d’être traités en consultation quand il ne sont pas à Largactilt Chef de file des neuroleptiques, phénothiazine, neuroleptique polyvalent, sédatif et
l’origine de troubles du comportement trop (Chlorpromazine) incisif (antidélirant)
importants, et pour peu que certains critères soient En injection IM : 2 ampoules à 25 mg 3 fois par jour
Per os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à
réunis. En particulier, le patient doit avoir
500 mg/j
suffisamment de lucidité par rapport à ses troubles
pour accepter un traitement correctement suivi, et il Nozinant Neuroleptique sédatif puissant phénothiazinique
(Lévomépromazine) En injection IM : 2 ampoules à 25 mg 3 fois par jour
doit avoir des consultations rapprochées.
Per os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à
L’entourage doit être évalué, notamment sa capacité 300 mg/j
à tolérer les troubles et à accompagner le patient
dans une démarche de soins, et informé des signes Terciant Neuroleptique sédatif phénothiazinique, avec risque moindre d’hypotension que le
(Cyamépromazine) Nozinant
pouvant rendre l’hospitalisation nécessaire et des En injection IM : 1 ampoule à 50 mg 3 fois par jour
recours en cas de majoration des difficultés. Per os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à
En dehors de ces situations favorables, 300 mg/j
l’hospitalisation est la règle. Elle va permettre non Clopixol ASPt Neuroleptique sédatif et incisif sous forme d’action semi-prolongée, avec effet rapide
seulement de préciser le diagnostic, en particulier (Zuclopentixol) et durée d’action de 48-72 heures
étiologique, et de pratiquer les examens Injection IM : ampoules de 50 et 100 mg, une injection de 50 à 200 mg, à renouveler
complémentaires nécessaires, mais surtout de 48 ou 72 heures après, avant passage à la forme orale ou retard
proposer un cadre thérapeutique contenant au
patient qui perd le contrôle de lui-même, et
d’entreprendre un traitement dans de bonnes
conditions.
Lorsque le patient refuse une hospitalisation qui ‚ Traitement symptomatique (temps d’élimination d’un toxique, réduction d’un
s’impose, il faudra avoir recours à l’hospitalisation hypercorticisme, d’une hyperthyroïdie).
Il repose essentiellement sur les produits
sous contrainte, à la demande d’un tiers, ou d’office neuroleptiques à visée sédative (tableau III). Les La monothérapie neuroleptique est à privilégier,
s’il présente des signes de dangerosité (arrêté benzodiazépines sont parfois efficaces à fortes doses en choisissant un neuroleptique polyvalent
préfectoral). dans le traitement d’états maniaques. Les (Largactilt ou Loxapact), en une prise vespérale
L’hospitalisation à la demande d’un tiers requiert thymorégulateurs (sels de lithium : Téralithet, passé les premiers jours. Dans les formes délirantes
la production de deux certificats médicaux carbamazépine : Tégrétolt) ont un effet curatif sur et agitées, on peut proposer l’association d’un
accompagnés d’une demande manuscrite d’un l’état maniaque, mais différé, ce qui impose souvent neuroleptique incisif (Haldolt : 10 à 30 mg/j) avec un
membre de la famille ou de l’entourage. une prescription initiale de neuroleptiques. neuroleptique sédatif (Terciant).
L’hospitalisation d’office est décidée sur la base Les moyens non médicamenteux consistent en Dans le cadre d’un accès maniaque, le traitement
d’un arrêté préfectoral, établi au vu d’un certificat des mesures d’isolement, voire de contention neuroleptique doit souvent être conservé plusieurs mois,
médical et de la constatation de troubles de l’ordre lorsque l’agitation est importante. Elles ont pour avec une diminution progressive. La posologie est fixée
public ou d’une dangerosité pour autrui. effet, au-delà de l’aspect sécuritaire pour le personnel individuellement et correspond à celle qui maintient le
Le traitement est à la fois étiologique et soignant et pour le patient lui-même, de limiter les sujet asymptomatique, sans qu’il soit gêné par les effets
symptomatique. sources extérieures de stimulation, et de donner un secondaires des neuroleptiques (ralentissement, rigidité
cadre extérieur contenant qui aide le patient à se extrapyramidale). L’introduction rapide, dès le début de
‚ Traitement étiologique rassembler, à mieux contrôler son excitation l’accès, du lithium ou d’autres thymorégulateurs permet
Dans le cadre des excitations secondaires, il intérieure. un meilleur contrôle de l’excitation maniaque, avec des
consiste en la suppression du produit en cause ou en Le traitement symptomatique sera poursuivi dans doses moindres de neuroleptiques, et une diminution de
traitement de l’affection médicale à l’origine de le cadre des excitations secondaires tant que le ceux-ci plus rapide, la tolérance du traitement
l’excitation. processus pathogénique sous-jacent sera actif médicamenteux par le sujet est donc améliorée.

Cédric Zeitter : Assistant,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Syndrome d’excitation.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0090, 1998, 4 p

Références

[1] Ginestet D, Peron-Magnan P. Chimiothérapie psychiatrique. Abrégé Masson. [2] Tawil S, Mirabel V, Hausser-Hauw C, Alby JM. États expansifs. Encycl Med
Paris : Masson, 1984 Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-143-A-10, 1991 : 1-7

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Moyens psychopharmacologiques
Encyclopédie Pratique de Médecine

V Olivier


Les troubles mentaux sont des pathologies accepter un traitement au long cours, représentation
Introduction médicales qui nécessitent le plus souvent un que le malade se fait de la maladie, sentiment d’être
traitement médicamenteux, mais également une guéri, inefficacité supposée du traitement, avantages
prise en charge psychologique de soutien effectuée ou bénéfices attribués à la maladie... Cette
Le médecin généraliste tient un rôle important par le médecin prescripteur. Des psychothérapies non-compliance est la première cause d’échec des
dans la prise en charge d’un trouble mental, en plus structurées, cognitivocomportementales ou traitements médicamenteux et de rechutes. Elle
premier lieu parce qu’il est généralement le premier, d’inspiration analytique, sont parfois nécessaires influence ainsi grandement le pronostic de la
et souvent le seul, médecin consulté par un patient selon la pathologie et la personnalité du patient, maladie. Devant l’importance de ce problème,
souffrant de difficultés psychologiques. L’objectif de mais doivent être effectuées par des psychothéra- plusieurs auteurs ont tenté de définir des conduites
cette première consultation est de reconnaître peutes ayant suivi une formation spécifique. Les de prise en charge visant à améliorer la compliance
l’existence d’un trouble qui peut répondre à un troubles mentaux sont le plus souvent des aux médicaments en contrôlant mieux les facteurs
traitement médicamenteux. pathologies récurrentes ou chroniques dont les de non-compliance. Parmi celles-ci, une meilleure
La prescription d’un traitement psychotrope doit principaux risques, en l’absence de traitement information « orale et écrite » du patient et de sa
reposer sur une évaluation clinique soigneuse qui correctement conduit, sont les rechutes, la famille sur la maladie et son traitement, sur les effets
aura permis de reconnaître un trouble mental chronicisation des troubles (20 % de chronicisation secondaires des traitements, les risques de rechute
susceptible de répondre à une thérapeutique des dépressions) et la résistance ultérieure aux après interruption prématurée du traitement et sur
médicamenteuse : trouble anxieux, trouble traitements médicamenteux. Il est donc l’évolution de la maladie sous traitement permet
dépressif... L’entretien psychiatrique permettra de fondamental de les traiter au plus vite. d’améliorer la compliance.
distinguer une pathologie mentale caractérisée, Le second rôle du médecin généraliste est un rôle Les psychothérapies personnelles ou familiales et
nécessitant un traitement spécifique, de symptômes thérapeutique. L’implication du médecin généraliste les psychothérapies de groupe, dont les indications
psychiatriques isolés, souvent transitoires, ou d’une dans le traitement d’une pathologie mentale dépend spécifiques doivent être posées par le spécialiste, se
symptomatologie non psychiatrique ne nécessitant en partie de la nature de celle-ci. Certaines sont révélées très efficaces pour améliorer la
pas obligatoirement un traitement médicamenteux. pathologies chroniques et invalidantes, comme les compliance et la prise en charge des patients
Le rôle du médecin généraliste dans le traitement troubles schizophréniques et les troubles délirants psychiatriques.
des troubles mentaux est fondamental et comporte chroniques, nécessitent une prise en charge Le rôle du généraliste dans le suivi des patients
plusieurs axes : psychiatrique de secteur, associant des traitements psychiatriques sous traitement médicamenteux est
– le dépistage et le diagnostic d’une pathologie médicamenteux, psychothérapiques et sociothéra- également important. Son rôle comporte plusieurs
mentale chez un patient consultant pour une piques. D’autres pathologies, comme les troubles tâches qui permettent d’améliorer la prise en charge
s o uff r a n c e p s y c h i q u e o u d e s d iffi c u l t é s dépressifs et anxieux, sont souvent prises en charge de ces patients : informer le patient sur sa maladie et
psychologiques ; par le médecin généraliste. son traitement, ce qui permet, comme nous l’avons
– le traitement de l’épisode pathologique (choix L’hospitalisation s’impose d’emblée dans trois vu, d’améliorer la compliance au traitement ; assurer
d’une hospitalisation, d’un médicament...) ; situations. un soutien psychologique au patient et à sa famille ;
– la surveillance du traitement (effets bénéfiques ■ Lorsque le pronostic vital est en jeu : risque surveiller l’efficacité (fonction du délai d’action des
primaires, effets secondaires) et le suivi du patient. suicidaire important, refus alimentaire, troubles du médicaments) et la tolérance du traitement. Certains
Concernant le premier axe, le rôle du médecin comportement avec risque vital. effets secondaires peuvent être réduits par des
généraliste est capital, il est de reconnaître la nature ■ Lorsqu’il existe un risque de passage à l’acte correcteurs, d’autres doivent dans la mesure du
de la souffrance psychologique et surtout de hétéroagressif. possibles être tolérés par le patient. Il est important
rechercher une pathologie mentale pouvant être ■ Lorsque le traitement ambulatoire ne s’avère d’expliquer au patient la nécessité d’évaluer les
traitée par des médicaments. Les diagnostics de pas possible en raison d’une mauvaise observance avantages et les inconvénients d’un traitement et de
trouble psychologique « permanent », de trouble de prévisible du traitement ou de l’absence ou du peu le convaincre de la supériorité des bénéfices par
la personnalité, ou encore de difficultés d’adaptation de présence de l’entourage. rapport aux effets indésirables.
à un facteur de stress, doivent être des diagnostics L’hospitalisation peut être indiquée secondai- Le rythme des consultations dépend du malade,
d’élimination. rement en cas de résistance au traitement ou de de sa pathologie et de la « qualité » de son
Pour différentes raisons (refus du patient d’une mauvaise observance du traitement. entourage. Il devra cependant être soutenu, voire
maladie mentale, réticence à consulter un La prescription de psychotropes nécessite une très rapproché (plusieurs fois par semaine) dans un
psychiatre, difficulté à reconnaître un trouble mental bonne connaissance de ces médicaments (quand les premier temps, surtout en période aiguë, en début
[19 % des dépressions majeures ne sont traitées introduire, lequel choisir, comment les surveiller, de traitement, avant l’efficacité de ce dernier. Il est
qu’avec des anxiolytiques]...), il existe souvent un quand les arrêter ?). important que le malade puisse contacter facilement
délai important entre le moment où apparaissent les Les deux principaux risques sont : son médecin ; un simple contact téléphonique
troubles et le moment où le patient est traité. Ce – une prescription abusive de benzodiazépines ; permet souvent de rassurer le patient.
décalage n’est pas sans conséquence grave pour le – l’absence de prescription d’un psychotrope, Le traitement et le suivi ne s’arrêtent pas à la
patient : aggravation de la maladie avec risque de pourtant nécessaire. guérison d’un épisode pathologique. Ils doivent être
passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif, Un des problèmes majeurs posés par les prolongés afin d’assurer la prévention des rechutes
conséquences sur la vie conjugale, familiale, sociale traitements médicamenteux n’est pas tant celui de et des récidives. Au décours d’un épisode, le patient
© Elsevier, Paris

et professionnelle, risque de chronicisation et de leur efficacité que celui de la compliance au peut présenter des difficultés psychologiques
résistance au traitement... Il est donc fondamental de traitement. La compliance aux médicaments est en persistantes, séquellaires ou non de la maladie. Ces
proposer rapidement un traitement médicamenteux général mauvaise (30 à 50 % de non-compliance), difficultés devront faire l’objet d’une évaluation par
à un patient souffrant d’un trouble susceptible d’y liée à différents facteurs : mauvaise information du un psychiatre qui pourra proposer une intervention
répondre. patient, effets indésirables du traitement, difficultés à psychothérapique spécifique.

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7-0130 - Moyens psychopharmacologiques


d’exercer une action modulatrice sur la
Le rôle du médecin généraliste dans la Antidépresseurs neurotransmission cérébrale, au niveau de certaines
prise en charge d’un trouble mental monoamines cérébrales, la noradrénaline, la
est fondamental. Il doit : sérotonine et la dopamine en particulier.
Les antidépresseurs sont des médicaments
✔ reconnaître l’existence d’un trouble
capables de normaliser l’humeur dépressive, cette Tricycliques
susceptible de répondre à un activité dite « thymoanaleptique » pouvant même
traitement médicamenteux, imposant dépasser son but et inverser l’humeur (virage Ils inhibent la recapture synaptique de la
le plus souvent une prise en charge hypomaniaque ou maniaque). noradrénaline et/ou de la sérotonine.
spécialisée, et le distinguer de Il existe plusieurs classes chimiques d’antidépres- Sur le plan de l’efficacité, les tricycliques restent les
difficultés psychologiques seurs. Les deux classes les plus anciennes, et les produits de référence, mais leur tolérance est
permanentes ne nécessitant qu’un seules disponibles jusqu’à la fin des années 1970, souvent mauvaise. Les principaux effets indésirables
sont les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs sont les effets cholinergiques et cardiovasculaires ; ils
abord psychologique ;
de la monoamine-oxydase (IMAO). Plus récemment, sont de ce fait peu prescrits en ambulatoire.
✔ traiter l’épisode pathologique à
sont apparus des antidépresseurs appartenant à Les antidépresseurs tricycliques n’agissent pas
condition de posséder une bonne d’autres classes chimiques : les antidépresseurs non uniquement sur l’humeur dépressive, ils peuvent se
connaissance des médicaments IMAO et non tricycliques dont font partie les montrer également efficaces sur d’autres
psychotropes ; inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et symptômes tels que l’anxiété ou l’inhibition. Ils ont
✔ assurer le suivi du patient : d’autres produits. Ces antidépresseurs, caractérisés une action sédative, liée à des propriétés non
surveiller l’efficacité et la tolérance par une meilleure tolérance, sont actuellement les spécifiques anticholinergiques centrales,
du traitement, la compliance au produits les plus fréquemment prescrits. antihistaminiques H 1 ou adrénolytiques α1
traitement, soutenir et informer le ‚ Classifications centrales. Cette action sédative peut être considérée,
patient et sa famille, assurer la selon les cas, comme un effet indésirable ou comme
Plusieurs classifications ont été proposées pour
prévention des rechutes et des les antidépresseurs : classification chimique, clinique une propriété thérapeutique (action sédative ne
récidives ; (selon la prédominance de leurs effets, en particulier réactivant pas l’angoisse dans les dépressions
✔ en cas d’amélioration insuffisante psychostimulants ou sédatifs) ou selon le anxieuses). Ils ont aussi une action psychostimulante
mécanisme d’action. qui peut également être utilisée en thérapeutique, en
(délai et posologie efficaces),
Au sein de la classification chimique, il existe trois particulier chez des patients extrêmement ralentis.
envisager un recours à un avis
grands groupes d’antidépresseurs : Ces propriétés, non directement thymoanalep-
spécialisé. La chronicisation des tiques, ont été à l’origine d’une distinction entre
– les antidépresseurs tricycliques ;
troubles en psychiatrie est avant tout (tableau I) :
– les IMAO ;
liée à une prise en charge trop – les « autres antidépresseurs », non IMAO et non – les antidépresseurs sédatifs ou anxiolytiques
tardive ou insuffisante. tricycliques. (Surmontilt, Laroxylt, Ludiomilt) ;
Bien qu’ils aient des mécanismes d’action – les antidépresseurs psychostimulants ou
Les diagnostics et traitements des troubles différents, ces antidépresseurs ont en commun désinhibiteurs (Pertofrant, Tofranilt).
mentaux sont actuellement bien codifiés. Les
Tableau I. – Exemples d’antidépresseurs : actions thérapeutiques et effets indésirables.
traitements psychotropes font l’objet de règles
générales de conduite établies en fonction d’études Actions thérapeutiques Effets indésirables
pharmacologiques publiées dans des revues
scientifiques, mais également d’après les réflexions DCI Nom de Psychostimulante Sédative Cardiovasculaires Anticholinergiques
de groupes d’experts et de professionnels (références spécialité
médicales opposables, RMO) consultés par l’Agence Antidépresseurs tricycliques
nationale pour le développement de l’évaluation
médicale (ANDEM) qui est chargée, depuis 1994, Imipramine Tofranilt ++ ± ++ ++
d’élaborer des recommandations médicales sur des Clomipramine Anafranilt + + ++ ++
thèmes cliniques identifiés par les partenaires de la
convention médicale. Amitriptyline Laroxylt
Élavilt ± ++ ++ ++
Les quatre grandes classes de traitements
médicamenteux en psychiatrie sont les Désipramine Pertofrant ++ + + ++
antidépresseurs, les neuroleptiques, les anxiolytiques
Dosulépine Prothiadent + + + +
et hypnotiques et les thymorégulateurs. Nous les
aborderons successivement, en précisant pour IMAO « classiques » (irréversibles et non sélectifs)
chacun d’eux les différentes classes disponibles, les
Iproniazide Marsilidt ++ ± ++ +
effets indésirables et les accidents, les contre-
indications, les règles de prescription (critères de Antidépresseurs non tricycliques, non IMAO « classiques »
choix du médicament, introduction, durée du
Amineptine Survectort ++ ± ± ±
traitement, surveillance et suivi) et les interactions
médicamenteuses. Le problème de l’interruption des Fluoxétine Prozact + ± ± ±
traitements psychotropes dans le cadre d’un projet Fluvoxamine Floxyfralt ± + + ±
thérapeutique ou effectué par le patient lui-même
contre l’avis de son médecin fait l’objet d’un chapitre Miansérine Athymilt ± ++ ± ±
à part. Moclobémide Moclaminet ++ ± ± ±
Les recommandations et références médicales
proposées par l’ANDEM ne concernent pour l’instant Paroxétine Deroxatt ± ± ± ±
que certains aspects thérapeutiques : les Tianeptine Stablont ± ± ± ±
médicaments antidépresseurs, la prescription des
hypnotiques et des anxiolytiques, la prescription des Toloxatone Humorylt ± ± ± ±
neuroleptiques et le suivi des psychoses Viloxazine Vivalant ++ ± ± ±
maniacodépressives. Nous les préciserons dans les
chapitres concernés. ± signifie que l’effet considéré est nul ou faible ; + signifie que l’effet considéré est moyen ; ++ signifie que l’effet considéré est fort.

2
Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

IMAO
Tableau II. – Correction des effets indésirables des antidépresseurs tricycliques.
Les IMAO bloquent la dégradation intracellulaire
de la noradrénaline et de la sérotonine. Les IMAO Nature de l’effet Correcteurs utilisables
dits « classiques » sont irréversibles et non sélectifs,
inhibant à la fois la MAO A et la MAO B. Il existe Yohimbine (Yohimbine Houdét) : 6 à 12 mg/j en 3 prises
Hypotension orthostatique Heptaminol (Hept-A-Mylt) : 500 à 1 500 mg/j en 3 prises
également des IMAO dits « de nouvelle génération »
Théodrénaline (Praxinort) : 1 à 3 cp/j
qui sont réversibles (leur activité cesse peu après
l’arrêt du produit) et sélectifs (inhibition sélective de la Anétholtrithione (Sulfarlem S 25t) : 50 à 150 mg/j en 3 prises
Sécheresse de la bouche
MAO A). Ces IMAO ne présentent pas les effets Artisialt (salive artificielle) en pulvérisations
indésirables et les risques (dont le risque vital) des Tremblement Propranolol (Avlocardylt) : 30 mg/j en 3 prises
IMAO classiques et sont donc plus fréquemment
prescrits. Laxatifs doux
Constipation
Les IMAO ont une action psychostimulante Huile de paraffıne
importante et un effet sédatif nul ou faible. Rétention urinaire Alfuzosine (Uriont) : 7,5 mg/j en 3 prises
Antidépresseurs non IMAO et non tricycliques
IMAO et antidépresseurs non tricycliques dépression...). Elle est rarement grave, mais nécessite
Ces antidépresseurs agissent soit en inhibant la et non IMAO une surveillance attentive, car elle peut se
recapture synaptique de la noradrénaline et/ou de la
La demi-vie des IMAO est beaucoup plus courte compliquer d’un fécalome ou d’une occlusion. Elle
sérotonine, soit par d’autres mécanismes qui
que celle des tricycliques ; plusieurs administrations pourra être améliorée par un régime riche en fibres
concourent en général à augmenter la concentration
quotidiennes sont en général nécessaires. et la prescription de laxatifs doux. Elle est souvent
des monoamines dans la fente synaptique. Ils
Pour les antidépresseurs non tricycliques et non mieux « tolérée » lorsque ses causes sont expliquées
présentent de faibles risques et ont en général une
IMAO, la demi-vie est variable. au patient ;
bonne tolérance, c’est pourquoi ils sont devenus les
– des troubles urinaires : dysurie, voire rétention
produits les plus fréquemment prescrits par les
‚ Indications urinaire. Ils sont plus rares en l’absence
praticiens de ville.
En psychiatrie, les principales indications d’un d’hypertrophie prostatique. Ils nécessitent parfois
Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la
traitement antidépresseur sont les troubles l’interruption du traitement lorsqu’ils ne sont pas
sérotonine auraient une propriété anti-impulsive.
dépressifs. Il peut être également prescrit dans atténués par un alphabloquant ;
Cependant, la validité de cette propriété n’a pas été
démontrée. certains troubles anxieux et dans les troubles – des troubles oculaires : troubles de
obsessionnels compulsifs. l’accommodation et de la convergence,
‚ Quelques données pharmacocinétiques Selon les recommandations du comité de augmentation du tonus oculaire. Les troubles de la
l’ANDEM, « la prescription d’un traitement vue liés aux troubles de l’accommodation
Antidépresseurs tricycliques
antidépresseur en psychiatrie doit reposer sur une s’atténuent le plus souvent avec le temps. Il faudra
L’absorption digestive des tricycliques est évaluation clinique soigneuse afin de distinguer une conseiller au patient de ne pas changer de verres de
complète et rapide. Le pic plasmatique est atteint en pathologie dépressive caractérisée, nécessitant un lunettes.
2 à 4 heures. Les tricycliques sont métabolisés par le traitement antidépresseur, de symptômes dépressifs Les effets cardiovasculaires sont :
foie, et il existe des métabolites actifs pour la plupart isolés ne justifiant pas une mesure thérapeutique – une tachycardie ;
des produits. médicamenteuse ». – une hypotension, volontiers orthostatique.
Leur demi-vie est en général longue, comprise Les antidépresseurs sont indiqués dans les Différents traitements correcteurs peuvent être
entre 24 et 48 heures. De ce fait, l’administration en épisodes dépressifs majeurs, c’est-à-dire caractérisés proposés. Les plus couramment prescrits sont
une seule prise paraît généralement suffisante. par « l’acuité et la multiplicité des symptômes, leur l’Hept-A-Mylt, la dihydroergotamine, le Praxinort
Pour les principaux tricycliques, il est possible de durée et leur caractère invalidant ». qui sont bien tolérés, mais d’efficacité inconstante.
réaliser des dosages plasmatiques en pratique Dans tous les cas, il faut recommander au patient la
courante. Il existe de grandes variations ‚ Effets indésirables et accidents
prudence lors du passage à l’orthostatisme ;
interindividuelles et intra-individuelles des taux
Antidépresseurs tricycliques – des troubles de la conduction et du rythme
plasmatiques. Elles sont surtout liées aux différences
Les effets indésirables des antidépresseurs (allongement de la conduction auriculoventriculaire
dans le métabolisme hépatique. La recherche d’une
tricycliques sont principalement représentés par les aux doses thérapeutiques, risque d’apparition de
relation entre l’activité clinique des antidépresseurs
effets anticholinergiques, cardiovasculaires et troubles graves du rythme et de la conduction en cas
et les taux plasmatiques a donné lieu à de
neuropsychiatriques. Ils sont fréquents et conduisent de surdosage toxique, cause majeure de décès). Ces
nombreux travaux dont les résultats sont
à une mauvaise observance du traitement. effets n’apparaissent le plus souvent que pour des
contradictoires. Il n’apparaît pas en général de
Le médecin devra prévenir le patient de la doses importantes, en cas de surdosage toxique. On
relation linéaire entre l’action thérapeutique et les
survenue éventuelle d’effets indésirables et de la recommande une surveillance électrocardiogra-
taux plasmatiques. Pour la plupart des tricycliques,
possibilité de prescrire des médicaments correcteurs phique chez les sujets âgés et chez les sujets
on dispose cependant de fourchettes de taux
de ces effets. présentant des antécédents cardiovasculaires.
plasmatiques correspondant à la probabilité la plus
forte d’observer une réponse thérapeutique. Les Lorsque la gêne reste minime, le médecin Les effets neuropsychiatriques sont les suivants :
dosages plasmatiques des antidépresseurs peuvent encouragera le patient à poursuivre le traitement en – une sédation, qui peut être un effet latéral
aider à la recherche de la posologie efficace. attendant que celui-ci se montre efficace (délai recherché lorsque l’anxiété est importante, et une
Principalement trois situations peuvent amener à d’action de 10 jours à 3 semaines environ). confusion (liées aux effets anticholinergiques
pratiquer un dosage sanguin du médicament : Les traitements correcteurs sont présentés dans le centraux). L’apparition de symptômes confusionnels,
– une inefficacité thérapeutique à dose tableau II. le plus souvent chez le sujet âgé, nécessite la baisse,
habituellement thérapeutique (l’existence d’un taux Les effets anticholinergiques périphériques sont voire l’arrêt, du traitement antidépresseur et des
sanguin adéquat permet de conclure à l’inefficacité les suivants : autres psychotropes pouvant aggraver la confusion ;
du traitement si celui-ci a été prescrit suffisamment – une sécheresse de la bouche. Elle peut être – un virage hypomaniaque ou maniaque de
longtemps ; l’existence d’un taux bas permet de atténuée par un cholérétique, le Sulfarlemt, ou de la l’humeur nécessitant la baisse, voire l’arrêt, de
conclure à l’insuffisance de la posologie ou à une salive artificielle. Il faudra conseiller au patient de l’antidépresseur, et, selon l’intensité de l’excitation,
mauvaise observance du traitement) ; boire beaucoup et de mâcher du chewing-gum ; un traitement neuroleptique sédatif. Dans tous les
– l’importance des effets secondaires pouvant – une constipation qui est le plus souvent cas, il est important de surveiller de façon très
témoigner d’un surdosage ; d’origine multifactorielle (inactivité lors de rapprochée l’évolution de ce virage de l’humeur ;
– une possible mauvaise observance du l’hospitalisation, mauvaise hydratation, autres – une insomnie qui peut être évitée en décalant
traitement. médicaments, symptôme somatique de la la prise du traitement le matin ;

3
7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

– une réactivation anxieuse avec passage à l’acte


suicidaire nécessitant un traitement anxiolytique Tableau III. – Interactions médicamenteuses avec les antidépresseurs IMAO « classiques ».
(benzodiazépines ou neuroleptiques) associé ;
Médicaments en cause Risques encourus
– des céphalées ;
– des convulsions par abaissement du seuil Sympathomimétiques directs ou indirects L’association est contre-indiquée
épileptogène. Elles sont rares en l’absence Adrénaline, noradrénaline Accès hypertensifs
d’antécédent de comitialité. Il est possible d’associer Amphétamines
Bêtabloquants
un anticomitial si besoin. Il est prudent d’effectuer un
Cyclopentamine
bilan étiologique, et en particulier un scanner ; Dopamine, L-dopa
– un tremblement fin, sans rigidité. Il peut Éphédrine
s’atténuer au bout de quelques jours de traitement, Isoprotérénol
sinon régresser sous Avlocardylt ; Méthylphénidate
– une dysarthrie qui peut s’atténuer en cours de Phényléphrine
traitement. Phénylpropanolamine
L’intensité de ces effets indésirables est variable
Tyramine (aliments contenant de la tyramine)
selon les sujets. Ils peuvent constituer un indice Antidépresseurs tricycliques, fluoxétine, carbamazépine L’association est contre-indiquée
clinique d’imprégnation et servir de guide à la Accès hypertensifs, états confusionnels
prescription. Lorsque les effets secondaires sont
Opiacés, antihistaminiques L’association est contre-indiquée
majeurs et que le dosage sanguin du médicament Accès hypertensifs, effet dépresseur central
est bien supérieur à la fourchette thérapeutique, il est
possible de baisser légèrement la posologie du Antidiabétiques oraux L’association est contre-indiquée
tricyclique. Hypoglycémie
D’autres effets indésirables peuvent également Diurétiques Hypotension
apparaître :
– une prise de poids est fréquente et représente
son entourage doivent être informés des le plus souvent inexistants. Certains antidépresseurs
souvent une cause d’interruption du traitement. Elle
associations contre-indiquées et des risques ont des effets indésirables propres ; par exemple, les
est liée aussi bien à une augmentation des apports
(tableau IV). antidépresseurs sérotoninergiques présentent plus
par augmentation de l’appétit, à une diminution des
Les effets neuropsychiatriques sont les suivants : souvent des effets digestifs que les autres
dépenses (sédation, hospitalisation), qu’à des
– agitation, irritabilité et/ou insomnie liées aux antidépresseurs. Ces effets digestifs sont la plupart
modifications du métabolisme. Le patient est
effets psychostimulants des IMAO ; du temps transitoires et n’occasionnent pas de réelle
souvent averti de cet effet ou se renseigne sur son
– céphalées ; gêne fonctionnelle.
éventualité. Il est cependant important de le prévenir
de cette possibilité qui reste le plus souvent limitée – tremblements, ataxie.
‚ Contre-indications
lorsque le patient suit un régime alimentaire
Antidépresseurs non tricycliques et non IMAO
hypocalorique ; Contre-indications des antidépresseurs
« classiques »
– des sueurs et des bouffées de chaleur sont tricycliques
relativement fréquentes, surtout durant les Ces antidépresseurs sont en général beaucoup
La plupart des contre-indications sont plus
premières semaines de traitement ; mieux tolérés que les antidépresseurs tricycliques.
souvent relatives qu’absolues. Une fois le problème
– les effets sur le comportement sexuel sont Les effets indésirables (cholinergiques ou
médical traité (appareillage d’un bloc auriculoventri-
variables. Chez l’homme, on peut observer une cardiovasculaires), variables selon les produits, sont
culaire, intervention sur un angle iridocornéen
impuissance, un retard à l’éjaculation et une fermé...), les tricycliques peuvent être secondai-
anorgasmie, chez la femme, une anorgasmie. Tableau IV. – Recommandations à donner aux rement introduits.
Les autres effets sont plus rares : digestifs patients traités par IMAO. Les contre-indications sont :
(nausées, vomissements) et/ou immunoallergiques – cardiaques : bloc auriculoventriculaire et
(rash cutanés, hépatites cytolytiques ou cholesta- Éviter dans la mesure du possible les aliments
insuffisance coronarienne ou cardiaque non
tiques). contenant de la tyramine
Tous les fromages fermentés (les fromages blancs équilibrée ;
sont autorisés) – liées à un terrain sensible aux effets
Antidépresseurs IMAO « classiques »
Gibiers, foie, abats, sauces contenant des extraits anticholinergiques : glaucome à angle fermé et
La tolérance des IMAO est le plus souvent bonne. de viande hypertrophie prostatique ;
Cependant, le risque, rare mais grave, d’accident Aliments fermentés, sauce de soja, aliments fumés – l’épilepsie : la surveillance électroencéphalogra-
hyper- ou hypotensif limite leur utilisation. (poissons) phique devra être plus étroite et le traitement
Fèves, fruits secs
Les principaux effets secondaires des IMAO sont anticomitial éventuellement rééquilibré ;
Bananes, chocolat
anticholinergiques, cardiovasculaires et Vins rouges, bière, vins cuits – l’association aux IMAO : pour passer d’un
neurologiques, mais également hépatotoxiques traitement par tricycliques à un traitement par IMAO,
(rares). Prévenir tout médecin ou dentiste consulté que on préconise d’interrompre les tricycliques pendant
Les effets anticholinergiques sont identiques à vous êtes traité par IMAO, en particulier en cas 48 heures avant d’introduire l’IMAO ; pour passer
d’anesthésie (anesthésie dentaire)
ceux des tricycliques, mais d’intensité moindre. d’un traitement par IMAO à un traitement par
Porter en permanence sur vous une carte indiquant
Les effets cardiovasculaires sont : que vous êtes traité par IMAO tricycliques, on préconise d’interrompre l’IMAO
– une tachycardie, des palpitations ; pendant 2 semaines avant d’introduire les
Éviter absolument les médicaments suivants, sauf tricycliques ;
– une hypotension orthostatique (elle peut être
s’ils ont été prescrits par un médecin informé du – la grossesse : l’effet tératogène est controversé ;
liée à la dose, nécessitant une baisse de la posologie, fait que vous êtes traité par IMAO
ou le signe d’une intolérance au produit) ; par prudence, il faut éviter la prescription au cours du
Antalgiques, sauf aspirine et paracétamol
– des crises hypertensives brusques avec risque Vasoconstricteurs nasaux et médicaments « anti- 1er trimestre (cf chapitre : « Règles de prescription des
d’œdème pulmonaire aigu et d’hémorragie rhume » psychotropes pendant la grossesse ») ;
cérébrale. Elles résultent d’une interaction entre Antiallergiques – l’allaitement.
certains médicaments (tableau III) ou certains Somnifères non prescrits
Contre-indications des IMAO « classiques »
aliments (aliments contenant de la tyramine) Consulter en urgence en cas de maux de tête, nau-
(tableau IV). Les risques d’accidents tensionnels et les sées, vomissements, douleurs thoraciques ou tout Les contre-indications sont :
nombreuses contre-indications médicamenteuses autre symptôme inhabituel – les associations à certains médicaments ou
limitent fortement l’utilisation des IMAO. Le patient et aliments contenant de la tyramine (tableaux III, IV) ;

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Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

– les associations aux antidépresseurs ; ¶ Choix du produit ¶ Posologie


– cardiovasculaires : hypertension artérielle et Le choix du produit, comme celui de la classe La dose initiale est de l’ordre de 25 à 50 mg par
antécédent d’accident vasculaire cérébral ; thérapeutique, peut être guidé par la recherche jour (voire moins en fonction du terrain, en
– l’insuffisance hépatique ; d’effets thérapeutiques particuliers (psychostimulants particulier chez les sujets âgés). Elle doit être
– l’alcoolisme chronique. ou sédatifs), par le souci d’éviter certains effets progressivement augmentée jusqu’à 150 mg par
secondaires et par l’existence de succès ou d’échecs jour qui est la dose thérapeutique moyenne.
Contre-indications des antidépresseurs antérieurs à un produit. L’augmentation de la posologie est fonction de la
non tricycliques et non IMAO « classiques » Les antidépresseurs doivent, dans la mesure du tolérance clinique. L’administration quotidienne se
possible, être prescrits en monothérapie. Dans fait en général en une seule prise, le soir (sauf pour
Il n’existe en général pas de contre-indication, en les antidépresseurs psychostimulants qui doivent
certains cas, il est possible d’associer deux
tout cas de manière absolue. être pris le matin).
antidépresseurs. Un antidépreseur non tricyclique,
Ils sont cependant contre-indiqués pendant la non IMAO est alors en général associé au tricyclique. Chez le sujet âgé (plus de 70 ans dans les RMO), la
grossesse dans la mesure où la plupart d’entre eux En France, l’association d’un antidépresseur IMAO posologie initiale recommandée pour la plupart des
n’ont été que récemment introduits. « classique » avec un antidépressseur d’une autre antidépresseurs est en moyenne la moitié de celle
famille est contre-indiquée. préconisée chez l’adulte et doit être réévaluée
‚ Règles de prescription régulièrement au cours du traitement.
d’un antidépresseur ¶ Associations médicamenteuses Des dosages plasmatiques de l’antidépresseur
Un traitement anxiolytique par neuroleptique
Le choix de l’antidépresseur est basé sur différents peuvent être réalisés dans différentes circonstances :
sédatif ou tranquillisant (benzodiazépine) peut être
critères qui sont essentiellement : – précocement en cas de discordance entre
associé à un antidépresseur tricyclique en cas
– le respect des contre-indications ; l’intensité des effets indésirables et la posologie
d’anxiété, d’agitation ou de risque de passage à
– l’existence de succès ou d’échecs thérapeu- administrée ;
l’acte suicidaire. Ce traitement est « autorisé » par les
tiques antérieurs. Un antidépresseur efficace lors – en cas d’absence d’amélioration passé le délai
RMO.
d’action habituel, et notamment en l’absence de
d’un précédent épisode dépressif pourra être retenu Un traitement neuroleptique antiproductif est signes d’imprégnation malgré une forte posologie.
en première intention ; adjoint en cas de signes délirants associés. Il n’existe cependant aucune corrélation stricte
– un risque prévisible d’effets secondaires. En cas Un traitement hypnotique peut être associé en entre les taux plasmatiques, l’efficacité clinique et
d’antécédent de mauvaise tolérance aux tricycliques cas d’insomnie. l’intensité des effets indésirables.
et donc d’un risque de mauvaise compliance, on
peut proposer un antidépresseur réputé mieux ¶ Surveillance à court terme
toléré, par exemple un inhibiteur de la recapture de Dans les RMO, il n’existe pas de La surveillance porte sur la tolérance (effets
la sérotonine ; consensus concernant l’association secondaires : signes anticholinergiques, hypotension
– la recherche d’effets latéraux particuliers. En cas d’une benzodiazépine « hypnotique » orthostatique, tremblements, tolérance cardiaque) et
d’agitation, d’anxiété importante ou d’insomnie, on l’efficacité du traitement (effets primaires).
et d’une benzodiazépine
préférera un antidépresseur dit « sédatif » (Laroxylt,
« tranquillisante ». Cependant, les
Surmontilt, Athymilt...). Lorsque le ralentissement
experts considèrent que toutes les Le délai d’action des antidépresseurs
psychomoteur est important, un antidépresseur
stimulant sera préféré (Tofranilt, Pertofrant, benzodiazépines ont les mêmes effets est de l’ordre de 3 à 4 semaines. Un
Moclaminet, Vivalant...). cliniques, que la différence entre effet traitement antidépresseur prescrit à
Le choix de la posologie est fonction, outre du anxiolytique et sédatif tient à la dose posologie efficace ne doit donc pas être
produit, de la tolérance et de l’efficacité, mais utilisée, et que l’insomnie étant changé avant ce délai, sauf en cas
également des informations concernant des souvent liée à des phénomènes d’aggravation majeure ou d’accident
traitements antérieurs. Plusieurs repères peuvent anxieux, elle ne nécessite pas d’autres lié au traitement (RMO).
aider à trouver la posologie efficace : benzodiazépines qu’anxiolytiques. Les
– la posologie moyenne efficace pour chaque auteurs des RMO déconseillent donc ¶ Surveillance à long terme
produit (fourchette thérapeutique). La posologie cette association. Il est ainsi préférable À long terme, il est prudent de surveiller la
efficace est cependant très variable d’un sujet à
d’associer une seule benzodiazépine tolérance cardiaque (ECG), hépatique (bilan
l’autre ; hépatique), ainsi que les interactions des tricycliques
au traitement antidépresseur.
– l’apparition des effets indésirables, signes avec d’autres médicaments. Il est fondamental
d’imprégnation ; d’évaluer l’efficacité du traitement prophylactique et
– les dosages plasmatiques de l’antidépresseur Des traitements correcteurs des effets indésirables les risques de rechutes. Un suivi régulier permet un
peuvent aider à l’ajustement de la posologie en cas des tricycliques peuvent être proposés en cas de dépistage précoce des rechutes en réajustant le
d’absence d’efficacité ou de signes d’intolérance. gêne fonctionnelle réelle (tableau II). traitement.

Antidépresseurs tricycliques ¶ Voie d’administration ¶ Arrêt du traitement


La voie d’administration habituelle est la voie Ce sujet faisant l’objet d’un chapitre à part, il ne
¶ Bilan initial préthérapeutique orale. sera pas détaillé ici. Il faut cependant rappeler
Ce bilan vise à rechercher des contre-indications Cependant, dans certains cas, en début de quelques grandes règles.
aux tricycliques. Il faut ainsi rechercher des traitement et lors d’une hospitalisation, on peut Un traitement antidépresseur ne doit pas être
antécédents cardiovasculaires, de glaucome proposer une administration parentérale sous forme interrompu brutalement, ni dès la disparition des
(personnels et familiaux), de rétention urinaire et de perfusions. Dans les RMO, la voie intraveineuse symptômes dépressifs, en raison d’un risque
d’épilepsie. Des bilans spécialisés (cardiologique, doit être réservée à l’usage hospitalier. Cette forme important de rechute. Il doit être poursuivi pendant
ophtalmologique, urologique et neurologique) ne de traitement a l’avantage de permettre une plus une période de 6 mois environ après la guérison de
sont en général effectués qu’en présence de signes grande régression du fait de la médicalisation et l’accès. Le traitement prophylactique a été démontré
cliniques d’appel ou d’antécédents. Certains d’induire un effet sédatif plus marqué pendant le efficace pour réduire le risque de rechute. Cette
praticiens considèrent cependant que l’électrocardio- temps de la perfusion. Elle permet par ailleurs période de consolidation est estimée à 4 à 6 mois
gramme (ECG) doit être systématiquement réalisé d’éviter l’effet de « premier passage hépatique » qui, dans les RMO.
après l’âge de 40 ans. après administration orale, peut entraîner, chez Le traitement doit être arrêté progressivement sur
Lors de ce bilan, les patients doivent être informés certains patients, une forte dégradation précoce des plusieurs semaines, permettant ainsi de prévenir le
des effets indésirables des tricycliques (sédation, tricycliques. À taux plasmatique identique, l’effet risque de réactions de sevrage. L’antidépresseur
eff e t s a n t i c h o l i n e r g i q u e s , h y p o t e n s i o n , antidépresseur des tricycliques n’est pas plus rapide, pourra par exemple être arrêté sur 6 semaines, en
tremblements). ni plus fort par voie intraveineuse que par voie orale. diminuant la posologie quotidienne de 25 mg toutes

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7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

les semaines, ce qui permet de la réaugmenter en Les interactions médicamenteuses avec les Indications d’un traitement thymorégulateur
cas de signes de rechute. La surveillance doit être tricycliques sont variables selon les produits. En
L’objectif d’un traitement thymorégulateur est de
particulièrement attentive durant les 2 mois qui général, elles ne constituent pas des contre-
prévenir les récurrences ultérieures de troubles
suivent l’arrêt du traitement. indications à leur prescription. Elles nécessitent
thymiques.
Un traitement au long cours, préventif des cependant une surveillance et parfois des
récidives dépressives, est proposé en fonction du modifications de posologie (tableau V). La mise en route d’un traitement thymorégulateur
nombre et de la gravité des épisodes. Selon les RMO, À l’inverse, certaines associations médicamen- dépend en grande partie de la fréquence des
il est justifié après deux à trois épisodes dépressifs. teuses avec les IMAO « classiques » peuvent récidives : un tel traitement est justifié lorsqu’un
provoquer des accidents graves et sont donc des patient présente un accès maniaque ou dépressif
Antidépresseurs IMAO « classiques » contre-indications formelles à leur prescription dans les 3 ans suivant un premier épisode thymique.
Les antidépresseurs IMAO « classiques » sont (tableau III). Le médecin doit informer les patients et Il peut être également indiqué lorsqu’un seul épisode
actuellement plus rarement prescrits. Avant la mise leur famille de ces contre-indications. maniaque a eu lieu, surtout s’il existe des
en route du traitement, il faut rechercher une antécédents familiaux maniacodépressifs. En effet, la


contre-indication à ce type de traitement, et en survenue d’un nouvel accès dans les 3 années
particulier effectuer un bilan cardiovasculaire Thymorégulateurs suivant un premier épisode maniaque est très
soigneux. probable.
Les règles générales de prescripion sont les
mêmes que celles des tricycliques. L’intensité des accès et leurs répercussions
Les thymorégulateurs sont un traitement sociales, familiales, professionnelles... doivent
Antidépresseurs non tricycliques et non IMAO prophylactique des troubles de l’humeur et sont en également être prises en compte.
« classiques » général institués par le spécialiste.
Le suivi des patients souffrant d’une psychose
Les contre-indications de ces antidépresseurs sont ‚ Principes du traitement maniacodépressive est codifié et fait l’objet de
rares. Le plus souvent, aucun examen complémen- recommandations élaborées par les cliniciens et
taire n’est donc nécessaire avant instauration du Produits
experts de l’ANDEM.
traitement. Actuellement, il existe quatre produits ayant une
La posologie est variable selon le produit. action thymorégulatrice : Selon ces recommandations, le lithium s’adresse
Il n’est pas possible de réaliser en pratique – deux thymorégulateurs majeurs : les sels de aux malades ayant un trouble maniacodépressif
courante des dosages plasmatiques de ces lithium (Téralithet, Neurolithiumt) et la bipolaire et unipolaire et aux états schizoaffectifs
antidépresseurs. carbamazépine (Tégrétolt) ; intermittents. Ce traitement est en général institué
– deux produits utilisables en deuxième par le spécialiste, poursuivi et surveillé par le
‚ Interactions médicamenteuses intention : le valpromide (Dépamidet) et l’acide généraliste en collaboration avec le psychiatre. Dans
Ces interactions sont importantes à connaître par valproïque (Dépakinet). Seul le Dépamidet a une les formes bipolaires, le lithium est le traitement de
le généraliste qui peut être amené à prescrire indication légale en France pour le traitement première intention par rapport aux autres
d’autres médicaments au patient déprimé. prophylactique des troubles de l’humeur. thymorégulateurs. En effet, huit études contrôlées

Tableau V. – Interactions médicamenteuses avec les antidépresseurs tricycliques.

Nature de l’interaction Médicaments en cause Commentaires


Effets des antidépresseurs tricycliques sur d’autres médicaments
Augmentation par les tricycliques Anticoagulants oraux (Coumadinet) Impose une surveillance plus étroite de l’hémostase en cas
de l’action des : d’introduction d’un traitement tricyclique chez un patient traité
par anticoagulants oraux
Bêta-agonistes, vasopresseurs (adrénaline, noradrénaline, Augmentation des effets vasopresseurs, risque de troubles du
isoprotérénol, phényléphrine) rythme
Diminution par les tricycliques de Antihypertenseurs centraux Antagonisme pharmacodynamique
l’action des :
Risque de toxicité IMAO L’association est en principe contre-indiquée
Effets d’autres médicaments sur les antidépresseurs tricycliques
Potentialisation de l’effet sédatif Benzodiazépines, tranquillisants et hypnotiques,
des tricycliques par les : neuroleptiques, antihistaminiques (alcool)
Potentialisation des effets anticholi- Neuroleptiques, antiparkinsoniens, anticholinergiques, Risque d’augmentation des effets indésirables, voire d’intoxi-
nergiques des tricycliques par les : antihistaminiques, antispasmodiques et antidiarrhéiques cation anticholinergique
Potentialisation de l’hypotension Cet effet est surtout marqué pour les antidépresseurs à action
induite par les tricycliques hypotensive
L’association impose une surveillance étroite de la pression
artérielle
Potentialisation de la cardiotoxicité Quinidiniques et procaïnamides Augmentation des temps de conduction intracardiaque
des tricycliques par les : Risque de troubles du rythme
Anesthésiques (halothane, pancuronium) Effet controversé. Par précaution, le traitement antidépresseur
peut être interrompu avant une anesthésie générale
Augmentation des taux plasmati- Fluoxétine L’association de fluoxétine à un antidépresseur tricyclique
ques des tricycliques par : impose parfois de réduire sa posologie
Hormones thyroïdiennes, disulfirame, glucocorticoïde, Les hormones thyroïdiennes peuvent potentialiser l’effet anti-
œstroprogestatifs, méthylphénidate et amphétamines, dépresseur
salicyclés, thiazidiques
Diminution des taux plasmatiques Barbituriques et carbamates, carbamazépine, phénytoïne, Par induction enzymatique hépatique
ou de l’activité du tricyclique par : rifampicine

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Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

ont confirmé l’efficacité des sels de lithium. Pour le familiale au traitement thymorégulateur est plus La posologie du traitement est adaptée en
Tégrétolt, seulement trois études ont été effectuées bénéfique pour le malade qu’un traitement fonction du taux sanguin. La zone thérapeutique
en double aveugle. thymorégulateur seul. Le choix du type de correspond à des taux plasmatiques compris entre
psychothérapie est effectué par un spécialiste et 0,5 et 0,9 mmol/L pour la forme à 250 mg et entre
Conditions de mise en route d’un traitement dépend de plusieurs facteurs tels que la personnalité 0,8 et 1,2 mmol/L pour la forme à libération
thymorégulateur du patient, son environnement, l’existence d’une prolongée. La zone thérapeutique est proche de la
La mise d’un patient sous thymorégulateur comorbidité, l’importance des séquelles zone toxique (lithiémie au-dessus de 1,5 mmol/L).
nécessite une alliance thérapeutique de bonne « psychologiques » de la maladie... Cela oblige à une surveillance étroite de la lithiémie.
qualité et doit être décidée conjointement avec le L’ensemble de ces mesures vise à améliorer la La lithiémie doit être contrôlée 5 jours en
patient après évaluation des bénéfices et des compliance au traitement, qui est mauvaise (18 à moyenne après une modification de traitement pour
inconvénients d’un tel traitement et des problèmes 53 % de non-compliance au lithium selon les études) la forme à 250 mg et 7 jours pour la forme LP. Elle
liés à la maladie elle-même. et qui est la première cause d’échec thérapeutique. doit s’effectuer toujours à la même heure, le matin,
Le patient et sa famille doivent être informés des 12 heures après la prise vespérale, avant la prise
Durée d’un traitement thymorégulateur matinale pour le Téralithet 250. Il existe des
objectifs et des risques du traitement (effets
secondaires, signes d’intoxication, situations La durée du traitement doit donc être fixée et correspondances pour les doses entre les deux
susceptibles de provoquer un surdosage, « négociée » préalablement avec le patient. formes de médicament.
interactions médicamenteuses), de sa durée Le traitement doit être prolongé pendant une Le dosage introérythrocytaire du lithium est un
minimale, qui doit être fixée préalablement avec le durée minimale de 2 à 3 ans afin de pouvoir en témoin plus fiable de la prise régulière du lithium,
patient (par exemple, une durée de traitement de 3 évaluer l’efficacité. Au bout de cette période, le mais n’est pas de pratique courante.
ans avec reconsidération du traitement au bout de traitement peut être reconsidéré ; ses avantages et Différents facteurs peuvent être à l’origine de
cette période), et des règles d’hygiène de vie à ses inconvénients seront réévalués. La décision variations intra-individuelles de la lithiémie. Le
observer (les situations de surmenage et les d’arrêter peut se justifier en cas d’inefficacité, d’effets principal facteur est l’apport hydrosodé. En effet, en
privations de sommeil constituent des facteurs de indésirables trop invalidants, de projet de grossesse. cas de déplétion sodée, un mécanisme d’adaptation
vulnérabilité à la rechute). Après interruption du traitement, une surveillance intervient, provoquant une réabsorption, par le rein,
Le patient et son entourage doivent apprendre à clinique attentive est recommandée en raison d’un du lithium à la place du sodium. La lithiémie s’élève
reconnaître les premiers signes d’une rechute risque de rechute, surtout maniaque, plus élevé dans alors progressivement.
dépressive ou maniaque et consulter rapidement les mois suivant l’arrêt de la lithothérapie. Certains Toute perte de sel (diarrhée, vomissements,
pour ajuster le traitement. auteurs ont mis en évidence un risque de résistance sudation excessive en cas de grosse chaleur) doit par
L’ensemble de ces informations, indispensable ultérieure lors de la reprise du lithium. conséquent être compensée, et les salidiurétiques
pour établir une relation thérapeutique et améliorer ‚ Recommandations spécifiques aux doivent être contre-indiqués.
l’observance médicamenteuse, est communiqué au différents traitements prophylactiques
patient par son médecin traitant, lors de
psychothérapies de groupe, ou encore par Sels de lithium Un patient sous lithium doit être
l’intermédiaire d’ouvrages ou de documents Le lithium a d’une part un effet préventif des informé de la possibilité de survenue
spécialisés. rechutes maniaques et dépressives de la psychose d’effets indésirables (la plupart dose-
maniacodépressive, effet dit thymorégulateur, et dépendants), voire toxiques, et des
d’autre part un effet curatif sur les accès maniaques. conditions favorisant un surdosage
Même si les indications L’efficacité du lithium comme traitement
« pharmacologiques » d’un traitement (toute cause de déshydratation). Il
thymorégulateur a été démontrée dans de
thymorégulateur sont actuellement devra connaître les précautions
nombreuses études, et il constitue toujours le
bien codifiées, la condition traitement de première intention des troubles
nécessaires pour éviter un risque
indispensable pour mettre en route un maniacodépressifs bipolaires. Il présente cependant d’intoxication par le lithium
tel traitement est l’obtention d’une certains inconvénients liés à sa toxicité éventuelle et (compenser toute perte d’eau et de sel,
collaboration de bonne qualité avec le à des contraintes de surveillance, et il existe respecter les contre-indications
également des problèmes de résistance et de médicamenteuses). En présence de
patient et sa famille. La mise en route
compliance au traitement. signes de surdosage, le patient devra
d’un traitement thymorégulateur doit Son activité antidépressive reste controversée.
être « négociée » avec le patient après arrêter transitoirement le lithium ou
Les sels de lithium sont commercialisés sous trois réduire la posologie et contrôler en
évaluation des avantages et des formes : le carbonate de lithium présenté soit sous la
inconvénients du traitement et des urgence la lithiémie.
forme de comprimés dosés à 250 mg (Téralithet),
problèmes posés par la maladie. La soit sous la forme de comprimés dosés à 400 mg à
durée du traitement doit être libération prolongée (Téralithet 400 LP) et le ¶ Indications
initialement définie avec le patient. gluconate de lithium (Neurolithiumt) en ampoules Les indications principales du lithium sont les
de 5 et 10 mg. suivantes.
Grâce à sa présentation sous forme de ■ Traitement préventif de la maladie
Suivi d’un traitement thymorégulateur comprimés, le Téralithet est davantage utilisé en maniacodépressive : la décision de la mise en route
Un traitement thymorégulateur nécessite un suivi France. d’un traitement par le lithium dépend du risque de
ambulatoire régulier et prolongé qui comporte une ¶ Quelques données pharmacocinétiques récidive. La lithiothérapie se justifie lorsqu’un patient
surveillance régulière de l’efficacité et de la tolérance L’absorption digestive du lithium est complète et présente un accès dépressif ou maniaque survenant
du traitement médicamenteux et un soutien rapide. Le pic plasmatique est atteint environ dans les 3 ans suivant un premier épisode thymique,
psychologique du patient et de sa famille. 2 heures après l’ingestion. Il existe une très grande en raison du risque important de récidive.
Le médecin généraliste en charge d’un variabilité interindividuelle des taux plasmatiques. La Elle peut être débutée dès le premier accès
maniacodépressif doit pouvoir assurer à son patient posologie pour obtenir une lithiémie thérapeutique maniaque, surtout si le patient présente des
une grande disponibilité, pouvant être joint à tout varie donc d’un sujet à l’autre. Le lithium est excrété antécédents familiaux maniacodépressifs.
moment par celui-ci ou sa famille. Le rythme des par le rein ; sa demi-vie d’élimination est Outre le nombre d’épisodes et l’existence
consultations est variable d’un patient à l’autre, mais relativement longue, de 24 ± 8 heures. On préconise d’antécédents familiaux de troubles thymiques,
doit être au minimum d’une fois par trimestre. d’administrer le Téralithet 250 en deux prises d’autres facteurs interviennent dans la décision de
La psychothérapie tient une place importante quotidiennes afin d’éviter les effets de pics. Le mise sous lithium : la gravité des accès, l’âge de
dans la prise en charge du maniacodépressif. Téralithet LP 400 doit être administré en monoprise survenue du premier accès (le lithium est volontiers
L’association d’une psychothérapie personnelle ou le soir (il ne doit être ni sucé, ni croqué). proposé dès le premier accès chez l’adolescent,

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7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

surtout en l’absence de facteur déclenchant), et bien une semaine de traitement (état d’équilibre obtenu Les complications cutanées (acné, psoriasis) sont
sûr l’acceptation du traitement par le patient. après 4 à 5 jours de traitement). Après nouvelle le plus souvent une aggravation d’un trouble
■ Traitement curatif de l’épisode maniaque en modification de la posologie, il faudra attendre à préexistant.
association ou non à un neuroleptique. nouveau ce délai pour recontrôler la lithiémie. La prise de poids est fréquente. Elle peut devenir
■ Traitement préventif des schizophrénies La fourchette thérapeutique de la lithiémie se un motif d’interruption du traitement. Quelques
dysthymiques. situe entre 0,5 et 0,8 mmol/L. Certains patients conseils diététiques peuvent en limiter l’importance.
D’autres indications sont plus discutées. peuvent nécessiter des lithiémies plus faibles (0,3 à Les effets psychologiques délétères du lithium
■ Troubles du caractère, irritabilité, impulsivité, 0,5 mmol/L) et d’autres des lithiémies plus élevées sont fréquents et une cause de mauvaise
agressivité. pour une meilleure protection contre les rechutes compliance. Ces effets sont une stabilisation
■ Alcoolisme chronique, surtout dans les formes (0,8 à 1 mmol/L). excessive des variations normales de l’humeur, une
dypsomaniaques où le recours à l’alcool est un Le Téralithet 400 LP est administré en une seule réduction de la palette des émotions, voire une
équivalent dépressif. prise le soir. La lithiémie optimale est de 1 mmol/L (± baisse permanente de l’humeur. Une réduction de la
0,2 mmol/L). Cette forme de traitement permet posologie du traitement pourra permettre la
¶ Contre-indications
Les contre-indications absolues de la d’éviter le pic lithiémique et d’améliorer la stabilité de diminution, voire la suppression, des effets délétères
lithiothérapie sont les suivantes : la lithiémie en une seule prise quotidienne. Le du lithium sur le fonctionnement psychologique.
passage du Téralithet 250 au Téralithet 400 LP se
– insuffisance rénale grave ; ¶ Surdosages en lithium
– hyponatrémie (notamment par régime fait en multipliant par 0,75 la posologie (nombre de
En dehors des surdosages volontaires, les
désodé) ; comprimés de Téralithet 250).
intoxications sont favorisées par les affections
– traitements salidiurétiques ; ¶ Surveillance du traitement accompagnées de fièvre, les vomissements et les
– insuffisance cardiaque majeure ; L’information du patient (bénéfices du traitement, diarrhées sévères, la déshydratation, le régime sans
– troubles du ryhtme ; effets indésirables) favorise une meilleure sel et certains produits médicamenteux (diurétiques,
– allaitement. compliance au traitement. AINS, IEC et neuroleptiques à posologie élevée).
Cependant, il n’existe pas, pour certains auteurs, La lithiémie doit être contrôlée tous les 2 à 3 mois, En présence de tels facteurs de risque
de maladie contre-indiquant de manière absolue la mais également dès qu’apparaissent des signes d’intoxication et/ou de signes cliniques de
lithiothérapie, surtout lorsque celle-ci s’avère être la d’intoxication, en cas de modification de l’état surdosage, on doit conseiller au patient d’arrêter
seule thérapeutique efficace. En cas d’insuffisance clinique, lors d’une pathologie somatique transitoirement la lithiothérapie ou de réduire la
rénale grave, d’insuffisance cardiaque ou de intercurrente ou lors de traitements médicamenteux posologie et de contrôler en urgence, puis
déshydratation, la lithiothérapie devra être instaurée régulièrement, la lithiémie. En cas de voyage dans
associés. Le prélèvement doit être effectué 12 heures
en milieu hospitalier, après rééquilibration des les pays chauds, la surveillance doit être renforcée, et
après la dernière prise de lithium. Il n’est pas
pathologies et avec une surveillance stricte de la un supplément sodé peut s’avérer justifié.
nécessaire que le patient soit à jeun. Il est conseillé
lithiémie.
de faire effectuer les dosages de lithiémie dans le ¶ Durée de la lithiothérapie
Les contre-indications relatives sont les suivantes :
même laboratoire d’analyse. Un dosage de la Elle doit être initialement définie avec le patient.
– insuffisance rénale modérée ;
créatinine doit être également pratiqué On peut fixer par exemple la durée du traitement à 3
– hypothyroïdie ; régulièrement, et il est conseillé de pratiquer un ans, avec reconsidération de celui-ci au terme de
– comitialité ; contrôle annuel de la TSH ultrasensible. cette période.
– 1er trimestre de la grossesse ;
Il faut surveiller les interactions médicamenteuses. Le traitement peut être arrêté pour cause d’échec
– certains traitements médicamenteux :
Outre les produits connus comme responsables (même intensité et fréquence des épisodes), en
carbamazépine, inhibiteurs de l’enzyme de
d’interactions pharmacocinétiques (diurétiques, raison d’effets indésirables trop invalidants, ou
conversion (IEC), anti-inflammatoires non stéroïdiens
AINS, IEC), les inhibiteurs de la recapture de la encore en raison d’un projet de grossesse. S’il
(AINS), sulfamides hypoglycémiants, insuline.
sérotonine peuvent entraîner une accentuation des n’existe aucune de ces causes, la poursuite du
Chez le sujet âgé, outre la nécessité d’une
effets indésirables sérotoninergiques (tremblements, traitement est à renégocier.
surveillance clinique et paraclinique attentive, les
nausées, sueurs...). À l’arrêt du traitement, il est recommandé
concentrations plasmatiques recherchées doivent
être plus faibles et se situer entre 0,3 et 0,6 mmol/L. ¶ Effets indésirables d’observer une surveillance clinique attentive en
Le patient doit être informé de la possibilité de raison d’un risque accru de rechutes dépressives et
¶ Instauration du traitement thymorégulateur surtout maniaques dans les mois qui suivent l’arrêt.
prophylactique survenue de ces effets. La plupart des effets
indésirables sont dose-dépendants, donc atténués Aucun argument ne permet de penser que la
Un examen clinique complet incluant la prise de diminution progressive du traitement réduit ce
la tension artérielle et la pesée est nécessaire. par une diminution de la lithiémie.
risque, mais une réduction progressive pourrait être
Parmi les examens paracliniques, un ECG sera Les tremblements peuvent être le premier signe
un moyen de minimiser l’anxiété du patient.
réalisé si le patient a plus de 50 ans ou s’il présente d’un surdosage ; ils imposent un contrôle de la
des antécédents cardiovasculaires, un élec- lithiémie. Si ces tremblements persistent après
Carbamazépine (Tégrétolt)
troencéphalogramme (EEG) en cas d’antécédents réajustement de la posologie à la limite inférieure de
neurologiques. la dose efficace et s’ils sont invalidants, un traitement Le Tégrétolt possède également un effet
antitrémorique peut être prescrit (propranolol à la thymorégulateur et un effet antimaniaque.
Les examens biologiques qui doivent être
pratiqués sont les suivants : dose de 10 à 20 mg). Un nombre limité d’études ont démontré son
– numération formule sanguine (NFS) ; Les troubles digestifs (nausées, vomissements, efficacité dans la prévention des troubles
– ionogramme sanguin ; diarrhée) apparaissant généralement en début de maniacodépressifs. Il est par ailleurs de maniement
traitement, ils sont habituellement transitoires et plus facile (surveillance moins stricte) que le lithium.
– clairance de la créatinine, protéinurie ;
– bilan thyroïdien (dosage de la TSH [thyroid spontanément réversibles. Leur persistance ou leur ¶ Quelques données pharmacocinétiques
stimulating hormone] ultrasensible) ; réapparition doit faire contrôler la lithiémie. La réabsorption de la carbamazépine est lente ; le
– test de grossesse, contraception chez la femme. Le syndrome polyuropolydipsique peut survenir pic plasmatique n’est atteint que 4 à 8 heures après
D’autres examens peuvent être réalisés en précocement ou plus tardivement. Il ne doit en l’ingestion. Sa demi-vie est variable, comprise entre 5
fonction des antécédents médicaux du sujet. aucun cas entraîner une restriction hydrique. Un et 20 heures. Un minimum de deux prises par jour
Le traitement doit être instauré de façon abaissement de la posologie du lithium peut en est recommandé. La forme retard permet de
progressive : 250 mg de Téralithet par paliers de limiter l’importance. maintenir des taux plasmatiques plus stables, une
3 jours jusqu’à obtention de la dose efficace, La fréquence des troubles thyroïdiens (goitre, seule prise quotidienne est alors suffisante.
c’est-à-dire de la dose qui permettra d’obtenir une hypothyroïdie, thyroïdite, et plus exceptionnellement Le dosage plasmatique du Tégrétolt peut être
lithiémie se situant dans la fourchette thérapeutique. hyperthyroïdie) justifie un contrôle annuel de la TSH effectué en pratique courante. Les taux plasmatiques
Un contrôle de la lithiémie peut être effectué après ultrasensible. (3 à 12 µg/mL) utilisés comme fourchettes

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Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

thérapeutiques sont les mêmes que ceux utilisés survenir sans modification de la posologie après une le valpromide, le vérapamil, le diltiazem, le
pour le Tégrétolt comme antiépileptique. dizaine de jours de traitement, nécessitant un dextropropoxyphène, le danazol et la viloxazine
réajustement de la posologie (cela est dû à un sont déconseillés.
¶ Indications
phénomène d’auto-induction enzymatique). Par la La carbamazépine diminue les concentrations
Selon les recommandations de l’ANDEM, la
suite, les dosages de surveillance s’effectueront tous plasmatiques et l’efficacité des contraceptifs, des
carbamazépine est indiquée comme traitement
les 3 à 6 mois. anticoagulants oraux, des autres antiépileptiques, du
préventif des rechutes thymiques dans la psychose
En cas d’association médicamenteuse ou progabide, des ciclosporines, des corticoïdes, de la
maniacodépressive en cas de contre-indication, de
d’apparition de signes de toxicité, de nouveaux doxycycline, de l’hydroquinidine, de la quinidine et
mauvaise tolérance ou de résistance à la
dosages doivent être effectués. de la théophylline. Elle diminue également les
lithiothérapie. Elle serait plus efficace que les sels de
Une surveillance hépatique et sanguine (risque concentrations plasmatiques des médicaments
lithium dans les troubles bipolaires à cycles rapides
d’aplasie, d’agranulocytose) est recommandée, métabolisés par le foie tels que les neuroleptiques,
(quatre épisodes thymiques au moins pendant
particulièrement pendant les premiers mois de les benzodiazépines (sauf l’oxazépam et le
l’année) ou accompagnés de symptômes
traitement : NFS, plaquettes, transaminases et γ GT. lorazépam, non métabolisés par le foie), les
psychotiques (autres que mélancoliques).
antidépresseurs tricycliques et les hormones
La carbamazépine peut également être prescrite
thyroïdiennes.
dans le but curatif d’un accès maniaque. D’après les ¶ Effets indésirables
Comparée à celle du lithium, la tolérance de la Le phénobarbital et les anticonvulsivants, type
recommandations de l’ANDEM, elle pourra être
phénytoïne, diminuent l’effet de la carbamazépine
arrêtée 2 à 4 mois après la disparition des troubles carbamazépine est meilleure et le risque lié au
en réduisant ses taux plasmatiques.
maniaques. surdosage est moindre.
En début de traitement, des effets secondaires ¶ Surdosages en Tégrétolt
¶ Contre-indications
bénins sont fréquents : somnolence, nausées, Au-delà du seuil de 12 mg/L, des signes de
Les principales contre-indications sont les
sensation de fatigue, vertiges, troubles visuels. Ces toxicité apparaissent. Il existe un risque létal en cas
suivantes :
signes disparaissent le plus souvent après quelques de prise de 6 g ou plus de carbamazépine.
– hypersensibilité au Tégrétolt ;
jours de traitement. Parfois, afin d’atténuer ces effets, Les signes de surdosage sont des troubles de la
– antécédents d’hypoplasie médullaire ;
une réduction de la posologie, puis une conscience, des signes neurologiques (diplopie,
– antécédents de porphyrie aiguë intermittente ;
réaugmentation plus progressive peuvent être tremblements, secousses musculaires), des troubles
– bloc auriculoventriculaire non compensé ;
envisagées, rarement une interruption de traitement. respiratoires, des troubles gastriques (nausées,
– hépatite chronique.
Des éruptions cutanées maculopapuleuses vomissements), des troubles urinaires (rétention) et
D’autres contre-indications sont plus relatives et
peuvent également survenir en début de traitement, des troubles cardiovasculaires (troubles du rythme,
justifient un bilan spécifique, voire un avis
mais elles disparaissent après quelques jours. hypotension).
spécialiste : le glaucome, les troubles prostatiques,
l’insuffisance hépatique ou rénale, l’insuffisance Exceptionnellement, des réactions d’hypersensibilité ¶ Durée du traitement thymorégulateur
cardiaque. cutanée peuvent conduire à l’interruption du La durée du traitement préventif des rechutes
Lorsqu’une grossesse est envisagée, on doit traitement. thymiques est a priori la même que celle de tout
reconsidérer l’indication du traitement par rapport Les effets hématologiques induits par la thymorégulateur, c’est-à-dire une durée minimale de
aux autres possibilités thérapeutiques. L’allaitement carbamazépine sont de deux types. Premièrement, 2 à 3 ans, qui est à négocier avec le patient.
est déconseillé en raison du passage dans le lait la carbamazépine induit fréquemment une
maternel. leucopénie, bénigne, qui nécessite une simple Acide valproïque (Dépakinet)
et valpromide (Dépamidet)
surveillance. Deuxièmement, il existe un risque
¶ Instauration du traitement Il s’agit de deux antiépileptiques très proches l’un
beaucoup plus grave d’agranulocytose, d’aplasie ou
thymorégulateur prophylactique de l’autre, l’acide valproïque étant un métabolite du
Avant de débuter le traitement, il est nécessaire de thrombocytopénie, de mécanisme immunoaller-
gique (non lié à l’effet leucopéniant de la valpromide.
de réaliser certains examens afin d’éliminer une
carbamazépine). Malgré leur rareté (1/20 000), ces Ces produits sont utilisés comme thymorégula-
contre-indication :
troubles éventuels justifient une surveillance teurs en deuxième intention en cas de résistance ou
– bilan hépatique : γ GT, transaminases ;
régulière de la NFS. de contre-indication au lithium ou à la
– NFS, plaquettes ;
La carbamazépine présente également des effets carbamazépine.
– ECG.
hépatiques. Une augmentation modérée des En France, la prophylaxie des troubles de
La posologie doit être augmentée progressi-
transaminases est fréquente. Il s’agit d’un effet l’humeur n’est une indication légale que pour le
vement par paliers de 3 à 4 jours. La posologie
dose-dépendant qui n’implique pas nécessairement valpromide (Dépamidet).
initiale est de 1 comprimé le soir pendant 3 jours,
puis augmentation de ½ comprimé tous les 3 à 4 l’arrêt du traitement. Indépendamment de cet effet, ¶ Quelques données pharmacocinétiques
jours afin de réduire les risques de sédation et de le risque d’hépatite immunoallergique, cytolytique Les propriétés pharmacocinétiques de ces deux
troubles de la vigilance. Il ne faut pas hésiter à ou cholestatique implique une surveillance produits sont proches de celles de la carbamazépine.
réduire la posologie pour l’augmenter plus hépatique régulière. Il est recommandé de prescrire 2 à 3 prises par
progressivement si des effets secondaires D’autres troubles sont plus rares : effets jour. Des dosages plasmatiques de la Dépakinet
surviennent sur un terrain fragile (sujets âgés). La gastro-intestinaux, troubles endocriniens, peuvent être réalisés.
posologie efficace se situe en moyenne entre 400 et cardiaques, effet tératogène, pancréatite.
1 000 mg/j. ¶ Contre-indications
Le patient doit être informé des risques Il n’existe pas de contre-indication absolue. La
Pour faciliter l’observance, on peut proposer une qu’implique un traitement par la carbamazépine, et grossesse est un contre-indication relative.
forme à libération prolongée qui permet de réduire en particulier les signes d’une affection
le nombre de prises par jour. hématologique, hépatique ou dermatologique. ¶ Instauration du traitement
Pour éviter les effets sédatifs, il est conseillé de Le valpromide et le valproate doivent être
donner la posologie maximale le soir. ¶ Interactions médicamenteuses avec le Tégrétolt introduits progressivement. La posologie initiale est
Les différents médecins suivant un patient sous de 1 comprimé par jour, elle est augmentée jusqu’à
¶ Surveillance du traitement par Tégrétolt 4 à 6 comprimés en fonction de la tolérance.
En règle générale, un premier dosage du carbamazépine doivent être informés de la prise de
Tégrétolt est demandé après 1 semaine de ce médicament en raison des nombreuses ¶ Effets indésirables
traitement et un second après 3 semaines. La interactions médicamenteuses, notamment les Les effets indésirables les plus fréquents sont la
fourchette thérapeutique a été arbitrairement définie gynécologues qui seront amenés à reconsidérer les sédation (surtout en début de traitement, mais
en référence aux chiffres conseillés lors de moyens contraceptifs chez une femme. pouvant se prolonger), l’hypotonie et en cas de
l’utilisation de la carbamazépine comme En raison d’un risque de surdosage, les IMAO non surdosage, une obnubilation de la conscience. Ces
anticomitial. Cette fourchette est de 5 à 10 mg/L (ou sélectifs sont formellement contre-indiqués ; les manifestations surviennent préférentiellement lors
20 à 40 mmol/L). Une baisse plasmatique peut antibiotiques macrolides, l’isoniazide, la cimétidine, d’associations à d’autres psychotropes.

9
7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

On peut également observer une toxicité


hépatique, dose-dépendante la plupart du temps. Tableau VI. – Exemples de neuroleptiques : présentations et posologies.

¶ Interactions médicamenteuses DCI Famille chimique Nom de spécialité Présentations et Posologie (mg/j) en
Il n’existe pas d’interaction entre le Dépamidet et dosages ambulatoire
le lithium. En revanche, il existerait une interaction Amisulpride Benzamides Soliant Comprimés 50-100
toxique avec la carbamazépine du fait de 50 mg et 200 mg
l’augmentation du taux d’un métabolite actif. Ampoules 100 mg
Halopéridol Butyrophénone Haldolt Comprimés 1 mg, 2-30


5 mg, 20 mg
Neuroleptiques Solution 0,2 %
(10 gouttes = 1 mg)
Solution 0,05 %
‚ Généralités (40 gouttes = 1 mg)
Ampoules 5 mg
La classe des neuroleptiques, utilisée en
psychiatrie depuis une quarantaine d’années, a été Carpipramine Dibenzo-oxapines Prazinilt Comprimés 50 mg 50-100
définie en 1947 par Delay et Deniker sur cinq
Clozapine Dibenzo-oxapines Léponext Comprimés 100-200
critères d’activité.
25 mg et 100 mg
■ C r é a t i o n d ’ u n é t a t d ’ i n d iff é r e n c e
psychomotrice. Loxapine Dibenzo-oxapines Loxapact Comprimés 25-150
■ Efficacité vis-à-vis des états d’anxiété et 25 mg et 50 mg
d’agitation. Solution
■ Réduction progressive des troubles (1 goutte = 1 mg)
psychotiques aigus et chroniques. Chlorpromazine Phénothiazines Largactilt Comprimés 25-200
■ Production de syndromes extrapyramidaux et 25 mg et 100 mg
végétatifs. Solution
■ Effets sous-corticaux dominants. (1 goutte = 1 mg)
Les neuroleptiques sont efficaces sur différents Ampoules 25 mg
troubles psychopathologiques. Ils sont le plus Cyamémazine Phénothiazines Terciant Comprimés 25-200
souvent prescrits comme antipsychotiques, et plus 25 mg et 100 mg
particulièrement dans le traitement de la Solution
schizophrénie. Ils sont très efficaces sur les (1 goutte = 1 mg)
symptômes productifs (délire et hallucinations), mais Ampoules 50 mg
ils possèdent également d’autres propriétés non Lévomépromazine Phénothiazines Nozinant Comprimés 25-100
spécifiques telles que des effets sédatifs et 2 mg, 5 mg
anxiolytiques. et 100 mg
Ainsi, les neuroleptiques ne sont pas spécifiques Solution
d’un diagnostic, mais peuvent avoir une action sur (1 goutte = 1 mg)
différents symptômes (action symptomatique). Ampoules 25 mg
Les principaux effets thérapeutiques des Flupentixol Thioxanthènes Fluanxolt Solution 20-50
neuroleptiques sont les suivants : (1 goutte = 1 mg)
– action antidélirante ou antihallucinatoire
constituant l’action antiproductive ;
– propriété sédative agissant sur l’agitation
psychomotrice et l’anxiété ;
– action antidéficitaire efficace sur certains
symptômes tels que l’apragmatisme.
Les neuroleptiques présentent des effets dopaminergiques. Les neuroleptiques possédant Neuroleptiques dits « atypiques »
indésirables importants, facteurs de mauvaise cette propriété sont appelés neuroleptiques incisifs ;
compliance. Cette mauvaise tolérance limite leur Les neuroleptiques atypiques sont de nouveaux
– une action sédative non spécifique. Cette
utilisation. antipsychotiques qui ne présentent pas les mêmes
action est liée aux effets centraux anticholinergiques,
caractéristiques que les neuroleptiques classiques
‚ Produits adrénolytiques α et antihistaminiques H1.
(Risperdalt). En effet, ils n’entraînent que peu ou pas
Les neuroleptiques sont classés en fonction de de syndromes extrapyramidaux et ont en général
Classifications leur pouvoir antiproductif ou sédatif (tableau VII). une meilleure tolérance neurologique. Ces produits
Les principales familles de neuroleptiques sont les Certains neuroleptiques sont essentiellement présentent une activité antidopaminergique, mais
phénothiazines, les thioxanthènes, les butyrophé- antiproductifs et peu sédatifs, c’est le cas de également antisérotoninergique, et ils possèdent
nones et apparentés, et les benzamides (tableau VI). l’halopéridol (Haldolt), d’autres sont surtout sédatifs
souvent une action antidéficitaire.
La propriété principale des neuroleptiques est et peu productifs, comme la lévomépromazine
d’exercer un blocage des récepteurs dopaminer- (Nozinant), d’autres enfin exercent à la fois une
giques. Ils présentent également d’autres effets action antiproductive et sédative, on parle alors de ‚ Quelques données pharmacocinétiques
pharmacologiques, variables selon les produits : neuroleptiques mixtes ou polyvalents, comme la La demi-vie des neuroleptiques est en général
actions anticholinergiques, antihistaminique H1, chlorpromazine (Largactilt). assez longue, de l’ordre de 24 heures. Par
adrénolytique α, antisérotoninergique 5-HT2. conséquent, il n’est pas nécessaire, pour un
¶ Action antidéficitaire
¶ Action antiproductive et sédative Certains neuroleptiques dits « désinhibiteurs » ont traitement au long cours, de prescrire plusieurs prises
La classification clinique présente un intérêt une action spécifique sur les symptômes négatifs ou par jour, une seule prise quotidienne s’avère en
pratique plus grand que les autres classifications. déficitaires de la schizophrénie (tableau VIII). Ces général suffisante.
Les deux actions fondamentales des neurolep- neuroleptiques ont souvent la particularité de Le métabolisme des neuroleptiques est
tiques sont : présenter des effets différents selon la dose : à dose essentiellement hépatique. Il varie selon les individus,
– une action antiproductive, c’est-à-dire faible, leur effet est désinhibiteur, alors qu’à dose ce qui explique en partie les importantes variations
antidélirante, liée à un blocage des récepteurs élevée, leur effet est antiproductif et/ou sédatif. interindividuelles observées dans leur action clinique.

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Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

intramusculaire. Ils ne doivent jamais être instaurés


Tableau VII. – Classification des neuroleptiques d’après Lecrubier, Puech et Simon. en urgence, devant toujours être précédés de
l’administration du même produit par voie orale
Sédation Antiproductif
pendant au moins une dizaine de jours. Pour chaque
Nozinant +++ + Sédatif à faible dose, antiproductif à fortes doses produit, un facteur de conversion permet de passer
Terciant +++ + de la dose orale quotidienne à la dose totale à
Mellerilt ++ + administrer à chaque injection.
Neuleptilt +++ +
Certains neuroleptiques sont utilisables en
Largactilt ++ +++ urgence, générablement par voie intramusculaire. Ils
Haldolt + +++ sont rapidement résorbés, et certains tels que le
Barnetilt + +++ dropéridol (Droleptant) possèdent une demi-vie
Moditent + +++ courte, ce qui permet de ne pas trop prolonger la
Piportilt - +++ sédation (tableau X).
Fluanxolt + ++
Sémapt +++
Terfluzinet + ++ ‚ Indications
Tripéridolt + ++ Les indications essentielles des neuroleptiques, et
Orapt ++
Dogmatilt ++ les seules à avoir été confirmées par un nombre
Majeptilt + +++ suffisant d’études contrôlées, sont les différents états
psychotiques, aigus ou chroniques, organiques ou
« fonctionnels ». Au sein de la symptomatologie
psychotique, les neuroleptiques sont plus efficaces
Tableau VIII. – Principaux neuroleptiques désinhibiteurs ou déficitaires. sur la symptomatologie positive (productive) que sur
la symptomatologie négative (déficitaire).
DCI Nom de spécialité Posologie antidéficitaire Dans les RMO, les neuroleptiques doivent être
(mg/j) réservés aux troubles psychotiques. Les autres
Amisulpride Soliant 50-200 utilisations psychiatriques des neuroleptiques ne
doivent être que des indications de deuxième ou
Carpipramine Prazinilt 50 troisième intention :
Fluphénazine Moditent 25-50 – entités syndromiques ou symptômes isolés :
états d’agitation, d’agressivité, d’impulsivité, de
Penfluridol Sémapt 10 mg/7 j
grande angoisse et insomnie rebelle ;
Pimozide Orapt 1-3 – certaines entités cliniques : certaines névroses
obsessionnelles et certains troubles névrotiques et
Pipotiazine Piportilt 10-20
somatoformes.
Sulpiride Dogmatilt 50 Les neuroleptiques sédatifs peuvent être utilisés
Thiopropérazine Majeptilt 5-10 pour une durée limitée dans des états d’anxiété, chez
des sujets présentant une contre-indication aux
Trifluopérazine Terfluzinet 10-50 benzodiazépines et risquant en particulier de
Triflupéridol Tripéridolt 0,5-2 développer une dépendance vis-à-vis d’eux.

‚ Contre-indications
Tableau IX. – Neuroleptiques d’action prolongée. Il n’existe pas de contre-indication absolue aux
DCI Nom de spécialité Présentations et Durée d’action moyenne Posologie (mg/j) neuroleptiques.
dosages (intervalle entre deux ad- Les contre-indications relatives sont les suivantes :
ministrations) – le glaucome à angle fermé : les neuroleptiques
Décanoate Haldolt Ampoules 28 jours 50-300 à forte action anticholinergique seront alors utilisés
d’halopéridol decanoas 50 mg avec prudence et sous surveillance ophtalmologique
régulière. Les neuroleptiques faiblement
Décanoate de Modécatet Ampoules 28 jours 25-150 anticholinergiques seront préférés ;
fluphénazine 25 mg
– l’hypertrohie prostatique : là encore la
et 125 mg
prudence sera de règle, surtout si le patient a des
Œnanthate de Moditent Ampoules 14 jours 25-150 antécédents de rétention urinaire ;
fluphénazine action prolongée 25 mg – chez le parkinsonien pour lequel il est
et 100 mg
recommandé de choisir un neuroleptique dont les
Décanoate de Clopixolt Ampoules 21 jours 200-400 effets extrapyramidaux sont minimes ;
zuclopenthixol action prolongée 200 mg – l’épilepsie (vérifier l’EEG et les taux
Acétate de zuclo- Clopixolt Ampoules 2 à 3 jours 50-150 plasmatiques de l’antiépileptique ; éviter les
penthixol action semi- 50 mg phénothiazines aliphatiques et pipéridinées) ;
prolongée et 100 mg – une cardiopathie : l’insuffisance cardiaque, les
arythmies, l’angor ;
– l’hypotension orthostatique, l’hypertension
artérielle ;
– les perturbations de la NFS ;
Pour les neuroleptiques, on ne dispose en général Il existe des neuroleptiques sous forme retard qui – l’insuffisance rénale (risque de diminution de
pas de dosages plasmatiques pouvant servir de ont une action prolongée (tableau IX) par libération l’élimination des métabolites) ;
guide à la prescription et à la surveillance du progressive dans l’organisme de la substance active. – l’insuffisance hépatique ou hépatite ;
traitement. Ces produits sont tous administrés par voie – des signes de dyskinésie tardive.

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7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

peuvent être traitées et prévenues relativement


Tableau X. – Neuroleptiques de l’urgence. facilement (cf chapitre sur le traitement des effets
indésirables) ;
DCI Nom de spécialité Posologie (mg) per os Posologie (mg) IM
– un pseudo-parkinsonisme défini par un
Chlorpromazine Largactilt 25-50 100-200 tremblement, une rigidité, une hypertonie et une
akinésie. Il se manifeste en général dans les 30
Lévomépromazine Nozinant 50-100 25-50
premiers jours du traitement et peut persister
Loxapine Loxapact 100-600 100-300 pendant toute la durée de celui-ci ;
Cyamémazine Terciant 50-100 25-50 – un syndrome hyperkinétique défini par une
akathisie et une tasikinésie. Il débute de façon
subaiguë dans les 10 premiers jours du traitement et
‚ Règles de prescription Posologies peut persister pendant toute la durée de celui-ci ;
d’un traitement neuroleptique Les doses nécessaires pour être efficaces sont très – les effets irréversibles : les dyskinésies tardives.
variables d’un sujet à l’autre. Par conséquent, la Il s’agit de mouvements anormaux, peu ou pas
Bilan initial posologie doit être adaptée à chaque individu, réversibles, n’apparaissant qu’après plusieurs
guidée par les fourchettes posologiques proposées. semaines de traitement, voire plusieurs mois ou
Il s’agit de rechercher des contre-indications
années. Ils prédominent au niveau de la sphère
relatives aux neuroleptiques en pratiquant un La posologie initiale est adaptée en fonction de la
bucco-linguo-faciale. Ils peuvent être masqués par le
examen clinique et différents examens paracliniques symptomatologie, éventuellement des doses
traitement neuroleptique qui peut avoir, au début,
en fonction du terrain. antérieurement reçues par le patient, de l’âge et de
un effet bénéfique sur ces mouvements.
l’état somatique du patient.
Choix du produit Pour certains produits, la relation dose-réponse
n’est pas linéaire ; il n’est donc pas nécessaire Lors de la prescription d’un traitement
Le choix du produit se fait en fonction du contexte
d’augmenter les doses au-delà d’un certain seuil en
individuel et en fonction de différents éléments. neuroleptique, il est important de
cas de résistance au produit.
Tout d’abord, il est préférable de choisir un rechercher attentivement des signes
neuroleptique antérieurement efficace et bien toléré Délai d’action annonciateurs de dyskinésies tardives :
dans le même contexte. À l’inverse, un produit ayant discrets mouvements anormaux de la
L’effet sédatif des neuroleptiques se manifeste
entraîné antérieurement des effets indésirables face et de la langue. Le seul traitement
précocement. À l’inverse, l’efficacité du traitement sur
graves doit être évité. préventif est l’arrêt des neuroleptiques,
la symptomatologie productive ou déficitaire ne
Par ailleurs, il faut prendre en compte la s’observe qu’après un délai de plusieurs semaines. Il si cet arrêt est possible. Des
sémiologie clinique prépondérante (les symptômes n’est donc pas justifié de changer de traitement dyskinésies tardives évoluant depuis
cibles) et le stade évolutif de la maladie. Lorsque la avant un délai de 3 à 4 semaines en cas plus de 6 mois seront probablement
symptomatologie délirante prédomine sans anxiété d’inefficacité. L’action thérapeutique complète peut
majeure, ni agitation, la tendance sera d’opter pour
irréversibles.
être obtenue après un délai de plusieurs mois.
un produit purement antiproductif tel que
l’halopéridol (Haldolt). À l’inverse, en cas d’agitation Surveillance du traitement Les effets neurovégétatifs sont :
psychotique anxieuse avec peu d’éléments délirants, La surveillance porte sur l’efficacité clinique (effets – les effets anticholinergiques : sécheresse de la
le choix se portera davantage vers un produit plus primaires) et la tolérance (effets secondaires ou bouche, constipation, troubles urinaires (dysurie,
sédatif tel que la chlorpromazine (Largactilt) ou la indésirables) du traitement et sur la compliance au rétention urinaire), troubles de l’accommodation ;
lévomépromazine (Nozinant). traitement. Les effets indésirables peuvent, dans une – les effets cardiovasculaires : tachycardie,
Le choix du produit se fait également en fonction certaine mesure, être corrigés. hypotension orthostatique.
du terrain somatique. Pour un traitement prolongé indiqué pour un Les effets neuroendocriniens et métaboliques
Une monothérapie est en général préférable et trouble psychotique chronique, il est recommandé sont :
recommandée dans les RMO qui soulignent qu’une de prescrire la posologie minimale efficace – une hyperprolactinémie (liée aux effets
association de neuroleptiques ayant comme but permettant de contrôler la symptomatologie. En cas dopaminolytiques) qui se manifeste, chez la femme,
d’atteindre des symptômes cibles différents n’a d’interruption du traitement par le patient lui-même, par une aménorrhée, une galactorrhée et des
jusqu’à présent pas été validée par des études il est important de maintenir un lien thérapeutique troubles de la libido, et chez l’homme, par une
contrôlées. Une prescription comportant deux avec lui. gynécomastie et des troubles de la libido. Cet effet
neuroleptiques doit donc être argumentée et indésirable est très fréquent ; il peut provoquer des
périodiquement réévaluée. ‚ Effets indésirables et accidents adénomes hypophysaires fonctionnels ;
Il est par exemple possible, en début de Les effets indésirables des neuroleptiques sont – une prise de poids, très fréquente, liée aussi
traitement des phases aiguës, d’associer un variables selon les produits et la susceptibilité bien à une augmentation des apports par
neuroleptique antiproductif à un neuroleptique individuelle du patient. Les effets les plus fréquents augmentation de l’appétit ou à une diminution des
sédatif. Lorsque l’état du patient ne le nécessite plus, sont neurologiques et neurovégétatifs. Des dépenses liée à la sédation, qu’à des modifications
le neuroleptique sédatif est interrompu, et seul le médicaments correcteurs permettent de les atténuer. du métabolisme.
produit antiproductif est poursuivi. Ils représentent souvent un facteur de En ce qui concerne les effets cutanés, une
non-compliance. photosensibilisation est fréquente avec les
Modalités d’administration Les effets neurologiques sont en grande partie phénothiazines. Pour la prévenir, il est recommandé
responsables de la mauvaise observance des d’éviter l’exposition solaire ou d’utiliser des crèmes
Dans certaines situations, une administration par proctectrices.
neuroleptiques :
voie parentérale s’avère indispensable :
– les effets non spécifiques : somnolence, Le syndrome malin des neuroleptiques est une
– administration de neuroleptiques d’action sédation, confusion, convulsions ; complication exceptionnelle, mais gravissime,
prolongée ; – les effets spécifiques réversibles (liés aux effets entraînant le décès dans 20 % des cas. Le pronostic
– administration en urgence ; dopaminolytiques et anticholinergiques) ; de ce syndrome dépend de la précocité de la prise
– refus du traitement par le patient. – les dystonies aiguës ou dyskinésies aiguës, en charge. Il est donc fondamental d’évoquer le
En dehors de ces cas, la voie orale est préférable. particulièrement mal supportées, se manifestent par diagnostic dès les premiers signes. Le syndrome
Lors du passage de la voie intramusculaire à la une hypertonie portant sur certains groupes malin des neuroleptiques débute par une fièvre sans
voie orale, les doses devront être majorées de 50 % musculaires, responsable de mouvements cause apparente, associée à une aggravation des
environ pour obtenir des taux palsmatiques involontaires, de la face et du cou surtout, en général signes neurologiques extrapyramidaux d’impré-
équivalents. associée à une grande angoisse. Ces dystonies gnation et à l’apparition de troubles de la

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Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

conscience. Le traitement doit alors être arrêté et le


patient tansféré en service spécialisé. Tableau XI. – Antiparkinsoniens anticholinergiques correcteurs des effets secondaires neurologi-
Pour certains auteurs, un antécédent de ques des neuroleptiques.
syndrome malin des neuroleptiques contre-indique
DCI Nom de spécialité Présentations Posologie Équivalence
la reprise ultérieure d’un tel traitement. Pour d’autres, posologique
un tel syndrome n’est pas une contre-indication
absolue, mais il sera préférable d’utiliser un produit Dextrométhorphane Akineton Retardt Comprimés 4 à 8 mg/j 0,5
appartenant à une classe différente et d’exercer une 4 mg
surveillance étroite de la prescription. Trihexyphénidyle Artanet Comprimés 4 à 15 mg/j 1
Lors de la surveillance d’un traitement par 2 mg, 5 mg
neuroleptique, toute fièvre inexpliquée doit faire et 15 mg
évoquer un syndrome malin. Solution 0,4 %
Les troubles immunoallergiques et hématolo- Ampoules 10 mg
giques sont : Parkinanet LP Comprimés 4 à 15 mg/j
– les rash cutanés ; 2 mg et 5 mg
– les hépatites cytolytiques ou cholestatiques ;
Tropatépine Lepticurt Comprimés 10 mg 10 à 30 mg/j 2
– les agranulocytoses (risque important avec la
Ampoules 10 mg
clozapine, Léponext, nécessitant une stricte
surveillance hématologique). Les benzodiazépines ont une relative efficacité sur principales recommandations sur les cures
Les troubles cardiovasculaires sont : l’hypertonie, les dyskinésies aiguës et peut-être neuroleptiques prolongées sont les suivantes.
– les modifications électrocardiographiques et les l’akathisie. Les bêtabloquants quant à eux auraient ■ Il est nécessaire d’évaluer le rapport
troubles du rythme ; une certaine efficacité sur l’akathisie. bénéfices/risques pour chaque individu.
– les myocardiopathies (très rares) ; Le traitement des dystonies aiguës et des ■ La cure doit se faire de préférence en
– les troubles thromboemboliques (phlébite, syndromes extrapyramidaux (pseudo-parkinso- monothérapie.
embolie pulmonaire). nisme) repose avant tout sur les antiparkinsoniens ■ Le traitement doit être réévalué, ainsi que ses
Les troubles oculaires sont : anticholinergiques (tableau XI). effets secondaires, tous les 3 à 6 mois.
– les dépôts cornéens ; La prescription des ces produits peut être ■ Des stratégies de réduction de posologie sont
– la rétinite pigmentaire ; envisagée dans deux circonstances : recommandées.
– les pigmentations cutanées. – à titre curatif, en cas de dystonie aiguë ou de ■ La réduction ou l’arrêt de la cure de
Ces troubles sont observés surtout avec les syndrome extrapyramidal. En cas d’urgence, on neuroleptique doit se faire par paliers progressifs.
phénothiazines, après de longues durées de effectue un traitement par voie injectable, un relai
traitement. par voie orale doit être utilisé par la suite ;
On peut évoquer également des troubles de la – à titre préventif, pour prévenir la survenue de
La réduction ou l’arrêt d’un
régulation thermique (hypo- ou hyperthermies dystonies aiguës. Dans le cadre de l’urgence, il est traitement neuroleptique dans les
bénignes) et la tératogenèse (elle n’a pas été possible d’associer au neuroleptique injectable un troubles psychotiques aigus ou
prouvée, il faut donc rester prudent au cours du 1er antiparkinsonien par voie injectable. chroniques nécessite un avis
trimestre de la grossesse). La majorité des auteurs préconise de ne pas spécialisé.
‚ Correction des effets indésirables utiliser de façon systématique les correcteurs, mais
de les réserver aux situations à risques :
Lors de l’apparition d’effets indésirables du neuroleptiques provoquant fréquemment des effets
‚ Interactions médicamenteuses
traitement, la première solution à envisager est si neurologiques, patients réticents à l’égard du Les neuroleptiques ont des effets sur d’autres
possible de diminuer la dose de neuroleptique. Cette traitement neuroleptique et susceptibles de médicaments. Ils diminuent l’activité des
diminution peut entraîner une régression, voire une l’interrompre en cas de survenue d’effets amphétamines, de la L-dopa et des contraceptifs
suppression, de l’effet indésirable (sauf pour les neurologiques, patients à risques (antécédents de oraux. Ils augmentent l’activité des anticoagulants,
dyskinésies tardives qui peuvent être augmentées parkinsonisme ou d’autres dysfonctionnements imposant une surveillance de l’hémostase plus
par la diminution de la dose). Si la diminution de la cérébraux, personnes âgées). étroite.
posologie n’est pas envisageable ou ne permet pas Certains médicaments ont des effets sur les
Les correcteurs doivent être prescrits en
d’atténuer les effets indésirables, on peut recourir à neuroleptiques. Les neuroleptiques ont leur activité
monothérapie, de manière ponctuelle et pour une
des correcteurs médicamenteux. diminuée par les barbituriques et les AINS (par
durée brève (3 mois selon les RMO). Ils ne doivent
¶ Effets neurovégétatifs être maintenus que si nécessaire. Lors d’un induction enzymatique hépatique). L’effet sédatif des
En ce qui concerne les effets anticholinergiques, la traitement neuroleptique au long cours, l’arrêt neuroleptiques est potentialisé par les benzodiazé-
sécheresse de la bouche peut être atténuée par progressif des correcteurs doit être envisagé après pines, les tranquillisants et hypnotiques, les
l’utilisation de cholérétiques (Sulfarlem S 25t : 30 à quelques semaines ou quelques mois de traitement. antidépresseurs et les antihistaminiques. Leur effet
60 mg/j en 3 prises). La constipation peut être En effet, la prescription d’antiparkinsoniens anticholinergique est potentialisé par les
prévenue par des règles hygiénodiététiques anticholinergiques n’est pas sans inconvénients : antiparkinsoniens anticholinergiques. Enfin,
appropriées et traitée par des laxatifs doux. effets anticholinergiques propres, responsabilité l’hypotension induite par les neuroleptiques est
L’hypotension orthostatique peut être corrigée éventuelle de ces produits dans la survenue de potentialisée par les antihypertenseurs centraux, les
par différents médicaments ; les plus utilisés, mais dyskinésies tardives. Ces correcteurs sont donc diurétiques, les bêtabloquants, les inhibiteurs
d’efficacité non constante, sont l’heptaminol plutôt contre-indiqués en cas de dyskinésies tardives. calciques, les IEC, les antidépresseurs tricycliques et
(Hept-A-Mylt : 500 à 1 500 mg/j en 3 prises) et la De plus, il existe souvent une meilleure tolérance les IMAO.
théodrénaline (Praxinort : 1 à 3 comprimés/j). En cas clinique après quelques semaines de traitement
neuroleptique.


d’hypotension invalidante, on peut utilisé des
vasopresseurs comme la phényléphrine ‚ Durée du traitement Benzodiazépines, tranquillisants
(Néosynéphrinet). et hypnotiques
Elle dépend de l’indication du traitement.
¶ Effets neurologiques Pour des indications secondaires, elle doit être
Ils sont plus difficiles à traiter. courte, l’indication devant faire l’objet de fréquentes ‚ Généralités
Les benzodiazépines et les bêtabloquants réévaluations cliniques de l’utilité et du rapport Les anxiolytiques, tranquillisants et hypnotiques
peuvent représenter un appoint, mais le traitement bénéfices/risques de la poursuite du traitement. ont eu un essor considérable depuis le début des
de ces effets repose surtout sur les Concernant les indications des neuroleptiques années 1960. Les deux premières grandes familles
antiparkinsoniens. dans les états psychotiques chroniques, les d’anxiolytiques ont été les carbamates et les

13
7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

benzodiazépines. Les benzodiazépines ont occupé Pharmacologie


rapidement la première place parmi les Le rôle du médecin généraliste dans la Les benzodiazépines sont des agonistes
médicaments utilisés comme tranquillisants, prescription des anxiolytiques est GABA-ergiques (acide gamma-amino-butyrique),
anxiolytiques ou hypnotiques. Puis sont apparus, fondamental. Il doit veiller au respect c’est-à-dire qu’elles facilitent la transmission
dans les années 1980, de nouveaux produits des indications et contre-indications de GABA-ergique.
appartenant à des familles chimiques différentes.
ces médicaments « trop facilement »
L’excellent rapport efficacité/tolérance des Propriétés cliniques
prescrits. La durée du traitement doit
benzodiazépines a favorisé une consommation
importante et chronique de ces produits. Leur
être brève. Lorsqu’un traitement Les benzodiazépines possèdent quatre propriétés
prescription ne reste cependant pas anodine en anxiolytique bien conduit n’apparaît fondamentales : sédative, anxiolytique,
raison d’une toxicité potentielle, d’un risque de pas efficace sur un trouble anxieux ou myorelaxante et anticonvulsivante.
dépendance et de réactions de sevrage. d’allure névrotique d’apparition Chacune de ces quatre propriétés est utilisée en
Le rôle du médecin généraliste dans la récente, il faudra suspecter une thérapeutique.
prescription des anxiolytiques est primordial pour dépression qui devra être traitée par ■ La propriété sédative définit la classe des
différentes raisons : d’une part parce qu’il est souvent un antidépresseur. En effet, les tranquillisants. Elle s’exprime par une baisse de la
le premier sollicité par les patients pour une telle vigilance et par un potentiel hypnogène. Ce dernier
anxiolytiques n’ont aucune action
prescription, d’autre part parce qu’il peut être est variable selon les benzodiazépines.
antidépressive spécifique.
« facilement tenté » de prescrire des tranquillisants ■ La propriété anxiolytique est difficile à définir et
dans la mesure où ces médicaments sont très à isoler de la précédente. Les actions sédative et
efficaces rapidement, enfin, en raison des risques liés anxiolytique pourraient cependant s’exercer de
aux benzodiazépines (dépendance, tolérance et ‚ Benzodiazépines et apparentés façon plus ou moins séparée selon la posologie :
réactions de sevrage). effet anxiolytique à faible dose, puis effet sédatif à
Les benzodiazépines actuellement disponibles dose plus élevée. De plus, il existe une grande
Avant toute prescription d’anxiolytiques, il est
sont nombreuses (tableau XII). variabilité interindividuelle pour ces deux actions.
nécessaire d’effectuer un bilan approfondi des
difficultés présentées par le patient (demandeur). Il
est en particulier nécessaire d’éliminer un trouble
Tableau XII. – Tranquillisants et hypnotiques benzodiazépiniques et apparentés : présentations,
dépressif, car il serait contre-indiqué de prescrire un
posologies et pharmacocinétique.
anxiolytique en monothérapie qui pourrait masquer
les signes dépressifs sans prévenir les risques DCI Nom de spécialité Présentations et Posologie Demi-vie
évolutifs d’une dépression. dosages
Les anxiolytiques n’ont aucune action
Diazépam Valiumt Comprimés 2 mg, 2-20 L
antidépressive spécifique. Les états anxieux ne 5 mg et 10 mg
réagissant pas à un traitement anxiolytique doivent Ampoules 10 mg
faire envisager une autre pathologie, en particulier Solution (3 gouttes =
dépressive. 1 mg)
Lors de la mise en route d’un traitement Sirop 0,4 %
anxiolytique, il est important d’indiquer au patient la Alprazolam Xanaxt Comprimés 0,25 mg 0,25-2 C
durée approximative du traitement. et 0,50 mg
Le plus souvent, ce traitement devra être de
Bromazépam Lexomilt Comprimés 6 mg 4-18 I
courte durée (la durée maximale fixée par la
commission d’autorisation de mise sur le marché Clobazam Urbanylt Comprimés 10 mg et 10-40 L
[AMM] est de 12 semaines pour les tranquillisants et 20 mg
de 4 semaines pour les hypnotiques).
Clonazépam Rivotrilt Comprimés 2 mg 1-4 I
Le prescripteur devra informer son patient du Ampoules 1 mg
risque de dépendance et de la possibilité de Solution 0,25 %
réactions de sevrage pour des traitements prolongés
(3 à 4 mois) à posologie élevée. L’indication du
Clorazépate Tranxènet Gélules 5 et 10 mg 5-100 L
Comprimés 50 mg
traitement doit être, compte tenu de ces risques, Ampoules 20 mg
régulièrement réévaluée ; il faut rechercher la 50 mg et 100 mg
posologie efficace la plus basse. Le médecin doit
également recommander au patient de ne pas Noctrant (clorazé- Comprimés 10 mg 10
interrompre brutalement un traitement anxiolytique pate + acépromazine
+ méprobamate)
prescrit depuis plusieurs semaines en raison d’un
risque de syndrome de sevrage ou de rebond Flunitrazépam Rohypnolt Comprimés 1 et 2 mg 1-2 I
d’insomnie ou d’anxiété.
Loprazolam Havlanet Comprimés 1 mg 1-2 C
L’arrêt du traitement devra toujours être
progressif, en collaboration avec le médecin Lorazépam Témestat Comprimés 1 mg et 1-7,5 I
généraliste. 2,5 mg
Le suivi et l’assistance au cours du sevrage Lormétazépam Noctamidet Comprimés1 mg et 1-2 C
dépendent du malade et de sa tolérance au sevrage. 2 mg
Les patients qui ne peuvent être sevrés, ceux qui
Oxazépam Sérestat Comprimés 10 mg et 10-100 C
présentent d’autres facteurs de risque à une 50 mg
pathologie addictive, tels que des antécédents
d’abus d’alcool ou de médicaments, enfin, les Prazépam Lysanxiat Comprimés 10 mg et 10-120 L
patients qui présentent une comorbidité 40 mg
psychiatrique, nécessitent un soutien plus spécialisé Zolpidem Stilnoxt Comprimés 10 mg 10 C
et doivent donc être dirigés vers des services
spécialisés. Zopiclone Imovanet Comprimés 7,5 mg 7,5 C
Après le sevrage, il est important de continuer à Demi-vie cumulée du produit et de ses éventuels métabolites actifs : C : demi-vie courte (demi-vie moyenne < 10 heures) ; I : demi-vie intermédiaire
suivre les patients pour prévenir les rechutes. (demi-vie moyenne < 30 heures) ; L : demi-vie longue (demi-vie moyenne > 30 heures).

14
Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

■ L’importance de la propriété anticonvulsivante La mise en route d’un traitement par


est variable selon les produits. benzodiazépines doit s’effectuer dans le cadre d’un Les benzodiazépines sont d’excellents
■ La propriété myorelaxante est plus marquée contrat avec le patient, prévenu des avantages et produits, très utiles dans le traitement
pour certains produits tels que le diazépam (Valiumt) des risques (éventuelle somnolence, épisodes des troubles psychiatriques, mais dont
et le tétrazépam (Myolastant). d’amnésie, dépendance, syndrome de sevrage) du les indications (précises) doivent être
traitement. La prescription doit être transitoire, et le
Quelques données pharmacocinétiques correctement posées. Le plus souvent,
patient doit être prévenu de la durée du traitement. Il
ne faut pas associer deux benzodiazépines. En cas le traitement devra être de durée brève
Les caractéristiques pharmacocinétiques, telles
d’insomnie associée à l’anxiété, l’association d’une (durée qui doit être indiquée au
que la vitesse de résorption et surtout la demi-vie du
produit et/ou de ses métabolites, aident également benzodiazépine « hypnotique » à une benzodia- patient). Certains troubles nécessitent
au choix de la benzodiazépine. zépine « tranquillisante » n’est pas justifiée, car on cependant des prescriptions longues de
Il existe trois classes de benzodiazépines selon la considère que toutes les benzodiazépines ont les benzodiazépines. Dans ce cas, la
demi-vie de la substance mère et/ou de ses mêmes effets cliniques et que la différence entre pertinence de la prolongation d’une
métabolites actifs : effet sédatif et anxiolytique tient à la dose utilisée. telle prescription devra être
– les benzodiazépines d’action longue (demi-vie Par conséquent, il est recommandé (RMO), en cas
régulièrement et soigneusement
comprise entre 30 et 72 heures) ; ces produits sont d’insomnie et d’anxiété associées, de prescrire une
monothérapie par une benzodiazépine à visée
évaluée compte tenu des risques liés à
habituellement utilisés comme anxiolytiques ces produits, bien soulignés par les
(Valiumt, Libriumt, Urbanylt, Tranxènet, anxiolytique, avec répartition des doses au cours du
nycthémère, avec une dose maximale le soir. pouvoirs publics, tels que les effets
Lysanxiat) ;
– les benzodiazépines à action intermédiaire L’association d’un anxiolytique et d’un hypnotique cognitifs, notamment sur la mémoire,
(demi-vie comprise entre 10 et 24 heures), utilisées doit être exceptionnelle. et surtout le risque de dépendance.
indifféremment comme anxiolytiques ou La demi-vie du produit est un critère de choix
hypnotiques (Lexomilt, Rivotrilt, Rohypnolt, important. Les benzodiazépines à demi-vie longue
ont pour avantages de réduire le nombre de prises, Stilnoxt) ont été introduits au cours des années
Témestat) ;
d’éviter les phénomènes de rebond entre les prises 1980. Ces produits semblent mieux tolérés, car ils
– les benzodiazépines à action courte (demi-vie
et de présenter moins de problèmes de sevrage. Elles respectent davantage l’architecture du sommeil.
inférieure à 10 heures), également utilisées comme
anxiolytiques ou hypnotiques (Xanaxt, Havlanet, ont pour inconvénients un risque d’accumulation et Le choix de l’hypnotique est fonction de ses
Noctamidet, Sérestat, Stilnoxt, Imovanet). un risque de somnolence diurne. caractéristiques pharmacocinétiques.
À l’inverse, les benzodiazépines à demi-vie courte ■ Les benzodiazépines à demi-vie courte sont
Contre-indications ont pour avantages de ne pas avoir de risque indiquées dans les insomnie d’endormissement ou
d’accumulation et de présenter moins de les insomnies occasionnelles ne nécessitant qu’une
Les seules contre-indications absolues aux
somnolence diurne. Leurs inconvénients sont une prise ponctuelle d’hypnotique.
benzodiazépines sont :
répétition du nombre de prises, un rebond ■ Les benzodiazépines à demi-vie intermédiaire
– la myasthénie, en raison de l’effet myorelaxant
d’insomnie et d’anxiété matinale lorsqu’elles sont ou longue sont indiquées dans les insomnies avec
de ces produits ;
utilisées à visée hypnotique, et un rebond d’anxiété rupture de la continuité du sommeil ou lors
– l’allergie aux benzodiazépines, qui est
entre les prises. d’insomnies prolongées.
exceptionnelle ;
La voie d’administration est habituellement orale. La dose doit être minimale. Si le traitement a duré
– l’insuffisance respiratoire grave, en raison de
La posologie est très variable d’un sujet à l’autre. plusieurs semaines, la posologie devra être réduite
l’effet dépresseur respiratoire central des
La règle est de toujours prescrire la dose minimale progressivement afin d’éviter un rebond d’insomnie
benzodiazépines ;
efficace. Le nombre de prises dépend de la demi-vie. lors d’un arrêt brutal.
– l’encéphalopathie hépatique.
La posologie doit être adaptée au patient (terrain,
Les contre-indications relatives sont :
âge, poids). Effets indésirables et accidents
– l’insuffisance respiratoire modérée. Les
La durée du traitement doit toujours être la plus La tolérance des benzodiazépines est en général
benzodiazépines peuvent être prescrites après
courte possible pour prévenir les risques de excellente par rapport aux autres psychotropes.
rééquilibration de la fonction respiratoire et sous
dépendance et de syndrome de sevrage à l’arrêt du
surveillance ; La sédation est l’effet secondaire le plus fréquent.
traitement.
– l’insuffisance hépatique et/ou rénale qui Il peut induire une impression de fatigue ou des
Le risque de syndrome de sevrage aux troubles de la vigilance. L’intensité de ces effets est
nécessite une réduction des doses et une
benzodiazépines peut être prévenu par différentes proportionnelle à la dose et peut être majorée par
surveillance en raison d’un risque d’accumulation et
précautions : des interactions médicamenteuses avec d’autres
de toxicité ;
– éviter les prescriptions longues ; médicaments sédatifs du système nerveux central.
– un âge avancé et/ou une pathologie
– éviter les fortes doses ; Cet effet disparaît avec le temps (par un phénomène
psycho-organique en raison d’un risque accru de
troubles de la vigilance, de troubles mnésiques et de – après un traitement prolongé, diminuer de tolérance). Les patients doivent être informés de
confusion ; progressivement la posologie. Il ne faut jamais cet effet et être appelés à la prudence en cas de
arrêter brutalement un traitement par conduite automobile ou dans des situations
– l’alcoolisme et la toxicomanie, car le risque de
benzodiazépines. nécessitant une vigilance intacte.
dépendance est accru ;
– la grossesse. Bien que la tératogenèse n’ait pas ¶ Prescription d’une benzodiazépine à visée Les troubles mnésiques existent pour tous les
été prouvée, la prescription doit être évitée pendant hypnotique produits de cette famille. Il s’agit d’amnésies
le 1er trimestre de grossesse. La prudence s’impose Cette prescription est à visée symptomatique et antérogrades partielles par trouble de l’encodage ou
en fin de grossesse à cause du risque d’hypotonie et doit rester très limitée dans le temps. du rappel. Ces troubles ne sont le plus souvent
de détresse respiratoire à la naissance ; La durée maximale d’un traitement hypnotique qu’infracliniques. Ils peuvent cependant devenir plus
– l’allaitement, car les benzodiazépines passent par benzodiazépines est fixée par la commission importants chez les sujets âgés ou en cas d’atteinte
dans le lait maternel. d’AMM à 4 semaines. organique cérébrale.
En effet, une prise au long cours favorise la Une confusion est rare et s’observe le plus
Règles de prescription d’un traitement chronicisation de l’insomnie en raison des effets souvent chez les personnes âgées ou atteintes d’une
benzodiazépinique antiphysiologiques de ces produits sur la structure du pathologie cérébrale organique.
¶ Prescription d’une benzodiazépine à visée sommeil (diminution du sommeil paradoxal et du Les effets paradoxaux sont les réactions de
anxiolytique sommeil lent profond). De plus, une durée de désinhibition, l’euphorie, les troubles du caractère et
L’indication doit être correctement posée. traitement réduite facilite le sevrage. les actes impulsifs ou agressifs.
Il ne s’agit pas de recourir aux benzodiazépines De nouveaux produits apparentés aux La dépendance est un problème majeur. L’arrêt du
face à toute anxiété situationnelle ou mineure. benzodiazépines par leur mode d’action (Imovanet, traitement peut provoquer différents phénomènes :

15
7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

– récurrences (réapparition de la symptomato- autres tranquillisants et barbituriques, les – divers : la buspirone (Buspart) est le seul
logie initiale) ; antihistaminiques, les antidépresseurs tricycliques, représentant d’une nouvelle classe chimique
– rebonds (réapparition de la symptomatologie les neuroleptiques sédatifs et l’alcool ; d’anxiolytiques, les azaspirodécadiones.
initiale, mais plus marquée qu’avant le début du – les taux plasmatiques des benzodiazépines Contrairement aux produits benzodiazépiniques, il
traitement) ; sont diminués par les carbamates (action inductrice n’agit pas au niveau des récepteurs GABA ; c’est un
– syndrome de sevrage (apparition de nouveaux enzymatique hépatique). agoniste partiel des récepteurs 5-HT1A.
symptômes tels que des troubles du sommeil, des
‚ Tranquillisants et hypnotiques Contre-indications
tremblements, voire une confusion ou des
non benzodiazépiniques
convulsions). Les carbamates et les barbituriques sont
Le syndrome de sevrage survient surtout lors de Produits contre-indiqués dans les porphyries.
traitements prolongés et à forte posologie. Le Les tranquillisants et hypnotiques non Le Buspart est contre-indiqué en cas d’antécédent
traitement préventif est une diminution progressive benzodiazépiniques forment un groupe hétérogène. allergique à la buspirone et en cas d’insuffisance
des doses à l’arrêt du traitement. Les différentes familles de ce groupe sont les hépatique et/ou rénale sévère.
suivantes :
Interactions médicamenteuses – les carbamates : le méprobamate (Équanilt) est Effets indésirables et accidents
Les interactions médicamenteuses avec les le chef de file de la famille des carbamates. Ces Les effets indésirables des carbamates sont
benzodiazépines sont limitées. Il s’agit le plus tranquillisants sont encore relativement prescrits comparables à ceux des benzodiazépines. Leur
souvent d’interactions avec l’alcool et les produits malgré un risque de toxicité cardiaque et de inconvénient majeur est leur potentiel d’induction
dépresseurs du système nerveux central. collapsus lors de surdosage ; enzymatique hépatique, responsable d’interactions
Les principales interactions médicamenteuses – les barbituriques qui ne sont quasiment plus médicamenteuses.
sont les suivantes : utilisés à visée anxiolytique ou hypnotique ; Les barbituriques utilisés comme hypnotiques
– l’absorption digestive des benzodiazépines est – les piperazines et les benzoxazines : ces deux induisent fréquemment une accoutumance, une
diminuée par les pansements gastriques ; classes médicamenteuses contiennent des produits pharmacodépendance et un syndrome de sevrage.
– l’effet sédatif et dépresseur du système nerveux peu utilisés ne constituant que des tranquillisants Inducteurs enzymatiques hépatiques, ils
central des benzodiazépines est potentialisé par les mineurs ; interagissent avec de nombreux médicaments.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78011 Versailles cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Moyens psychopharmacologiques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0130, 1998, 16 p

Références

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mandations et références médicales. 1996 C ed. Pratique de la lithiothérapie. Consensus et controverses. Paris : Doin, 1997 :
37-45
[2] Gay CH, Olié JP. Traitements prophylactiques des troubles bipolaires chez
l’adulte. Neuro-psy 1995 : 27-31 [6] Senon JL, Sechter D, Richard D. Mémento de thérapeutique psychiatrique.
Paris : Hermann, 1996
[3] Goodwin F, Jamison KR. Manic-depressive illness. New York : Oxford Uni-
versity Press, 1990 [7] Zarifian E, Loo H. Les antidépresseurs. Aspects biologiques, cliniques et thé-
rapeutiques. Roche Ed Printel, 1982
[4] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiques
en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

16
7-0140
7-0140

Psychothérapies
Encyclopédie Pratique de Médecine

C Passerieux

E n opposition aux thérapeutiques symptomatiques comme la psychothérapie de soutien ou les thérapies


cognitives et comportementales, le but essentiel du traitement psychanalytique est d’obtenir un changement
de la personnalité du patient en rendant conscient ce qui est inconscient.
© Elsevier, Paris.


reconstructives. Les autres méthodes psychothérapi- patient envers son thérapeute et qu’il soit difficile d’y
Introduction ques visent généralement à la disparition des mettre un terme. C’est dire que malgré l’aspect
symptômes, à la modification d’attitudes rigides et pragmatique de ce type de prise en charge, une
inadaptées, par une action plus superficielle sur la formation ou une supervision de cas dans des groupes
structure de la personnalité ; parmi elles, les thérapies de type groupe Balint est nécessaire (cette modalité de
Les psychothérapies sont des méthodes de
cognitives et comportementales constituent le groupe travail proposée par Balint dans les années 1960
traitement psychologique se fondant sur la
le plus important. consiste à discuter, en groupe et sous la supervision
communication avec un thérapeute, formé à la
d’un analyste, de cas de patients suivis et en se
technique de psychothérapie qu’il pratique et le plus
centrant sur la relation médecin-malade).


souvent psychiatre ou psychologue. Il existe de très
nombreuses méthodes de psychothérapies (on peut Psychothérapies individuelles ‚ Psychothérapies cognitives
en dénombrer jusqu’à plusieurs centaines), nous (tableau I) et comportementales
présenterons les plus importantes. Le généraliste est
souvent confronté au choix d’une thérapie adaptée à ‚ Psychothérapies de soutien Principes généraux
son patient. L’indication dépend des attentes de ce Ce sont les psychothérapies les plus couramment Il s’agit de méthodes thérapeutiques directement
dernier, des buts qu’il souhaite atteindre, des moyens pratiquées. Elles sont en principe utilisées lors de tout centrées sur les symptômes ou comportements
qu’il est prêt à engager, de sa structure psychologique traitement psychiatrique, en dehors des cas où une inadaptés et reposant sur les principes du
et de ses symptômes. Au-delà de ces principes, la autre forme de psychothérapie est entreprise, mais conditionnement des théories de l’apprentissage.
réussite d’une psychothérapie dépend essentiellement sont également indiquées dans les pathologies Selon ces théories, les comportements et en particulier
de deux facteurs : somatiques au cours desquelles un soutien les comportements pathologiques seraient des
– la qualité du thérapeute et sa maîtrise de la psychologique est nécessaire (en particulier les comportements appris qui peuvent donc être
technique pratiquée ; affections chroniques ou graves). désappris ; leur caractère stable et permanent
– la qualité de la relation qui s’établit entre le Les psychothérapies de soutien visent à obtenir une résulterait de renforcements par le milieu (par
thérapeute et le patient. amélioration des symptômes ou un assouplissement exemple, éviter d’affronter une situation renforce la
d’attitudes rigides, souvent en association avec crainte initiale du caractère dangereux de cette
situation). Les thérapies comportementales proposent


d’autres moyens thérapeutiques (médicaments
psychotropes). L’action psychologique s’effectue par de modifier le registre des comportements des
Généralités renforcement des défenses psychologiques matures et individus en faisant disparaître les comportements
adaptées du patient et sans rechercher de anormaux (et par là même leur renforcement) et en
remaniement en profondeur de la personnalité. La permettant l’acquisition de comportements nouveaux.
De nombreuses interactions entre individus méthode employée est variable selon le thérapeute : il L’acquisition de ces nouveaux comportements
(conseils d’amis, identification à un personnage positif s’agit avant tout d’établir une relation ouverte et adaptés est initialement renforcée par le thérapeute ou
de son environnement), de nombreuses activités chaleureuse avec le patient, fondée sur la tolérance et par l’entourage du patient puis par le patient lui-même.
(corporelles ou sportives, artistiques) peuvent avoir l’empathie (le thérapeute s’interroge sur ce qu’éprouve Le développement de nouveaux comportements
une action psychologique. Elles ne constituent pas son patient). Les interventions du thérapeute sont stables, l’acquisition d’une compréhension des
pour autant des psychothérapies. On réserve ce terme actives : conseils (dont l’usage doit rester prudent et situations occasionnant les difficultés et d’un
à des traitements psychologiques réalisés dans le nuancé sous peine d’infantiliser excessivement le autocontrôle permettent au sujet de changer son
cadre d’une relation professionnelle par un patient), encouragements et valorisation d’attitudes image de lui-même et de son entourage (par exemple,
psychothérapeute formé à une technique psychothé- positives, suggestion et persuasion, aide à la par la disparition de sa dépendance), d’acquérir une
rapique et ayant un but thérapeutique de suppression verbalisation des sentiments. meilleure autonomie et un élargissement de ses
de symptômes, de modification de comportements Les entretiens peuvent également viser à informer, compétences.
inadaptés ou qui favorise un développement voire à éduquer le patient au trouble auquel il est Les thérapies cognitives ont des objectifs
harmonieux de la personnalité. confronté afin de renforcer l’alliance thérapeutique comparables tout en portant sur les actions
Parmi les psychothérapies, certaines s’adressent à avec le psychiatre ou le médecin. Le psychothérapeute particulières que sont les pensées. Il s’agit alors de
un individu (les psychothérapies individuelles) et peut, s’il le juge nécessaire, intervenir sur décrire les modes de pensées inadaptés et rigides et de
d’autres sont destinées à des groupes : le plus souvent l’environnement du patient : rencontrer ses proches, leur substituer des modes de pensées adaptés et plus
groupe de patients ou groupe familial (couple, mère- contacter son milieu professionnel. Il n’existe pas de souples.
enfant, famille). La seconde grande ligne de partage règles strictes quant à la fréquence des séances (qui Ces thérapies sont donc strictement focalisées sur
© Elsevier, Paris

entre les différentes psychothérapies est celle de la doivent être suffisamment rapprochées lors de crises les symptômes comportementaux sans prendre en
théorie freudienne : celles qui s’en inspirent visent à aiguës : une à deux fois par semaine) et quand à la compte leurs déterminants psychologiques éventuels.
une reconstruction de la personnalité à travers un durée de la prise en charge. Cependant le risque de Aucun changement structural de la personnalité n’est
processus d’accès à la conscience de conflits cette forme de thérapie « confortable » pour le patient visé même si, à terme, des effets bénéfiques sur celle-ci
inconscients ; ces thérapies sont également appelées est qu’elle ne débouche sur une dépendance du sont envisageables.

1
7-0140 - Psychothérapies

Tableau I. – Principales caractéristiques des grands types de psychothérapies individuelles.

Types de psychothérapie Modalités Buts à moyen et long terme Principales indications


Psychothérapie de soutien Entretiens de durée et de rythme variable Réduire les symptômes en renforçant la Toutes les prises en charges psychiatriques
partie saine de la personnalité dans lesquelles une autre forme de psycho-
thérapie n’est pas indiquée
Instauration d’une relation chaleureuse Renforcer l’alliance thérapeutique Les états réactionnels d’intensité modérée
Interventions actives du thérapeute : Limiter les conséquences du trouble sur les Les pathologies somatiques nécessitant un
conseils, suggestion et persuasion, aide à la relations familiales, sociales et soutien psychologique
formulation des sentiments professionnelles
Actions auprès de l’entourage
Association fréquente avec des
psychotropes
Remboursement partiel possible par la SS
Psychanalyse : cure type 3 à 4 séances par semaine de 45 à Prise de conscience des besoins, affects et Sujet normal
50 minutes scénarii refoulés dans l’inconscient
Neutralité bienveillante de l’analyste Modification de la personnalité dans le Troubles de la personnalité de type
sens d’une plus grande souplesse et de névrotique
meilleures capacités d’adaptation
Règle de l’association libre Progrès dans ses capacités de réalisation Nécessité d’une bonne capacité d’introspec-
tion, d’une certaine capacité à tolérer la frus-
Travail sur le transfert et les interprétations tration, d’un bon niveau intellectuel et d’une
Financement intégral par le sujet forte motivation

Psychothérapies d’inspiration 1 à 2 séances par semaine de 1/2 heure à Reconstruction de la personnalité grâce à Indications beaucoup plus larges justifiant
psychanalytique 3/4 heure la prise de conscience des besoins, affects divers aménagements techniques.
et scénarii refoulés dans l’inconscient
Règle de l’association libre Troubles de la personnalité, états limites,
Attitude plus active du thérapeute dont les Conduites addictives et troubles des condui-
interventions sont variées : suggestion, en- tes alimentaires
couragement à élaborer, clarification, inter- Disparition des symptômes et des attitudes
prétation, travail sur le transfert rigides et inadaptées
Possibilité de prescription médicamenteuse Troubles névrotiques à symtomatologie mo-
associée, le plus souvent délivrée par un dérée
autre praticien (double prise en charge)
Remboursement partiel possible par la SS Troubles psychotiques si analyste formé à ce
type de patients
Psychothérapie non directive de Reformulation des sentiments dans les ex- Acceptation de ses expériences, augmenta- En principe les mêmes que dans les psycho-
Rogers périences vécues anciennes et nouvelles tion de la souplesse des réponses psycholo- thérapies d’inspiration psychanalytique :
giques, développement du jugement person- troubles névrotiques, troubles de la personna-
nel, ouverture à la réalité lité, conduites addictives.
Exploration de soi Cette forme de thérapie est davantage prati-
quée dans les pays anglo-saxons
Écoute chaleureuse et non directive par le
thérapeute
Thérapies comportementales Une à deux séances par semaine de 3/4 Développement de capacités d’autocontrôle Principalement les troubles anxieux, les trou-
d’heure à 3 heures et d’autosuggestion bles obsessionnels compulsifs
Programmes de soin de 10 à 30 séances Réduction ou disparition des comporte- D’autres indications sont possibles : troubles
ments pathologiques des conduites alimentaires, alcoolisme, états
Analyse fonctionnelle des comportements Affırmation de soi du patient, modification déficitaires schizophréniques, certains trou-
anormaux cibles de la thérapie : liens avec de son image de lui-même et de ses rela- bles sexuels
l’environnement, les émotions et les pen- tions à autrui
sées du patient
Programme de soins utilisant les techni-
ques spécifiques adaptées aux symptômes
Fréquente association à un traitement chi-
miothérapique
Thérapies cognitives Elles sont en général couplées à une appro- Modification des systèmes de pensées et de Principalement : états dépressifs d’intensité
che comportementale croyance rigides légère à modérée
Analyse des systèmes de pensées sous- Certains troubles obsessionnels compulsifs
tendant des attitudes pathologiques et
rigides
Fréquente association à un traitement
chimiothérapique
Relaxation et approches Une à deux séances par semaine, indivi- Réduction du niveau global d’anxiété Troubles anxieux avec expression somatique
corporelles duelle ou en groupe d’angoisse
Exercices de concentration sur les sensa- Contrôle des manifestations physiques dans Pathologies somatiques : maladie asthmati-
tions corporelles visant à l’obtention d’un des situations stressantes ou anxiogènes que, prévention de récidives d’infarctus du
état de détente myocarde
Hypnose Induction d’un état de dissolution de la Disparition des symptômes ou des compor- Symptôme de conversion hystérique
conscience tements pathologiques cibles
Suggestion de modification de comporte- États anxieux et névrotiques peu sévères
ments ou de symptômes Dépendance au tabac, aux psychotropes
Douleurs chroniques

2
Psychothérapies - 7-0140

Modalités ces rituels sont des comportements extériorisés


Ce sont en général des thérapies brèves, d’une
Déroulement d’une thérapie cognitive comme des rituels de vérification ou de lavage, les
et comportementale. techniques comportementales sont particulièrement
vingtaine de séances (en général de 10 à 30 selon les
✔ Qu’est-ce que le patient désire indiquées.
indications) au rythme de une à deux par semaine.
Comme dans toute thérapie, une alliance changer ? définition des objectifs L’exposition in vivo consiste comme dans les
thérapeutique est nécessaire, ce d’autant que le patient troubles phobiques à exposer le patient de façon
thérapeutiques et du contrat de soins.
graduée aux objets et aux situations qui l’angoissent.
doit jouer un rôle très actif, en particulier en dehors des ✔ Quels sont les liens entre les Par exemple, lorsque l’obsession porte sur la crainte de
séances. Toutes les thérapies comportementales et comportements cibles du traitement la souillure, le patient doit de séance en séance,
cognitives se déroulent selon la même logique.
et l’environnement, les pensées et les toucher des objets de plus en plus « sales » jusqu’à
Le premier temps est celui du contrat de soin : il
émotions du patient ? c’est l’analyse ramasser un objet par terre. La séance doit durer au
s’agit de définir les symptômes et comportements
fonctionnelle qui permet d’établir le moins 45 minutes pour que le sujet ait amorcé la
gênants dont le patient souhaite la disparition. Puis le
programme thérapeutique. redescente de sa courbe d’anxiété.
psychothérapeute procède à l’analyse fonctionnelle.
✔ Déroulement de ce programme de Une prévention de la réponse ritualisée est
Les comportements gênants, cibles de la thérapie, sont
associée, ainsi le patient doit résister à son besoin de
précisément décrits ainsi que la relation fonctionnelle soins avec applications de techniques
ritualiser, avec l’encouragement de son thérapeute. Cet
entre ces comportements et l’environnement. Cette spécifiques en fonction des apprentissage est prolongé par des tâches de
analyse comportementale détaillée est nécessaire afin comportement cibles. généralisation à effectuer à domicile. Autogérées par le
d’établir le programme de soins et de servir
✔ Développement des capacités patient, elles sont rediscutées à chaque séance. Le
ultérieurement de ligne de base pour permettre de
mesurer l’évolution. Les différents stimuli extérieurs
d’autocontrôle et d’autosuggestion. patient apprend ainsi à réduire ses rituels dans sa vie
déclenchant l’anxiété (lieux ou situations dans un ✔ Évaluation des résultats. quotidienne, à y résister, voire à les supprimer
complètement.
trouble agoraphobique, toucher un objet supposé sale
dans un trouble obsessionnel compulsif) et les pensées respiration) et le soutien du thérapeute ou de Troubles obsessionnels compulsifs avec
ou images perturbantes sont recensés ainsi que leur personnes de l’entourage du patient, a pour objectif de prédominance d’obsessions
retentissement émotionnel. Les comportements mis faire disparaître la réponse émotionnelle. Pour être Des techniques cognitives visent à modifier les
en place pour réduire l’anxiété (évitement, objets efficace, l’exposition doit se faire in vivo mais peut être systèmes de croyance sous-tendant les obsessions.
contraphobiques, rituels) sont également notés : leur précédée par une exposition en imagination. Les techniques comportementales sont en effet
type, leur fréquence, leur durée, leur degré Différentes variantes de cette technique ont été mises moins pertinentes puisque le patient ne présente pas
d’interférence avec les activités quotidiennes. Cette au point. La désensibilisation systématique consiste, de rituels extériorisés. Certaines peuvent cependant
analyse est complétée par l’évaluation du après apprentissage d’une méthode de relaxation, à être utilisées avec profit. La technique d’arrêt de la
fonctionnement familial, social et professionnel du une exposition par imagination, le thérapeute pensée consiste à intérioriser un « stop », initialement
patient. On recherche en particulier l’existence suggérant des situations de plus en plus anxiogènes énoncé par le thérapeute, lorsque les idées obsédantes
d’attitudes de l’entourage renforçant la pathologie du jusqu’à l’arrêt par le patient. Entre les séances, le font irruption pour arrêter leur déroulement. La
patient. patient doit se confronter en réalité aux situations technique d’implosion ou flooding consiste à
désensibilisées en séances. La même technique peut confronter le sujet en imagination à des situations
Le deuxième temps consiste à quantifier les
être réalisée in vivo : le thérapeute peut alors anxiogènes à leur niveau maximal jusqu’à ce que
objectifs thérapeutiques que le thérapeute et le patient
accompagner le patient ou le précéder, tout en l’angoisse s’éteigne ; les séances doivent durer au
se proposent d’atteindre : le programme de soin est
l’incitant rapidement à l’autonomie. Cependant, les
alors établi. Il est progressif, partant des objectifs moins 45 minutes pour que le processus d’habituation
méthodes les plus rapides (exposition in vivo avec
supposés les plus faciles à atteindre jusqu’aux plus se mette en place. Le sujet doit également effectuer
l’aide du thérapeute) semblent à terme moins efficace
difficiles. Les différentes étapes et le délai de leur des séances quotidiennes à domicile. Une technique
que l’exposition progressive, gérée par le patient lui-
réalisation sont précisés. Le patient doit durant la plus progressive consiste à utiliser des enregistrements
même et réalisée avec l’aide de personnes de son
période du traitement effectuer des exercices en des obsessions qui sont présentées de façon répétitive
entourage.
dehors des séances, reproduisant ainsi seul ce qu’il au cours des séances puis au domicile du patient afin
aura acquis avec son thérapeute. Ce programme Phobies sociales d’obtenir une habituation.
thérapeutique en passe par l’application de techniques Les techniques de communication et de jeu de rôle Les thérapies cognitives proposent d’analyser le
spécifiques différentes selon le type de comportement visent à une restructuration des croyances sous- mode de pensée qui sous-tend les idées obsédantes et
cible à savoir une désensibilisation systématique, une tendant les peurs et à l’exposition à des situations les rituels : en deçà de l’idée obsédante vécue comme
affirmation de soi, etc. d’interaction sociale. répugnante, honteuse et étrangère au sujet ( proférer
Durant le traitement, de nombreuses évaluations Des techniques d’affirmation de soi proposent des obscénités ou tuer son propre enfant), il existerait
sont pratiquées afin de permettre au patient de l’analyse du système de croyances du sujet lors des une série de postulats, par exemple, « je dois rester
mesurer les changements réalisés, d’apprendre à situations sociales qu’il redoute, par exemple, « je vais constamment vigilant par rapport aux dangers que je
s’observer lui-même et par là même à s’autosugges- paraître ridicule et tout le monde va me regarder, je peux provoquer et dont je serais totalement
tionner (par exemple, en valorisant les progrès n’ai pas le droit de paraître ridicule » et le responsable ». Les rituels automatiques ont pour
développement de pensées tournées vers fonction de neutraliser ces schémas de danger.
réalisés). Enfin à l’issue du traitement, une évaluation
l’affrontement des situations plutôt que leur évitement. L’analyse de ces pensées (isoler et discuter les postulats
globale reprenant les points notés lors de l’évaluation
Des techniques de jeu de rôle permettent par la de danger, réattribuer les responsabilités, discuter la
initiale est réalisée afin de vérifier que le contrat de
répétition d’acquérir une meilleur maîtrise des chaîne des catastrophes que le patient imagine)
soin est rempli ou éventuellement de conseiller un
interactions sociales posant problème au sujet. Les permet leur remplacement progressif par des
autre traitement si les objectifs n’ont pas été atteints.
situations jouées par le patient suivent un gradient de croyances plus rationnelles.
difficulté croissante. Le thérapeute peut jouer lui-même
¶ Techniques des thérapies comportementales Troubles dépressifs d’intensité modérée
en fonction des comportement cibles le rôle, servant ainsi de modèle au patient. Là encore,
L’approche cognitive vise à modifier les croyances
le passage à l’exposition en situation réelle est l’étape
négatives du sujet sur lui-même et sur le monde.
Troubles phobiques déterminante.
Les sujets déprimés présentent des ruminations
Les méthodes d’exposition visent à la disparition Troubles obsessionnels compulsifs avec mentales pessimistes et autodépréciatrices « je n’y
des conduites d’évitement par habituation (extinction) compulsions ritualisées arriverai jamais », « je ne suis pas quelqu’un
des réponses émotionnelles. Les techniques d’exposition in vivo et de prévention d’intéressant », qui sous-tendent leur position de repli
L’exposition aux objets ou situations qui angoissent de la réponse ritualisée visent à réduire la réponse social et les conduisent à une solitude qui vient
le patient se déroule de façon graduée. Cette anxieuse et les rituels. confirmer leurs postulats de départ. En cas d’échec, un
exposition répétée et suffisamment prolongée, avec Chez ces patients, les obsessions idéatives induisent sujet déprimé a tendance à s’attribuer la totalité de la
l’aide éventuelle de techniques de contrôle des un état d’anxiété que le sujet cherche à réduire par la responsabilité de l’échec, à considérer que cet échec
réactions émotionnelles (relaxation, contrôle de la mise en place de compulsions ou de rituels. Lorsque est définitif et qu’il s’étendra aux autres domaines de

3
7-0140 - Psychothérapies

son existence, inférences et généralisations que ne fait de la maladie maniacodépressive), soit à la répétition. Ainsi, le patient va pouvoir opérer une
pas le sujet normal. La thérapie cognitive vise à la prise personnalité du patient (incapacité à définir des buts différenciation entre le passé et le présent et se
de conscience par le sujet de ses pensées thérapeutiques précis ou motivation insuffisante). dégager de la répétition de ses conflits infantiles.
automatiques et à la modification de ses processus de Enfin, l’efficacité de cette approche tient, comme tout Lors du développement des applications de la
jugement (inférences arbitraires, généralisations abord psychothérapique, à la qualité et à la formation psychanalyse, un certain nombre de patients
abusives, mauvaise évaluation des événements...). du thérapeute. Selon les critères de l’Association psychiatriques se sont avérés inaptes à cette approche.
européenne de thérapie comportementale et En particulier, la régression vers des positions infantiles
Formes déficitaires de schizophrénie
cognitive, une année d’enseignement théorique et qu’impose la cure type a pu s’avérer dangereuse pour
L’approche cognitive et comportementale vise à deux années de supervision de cas sont nécessaires à certains patients qui perdaient alors le sens des limites
lutter contre l’apragmatisme et l’inadaptation sociale la formation d’un thérapeute (et à l’obtention d’un entre fantasmes et réalité. Divers aménagements
des patients. diplôme universitaire). techniques ont été proposés par les psychanalystes en
La méthode institutionnelle d’« économie de fonction de l’âge et de la pathologie : il s’agit alors de
jetons » fonctionne sur la règle simple de paiement de ‚ Psychanalyse et psychothérapies psychothérapies d’inspiration psychanalytique. Le
jetons avec lesquels le patient peut acquérir cigarettes d’inspiration psychanalytique. cadre théorique freudien et l’utilisation du transfert
ou avantages en nature non fournis par l’institution en restent les éléments communs à ces différentes
Principes généraux
échange de la réalisation de comportements que l’on approches.
souhaite développer : avoir une hygiène correcte, Le but essentiel du traitement psychanalytique est Plus récemment, en réaction au caractère
participer aux tâches de la vie en commun, etc. Cette de rendre conscient ce qui est inconscient. En intemporel de la cure psychanalytique (qui dure
méthode a pour but de renforcer la motivation de opposition aux thérapeutiques symptomatiques plusieurs années, voire davantage) et sans doute sous
certains patients très déficitaires. comme la psychothérapie de soutien ou les thérapies l’influence de facteurs socio-économiques de
Les patients schizophrènes présentent une perte de cognitives et comportementales, c’est une méthode recherche d’efficacité à un moindre coût, des
savoir-faire dans le domaine de la communication et qui vise à une action en profondeur afin d’obtenir un psychothérapies psychanalytiques brèves ont été
des relations sociales, qui contribue largement à leur changement de la personnalité du patient. Il s’agit proposées. Diverses recherches ont en effet montré
d’ouvrir de nouvelles voies, d’élargir le champ des que les progrès les plus significatifs lors d’une
évolution vers l’isolement et l’apragmatisme. La
représentations du sujet (ce qu’il se représente de lui, psychothérapie survenaient lors des premiers mois de
méthode d’entraînement aux habiletés sociales par jeu
de ses affects, de ses relations à autrui). La guérison des traitement. Ces thérapies brèves sont focalisées sur
de rôle et apprentissage par imitation de modèle
symptômes et le mieux-être sont des conséquences une problématique particulière du patient et
propose d’aider les patients à mieux gérer leur
indirectes de ce travail. nécessitent une position plus active de l’analyste qui
interactions sociales.
Les bases théoriques de la psychanalyse ont été va opérer une sélection pour ne s’intéresser qu’à ce qui
Indications données par Freud : il s’agit d’une méthode a trait à cette problématique.
d’exploration de l’inconscient qui postule que certains
Les thérapies cognitives et comportementales sont comportements, certains symptômes (les symptômes Modalités
souvent associées à un traitement psychotrope dont névrotiques en particulier), les rêves, les actes Psychothérapie d’inspiration psychanalytique et
elles complètent les effets : par exemple, dans le manqués ont un sens caché. Ils sont l’expression de cure type sont pratiquées par des psychanalystes, non
trouble agoraphobique avec attaque de panique, le conflits intrapsychiques inconscients constitués durant nécessairement médecins, qui ont acquis une
traitement médicamenteux permet de prévenir la la vie du sujet et surtout lors de ses premières années. formation approfondie sur un plan théorique et
survenue des attaques de panique mais l’approche Les individus auraient tendance à répéter tout au long personnel (sous la forme d’une analyse personnelle) et
comportementale est nécessaire pour aider le sujet à de leur vie un certain nombre de scénarii inconscients qui sont en général affiliés à une école de
affronter les situations qu’il évite. La stratégie et inadaptés, source de satisfaction mais également de psychanalyse.
« médicament et psychothérapie » est donc supérieure tension et d’angoisse. Les différences entre la cure type et les
à l’un des traitements isolément. D’autre part, Lors d’une psychanalyse, le sujet est amené à se psychothérapies tiennent à des différences dans les
l’approche cognitive et comportementale pourrait, remémorer et à revivre ces scénarii inconscients. Pour modalités techniques :
dans certains cas, permettre de réduire la posologie du ce faire, il est invité à exprimer librement au – trois à quatre séances par semaine pour une cure
traitement médicamenteux et surtout la durée de psychanalyste tout ce qu’il pense ou ressent, sans se type, deux ou le plus souvent une séance par semaine
prescription : ce serait par exemple le cas pour les focaliser sur l’exactitude ou la logique : c’est la règle de pour une psychothérapie ;
troubles anxieux et pour les troubles obsessionnels l’association libre. Bien sûr apparaissent au cours de la – classique position allongée, le dos tourné à
compulsifs. cure des obstacles à une réelle liberté d’association, l’analyste pour la cure type et face à face pour une
Les indications préférentielles des thérapies censure volontaire ou non, résistance du sujet à psychothérapie ;
cognitives et comportementales sont les troubles l’expression de ses conflits inconscients. En effet, ces – financement intégral par le patient de sa
anxieux et névrotiques : conflits sont activement maintenus dans l’inconscient psychanalyse, prise en charge partielle par la Sécurité
– les troubles phobiques : agoraphobie, phobies par des forces psychologiques (le refoulement) que sociale possible dans certains cas pour une
sociales, phobies simples ; l’analyste s’efforcera de mettre à jour, d’expliciter et psychothérapie ;
– les troubles obsessionnels compulsifs ; d’interpréter. – fréquente association à un traitement
– les troubles anxieux : trouble d’anxiété D’autre part, au cours de la cure, le sujet va établir médicamenteux dans les psychothérapies
généralisée et trouble panique ; avec son analyste des liens affectifs particuliers et d’inspiration psychanalytique. Ce traitement est alors
– les états dépressifs d’intensité légère. intenses. Il va en effet avoir tendance à transposer sur souvent dispensé par un autre praticien, dans le cadre
la personne de son analyste les sentiments encore d’une double prise en charge. Cette précaution vise à
Des techniques ont également été développées
vivants en lui qu’il a éprouvé durant son enfance à limiter les manipulations que le patient pourrait faire
pour la prise en charge de nombreux autres troubles :
l’égard des personnages importants de celle-ci (et bien avec son traitement mais également à ne pas confiner
– certains troubles des conduites alimentaires et
sûr, avant tout, ses parents ou ceux qui en ont fait le psychothérapeute dans un rôle médical (rôle de
certaines conduites alcooliques ;
office) : c’est ce qu’on appelle le transfert. C’est ainsi « bonne mère » réparatrice) afin de ne pas influencer et
– les états déficitaires schizophréniques ; que les modes de relation que le sujet établit dans le limiter le transfert ;
– certains troubles sexuels. présent en reproduisant d’importants aspects de son – durée de plusieurs années pour une psychana-
En médecine, l’approche comportementale a passé vont s’inscrire dans sa relation à l’analyste et lyse, rarement au-delà de 3 ans pour une
abordé avec succès certaines pathologies vont pouvoir être examinés en profondeur. À travers psychothérapie.
psychosomatiques comme la prévention des rechutes le transfert, le patient manifeste ce qu’il a vécu dans le Au-delà de ces différences techniques, la position et
de maladies cardiovasculaires (par apprentissage de la passé et comment ces expériences restent encore les interventions du psychanalyste diffèrent également :
gestion du stress et de l’agressivité). vivantes en lui. Le rôle du psychanalyste va être de plus actif dans une psychothérapie, le psychanalyste
Alors que les indications des thérapies cognitives et permettre au sujet de prendre conscience et de se aura plus volontiers recours à des attitudes de
comportementales vont s’élargissant, certaines contre- dégager de cette répétition : il peut par exemple suggestion et de soutien même si ses interventions
indications demeurent, liées soit à la pathologie verbaliser au sujet ce qu’il est en train de répéter (c’est visent également, comme dans la cure type, à favoriser
(schizophrénie en période productive, délire une interprétation) ou prendre une position différente l’élaboration des conflits internes, à clarifier et à
paranoïaque, épisodes maniaques ou mélancoliques de celle que le sujet lui assigne dans son processus de interpréter les attitudes du patient. Le transfert sera utilisé

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Psychothérapies - 7-0140

mais moins souvent verbalisé et interprété dans une transparaissant dans les mythes, les grands courants Hypnose
psychothérapie que dans la cure type et la régression du philosophiques et les religions. L’analyse de la
Il s’agit d’une technique particulière de suggestion.
patient sera contrôlée et limitée. symbolique des rêves est l’une des techniques
Dans un premier temps, le thérapeute induit chez son
privilégiées. Cette méthode implique une position
patient un état de dissolution de la conscience dans
Indications active du thérapeute et le transfert n’est pas analysé.
lequel le sujet perd conscience du monde extérieur :
L’indication d’une cure type ou d’une psychothéra- Psychothérapie non directive de Rogers l’état hypnoïde. Lorsque cet état est suffisamment
pie doit être posée par un analyste, après un ou solide, le sujet devient très sensible aux suggestions de
Il s’agit d’une méthode développée par Rogers à
plusieurs entretiens d’évaluation. Quelques grands l’hypnotiseur. Cette suggestion peut alors être utilisée à
partir de 1951, fondée sur l’idée que tout patient est
principes généraux peuvent être cependant proposés. des fins thérapeutiques pour faire disparaître des
doté de forces innées favorisant sa croissance et ses
Une cure type n’est indiquée que dans un nombre potentialités. Le thérapeute, par sa sollicitude et son symptômes ou des comportements anormaux, les
limité de cas : elle nécessite en effet un fonctionne- empathie, doit aider le patient à concilier l’image qu’il a effets de la suggestion persistant après le « réveil » du
ment psychologique suffisamment souple, pouvant de lui et son image idéale. Le travail psychothérapique patient.
tolérer la frustration qu’impose cette démarche, sans est centré sur l’expression des émotions plus que sur L’indication la plus classique est le symptôme de
tendance importante au passage à l’acte et avec des l’élaboration intellectuelle et sur l’ici et maintenant plus conversion hystérique. L’hypnose a également pu être
limites du Moi suffisamment solides pour bien tolérer que sur les expériences passées. proposée dans des troubles anxieux ou névrotiques
la régression et le transfert au cours de la cure. De peu symptomatiques, dans certaines dépendances
telles capacités sont rencontrées dans les Psychothérapies existentielles toxicomaniaques, certains troubles sexuels, comme
personnalités névrotiques (c’est-à-dire banales, voire Apparues dans les années 1950 dans la lignée de appoint dans le traitement de douleurs chroniques.
normales). Cependant, une tendance excessive à la l’analyse phénoménologique de Biswanger, elles Les états psychotiques et les troubles graves de la
régression (comme dans certaines personnalités proposent d’aider le patient à infléchir son destin en personnalité sont une contre-indication absolue.
hystériques) ou à une intellectualisation excessive sans l’affrontant. Le travail porte sur le moment présent et
engagement affectif (comme dans certaines sur l’analyse de l’expérience vécue. Principes généraux utiles à la pratique
personnalités obsessionnelles) peuvent constituer des des psychothérapiques
obstacles au bon déroulement d’une analyse. D’autre Rêve éveillé de Robert Desoille
part, une cure type nécessite une forte motivation, un Cette méthode a pour objectif l’exploration de la vie
goût ou un engagement personnel pour ce type de affective du patient à partir de rêves éveillés qui ✔ Les prérequis pour la pratique
démarche, des moyens financiers et des aptitudes mobilisent les émotions, proposés par le thérapeute et
intellectuelles suffisants. Les troubles limites de la
d’une psychothérapie
que le patient poursuit en se laissant aller. Dans un
personnalité, les troubles névrotiques sévères, les second temps, les images du rêve sont interprétées avec La pratique d’une psychothérapie
troubles schizophréniques ou délirants chroniques, les le thérapeute selon des règles de symbolique des rêves. nécessite une formation à cette
états dépressifs d’intensité sévère, les états maniaques technique. À titre d’exemple : selon les
ou les états mélancoliques de la maladie maniacodé- Thérapie d’Adler
critères de l’Association européenne
pressive sont des contre-indications à la psychanalyse. Selon Adler, les conflits humains sont avant tout de thérapie comportementale et
Les indications des psychothérapies d’inspiration d’origine sociale. Cette méthode ne fait donc que très cognitive, une année d’enseignement
psychanalytique sont en revanche beaucoup plus peu appel à la notion d’inconscient. Sa technique est
et deux années de supervision de cas
larges : elles peuvent être proposées dans le cas de une action rééducatrice et stimulante qui vise à
l’affirmation de la personnalité.
sont nécessaires à la formation d’un
troubles de la personnalité constituant une contre-
thérapeute ; une cure psychanalytique
indication à la psychanalyse : personnalités
Méthodes corporelles et la relaxation personnelle est nécessaire à la
névrotiques fragiles ou états limites. Elles sont
particulièrement indiquées lorsque des difficultés Elles visent par des exercices de concentration sur pratique d’une psychanalyse, voire
relationnelles permanentes amènent à des situations différentes parties du corps à l’obtention d’un état de d’une psychothérapie psychanalytique
d’échec ou semblent constituer des facteurs d’entretien détente et de relâchement physique. Cet apprentissage structurée.
de troubles névrotiques, anxieux ou dépressifs. Il est doit permettre d’obtenir une réduction du niveau global
préférable en cas de trouble psychiatrique actuel (par d’anxiété et un contrôle des réactions physiques
d’angoisse dans des situations stressantes ou anxiogènes.
exemple un état dépressif) d’attendre la résolution de
Leur indications sont larges mais concernent
✔ Indications et choix d’une
l’épisode qui doit être traité sur un plan médical avant technique psychothérapique
de proposer une psychothérapie d’inspiration particulièrement les troubles à expressions somatiques et
avant tout les états anxieux (trouble anxieux généralisé, Les indications d’une psychothérapie
psychanalytique. Il existe deux raisons à ce délai :
troubles phobiques, trouble panique). Elles sont également ne se résument pas à l’existence d’une
d’une part, une dépression entraîne une sidération
utilisées dans la préparation à l’accouchement, certaines souffrance psychologique chez un
psychique qui entraverait le travail psychothérapique,
pathologies somatiques comme l’asthme, la prévention patient mais imposent de tenir compte
d’autre part, si la motivation du sujet est
des accidents cardiovasculaires, etc. De très nombreuses
essentiellement liée au vécu douloureux de la de la capacité du sujet de profiter de
techniques sont proposées, nous n’en citerons que
dépression, aux sentiments d’échec et à la remise en ce moyen thérapeutique, capacité qui
quelques-unes.
cause qui l’accompagnent, une interruption rapide de tient plus à l’individu qu’aux
■ Méthode de Jackobson : le sujet allongé sur le
la psychothérapie est prévisible dès que l’épisode aura symptômes qu’il présente.
dos est invité à contracter puis décontracter
été résolu. Le choix de la technique
successivement les différents groupes musculaire en se
Enfin, des psychothérapies d’inspiration psychanalyti- concentrant sur les sensations corporelles de cet état psychothérapique qui sera bénéfique
que ont été proposées dans le cas de patients de décontraction. au patient nécessite une bonne
psychotiques. Il s’agit d’une approche particulièrement ■ Training autogène de Schultz : il propose le connaissance des différentes
délicate qui ne peut être pratiquée que par des développement de capacités d’autohypnose et de
thérapeutes formés à ce type de prise en charge.
techniques psychothérapiques.
déconnection du monde extérieur en se concentrant L’indication d’une technique
sur les sensations corporelles.
‚ Autres psychothérapies particulière peut être posée par tout
■ Sophrologie : elle associe des techniques de
relaxation et la recherche de modification de l’état de
médecin possédant les connaissances
Psychologie analytique de Jung suffisantes mais doit être confirmée
conscience (rétrécissement du champ de conscience)
Selon Jung, les conflits des individus ne se situent en se servant de l’évocation d’images ou de souvenirs. par un professionnel de la technique
pas en eux-mêmes mais dans leur relation avec le ■ Relaxation d’inspiration psychanalytique : le choisie.
monde extérieur. Cette thérapie vise à un meilleur sujet est invité à parler de son vécu au cours de la Le médecin généraliste pourra
accord entre l’individu et la société par la séance de relaxation. Comme dans une psychothéra- solliciter un avis spécialisé pour
transformation des idéaux individuels en idéaux pie, ces associations et la relation transférentielle sur le orienter son patient
conformes avec ceux d’un inconscient collectif thérapeute sont l’objet d’interprétations.

5
7-0140 - Psychothérapies


elles utilisent l’analyse du transfert des différents Autres psychothérapies de groupe
Psychothérapies de groupe membres de la famille sur le thérapeute.
Ces différentes thérapies peuvent être destinées à
des patients dont l’abord individuel aurait été rendu
‚ Psychodrames
difficile du fait d’une trop grande inhibition ou de
S’inspirant des grands courants psychologiques qui défenses psychologiques trop rigides.
Psychodrame de Moreno
ont donné naissance aux différentes approches
individuelles, les thérapies de groupe utilisent Fondé sur l’idée que l’action est révélatrice des
¶ Groupes de parole
également la dynamique propre aux groupes humains potentialités humaines et sur les effets cathartiques du
Il existe de nombreux groupes thérapeutiques
et les mouvements relationnels au sein du groupe théâtre, le psychodrame de Moreno propose au
visant à aider à l’expression des difficultés
comme processus de changement. Elles sont destinées patient des jeux de rôle dans le but de faciliter
personnelles, à améliorer certains symptômes ou
soit à des groupes de patients, soit à des groupes l’expression et la décharge des émotions, de lever les
comportements pathologiques, à favoriser les
naturels comme la famille ou le couple. inhibitions et de révéler le sujet à lui-même. Il s’agit
relations sociales, à aider à résoudre des conflits
d’une technique active centrée sur le renforcement des
‚ Psychothérapies familiales psychologiques. Ils peuvent être destinés à des
capacités d’affirmation de soi plutôt que sur
personnes présentant le même type de difficultés,
Psychothérapies familiales systémiques l’exploration ou la connaissance de soi. En pratique, les par exemple : un alcoolisme, un comportement
Ces psychothérapies sont fondées sur des principes patients sont invités à proposer successivement et à de joueur pathologique, des conduites
théoriques considérant le patient non plus isolément jouer des situations mettant en scène leurs difficultés. boulimiques...
mais comme une personne liée à un système familial Des changements de rôle impromptus et diverses
L’action psychologique de ce type de groupe est
qui fonctionne selon ses règles propres. La techniques dynamiques sont utilisés afin de favoriser
souvent liée à des mécanismes d’identification. On
modification de l’état du patient a des conséquences la spontanéité.
peut en rapprocher les groupes d’anciens buveurs
sur le fonctionnement du système familial et Ses indications sont larges : toutes les difficultés (Alcooliques Anonymes, Croix d’or, Croix Bleue...), de
réciproquement. Plus généralement, les théories pouvant bénéficier d’un effet de décharge joueurs repentis, etc, qui fonctionnent clairement sur
systémiques invitent, pour comprendre les émotionnelle et d’une aide à leur expression. des mécanismes identificatoires dans la mesure où
comportements pathologiques, à se décentrer des seules les personnes ayant ou ayant eu ce type de
déterminants individuels supposés pour s’intéresser à Psychodrame d’inspiration psychanalytique difficultés sont admises.
la place de ces comportements dans les interactions Cette technique allie les principes de la théorie
familiales.
freudienne à ceux du psychodrame de Moreno. ¶ Psychothérapies de groupes d’inspiration
Des dysfonctionnements dans les communications
À la différence de ce dernier, l’expression des psychanalytique
intrafamiliales ont été décrits et sont supposés être à
attitudes dans le jeu est un moyen de favoriser la prise Ces thérapies associent des principes théoriques
l’origine de la décompensation de l’un (ou plusieurs)
de conscience de l’existence d’un monde interne. Les psychanalytiques et l’analyse de la dynamique de
des membres de la famille, ou au moins jouer un rôle
conflits, émotions et tensions ne sont pas seulement groupe et, en particulier, des mouvements
dans l’évolution de sa pathologie. En effet dans
extériorisés dans le jeu mais la technique du transférentiels de chacun des membres du groupe sur
certains cas, des règles de fonctionnement rigides
psychodrame psychanalytique vise à leur le thérapeute.
conduiraient à maintenir le patient dans une position
de « malade désigné » afin de permettre à l’ensemble intériorisation et à leur intégration dans une
du système familial de conserver un état d’équilibre. personnalité restructurée. Comme dans les autres ¶ Psychothérapies de groupe d’inspiration
Le déroulement de ces thérapies familiales consiste techniques psychanalytiques, le transfert est largement cognitive et comportementale
utilisé comme moyen thérapeutique. Destiné Reposant sur les principes des thérapies
en des séances auxquelles participe l’ensemble des
membres de la famille. Un ou généralement plusieurs initialement à des groupes de patients, il est à présent comportementales et cognitives, ces psychothérapies
thérapeutes interagissent avec le système familial pour pratiqué le plus souvent avec un seul patient qui joue proposent une acquisition collective du contrôle de
mettre en évidence ses règles de fonctionnement et les des scènes avec plusieurs thérapeutes, un meneur de comportements pathologiques. Les groupes sont
modifier dans le sens d’une plus grande souplesse. jeu restant à l’extérieur du jeu et occupant la position constitués sur la base de comportements pathologi-
classique de l’analyste. ques communs.
Psychothérapies familiales d’inspiration Ses indications découlent de ses spécificités
psychanalytique techniques : inhibitions massives, déni ou crainte ¶ Groupes centrés sur le corps
Elles s’adressent également au groupe familial mais extrême de la vie psychique, et doivent être posées par Il s’agit en particulier des méthodes de relaxation
leur cadre théorique est celui de la psychanalyse et un analyste lors d’entretiens d’évaluation. collective.

Christine Passerieux : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Psychothérapies.


Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0140, 1998, 6 p

Références

[1] Hardy-Baylé MC, Hardy PE, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeuti- [3] Widlöcher DE, Braconnier A. Psychanalyse et psychothérapies. Paris : Flam-
ques en psychiatrie. Paris : Doin, 1993 marion, Médecine-Sciences, 1996

[2] Senon JL, Sechter DE, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-
mann, Science et Pratique médicale, 1995

6
¶ 7-0145

Conduites addictives
L. Karila, S. Coscas, M. Lecacheux, F. Noble, S. Legleye, F. Beck, P. Dupont,
A. Benyamina, R. Karmous, M. Reynaud

L’addiction est un trouble chronique caractérisé par un processus récurrent, comprenant l’intoxication
répétée puis l’installation progressive d’une dépendance s’accompagnant d’une tolérance et d’un besoin
irrésistible de consommer. L’évolution par rechutes est caractéristique de cette pathologie. L’usage
prolongé de drogues et/ou d’alcool entraîne des modifications sur le plan cérébral à différents niveaux. La
caractérisation des systèmes neuronaux activés lors de la prise d’une drogue a permis de mieux
comprendre les différents phénomènes éprouvés par le consommateur, et les désordres biologiques
induits. L’addiction est une pathologie complexe qui naît de l’interaction entre un individu, des facteurs
génétiques et des facteurs environnementaux. Des processus cognitifs complexes sont également
impliqués dans ce trouble. Cette pathologie cérébrale est à prendre en charge dans sa globalité au même
titre qu’un syndrome coronarien ou un diabète. Dans cet article, nous nous intéressons spécifiquement à
la clinique et à la prise en charge des addictions au tabac, au cannabis, à l’alcool, à la cocaïne, aux
opiacés, à la métamphétamine et à l’ecstasy.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Addiction ; Dépendance ; Dopamine ; Alcool ; Drogues ; Pharmacothérapie ;


Thérapies comportementales

Plan ■ Épidémiologie et neurobiologie


¶ Épidémiologie et neurobiologie 1
Données épidémiologiques 1
Données épidémiologiques
Données neurobiologiques 1 Les niveaux d’usage des substances psychoactives et leurs
¶ Modalités de consommation et facteurs de risque d’installation évolutions récentes peuvent être quantifiés grâce aux dernières
d’une conduite addictive 2 enquêtes représentatives en population générale en France.
Modalités de consommation 2 Cette observation s’appuie, en particulier, sur les différentes
Modalités de consommation à risque 2 vagues de l’enquête sur la santé et les consommations lors de
Facteurs de risque individuels et environnementaux 3 l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD), mise en place
par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies
¶ Tabac 3
(OFDT) depuis 2000 ainsi que sur les baromètres santé coordon-
Clinique 3
nés par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la
Prise en charge thérapeutique 3 santé (INPES) depuis le début des années 1990 [1, 2].
¶ Alcool 5 Le point commun au tabac, à l’alcool, et au cannabis qui se
Clinique 5 dessine est que la population des usagers réguliers apparaît
Prise en charge thérapeutique 6 stable ou en hausse, dans un contexte où le nombre d’usagers
¶ Cannabis 7 modérés ne croît plus, voire baisse selon les produits. Parmi les
Clinique 7 autres substances psychoactives, beaucoup plus rarement
Prise en charge thérapeutique 8 consommées, le niveau d’usage actuel de produits tels que la
.
cocaïne, le poppers ou l’ecstasy apparaît en hausse, tandis que
¶ Cocaïne 8
les niveaux des autres substances illicites sont restés stables ces
Clinique 8
dernières années.
Prise en charge 9
¶ Opiacés 9
Clinique 9 Données neurobiologiques
Prise en charge thérapeutique 9
Les composés psychoactifs capables de produire des modifi-
¶ Métamphétamine et ecstasy 10 cations des états de conscience sont extrêmement nombreux.
Clinique 10 L’apport des connaissances neurobiologiques sur les mécanismes
Prise en charge thérapeutique 10 d’actions de ces drogues est indéniable. Ainsi, la caractérisation
des systèmes neuronaux activés lors de la prise d’une drogue a

Traité de Médecine Akos 1


7-0145 ¶ Conduites addictives

permis de mieux comprendre le plaisir et la dépendance • sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations
psychique éprouvés par le consommateur, et la démonstration suivantes :
de désordres biochimiques provoqués, qui submergeraient C syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;
.
certains mécanismes de régulation, pourrait expliquer la C la même substance (ou une substance très proche) est prise
difficulté de parvenir à l’abstinence. pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage ;
• la substance est souvent prise en quantité plus importante ou
pendant une période plus prolongée que prévu ;
■ Modalités de consommation • il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour
diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance ;
et facteurs de risque d’installation • beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour
d’une conduite addictive obtenir la substance (par exemple fumer sans discontinuer),
ou à récupérer de ses effets ;
Afin d’évaluer les risques d’une consommation de produit • des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importan-
psychoactif licite ou illicite, il est nécessaire de définir la tes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de
conduite de consommation, de rechercher l’existence de la substance ;
modalités de consommation à risque et de facteurs de risque
• l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la
individuels et environnementaux.
personne sache avoir un problème psychologique ou physi-
que persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou
Modalités de consommation exacerbé par la substance (par exemple, poursuite de la prise
de cocaïne bien que la personne admette une dépression liée
Elles sont définies par l’usage, l’usage nocif (utilisation nocive
pour la santé) ou l’abus et la dépendance. à la cocaïne, ou poursuite de la prise de boissons alcoolisées
bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait
Usage de la consommation d’alcool).
Préciser si :
Il s’agit d’une consommation socialement réglée de produits • avec dépendance physique : présence d’une tolérance ou d’un
licites comme l’alcool ou le tabac sans dommages sanitaires. sevrage (c’est-à-dire des items 1 ou 2) ;
• sans dépendance physique : absence de tolérance ou de
Utilisation nocive de substances psychoactives sevrage (c’est-à-dire tant de l’item 1 que de l’item 2).
pour la santé (CIM 10) [3] ou abus (DSM IV-TR) [4]
Les critères d’utilisation nocive et d’abus d’une substance sont Modalités de consommation à risque
décrits dans le Tableau 1.
Ces modalités de consommation à risque correspondent à
Dépendance l’âge de début des consommations, au caractère autothérapeu-
tique de la consommation, à l’usage solitaire ou massif de
Mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à produit psychoactif, à la répétition des consommations, au
une altération du fonctionnement ou une souffrance, clinique- cumul de consommation des substances psychoactives et enfin
ment significative, caractérisé par la présence de trois (ou plus) aux conduites à risque sous l’emprise de produit.
des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une Un âge de début précoce de la consommation est un facteur
période continue de 12 mois : de risque pour le développement ultérieur d’une utilisation
• tolérance, définie par l’un des symptômes suivants : nocive pour la santé (ou abus) et/ou d’une dépendance, surtout
C besoin de quantités notablement plus fortes de la substance si les consommations se répètent. Il faut être particulièrement
pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ; attentif lorsqu’un usage est très précoce en raison des possibles
C effet notablement diminué en cas d’utilisation continue conséquences médicales, psychologiques, psychiatriques et
d’une même quantité de la substance ; sociales à long terme.

Tableau 1.
Utilisation nocive de substances psychoactives pour la santé (CIM 10) [3] ou abus (DSM IV-TR) [4].

CIM 10 (1992) DSM-IV TR (2004)


Critères de l’utilisation nocive d’une substance pour la santé Critères d’abus d’une substance
Mode de consommation d’un produit préjudiciable à la santé. A. Mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une altération
Les complications peuvent être physiques (p. ex. hépatite) ou psychiques du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, caracté-
(p. ex. épisodes dépressifs secondaires à une forte consommation d’alcool). risé par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au cours
d’une période de 12 mois :
Le diagnostic repose sur des preuves manifestes que l’utilisation de produit
a entraîné des troubles psychologiques ou physiques. - utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des
obligations majeures, au travail, à l’école, ou à la maison (p. ex. : absences ré-
Ce mode de consommation donne souvent lieu à des critiques et a souvent
pétées ou mauvaises performances au travail du fait de l’utilisation de la
des conséquences sociales négatives. La désapprobation par autrui ou par
substance, absences, exclusions temporaires ou définitives de l’école, négli-
l’environnement culturel, et les conséquences sociales négatives (p. ex. une
gence des enfants ou des tâches ménagères) ;
arrestation, la perte d’un emploi ou des difficultés conjugales), ne suffisent
toutefois pas pour faire le diagnostic. - utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela peut être phy-
siquement dangereux (p. ex. : lors de la conduite d’une voiture ou en faisant
Ce diagnostic n’est pas posé quand le sujet présente un syndrome
fonctionner une machine alors qu’on est sous l’influence de la substance) ;
de dépendance, un trouble psychotique ou un autre trouble spécifique lié
à l’utilisation de produit. - problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (p. ex. :
arrestations pour comportement anormal en rapport avec l’utilisation de la
substance) ;
- utilisation de la substance malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux,
persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de la substance
(p. ex. : disputes avec le conjoint à propos des conséquences de l’intoxication,
bagarres).
B. Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette classe de substance,
les critères de la dépendance à une substance.

2 Traité de Médecine Akos


Conduites addictives ¶ 7-0145

L’usage à visée autothérapeutique peut être révélateur de que la construction d’une identité adulte avec la cigarette peut
troubles psychopathologiques sous-jacents chez un certain expliquer une partie de la dépendance exprimée par certains
nombre de sujets. fumeurs (« je ne me vois pas sans cigarette ») [11]. Ce ne sera
L’usage solitaire est souvent témoin d’une majoration de la qu’après une longue période de motivation, pouvant durer
consommation. plusieurs années, que le fumeur prendra la décision d’arrêter.
La répétition des consommations est à prendre en considéra- En 2005, 29,9 % des 12-75 ans déclarent fumer ne serait-ce
tion car plus le nombre de consommation est important, plus que de temps en temps : 33,4 % des hommes et 26,6 % des
le temps d’exposition aux effets du produit est grand au cours femmes [2]. La moitié de ces fumeurs environ déclarent avoir
de la vie, plus le risque de survenue de complications augmente. envie d’arrêter. Certains le font seuls, sans aide car peu dépen-
L’effet recherché par la consommation fréquente et/ou en dants et motivés. D’autres, trop dépendants physiquement et/ou
quantités élevées, par la consommation en dehors des condi- psychologiquement ou ayant une comorbidité anxiodépressive
tions régulées socialement est celui d’une recherche de n’y parviennent pas seuls. L’autre moitié n’est pas prête à
« défonce », d’anesthésie, d’oubli des réalités de la vie quoti- arrêter. Certains fumeurs pensent le faire « un jour », d’autres ne
dienne. Les ivresses isolées ou mixtes peuvent être massives et l’envisagent pas.
fréquentes. Le praticien va donc rencontrer tous ces fumeurs différents au
Certaines situations à risque comme la conduite de véhicules, cours de ses consultations. L’interrogatoire de tous les patients
les rapports sexuels non protégés, les troubles du comportement sur leur tabagisme doit être systématique, dès le plus jeune âge,
et la grossesse sous l’emprise de drogues et/ou d’alcool doivent au même titre que l’interrogatoire sur les antécédents médicaux
être également recherchées [5]. et chirurgicaux ou l’existence d’une allergie.
Il doit comprendre les items suivants :
Facteurs de risque individuels • statut tabagique : fumeur, non fumeur, ex-fumeur ;
et environnementaux • nombre de cigarettes fumées par jour ;
• âge du début du tabagisme régulier (une cigarette par jour au
Les facteurs individuels de risque comprennent des facteurs
moins) ;
génétiques, psychologiques et psychiatriques.
• si ex-fumeur, date d’arrêt, nombre de cigarettes fumées par
Parmi les facteurs psychologiques, il est important de recher-
jour, durée du tabagisme.
cher la notion de tempérament et l’existence de certains traits
Face à ces patients identifiés comme fumeurs, le médecin doit
de personnalité comme la faible estime de soi, la timidité,
systématiquement demander s’ils souhaitent arrêter de fumer et
l’autodépréciation, les réactions émotionnelles excessives, les
dans la négative délivrer un conseil minimal qui peut être : « en
difficultés face à certains événements, les difficultés à avoir des
relations stables et à résoudre les problèmes interpersonnels. tant que professionnel de santé, je vous conseille d’arrêter de
Parmi les facteurs psychiatriques, différentes pathologies fumer dès que cela vous semblera faisable ; je vous donne une
peuvent exister comme un trouble d’hyperactivité avec déficit brochure qui vous expliquera comment cela est possible ». Il est
de l’attention, un trouble de l’humeur (dépression, trouble bien démontré que dire quelque chose à un fumeur, vaut mieux
bipolaire), des tentatives de suicide à répétition, des troubles que ne rien dire du tout [12].
anxieux, un trouble du comportement alimentaire, un trouble Après ce conseil minimal, si le fumeur souhaite arrêter, une
de la personnalité (personnalité antisociale, borderline...) [6]. prise en charge adaptée (informative, thérapeutique, et de suivi)
Parmi les facteurs environnementaux, une corrélation statis- peut être pratiquée si elle s’avère nécessaire. Si le fumeur ne
tiquement significative entre antécédents familiaux d’alcoolo- souhaite pas arrêter de fumer pour le moment, le médecin peut
dépendance et âge de début précoce des consommations est aider sa motivation à avancer plus vite.
retrouvée. Le fonctionnement intrafamilial, le mode d’éduca-
tion, la tolérance des parents pour l’usage de produits et pour
la transgression des règles et les événements de vie sont des
Prise en charge thérapeutique
facteurs de risque d’installation d’une conduite addictive. Elle est décrite dans la Figure 1.
Comme nous l’avons précédemment vu, le rôle des pairs est
indiscutable dans l’initiation d’une consommation d’alcool, de Aide médicale à l’arrêt du tabac
tabac ou d’autres drogues mais n’explique pas à lui seul les
conduites addictives. Enfin, la perte des repères sociaux comme Elle comprend trois étapes (Fig. 2) [14] :
la misère, la précarité, le chômage, l’absence de scolarisation, la • la première étape est l’évaluation et le renforcement de la
marginalité est également un important facteur de risque [7-9]. motivation. Il est utile de rechercher dès cette étape d’éven-
tuels troubles de la personnalité et/ou une comorbidité
psychiatrique qu’il est souhaitable de prendre en charge avant
■ Tabac l’arrêt proprement dit ;
• la seconde étape est la période de sevrage proprement dite.
Le tabagisme est dans les pays industrialisés la première cause Elle comporte l’évaluation et le traitement des dépendances,
de mortalité évitable. En France, elle est cause de 66 000 décès des troubles psychologiques associés et des autres conduites
prématurés par an [6]. addictives. Cette période peut durer plusieurs mois. Les
progrès dans la connaissance des mécanismes addictifs ont
Clinique permis de mettre en place des stratégies de prise en charge
Le tabagisme est un comportement appris renforcé par une validées scientifiquement ;
dépendance physique dont la nicotine est le principal • la troisième étape consiste à prévenir et à traiter les fréquen-
responsable. tes rechutes dont les causes sont multiples.
Prochaska et Di Clemente ont décrit les différents stades Motivation
d’évolution du fumeur [10] qui sont l’indétermination, l’inten-
tion, la préparation, l’action, la consolidation et la rechute. La motivation est composée de deux facteurs essentiels :
De l’étape de « fumeur consonant » ou « fumeur satisfait » à l’importance que revêt pour soi le changement et la confiance
celle d’ex-fumeur, le sujet tabagique selon les évènements de en soi pour changer. Le médecin peut l’évaluer, vérifier la
vie, ses croyances, ses capacités et les informations reçues va pertinence des motifs avancés au changement par le fumeur et
avancer plus ou moins rapidement sur ce chemin [10]. la faire progresser par la technique des entretiens motiva-
Après une phase d’apprentissage du tabagisme, les effets tionnels [15].
psychoactifs positifs de la nicotine apparaissent aux nouveaux
Sevrage
fumeurs : effet hédonique, anxiolytique, stimulant, antidépres-
seur, anorexigène. La dépendance comportementale et cognitive Tous les fumeurs étant différents les uns des autres au regard
s’installe ainsi progressivement. Enfin, nous faisons l’hypothèse de la dépendance et des facteurs environnementaux, il ne

Traité de Médecine Akos 3


7-0145 ¶ Conduites addictives

Oui Le patient fume-t-il ? Non

Oui Le patient Non Non


Oui A-t-il fumé ?
veut-il arrêter ?

Fournir un traitement Stimuler Stratégies de Pas de prise


efficace de la la motivation prévention des en charge
dépendance reprises

Figure 1. Arbre décisionnel. Prise en charge d’un sujet fumeur [13].

Fumeur motivé

Évaluation de la dépendance
Test de Fagerström

Dépendance moyenne
Dépendance faible
et forte

Évaluer : le terrain, les comorbidités,


le risque d'effets indésirables
et de pharmacodépendances

Outils d'aide à la motivation ou Outils d'aide à la


TCC ou accompagnement motivation ou TCC ou
psychologique + traitement accompagnement
pharmacologique de la psychologique +
dépendance automédication TNS

TNS Bupropion LP
Varénicline

Prévention des reprises du tabagisme

Figure 2. Arbre décisionnel. Aide médicale à l’arrêt du tabac. TNS : traitement nicotinique de substitution ; TCC : thérapies comportementales et cognitives ;
LP : à libération prolongée.

peut exister de pilule miracle pour arrêter de fumer. La stratégie • la recherche d’une codépendance (alcool, cannabis, médica-
d’aide à l’arrêt doit être définie conjointement par le fumeur et ments...) afin de définir la stratégie de sevrage la plus
le professionnel de santé après un bilan précis du tabagisme. Ce appropriée ;
bilan comprend [15] : • choix et mise en place d’une stratégie thérapeutique.
• une évaluation de la dépendance : Le choix de la stratégie est fonction du résultat de ces
C le test de Fagerström donne un score sur 10 points et différents bilans (dépendance nicotinique, dépendance psycho-
permet de classer les fumeurs en trois catégories [16] : comportementale, rôle de l’environnement, existence ou non de
0-4 points (pas ou peu dépendant) ; 5-6 (moyennement troubles de la personnalité et/ou de troubles psychiatriques,
dépendant) ; 7-10 (fortement dépendant) ; existence d’une codépendance) et est donc entièrement
C l’utilisation d’un analyseur de monoxyde de carbone (CO) personnalisé.
n’est pas indispensable en pratique courante mais il peut La conférence de consensus sur l’aide à l’arrêt du tabac [18] et
aider à motiver un fumeur à s’arrêter et peut également le rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits
être utile dans le suivi ; de santé (AFSSAPS) reconnaissent comme ayant prouvé leur
• une évaluation psychologique à la recherche de troubles efficacité : le traitement nicotinique de substitution (TNS), le
psychologiques qui risquent de rendre difficile l’arrêt du bupropion (Zyban LP®) et les thérapies comportementales et
tabac [15] ; cognitives (TCC) [19] . À ces traitements vient s’ajouter la
• une évaluation comportementale et cognitive pour aider le varénicline (Champix®) qui a obtenu l’autorisation de mise sur
patient à rompre avec certaines habitudes [17]... ; le marché dans le sevrage tabagique [20] depuis février 2007.

4 Traité de Médecine Akos


Conduites addictives ¶ 7-0145

Traitements de substitution nicotinique. Toutes les formes L’association TNS et bupropion ne semble pas présenter de
galéniques de substituts nicotiniques ont une efficacité similaire bénéfices supplémentaires. Si elle est prescrite, il est recom-
à posologie égale. Le choix entre les différentes formes galéni- mandé de vérifier la tension artérielle toutes les semaines.
ques peut être fondé sur la sensibilité aux effets indésirables et Varénicline, Champix®. La varénicline, agoniste partiel du
la préférence du patient. Les fumeurs les plus dépendants récepteur nicotinique a4b2, est indiquée dans le sevrage
obtiennent plus de succès avec une gomme dosée à 4 qu’à tabagique chez les sujets de plus de 18 ans, en France depuis
2 milligrammes. L’association des substituts nicotiniques à une février 2007.
prise en charge psychologique augmente le taux d’absti- L’efficacité de la varénicline, versus placebo ou bupropion,
nence [18]. dans le sevrage tabagique a été démontrée dans des essais
Les posologies doivent être ajustées en fonction du score du cliniques contrôlés impliquant des fumeurs chroniques [26-28].
test de Fagerström et de l’existence de symptômes de surdosage L’administration de la varénicline doit se faire 2 semaines avant
(bouche pâteuse, diarrhée, palpitations, nausées, insomnie) ou la date de l’arrêt du tabac.
de sous-dosage (apparition d’un syndrome de sevrage avec
tristesse, insomnie, irritabilité, agitation, anxiété et augmenta-
tion de l’appétit).
Certains effets indésirables peuvent être observés avec les
gommes et les comprimés. Si les gommes sont mâchées trop
“ Point important
vite ou si les comprimés se délitent trop rapidement, il est
fréquemment constaté des brûlures pharyngées, un hoquet, des La dose recommandée est de 1 mg de varénicline deux
brûlures gastriques. Il convient de sucer les gommes plutôt que fois par jour après une semaine d’augmentation
de les mâcher afin d’éviter ces effets secondaires. L’utilisation posologique comme suit :
des gommes à mâcher peut entraîner, chez certains patients, un • jours 1-3 : 0,5 mg une fois par jour ;
décollement de prothèse dentaire. • jours 4-7 : 0,5 mg deux fois par jour ;
Les patchs (dispositifs transdermiques), quant à eux, exposent • jour 8 - fin du traitement : 1 mg deux fois par jour.
dans 5 à 10 % des cas, au risque de dermite d’irritation avec
prurit et d’eczéma de contact pouvant nécessiter un traitement.
L’expérience montre qu’ils ne nécessitent un arrêt du traitement Les patients doivent être traités par varénicline durant
que dans de très rares cas. La pratique courante des consulta- 12 semaines. Pour ceux qui ont réussi à arrêter de fumer à la fin
tions de tabacologie et plusieurs études contrôlées montrent une des 12 semaines, une cure supplémentaire de traitement de
bonne tolérance et parfois une plus grande efficacité de l’asso- 12 semaines par varénicline à 1 mg deux fois par jour peut être
ciation de deux substituts nicotiniques. Traditionnellement de envisagée.
3 mois, la durée d’un TNS est variable selon les patients (de La principale contre-indication de ce traitement est l’hyper-
6 semaines à 6 mois). Le traitement doit être diminué très sensibilité au produit ou à l’un de ses constituants. Les princi-
lentement, en particulier si les envies ressenties sont toujours paux effets secondaires surviennent le plus souvent lors de la
présentes, nombreuses ou/et fortes [21]. première semaine de traitement et sont principalement des
Les TNS sont bien tolérés par les fumeurs atteints de patho- nausées, les céphalées, l’insomnie et les rêves anormaux.
logies coronariennes ou d’accidents vasculaires cérébraux. Ce Thérapies cognitives et comportementales. Elles ont pour
type de traitement doit être également proposé avant toute objectif d’aider les fumeurs désireux d’arrêt de rompre plus
intervention chirurgicale, plusieurs études ayant montré que facilement avec certaines habitudes fortes et avec de nombreu-
l’arrêt du tabac diminuait le risque postopératoire. Chez ses relations psychologiques nées des effets psychoactifs de la
l’adolescent, les TNS peuvent être utilisés à partir de 15 ou cigarette. Les TCC peuvent aussi traiter certains troubles de la
18 ans selon les formes galéniques, en cas de dépendance à la personnalité et troubles psychiatriques. Les professionnels de
nicotine [22]. santé non formés aux TCC peuvent toutefois, en appliquant
Chez les femmes enceintes et en période d’allaitement, quelques principes simples aider leur patient à rompre avec
l’approche par thérapie cognitive et comportementale et la prise certaines habitudes et/ou à modifier certaines cognitions
en charge psychologique doivent être proposées en première erronées. Il est cependant parfois utile de faire appel à des
intention. Si un TNS est nécessaire pendant la grossesse, les psychologues ou des psychiatres formés aux TCC dans les cas
formes orales ou les patchs seulement sont utilisés pendant la les plus compliqués [19].
période de veille avec une durée d’application de 16 heures au L’expérience montre que la dépendance physique met quel-
maximum par jour sous surveillance médicale pendant la ques semaines à disparaître, la dépendance comportementale
grossesse. S’ils sont nécessaires pendant l’allaitement, un quelques mois. Le suivi pendant toute cette période est donc
traitement pharmacologique utilisant des substituts nicotiniques important afin de vérifier l’efficacité de la stratégie mise en
peut être envisagé (gommes après la tétée) [23]. place, d’estimer la tolérance des traitements prescrits, d’évaluer
Traitements médicamenteux. le moral, vérifier le poids et évaluer la motivation et l’apparition
Bupropion, Zyban®. Le bupropion a obtenu sous une forme à de bénéfices à l’arrêt.
libération prolongée (LP) sa mise sur le marché français en
2001 dans l’aide à l’arrêt du tabac. Son efficacité a été démon- Prévenir les reprises du tabagisme
trée chez des patients de plus de 18 ans en bonne santé Les rechutes surviennent dans près de 50 % des cas après
générale physique et psychologique (notamment absence de l’utilisation des thérapeutiques médicamenteuses. Les causes de
tout état dépressif), fumant plus de 15 cigarettes par jour et ces rechutes à moyen et long terme sont multiples et chacune
motivés à l’arrêt [24, 25]. Ce médicament est délivré uniquement d’entre elles appelle des actions spécifiques : dépendance
sur ordonnance car il a de nombreuses contre-indications, effets physique insuffisamment traitée, états anxieux, états dépressifs,
secondaires et précautions d’emploi. Le risque de convulsions prise de poids, circonstances environnementales, ralentissement
(< 1/1000) est le plus redouté et les effets secondaires les plus intellectuel et démotivation. Un suivi prolongé est nécessaire
fréquents sont les insomnies (> 1/100), les éruptions cutanées, afin d’éviter ces rechutes qui ne doivent en aucun cas être
les tremblements, les céphalées, les sensations vertigineuses, la considérées comme des échecs [29].
dépression, l’agitation, l’anxiété, la fièvre et les troubles du goût.
Il est contre-indiqué entre autres chez la femme enceinte ou
allaitante. ■ Alcool
La durée du traitement est de 7 à 9 semaines. La posologie est
de 1 comprimé de 150 mg le matin pendant 6 jours, puis de Clinique
1 comprimé matin et soir séparé d’un minimum de 8 heures L’identification des troubles liés à l’usage d’alcool peut se
(afin de limiter les risques d’effets secondaires), pendant les 7 à faire soit de manière systématique, soit de manière fortuite lors
8 semaines suivantes. d’une consultation [30].

Traité de Médecine Akos 5


7-0145 ¶ Conduites addictives

Le clinicien, dans un premier temps, recherche des informa-


tions complètes sur la consommation (âge de début, première
ivresse, perte de contrôle, agenda des consommations...), les
modalités d’usage à risque, les facteurs de gravité et de vulné-
“ Point important
rabilité du patient. Puis, il pose le diagnostic de la conduite de Biomarqueurs utiles pour l’évaluation de l’évolu-
consommation (utilisation nocive pour la santé ou abus, tion du trouble lié à l’usage d’alcool
dépendance) [31].
Transferrine désialylée ou carbohydrate deficient
transferrine (CDT) : marqueur le plus sensible et spécifique
permettant de repérer une consommation de plus de

“ Points essentiels
6 verres d’alcool par jour.
Gamma glutamyltransférase (c-GT) : permet de repérer
une consommation aux alentours de 10 verres d’alcool
Signes cliniques de la dépendance à l’alcool par jour.
Sur le plan physique, il peut s’agir d’un aspect terreux et Volume globulaire moyen (VGM) : sans anémie, il
jaunâtre de la face, de télangiectasies des pommettes, des augmente plus tardivement lors des consommations
oreilles, des ailes du nez et des extrémités, d’un regard nocives.
globuleux, d’un œdème palpébral inférieur, d’une langue
saburrale, de tremblements des extrémités, d’une pituite,
de gastralgies, d’une fatigue, d’un amaigrissement, de
Sevrage thérapeutique
crampes nocturnes.
Sur le plan psychique, il peut s’agir d’une irritabilité, de Il s’inscrit dans une prise en charge pluridisciplinaire. Il
troubles mnésiques et de troubles du sommeil. n’existe pas de contre-indications à sevrer un patient alcoolodé-
pendant mais plutôt l’absence d’indication comme l’absence de
demande du patient, l’absence de motivation, l’absence de
projet thérapeutique et/ou social, le caractère d’urgence avec
Le syndrome de sevrage, synonyme de dépendance physique, pression de l’entourage... Il existe des cas de sevrage contraint
pouvant être favorisé par les infections, le stress, l’immunodé- comme par exemple lors d’une injonction thérapeutique ou des
pression, doit être diagnostiqué et pris en charge sur le plan cas de sevrage « non désiré » lorsque le patient est hospitalisé
thérapeutique. La survenue de ce syndrome est secondaire à pour un tout autre motif [36].
l’arrêt ou à la diminution de l’alcool, après une utilisation
régulière et importante. La symptomatologie du syndrome de
sevrage en alcool comprend des tremblements des extrémités
distales, des sueurs profuses, des signes cliniques et/ou biologi-
ques de déshydratation, des troubles du sommeil, des nausées,
voire des vomissements, de l’anxiété, de l’irritabilité, la possibi-
“ Point important
lité de crises convulsives généralisées [31]. Le delirium tremens, Le principal objectif d’un sevrage thérapeutique en alcool
état confusodélirant hallucinatoire avec manifestations neuro- est l’entrée dans un processus d’abstinence durable.
végétatives, en est la complication majeure. Pris en charge
rapidement, son évolution est favorable. Les récidives sont
cependant possibles ainsi que la survenue d’autres complica-
tions (encéphalopathie de Gayet-Wernicke, syndrome de Sevrage thérapeutique ambulatoire
Korsakoff...). Cette modalité thérapeutique, en cas de syndrome de sevrage
Le clinicien doit rechercher des comorbidités psychiatriques modéré, permet au patient de maintenir ses activités sociales,
et/ou somatiques (cirrhose, pancréatite, hypertension artérielle, familiales et professionnelles. Elle doit être privilégiée en
hépatite alcoolique aiguë, hypoglycémie, crises convulsives, pratique clinique [37].
déshydratation...), des comorbidités addictives (tabac, cannabis,
autres substances psychoactives, jeu pathologique...) et faire une
évaluation de la situation sociale et de la qualité de vie de son
patient.
L’utilisation de questionnaires standardisés, comme le DETA/
CAGE [32], l’AUDIT [33], l’ADOSPA [34], est importante pour le
“ Point important
repérage des personnes à risque ou présentant des troubles liés Contre-indications au sevrage thérapeutique ambula-
à l’usage d’alcool ainsi que celles qui justifient une évaluation
toire :
de leur mode de consommation.
Enfin, il faut évaluer la motivation du patient pour changer • organiques (maladie sévère justifiant une hospita-
ses habitudes de consommation. lisation),
Les complications de l’alcoolodépendance sont somatiques, • psychiatriques (syndrome dépressif ou autre pathologie
psychiatriques et sociales. Parmi les complications somatiques, psychiatrique sévère associée),
on retrouve la cirrhose hépatique, la pancréatite aiguë et • addictologiques (dépendance associée à d’autres
chronique, les hépatites, les cancers, les atteintes neurologiques produits, syndrome de sevrage en alcool sévère,
(encéphalopathie de Gayet-Wernicke, syndrome de Korsakoff, antécédents de delirium tremens ou de crise convulsive
neuropathie, démence, maladie de Marchiafava-Bignami, généralisée, échec d’un sevrage thérapeutique ambula-
myélinolyse centropontique...). Parmi les complications psy- toire en alcool),
chiatriques, on retrouve le syndrome d’alcoolisation fœtale,
• environnementales (demande pressante de l’entourage
l’hallucinose des buveurs, les troubles dépressifs, les troubles
anxieux, les troubles du sommeil et les trouble de la libido familial ou professionnel, entourage non coopératif,
(origine mixte). situation précaire) [35].

Prise en charge thérapeutique


Sevrage thérapeutique institutionnalisé
Les différentes recommandations des sociétés savantes et
conférences de consensus ont permis d’homogénéiser la prise en Cette approche thérapeutique est indiquée en cas de comor-
charge des patients alcoolodépendants [30, 35]. bidités somatiques ou psychiatriques ou de syndrome de sevrage

6 Traité de Médecine Akos


Conduites addictives ¶ 7-0145

sévère. Elle permet de soustraire le patient de son environne- Tableau 2.


ment habituel et une surveillance clinique continue. Il existe Les médicaments qu’il ne faut plus prescrire.
deux modalités de sevrage : le sevrage simple d’une durée de 7 Vitamine B12 (sauf en cas de carence documentée)
à 10 jours et le sevrage complexe (comorbidités somatiques,
Méprobamate, Équanil® (pas d’activité anticonvulsivante propre, im-
psychiatriques...) d’une durée de 3 semaines.
portant risque létal en cas d’intoxication volontaire)
Pharmacothérapie et autres mesures thérapeutiques Tétrabamate (efficacité anticomitiale moins bonne que celle des benzo-
diazépines, risque important de toxicité hépatique)
Benzodiazépines. Cette famille thérapeutique doit être
prescrite en première intention du fait de la réduction de Barbituriques
l’incidence et de la sévérité du syndrome de sevrage, des crises
comitiales et du delirium tremens. Les molécules à demi-vie
longue comme le diazépam (Valium Roche®) ou le prazépam hôpital de jour spécialisé, soit en postcure, soit en combinant
(Lysanxia ® ) préviennent mieux les crises convulsives. En ces deux armes thérapeutiques. Quoi qu’il en soit, le suivi
revanche, elles présentent un risque accru d’accumulation en ambulatoire par un médecin et un(e) infirmièr(e), et un(e)
cas d’insuffisance hépatocellulaire, d’âge avancé ou de grossesse. psychologue est indispensable.
Dans ces situations, il demeure préférable de prescrire de La première période où le risque de rechute est élevé se situe
l’oxazépam (Séresta®) en raison d’un métabolisme non modi- dans les 3 mois après le sevrage (rechute précoce, 40 à 90 % des
fié [38]. D’autres benzodiazépines peuvent être prescrites mais cas). La fréquence des rechutes doit être indiquée au patient
dans ce cas, il faut prendre en compte l’équivalence avec le non pas comme un risque important d’échec mais comme une
diazépam et la demi-vie de la molécule. La voie per os est difficulté pouvant survenir et entraver le maintien de l’absti-
préférée. Différents schémas de prescriptions sont possibles, nence. La prise en charge doit alors être réorientée.
cependant la prescription au-delà de 1 semaine ne se justifie La prescription de médicaments d’aide au maintien de
qu’en cas de dépendance aux benzodiazépines associée à l’abstinence est un apport thérapeutique non négligeable que
l’alcoolodépendance [39]. tout clinicien se doit d’utiliser. Parmi ces médicaments, on
Vitaminothérapie. La carence en vitamines B1 (thiamine) retrouve l’acamprosate (Aotal®), la naltrexone (Revia®, peut être
présente chez l’alcoolodépendant peut être source de complica- prescrit à partir du 7e jour de sevrage) et l’antabuse disulfirame
tions neurologiques ou cardiaques. En cas d’apport glucosé (Esperal®) prescrit en dernière intention. Outre l’utilisation de
associé, le sevrage peut également favoriser l’apparition d’une techniques comportementales [41], le soutien psychothérapeuti-
carence en thiamine. L’administration de 500 mg/j de vitamine que des soignants et l’implication des mouvements d’anciens
B1 per os doit être proposée en début de sevrage thérapeutique. buveurs sont importants.
La voie intraveineuse peut être proposée en cas de malnutrition
ou de malabsorption.
La vitamine B6 (pyridoxine) a un support physiopathologi- ■ Cannabis
que. En effet, les carences en vitamine B6 peuvent favoriser les
crises convulsives. Sa prescription doit avoir une durée limitée
en raison du risque de polynévrite. Clinique
Les deux vitamines sont fréquemment associées, il faut Les effets psychopharmacologiques du cannabis sont essen-
prescrire de la vitamine PP qui agit en tant que cofacteur de la tiellement dus à l’interaction du principe actif, le D9-tétrahydro-
vitamine B1. cannabinol (D9-THC) avec les récepteurs cannabinoïdes CB1.
Addictolytique : acamprosate (Aotal®). Ne modifiant pas les
paramètres pharmacocinétiques du diazépam, il est justifié de Effets aigus du cannabis
prescrire cette molécule au début du sevrage thérapeutique en
alcool. Des travaux récents suggèrent un effet neuroprotecteur Ivresse cannabique
de cette molécule et qu’il faille commencer ce traitement au Les effets du cannabis, le plus souvent fumé, surviennent
début du sevrage thérapeutique [40]. La posologie de l’acampro- dans les 2 heures après la prise [9, 42]. Les effets psychosensoriels
sate est de 2 comprimés matin, midi et soir, pour un sujet de durent de 3 à 8 heures, et les perturbations cognitives peuvent
poids supérieur à 60 kg et de 2 comprimés le matin, 1 à midi persister 24 heures. L’ivresse cannabique se déroule classique-
et 1 le soir, pour un sujet de poids inférieur à 60 kg. La durée ment selon quatre phases : le bien-être euphorique, l’hyperes-
.
préconisée du traitement est de 1 an. Il ne doit pas être prescrit thésie sensorielle avec désorientation spatiotemporelle et
avant 18 ans et après 65 ans. Ce médicament n’est pas contre- euphorie, la phase extatique et le sommeil puis réveil. Il est
indiqué lorsque le patient fait un faux pas. constaté une perturbation psychique à l’origine d’une variation
Autres mesures thérapeutiques. Les apports hydriques de l’humeur, associée à un changement du vécu corporel. Il y a
doivent être suffisants (3 litres d’eau par jour per os si possible, un sentiment de ralentissement du temps et un réel trouble de
la voie intraveineuse est rarement utilisée). la coordination motrice. Le diagnostic est clinique retrouvant
La prescription de magnésium n’est à envisager qu’en cas une tachycardie, une hypotension orthostatique, une sécheresse
d’hypokaliémie. buccale, une démarche ébrieuse et une hyperhémie conjoncti-
Les folates se prescrivent chez la femme enceinte pour vale. Les analyses urinaires peuvent confirmer le diagnostic.
diminuer le risque de malformations fœtales ou en cas de
carence documentée. Attaque de panique (ou « bad trip »)
Les neuroleptiques de première génération et les antipsycho- Véritable anxiolytique à court terme, le cannabis induit
tiques atypiques ne doivent pas être prescrits en première paradoxalement, des attaques de panique classiques avec le
intention en raison d’une tolérance moins bonne que les sentiment de perdre la maîtrise des effets du produit [43]. Elles
benzodiazépines et de leur potentiel épileptogène. Ils peuvent peuvent être à l’origine d’un arrêt des consommations, surtout
être prescrits secondairement en cas de delirium tremens si la crise d’angoisse survient au moment de la découverte du
(Tableau 2). produit, ou d’une démarche de soins.
Les prises en charge psychologique et sociale occupent une
place fondamentale. Différentes techniques, comme les théra- Syndrome de dépersonnalisation
pies comportementales (entretiens motivationnels, prévention Un syndrome de dépersonnalisation peut survenir immédia-
de rechute...) sont utilisées [41]. tement et peut durer quelques semaines après la prise. Il
correspond à une angoisse chronique, un sentiment de déréali-
Projet thérapeutique postsevrage sation, d’étrangeté, de déjà-vu, associés à une asthénie, une
Une fois le sevrage thérapeutique réalisé, il est nécessaire de insomnie et une humeur dépressive. Il y a un retentissement
proposer au patient alcoolodépendant un projet de maintien cognitif avec des troubles de la concentration et de la
d’abstinence. Ce projet thérapeutique peut avoir lieu soit en mémoire [36].

Traité de Médecine Akos 7


7-0145 ¶ Conduites addictives
.

Troubles psychotiques Troubles somatiques induits


La consommation de cannabinoïdes peut contribuer à la .
Liés aux effets nocifs de la fumée de cannabis, ils sont
physiopathologie des psychoses, rôle causal dans l’émergence de importants et à rechercher.
la schizophrénie chez des individus vulnérables en cas de
consommation importante et précoce. Cette cause n’est pas Prise en charge thérapeutique
suffisante mais un facteur parmi d’autres. Il a été individualisé
de réelles bouffées délirantes aiguës liées à de fortes doses de Principes
cannabis (psychose cannabique aiguë ou pharmacopsychose
cannabique). L’évolution est brève (de 8 jours à 3 mois), et le Nous pouvons être amenés dans un premier temps à informer
début brutal. Les hallucinations visuelles sont prédominantes le sujet et l’entourage. Les premières consultations servent à
avec une impression de déjà-vu ou de dépersonnalisation. évaluer la situation environnementale, psychopathologique et
L’hétéroagressivité peut être importante liée à une désinhibition l’usage de cannabis dans ce contexte. Le clinicien recherche les
psychomotrice. La résolution sous neuroleptiques associés à différents facteurs de risque et de vulnérabilité du sujet.
l’arrêt des consommations est rapide avec une prise de cons- L’utilisation de questionnaires de repérage, tels que l’ADOSPA et
cience du caractère délirant de l’épisode [36]. La bouffée délirante le CAST (Cannabis Abuse Screening Test, OFDT), peut s’avérer
peut être un mode d’entrée dans un trouble psychotique d’une grande utilité dans la pratique. Pour confirmer et évaluer
chronique. Il existe des sentiments persécutifs ou « effet la situation, la prescription d’un dosage biologique urinaire
parano » et des idées fixes qui sont bien critiqués et qui restent qualitatif et quantitatif peut être nécessaire et peut être confir-
indépendants de la psychose aiguë. L’environnement devient mée par un prélèvement sanguin. Après cette étape, il est
menaçant. Ces troubles cessent à l’arrêt de la consomma- .
indispensable d’avoir une idée de la motivation et des propres
tion [43]. Une désorganisation de la pensée doit faire rechercher intentions du patient afin de lui proposer un projet adapté
une prise de toxiques de façon systématique. combinant traitement médicamenteux et psychothérapie [48].
L’abstinence ou une consommation contrôlée dans un
Effets chroniques du cannabis premier temps, avec une prise en charge ambulatoire (dans tous
les cas) associée ou non à une prise en charge hospitalière si
Dépendance nécessaire peut être indiquée.
Les sujets à risque de dépendance sont les préadolescents en
situation d’échec scolaire et les patients présentant une comor-
bidité psychiatrique. La dépendance apparaît liée à la durée de
l’usage, à l’abus, à une consommation solitaire et au retard
scolaire. Ils correspondent à 5 % des consommateurs
“ Point important
réguliers [44].
Le syndrome de sevrage débute un jour après l’arrêt de la Indications d’un sevrage thérapeutique hospitalier
consommation, a un pic symptomatique compris entre 2 et Échec d’un ou de plusieurs sevrages ambulatoires.
6 jours, et peut durer de 4 à 14 jours. Il est caractérisé par une Patient demandeur d’une extraction du milieu pour le
irritabilité, une anxiété, une humeur dysphorique, des troubles sevrage.
du sommeil, une perte de l’appétit et dans certains cas, des Polyconsommations.
comportements agressifs. De plus, on peut retrouver des Maladie somatique ou psychiatrique grave.
nausées, des tremblements, des sueurs, des modifications de la Nécessité d’une évaluation psychiatrique pour les doubles
fréquence cardiaque et de la tension artérielle, et des diarrhées. diagnostics.
L’ensemble de ces symptômes débuterait après 24 heures Les contre-indications d’un sevrage hospitalier
d’abstinence, avec un pic au quatrième jour, puis s’amenderait
n’existent pas, il s’agit plutôt de non-indications
en 3 semaines [45].
comme un patient non motivé au changement, un déni,
Troubles cognitifs et syndrome amotivationnel une hospitalisation sous contrainte.
.

Les troubles cognitifs et le syndrome amotivationnel ont un


retentissement social lié à la consommation de cannabis.
L’hospitalisation peut être l’occasion de faire un bilan
Comorbidités psychiatriques somatique (radiographie du thorax, électrocardiogramme, bilan
biologique standard, échographie hépatique, consultation
De 15 à 41 % des patients schizophrènes souffrent d’abus ou
ORL...) et un bilan des autres dépendances. Elle se poursuit
de dépendance au cannabis.
toujours par un suivi ambulatoire pour consolider l’abstinence.
Une vulnérabilité neurobiologique commune existe. Un âge
de début précoce d’usage et des antécédents d’usage de cannabis
apparaissent être des facteurs de risque pour le début d’une
schizophrénie, notamment chez les sujets vulnérables mais
■ Cocaïne
également chez ceux sans histoire clinique antérieure. Cepen-
dant le cannabis n’est ni une cause suffisante ni une cause Clinique
nécessaire pour une schizophrénie mais une de ses multiples
composantes étiologiques [46]. Effets cliniques aigus et dépendance
Les troubles de l’humeur sont fréquemment associés à l’usage Les modalités de consommation et les effets de la cocaïne
de cannabis. La symptomatologie dépressive serait un facteur de sont très variables d’un individu à l’autre et sont dose- et voie
risque d’usage de substances psychoactives, et le rôle dépresso- d’administration-dépendants (voie intranasale [« sniff »], fumée
gène du cannabis est modeste mais accru en cas d’initiation [free base ou crack], injectée ou orale [très rare en France]).
précoce et de consommation régulière. Il peut précipiter le Les effets cliniques aigus de la cocaïne sont l’euphorie, la
passage à l’acte suicidaire en aigu, de plus la gravité des sensation de bien-être, l’augmentation de l’énergie et de l’estime
tentatives de suicide est corrélée à l’importance des conduites de soi, une impression d’une plus grande efficience de la
toxicomaniaques et ce d’autant plus qu’il y a d’autres produits pensée, voire une tachypsychie, une communication et un
associés [6]. contact plus faciles, un débit verbal accéléré, une désinhibition,
Les patients ayant un trouble anxieux généralisé ou un une hypervigilance, une hyperactivité motrice, une augmenta-
trouble panique peuvent se servir du cannabis à visée anxioly- tion de la libido, une insomnie, une anorexie et de possibles
tique mais il peut être aussi anxiogène comme nous l’avons déjà comportements agressifs. Il est aussi retrouvé une tachycardie,
souligné [47]. des désordres tensionnels, une mydriase et une pâleur. Quand

8 Traité de Médecine Akos


Conduites addictives ¶ 7-0145

il n’y a plus de cocaïne à disposition, un phénomène de crash, Prise en charge thérapeutique


comprenant symptômes dysphoriques, perte d’énergie, hyper-
somnie et altérations cognitives, s’installe. Ce phénomène peut Elle s’organise autour d’un travail en équipe pluridisciplinaire
être autogéré avec d’autres substances comme l’alcool (associa- et de la mise en place d’un réseau impliquant différents acteurs
.
tion fréquemment retrouvée), les benzodiazépines, le cannabis sanitaires et sociaux.
ou les opiacés. Le retour à une humeur de base prend 3 à
4 jours après l’épisode de consommation. Évaluation bio-psycho-sociale
.
La dépendance à la cocaïne est un trouble d’installation Elle associe [52] :
rapidement progressive associé à des complications psychologi- • un examen physique et des examens complémentaires qui
ques, psychiatriques, somatiques, sociales et légales [49]. comprennent au minimum un bilan sanguin avec numéra-
tion de formule sanguine, fonction rénale et hépatique,
Prise en charge sérologies hépatite B, C et virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) avec l’accord du patient, un dosage des
Prise en charge pharmacologique toxiques urinaires, une radiographie pulmonaire et un
Les traitements médicamenteux pouvant inverser les phéno- électrocardiogramme ;
mènes neuroadaptatifs induits par l’addiction à la cocaïne • une évaluation psychiatrique qui explore la personnalité du
apparaissent être un choix logique dans le traitement de patient et les comorbidités psychiatriques ;
l’addiction à la cocaïne. Des programmes de recherche aux • une évaluation sociale qui resitue le patient dans un contexte
États-Unis ont testé plus de soixante médicaments ciblant sociofamilial et recherche les dommages des conduites
différents systèmes de neurotransmission touchés par la cocaïne. addictives.
Parmi ces pharmacothérapies, les plus prometteuses semblent
être le modafinil, le topiramate, le disulfirame, le baclofène, Sevrage thérapeutique en opiacés
l’aripiprazole et la N-acétyl-cystéine. L’immunothérapie antico- Il a lieu après que le patient ait déjà réalisé un certain
caïne est en cours de développement (vaccins, anticorps parcours de soins. Il peut se dérouler en ambulatoire si les
monoclonaux) [49]. conditions de vie du patient le permettent, ce qui implique un
suivi rapproché, tous les 2 ou 3 jours, voire initialement tous les
Prise en charge psychothérapeutique jours. Il peut également avoir lieu de manière contractuelle en
Les thérapies comportementales (prévention de rechute, milieu hospitalier (service de médecine, service de psychiatrie
thérapie motivationnelle, management des contingences) sont générale ou d’addictologie).
de véritables plates-formes pour les pharmacothérapies. Elles Plusieurs méthodes sont utilisées : sevrage dégressif avec
jouent un rôle dans l’observance thérapeutique, stimulent diminution régulière de la consommation sur une durée de
l’abstinence et renforcent l’action des médicaments. Ces quelques jours, semaines ou mois, utilisé notamment lors des
différentes techniques psychothérapeutiques peuvent être sevrages ambulatoires, pour les médicaments opiacés et de
combinées [50]. substitution, ou sevrage complet pour l’héroïne et les
médicaments [53].
Deux situations particulières sont la grossesse et l’incar-
■ Opiacés cération.
La grossesse est un moment privilégié pour les demandes de
sevrage. Bien que cette question soit controversée, la substitu-
Clinique tion est privilégiée, du fait du risque de souffrance fœtale que
Effets cliniques aigus et dépendance pourrait engendrer le sevrage. La buprénorphine haut dosage et
la méthadone peuvent être prescrites en fonction du bénéfice
Les différents opiacés sont cités dans le Tableau 3. attendu versus le risque pour la mère et le nouveau-né. Cepen-
Les effets de l’héroïne sont similaires à ceux de la morphine, dant, une adaptation posologique peut être nécessaire.
la différence étant au niveau de la durée d’action et de l’inten- L’incarcération : l’offre de sevrage médicalisé ou de toute
sité de l’effet. Ils sont dominés par le flash qui survient autre modalité de soins doit pouvoir faire l’objet du choix du
immédiatement après la prise et qui entraîne une sensation patient et être intégrée dans un suivi médical effectif qui
d’extase intense, suivie d’un état de sédation et de bien-être permette une réévaluation régulière.
euphorique. Elle a également un puissant pouvoir anxiolytique Plusieurs types de traitements pharmacologiques peuvent être
.
et antidépresseur. proposés pour réduire les symptômes de sevrage :
Les différents médicaments opiacés peuvent faire l’objet d’un • les traitements spécifiques s’opposant à l’hyperfonctionne-
mésusage. ment adrénergique, considéré comme responsable des symp-
Leur injection intraveineuse provoque un flash proche de tômes. Le produit le plus utilisé est la clonidine
celui de l’héroïne alors que l’inhalation nasale provoque les (Catapressan®), antihypertenseur adrénergique. La guanfacine
effets de sédation et d’euphorie sans le flash initial. (Estulic®), dérivé d’action de la clonidine, serait de manie-
La dépendance aux opiacés est marquée par l’apparition ment plus aisé ;
d’une tolérance, d’un syndrome de sevrage d’une durée de 5 à • les traitements symptomatiques antalgiques de palier I,
10 jours, d’un comportement compulsif de consommation ou antispasmodiques, antiémétiques, antidiarrhéiques, sédatifs et
.
craving. Des complications psychiatriques, physiques et sociales hypnotiques. Les produits sédatifs sont le plus souvent
importantes accompagnent souvent la consommation d’opiacés indispensables, surtout dans les premiers jours. Il est préféra-
mais n’entraînent pas son arrêt [51]. ble de limiter l’utilisation des benzodiazépines, en raison du
risque d’abus ou de dépendance. L’alternative peut être
Tableau 3. l’utilisation d’anxiolytiques non benzodiazépiniques ou de
Différents opiacés.
.
neuroleptiques sédatifs [53].

Héroïne (poudre, différentes voies d’administration) Traitements de substitution


Antalgiques palier III (sulfate de morphine, Skenan®, Moscontin® ; bu-
prénorphine, Temgésic®) (comprimés ou gélules)
À partir des années 1980, la pandémie du sida et les autres
risques infectieux, notamment celui de l’hépatite C, ont
Médicaments de substitution (chlorhydrate de méthadone, Métha-
provoqué un bouleversement de la prise en charge de la
done® ; buprénorphine haut dosage, Subutex® ; buprénorphine-
dépendance à l’héroïne. La réflexion s’est orientée vers les
naloxone, Suboxone®)
stratégies de réduction des risques. C’est dans ce contexte que
Médicaments antitussifs contenant de la codéine ou de la codéthyline
l’accès aux médicaments de substitution aux opiacés s’est élargi
(Codoliprane®, Néo-Codion®...)
en France : la méthadone à partir de 1995 et la buprénorphine

Traité de Médecine Akos 9


7-0145 ¶ Conduites addictives

haut dosage à partir de 1996. En octobre 2006, la Suboxone®, Tableau 4.


association de buprénorphine et de naloxone, a obtenu l’auto- Complications de la métamphétamine.
risation de mise sur le marché. Complications aiguës Complications chroniques
Les objectifs généraux de ces traitements sont les suivants [54] :
• prévenir les complications somatiques et psychiatriques État d’agitation Psychose chronique schizophréni-
secondaires à la dépendance aux opiacés ; État délirant aigu forme
• favoriser l’insertion des patients dépendants dans un proces- Violences Précipitation de son éclosion chez
sus de soins incluant la prise en charge des pathologies les sujets vulnérables
Overdose
psychiatriques et/ou somatiques associées à la dépendance Confusion mentale
Défaillances multiviscérales (trou-
aux opiacés ; bles du rythme et de la fonction
Accidents vasculaires cérébraux
• contribuer à leur insertion sociale ; cardiaque, trouble de la dynamique
Crises convulsives respiratoire, insuffisance rénale et
• permettre aux personnes dépendantes des opiacés de se
dégager du centrage de leur existence sur les effets et la Barotraumatismes hépatique...)
recherche délétères du produit, et de recouvrer tout ou partie Hypertension artérielle IST, sida
de leur liberté et globalement une meilleure qualité de vie. Cardiomyopathies aiguës
En réduisant ainsi les divers dommages induits, ces stratégies Choc cardiovasculaire
thérapeutiques répondent également aux attentes de la société. Risque d’IST
Complications majeures des traitements de substitution IST : infection sexuellement transmissible.
Il s’agit des décès par surdose de méthadone ou par potentia-
lisation buprénorphine-benzodiazépines, surtout après injection
Effets cliniques de l’intoxication aiguë
de buprénorphine.
L’augmentation de la prévalence de l’hépatite C, comparée à La clinique de l’intoxication aiguë à la métamphétamine
la décroissance de l’infection par le VIH, reste un problème associe :
important. La contamination peut être due à un plus fort • un état d’excitation psychique et physique pouvant être
pouvoir contaminant du VHC par voie intraveineuse et à sa associé à un syndrome délirant ;
plus grande résistance dans le milieu extérieur. Le partage des • des manifestations neurologiques symptomatiques d’un
seringues, du matériel de préparation d’injection et des pailles accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique
est impliqué et doit conduire à renforcer les programmes de (spasmes, occlusions artérielles, hémorragies cérébrales
.
réduction des risques [54]. spontanées quel que soit le terrain sous-jacent). Des mouve-
ments anormaux de type choréiforme peuvent être observés
Autres possibilités thérapeutiques en l’absence d’autres étiologies ;
• des manifestations cardiovasculaires : tachycardie, troubles
Il s’agit des agents anticraving et de la prescription médicalisée
électrocardiographiques, hypertension artérielle, autres
d’héroïne.
complications cardiovasculaires secondaires ;
• des manifestations pulmonaires à type de dyspnée, de
■ Métamphétamine et ecstasy sifflement bronchique...
Les atteintes hépatorénales ou d’autres viscères sont généra-
lement secondaires à l’hypoxémie, la rhabdomyolyse et le choc
Clinique cardiovasculaire. Leur traduction clinique varie en fonction du
type d’atteinte [55].
Métamphétamine
Syndrome de sevrage
La métamphétamine est une substance fortement addictive et
porte différents noms comme meth, crystal et chalk. Elle peut se Différentes phases le caractérisent :
présenter sous la forme d’une poudre ou d’une pâte, pure • une première phase, précoce ou crash, durant laquelle on
(blanche) ou coupée. observe une dépression avec agitation, anxiété et une envie
intense de consommer (dépendance psychique ou craving) ;
• une seconde phase, intermédiaire, durant laquelle s’installe
une fatigue intense, une anhédonie et une perte d’intérêt. Ces

“ Points importants symptômes augmentent en intensité pendant 12 heures à


4 jours puis se stabilisent ;
• une phase tardive durant laquelle les symptômes de la
La métamphétamine a une demi-vie plasmatique de deuxième phase persistent pendant 6 à 18 semaines jusqu’à
l’ordre de 8 à 13 heures. 6 à 9 mois après l’arrêt du toxique [55].
La cocaïne a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 1 à Les consommateurs de métamphétamine semblent être
3 heures. victimes de complications plus sévères que les consommateurs
d’alcool ou de cannabis [56] (Tableau 4).
L’héroïne a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 3 à
10 minutes.
La morphine a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 1,5 Prise en charge thérapeutique
à 4 heures. La prise en charge thérapeutique de l’intoxication aiguë est
symptomatique et vise deux objectifs majeurs : contrôler les
troubles du comportement et préserver les fonctions vitales.
La prise en charge des complications chroniques nécessite le
Ce produit est consommé per os, par voie intranasale, par
recours à des spécialistes en fonction de l’appareil atteint.
voie intraveineuse ou fumé. Lorsqu’elle est fumée, elle prend le
En termes de pharmacothérapie, ce qui est utilisé pour
nom d’ice, crank, crystal, glass ou Tina en raison de ses cristaux
l’addiction à la cocaïne est translaté au problème de l’addiction
transparents et stratifiés [37]. La fumée n’a pas d’odeur et laisse
à la métamphétamine [57]. Les thérapies comportementales, en
un résidu qui peut être, à son tour, fumé [55].
particulier le management des contingences [58], sont efficaces.
La métamphétamine est facile à synthétiser à partir de
précurseurs chimiques accessibles au grand public. L’expansion
des laboratoires clandestins (dans les cuisines des maisons, les
Ecstasy (ou MDMA)
voitures...) en est une conséquence logique. Face à ce problème L’ecstasy est une drogue de synthèse (3,4-méthylène-dioxy-
de taille, de nombreux pays ont restreint le commerce des méthylamphétamine [MDMA]). Elle se présente le plus souvent
produits susceptibles d’êtres détournés pour sa synthèse. sous la forme d’un comprimé ou sous la forme d’une gélule de

10 Traité de Médecine Akos


Conduites addictives ¶ 7-0145

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E, Eve, Kermit, Love, Love potion 9, M&Ms, Mercedes). [13] Aclinical practice guideline for treating tobacco use and dependence:A
La majorité des consommations se fait per os mais le recours US Public Health Service report. The Tobacco Use and Dependence
à la voie intranasale ou intraveineuse reste l’apanage de certains Clinical Practice Guideline Panel, Staff, and Consortium
usagers. Les modalités de consommation de l’ecstasy les plus Representatives. JAMA 2000;283:3244-54.
fréquentes sont l’usage et l’abus, la dépendance est peu fré- [14] AFSSAPS. Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
quente. L’ecstasy est fréquemment associée à la consommation Santé: Les stratégies médicamenteuses et non-médicamenteuses de
d’autres drogues ou d’alcool. l’aide à l’arrêt du tabac. www.afssaps.sante.fr. 2003.
[15] Dupont P. Principes de la prise en charge du sujet tabagique. In:
Effets cliniques Reynaud M, editor. Traité d’addictologie. Paris: Flammarion; 2006.
Ses effets apparaissent 30 à 60 minutes après une prise orale p. 442-9.
et se prolongent quelques heures [37]. Ils sont marqués par une [16] Heatherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerstrom KO. The
Fagerstrom Test for Nicotine Dependence: a revision of the Fagerstrom
désinhibition, un sentiment de bien-être, de liberté, d’énergie,
Tolerance Questionnaire. Br J Addict 1991;86:1119-27.
une anorexie et surtout l’empathie. Paradoxalement, certains
[17] Salin-Pascual RJ, Alcocer-Castillejos NV, Alejo-Galarza G. Nicotine
consommateurs vivent mal cette expérience ressentie comme dependence and psychiatric disorders. Rev Invest Clin 2003;55:677-93.
désagréable (bad trip) puisque l’angoisse, la dépression de [18] Conférence de consensus sur le sevrage tabagique. ANAES, Paris, 8 et
l’humeur et les troubles somatiques (pics tensionnels, tachycar- 9 octobre 1998.
die, sécheresse buccale, sueurs, trismus avec grincement des [19] Le Foll B, Melihan-Cheinin P, Rostoker G, Lagrue G. Smoking cessa-
dents...) remplacent les effets souhaités. Lorsque le produit n’est tion guidelines: evidence-based recommendations of the French Health
plus disponible, il existe une descente avec épuisement et Products Safety Agency. Eur Psychiatry 2005;20:431-41.
symptômes dépressifs durant environ 8 heures. Ce phénomène [20] Fagerstrom K, Balfour DJ. Neuropharmacology and potential efficacy
peut être géré à l’aide d’autres produits (cannabis, benzodiazé- of new treatments for tobacco dependence. Expert Opin Investig Drugs
pines, héroïne...). 2006;15:107-16.
Dans les cas de dépendance, le syndrome de sevrage se [21] Palmer KJ, Buckley MM, Faulds D. Transdermal Nicotine. A review of
manifeste par l’installation au bout de quelques jours d’une its pharmacodynamic and pharmacokinetic properties, and therapeutic
angoisse, d’une dépression et d’une grande fatigue. efficacy as an aid to smoking cessation. Drugs 1992;44:498-529.
[22] Frishman WH, Mitta W, Kupersmith A, Ky T. Nicotine and non-
Complications nicotine smoking cessation pharmacotherapies. Cardiol Rev 2006;14:
Elles sont décrites dans le Tableau 5. 57-73.
[23] Conférence de consensus - Grossesse et tabac - 7 et 8 octobre 2004 -
Prise en charge thérapeutique document ANAES.
[24] Tønnesen P, Tonstad S, Hjalmarson A, Lebargy F, Van Spiegel PI,
Elle se fait en deux temps : Hider A, et al. A multicentre, randomized, double-blind, placebo-
• le premier temps permet de gérer l’urgence somatique en cas controlled, 1-year study of bupropion SR for smoking cessation.
d’intoxication (lavage gastrique pouvant s’envisager dans J Intern Med 2003;254:184-92.
l’heure qui suit l’ingestion ; maintien des fonctions vitales [25] Tonstad S. Use of sustained-release bupropion in specific patient popu-
avec réhydratation parentérale, correction de l’hyperthermie, lations for smoking cessation. Drugs 2002;62(suppl2):37-43.
de l’hyperactivité neuromusculaire et de l’hypertension [26] Tonstad S, Tonnesen P, Hajek P, Williams KE, Billing CB, Reeves KR.
artérielle...) ; Effect of maintenance therapy with varenicline on smoking cessation:
• le second temps concerne l’établissement d’un projet de suivi a randomized controlled trial. JAMA 2006;296:64-71.
addictologique avec une consultation spécialisée, une hospi- [27] Jorenby DE, Hays JT, Rigotti NA, Azoulay S, Watsky EJ, Williams KE,
talisation au besoin. Il n’existe pas, à ce jour de traitement et al. Efficacy of varenicline, an alpha4beta2 nicotinic acetylcholine
substitutif ou spécifique pour les amphétamines [51]. receptor partial agonist, vs placebo or sustained-release bupropion for
.
smoking cessation: a randomized controlled trial. JAMA 2006;296:
56-63.
■ Références [28] Nides M, Oncken C, Gonzales D, Rennard S, Watsky EJ, Anziano R,
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Traité de Médecine Akos 11


7-0145 ¶ Conduites addictives

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L. Karila (laurent.karila@pbr.aphp.fr).
Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul-Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm-CEA U797, 12, avenue
Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.
S. Coscas.
M. Lecacheux.
Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm U669, 12, avenue
Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.
F. Noble.
UMR 7157 CNRS, Inserm U 705, neuropsychopharmacologie des addictions, Université René Descartes, Paris, France.
S. Legleye.
Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France.
F. Beck.
Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), Saint-Denis, France.
P. Dupont.
A. Benyamina.
R. Karmous.
M. Reynaud.
Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm U669, 12, avenue
Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Karila L., Coscas S., Lecacheux M., Noble F., Legleye S., Beck F., Dupont P., Benyamina A., Karmous R.,
Reynaud M. Conduites addictives. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 7-0145, 2008.

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12 Traité de Médecine Akos


7-0150
7-0150

Troubles anxieux et névrotiques


Encyclopédie Pratique de Médecine

C Passerieux

L e concept de névrose, comme celui d’angoisse auquel il est étroitement lié, hérité de l’œuvre de Freud est
aujourd’hui en plein remaniement. Les classifications actuelles ont opté pour un démembrement en divers
troubles dont l’homogénéité et la stabilité varient. Au-delà de ces problèmes de définition, des stratégies
thérapeutiques bien codifiées permettent une prise en charge satisfaisante de la plupart de ces patients.
Quelles que soient les classifications de ces troubles anxieux et névrotiques, ils représentent une pathologie très
communément rencontrée en consultation de médecine générale puisqu’elle concernerait 15 à 20 % des consultants
et que ces patients sont de grands consommateurs de soins.
© Elsevier, Paris.


– dans la névrose traumatique, l’angoisse est Devant l’incertitude concernant l’étiologie de ces
Définition attachée à des situations passées. troubles dits ″névrotiques″ la classification du DSM III
Dans tous les types de névrose (comme dans (Manuel de l’Association Psychiatrique Américaine)
d’autres pathologies que névrotiques) d’autres en 1980 consacre la disparition du concept classique
‚ Point sur le concept de névrose symptômes, moins spécifiques, peuvent se de névrose due à un trouble de la personnalité et ne
retrouver : anxiété, tristesse, troubles du sommeil, retient que des groupements de symptômes pour
Historiquement regroupés dans la classe des
asthénie, inhibitions diverses, en particulier sexuelles. rendre compte de ces pathologies.
névroses, les troubles anxieux et névrotiques étaient
jusqu’à récemment considérés comme des maladies Quoi qu’il en soit, ces symptômes ont en Cependant, alors que certains de ces troubles,
de la personnalité à l’origine desquelles des facteurs commun : comme le trouble panique, les troubles phobiques et
psychologiques joueraient un rôle majeur et dont les – d’être relativement constants, ou récidivants : la les troubles obsessionnels compulsifs, apparaissent
névrose est une pathologie chronique, à la homogènes et stables dans leur évolution, d’autres
symptômes, psychologiquement compréhensibles,
comme le trouble anxiété généralisée ou l’hystérie,
seraient l’expression symbolique d’un conflit différence d’une réaction névrotique aiguë pouvant
posent davantage le problème de leurs limites et de
psychique trouvant ses racines dans l’histoire survenir en cas de situation de stress ;
leurs liens réciproques.
infantile du sujet. Un lien fort était donc supposé – de ne pas avoir d’étiologie organique
entre une organisation pathologique du caractère et décelable ;
‚ Données épidémiologiques
les symptômes, l’un comme l’autre résultant des – d’avoir un certain nombre de caractères qui,
mêmes conflits inconscients. En se fondant sur cette schématiquement opposent les névroses aux
hypothèse étiologique (névrose est synonyme de psychoses : conservation d’une bonne appréhension Résumé des principales données
maladie de la personnalité), des tableaux cliniques de la réalité, conscience de l’état morbide, absence épidémiologiques sur les troubles
variés sont rassemblés et quatre grands types de de troubles graves du comportement (même si le anxieux et névrotiques :
névrose sont isolés : fonctionnement peut être sérieusement perturbé),
– la névrose d’angoisse ; caractère compréhensible des symptômes, absence ✔ prévalence élevée de 7 à 22 % sur
– la névrose phobique ; de désorganisation de la personnalité ; toute la vie ;
– la névrose obsessionnelle ; – l’importance des facteurs psychologiques dans ✔ prépondérance marquée chez les
– la névrose hystérique ; leur genèse et leur déroulement. femmes jeunes ;
Dans cette conceptualisation, l’angoisse née des Le modèle psychanalytique des névroses a ✔ début des troubles à l’adolescence
conflits inconscients induit la mise en place de été radicalement remis en cause par la ou chez l’adulte jeune ;
mécanismes de défense qui conduisent à la psychiatrie anglo-saxonne qui lui a préféré un ✔ survenue fréquente d’événements
survenue de symptômes variables selon les modèle biologique de l’anxiété, symptôme de vie non spécifiques avant le début
défenses mises en place : centrant l’ensemble de la pathologie névrotique, des troubles ;
– dans la névrose d’angoisse, l’angoisse est et une approche cognitivocomportementale des ✔ comorbidité fréquente des troubles
« pure », non associée à d’autres symptômes ; symptômes névrotiques (se fondant sur les lois névrotiques entre eux et avec la
– dans la névrose obsessionnelle, l’angoisse de l’apprentissage). Selon cette théorie, un dépression.
s’exprime dans le comportement : pensées (idées symptôme névrotique est le résultat de
obsédantes) ou actions (rituels) ; conduites inadaptées acquises par apprentis-
© Elsevier, Paris

– dans la névrose phobique, l’angoisse s’exprime sage : « faites disparaître le symptôme, vous Fréquence des troubles anxieux et névrotiques
dans les situations ; faites disparaître la névrose ». Nul besoin est de Les troubles anxieux et névrotiques sont les
– dans la névrose hystérique, l’angoisse recourir à l’idée d’un trouble de la personnalité troubles mentaux les plus fréquents en population
s’exprime dans le corps ; sous-jacent. générale puisqu’ils concernent selon les études 7 à

1
7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

22 % des individus au cours de leur vie. Les chiffres démontré. La compréhension du poids respectif association et les différences dans la prise en charge
de prévalence varient en fonction des critères d’une éventuelle vulnérabilité génétique et des des troubles anxieux d’une part et d’un trouble
diagnostiques mais sont retrouvés à peu près facteurs environnementaux ne pourra se faire que dépressif d’autre part, impose devant tout syndrome
identiques dans tous les pays, occidentaux ou non. par l’étude des interactions entre ces différents anxieux de rechercher systématiquement un état
Ces chiffres augmentent chez les consultants en facteurs. dépressif (cf chapitre « Syndrome anxieux »).
médecine générale : on évalue que 15 à 20 % Enfin, des événements de vie sont retrouvés avec
‚ Trouble panique
d’entre eux souffrent d’un trouble psychique une plus grande fréquence dans les semaines ou les
caractérisé (essentiellement de nature anxieuse ou mois qui précèdent le déclenchement des troubles Ce trouble est de début précoce chez l’adulte
dépressive) alors que plus de 40 % présenteraient un anxieux et névrotiques. Ces événements peuvent jeune : les premières attaques de panique
certain degré de détresse psychologique. renvoyer à la notion de perte (décès d’un proche, surviennent avec un premier pic entre 15 et 19 ans
L’étude de la prévalence sur 6 mois des divorce ou séparation, perte d’emploi...) ou de et un second moins important entre 25 et 30 ans.
principaux troubles anxieux et névrotiques montre changement important (modification de carrière, de Cependant, moins d’un sujet sur trois développera le
les chiffres suivants : mode de vie familial, naissance, prise de drogue...). trouble. La prépondérance féminine est nette (deux à
– trouble panique : 0,5 à 1 % ; Une spécificité de ces événements de vie par rapport trois femmes pour un homme) et les études évaluent
– trouble anxiété généralisée : 2,5 à 7 % ; à d’autres troubles (comme la dépression) n’est pas sa prévalence sur la vie entière à 1,5 à 2,4 % (et sans
– agoraphobie : 2,5 à 6 % ; claire même si certains auteurs ont proposé la notion doute jusqu’à 4 % lorsque les formes avec
– autres troubles phobiques (phobie simple et de danger à venir pour rassembler ces différents agoraphobie sont incluses).
phobie sociale) : 1,5 à 4 % ; événements de vie.
– trouble obsessionnel compulsif : 0,5 à 2 %. Le trouble panique
Comorbidité des troubles anxieux et
névrotiques
Les troubles anxieux et névrotiques sont très
souvent associés entre eux (la survenue d’un de ces

Troubles anxieux

L’anxiété est un symptôme très fréquent en


Il est fréquent : sa prévalence sur la
vie entière, sans doute sous-estimée,
est de 1,5 à 4 %.
Le médecin généraliste est
troubles prédispose à la survenue d’un autre) et avec consultation de médecine générale. Lorsqu’elle particulièrement concerné par ce type
les troubles dépressifs. Cette constatation a conduit résume et organise le tableau clinique, il s’agit de de trouble car les manifestations
certains auteurs à poser la question d’un continuum troubles anxieux parmi lesquels on distingue le physiques (respiratoires et
entre troubles névrotiques et dépressifs et à trouble panique et le trouble anxiété généralisée, cardiovasculaires surtout) sont, le plus
réactualiser un concept unitaire de syndrome distinction fondée sur une réactivité différente aux souvent, au premier plan du tableau.
névrotique général. Les différents troubles anxieux traitements psychotropes. Si les nombreuses études
Son pronostic peut être très sombre du
et névrotiques ne seraient alors que les expressions cherchant à valider cette distinction sur des critères
fait des complications évolutives
polymorphes et variables au cours de l’évolution cliniques, évolutifs, génétiques ne permettent pas de
possibles et des risques de chronicité.
d’une même perturbation fondamentale. Cette conclure clairement à l’homogénéité de ces
Son traitement est aujourd’hui bien
hypothèse est bien sûr du domaine de la recherche sous-types cliniques, la pertinence thérapeutique de
ce découpage est claire puisque le trouble panique
codifié et repose sur les
et en pratique il reste essentiel de distinguer
répond mieux aux antidépresseurs qu’aux
antidépresseurs et non les
cliniquement les différents troubles anxieux et
anxiolytiques alors que ces derniers restent le tranquillisants.
névrotiques et la dépression afin d’ajuster au mieux
traitement privilégié du trouble anxieux généralisé. Une guérison est possible. Le succès
les stratégies thérapeutiques.
Enfin, une troisième catégorie diagnostique est thérapeutique repose sur un diagnostic
Une association est également fréquente avec les
conduites alcooliques, l’apparition de la dépendance individualisée : le trouble de l’adaptation avec et une prise en charge adéquate
à l’alcool étant secondaire aux troubles anxieux et humeur anxieuse, trouble réactionnel d’intensité précoces.
névrotiques dans la moitié des cas. modérée.
Le principal diagnostic différentiel des troubles Outre les facteurs de risques évoqués pour
Facteurs de risque, facteurs prédisposants anxieux est la dépression. En effet, dépression et l’ensemble des troubles anxieux et névrotiques,
et environnementaux trouble anxieux s’associent fréquemment chez un certains auteurs ont évoqué la survenue d’anxiété de
Les troubles anxieux et névrotiques affectent plus même patient, soit successivement, soit séparation durant l’enfance d’une part et l’existence
les femmes que les hommes, avec un sex-ratio conjointement. d’une séparation précoce de l’enfant d’avec l’un ou
variable selon le type de trouble et que l’on peut les deux parents d’autre part, sans que ces facteurs
situer à deux ou trois femmes pour un homme. Ils semblent spécifiques puisqu’ils ont également été
La comorbidité des troubles anxieux et
concernent également davantage les sujets jeunes retrouvés dans les antécédents de sujets souffrant de
dépressifs :
ou d’âge moyen : la tranche d’âge la plus vulnérable trouble anxieux généralisé, de trouble phobique et
est celle des 25-44 ans. L’influence du statut marital ✔ 25 % des sujets anxieux de trouble dépressif. Des traits de personnalité
(plus grande vulnérabilité des sujets veufs, séparés présenteront un épisode dépressif pathologique seraient plus fréquemment retrouvés
ou divorcés) et du niveau socio-économique et majeur ; (personnalité dépendante, évitante, histrionique et
socio-éducatif (plus grande vulnérabilité des bas ✔ 40 % des sujets présentant un limite). Cependant, ce profil n’est pas spécifique et on
niveaux) est en revanche diversement appréciée épisode dépressif majeur ne retrouverait pas de différence par rapport aux
selon les études. présenteront un trouble anxieux. troubles dépressifs que ce soit en période évolutive
Parmi les facteurs prédisposants, certains traits de ou lors des rémissions. D’une manière générale, ce
Dans une consultation de médecine
personnalité prémorbide sont plus fréquemment trouble serait moins fréquemment associé à un
générale, parmi les 15 % présentant
associés à certains troubles (par exemple, des traits trouble de la personnalité que le trouble
un trouble anxieux généralisé, près de
de passivité et de dépendance avec les troubles obsessionnel compulsif ou les phobies sociales.
la moitié ont des antécédents de
anxieux, phobiques et hystériques). Un facteur Enfin sur le plan somatique, l’association
dépression.
familial est retrouvé dans toutes les études : le risque fréquente décrite avec un prolapsus de la valve
morbide est élevé dans la famille des patients mitrale n’a pas été confirmée.
souffrant d’un trouble anxieux ou névrotique sans Au-delà des problèmes théoriques que pose une Les trois quarts des patients rapportent l’existence
que le caractère génétique de ce lien soit clairement telle intrication, l’extrême fréquence de cette d’un facteur précipitant lors de leur première attaque

2
Troubles anxieux et névrotiques - 7-0150

de panique. Cependant, pour certains auteurs, la La survenue d’attaques de panique est très la genèse de certains des symptômes anxieux est
différence avec un groupe contrôle de sujets sains ne fréquente dans d’autres troubles psychiatriques et reconnue et a donné lieu à certains programmes de
résiderait pas dans le nombre « événements de vie avant tout dans la dépression et les troubles thérapies comportementales axés sur le contrôle
stressants survenus dans les mois qui précèdent le névrotiques. L’existence d’un syndrome dépressif respiratoire.
début du trouble » mais dans l’importance plus devra donc être recherchée. Le modèle actuellement dominant propose que
grande de leur impact chez les futurs anxieux. En les attaques de panique résulteraient d’un processus
revanche, la survenue d’une perte ou d’une Évolution et complications biologique génétiquement déterminé (hypothèse
séparation majeure durant l’année qui précède serait L’évolution du trouble panique est encore assez s’appuyant sur des études familiales et sur le fait que
associée à un plus grand nombre de complications mal connue faute d’étude prospective à long terme. la concordance diagnostique de trouble panique est
dépressives. Ces patients sont de grands consommateurs de plus élevée chez les jumeaux homozygotes que chez
soins : urgences hospitalières, généraliste mais les jumeaux hétérozygotes). L’anxiété anticipatoire
Clinique : les symptômes
également psychiatre. L’évolution sous traitement de la survenue de nouvelles crises et les conduites
Le trouble panique se caractérise par la survenue
semble globalement favorable pour une majorité de phobiques souvent associées apparaîtraient
récurrente de crises d’angoisse aiguës, également
patients : deux tiers des patients suivis ou traités secondairement selon les règles de l’apprentissage
nommées attaque de panique, généralement
guériraient ou seraient très améliorés. Cependant, un et du conditionnement.
sévères, de survenue imprévisible et spontanée et
certain nombre de formes sévères aurait une
non exclusivement dans une situation particulière. ‚ Trouble anxiété généralisée
évolution plus défavorable que la dépression. Une
Entre les crises persiste une peur de la survenue de Cette catégorie de trouble anxieux, définie par
longue durée d’évolution avant le début des soins et
nouvelles crises d’angoisse ou anxiété anticipatoire. défaut et beaucoup moins étudiée, est proba-
un faible niveau social seraient deux facteurs de
Le déclenchement de la crise est soudain et blement hétérogène. Ce trouble se caractérise par
mauvais pronostic. Enfin, l’évolution spontanée se
l’accès peut durer de quelques minutes à quelques l’existence d’une anxiété ou de soucis injustifiés ou
fait souvent vers une chronicisation et lorsque les
heures, sa fin pouvant être difficile à repérer quand excessifs et persistants, associés à divers symptômes
attaques de panique disparaissent, persiste une
existe une forte anxiété permanente. Les de tension motrice (tremblement, tressautements,
symptomatologie résiduelle anxieuse, phobique ou
manifestations physiques sont le plus souvent au tension et douleurs musculaires, fébrilité, fatigabilité)
dépressive.
premier plan lors des attaques de panique et le et de troubles neurovégétatifs (palpitations, bouche
Les complications sont fréquentes et dans un
patient recourra volontiers aux services d’urgence ou sèche, mains moites, nausées, pollakiurie,
double registre psychiatrique et organique.
à son médecin généraliste, convaincu de souffrir étourdissements ou lipothymies, etc) et d’exploration
Sur le plan psychiatrique, une évolution vers une
d’une maladie somatique. Au premier rang de ces hypervigilante de l’environnement (réactions de
agoraphobie s’observerait chez un tiers des sujets
manifestations se trouvent des symptômes sursaut, difficultés de mémoire ou de concentration,
mais avec un retentissement important chez 5 %
respiratoires (sensation d’oppression thoracique, difficultés d’endormissement, irritabilité). Cette
d’entre eux. Les facteurs de risque de cette
hyperventilation) et des symptômes cardio- anxiété évolue en dehors de symptômes spécifiques
complication sont le sexe féminin et une
vasculaires (palpitations, tachycardie, précordialgies). propres aux troubles phobiques, au trouble panique
personnalité dépendante avec tendance à
Peuvent également s’observer des sensations ou au trouble obsessionnel compulsif.
l’évitement. L’apparition de préoccupations
d’étourdissement, de malaise ou d’évanouissement, Les liens entre trouble anxieux généralisé et
hypochondriaques est très fréquente avec parfois
des tremblements ou des secousses musculaires, des trouble de la personnalité sont étroits et ce trouble
apparition d’une véritable névrose hypochon-
paresthésies des extrémités, des nausées, etc. semble autonome sur le plan familial et génétique
driaque. Les conduites addictives sont fréquentes :
L’évocation du diagnostic devra faire rechercher par rapport au trouble panique.
essentiellement l’abus d’alcool (chez 15 à 20 %) et de
les autres manifestations de l’attaque de panique : Son principal diagnostic différentiel est le trouble
tranquillisants.
manifestations psychosensorielles comme des de l’adaptation avec humeur anxieuse, les formes de
Mais la principale complication psychiatrique est
sentiments de dépersonnalisation (impression de passage étant bien sûr nombreuses.
la dépression qui selon les études surviendrait chez
perte ou de modification des limites corporelles, de
un à deux tiers des patients. Elle doit donc être une ‚ Trouble de l’adaptation avec humeur
dédoublement), de déréalisation (impression
préoccupation constante du thérapeute qui la anxieuse
soudaine de perte du caractère familier de
recherchera systématiquement.
l’environnement), de distorsion des perceptions et Il ne se distingue pas du trouble anxiété
Sur le plan organique, le trouble panique serait généralisée par sa symptomatologie mais par le lien
manifestations psychiques d’angoisse, dont
associé à un risque accru pour l’ulcère gastroduo- qu’il est possible de faire entre la survenue de signes
l’intensité souvent extrême justifie le terme de
dénal et pour l’hypertension artérielle. anxieux et un événement stressant survenu quelque
panique, comme une sensation angoissante de mort
L’ensemble de ces complications est responsable temps auparavant et surtout par le caractère
imminente alimentée par les manifestations
d’une surmortalité chez ces patients : par maladies transitoire des manifestations anxieuses (moins de
physiques d’angoisse, une sensation de perte de
cardiovasculaires d’une part et par suicide d’autre quelques mois), la durée représentant ici un reflet de
conscience ou de devenir fou (alimentée par les
part. Dix-sept pour cent des patients atteints de la sévérité du trouble. Le diagnostic ne doit pas être
sensations de dépersonnalisation ou de
trouble panique décéderaient par suicide ce qui est retenu si la perturbation constitue un mode de
déréalisation) ou une crainte de perdre le contrôle de
presque équivalent à la dépression et bien supérieur réaction habituel à tout facteur de stress.
soi. Un trouble du comportement durant la crise est
à la population générale. Ce risque accru de suicide
exceptionnel, le sujet réagit le plus souvent par
et de tentative de suicide est à mettre en relation ‚ Stratégies thérapeutiques des troubles
l’inhibition ou la recherche de réassurance,
avec les dépressions secondaires, l’alcoolisme et anxieux
éventuellement auprès d’un médecin.
l’isolement en cas de trouble phobique. Le but du traitement est d’obtenir la guérison,
Diagnostics différentiels d’éviter la survenue de complications et le passage à
Une prise de toxique (abus de caféine, cannabis, Modèles explicatifs la chronicité. Comme généralement, ce traitement
etc) ou un sevrage (alcoolique, médicamenteux et L’hypothèse d’un lien entre les troubles anxieux et est d’autant plus efficace qu’il est précoce. Ce
avant tout en benzodiazépines, cocaïne, etc) doivent un trouble du métabolisme du calcium ou du traitement est avant tout médical, pragmatique et
être recherchés systématiquement. D’autre part, il magnésium, proposée dans les années 1950, a relativement codifié en fonction de chaque type de
existe de nombreuses affections organiques donné lieu aux concepts de tétanie ou de troubles anxieux. Il en passe d’abord par un
pouvant induire des manifestations paroxystiques spasmophilie (entités presque exclusivement traitement médicamenteux et par l’information du
d’anxiété : angine de poitrine, troubles du rythme, françaises) et n’a jamais été démontrée patient quant à la nature de ses symptômes. Des
dysthyroïdies, hyperparathyroïdies, phéochromocy- expérimentalement. En revanche, le rôle de approches psychothérapiques peuvent être
tomes, hypoglycémies, syndromes vertigineux, etc. l’hyperventilation et de l’alcalose qui en résulte dans associées à cette prise en charge médicale.

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7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

Traitement du trouble panique les troubles anxieux et phobiques sont des réponses La tendance à la chronicité du trouble anxieux
inadaptées et acquises par apprentissage et qu’il faut généralisé impose de limiter le recours aux
Il est ambulatoire, l’hospitalisation n’étant en règle
donc « désapprendre » au profit de conduites plus médicaments aux périodes d’exacerbation
nécessaire que lors de complications dépressives
adaptées. Certaines techniques sont basées sur symptomatique et de proposer des moyens
avec risque suicidaire.
l’apprentissage d’un contrôle de la respiration. Dans psychothérapiques aidant les patients à « gérer leur
La stratégie thérapeutique habituelle débute par
le cas d’évitement phobique de certaines situations stress ». L’aide psychothérapique peut s’envisager
un traitement préventif de la survenue d’attaques de
dans lesquelles le sujet craint la survenue d’attaques sous la forme d’une psychothérapie de soutien qui
panique : c’est le but de la chimiothérapie. Les
de panique, des techniques d’immersion graduelle et offre au patient une écoute bienveillante et
traitements antidépresseurs tricycliques restent la
progressive par des thérapeutes confirmés peuvent valorisante. Des thérapies cognitives et
référence dans le traitement de la récurrence des
permettre une désensibilisation efficace. comportementales peuvent être proposées encore
attaques de panique (Tofranilt, Anafranilt) mais
Enfin, les psychothérapies d’inspiration que leur efficacité semble meilleure lorsqu’existent
certains nouveaux antidépresseurs inhibiteurs de la
psychanalytique sont indiquées lorsque les des symptômes phobiques ou obsessionnels. En
recapture de la sérotonine ont fait la preuve de leur
symptômes anxieux sont sous-tendus par des revanche, les techniques de relaxation trouvent dans
efficacité dans cette indication (Prozact, Deroxatt).
conflits intrapsychiques, s’accompagnent de le trouble anxieux généralisé d’excellentes
Ce traitement médicamenteux ne sera bien difficultés relationnelles et d’une organisation indications en permettant, en particulier par
accepté et bien suivi par ces patients hypervigilants à pathologique de la personnalité. l’apprentissage de la maîtrise de la respiration, à
tout changement dans leur vécu corporel que s’il est contrôler les manifestations somatiques de l’anxiété
assorti d’explications claires sur le but du traitement Traitement du trouble anxiété généralisée et à rompre par là même le cercle vicieux
et prescrit dans le cadre d’une relation de confiance. symptômes physiques d’angoisse-anxiété
Il est ambulatoire et associe traitements
Le patient doit être prévenu des effets secondaires psychologique.
psychotropes et psychothérapie.
qu’il risque de ressentir en début de traitement (pour Enfin, les psychothérapies d’inspiration
Le trouble anxieux généralisé constitue une des
les tricycliques, bouche sèche, palpitations, parfois psychanalytique sont indiquées lorsque l’anxiété
cibles privilégiées des traitements tranquillisants et
majoration transitoire des symptômes anxieux) et s’inscrit dans le cadre d’un trouble de la personnalité
en premier lieu des benzodiazépines. La conduite
doit pouvoir joindre son médecin par téléphone au et de difficultés relationnelles que le sujet a le désir
d’un traitement tranquillisant dans cette indication se
moindre problème durant cette phase délicate de de comprendre.
doit de suivre des règles de prescription parfois
l’instauration du traitement. La posologie sera très
difficiles à tenir. Le choix du médicament parmi les
progressivement croissante (par exemple pour le Traitement du trouble de l’adaptation
très nombreux produits existants se base sur les
Tofranilt, 10 mg matin et soir à augmenter tous les 3 avec humeur anxieuse
habitudes du prescripteur, et surtout sur la notion
à 4 jours jusqu’à 60 mg). La posologie efficace à
d’une bonne réactivité à un traitement antérieur ; il Là encore, les traitements tranquillisants trouvent
atteindre est variable selon les patients de 50 à
est préférable d’opter pour des molécules à demi-vie une indication privilégiée, et ce d’autant plus que le
200 mg/j.
longue qui limiteraient les symptômes de sevrage et risque d’accoutumance est réduit du fait du caractère
Un délai de 2 à 3 semaines est nécessaire pour les rebonds anxieux. La posologie est très variable réactionnel et transitoire de ce trouble. L’intérêt d’un
juger de l’effet thérapeutique dont le maximum se d’un sujet à l’autre et La susceptibilité de chaque abord médicamenteux dans cette situation est de
situe à partir de la huitième semaine. patient doit être déterminée par les réactions à une réduire rapidement le niveau d’anxiété et permettre
Lorsque l’anxiété permanente est trop forte et à première prise « test » de faible posologie puis établie ainsi au sujet de retrouver au plus vite ses capacités
fortiori si elle risque d’entraver une bonne par tâtonnement. de contrôle et de réaction face à l’événement
observance, une benzodiazépine peut être La grande difficulté du traitement réside dans sa stressant. Une telle action thérapeutique semble
transitoirement associée (par exemple, Lexomilt : durée et peut rencontrer deux écueils : trop court, il pouvoir, dans certains cas, éviter la chronicisation du
1/4 comprimé matin et soir) pendant les premières n’aura pas permis une réelle amélioration, ni la mise trouble anxieux. Les règles de prescription des
semaines de traitement. D’autre part, avant en place d’autres moyens thérapeutiques, tranquillisants sont les mêmes que dans l’anxiété
l’apparition de l’action préventive sur les attaques de psychothérapiques en particulier ; trop long, il risque généralisée et le traitement sera bien sûr d’autant
panique des antidépresseurs, les benzodiazépines d’induire une dépendance médicamenteuse. Un plus efficace qu’il sera prescrit dans une relation
constituent le traitement de la crise elle-même et consensus s’est dégagé quant à l’accroissement du d’écoute chaleureuse et bienveillante.
sont d’autant plus efficaces qu’ils sont pris au début risque de pharmacodépendance au-delà de 3 mois de
de la crise. Au-delà de cette période initiale, la


traitement, durée de traitement préconisée par les
poursuite de la prescription d’une benzodiazépine nouvelles références médicales opposables. L’arrêt du
ne se justifie pas. Troubles phobiques
traitement doit être très progressif, en respectant des
La durée totale du traitement de fond par paliers de 1 à 2 semaines afin d’éviter la survenue de
antidépresseur est en règle prolongée : on symptômes de sevrage ou de rebonds anxieux. Une phobie est la crainte irraisonnée et intense
préconise une durée de 6 à 12 mois de maintien de Parmi les alternatives médicamenteuses aux (voire extrême) d’un objet ou d’une situation n’ayant
la posologie efficace, puis une réduction très benzodiazépines, la buspirone semble avoir un effet pas en soi de caractère dangereux. Contrairement à
progressive des doses sous surveillance afin de anxiolytique comparable mais plus progressif et d’autres types de pensées angoissantes, la crainte est
vérifier l’absence de réémergence symptomatique. différé. Les bêtabloquants (Avlocardylt) ont été strictement liée à la présence de l’objet ou de la
Les psychothérapies trouvent leurs indications proposés pour le traitement des manifestations situation phobogène qui peuvent déclencher de
lorsque la réponse thérapeutique au traitement somatiques d’anxiété sur lesquelles ils ont une véritable attaques de panique, toute angoisse
chimiothérapique est insuffisante. C’est le cas lorsque efficacité indéniable mais il s’agit d’un détournement disparaissant lorsque l’objet ou la situation ne sont
le trouble panique évolue depuis longtemps et/ou de leur indication principale. Leur intérêt dans les plus là. C’est la raison d’une des principales
qu’il a donné lieu à une anxiété anticipatoire troubles anxieux réside plutôt dans la prévention conséquences comportementales d’un trouble
importante s’accompagnant souvent de conduites ponctuelle de l’anxiété de performance (anxiété de phobique : l’évitement. Le sujet évitera toute
d’évitement. Dans ces cas, la réponse au traitement situation dont l’exemple type est la prise de parole situation qui risquerait de lui faire rencontrer l’objet
chimiothérapique peut être partielle ou des rechutes en public). Enfin, les antidépresseurs ne sont pas de sa phobie, ce qui peut le conduire jusqu’à une
survenir dès la réduction ou l’arrêt du traitement. indiqués en pratique courante dans le trouble réclusion presque totale. D’autres stratagèmes moins
Les techniques psychothérapiques sont anxieux généralisé et les neuroleptiques, compte radicaux peuvent également être utilisés : se faire
représentées essentiellement par les psychothé- tenu de la gravité potentielle de leurs effets accompagner par une personne de confiance
rapies cognitives et comportementales, fondées sur secondaires (neurologiques en particulier), ne investie d’un pouvoir protecteur et dont le sujet se
l’idée que certains troubles mentaux et en particulier doivent pas être utilisés dans cette indication. trouve alors dépendant. Parfois, un simple objet peut

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Troubles anxieux et névrotiques - 7-0150

être symboliquement investi de ce pouvoir pensera systématiquement devant des symptômes Diagnostic différentiel
protecteur (par exemple, une canne ou un phobiques d’apparition tardive qui feront également L’agoraphobie et les phobies sociales bien que
parapluie). rechercher une phobie des espaces, symptomato- clairement différentes dans leurs objets phobogènes
Le diagnostic de trouble phobique est posé dès logie d’allure phobique liée à des troubles de peuvent parfois être confondues au premier abord,
lors que les conséquences de la (des) phobie(s) et en l’équilibre d’origine organique (neurologique, ORL ou en particulier lorsqu’un évitement sévère aboutit à
particulier l’évitement ont un retentissement familial, vasculaire). un même isolement. Il faudra alors bien faire
social ou professionnel pour le sujet. préciser le type de situation redoutée par le sujet.
Modèles explicatifs
‚ Trouble agoraphobie D’autre part, comme dans la personnalité schizoïde,
Selon le statut accordé aux crises d’angoisse dans le phobique social évite les contacts sociaux, mais à
L’agoraphobie correspond à un ensemble de l’agoraphobie, on peut opposer deux grandes la différence des sujets schizoïdes qui manquent
craintes de situations « d’où il pourrait être difficile (ou hypothèses explicatives. Les tenants de la première d’intérêt et de plaisir dans les relations sociales, le
gênant) de s’échapper ou dans lesquelles on pourrait considèrent l’agoraphobie comme une complication phobique les désire mais est inhibé par l’anxiété.
ne pas trouver de secours en cas d’attaque de comportementale d’un trouble premier, d’origine Enfin, l’évitement social des schizophrènes est
panique » (DSM IV). Les principales peurs rapportées biologique, le trouble panique. C’est parce que le souvent sous-tendu par des idées délirantes.
par les agoraphobes sont par ordre de fréquence sujet craint la survenue de nouvelles attaques de
décroissante : la conduite automobile, les grands panique (anxiété anticipatrice) et parce qu’il crée des ‚ Phobies simples
magasins, être seul, être dans la foule, quitter son liens entre ce risque de survenue et des situations
domicile ou s’en éloigner, les restaurants, les La crainte est limitée à un objet ou une situation
qu’apparaissent l’évitement et les situations
médecins et les dentistes, être enfermé, et s’associent très spécifiques et isolés. Les phobies simples les plus
phobogènes. La seconde hypothèse est
de manière variable chez les patients. communes sont : la phobie des transports aériens,
comportementale et considère que l’évitement et la
de certains animaux, des soins dentaires ou
crainte phobique sont premiers. Les attaques de
Données épidémiologiques médicaux, du sang... L’intensité de l’angoisse en cas
panique ne sont que situationnelles et surviennent
Ce trouble débute en général chez l’adulte jeune, de confrontation à l’objet phobogène peut être
lorsque le sujet n’a pas pu éviter certaines situations
entre 18 et 40 ans. Les patients consultent extrême et l’évitement peut constituer un handicap
spécifiques. Les données ne permettent pas de
généralement assez rapidement après le début du social important. Ces phobies sont généralement
trancher entre ces deux hypothèses qui semblent
trouble, vite invalidant. Il existe une nette plus fréquentes chez la femme, débutent chez
s’appliquer avec plus ou moins de bonheur selon les
prépondérance féminine estimée à deux femmes l’adulte jeune ou l’adolescent et ont tendance en
malades. Cette incertitude se reflète dans les
pour un homme. l’absence de traitement à persister pendant la vie
modalités de prise en charge et en particulier dans la
Les facteurs environnementaux semblent entière.
place accordée aux antidépresseurs dans le
davantage marqués par les conséquences du
traitement de l’agoraphobie.
trouble agoraphobique que par des particularités lui ‚ Stratégies thérapeutiques des troubles
préexistant : les données concernant le statut marital ‚ Phobies sociales phobiques
et le niveau socioculturel des patients sont Le traitement vise à la disparition du symptôme
« Peur persistante d’une ou plusieurs situations
controversées. En revanche, les femmes phobique et de l’évitement et à la prévention des
spécifiques dans lesquelles le sujet peut être exposé
agoraphobes travaillent moins souvent que la complications, dépressives en particulier. Son
à l’observation attentive d’autrui et dans lesquelles il
moyenne et, lorsqu’elles travaillent, soulignent la efficacité sera variable en fonction de la durée
craint d’agir de façon humiliante ou embarrassante »
gène que leur trouble occasionne dans leur vie d’évolution du trouble phobique et de l’existence de
(DSM IV). Sont ainsi redoutés : le fait de parler en
professionnelle. facteurs de mauvais pronostic comme un trouble
public, de manger en présence d’autrui, d’utiliser des
Parmi les nombreux facteurs prédisposants sévère de la personnalité. En revanche, la sévérité
toilettes publiques, de rougir... Il ne s’agit pas d’une
évoqués (surprotection maternelle, plus grande des symptômes et du handicap ne représentent pas
simple timidité : ces craintes sont associées à des
fréquence des divorces des parents ou de nécessairement des facteurs de mauvais pronostic,
conduites d’évitement qui peuvent constituer un
séparations précoces, manifestations d’angoisse de en particulier dans l’agoraphobie. En dehors des
handicap social majeur.
séparation dans l’enfance), aucun n’a été confirmé phobies simples pour lesquelles seul un traitement
lors d’études contrôlées. De même, l’existence chez Données épidémiologiques comportemental est indiqué, la stratégie
les agoraphobes de traits de personnalité thérapeutique associe traitement médicamenteux et
La prévalence est évaluée à 1,5 à 2 % de la
pathologique comme la faible estime de soi, la psychothérapie.
population générale, avec une fréquence identique
passivité, une dépendance excessive vis-à-vis de
dans les deux sexes. Le trouble apparaît à la fin de
l’entourage semble plutôt une conséquence du Traitement du trouble agoraphobie
l’adolescence ou chez l’adulte jeune (entre 15 et 21
trouble qu’un facteur de vulnérabilité. En revanche,
ans) mais, au contraire du trouble agoraphobique, Les traitements médicamenteux répondent aux
l’existence d’un trouble grave de la personnalité
les patients ne consultent que plus rarement et mêmes objectifs dans le traitement du trouble
conditionne le pronostic du trouble.
tardivement, parfois plus de dix ans après le début panique : leur but essentiel est de prévenir les
Évolution et complications des troubles. On retrouve souvent une timidité dans attaques de panique afin de réduire les réactions
L’évolution du trouble est très variable d’un sujet à l’enfance, un milieu familial surprotecteur. Les d’angoisse lors de l’exposition à l’objet ou la
l’autre. Le mode de début peut être insidieux ou patients sont fréquemment célibataires. situation redoutés. Ils sont donc en principe plus
brutal, l’évolution est typiquement fluctuante, des particulièrement indiqués dans les formes
Évolution et complications d’agoraphobie avec attaques de panique. L’action
rémissions complètes spontanées étant de plus en
plus rares au fur et à mesure de l’évolution. La La phobie sociale tend à évoluer sur un mode du traitement médicamenteux sur les conduites
principale complication est la dépression qui chronique sans rémission. Ses complications sont d’évitement ne peut être que différée et nécessite le
surviendrait dans un à deux tiers des cas : c’est dire, fréquentes et sévères : on évalue de 40 à 70 % le plus souvent la mise en oeuvre de thérapies
là encore, l’importance de sa recherche risque de survenue d’épisodes dépressifs majeurs. comportementales.
systématique. Les passages à l’acte suicidaire sont plus fréquents Les antidépresseurs (tricycliques et plus
que dans l’agoraphobie, éventuellement favorisés récemment inhibiteurs de la recapture de la
Diagnostic différentiel par un épisode dépressif. L’association au trouble sérotonine) semblent efficaces aussi bien sur les
Le trouble dépressif est également le principal panique est également importante. D’autre part, attaques de panique situationnelles que spontanées.
diagnostic différentiel du trouble agoraphobique (ou jusqu’à 20 % des phobiques sociaux souffriraient La prescription répond aux mêmes principes que
diagnostic associé lorsque les deux coexistent). On y d’une dépendance alcoolique. dans le trouble panique.

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7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

Des benzodiazépines peuvent également être activement et avec une forte anxiété pour éviter leur ‚ Données épidémiologiques
prescrites lorsque c’est l’anxiété anticipatoire que l’on survenue qu’il ne contrôle pas. Le handicap est
Le TOC débute de façon variable, souvent
souhaite réduire. également lié à la perte de temps parfois
insidieusement mais parfois brutalement (surtout
Les traitements psychologiques sont essentiel- considérable qu’entraînent les obsessions et les
dans les formes avec rituels compulsifs) chez l’adulte
lement de type comportemental et reposent sur le rituels.
jeune et dans un tiers des cas avant l’âge de 15 ans.
principe d’une exposition progressive aux situations
Les formes à début précoce sont plus fréquentes
phobogènes. Ces psychothérapies comportemen-
Les TOC aujourd’hui chez l’homme alors que ce trouble se répartit
tales ou cognitives sont bien codifiées et ne peuvent
également dans les deux sexes. Alors que ce trouble
être réalisées que par des thérapeutes formés. Elles L’origine probable de ces troubles est a longtemps été considéré comme rare, des études
consistent dans un premier temps à établir un biologique. récentes évaluent sa prévalence entre 2,5 et 3 % sur
programme d’exposition progressive aux stimulis L’efficacité du traitement la vie entière. Les liens entre le TOC et la personnalité
anxiogènes, en allant du plus facile au plus difficile. antidépresseur a transformé leur obsessionnelle ont été supposés très étroits, la
L’aide du thérapeute peut être soit directe (il pronostic. personnalité obsessionnelle étant considérée
accompagne physiquement le phobique lors des Si le traitement psychologique associé comme le terrain psychologique sur lequel les
premières expositions) soit plus indirecte en lui
donne de bons résultats, il n’est plus symptômes obsessionnels apparaissent
indiquant le programme à suivre et en l’aidant avec
au cœur de la prise en charge qui est
des techniques de contrôle respiratoire et cognitif.
centrée sur les antidépresseurs.
Les thérapies comportementales seraient d’autant Données épidémiologiques sur les
La recherche des symptômes
plus efficaces à long terme que l’exposition a été TOC
progressive et autogérée par le patient phobique.
obsessionnels doit être soigneuse, les
patients, conscients de leur caractère ✔ La prévalence de ce trouble est
Une psychothérapie d’inspiration psychanaly-
tique peut également être proposée dans des formes
« irrationnel » pouvant les dissimuler. estimée entre 2,5 et 3 %.
d’intensité modérée et chez des patients ✔ Le début est précoce, dans un tiers
demandeurs de compréhension psychologique de Le thème des obsessions est variable d’un sujet à des cas avant l’âge de 15 ans,
leur trouble. l’autre mais plusieurs grands types se retrouvent : surtout chez l’homme.
intrusion d’idées, de mots ou d’images en général ✔ Il existe une association fréquente
Traitement du trouble phobie sociale obscènes ou répugnants, scrupules ou doutes, avec des traits de personnalité
Le traitement est mixte : médicamenteux mais interminables débats de conscience (le sujet n’a-t-il pathologique sans réelle spécificité
surtout psychothérapique. pas par inadvertance écrasé un passant, déclenché de la personnalité.
Les médicaments ont les mêmes indications que un incendie, quelle est la vraie nature des choses,
dans le traitement de l’agoraphobie. Parmi les Dieu existe-t-il ?...). Un deuxième type est l’obsession
phobique : crainte obsédante de souffrir d’une Plus fréquente chez l’homme que chez la femme,
antidépresseurs, les IMAO (Moclaminet) semblent
maladie (le cancer, le sida) ou d’avoir été contaminé la personnalité obsessionnelle associe trois traits de
avoir une particulière efficacité et peuvent être
ou souillé par un contact salissant. Enfin, les phobies caractère : l’attachement à l’ordre et à l’économie et
prescrits en première intention.
d’impulsion sont la crainte angoissante de l’entêtement. L’amour de l’économie peut se voir à
Les traitements psychologiques peuvent être de
commettre contre sa volonté un acte absurde ou tous les degrés allant de la simple mesquinerie à
type comportemental. Deux techniques sont
répréhensible, immoral ou agressif (pousser l’avarice. L’attachement à l’ordre est autant matériel
proposées : La désensibilisation par exposition
quelqu’un sous le métro, écrire des obscénités en (soin excessif porté aux objets, souci de propreté
progressive aux situations phobogènes et les
signant un contrat...) exagéré) que moral (perfectionnisme, sens du devoir,
techniques d’affirmation de soi. Dans le cas d’un
Les rituels et les compulsions sont l’équivalent scrupulosité, rigidité morale). Les sujets
trouble de la personnalité associé et d’un désir du
dans le domaine de l’action de ce que sont les obsessionnels sont peu aptes à exprimer leurs
sujet de comprendre son fonctionnement psychique
obsessions dans le domaine de la pensée : il s’agit sentiments et apparaissent volontiers sérieux, froids,
et les conflits internes qui sous-tendent ses difficultés
d’actes répétitifs que le sujet se sent contraint conventionnels. Ils sont obstinés, peu influençables
relationnelles, une psychothérapie d’inspiration
d’effectuer alors qu’il les considère comme ridicules, et volontiers autoritaires. Enfin une tendance aux
psychanalytique trouve ici une indication de choix.
gênants ou envahissants. Les compulsions sont doutes et à l’indécision est fréquente et constitue des
souvent étroitement liées à une obsession et ont symptômes frustes.
Traitement des phobies simples
initialement la fonction de soulager l’angoisse liée à Des études systématiques conduites sur les liens
Les médicaments sont ici inutiles et inefficaces. Le entre TOC et personnalité obsessionnelle n’ont pas
la pensée obsédante. Elles deviennent cependant
traitement doit être de nature psychologique : totalement confirmé les modèles théoriques qui
elles-mêmes contraignantes et envahissantes, allant
thérapie comportementale avec exposition à l’objet soulignaient ces liens : des traits de personnalité
jusqu’à entraver toute autre activité. Les compulsions
phobogène. Là encore, ce traitement doit être réalisé obsessionnelle sont fréquemment retrouvés mais
peuvent être agies extérieurement (par exemple, se
par un thérapeute formé aux techniques aussi de personnalité dépendante, évitante et
laver les mains en respectant un certain rituel pour
comportementales. schizotypique. D’autre part, ces traits de personnalité
annuler une souillure) ou être intériorisés, purement
cognitives (comme le fait de répéter dans un ordre pathologique n’aurait pas de spécificité et seraient


précis et un certain nombre de fois une liste de mots retrouvés également chez des patients déprimés ou
Trouble obsessionnel compulsif ou des calculs compliqués). agoraphobes.
Le trouble obsessionnel compulsif (TOC),
‚ Évolution et complications
ancienne névrose obsessionnelle, associe de façon
‚ Clinique L’évolution naturelle du TOC est assez sévère
variable plusieurs obsessions et compulsions : selon
Une obsession est une idée ou une image qui la prévalence des unes ou des autres, on distingue avec une forte tendance à la chronicité, des
s’impose de façon récurrente dans la pensée les formes compulsives, avec prédominance de fluctuations d’intensité étant alors fréquentes avec
consciente que le sujet considère comme compulsions ritualisées et qui bénéficient des une aggravation en période de stress et parfois en
répréhensible ou absurde mais qu’il reconnaît thérapies comportementales et les formes période prémenstruelle chez la femme.
comme sienne et dont il ne parvient pas à contrôler mentalisées, avec prédominance de ruminations La complication la plus fréquente est la
la survenue. Les obsessions ont un caractère obsédantes pour lesquelles l’apport des thérapies dépression qui survient chez plus de la moitié des
extrêmement pénible, le sujet lutte souvent cognitives et comportementales est plus inconstant. sujets (dans près de 80 % des cas dans certaines

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Troubles anxieux et névrotiques - 7-0150

études). Le diagnostic en est parfois difficile car la classiquement Anafranilt, soit IRS : Prozact, Personnalité hystérique
dépression peut n’apparaître que comme Floxyfralt, Deroxatt. La posologie moyenne et le Plus fréquente chez la femme que chez l’homme,
l’accentuation de certains symptômes : indécision, délai d’action sont souvent plus élevés que dans le on en décrit deux formes dont les traits peuvent
ruminations, dévalorisation, retrait social. Les cas d’un trouble dépressif : 75 à 300 mg pour s’associer à des degrés divers chez un même sujet.
obsessions et compulsions s’aggravent fré- l’Anafranilt et 40 à 60 mg pour le Prozact par ■ La personnalité histrionique (ainsi nommée en
quemment au cours ou à l’issue d’un épisode exemple, la réponse au traitement apparaissant en référence à l’histrion ou mauvais acteur) associe un
dépressif mais l’inverse peut également s’observer. général à partir de la quatrième semaine et parfois égocentrisme, un désir de paraître avec recherche
La fréquence de cette association entre épisode au-delà du deuxième mois. Du fait de la forte constante de l’attention d’autrui, une dramatisation
dépressif majeur et TOC a fait évoqué l’existence tendance à la chronicité du TOC et de la fréquence de l’expression des sentiments qui sont labiles, une
d’un substratum biologique commun entre ces deux des rechutes à l’arrêt du traitement, ce dernier sera plasticité en fonction de l’interlocuteur, une
troubles. Cependant, même si un certain maintenu sur de longues périodes et ce d’autant plus érotisation des relations aux autres masquant des
chevauchement dans les facteurs biologiques que ce TOC est ancien. difficultés sexuelles.
sous-tendant l’un et l’autre trouble est probable, il Parmi les autres psychotropes, les benzodiazé- ■ La personnalité passive dépendante associe
s’agit de troubles hétérogènes et distincts quant à pines peuvent être associées transitoirement durant une dépendance à autrui, une attitude passive de
leur distribution et leurs facteurs de risque. des périodes d’anxiété généralisée importante. Les soumission à autrui ou d’attente face aux
Une association avec un trouble anxieux est neuroleptiques n’ont dans le TOC que des événements, une immaturité affective qui s’exprime
également fréquente : trouble panique, phobie indications marginales et leur emploi, compte tenu dans une quête infantile de protection par
simple et phobie sociale surtout. Enfin, chez La des risques d’effets secondaires neurologiques, doit l’entourage.
femme, on peut observer une comorbidité avec des être réservé aux spécialistes. Une vulnérabilité aux troubles psychiatriques est
troubles des conduites alimentaires, anorexie Les traitements psychothérapiques sont plus marquée chez les sujets présentant des traits
mentale et boulimie. essentiellement comportementaux et cognitifs. Leur passifs dépendants que chez les patients
but est symptomatique : réduire l’intensité et le degré histrioniques, plus actifs et qui trouvent plus
‚ Diagnostic différentiel d’envahissement d’une obsession ou d’un rituel facilement un équilibre à travers des positions
clairement identifié. Les thérapies comportementales sociales valorisées (tâches altruistes). Les principales
La survenue tardive d’une symptomatologie
sont particulièrement indiquées dans le cas de complications psychiatriques observées sont les
obsessionnelle devra faire rechercher un épisode
compulsions ritualisées : il s’agit d’aider le patient à troubles dépressifs, les troubles anxieux et
dépressif durant lequel de tels symptômes peuvent
ne pas faire ses rituels dans les situations qui les phobiques et les accidents de conversion.
apparaître, surtout des obsessions, plus rarement des
compulsions. Des symptômes obsessionnels sont déclenchent (par exemple, contenir ses rituels de
Symptômes hystériques ou accidents
fréquents dans les troubles schizophréniques (dans lavage alors qu’il a été exposé à une souillure). Dans
de conversion hystérique
un tiers des cas) : ils ont alors souvent un caractère les TOC avec prédominance d’obsessions, des Les symptômes hystériques peuvent varier à
d’étrangeté et s’accompagnent d’idées délirantes. techniques comportementales (arrêt de la pensée, l’infini et portent souvent la marque de l’époque et
Cependant, la distinction sur la symptomatologie satiation qui consiste à répéter l’idée obsédante du milieu dans lesquels évolue le patient. On
obsessionnelle elle-même est loin d’être aisée durant de longues périodes ce qui la vide de son distingue les symptômes somatiques : durables
(certaines obsessions dans d’authentiques TOC étant sens) ou cognitive (aider le patient à mieux connaître (paralysies, contractures, troubles de la sensibilité,
totalement absurdes) et c’est l’ensemble du tableau son style cognitif) peuvent apporter une certaine douleurs) ou paroxystiques (crises « convulsives »,
clinique qui oriente le diagnostic. Enfin, une amélioration. accès léthargiques, crises d’agitation), et les
symptomatologie obsessionnelle est très fréquente Enfin, les psychothérapies d’inspiration symptômes psychiques : manifestations
chez les déficients mentaux. psychanalytique longtemps préconisées dans le TOC dissociatives (amnésies, états crépusculaires, états
ont limité leurs indications à des formes peu sévères seconds) ou mimant un trouble psychiatrique
‚ Modèles explicatifs et chez des sujets désireux de connaître leurs conflits (pseudodépression ou pseudodélire).
internes. Aucune manifestation n’est spécifique mais les
L’hypothèse d’une origine biologique trouve de
symptômes de conversion ont en commun un
solides arguments dans deux ordres de faits :


certain nombre de caractéristiques :
l’efficacité spécifique d’antidépresseurs sérotoniner-
Hystérie – ils ne sont expliqués par aucune cause
giques (comme l’Anafranilt et les inhibiteurs de la
organique : mimant une affection somatique, ils
recapture de la sérotonine) et le lien étroit entre le
enfreignent les lois de l’anatomie ou de la
TOC et certains troubles neurologiques impliquant
‚ Clinique physiologie. Cependant, un point d’appel somatique
des structures cérébrales de la base (séquelles
est fréquent : le symptôme hystérique vient alors
d’encéphalite épidémique ou toxique, chorée de De définition particulièrement difficile, le terme amplifier les manifestations d’un trouble organique
Sydenham, syndrome de Gilles de la Tourette. Les d’hystérie recouvre en réalité plusieurs faits cliniques réel ;
modèles comportementaux et cognitifs s’attachent à
de nature différente : premièrement, la personnalité – les symptômes hystériques imitent des
décrire un style cognitif rendant compte du maintien
hystérique, qui qualifie une façon d’être au monde et maladies affectant la vie relationnelle : le symptôme
des symptômes : les patients obsessionnels
de relation à autrui particulière, deuxièmement, les hystérique se voit, attire l’attention de l’interlocuteur ;
compulsifs accepteraient moins bien que des sujets
symptômes de conversion hystériques, manifesta- – le symptôme hystérique n’est pas sous le
normaux l’intrusion d’idées inconvenantes ou
tions symptomatiques très variées et pouvant être contrôle volontaire du patient : il ne s’agit pas d’une
absurdes qu’ils jugeraient inacceptables et qu’ils
observées dans diverses pathologies psychiatriques, simulation (encore que symptôme hystérique et
condamneraient plus fortement.
et troisièmement, la névrose hystérique qui associe simulation peuvent coexister chez un même
une perturbation des relations à autrui et des malade) ;
‚ Stratégies thérapeutiques
symptômes de conversion hystériques. Ce concept – les symptômes hystériques sont volontiers
Le traitement, en général ambulatoire, associe de névrose hystérique a disparu des classifications labiles, intermittents, mobiles. Il existe cependant des
traitements médicamenteux et psychologiques. Il internationales actuelles qui proposent son symptômes particulièrement persistants ;
débute en général par le traitement médicamen- éclatement en divers troubles (troubles – des facteurs psychologiques semblent jouer un
teux : ce sont les antidépresseurs qui agissent somatoformes et troubles dissociatifs) pour lesquels rôle majeur dans leur déclenchement et leur
préférentiellement sur le système sérotoninergique un déterminisme psychologique n’est pas toujours persistance. Le terme de « conversion » est issu de la
qui ont fait la preuve de leur supériorité : soit supposé. théorie freudienne qui a proposé un modèle

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7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

relation, parfois traits psychopathiques. Les


Principaux symptômes hystériques complications dépressives et les tentatives de suicide
sont fréquentes. Le risque est également celui de
✔ Symptômes somatiques :
soins médicaux excessifs (investigations intrusives
Les douleurs : très fréquentes, de siège variables, elles sont généralement continues, inutiles, abus médicamenteux) ou d’actes
ne perturbent pas le sommeil mais entraînent une impotence fonctionnelle chirurgicaux abusifs.
importante. On peut en rapprocher les troubles de la sensibilité : anesthésies ou
hyperesthésies dont la localisation ne respecte pas les territoires anatomiques. ‚ Diagnostic différentiel
Les atteintes motrices : il peut s’agir de paralysies, de contractures ou de
Des symptômes hystériques peuvent s’observer
mouvements anormaux. On décrit ainsi des troubles de la coordination, des dans de très nombreuses pathologies
paralysies de fonction (incapacité à se tenir debout et à marcher, aphonie) des
faiblesses musculaires ou paralysies de membres, des paralysies généralisées, des En premier lieu les états dépressifs
contractures fonctionnelles (crampe de l’écrivain) ou localisées (torticolis, plicature
Le lien entre la survenue de symptômes
du tronc), etc. hystériques et l’existence d’un état dépressif est
Les crises : pseudocrise d’épilepsie, crise d’agitation ou simple « crise de nerf ». souligné par certains auteurs actuels qui préconisent
Les troubles sensoriels : cécité transitoire ou permanente, rétrécissement du champ un recours systématique à un traitement
visuel, diplopie, surdité, etc. antidépresseur devant une symptomatologie
Les perturbations neurovégétatives : vomissements, toux, rétention d’urine, gros hystérique. D’une manière plus restrictive, la
ventre hystérique qui peut s’associer à un arrêt des règles et un gonflement des seins survenue de symptômes de conversion somatique
(grossesse nerveuse). au cours d’une dépression avérée est banale :
✔ Les symptômes psychiques : astasie-abasie ou incapacité à se tenir debout et à
Inhibition intellectuelle : très fréquente, elle peut faire croire à une débilité alors que marcher, aphonie, pseudoconfusion. Ces
les capacités intellectuelle sont normales. symptômes disparaissent en règle avec
Amnésies : incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants, de caractère le l’amélioration thymique mais ils peuvent justifier une
plus souvent stressant, désagréable ou honteux, absence de souvenirs avant l’âge de attitude thérapeutique spécifique. La question
14 ans. demeure de la personnalité des patients déprimés
Illusions de mémoire : souvenirs de scènes, souvent traumatiques et à caractère qui développent ce type de symptômes : il s’agit le
sexuel, qui n’ont pas été réellement vécues. plus souvent de femmes et des traits de personnalité
États crépusculaires ou pseudoconfusionnels, états seconds, états de transe durant passifs dépendants sont fréquemment retrouvés.
lesquels la conscience est altérée : le champ des perceptions est rétréci et le sujet a La survenue tardive d’un symptôme de
des comportements ou des mouvements stéréotypés qu’il ressent comme échappant à conversion hystérique chez un(e) patient(e) indemne
son contrôle. Il peut également éprouver la sensation d’une identité nouvelle qu’il de ce type d’antécédent devra tout particulièrement
attribue en général à l’influence d’un esprit, d’une puissance extérieure. faire rechercher les signes d’un syndrome dépressif.
on décrit enfin des fugues dissociatives (dans lesquelles le patient est amnésique de
Troubles schizophréniques
sa propre identité et en adopte une autre) et les personnalités alternantes ou
multiples (exceptionnelles). Des plaintes somatiques sous-tendues par des
✔ Les peudoaffections mentales : idées délirantes hypochondriaques sont fréquentes
Pseudodépressions, souvent difficiles à distinguer d’authentiques états dépressifs, chez les schizophrènes et doivent être différenciées
des plaintes somatiques multiples de la névrose
fréquents chez les personnalité hystériques. Les symptômes subjectifs (tristesse, perte
hystérique. Ils peuvent également présenter des
d’intérêt, idées suicidaires) sont présents mais pas les symptômes objectifs
symptômes de conversion (paralysies, crises...). C’est
(autoaccusation, ralentissement psychomoteur, amélioration vespérale, insomnie du
l’existence d’une symptomatologie schizophrénique
petit matin).
(délire, contact bizarre, froid, discours étrange,
Enfin, des pseudodélires ont été décrits. hermétique ou inadapté) qui permet de faire le
diagnostic.
explicatif complexe des symptômes hystériques : hystérique (plutôt passive dépendante) mais
l’angoisse issue d’un conflit interne serait déplacée également normale ou plutôt subnormale car Certains troubles neurologiques
sur le corps et ″convertie″ en innervation somatique. une investigation psychologique approfondie La survenue d’un symptôme de conversion
retrouve souvent un fonctionnement marqué par hystérique peut compliquer le tableau clinique d’une
Névrose hystérique des mécanismes psychologiques de type pathologie neurologique (traumatisme crânien,
La névrose hystérique se définit par la survenue hystérique. L’évolution est variable : brève ou tumeur, épilepsie...) voire faire méconnaître l’origine
de symptômes hystériques chez un sujet présentant durable, épisode isolé ou évolution périodique. organique d’une partie des symptômes. Une note
une organisation de la personnalité de type Ce trouble semble relativement rare et concerne dépressive est fréquemment associée.
hystérique. Deux types de situation clinique se autant les hommes que les femmes. Le premier
rencontrent : le symptôme de conversion unique et épisode survient en général chez l’adule jeune ou États de stress post-traumatiques
le syndrome dit de Briquet (névrose à l’adolescence. Ils peuvent survenir au décours d’un traumatisme
polysymptomatique). d’une exceptionnelle intensité. Ils comportent
¶ Syndrome de Briquet
¶ Symptôme de conversion unique il s’agit d’un tableau clinique très riche, les fréquemment une symptomatologie hystérique qui
Il est le plus souvent d’allure neurologique et symptômes de conversion somatique s’accompa- sera d’autant plus rebelle au traitement que le
posant un problème diagnostique avec une gnant de nombreuses plaintes : algies diverses, traumatisme est plus ancien.
pathologie neurologique. Un ou plusieurs spasmes, fatigue, troubles de la mémoire et de la
concentration, troubles des conduites alimentaires,
‚ Stratégies thérapeutiques
épisodes de même type (avec éventuellement
une symptomatologie différente d’un épisode à troubles sexuels. Le trouble de la personnalité est Il faut distinguer le traitement des symptômes de
l’autre) peuvent parfois être retrouvés dans les manifeste : hyperémotivité, exaltation imaginative conversion qui dépend du trouble psychiatrique
antécédents. La personnalité peut être de type souvent dès l’enfance, théâtralisme, érotisation de la dans lequel ils surviennent et qui peuvent justifier, de

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Troubles anxieux et névrotiques - 7-0150

mesures thérapeutiques spécifiques le plus souvent intensité dont l’impact semble dépendre de la Le remaniement de la personnalité va dans le
de courte durée et la prise en charge au long cours vulnérabilité éventuelle du sujet qui les subit, des sens d’une régression vers une position infantile :
de la névrose hystérique polysymptomatique. traumatismes extrêmement intenses semblent apparition d’un comportement infantile de passivité
pouvoir déclencher un trouble d’allure névrotique et de dépendance à autrui, de revendications
Traitements des symptômes de conversion chez des sujets sains et dont le fonctionnement caractérielles, d’une recherche de considération et de
antérieur semblait harmonieux. réparation (avec éventuellement revendication
Ils sont avant tout de type rééducatif : il s’agit de
Les traumatismes susceptibles d’être à l’origine d’une compensation financière).
rééduquer le plus rapidement possible une
d’un état de stress post-traumatique sont des Les symptômes non spécifiques sont divers :
fonction perdue afin de forcer « l’oubli » dont elle
situations exceptionnelles dans lesquelles le sujet – émoussement des affects avec sensation
est l’objet. Peuvent être utilisées dans ce but : la
a craint pour sa vie, son intégrité corporelle ou d’éloignement par rapport aux autres ;
suggestion (suggestion simple, hypnose), des
celle d’autrui, voire même dans lesquelles des – réduction des activités souvent sous-tendue par
techniques de stimulation, exceptionnellement
individus ont été gravement blessés ou sont un évitement des situations évoquant le
dans des formes graves une stimulation électrique
morts. Cet événement a été vécu avec un traumatisme ;
douloureuse (faradisation). Différentes formes de
sentiment d’horreur et d’impuissance : – asthénie, troubles de la mémoire et de la
psychothérapie sont proposées qui allient le plus
l’impossibilité à prévoir, à contrôler ou à faire face concentration ;
souvent la suggestion visant à la disparition du
à l’événement traumatique semble particuliè- – symptômes somatiques hystériques (douleurs
symptôme et l’approche psychanalytique visant à
rement déterminante pour la survenue de diverses, troubles d’allure neurologique, etc)
la prise de conscience de la fonction du symptôme.
troubles ultérieurs. – crises d’angoisse, symptômes phobiques.
Lorsqu’un souvenir traumatisant semble à l’origine
du symptôme, des techniques centrées sur la La réaction immédiate après un tel traumatisme ‚ Stratégies thérapeutiques
remémoration et l’expression des affects liés à cet est variable : souvent très expressive avec angoisse Les stratégies thérapeutiques visent à l’expression
événement sont préconisées par certains. massive, agitation ou sidération de tout des affects liés au traumatisme et à la réduction des
comportement, confusion avec perte des repères de symptômes.
Lorsque le symptôme hystérique apparaît dans le
temps et de lieu, perplexité et troubles de l’attention, La précocité de la mise en route des mesures
cours évolutif d’un trouble psychiatrique (en
troubles de la mémoire immédiate. Parfois, au thérapeutiques est essentielle et conditionne pour
particulier dépressif), c’est le traitement de ce trouble
contraire, le sujet semble conserver un une large mesure leur efficacité.
et la résolution de l’accès qui permettra de faire
comportement normal, poursuit ses activités comme Dans les suites immédiates du traumatisme, un
disparaître le symptôme.
si de rien n’était, comme par automatisme. La environnement sécurisant doit être créé autour du
remémoration du traumatisme et l’émotion qui sujet. Un traitement tranquillisant (benzodiazépines)
Traitement de la névrose hystérique
l’accompagne sont alors différées de quelques peut aider à réduire le choc émotionnel intense. Une
(syndrome de Briquet)
heures. prise en charge psychologique précoce est
Le traitement des formes chroniques et En principe différé par rapport au traumatisme, souhaitable afin de permettre au sujet de verbaliser
multisymptomatiques de l’hystérie est dominé par le l’état de stress post-traumatique se constitue dans les son expérience, d’exprimer les émotions qui lui sont
principe « primum non nocere » et son corrélât de heures, les jours ou les semaines qui le suivent. liées et d’aider ainsi le sujet à élaborer le
limiter les investigations et les thérapeutiques
traumatisme.
lorsque le diagnostic a été posé.
‚ Clinique Au décours du traumatisme et dans les états de
La prise en charge repose sur une approche
stress post-traumatiques constitués, la prise en
psychologique dont les ambitions devront le plus L’état de stress post-traumatique associe des
charge associe souvent traitement psychologique et
souvent rester modestes : psychothérapie de soutien signes spécifiques et constants (les phénomènes de
psychotropes.
visant à aider le patient à mieux traverser les crises et remémoration), un réarrangement de la personnalité
Les traitements psychologiques proposés sont de
les conflits qu’il génère souvent, à mieux gérer ses et des signes non spécifiques, dépendants de la
deux ordres :
réactions émotionnelles intenses et mal contrôlées. structure de personnalité antérieure du sujet.
– psychothérapies visant à la décharge
Plus rarement, une psychothérapie structurée Les phénomènes de remémoration prennent
émotionnelle d’affects liés au traumatisme, contenus
d’inspiration psychanalytique pourra être proposée : diverses formes :
ou réprimés jusqu’alors, afin de permettre au sujet
elle nécessite un thérapeute expérimenté qui devra – souvenirs envahissants et répétitifs de la de reconstruire son histoire et de retrouver à travers
savoir gérer les tendances régressives massives de ces situation traumatique, interrompant les activités du ce récit verbal une certaine maîtrise de l’événement
patients fragiles. sujet, sous la forme de pensées ou d’images, parfois qui a alors totalement débordé ses capacités de
Les traitements médicamenteux doivent être hallucinatoires, entraînant un sentiment intense de contrôle ;
réservés aux traitements des complications, en détresse ; – thérapies comportementales qui visent à
particulier des complications dépressives, fréquentes, – rêves ou cauchemars répétitifs dans lesquels le aider le sujet à se confronter au souvenir
souvent assez rebelles au traitement et récidivantes. traumatisme est revécu sans cesse, avec une forte traumatique, aux stimuli en rapport avec cette
Les règles usuelles de traitement des états dépressifs anxiété et dans lesquels le sujet est toujours situation et à réduire ainsi les conduites d’évitement.
doivent être suivies. impuissant ; Des méthodes de désensibilisation sont proposées :
– impressions de danger imminent, comme si le après apprentissage de techniques de relaxation, le


traumatisme allait se répéter, voire illusions de sujet est exposé très progressivement à la situation
État de stress post-traumatique revivre la scène en flash-back ; traumatique en imagination, ou à des stimuli qui lui
– angoisse intense lors de l’exposition à des sont liés.
stimuli en relation avec la situation traumatique. Des traitements psychotropes sont souvent
Il s’agit d’états névrotiques survenant à la suite Cette angoisse peut conduire le sujet à éviter toute associés : traitements tranquillisants, antidépresseurs
d’un traumatisme psychologique d’une intensité situation risquant de favoriser la remémoration : en cas de crises d’angoisse aiguë ou de
exceptionnelle (attentat, viol, faits de guerre). En effet activités, lieux ou personnes ayant un rapport avec complications dépressives particulièrement
et contrairement à des traumatismes de moindre le traumatisme. fréquentes.

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7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

Christine Passerieux : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Troubles anxieux et névrotiques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0150, 1998, 10 p

Références

[1] Ades J, Rouillon F. Les états névrotiques (ouvrage collectif coordonné par J [4] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiques
Ades et F Rouillon). Upjohn, 1992 : 1-300 en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[2] American Psychiatric Association. Mini DSM IV. Critères diagnostiques [5] Senon JL, Sechter DE, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-
(Washington DC, 1994). Traduction française par JD Guelfi et al. Paris : Masson, mann Science et Pratique médicale, 1995
1996 : 1-384

[3] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Paris : Doin, 1986

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7-0180
7-0180

Troubles de la personnalité
Encyclopédie Pratique de Médecine

N Gluck-Vanlaer

L a personnalité pathologique d’un individu se définit comme un ensemble de traits de caractères relativement
stable dans le temps mais qui le conduit à échouer dans les buts qu’il se fixe et à faire souffrir son entourage. La
prévalence des troubles de la personnalité est estimée de 6 à 10 % de la population générale.
© Elsevier, Paris.


‚ De la personnalité pathologique comportementalistes, systémiciens et sociologues.
Généralités et définitions au trouble psychiatrique Aucune de ces hypothèses ne paraît a priori à rejeter,
d’autant que chacune d’elles peut ouvrir des
Un autre problème épineux est celui de la frontière
perspectives thérapeutiques préventives et curatives. Il
entre personnalité pathologique et maladie mentale,
convient donc de les explorer à l’aide des différents
Les troubles de la personnalité constituent une certains troubles du comportement pouvant, en
outils mis à notre disposition afin d’établir la stratégie
entité particulière au sein de la nosographie fonction de leur intensité ou du contexte, constituer un
thérapeutique la plus appropriée.
psychiatrique, car l’établissement d’un diagnostic de véritable symptôme psychiatrique (par exemple la
méfiance exagérée d’une personnalité paranoïaque La multiplicité des catégories nosographiques de
personnalité pathologique ne passe pas comme
est parfois difficile à différencier d’une idée délirante troubles de la personnalité reflète bien la diversité des
habituellement par le repérage de véritables
persécutive). De même la personnalité dépressive hypothèses théoriques et l’évolution de la réflexion
symptômes psychiatriques présents à un moment
proposée par certains est sujette à caution car dans ce domaine.
donné, mais par le regroupement en une constellation
particulière des caractéristiques psychologiques d’un correspond peut-être à une dysthymie d’intensité On peut citer ainsi la division classique en grandes
individu. Ces caractéristiques correspondent à une modérée. De plus, il existe une comorbidité non catégories : personnalités névrotiques, psychotiques,
manière d’être régulière de la personne, se négligeable entre certains troubles de la personnalité névroses de caractère, états-limites. Elle est issue à la
manifestant dans ses comportements relationnels vis- et certains troubles psychiatriques avérés. fois d’une réflexion psychodynamique traditionnelle et
à-vis des autres, dans sa façon d’utiliser sa pensée, de Selon Foulds (cité par Guelfi), certains éléments d’une approche quantitative tendant à considérer les
ressentir et d’exprimer ses émotions, dans sa manière permettent la distinction : troubles de la personnalité comme des maladies
d’affronter, de réagir et de s’adapter aux objets, – l’universalité des traits de caractères par mentales a minima, par opposition à l’approche
personnes et situations rencontrés tout au long de la opposition à la contingence des symptômes qualitative qui considère les traits pathologiques
vie. (beaucoup plus variables selon les cultures) ; comme une exagération des traits de caractères les
On estime la prévalence des troubles de la – le caractère égosyntonique des traits de plus courants (telles la timidité, l’indifférence, la
personnalité autour de 6 à 10 % de la population personnalité, alors que les symptômes sont méfiance, la paresse...).
générale. égodystoniques, c’est-à-dire incongrus pour le Moi Issues des théories psychanalytiques, différentes
(mais ceci est plus vrai pour certains traits comme les catégories repèrent les personnalités pathologiques en
‚ De la personnalité normale traits narcissiques que pour d’autres) ; fonction soit du stade du développement libidinal
à la personnalité pathologique – la stabilité des traits de personnalité au cours du auquel l’angoisse du sujet semble s’être fixée
Chaque individu ayant « son » style de vie, « sa » temps alors que les symptômes sont variables et préférentiellement, déterminant un mode privilégié de
manière d’être avec autrui, la frontière entre normal et intermittents, leur présence se limitant à la durée relation d’objet (personnalités orales où l’avidité traduit
pathologique est difficile à établir. Il n’existe pas de définie de chaque épisode psychiatrique. l’angoisse de manque, personnalités anales dominées
définition satisfaisante de la personnalité normale ; la par le besoin de maîtrise de l’environnement, sous-
normalité définie en termes de conformisme social est ‚ Des hypothèses étiopathogéniques tendu par l’angoisse de perte de contrôle symbolisée
un concept dangereux quand on considère l’évolution à la catégorisation nosographique par le relâchement sphinctérien, personnalités
des mœurs au fil des siècles ou la disparité des On considère habituellement que la personnalité phalliques organisées autour de l’angoisse de
habitudes culturelles de par le monde. Le concept le se constitue progressivement au cours du développe- castration) ; soit de leurs mécanismes de défense
plus utile pour le médecin est sans doute celui de ment. À partir de prédispositions innées psychodynamiques prévalents (par exemple la
normalité fonctionnelle, définie par la capacité du sujet (vraisemblablement héréditaires), les traits de personnalité obsessionnelle par son recours à
à s’adapter à son environnement et à utiliser au mieux caractères se façonnent au gré de multiples influences, l’isolation, l’annulation, l’intellectualisation ; ou les
les ressources de sa personnalité pour contribuer à son tant générales (milieu socioculturel, événements de personnalités psychotiques avec le déni, le clivage, la
épanouissement personnel et à son bien-être l’époque), qu’individuelles (personnalité et style projection...). Des tests projectifs comme le test de
relationnel. Par opposition, la personnalité éducatif des parents, composition de la constellation Rorschach (étudiant les réponses évoquées par la
pathologique d’un individu se définit alors comme un familiale et place au sein de celle-ci, événements de vie présentation d’un matériel visuel peu structuré
© Elsevier, Paris

ensemble de traits de caractères relativement stables précoces). Il est toutefois difficile d’évaluer précisément constitué de taches d’encre), ou le TAT (qui présente
dans le temps qui le conduisent à échouer dans les le poids respectif de ces facteurs, et les différentes des images plus structurées évoquant diverses
buts qu’il se fixe et à faire souffrir son entourage, ceci hypothèses physiopathologiques des troubles de la situations relationnelles) peuvent contribuer à l’étude
en dépit de sa volonté et malgré parfois une certaine personnalité ont donné lieu à nombre de controverses de la personnalité dans ces perspectives
conscience de ses troubles. scientifiques entre généticiens, psychanalystes, psychodynamiques.

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7-0180 - Troubles de la personnalité

Les cognitivocomportementalistes s’attachent plus Principes généraux de traitement


à décrire les personnalités pathologiques par le type Tableau I. – Critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité
de croyance intime prévalent de l’individu (supériorité des troubles de la personnalité.
La psychothérapie est théoriquement le traitement
du paranoïaque, nécessité d’être aimé des autres de de choix des troubles de la personnalité, mais elle n’est
A. Modalité durable de l’expérience vécue et des
l’hystérique), croyance qui induit des stratégies pas indiquée dans tous les cas, et parfois même
conduites qui dévie notablement de ce qui est at-
comportementales interpersonnelles particulières. tendu dans la culture de l’individu. Cette déviation contre-indiquée.
Une autre approche, issue de la psychologie est manifeste dans au moins deux des domaines La première, et sans doute la meilleure, des
expérimentale, a tenté de définir des profils de suivants : indications est la demande spontanée du patient qui
personnalité à partir du regroupement de traits - la cognition (c’est-à-dire la perception et la ressent une souffrance intime et pressent qu’elle est de
identifiés lors de la passation de certains tests, vision de soi-même, d’autrui et des événements)
nature psychologique. Parfois cette demande n’est pas
autoquestionnaires et hétéroquestionnaires. Ceux-ci - l’affectivité (c’est-à-dire la diversité, l’inten-
sité, la labilité et l’adéquation de la réponse émo- exprimée clairement car le patient, gêné et culpabilisé,
utilisent généralement des listes de phrases ou ne s’autorise pas à demander de l’aide. Si le praticien la
tionnelle)
d’adjectifs qualifiant les comportements et les attitudes - le fonctionnement interpersonnel perçoit et l’exprime verbalement au patient, il a la
mentales du sujet, le traitement statistique par - le contrôle des impulsions. surprise de constater que celui-ci paraît soulagé et
l’analyse factorielle des réponses permettant ensuite abonde aussitôt dans son sens.
d’extraire les principales dimensions de la B. Ces modalités durables sont rigides et envahis-
Dans d’autres cas, si la pathologie de la
personnalité. sent des situations personnelles et sociales très
diverses. personnalité saute aux yeux du médecin, ses
Différents outils psychométriques ont été élaborés. propositions d’aide psychologique sont violemment
Les uns visent à la description la plus exhaustive C. Ce mode durable entraîne une souffrance clini- repoussées, ou restent lettre morte. Le praticien doit
possible de la personnalité (Cattell, Eysenck), et quement significative ou une altération du fonc- alors rester prudent et se cantonner dans son rôle de
peuvent contribuer aux hypothèses de recherche tionnement social, professionnel ou dans d’autres généraliste, en espérant qu’à la longue il pourra
génétiques par l’identification de dimensions
domaines importants.
gagner la confiance de son malade et lui faire peu à
présentes de façon universelle dans les personnalités D. Ce mode est stable et prolongé et ses premières peu admettre l’idée d’une psychothérapie.
« normales » et pathologiques (déviations quantitatives manifestations sont décelables au plus tard à Lorsque le principe en est accepté par le patient de
ou qualitatives). Par exemple le modèle de Cloninger l’adolescence ou au début de l’âge adulte. nombreux types de psychothérapies existent, qui ne
isole quatre dimensions fondamentales (recherche de sont d’ailleurs pas incompatibles entre elles,
E. Ce tableau n’est pas mieux expliqué par les
la nouveauté, évitement du danger, dépendance à la conséquences d’un autre trouble mental. (psychanalytiques, cognitivocomportementales,
récompense, persévérance), et tente de les corréler à relaxation...), et le choix est affaire de spécialiste.
des profils neurobiologiques particuliers. Les autres, à F. Ce mode durable n’est pas dû aux effets physio- Toutefois le généraliste proposera toujours, au
visée plus clinique, se proposent d’aider au repérage logiques directs d’une substance (par exemple une moins dans les débuts, de maintenir le lien avec son
drogue donnant lieu à abus ou un médicament) ou
des principales catégories de personnalités patient en attendant que le processus psychothérapi-
à une affection médicale générale (par exemple un
pathologiques. traumatisme crânien). que s’installe.
C’est ainsi que la classification américaine du DSM Le lien médical est un soutien important pour ces
IV propose d’établir sur son Axe II des diagnostics de patients, surtout lorsque le médecin a bénéficié d’une
personnalité pathologique par regroupement plus quelques catégories « à l’étude », dont la validation formation psychologique, ou reçoit l’aide indirecte
statistique d’items qui ont été choisis de manière est en cours, comme les personnalités dépressives ou d’un psychothérapeute, par exemple dans le cadre
athéorique en principe, pour décrire des conduites passives-agressives. d’un groupe Balint.
manifestes. Le diagnostic de troubles de la Le généraliste doit bien connaître les psychiatres et
personnalité requiert des critères généraux (tableau I). ‚ En pratique psychologues auquels il adresse ses patients afin de
Les troubles de la personnalité sont ensuite faciliter le relais thérapeutique. Si possible il aura
Comment poser le diagnostic de trouble plusieurs correspondants, d’âge et de sexe différents
présentés en trois groupes (A, B, et C).
de la personnalité ?
■ Le premier comprend les personnalités au car quels que soient la compétence et le savoir du
comportement bizarre ou original, et regroupe les Le diagnostic est basé sur la présence de certains thérapeute, ces paramètres peuvent compter dans
personnalités paranoïaques, schizoïdes, et traits de comportement qui peuvent apparaître évidents l’établissement de l’alliance thérapeutique
schizotypiques (correspondant à peu près aux au premier entretien clinique, surtout quand le praticien Les principales personnalités pathologiques sont
personnalités psychotiques de la nomenclature posséde bien les critères diagnostics. Il oriente et explicitées ci-après.
traditionnelle). complète un entretien informel ou purement médical
■ Le deuxième comprend les personnalités dont par quelques questions ciblées sur la vie affective,


les attitudes et les comportements sont théâtraux, relationnelle, professionnelle ou sur l’histoire du sujet.
excentriques, bruyants et dramatisés ; et regroupe les Bien souvent ces traits sont d’intensité fluctuante. Il Personnalité hystérique
personnalités histrioniques, narcissiques, antisociales est parfois nécessaire, même au psychiatre, d’attendre
et limites (borderline). l’établissement d’une relation de confiance et un
■ Le troisième comprend les personnalités certain temps de cheminement thérapeutique pour Bien que classiquement décrite chez la femme, la
anxieuses et craintives, au comportement effacé et asseoir un diagnostic de trouble de la personnalité. personnalité hystérique existe aussi chez l’homme,
fuyant. Il regroupe les personnalités obsessionnelles L’entourage est parfois mieux placé que le patient avec des particularités cliniques qui la font souvent
compulsives, dépendantes et évitantes. On peut lui-même pour repérer ces traits car il n’a souvent pas méconnaître et sous-évaluer.
considérer que les classiques personnalités conscience de ses troubles.
névrotiques, les névroses de caractère et les états À côté des personnalités pathologiques typiques, ‚ Description clinique de la forme typique
limites se répartissent dans ces deux derniers groupes. on rencontre fréquemment des personnalités Elle regroupe comme traits principaux l’histrionisme
Il faut noter que la personnalité hystérique n’existe pas composites, qui présentent soit plusieurs personnalités et la facticité des affects, la prévalence du mode de
en tant que telle dans le DSM IV, mais on retrouve plus pathologiques associées, soit des critères appartenant pensée imaginaire, l’hyperréactivité émotionnelle, la
ou moins son pôle génital dans la personnalité à différentes personnalités pathologiques sans réunir suggestibilité et la mythomanie, la dépendance
histrionique et son pôle oral dans la personnalité un tableau complet, constituant une sorte de affective, et les troubles de la sexualité.
dépendante. « mosaïque ».
Dans sa dernière version, la classification Un diagnostic de personnalité pathologique ne doit Histrionisme
européenne CIM 10 se rapproche considérablement être porté qu’à distance d’un trouble psychiatrique Considéré comme le trait central de la personnalité
des descriptions du DSM IV. Ces classifications ont le aigu, car certains traits de caractère sont exagérés ou hystérique, l’histrionisme correspond au désir de
mérite, outre leur clarté et leur simplicité, de balayer le gommés par l’épisode en cours. En cas de doute il faut paraître afin de capter l’attention d’autrui. L’hystérique
champ de la clinique traditionnelle (on peut y retrouver réevaluer la personnalité à distance de l’épisode ; ceci semble en permanence jouer un rôle, qu’elle adapte
les personnalités pathologiques les plus universelle- est particulièrement vrai dans les états dépressifs. au gré de la demande supposée de l’interlocuteur. Il
ment reconnues et les mieux individualisées). Le DSM Même ainsi le diagnostic reste parfois difficile et le s’agit souvent d’un hyperconformisme au stéréotype
IV, qui soutient une démarche de recherche, ouvre de praticien demandera alors un bilan psychologique. féminin en vigueur selon la culture et l’époque, afin de

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Troubles de la personnalité - 7-0180

se couler dans le désir de chaque homme vécu personnalité histrionique, et la personnalité passive-
comme partenaire potentiel. On parle ici d’érotisation dépendante. La dépendance affective est certes Quelle attitude adopter devant une
des rapports sociaux. Ce jeu théâtral où les sentiments présente chez l’histrionique sans cesse à la recherche personnalité hystérique ?
et les émotions sont exprimés de façon exagérée, de l’attention d’autrui, incapable de supporter
dramatisée, donne au spectateur, plus ou moins séduit l’indifférence ou la frustration. Mais elle peut être ✔ La personnalité hystérique est une
et conquis suivant sa propre personnalité, une beaucoup plus marquée chez un autre type des personnalités pathologiques les
impression d’inauthenticité, de facticité (dans les d’hystériques caractérisé par un puérilisme important, plus fréquentes mais il convient de
critères du DSM IV on retrouve les termes de un manque d’autonomie matériel et psychique
respecter strictement ses critères afin
superficiel, vaniteux, et exigeant). L’hystérique, qui pouvant confiner à l’invalidité sociale. Ces personnes,
n’est pas dépourvue de sentiments sincères, peut se passives et peu sûres d’elles, attendent des autres
de ne pas en faire un diagnostic
retrouver prise à son propre jeu inconscient et ressentir toutes les prises de responsabilités ; elles se mettent en fourre-tout.
un vécu d’incompréhension, d’insatisfaction, source de position de soumission apparente, mais peuvent se ✔ Il faut aussi se garder d’y
malentendus et d’échecs relationnels. retourner agressivement contre le décideur qui a déçu adjoindre une connotation péjorative
leur attente. Elles exhibent leurs inaptitudes, mais car la souffrance psychique y est
Mode de pensée imaginaire consacrent leurs potentialités à la manipulation subtile réelle, et les plaintes somatiques
La réalité est perçue par l’hystérique de manière de leur entourage.
parfois fondées, l’hystérie ne
déformée par le filtre de ses représentations
imaginaires érotisées. Elle a du mal à prendre en
Troubles de la sexualité protégeant malheureusement pas des
compte les sentiments réels de ses partenaires (ce qui On observe fréquemment chez l’hystérique des autres maladies.
peut la faire taxer d’égocentrisme). troubles tels que la peur des relations sexuelles, la ✔ Le diagnostic de conversion ou de
frigidité (plus ou moins permanente), le dégoût de la somatisation doit toujours rester,
Relations de l’hystérique sexualité, ou même l’oubli, la négligence affichée de ce
avec les « objets » réels même sur ce terrain, un diagnostic
domaine considéré comme étranger à soi. Ces
troubles sont parfois masqués derrière une hyper-
d’élimination. Le praticien doit
Les relations de l’hystérique avec les « objets » réels
(relations amicales, amoureuses, ou sociales, sexualité apparente, surtout chez les plus jeunes qui s’assurer tant par l’examen clinique
professionnelles) sont émaillées d’élans passionnés et par une sorte de conformisme culturel et par besoin de que par les examens
de volte-faces soudaines. Les déceptions entraînent réassurance peuvent apparaître comme des complémentaires qu’il ne passe pas à
souvent un repli dans un monde imaginaire, nymphomanes collectionnant des relations en fait côté d’une maladie physique. Il doit
l’hystérique perd son temps en rêveries amoureuses insatisfaisantes. cependant se méfier de ne pas
sur des partenaires aussi idéalisés qu’inaccessibles et répéter des bilans déjà faits et passés
Éthiopathogénie de la personnalité hystérique
néglige de faire évoluer sa vie réelle.
Pour les psychanalystes, la problématique des sous silence par le patient.
Hyperréactivité émotionnelle histrioniques se situe au niveau de l’angoisse de ✔ Outre le traitement de
Elle associe hyperémotivité, impulsivité, et labilité castration, de la perte de pouvoir, alors que les complications (dépressives en
émotionnelle qui donnent au comportement de dépendantes seraient fixées de manière plus particulier), la démarche essentielle
l’hystérique un aspect changeant, voire chaotique, archaïque au stade oral avec des angoisses de est l’écoute attentive qui permet, au
émaillé de crises de colère ou de larmes, de ruptures, manque affectif, d’abandon.
travers de l’établissement d’une
de gestes suicidaires impulsifs, souvent dans un ‚ Personnalité hystérique chez l’homme alliance thérapeutique, de rassurer,
contexte manipulatoire de chantage affectif.
Pour des raisons culturelles (l’hystérie qui dérive du de faire la part entre le somatique et
Parfois la violence de la revendication affective
grec signifiant utérus est traditionnellement associée à le psychique, et d’aider à la prise de
lorsqu’elle se fixe sur un objet qui se dérobe a fait
la femme), ce diagnostic est certainement sous-évalué conscience de l’origine psychique de
parler de personnalité hystéroparanoïaque.
chez l’homme, d’autant que le tableau clinique
Ailleurs des conduites d’évitement se développent présente des particularités. On repère deux grands
certaines plaintes. De là dépendra le
en réaction à l’hyperémotivité, faisant parler de types d’hommes hystériques (Lempérière). succès du relai psychothérapeutique
caractère hystérophobique. L’inhibition masque alors éventuel.
une hypervigilance permanente et empêche Homme histrionique
l’aboutissement des engagements relationnels Il tente lui aussi de coller au stéréotype de son sexe
(évitement de la sexualité en particulier). Plus rarement et affiche une hypermasculinité théâtrale avec un
des conduites de fuite en avant, souvent dans des comportement de séducteur. Ce donjuanisme cache
activités de sublimation, permettent aussi d’éviter en fait une angoisse de la performance et une difficulté ‚ Évolution et complications
l’accomplissement de la relation perçue comme à établir des relations affectives matures. Derrière une
dangereuse ainsi que la remise en cause qui pourrait ¶ Traits hystériques chez l’enfant
apparente assurance, on découvre une instabilité, qui,
découler de la prise de conscience de la problématique Chez l’enfant la présence de traits hystériques fait
associée à l’impulsivité, peut entraîner des passages à
fantasmatique. partie du développement normal car l’enfant est un
l’acte auto- ou hétéroagressif plus ou moins violents
être fondamentalement dépendant de l’adulte, dont il
(souvent sous l’emprise de l’alcool, complication
Suggestibilité et mythomanie a besoin d’attirer l’attention et de rechercher la
fréquente dans cette pathologie), voire des conduites
Classiquement intégrés à la personnalité sollicitude et l’affection. Il va donc chercher
marginales ou délictueuses pouvant en imposer à
hystérique, ces traits sont actuellement discutés. naturellement à plaire, à briller, ou à se faire plaindre
première vue pour une psychopathie. L’homme
L’apparence de suggestibilité donnée par la diversité pour être rassuré sur l’amour que lui portent ses
hystérique reste cependant plus adapté que le
des rôles joués par l’hystérique en fonction de son parents. Chez certains, ces traits sont plus accentués,
psychopathe, c’est un « faux-dur » qui mène une
environnement n’est souvent pas confirmée lorsqu’on souvent quand le contexte familial est insécurisant ou
existence souvent parasitaire aux crochets de son
tente d’utiliser la suggestion à des fins thérapeutiques. qu’il a sous les yeux des modèles comportementaux
entourage et qui a recours en cas de problème à divers
Quant à la mythomanie, si le riche monde imaginaire semblables ; et l’on pourra porter le diagnostic de
échappatoires (fuite, somatisations...).
de l’hystérique peut parfois affleurer dans son discours personnalité histrionique, en sachant que ce tableau
réel pour enjoliver son histoire et mieux capter Homme passif-dépendant est sans doute temporaire (la stabilité dans le temps
l’attention de l’auditoire, les véritables constructions Ce sont des hommes immatures, inhibés, assumant des troubles de la personnalité de l’enfant et même de
mythomaniaques stables et persistantes traduisent mal la compétition sociale et la maturité sexuelle l’adolescent est insuffisamment étudiée mais ne
souvent des structures moins névrotiques. (impuissance, éjaculation précoce, crainte de semble pas très bonne).
l’homosexualité). Ils vivent souvent des vies rétrécies, À l’adolescence les comportements bruyants et
Dépendance affective 97bloqués par des manifestations anxieuses et dramatisés sont banaux, chez certains cependant le
Elle est constante chez l’hystérique, mais à des phobiques, et restent très dépendants de la figure trouble de la personnalité existe en germe et va
degrés très divers. C’est ainsi que plusieurs auteurs, et maternelle. Le recours à l’alcool est là aussi fréquent, s’affirmer au fil des années.
en particulier le DSM IV distinguent deux catégories, la dans un but de déshinibition. Avec l’âge plusieurs évolutions sont possibles.

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7-0180 - Troubles de la personnalité

¶ Traits histrioniques d’ensemble du problème), une horreur de la saleté et ■ le goût pour l’économie. Là aussi, il se traduit sur
Ils peuvent persister, voire paraître s’aggraver car le du désordre (entraînant des comportements de un plan matériel et sur un plan affectif. Sur un plan
vieillissement va rendre caricatural et de plus en plus ménage et de rangement ritualisés pour lesquels la matériel, ce sont des sujets parcimonieux, détestant
inefficace et inadapté le comportement d’hyper- distinction avec un trouble obsessif-compulsif n’est pas tout gaspillage, voire avares, tant par crainte de
séduction, d’autant que les cibles visées souvent ne toujours évidente), une tendance à la planification de manquer que par goût du pouvoir que l’argent
vieillissent pas avec l’hystérique (homme ou femme). l’existence où rien ne semble être laissé au hasard. procure. Ils sont réticents à partager, aiment
Ailleurs ces traits peuvent s’atténuer progressive- Dans le domaine moral il existe un attachement accumuler, collectionner. Sur un plan affectif, ils
ment, surtout quand l’hystérique trouve des excessif à l’« ordre établi », sorte de refuge contre les expriment peu d’émotions tendres et chaleureuses.
sublimations valorisantes dans la réussite d’une incertitudes et les angoisses existentielles, donnant à Contrairement aux schizoïdes, ils ont généralement
carrière artistique ou politique, ou dans des activités ces patients un aspect sérieux et conventionnel qui des relations affectives, mais elles sont empreintes de
altruistes (œuvres sociales, bénévolat...). bannit toute fantaisie ; froideur et ils consacrent plus de temps à leur travail
Cependant les décompensations anxieuses et qu’à cultiver l’amitié ou la vie de famille ;
dépressives ne sont pas rares, avec fréquence des ■ l’entêtement : ces sujets sont obstinés, peu
plaintes somatiques et des gestes suicidaires souvent influençables, dans la crainte de se « faire avoir », et
théâtraux et manipulatoires mais parfois aboutis. Les Quelle attitude adopter avec les changent difficilement de position. Ils aspirent à la
abus de toxiques sont courants, alcool et anxiolytiques personnalités obsessionnelles ? maîtrise d’eux-mêmes et d’autrui, exigeant comme le
en particulier. Ces dépressions sont souvent relève le DSM IV que « les autres se soumettent à leur
persistantes et rebelles aux traitements mais peuvent Dans sa relation avec le praticien, propre manière de faire les choses, sans prêter
s’améliorer spectaculairement à l’occasion de certains l’obsessionnel se comporte souvent attention aux sentiments provoqués chez autrui par ce
évènements de vie, parfois a priori défavorables (décès comme un « bon » malade, décrivant type de comportement » ;
du conjoint par exemple). L’hystérique peut alors faire avec précision ses troubles physiques ■ de manière fréquente, mais inconstante,
face avec une détermination surprenante pour une s’exprime le pôle psychasthénique sous forme d’une
personne habituellement dolente et inefficiente.
ou psychiques, et observant
tendance au doute et à l’indécision. Ces sujets
scrupuleusement les prescriptions. scrupuleux sont sans cesse en proie à des
¶ Personnalités passives-dépendantes Cependant il lasse parfois son auditeur
Elles ont un pronostic plus sombre, leur inhibition, interrogations (par exemple sur l’ordre des priorités,
leurs tendances phobiques et leur manque
étouffé par un luxe de détails inutiles, l’utilité ou le bien-fondé de leurs démarches), des crises
d’autonomie s’accentuent avec l’âge. Elles deviennent parfois présentés sous forme de de conscience, et à des ruminations (la frontière avec
de plus en plus tributaires d’un entourage peu à peu cahiers d’auto-observation. des obsessions idéatives n’est pas toujours aisée à
excédé par la lourdeur de la charge. C’est ainsi que l’on ✔ Chez ces patients les plaintes déterminer). L’action concrète et la prise de décision
peut voir des placements en maison de retraite leur demande un effort pénible, sans doute par crainte
somatiques ne sont pas rares, de se tromper, et elles sont souvent évitées ou
précoces et mal acceptés se compliquer de notamment autour de la sphère
dépressions graves, la patiente ne comprenant pas le retardées.
digestive (constipation chronique, La rigidité planificatrice de l’obsessionnel peut
rejet dont elle se sent la victime.
colopathie fonctionnelle...). Il faut se paraître à première vue s’opposer à l’indécision et à la
¶ Névrose hystérique garder de les traiter avec négligence, procrastination (tendance à remettre au lendemain) du
Elle n’est pas une complication en soi de la personnalité psychasthène, mais elles peuvent en pratique
car une pathologie organique réelle
hystérique, le concept de névrose hystérique tend coexister, soit simultanément, l’une tendant à
d’ailleurs actuellement à être démembré. Dans le DSM IV peut toujours exister ou survenir
combattre l’autre, soit sous forme de phases
les troubles de la personalité (histrionique, dépendante), après des années de symptomatologie
alternantes posant le problème d’une décompensa-
sont classés à part des troubles de conversion ou de fonctionnelle. tion dépressive d’une personnalité obsessionnelle.
somatisation. Les symptômes de conversion somatiques, ✔ L’équilibre est donc difficile entre
les états crépusculaires et les troubles anxioconversifs une démarche de réassurance et de Étiopathogénie de la personnalité
comme les classiques « crises de tétanie » de la banalisation des troubles et les obsessionnelle
nosographie française sont certes fréquents chez les
personnalités hystériques (les conversions seraient surtout
investigations cliniques et Le trépied clinique « ordre, entêtement, économie »
paracliniques nécessaires à correspond pour Freud à la résultante des formations
le fait des personnalités dépendantes). On peut cependant
l’élimination d’un trouble réactionnelles contre les pulsions anales. L’excitation
les observer chez d’autres personnalités pathologiques ou
organique. Chez ces patients le qui vient de la zone érogène anale, banale chez le petit
même de façon réactionnelle chez des personnalités
enfant, va peu à peu susciter honte et dégoût sous la
normales. De même, le cours évolutif des personnalités « nomadisme » médical n’est pas pression de l’éducation. La sublimation de la rétention
hystériques ne comprend pas toujours la survenue rare et il importe de bien se faire s’exprime dans la parcimonie, l’avarice, l’argent étant
« d’accidents » hystériques.
préciser les bilans antérieurs pour un symbole classique des matières fécales. Le goût de
éviter les répétitions inutiles. la maîtrise personnelle et interpersonnelle transcende


✔ Si dans le traitement des la difficuté d’acquisition et le plaisir du contrôle
Personnalité obsessionnelle complications sphinctérien.
les antidépresseurs et les thérapies La prééminence de la pensée sur l’action retrouvée
chez les psychasthènes est considérée par les
cognitivocomportementales sont les
psychanalystes comme une conséquence de la
Plus fréquemment diagnostiquée chez l’homme, principaux recours, le traitement de répression de pulsions agressives.
elle mélange à des degrés divers des traits appartenant fond des personnalités
à plusieurs formes classiques de personnalité Pour Janet, la psychasthénie traduisait une fatigue,
pathologique que sont la personnalité compulsive, la
obsessionnelles est plutôt la une « baisse de la tension psychique ».
personnalité psychasthénique (de P Janet), le caractère psychanalyse ou la psychothérapie
d’inspiration analytique. Leur ‚ Évolution et complications
anal (selon S Freud, dont la description repose sur le
trépied : ordre, entêtement, économie). caractère organisé et respectueux L’évolution vers la classique névrose obsession-
des protocoles peut être un atout nelle, c’est-à-dire la survenue sur une personnalité de
‚ Description clinique ce type de véritables obsessions et compulsions est
lorsqu’ils acceptent ce type de
Les principaux traits de cette personnalité sont : possible, mais pas du tout obligatoire. Par ailleurs, les
■ le besoin excessif d’ordre, matériel et moral.
traitement, mais leur tendance à troubles obsessifs-compulsifs, s’ils surviennent plus
Dans l97e domaine matériel, cela se traduit par une l’intellectualisation peut à la longue souvent sur personnalité obsessionnelle, peuvent
grande méticulosité et ponctualité, un perfectionnisme le stériliser en un monologue aussi se rencontrer sur d’autres personnalités
exagéré (les tâches sont exécutées avec soin, souci du interminable et ritualisé surlequel le pathologiques (voire chez des psychotiques, ce que
détail même s’il est sans importance, et respect des thérapeute a peu de prise. certains considèrent comme un mode de « cicatrisa-
règles mais souvent au détriment d’une vision tion »), ou sur des personnalités normales.

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Troubles de la personnalité - 7-0180

En revanche, il n’est par rare de voir sur les stade anal (sous-stade de réjection), ce qui n’est pas chirurgical), dont la mise en œuvre par le médecin, de
personnalités obsessionnelles d’autres complications très éloigné de la structure obsessionnelle. En effet, ces guerre lasse, n’entraîne généralement que déception
comme des épisodes dépressifs, volontiers personnalités partagent quelques traits, comme la et revendication.
mélancoliformes, ou une dépression chronique, de froideur ou la rigidité, et les rationnalisations pseudo-
l’anxiété, de l’hypochondrie, ou certaines logiques du paranoïaque peuvent en imposer pour
décompensations somatiques (ulcère gastrique par des ruminations obsessionnelles ; mais d’autres traits Quelle attitude adopter avec une
exemple). les départagent, et l’adaptation au réel et aux relations personnalité paranoïaque ?
En dehors de ces complications avérées, est tout de même meilleure chez l’obsessionnel. ✔ En pratique le médecin généraliste
l’obsessionnel peut mener une vie relativement stable, sera sans doute plus souvent
souvent monotone et socialement appauvrie. Certains ‚ Formes cliniques confronté au besoin de soutien d’un
(surtout des hommes) resteront célibataires par crainte À la suite d’auteurs comme K Schneider ou E conjoint ou aux plaintes d’un
des bouleversements que peut entraîner une relation Kretschmer on peut individualiser certaines formes
affective trop proche. Ils trouveront leur équilibre dans
entourage qu’à la demande
cliniques.
des carrières peu aventureuses où leur perfection- thérapeutique du paranoïaque.
nisme et leur sens de la hiérarchie peuvent être ¶ Personnalité paranoïaque de combat Celui-ci en revanche pourra l’aborder
valorisés. Elle est caractérisée par sa quérulence. Le sujet, dans une démarche procédurière de
opiniâtre et fanatique, cherche des querelles et des demande de certificats divers, vis-à-vis
procès à tout propos.
desquels il faudra se montrer prudent.


Personnalité paranoiaque ¶ Personnalité paranoïaque de souhait
Elle correspond à des sujets originaux et isolés
ayant une haute idée d’eux-mêmes, qui défendent
une idée ou une cause sans pour autant faire preuve
Le paranoïaque cherche en effet à se
fixer sur une personne et peut se
retourner agressivement contre celui
qui l’a déçu, même involontairement.
‚ Description clinique de combativité, et sans qu’il s’agisse d’une cause
personnelle. Une attitude neutre et un peu distante
Elle repose sur quatre traits fondamentaux.
■ L’hypertrophie du moi, considérée comme
où le praticien expose d’emblée ses
¶ Personnalité sensitive
trouble princeps par les auteurs français mais peu prise Elle est sensiblement différente. Le sujet est aussi en
limites est donc recommandée.
en compte dans la description du DSM IV, correspond proie à des interprétations négatives sur le ✔ Il faut cependant se méfier des
à la croyance intime du sujet en sa propre supériorité. comportement de son entourage, il se sent facilement diagnostics abusifs de personnalité
Elle se traduit par un orgueil démesuré et un mépris visé, blessé, humilié, mais au lieu de réagir par la lutte, paranoïaque portés trop facilement à
des autres qui font le lit de l’intolérance et du il se replie dans une attitude d’introspection l’encontre de personnes coléreuses
fanatisme, souvent associé au prosélytisme ; ainsi que douloureuse et dans des ruminations pénibles de ses ou protestataires, mais qui ont en
par une psychorigidité entraînant une obstination sentiments d’échec. Ces personnalités réservées,
inébranlable (parfois utile dans l’accomplissement de fait surtout le défaut de ne pas
volontiers délicates et scrupuleuses, peuvent être
certains parcours : c’est le cas de certains autodidactes, partager les vues ou de se mettre en
sujettes à des décompensations dépressives délirantes
mais aussi source de souffrance pour l’entourage). de type délire de relation. travers des intérêts de celui qui les
■ La fausseté du jugement. Ces sujets ont tendance Toutes ces formes cliniques ont en commun une stigmatise ainsi.
aux interpétations fausses (la limite diagnostique avec
vulnérabilité profonde de la personnalité dissimulée
le délire est parfois ténue), fonctionnent en


derrière la carapace caractérielle agressive et rigide, qui
permanence avec des a priori, et sont incapables
a fait comparer le paranoïaque au « colosse aux pieds Personnalité psychopathique
d’objectivité bien qu’ils se targuent de logique et de
d’argile ».
rationnalité.
■ La méfiance pathologique, placée au cœur de la ‚ Évolution et complications
description du DSM IV, est caractérisée par une attitude Appelée aussi personnalité antisociale, elle
soupçonneuse systématique vis-à-vis d’autrui, vécu Le caractère paranoïaque paraît malheuresement
recouvre un ensemble d’anomalies du caractère et des
comme a priori hostile. Il s’attend à être trompé par très stable dans le temps et très peu sensible aux prises
conduites à début précoce (avant 15 ans pour le DSM
son entourage le plus proche, d’où une jalousie en charges psychothérapeutiques, qu’il ne recherche
IV) avec non-prise en compte des règles sociales,
injustifiée envers son conjoint, une réticence à se d’ailleurs pas, voire rejette violemment, le problème
impulsivité et instabilité, qui n’appartient véritablement
confier même à ses amis ou associés, et une tendance étant selon lui situé chez « les autres ».
ni à une structure névrotique ni à une structure
à déformer les évènements et à interpréter les propos Outre l’inadaptation sociale dont nous avons parlé
psychotique. Pour certains, elle fait partie du tronc
en croyant y percevoir des significations cachées qui perturbe souvent gravement la vie familiale et
commun des états-limites.
menaçantes ou méprisantes. Ceci peut confiner au professionnelle, on peut voir des complications à type
délire de persécution. de procès interminables, voire d’actes médicolégaux à ‚ Description clinique
■ L’inadaptation sociale découle des traits type d’agressions diverses ou même de meurtres Ce diagnostic paraît plus fréquent, ou peut-être
précédents. Le sujet est sans cesse en conflit avec son « pour que justice soit faite ». mieux repéré chez l’homme. Il regroupe les traits
entourage professionnel ou familial, et ne reconnaît On peut voir aussi des effondrements dépressifs principaux suivants
jamais ses torts. Sûr de son bon droit, il tient les autres (pouvant mener au suicide qui est souvent ici autant
pour responsable de ses échecs, et garde une hétéro- qu’autoagressif) à l’occasion d’échecs, par Instabilité et impulsivité
rancunes tenace lorsqu’il se sent lésé, insulté ou exemple lorsqu’un entourage familial longtemps L’instabilité est majeure, donnant à la biographie du
dédaigné. Ceci peut installer un cercle vicieux, compliant ou soumis par la terreur se rebelle ou sujet une allure bien particulière qui est en-soi un
l’entourage excédé tendant peu à peu à le craindre et échappe. Ces moments sont théoriquement féconds symptôme. Dès l’enfance ou le début de l’adolescence
à le rejeter. pour tenter une mobilisation thérapeutique de la on repère des manifestations caractérielles avec
structure, mais en pratique, une fois l’épisode colères explosives, opposition aux adultes et bagarres
Éthiopathogénie symptomatiquement traité la carapace se referme avec les pairs, le refus de toute discipline et l’absence
de la personnalité paranoïaque bien souvent et le sujet redevient inaccessible. de persévérance dans l’effort entraînent généralement
Selon S Freud, le caractère paranoïaque serait un Un véritable délire paranoïaque peut survenir sur un échec des apprentissages malgré une intelligence
système de défense contre une homosexualité latente, une personnalité paranoïaque, mais ceci n’a rien de normale, surtout utilisée de manière concrète. Le
que la conscience rejette comme inacceptable ; les systématique, et dans ces délires d’autres types de cursus scolaire est émaillé de nombreux changements
désirs inavouables seraient projetés sur autrui donnant personnalité peuvent s’observer. Parmi ces délires, le d’établissements, voire d’une désinsertion scolaire
naissance aux sentiments de persécution. praticien peut être plus particulièrement confronté au totale avant l’âge légal de fin des études. Les
Pour d’autres, la personnalité paranoïaque résulte délire hypocondriaque dans lequel le patient se croit changements répétés d’orientation (engouements
d’une défaillance de l’organisation narcissique atteint d’une affection bien précise et est dans une subits pour une voie tout aussi vite abandonnée) ne
primaire, avec fixation prégénitale prépondérante au quête inlassable d’un traitement curatif (souvent permettent en général pas au psychopathe d’acquérir

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7-0180 - Troubles de la personnalité

une véritable formation professionnelle ou un matérielles et immédiates. Une fois obtenu l’argent ou l’emprise de drogues (pharmacopsychoses) soit
diplôme. Sur ce tableau se greffent assez vite des l’avantage recherchés, il se désintéresse totalement de lorsqu’ils sont placés dans certaines situations
fugues, de la petite délinquance (graffitis, vols de son interlocuteur. Les conséquences de ses actes sur extrêmes (incarcération par exemple). Ces états
mobylettes), voire des passages à l’acte plus graves autrui ne semblent pas générer en lui de sentiments de régressent vite sous traitement, ce qui les distingue des
(agressions, prostitution, toxicomanie, deal) qui culpabilité. Il se comporte de manière égocentrique et autres psychoses ; en effet, il faut mentionner d’une
l’amènent parfois devant le juge pour enfant, à des superficielle, ce qui explique la grande instabilité de sa part que la personnalité psychopathique est retrouvée
placements spécialisés, voire en prison. vie affective. Il change souvent de partenaire par goût dans certaines études épidémiologiques plus
À l’adolescence ces troubles du comportements de la nouveauté, refus de l’engagement, mais aussi fréquemment présente chez les parents de premier
deviennent patents ; le service national, lorsqu’il est lorsque l’autre n’a plus rien à lui apporter degré de schizophrènes (suggérant un trait génétique
effectué, est soit émaillé d’incarcérations et autres matériellement ou narcissiquement, ou lorsqu’il a commun), et d’autre part l’existence d’une forme
sanctions disciplinaires pour fugues, rixes, conduites trouvé mieux ailleurs. Les troubles des conduites clinique de schizophrénie d’allure pseudopsychopathi-
d’opposition, soit avorté par une réforme précoce. sexuelles ne sont pas rares (sadisme, masochisme, que appelée l’héboïdophrénie.
L’instabilité se poursuit chez le jeune psychopathe sexualité de groupe, prostitution) mais résultent plus
adulte, qui n’arrive jamais à se fixer durablement dans de l’impulsivité et du goût de la provocation que d’un
un cadre déterminé. Bien qu’il dise souvent aspirer à scénario stable, élaboré et contraignant commme chez Quelle attitude adopter avec un
une vie tranquille et confortable, il change sans cesse le véritable pervers sexuel. Ils sont donc plus labiles. psychopathe ?
d’emploi, d’activité, de profession, de domicile. Ceci Même s’il en parle de manière touchante, il ne ✔ En dehors des milieux carcéraux
tient à son impulsivité qui l’empêche de réfléchir, de s’occupe généralement pas de ses enfants, ou de l’instabilité majeure du psychopathe
différer la mise en acte de son inspiration du moment, façon impulsive et très épisodique. Quant aux parents met en échec les psychothérapies,
à son intolérance à la frustration qui l’empêche de et amis, les relations avec eux sont en général
déjà compromises par le manque
persévérer dans ses projets à la première difficulté utilitaires.
rencontrée, mais aussi à son incapacité à tirer des
d’introspection et les tendances
Anxiété projectives du psychopathe.
leçons de l’expérience vécue (il ne comprend pas ce
qui lui arrive et ne s’y intéresse d’ailleurs pas, ou rejette L’absence d’anxiété est classique chez le ✔ On ne peut que répondre au coup
ses échecs sur les autres, la société). Il vit souvent de psychopathe et lui permet parfois une sorte par coup et de façon symptomatique
combines, en parasitant son entourage, sans rien d’héroïsme dans des actes de bravade qui effraieraient
à leurs demandes thérapeutiques, en
constuire, en marge, voire carrément dans l’illégalité. n’importe qui. Cependant plusieurs études ont montré
que l’anxiété n’est pas rare chez le psychopathe, avec se gardant d’être manipulé. En
Sa vie affective est aussi instable, émaillée d’aventures
souvent des manifestations somatiques. Mais elle pratique par exemple on évitera de
et de ruptures. Il est guidé par l’impériosité de ses
désirs, mais leur réalisation ne le satisfait jamais, il veut trouve souvent à se résoudre dans des passages à prescrire des produits entraînant une
« tout, tout de suite ». Sans s’en rendre compte, il est en l’acte plus ou moins cathartiques, dans des pharmacodépendance, ou risquant
fait très dépendant des autres, et très influençable dans conversions hystériques, ou dans le recours aux d’être détournés de leur usage (pour
drogues et à l’alcool. On retrouve aussi une instabilité
ses désirs. l’anxiété par exemple, on préfèrera
thymique à type d’épisodes dysphoriques brefs lors
Classiquement, cette instabilité et ces troubles des de petites doses de neuroleptiques
d’un échec ou d’une rupture, pouvant entraîner des
conduites tendent à régresser avec l’âge, le sédatifs aux benzodiazépines).
tentatives de suicide.
psychopathe va peu à peu se « ranger », se calmer.
‚ Étiopathogénie de la psychopathie


Agressivité
Elle reste discutée. Personnalités limites
Elle peut avoir plusieurs dimensions. Il existe une Si la classique théorie de la dégénérescence paraît ou « borderline »
agressivité verbale et physique qui découle de dépassée, on a cherché des arguments en faveur
l’impulsivité et de l’intolérace à la frustration. Il s’agit d’une prédisposition génétique, mais elle reste à
alors d’insultes, de bagarres, de crises clastiques, l’heure actuelle trop peu étayée. Cette catégorie tente de rendre compte de
souvent dans une atmosphère de menace, de L’hypothèse d’un dysfonctionnement biologique à l’existence de patients chez qui dominent l’angoisse,
chantage ou de vengeance. Dans ce cadre se situent l’origine de l’impulsivité est séduisante, mais de peu de l’instabilité, et divers symptômes d’allure névrotique,
aussi des passages à l’acte autoagressifs (conduites de portée thérapeutique vu la mauvaise compliance de mais qui se comportent lors des thérapies analytiques
risque, tentatives de suicide avec souvent auto- ces sujets. comme des stuctures psychotiques par leurs
mutilations : phlébotomies, ingestion de divers Parmi les hypothèses psychodynamiques, il faut mécanismes de défense et leur mode de décompensa-
matériaux piquants ou tranchants). Ces manifestations citer celles qui invoquent une carence du narcissisme tion. Ils semblent donc se situer à la « frontière » de la
agressives sont souvent dramatisées, théâtrales, le primaire. La carence ou la distorsion des relations névrose et de la psychose, d’où le terme de borderline.
psychopathe emprunte alors des traits aux mère-enfant précoces entraîne un déficit de
personnalités hystériques et paranoïaques. La ‚ Description clinique
structuration de la personnalité, avec défaut de
marginalité est agressivement affichée (style fantasmatisation et absence d’intériorisation des Le tableau clinique est hétérogène et polymorphe.
vestimentaire, coupe de cheveux, tatouages). On conflits. Les tensions pulsionnelles se résolvent alors Les traits les plus constants sont les suivants.
observe parfois des passages à l’acte beaucoup plus en « court-circuit » par le passage à l’acte, sans recours à
graves (viols, agressions, ou même meurtres, en Angoisse
la pensée ou au langage.
général peu prémédités). Elle est diffuse, constante, envahissante. Il ne s’agit
Dans d’autres cas, l’agressivité est beaucoup plus ‚ Évolution et complications ni d’une angoisse névrotique banale, ni d’une
élaborée. Soutenue par le mépris d’autrui (considéré On a vu que sur ce terrain les épisodes dépressifs et angoisse de morcellement schizophrénique, mais d’un
comme inférieur), et de la société (dont les règles sont les tentatives de suicide (parfois « réussies ») ne sont pas sentiment de vide, de manque, qui, associé à une
rejetées), elle va se manifester par des actes de rares, de même que les abus de drogues, psychotropes perturbation du sens de l’identité (incapacité à établir
déliquance plus réfléchis et structurés (escroqueries, et alcool, pouvant se compliquer de dépendance, une image de soi stable et nuancée), entraîne un
vols prémédités, enlèvements), pouvant revêtir une d’overdose, de maladies somatiques (cirrhose, défaut de la cohérence interne qui donne un sens à la
dimension perverse où le goût de la transgression se hépatite, sida...). De même, on peut voir des séquelles vie. Les crises d’angoisses aigües sont fréquentes,
manifeste par le plaisir de faire du mal, ou de le faire des passages à l’acte (accidents, automutilations, souvent accompagnées de dépersonnalisation. La
faire par d’autres. défenestrations, bagarres). présence d’une personne attentionnée aide
Quand les psychopathes ont réchappé à ces considérablement à la résolution de ces crises. De
Inaffectivité complications on peut, dans les bons cas, voire une même, ces patients sont souvent déstabilisés par
En apparence le psychopathe est souvent agréable progressive stabilisation comportementale après la l’entretien médical ou psychiatrique, mais
et charmeur. Il est capable de prendre une apparence trentaine, le psychopathe trouvant une insertion contrairement aux psychotiques, ils sont très sensibles
conforme à ce qui plaît à l’autre, et de le séduire par un relative dans des milieux socioprofessionnel à la réassurance et se « restructurent » en cours
discours souvent mensonger ; mais contrairement à marginaux. d’entretien. C’est pourquoi ils sont si vulnérables aux
l’hystérique qui cherche à se faire aimer, le Enfin des décompensations délirantes brèves séparations et abandons qu’ils tentent désespérément
psychopathe vise des gratifications beaucoup plus peuvent s’observer chez les psychopathes, soit sous d’éviter. Ils tentent de compenser leur perturbation du

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Troubles de la personnalité - 7-0180

sens de l’identité par l’emprunt de personnalités agressives intenses. Pour Bergeret, ces mécanismes Image mégalomaniaque
factices, ils s’essayent à paraître normaux mais cette seraient mis en place pour lutter contre une angoisse de sa propre personne
fausse image reste une façade derrière laquelle se dépressive de perte d’objet, d’abandon. D’autres Elle est aussi appelée Soi-grandiose. Le sujet a le
cachent les angoisses et l’inconsistance de la auteurs soulignent la fréquence des abus sexuels subis sentiment d’être exceptionnel (sans que ses
personnalité. Pour décrire cela on a proposé les termes dans l’enfance par ces patients. réalisations ne viennent véritablement soutenir cette
de personnalité « as if » c’est à dire « comme si », de idée), il pense que ses problèmes personnels sont
structuration en « faux-self ». ‚ Évolution et complications uniques et qu’il ne peut être compris que par des gens
Outre les décompensations anxieuses, dépressives, spéciaux et de haut niveau. Il a le sentiment d’avoir
Instabilité et impulsivité
les passages à l’acte et les complications qui peuvent droit à des traitements de faveur, pense que tout lui est
Elles sont quasi constantes, avec facilité du passage en résulter, on peut voir chez ces patients, à l’occasion dû, et s’attend à ce que ses désirs soient automatique-
à l’acte. La biographie de ces patients comporte de stress, des décompensations psychotiques aiguës et ment satisfaits. Cela lui donne volontiers un abord
souvent de nombreuses ruptures sentimentales, en brèves à type de délire persécutif, ou des symptômes arrogant ou hautain.
général mal tolérées, l’insertion socioprofessionnelle dissociatifs sévères. L’évolution permettra le diagnostic
est fragile. Divers symptômes et comportements différentiel car en période aiguë on peut prendre ces Besoin excessif d’être reconnu et admiré
découlent de ce trait, comme les conduites de risque, patients pour des schizophrènes. Ce besoin recouvre en fait une vulnérabilité de la
les gestes suicidaires et automutilatoires, les dépenses personnalité avec estime de soi fragile et fluctuante. Ses
inconsidérées, la kleptomanie, la boulimie, la rêveries sont envahies de préoccupations de succès et
toxicomanie, l’alcoolisation souvent intermittente mais Quelle attitude adopter avec un de gloire, de pouvoir, de beauté ou d’amour idéal.
parfois massive, les fugues, les conduites sexuelles
état-limite ? Relations avec les autres
marginales et dangereuses. Ce trait rapproche les
borderlines des psychopathes, mais il existe des
✔ La relation thérapeutique avec ce
Ses relations avec les autres sont marquées par le
distinctions cliniques. En effet, même si le borderline ne type de malades est généralement manque d’empathie, c’est-à-dire la difficulté à se
peut s’empêcher de passer à l’acte, il est a posteriori en difficile. Le médecin peut être mettre à leur place pour leur venir en aide. Il a
désaccord avec sa conduite qu’il critique et regrette. Il « choisi » par un patient qui va tendance à exploiter plus ou moins consciemment les
paraît en un mot plus doué de sens moral que le l’idéaliser massivement après un autres pour servir ses propres fins, il est envieux de ce
psychopathe. Il exprime des sentiments de culpabilité premier contact où il aura apprécié que les autres sont ou possèdent et a tendance à croire
et de dégoût de soi, ce qui n’empêche malheureuse- que les autres l’envient.
la chaleur et la disponibilité du
ment pas les récidives. Ceci est néamoins important Dans sa forme pure, isolée, la personnalité
car ces sentiments peuvent être travaillés dans le cadre médecin. Mais il peut soudainement
narcissique est souvent bien adaptée sur le plan social
d’une psychothérapie pour essayer de briser le cercle le « désidéaliser » à la suite d’une et présente peu de symptômes psychiatriques, surtout
vicieux de la répétition, alors que ce n’est pas possible petite frustration (retard, report de quand ses capacités intellectuelles, ses dons
chez le psychopathe. rendez-vous, refus d’un médicament personnels ou les hasards de sa naissance et de la
Mode de relation à autrui
de « confort », d’un arrêt de travail fortune la place dans une situation enviable qui vient
peu justifié...). conforter et alimenter sa mégalomanie. Cependant sa
Il est caractérisé par son instabilité, mais aussi par la fragilité se révèle en situation d’échec ou de déception,
massivité des affects. Ces patients oscillent entre
Il sera souvent long et difficile de
et l’on voit survenir des réactions violentes de colère et
l’idéalisation extrême et la dévalorisation, celui qui les passer le relais au psychiatre car le
de rage destructrice. La décompensation dépressive
a déçu choit comme une idole de son piédestal. patient peut vivre cela comme un rejet. est beaucoup plus rare que chez le borderline grâce à
Contrairement à l’instabilité relationnelle de ✔ Sur le plan thérapeutique on la mise en jeu de défenses projectives (la faute est
l’hystérique ou du psychopathe, ces revirements et ces distinguera le traitement rejetée sur les autres).
ruptures sont sources de souffrance profonde au point symptomatique des épisodes aigus Cette personnalité se rapproche de la personnalité
de remettre en cause l’existence même. Ces patients borderline comme on l’a vu, de la personnalité
par antidépresseurs, neuroleptiques,
n’ont en fait pas d’autonomie psychique, incapables histrionique par son côté exhibitionniste, de la
de supporter la solitude, ils sont en quête d’une
ou anxiolytiques, en se méfiant des
personnalité paranoïaque par sa surestimation de soi
relation de complétude parfaite, voire de fusion, qui est risques d’abus et de dépendance ; du et ses tendances projectives. Elle semble pourtant
sans cesse déçue. traitement « de fond » qui repose sur devoir être individualisée, car elle correspond bien à
les psychothérapies. Ces patients des observations cliniques non exceptionnelles.
Dysphorie
peuvent souvent tirer profit de
Ces patients ressentent en permanence des ‚ Étiopathogénie
thérapies analytiques, mais la cure
sentiments de désespoir, d’impuissance, de vide, des personnalités narcissiques
type est en général trop
d’ennui, mais aussi de rage, de colère qu’ils ont du mal Pour Kernberg ces personnalités partagent avec les
à contrôler. De véritables décompensations contraignante au regard de leur borderlines une origine commune dans des
dépressives ne sont pas rares, ainsi que le suicide. instabilité, et susceptible de frustrations précoces extrêmes qui font le lit de la
provoquer des décompensations carence narcissique, mais elles s’en distinguent par la
Symptômes névrotiques psychotiques vu la massivité du constitution du Soi-grandiose qui n’est pas présent ou
Ils sont fréquents, mais généralement multiples et transfert. Le psychothérapeute devra de manière trop intermittente chez les borderlines.
changeants. On peut voir ainsi des phobies, des donc aménager le cadre de la prise
symptômes de conversion, des préoccupations


en charge (thérapie en face à face,
hypocondriaques ou obsessionnelles (mais avec peu
ou pas de lutte anxieuse). Contrairement aux névroses ou techniques particulières comme le Personnalité schizoïde
structurées, le patient limite passe d’un symptôme à psychodrame analytique).
l’autre sans se fixer.
Elle caractérise un mode particulier de relations
‚ Étiopathogénie des états-limites


affectives et sociales, caractérisé par le détachement, le
Divers auteurs, psychanalystes en général, se sont Personnalité narcissique retrait, et la pauvreté des expressions émotionnelles.
penchés sur la signification et la genèse de ces ■ Le sujet ne paraît ni apprécier ni rechercher les
troubles. Pour Kernberg, les états limites correspon- relations amicales, amoureuses, sexuelles ou
dent à une véritable organisation de la personnalité, familiales.
caractérisée par le recours à certains mécanismes Rangée par certains avec les borderlines, d’autres ■ Il a peu de centres d’intérêt et se cantonne à des
(plutôt psychotiques) de défense comme le clivage, les distinguent, comme le DSM IV qui souligne activités solitaires.
l’idéalisation, l’identification projective, le déni. Pour lui cependant leur association fréquente chez un même ■ Il semble indifférent aux éloges comme à la
ces troubles sont liés à des frustrations précoces patient. Dans sa forme typique et pure la personnalité critique, et paraît froid, distant, et peu adapté dans son
extrêmes, et s’accompagnent toujours de pulsions narcissique regroupe les critères suivants. contact.

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7-0180 - Troubles de la personnalité

inhabituelles, et un comportement excentrique. Bien


Quelle attitude adopter avec une personnalité narcissique ? que rangée parmi les troubles de la personnalité, cette
✔ La relation médecin-malade avec ces patients ne pose pas trop de problèmes pathologie pourrait correspondre à une forme
quand la demande reste centrée sur une pathologie organique, ce sont simplement mineure de schizophrénie.
des patients exigeants qui s’attendent à être traités avec égards et risquent de


rompre la relation s’ils s’estiment déçus.
Les adresser au psychiatre est souvent plus problématique et ne peut être tenté que si Personnalité évitante
l’on sent une demande réelle.
✔ En effet, sur le plan psychothérapeutique la prise en charge est difficile car ces
personnalités pensent rarement trouver un thérapeute à leur hauteur. De plus, en Comme la précédente elle est caractérisée par un
dehors des épisodes d’échecs, la souffrance subjective est faible ou absente et retrait social, mais celui-ci est source de souffrance
l’« insight » pauvre. Il arrive que ces personnes fassent une demande de cure subjective et non fruit de l’indifférence. Ce retrait est
analytique mais le propos en est plus un renforcement narcissique par la possibilité sous-tendu par le sentiment de ne pas être à la hauteur
d’acquérir une position d’analyste vécue comme instrument de pouvoir et de et la crainte du ridicule et de la désapprobation
d’autrui. En langage courant cette personnalité se
reconnaissance, qu’une véritable demande d’aide et de soin. Selon Kernberg il ne présente comme d’une timidité exacerbée, et entrave
faut pas a priori rejeter ces demandes car des possibilités d’évolution et considérablement les capacités de réalisation sociales
d’aménagement plus névrotiques existent, mais il faut pouvoir déceler tôt et professionnelles du sujet. Elle n’ose ni prendre de
l’organisation narcissique afin de les adresser à des thérapeutes rôdés à ce type de risques ni se mettre en avant et laisse ainsi passer des
personnalité. opportunités dont elle a conscience. Sur le plan amical
et affectif, sa crainte du rejet et de la critique l’empêche
de s’impliquer à moins de garanties importantes sur la
solidité du lien.
Cette catégorie diagnostique pose des problèmes
Cette attitude évoque le repli autistique du délire ni trouble formel de la pensée ou trouble patent de frontière avec la phobie sociale, rangée parmi les
schizophrène, d’autant que lorsqu’on parvient à entrer du comportement, ce qui le distingue du schizophrène. troubles anxieux ; pour le DSM IV les deux diagnostics
en relation de confiance avec ces sujets, on s’aperçoit Dans le DSM IV est aussi individualisée une peuvent coexister même si cela paraît redondant.
que leur pauvreté relationnelle contraste souvent avec personnalité schizotypique, caractérisée par un retrait La prise en charge thérapeutique repose surtout sur
une richesse de leur vie imaginaire dont le contenu est social et surtout des croyances bizarres, une pensée des thérapies cognitivocomportementales de type
plutôt original, fait de pensées abstraites, mystiques ou magique, des idées de référence (non délirantes) et affirmation de soi, mais certains antidépresseurs sont
métaphysiques. Cependant le schizoïde ne présente ni une tendance à se sentir persécuté, des perceptions préconisés dans la phobie sociale.

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie du Professeur Chevalier, centre hospitalier de Versailles, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Troubles de la personnalité.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0180, 1998, 8 p

Références

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troubles du comportement. Paris : Masson, 1993 : 1-305 1-287

[2] Debray Q. Le psychopathe. Nodules.Paris : PUF, 1981 : 1-79 [6] Kernberg O. La personnalité narcissique. Paris : Privat, 1980 : 1-191

[3] Guelfi JD, Boyer P, Consoli S, Olivier-Martin R. Psychiatrie. Paris : PUF, [7] Lempérière T, Féline A. Psychiatrie de l’adulte. Paris : Masson, 1977
1987 : 1-996
[8] MINI-DSM IV. Critères diagnostiques (Washington DC 1994). Traduction
[4] Hardy-Bayle MC. Le diagnostic en psychiatrie. Paris : Nathan, 1994 : 1-127 française par Guelfi JD et al. Paris : Masson, 1996 : 1-384

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7-0160
7-0160

Troubles de l’humeur
Encyclopédie Pratique de Médecine

Cédric Zeitter


considère que l’élément diagnostique principal est d’intensité (moindre pour la dysthymie), mais surtout
Introduction l’évolution progressive vers un état déficitaire. sur des critères de durée et d’évolution. L’ancienne
Le concept de « psychose unique » est ainsi battu psychose maniacodépressive est qualifiée « trouble
en brèche, et Kræpelin établit une distinction entre bipolaire », et séparée de la forme unipolaire, le
Les troubles thymiques, ou troubles de l’humeur, les psychoses non thymiques, schizophrénie et « trouble dépressif récurrent ».
comprennent l’ensemble des perturbations de paranoïa, d’évolution chronique, et vers une Bien que le statut de la dysthymie soit discuté
l’humeur rencontrées en pathologie psychiatrique. détérioration terminale des fonctions intellectuelles (névrose à expression dépressive, trouble de la
On distingue essentiellement deux types de troubles, pour la schizophrénie, et la psychose maniacodé- personnalité, trouble atténué de l’humeur), la
en fonction de la polarité de l’humeur : la manie et la pressive, caractérisée par une évolution par accès distinction dépression endogène-psychogène
dépression. Si l’état maniaque pose peu de avec restitution intégrale entre les accès, sans n’apparaît plus. Les dépressions « réactionnelles »
problèmes en matière de diagnostic, et de affaiblissement progressif. peuvent pour beaucoup d’entre elles être incluses
délimitation dans le champ psychiatrique (il s’intègre Kræpelin individualise ainsi un groupe de troubles dans le groupe des « troubles de l’adaptation », et ne
en règle générale dans un trouble bien identifié : la de l’humeur, dits « endogènes », et dont sont donc pas systématiquement considérées
maladie maniacodépressive ou trouble bipolaire), il l’« endogénicité » repose sur deux critères principaux : comme un trouble spécifique de l’humeur.
n’en est pas de même pour l’état dépressif. La le cours autonome et l’évolution périodique des
classique dichotomie psychogène (dépressions accès. Cependant, il reconnaît en 1913 le


névroticoréactionnelles) - endogène (maladie déclenchement possible d’accès de la maladie par Épidémiologie des troubles
maniacodépressive uni- ou bipolaire) des des facteurs psychoenvironnementaux. Le seul de l’humeur
dépressions est actuellement rediscutée, et de critère distinctif reste alors celui de la périodicité ou
nouvelles entités sont décrites, qui posent des des récurrences, qui par définition ne peut être
questions sur le plan des limites entre normal et ‚ Généralités
obtenu qu’après plusieurs accès. Certains auteurs ont
pathologique, entre personnalité et maladie, sur les néanmoins cherché à déterminer des critères Il existe une certaine hétérogénéité des résultats
plans de l’étiologie, de la pathogénie, des rapports symptomatiques d’endogénicité, qui permettraient d’enquête, liée probablement à des différences
entre les différentes formes de dépression, et entre de différencier dès le premier accès un état dépressif méthodologiques : variabilité des critères de
l’anxiété et la dépression : dépressions brèves endogène d’une dépression psychogène : intensité diagnostic, des instruments utilisés pour le recueil
récurrentes, dépressions subsyndromiques, troubles de la symptomatologie dépressive, qualité des données, défauts de représentativité des
mixtes anxiodépressifs. particulière de l’humeur, anhédonie, ralentissement, échantillons. Cependant, les études les plus récentes
Cependant, un consensus se dégage pour symptômes somatiques (asthénie, anorexie, perte de en population générale, s’appuyant sur des
individualiser deux formes principales de poids, insomnie, fluctuations nycthémérales de la entretiens standardisés et des systèmes
dépression : la dysthymie, forme chronique de symptomatologie). diagnostiques internationaux, permettent une
dépression d’intensité moyenne, et l’épisode La psychanalyse introduit une distinction entre meilleure comparaison de ces données, et montrent
dépressif majeur. Ces deux formes font partie des dépressions névrotiques et dépressions de manière consensuelle une prévalence élevée de
maladies de l’humeur, ont un déterminisme réactionnelles, reposant sur le caractère actuel ou la dépression. Cette prévalence est au troisième rang
biologique au moins partiel, et réagissent au non de l’événement psychologique qui est des troubles mentaux, derrière les troubles
traitement antidépresseur. responsable de la dépression. Ces deux formes sont phobiques, et l’abus ou la dépendance alcoolique, et
Un bref historique des conceptions permettra cependant souvent associées et regroupées en équivaut à celle des troubles anxieux.
d’éclairer les discussions actuelles sur les tentatives dépressions psychogènes. Pour les épisodes dépressifs majeurs (EDM), sur 1
de délimitation du champ des troubles de l’humeur. Deux groupes de dépressions sont donc an, elle tourne autour de 3 %, avec un rapport
distingués : dépressions endogènes (PMD et femmes / hommes de 2/1. La prévalence dans une


dépressions récurrentes), et dépressions étude française récente est de 6 % pour les femmes
Historique psychogènes, cette distinction étant actuellement et 3,4 % pour les hommes.
controversée, les éléments symptomatiques Sur la vie, elle se situe entre 5 % et 10 % selon les
évoqués ci-dessus ne permettant pas de valider cette études, l’étude française donnant là encore des
Falret et Baillarget, vers le milieu du XIXe siècle, distinction. chiffres élevés, avec 10,7 % pour les hommes et
sont parmi les premiers à accorder aux troubles de Les classifications psychiatriques récentes du DSM 22,4 % pour les femmes.
l’humeur une place particulière dans la nosographie IV (anglo-américaine) et de la CIM10 (européenne) Pour la dysthymie, la prévalence sur la vie entière
des troubles mentaux, en individualisant comme reflètent assez fidèlement les conceptions actuelles se situe entre 2 et 4 %.
expression d’une maladie distincte la succession des troubles de l’humeur. Ces classifications reposent En résumé, si l’on prend en compte l’ensemble
d’états maniaques et dépressifs. sur la notion de « troubles », définis par l’association des syndromes dépressifs, on peut considérer que la
d’un certain nombre de critères objectifs : dépression va concerner au cours de son existence,
© Elsevier, Paris

Kraepelin, à la fin du siècle dernier, décrit la


psychose maniacodépressive, en s’appuyant symptômes, durée, retentissement. entre un sujet sur dix et un sujet sur cinq.
essentiellement sur ses caractéristiques évolutives, Elles distinguent essentiellement deux types de La prévalence du trouble bipolaire sur la vie
qui la différencie des autres formes de psychose, et troubles dépressifs : l’épisode dépressif majeur, et la entière qui se dégage des différentes études est
en particulier de la schizophrénie, pour laquelle il dysthymie. La distinction repose sur des critères d’environ 1 %.

1
7-0160 - Troubles de l’humeur

‚ Facteurs sociodémographiques À l’inverse, un sujet déprimé peut ne pas exprimer Les modalités évolutives sont détaillées dans la
de tristesse, mais éprouver une anesthésie des figure 1.
Sexe affects, tout autant caractéristique de l’humeur du Au total, on obtient :
L’ensemble des études montre une prédomi- déprimé. – 30 % d’EDM (états dépressifs majeurs) isolés ;
nance féminine de la dépression avec un sex ratio L’existence d’un événement pouvant expliquer – 40 % d’EDM récurrents ;
de 2/1. Si certains facteurs comme une une tristesse ne constitue pas un argument en faveur – 10 % d’EDM récurrents avec symptômes
reconnaissance plus facile des symptômes chez la d’une dépression. Un deuil, une séparation, une résiduels (double dépression) ;
femme, un recours aux services de soins plus aisé perte d’emploi sont source de tristesse chez un – 20 % d’évolutions chroniques.
ont pu être évoqués pour expliquer cette différence, individu, qui peut présenter des symptômes de
des études ont montré qu’ils n’étaient pas à l’origine dépression sans pour autant être déprimé au sens ‚ Clinique des états maniaques
de cette surmorbidité. Les facteurs génétiques et psychiatrique du terme. La sémiologie des états maniaques a été décrite
endocriniens ne le seraient pas davantage, mais les En revanche, de telles circonstances sont au chapitre des états d’excitation. Les éléments
facteurs psychosociaux pourraient jouer un rôle, un pourvoyeuses de dépressions authentiques, (le deuil principaux du diagnostic sont rappelés ici.
profil à haut risque dépressif se dégageant ainsi chez est l’événement de vie le plus souvent retrouvé dans
les femmes de classe ouvrière, au foyer, et gardant les mois précédant l’apparition d’un syndrome
des enfants. dépressif) avec un risque de méconnaissance de tels Principaux élements du diagnostic
états, pouvant être considérés à tort comme des d’un accès maniaque
Âge réactions « normales » à un événement douloureux.
✔ Humeur expansive, euphorique.
Les EDM sont plus fréquents chez l’adulte jeune Ainsi, du fait d’un risque majeur d’erreurs ✔ Excitation motrice.
(18 - 44 ans), alors que la dysthymie montre un pic diagnostiques, tant par excès que par défaut, il est
✔ Excitation intellectuelle.
aux âges moyens (45 - 64 ans), particulièrement impératif d’avoir recours à des critères objectifs et
chez la femme.
✔ Signes somatiques :
consensuels permettant de poser un diagnostic de
– insomnie ;
dépression.
Statut marital – perte de poids ;
La nosographie psychiatrique actuelle, dans les
Le mariage jouerait, chez les hommes, un rôle
– hypergénésie (augmentation de la
classifications internationales (européenne - CIM10 -
protecteur par rapport à la dépression, ce qui n’est et américaine - DSM IV -), distingue en matière de
libido) ;
pas le cas chez la femme dans la mesure où les dépression deux types de troubles : EDM, et la
✔ Rupture par rapport au
femmes célibataires (jamais mariées) ont les taux de dysthymie. fonctionnement antérieur.
prévalence les plus bas. Les taux les plus élevés L’EDM se caractérise par une certaine sévérité des
concernent les sujets veufs, séparés, divorcés. symptômes dépressifs, une permanence de ceux-ci Formes cliniques des accès maniaques
d’un jour à l’autre pendant au moins 15 jours. Le
Niveau socio-économique début est souvent brusque et la récupération de ¶ Formes symptomatiques
Il n’y aurait pas de relation entre dépression et bonne qualité dans la majorité des cas, à la faveur Accès hypomaniaque
niveau social défavorisé. L’augmentation de du traitement. L’accès hypomaniaque représente une forme
prévalence retrouvée dans quelques études pour ces La dysthymie est une forme de dépression atténuée de manie, où le nombre et l’intensité des
sujets pourrait être liée à une insuffisance de prise en d’intensité moindre, où les symptômes varient d’un symptômes sont moindres. Le retentissement sur
charge, facteur reconnu de chronicisation des jour à l’autre, pouvant être totalement absents l’environnement du sujet est moindre et peut parfois
troubles dépressifs. pendant plusieurs jours, mais dont la caractéristique être positif. Le sujet hypomane est un sujet jovial,
essentielle est une évolution chronique, d’au moins plein d’humour mais parfois sarcastique,
Facteurs ethnoculturels 2 ans. dynamique, qui ressent un bien-être, une grande
Les EDM seraient plus fréquents en zone rurale.
Les formes cliniques de dépression ont été énergie, et une augmentation de ses performances
Les pays du sud-est asiatique ont des taux de
détaillées dans le chapitre sur le syndrome dépressif. intellectuelles et créatrices. L’estime de soi est
prévalence bas (Taïwan et Corée), tant pour les EDM,
augmentée, l’optimisme souvent démesuré. Le sujet
le trouble bipolaire, que pour la dysthymie. ‚ Modalités évolutives peut là aussi se lancer dans de multiples projets, dont
des troubles dépressifs la plupart ne vont pas être menés à leur terme, mais,


La caractéristique évolutive majeure des troubles dans certains cas, l’hypomanie est productive
Clinique et évolution dépressifs est la tendance à la récidive. Après un (certains artistes de renom ont ainsi créé des œuvres
des accès thymiques
premier épisode dépressif, le taux de récidive est admirables à l’occasion de telles périodes). En état
estimé à 50 % dans les 2 ans, et à 80 % sur la vie hypomaniaque, le sujet peut paraître tout à fait
‚ Clinique de la dépression
entière. normal aux yeux d’un interlocuteur inconnu, dans la
Elle est décrite au chapitre consacré aux
syndromes dépressifs. Rappelons toutefois que
l’identification d’un syndrome dépressif pâtit souvent ÉPISODE DÉPRESSIF MAJEUR
de l’existence de deux idées préconçues concernant
la dépression :
20 % 80 %
– le sujet déprimé est triste ;
– la dépression survient à la suite d’un 50 %
événement douloureux.
CHRONICITÉ GUÉRISON RECHUTES
Si la tristesse est effectivement un élément du
diagnostic de dépression, elle ne suffit pas à poser ce
diagnostic, et peut en outre être absente. Un sujet 75 % 25 %
peut être triste sans être déprimé, pour des raisons
contextuelles tout à fait légitimes. La tristesse du RÉMISSION RÉMISSION
déprimé revêt quant à elle certaines caractéristiques COMPLÈTE INCOMPLÈTE
particulières, qui la font qualifier de tristesse
1 Modalités évolutives d’un épisode dépressif.
pathologique.

2
Troubles de l’humeur - 7-0160

mesure où il garde une certaine capacité de contrôle ‚ Évolution des accès maniaques Les définitions actuelles reposent également sur
sur ses troubles. L’aide au diagnostic viendra alors la récurrence d’accès thymiques. On distingue les
L’accès maniaque signe l’entrée dans la maladie
surtout de l’entourage, qui peut ressentir un formes unipolaires (accès récurrents uniquement de
maniacodépressive (la réserve concernant les
épuisement à côtoyer au quotidien un sujet aussi polarité dépressive), des formes bipolaires (présence
manies secondaires est discutée au chapitre des
débordant d’énergie, et surtout qui aura pu constater d’au moins un accès maniaque). La récurrence est
états d’excitation), et son évolution sera traitée avec
une rupture par rapport au fonctionnement habituel définie à partir de la survenue du deuxième accès
celle des troubles bipolaires.
du sujet. thymique. Les classifications actuelles (CIM 10 et
‚ Clinique des états mixtes DSM IV) distinguent alors le trouble bipolaire (un
Manie délirante
accès maniaque plus un autre accès thymique), du
Plus de la moitié des patients présentant un Les états mixtes ont été décrits dès le début du
trouble dépressif récurrent (au moins deux épisodes
épisode thymique dans le cadre d’un trouble siècle par Kræpelin, qui en distinguait six types, en
dépressifs majeurs sans accès maniaque).
bipolaire ont des idées délirantes, et environ 25 % fonction de l’association des symptômes thymiques,
Récurrence, forme des accès, symptômes
ont des hallucinations. moteurs, et anxieux. Les critères de définition sont
intercritiques sont les éléments principaux
Dans le cadre de l’accès maniaque, il s’agit actuellement variables d’une classification à l’autre
permettant de caractériser les différentes formes de
essentiellement d’idées de grandeur, mégaloma- et discutés. Il ressort des études, probablement en
troubles thymiques primaires.
niaques, d’idées religieuses ou mystiques où le sujet raison du manque d’uniformité des critères de
s’attribue un rôle central messianique, d’idées de définition, une prévalence variant de 5 à 70 %
filiation grandiose. Les mécanismes délirants sont d’états mixtes dans les troubles bipolaires. Formes évolutives des troubles
surtout d’ordre imaginatif, sans construction Classiquement, il s’agit d’états où coexistent ou thymiques primaires
alternent rapidement (en quelques heures) des
délirante très élaborée. Des thèmes de persécution ✔ Épisodes dépressifs uniques.
symptômes maniaques et des symptômes
sont parfois rencontrés, les persécuteurs venant faire ✔ Épisodes maniaques uniques
obstacle à la réalisation des projets ou missions du dépressifs. Le DSM IV impose la présence simultanée
(exceptionnels).
patient. des critères nécessaires pour porter les diagnostics
✔ Dépressions récurrentes (MMD
d’épisode dépressif majeur et d’épisode maniaque.
Les hallucinations sont le plus souvent auditives, unipolaire).
On différencie les états mixtes des états évolutifs
acousticoverbales, parfois intrapsychiques, et leur ✔ Épisodes maniaques récurrents
d’un accès maniaque ou dépressif en traitement, où
contenu en rapport avec les préoccupations (formes monopolaires,
peuvent coexister des symptômes des deux lignées,
délirantes (voix divines guidant le sujet dans sa exceptionnelles).
à l’occasion d’un virage de l’humeur, où les
mission, syndrome d’influence associé à une ✔ Récurrences d’accès dépressifs et
symptômes s’améliorent ou changent de polarité de
thématique persécutive). maniaques (MMD bipolaire).
façon séquentielle. On les différencie également des
La manie délirante requiert un traitement en ✔ Dépression récurrentes avec accès
formes à cycles rapides, où peuvent alterner de
urgence et une hospitalisation. hypomaniaques.
façon rapprochée (sur quelques jours parfois) des
Manie furieuse épisodes maniaques et dépressifs francs. ✔ Dépressions récurrentes avec
L’agitation et l’agressivité dominent le tableau, le Cliniquement ces sujets se présentent souvent hypomanie intercritique.
sujet est menaçant, s’attaque aux objets et aux comme très anxieux, agités, avec de grosses ✔ Dépressions récurrentes avec
personnes, perd tout contrôle. L’hospitalisation difficultés de concentration et d’attention, une dysthymie (formes chroniques).
s’impose et est réalisée sous contrainte, le patient ne tachypsychie, une humeur labile pouvant passer
pouvant dans ce cas donner son consentement aux rapidement de la douleur morale à l’euphorie
Deux positions s’affrontent actuellement, autour
soins (hospitalisation d’office ou à la demande d’un morbide, et des contenus de pensée alternant idées
de la question de la nature de ces troubles
tiers). de catastrophe, d’indignité, et mégalomanie. Les
thymiques. Dans une première conception, les
idées de suicide sont très fréquentes, et l’anxiété et
Manie stuporeuse formes dépressives pures sont d’une nature
l’agitation de ces sujets leur confèrent un potentiel
différentes que celles où sont présents des accès
Cette forme se caractérise par une sidération, liée suicidaire majeur. L’hospitalisation est indispensable.
maniaques. Dans la seconde (conception unitaire),
à l’impossibilité pour le sujet de mettre en action les
l’ensemble des troubles thymiques primaires sont de
multiples projets, tant au niveau du discours que du


Trouble bipolaire, maladie même nature. Les études s’attachant à cette
comportement. Elle fait partie pour certains auteurs
des états mixtes. La sismothérapie est indiquée.
maniacodépressive, troubles question tentent essentiellement d’apporter des
thymiques primaires arguments expérimentaux en faveur ou en défaveur
¶ Formes évolutives particulières d’une distinction entre formes unipolaires et formes
‚ Introduction bipolaires de la maladie maniacodépressive.
Manie de deuil
Un épisode maniaque peut survenir au décours Le trouble bipolaire correspond à l’ancienne La distinction entre formes bipolaires (BP) et
d’un deuil, et représenter un nouvel accès dans le psychose maniacodépressive définie par Kræpelin, unipolaires (UP) repose sur les critères suivants :
cours évolutif d’une maladie maniacodépressive rebaptisée maladie maniacodépressive, afin d’éviter – hérédité plus « chargée » pour les BP, et
déjà connue, ou l’épisode inaugural d’entrée dans une ambiguïté liée au terme de psychose. Ces homotypie (transmission plus fréquente de la même
cette maladie. Le traitement est celui d’un accès patients, en dehors des accès thymiques, ont en effet forme d’une génération à l’autre) ;
maniaque typique, auquel s’ajoutera une approche un fonctionnement psychique tout à fait normal, et – concordance des jumeaux monozygotes par
ne peuvent être qualifiés de psychotiques, avec ce rapport aux dizygotes plus élevée pour les BP ;
psychothérapique afin de favoriser le travail de deuil
que ce terme introduit d’une altération du contact – sex ratio de 1 pour les BP, prédominance
n’ayant pu s’effectuer en raison de la survenue de
avec la réalité. féminine pour les UP ;
l’épisode psychopathologique.
La conception kræpelinienne de la maladie – âge de début plus précoce des BP ;
Formes saisonnières maniacodépressive repose essentiellement sur des – nombre d’épisodes plus élevé pour les BP ;
D’une manière générale, on décrit une critères évolutifs qui la distingue de la démence – durée des épisodes plus courte pour les BP ;
recrudescence des troubles thymiques aux précoce ou schizophrénie : – handicap social plus important pour les BP ;
intersaisons. Ainsi, les épisodes dépressifs sont plus – évolution par accès avec intervalles libres de – taux de divorces plus élevé pour les BP ;
fréquents en automne, tandis que les épisodes bonne qualité ; – meilleure réponse au lithium des BP.
maniaques se déclenchent fréquemment au – absence de détérioration intellectuelle Certains auteurs remettent donc en question cette
printemps. terminale. distinction, et considèrent que les formes BP et UP

3
7-0160 - Troubles de l’humeur

relèvent d’un déterminisme commun. Les Évolution spontanée de la maladie un risque plus élevé. Le suicide survient surtout dans
différences évoquées plus haut entre ces formes maniacodépressive les 10 premières années de la maladie. Le traitement
pourraient s’expliquer par d’autres facteurs qu’une L’évolution naturelle est difficile à apprécier. Les par lithium semble diminuer la mortalité par suicide
pathogénie différente. En particulier, le taux de études naturelles avant l’ère médicamenteuse ont chez les bipolaires.
divorces plus élevé des BP, le handicap social plus des faiblesses méthodologiques (définition des Le handicap psychosocial paraît plus important
important pourraient relever d’une tolérance de critères, recueil des données), qui les rendent moins pour les bipolaires, et est surtout fonction du nombre
l’entourage moins grande pour les accès de type exploitables et comparables entre elles que les des épisodes, de leur gravité, de leurs conséquences
maniaque, et seraient donc à interpréter comme des études les plus récentes. (actes commis pendant l’accès). Le sexe masculin, les
conséquences de la polarité et non comme des conduites alcooliques, la mauvaise observance
Quant aux études récentes, elles concernent des
validateurs externes d’une différence de pathogénie. thérapeutique, l’irrégularité du suivi sont des facteurs
patients sous traitement, et ne peuvent donner que
L’âge de début plus précoce, le nombre plus élevé défavorables pour l’évolution du trouble.
des arguments indirects pour l’évolution spontanée
d’épisodes des BP pourraient être en rapport avec Enfin, si pour environ 80 % des patients, le
du trouble.
une sévérité, une gravité accrues de la forme BP, pronostic est bon ou modéré, la chronicité est une
L’âge de début, qui était estimé en moyenne à 28
forme plus sévère d’une même maladie. La gravité
ans dans les études du début du siècle, est ramené à modalité évolutive non négligeable puisqu’elle
pourrait elle-même être le résultat d’une plus grande
18 ans environ dans les études les plus récentes. Ce concerne 20 % des patients.
pénétrance dans la forme bipolaire des gênes
« rajeunissement » de la population bipolaire est
impliqués, expliquant le « poids génétique » plus
vraisemblablement lié aux conditions de recueil des
important des BP, révélé par la concordance des ‚ Étiologie des troubles de l’humeur
données, et non à une aggravation des formes de la
jumeaux monozygotes, le sex ratio, et l’hérédité
maladie au cours du siècle. Les conceptions actuelles des troubles de
familiale.
On repère un premier pic de fréquence de début l’humeur font intervenir dans leur genèse un
Des études restent à mettre en place, notamment
familiales et prospectives sur du long terme. dans la tranche 15 - 19 ans, et un second plus faible pluridéterminisme, avec différents niveaux d’action
dans la tranche 20 - 24 ans. des facteurs impliqués. On distingue ainsi les facteurs
Certains patients, au cours de l’évolution du
La longueur des cycles semble raccourcir quand prédisposants, constitutionnels, d’ordre génétique et
trouble, vont « changer » de forme. Unipolaires, ils
l’âge augmente. Ainsi la longueur du quatrième biologique, et les facteurs précipitants des accès,
vont présenter un accès maniaque et devenir ainsi
cycle représenterait la moitié de celle du premier. De facteurs psychologiques et événements de vie. Le
bipolaires. On les appelle les faux ou pseudo-
unipolaires. Leur taux parmi les unipolaires est même, les études récentes vont à l’encontre de la déclenchement des accès peut en outre être aussi de
estimé à environ 20 %, chiffres assez constants dans notion classique d’extinction de la maladie avec déterminisme biologique, non réactionnel
les études. l’âge. Au contraire, les épisodes auraient tendance à (autonomisation des cycles dans le paradigme de
devenir plus fréquents. De même, le taux de Post par exemple : cf infra, « Modèle du kindling »).
Des « critères de bipolarisation » ont été
rechutes à 2 ans après un premier épisode semble
recherchés, permettant de prédire l’évolution d’un
augmenter avec l’âge de début : de 20 % pour un Facteurs génétiques
trouble unipolaire vers un trouble bipolaire.
début à 20 ans, il passe à 80 % pour un début après
Une agrégation familiale a été mise en évidence
45 ans.
pour les troubles uni- et bipolaires. Les apparentés de
Critères de bipolarisation La durée des épisodes est classiquement estimée
patients unipolaires et bipolaires ont ainsi un risque
de 3 à 12 mois. Cependant, elle est mal connue du
✔ Hypomanie pharmacologique. morbide plus élevé que les apparentés de sujets
fait du raccourcissement des épisodes par les
✔ Histoire familiale de bipolarité. sains. Ce facteur familial est cependant insuffisant
traitements disponibles actuellement.
✔ Forte charge héréditaire. pour prouver une origine génétique. On utilise alors
✔ Dépression avec hypersomnie et des études de jumeaux ou des études d’adoption
Évolution sous traitement pour la démontrer.
ralentissement.
✔ Transmission familiale La comparaison des enquêtes de cohorte
¶ Études de jumeaux
multigénérationnelle continue. pratiquées avant et après l’introduction du lithium au
Elles reposent sur la comparaison du taux de
début des années 1970 a montré une réduction
✔ Début en post-partum. concordance des paires de jumeaux (deux jumeaux
nette des accès après cette introduction. La
✔ Début avant 25 ans. atteints) pour les troubles de l’humeur, entre les
méthodologie de ces enquêtes est critiquable,
jumeaux monozygotes ayant le même capital
cependant il se dégage actuellement un consensus
génétique, et les jumeaux dizygotes. Une
sur la réduction d’intensité des épisodes de la
‚ Évolution du trouble bipolaire concordance significativement plus forte pour les
maladie sous lithiothérapie, avec réduction
monozygotes signe une influence génétique, ce qui
Le taux de récurrence après un premier accès apparente de leur durée.
est le cas pour les troubles de l’humeur : elle est de
dépressif ou maniaque est extrêmement élevé, et L’efficacité apparente du lithium sur la réduction
deux à cinq fois plus élevée pour les monozygotes
justifie donc systématiquement une prise en charge du nombre des épisodes pourrait être liée à
(50 à 70 %) par rapport aux dizygotes (15 à 30 %).
attentive et une bonne information du patient. l’existence d’épisodes subsyndromiques sous
lithium, et donc non repérés. ¶ Études d’adoption
L’arrêt d’un traitement par lithium ayant permis Elles vont dans le même sens, montrant une
Taux de récurrence après un premier une stabilisation des troubles sur une longue période fréquence de troubles de l’humeur plus élevée chez
épisode dépressif ou maniaque entraîne un taux élevé de rechutes (plus de 50 % à 2 les parents biologiques de patients thymiques, que
✔ Après un premier épisode ans), souvent alors plus résistantes au traitement. chez leurs parents adoptifs.
dépressif : environ 50 % à 2 ans et Certains auteurs évoquent le développement d’une Le mode de transmission n’est pas encore connu,
80 % sur la vie entière. résistance au lithium après arrêt de celui-ci et et si les techniques de biologie moléculaire ont
✔ Après un premier épisode tentative de réintroduction. permis d’identifier des régions pouvant contenir des
manique : il est de l’ordre de 80 à L’évolution au long cours est marquée par deux gènes de vulnérabilité (chromosomes 11, 18, et 21),
90 %, et atteint pratiquement 100 % risques essentiels : le suicide et le handicap le niveau d’intervention de ces gènes n’est pas
sur la vie entière (pour un début aux socioprofessionnel. précisé.
âges jeunes ou moyens). Le suicide concerne environ 15 % à 20 % des L’hérédité des troubles de l’humeur est
patients maniacodépressifs. Les bipolaires auraient probablement une hérédité complexe, non liée à

4
Troubles de l’humeur - 7-0160

un gène unique. Cette complexité peut être en – les anomalies de l’axe hypothalamo- kindling de Post semble trouver ici une illustration
rapport avec différents facteurs tels qu’une hypophyso-surrénalien seraient en rapport avec une dans le fait que le pourcentage de patients dont
pénétrance incomplète, une hétérogénéité plus grande vulnérabilité à la chronicisation de la l’épisode est précédé d’un événement de vie tend à
génétique (plusieurs mutations produisent un même dépression ; décroître au fur et à mesure que se répètent les
phénotype), une polygénicité (il faut l’intervention de – les anomalies du fonctionnement thyroïdien accès.
plusieurs gènes pour produire le phénotype). sont observées surtout chez les patients bipolaires, et
seraient assez spécifiques des cycles rapides.
Facteurs psychologiques :
Facteurs biologiques
¶ Modèle du « kindling » (embrasement) personnalité et troubles de l’humeur
Les systèmes biologiques les plus étudiés sont les Ce modèle fait l’hypothèse d’une vulnérabilité à la Les rapports entre personnalité et troubles de
systèmes monoaminergiques, sur lesquels agissent dépression qui s’accroît avec la répétition des l’humeur peuvent être envisagés dans le cadre de
les molécules antidépressives. épisodes dépressifs. Les modifications biologiques à cinq modèles psychopathologiques.
court terme pourraient induire des remaniements de
¶ Système noradrénergique
plus en plus durables de facteurs de transcription de ¶ La personnalité comme facteur
Si certaines études mettent en évidence une
la synthèse protéique, à mesure que les épisodes se de prédisposition à un trouble de l’humeur
baisse des métabolites de la NA en période
répètent, remaniements qui constitueraient une plus L’école psychanalytique s’inscrit dans cette
dépressive, les résultats ne sont pas univoques en
grande vulnérabilité à la dépression. Ce paradigme conception, qui met les épisodes cliniques affectifs et
particulier pour les dosages dans le liquide
rend ainsi compte de constatations cliniques sur le « caractère » du patient dans un rapport de
céphalorachidien (LCR). Les contradictions des
l’intervention de plus en plus limitée de facteurs causalité. Les psychanalystes insistent sur
études tiennent probablement à des différences
stressants dans le déclenchement des épisodes de la l’association d’un caractère anal (ordre, rigidité,
méthodologiques, et à un manque d’homogénéité
maladie, au cours de son évolution. parcimonie, méticulosité) avec des traits marqués
des populations étudiées. Un consensus semble
d’oralité (dépendance à l’autre), comme facteurs
cependant se dégager pour les patients bipolaires :
Facteurs environnementaux : prédisposant à l’apparition d’épisodes de dépression.
les taux de métabolites de la NA sont bas en période les événements de vie Ces hypothèses n’ont cependant pas donné lieu de
dépressive, et élevés en période maniaque.
L’influence des événements de vie sur les troubles la part des psychanalystes à des études tentant de
¶ Système sérotoninergique de l’humeur a été étudiée au moyen d’échelles les valider au moyen d’une méthodologie
De nombreuses études apportent des résultats en événements de vie, et en particulier de la LEDS (Life scientifique rigoureuse.
faveur de son implication dans la dépression. On events and difficulties schedule), qui répertorie des Les études les plus récentes, rétrospectives ou
retrouve généralement des taux abaissés de événements portant sur les différents champs de la même prospectives, ne permettent pas davantage
sérotonine et de ses métabolites dans le tissu vie d’un sujet (travail, budget, logement, santé, vie de conclure, à l’existence d’un ou plusieurs types de
cérébral en post mortem de sujets déprimés, une affective) et leur attribue un « poids » quantifié. Ce personnalité prédisposant aux troubles de l’humeur,
diminution du taux du métabolite principal (5 HIAA) type d’études s’inscrit dans un mouvement qui car elles n’offrent pas de résultats concordants.
dans le LCR, une diminution des concentrations conteste l’idée que le déclenchement des épisodes
plaquettaires de sérotonine chez les sujets déprimés. d’un trouble bipolaire est indépendant de facteurs ¶ La personnalité modifiant l’expression
L’efficacité des nouvelles molécules antidépressives exogènes, défend une conception unitaire des des troubles thymiques
inhibitrices de la recapture de la sérotonine est un troubles de l’humeur, et remet en cause la distinction Certaines études ont tenté d’évaluer le caractère
argument supplémentaire. dépression exogènes réactionnelle - dépressions prédictif de certains traits de personnalité sur la
endogènes. réponse au traitement, sans résultats satisfaisants.
¶ Système dopaminergique
Les études retrouvent une diminution des taux Il ressort de ces études que les patients présentant Sur un plan pratique, la « coloration » d’un épisode
un épisode thymique ont trois fois plus thymique par des traits de personnalité peut
des métabolites de la dopamine dans le LCR des
d’événements de vie dans les 6 mois précédant représenter un piège pour le clinicien, tel
sujets déprimés.
l’accès, que des sujets contrôles. À l’inverse, les sujets l’obsessionnel qui parvient à contrôler son discours
Les trois systèmes monoaminergiques semblent
subissant un événement de vie à caractère stressant dans un état maniaque, et l’hystérique dont le côté
donc impliqués dans les troubles de l’humeur. On
ont six fois plus de risque de développer une histrionique et théâtral vient masquer la
pense actuellement qu’on ne peut résumer la
dépression que les sujets non exposés. Les symptomatologie dépressive.
physiopathologie des troubles thymiques ni le
événements de vie ainsi identifiés ne semblent
mécanisme d’action des antidépresseurs au
cependant pas spécifiques de la dépression, ¶ La personnalité comme séquelle
dysfonctionnement de l’un de ces systèmes, dont on
puisqu’on les retrouve fréquemment dans les mois ou complication d’un trouble de l’humeur
sait qu’ils interagissent entre eux. Certains « traits » de personnalité peuvent être
précédant le déclenchement d’épisodes maniaques.
Des modèles sont testés, qui postulent l’existence considérés comme des symptômes témoignant
Concernant la nature de ces événements
d’effets de cascade, le dérèglement d’un système d’une guérison incomplète de l’épisode, de la
« précipitants », on trouve au premier rang perte et
induisant le dérèglement d’un autre, la perturbation persistance de troubles neurophysiologiques, car
séparation. D’autres événements ont également une
de chacun de ces systèmes pouvant produire repérés dans le court terme : il s’agit essentiellement
importance, comme les interactions sociales et
certains symptômes. La sérotonine interviendrait de difficultés d’ajustement dans les rôles
professionnelles, des événements incontrôlables
ainsi sur l’humeur et l’anxiété, la noradrénaline sur professionnels et conjugaux, d’un manque de
(catastrophes), et des événements à caractère
l’activité, la dopamine sur l’hédonie. Les confiance en soi. Il justifient la poursuite des
« positif », comme une promotion professionnelle, un
antidépresseurs, aussi spécifiques d’un système antidépresseurs, peuvent bénéficier d’une approche
mariage, une grossesse.
soient-ils, agiraient également en cascade, psychothérapique, et mettent souvent plusieurs mois
La présence d’un événement de vie avant un
expliquant l’amélioration séquentielle bien connue à régresser, après la rémission clinique de l’épisode.
accès thymique ne semble pas avoir de valeur
des différents symptômes de dépression.
prédictive sur l’évolution de l’accès. En revanche D’autres traits de personnalité s’installent dans le
¶ Systèmes neuroendocriniens l’existence événements de vie négatifs ou de long terme, après répétition des accès, mais ne
Des anomalies de fonctionnement de la thyroïde difficultés durables après le début de l’accès, semblent pas spécifiques des troubles affectifs, et se
et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien ont lorsqu’ils sont indépendants, constituent un facteur rencontrent également dans d’autres pathologies
été retrouvées dans de nombreuses études, avec des de risque important de chronicisation du trouble. chroniques : dépendance, démoralisation,
résultats non univoques. Deux éléments en En ce qui concerne l’influence des événements de pessimisme, manque d’assurance, sentiment
ressortent néanmoins : vie sur les récidives à plus long terme, le modèle du d’insécurité.

5
7-0160 - Troubles de l’humeur

¶ La personnalité comme forme atténuée s’effectuera qu’au-delà de la période de traitement Tous les antidépresseurs semblent avoir une
de trouble de l’humeur évoquée ci-dessus. Néanmoins, une réduction des efficacité comparable, d’environ 70 %, mais les
Kraepelin postulait déjà un continuum entre posologies peut s’effectuer pendant la période de tricycliques, avec un recul plus important, restent les
certaines personnalités et les troubles de l’humeur. Il consolidation si des effets secondaires gênants se produits de référence.
considérait les personnalités dépressive, maniaque, manifestent. Les effets secondaires potentiels peuvent
irritable, cyclothymique comme les bases
constituer un critère de choix. Ainsi, la bonne
tempéramentales des différentes formes de la Les antidépresseurs constituent le traitement de tolérance des inhibiteurs de la recapture de la
psychose maniacodépressive. fond de la dépression, et seront également efficace sérotonine (IRS) les fait souvent préférer aux
Les auteurs qui défendent actuellement cette sur la symptomatologie d’accompagnement, tricycliques, en première intention, en ambulatoire,
position incluent les personnalités cyclothymique, notamment sur les troubles du sommeil, et sur lorsque l’on veut limiter les éventuels effets sur la
hyperthymique, voire dysthymique dans le spectre l’anxiété. Cependant, leur délai d’action, de l’ordre de vigilance, et les autres effets classiques des
des troubles de l’humeur. Il ne s’agit donc plus de 15 jours à 3 semaines, justifie parfois de ne pas tricycliques, et ainsi favoriser une bonne observance
personnalités, mais d’une forme atténuée d’un respecter la règle de la monothérapie, et d’associer du patient.
trouble de l’humeur, avec un déterminisme et une un anxiolytique et un hypnotique. Cette association
L’efficacité d’un antidépresseur ne peut s’évaluer
pathogénie communs. Ils s’appuient pour cela sur a pour but non seulement de procurer un confort et
qu’après plusieurs semaines. On recommande de
l’existence de données communes en matière un soulagement plus rapide au patient, mais aussi,
garder une molécule pendant 6 semaines à dose
d’antécédents familiaux, et de réponses aux dans les formes anxieuses, de limiter le risque de
efficace avant d’envisager d’en changer. Cependant,
traitements médicamenteux. passage à l’acte suicidaire.
l’absence de tout signe d’amélioration après 3
¶ La personnalité comme dimension En ce qui concerne le choix de l’antidépresseur,
semaines de traitement, surtout lorsque persiste un
orthogonale, indépendante risque suicidaire, peut amener à un changement plus
La personnalité est ici envisagée selon l’influence les études n’ont pas encore permis d’identifier des
précoce.
qu’elle peut exercer sur le cours évolutif de la facteurs prédictifs d’une réponse à un type donné
d’antidépresseur. Il reste donc empirique. Le seul Lorsque l’on change de produit, il est préférable
maladie.
élément permettant d’espérer l’efficacité d’une de choisir le nouveau produit dans une famille
La personnalité va conditionner le rapport du
molécule est son efficacité lors d’un accès antérieur chimiquement différente. Il semblerait qu’un relais
patient à sa maladie, les relations qu’il va pouvoir
de dépression. Un traitement qui a été efficace lors d’un IRS par un tricyclique donne de meilleurs
nouer avec son thérapeute, sa compliance au
d’un accès antérieur doit donc être repris lors d’un résultats que l’inverse, autrement dit qu’en cas
traitement, qui sont autant de facteurs déterminants
nouvel accès. d’échec d’un tricyclique, la probabilité d’efficacité
pour l’évolution des troubles de l’humeur. La
d’un IRS soit fortement diminuée. L’efficacité des
personnalité a également une influence sur les
Les antidépresseurs ont pour certains des effets associations d’antidépresseurs reste discutée, les
éventuels bénéfices que peut retirer le patient des
latéraux qui peuvent guider le choix du produit. On études insuffisantes, et elles doivent être réservées
accès thymiques : régression lors des épisodes
dispose ainsi d’antidépresseurs à polarité plutôt aux spécialistes.
dépressifs avec mobilisation de l’entourage,
sédative et anxiolytique, à utiliser dans les Les principaux antidépresseurs sont mentionnés
bien-être, créativité et dynamisme accrus lors des
dépressions à forte composante anxieuse, et dans le tableau I.
épisodes maniaques ou hypomaniaques. Il est donc
capital de faire une évaluation de la personnalité de d’antidépresseurs à polarité désinhibitrice, indiqués En cas d’anxiété importante, et surtout
tout patient présentant un trouble de l’humeur, afin dans les dépressions où le ralentissement lorsqu’existe un risque suicidaire, un traitement
de lui proposer une prise en charge adaptée qui psychomoteur prédomine. anxiolytique complémentaire est indiqué. Il consiste
tienne compte de cette dimension importante.
Tableau I. – Principaux antidépresseurs.


Traitement des troubles
de l’humeur

Il associe de manière systématique un traitement


Anafranilt
(Clomipramine)
Cp 25 et 75 mg
Ampoules 25 mg
(Perfusions IV)
Principaux antidépresseurs
Posologie progressivement
croissante sur 1 semaine pour
atteindre 100 à 150 mg
Tricyclique
Intermédiaire

médicamenteux et une prise en charge


Tofranilt Cp 25 mg Idem Tricyclique
psychologique, cette dernière étant à adapter à (Imipramine) Ampoules 25 mg Moyennement désinhibi-
chaque patient, et pouvant consister en une (Injections IM) teur
psychothérapie structurée (psychanalyse, thérapie
Laroxylt Cp 25 et 50 mg Idem Tricyclique
cognitivocomportementale), ou en une psycho- (Amitriptyline) Gouttes 4 % 1 mg/g Sédatif et anxiolytique
thérapie de soutien. Ampoules 50 mg fortement hypotenseur
(Perfusion IV)
‚ Traitements médicamenteux
Prothiadent Gél à 25 mg Posologie de 150 à 225 mg Tricyclique
(Dosulépine) Cp à 75 mg Anxiolytique
Traitement curatif des accès thymiques
Prozact Gél à 20 mg 20 à 60 mg IRS
¶ Traitement de l’accès dépressif (Fluoxétine) Intermédiaire
Il repose sur la prescription d’antidépresseurs. Les
antidépresseurs doivent être prescrits à une Deroxatt Cp à 20 mg 20 à 60 mg IRS
posologie efficace, sur une longue période, qui (Paroxétine) Intermédiaire
correspond à ce que l’on pense être l’évolution Floxyfralt Cp à 100 mg 100 à 300 mg IRS
spontanée de l’accès dépressif, de l’ordre de 3 à 12 (Fluvoxamine) Anxiolytique
mois. Par conséquent, le durée minimale préconisée Athymilt Cp à 10, 30, et 60 mg 60 à 120 mg Anxiolytique et inducteur
est d’au moins 6 mois, la tendance actuelle étant de (Miansérine) du sommeil
maintenir le traitement antidépresseur pendant 8
Moclaminet Cp à 150 mg 300 à 600 mg IMAO sélectif
mois à 1 an. La posologie d’entretien après guérison (Moclobémide) Intermédiaire
clinique doit en outre être celle qui a permis la
guérison. La diminution progressive des doses ne Cp : comprimé ; Gél : gélule ; IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine ; IMAO : inhibiteur de la mono-amine-oxydase.

6
Troubles de l’humeur - 7-0160

en des benzodiazépines (Lexomilt : 1-2 /j, Xanaxt : minutes. Les séances sont répétées entre deux et c’est-à-dire avec laquelle les symptômes dépressifs
1,5-3 mg/j, Témestat : 3-4 mg/j, Lysanxiat : trois fois par semaine, pour un nombre total ne sont plus présents, et qui limite au maximum les
40-80 mg/j, Tranxènet : 50-100 mg/j), mais les d’environ huit à neuf séances, parfois douze. effets secondaires des produits.
neuroleptiques sédatifs sont parfois indiqués La sismothérapie comporte moins de Certaines formes de maladie maniacodépressive
(Terciant : 50-100 mg/j). Le traitement anxiolytique contre-indications que les antidépresseurs, et aussi peuvent justifier de la pratique de sismothérapies
sera limité dans le temps, en évitant de dépasser 4 moins d’effets secondaires. Les contre-indications dites « d’entretien », en particulier lors de résistances
semaines, avec une réduction progressive des doses. sont les processus expansifs intracrâniens, les ou de contre-indications aux régulateurs classiques
Les troubles du sommeil peuvent également antécédents d’accidents vasculaires cérébraux de l’humeur.
justifier un traitement d’appoint, qu’on tentera de hémorragiques, l’hypertension artérielle sévère et
¶ Sels de lithium
limiter à 1 ou 2 semaines. Les réveils précoces sont mal contrôlée, les pathologies rachidiennes
On utilise essentiellement le Téralithet, qui existe
peu sensibles aux hypnotiques classiques, sauf à comportant un risque élevé de fractures, et les
sous deux formes, une forme simple dosée à
utiliser des produits à très longue durée d’action, contre-indications liées à l’anesthésie. Les effets
250 mg, nécessitant deux à trois prises par jour, et
entraînant des réveils difficiles. secondaires se limitent à quelques troubles
une forme d’action prolongée (Téralithe LPt
mnésiques (amnésie de fixation), transitoires, et
¶ Traitement de l’accès maniaque 400 mg), permettant une prise unique vespérale.
régressant toujours intégralement au maximum en
Thymorégulateurs La prescription de lithium nécessite un bilan
quelques mois.
Les thymorégulateurs ont une efficacité curative préthérapeutique (cf article sur les psychotropes), et
Son action est rapide, et elle représente par une surveillance régulière des taux plasmatiques en
sur l’accès maniaque, qu’il s’agisse des sels de conséquent le traitement de choix en première
lithium, de la carbamazépine, ou du valpromide. fonction desquels la posologie est établie, de la
intention des dépressions à fort risque suicidaire, des fonction rénale, et de la fonction thyroïdienne. Les
Cependant, en raison de la nécessité d’un bilan dépressions avec un risque vital lié à un refus
préalable à leur prescription, et d’un délai d’action, taux plasmatiques efficaces sont compris entre 0,6 et
alimentaire, des dépressions du sujet âgé (nécessité 1 mEq/L pour la forme simple, entre 0,8 et 1,2 mEq/L
les troubles du comportement du patient maniaque d’une action rapide et contre-indications fréquentes
nécessitent souvent le recours aux neuroleptiques. pour la forme LP.
aux antidépresseurs).
Le lithium serait plus efficace dans les formes
Neuroleptiques bipolaires, et en particulier dans celles caractérisées
La monothérapie sera privilégiée, en utilisant des par un cycle manie - dépression - intervalle libre. La
neuroleptiques polyvalents (Largactilt : 100 à Indications des sismothérapies :
présence d’antécédents familiaux de bipolarité est
500 mg/j, Loxapact : 100 à 300 mg/j), la voie ✔ dépression sévère avec risque également un facteur de sensibilité au lithium.
injectable (IM) étant parfois nécessaire en raison de majeur de suicide ; Le début d’un traitement par lithium peut
l’agitation ou de la réticence du patient. ✔ dépression du sujet âgé avec risque s’envisager dès le premier accès maniaque, où il est
Dans le cadre des manies délirantes, l’association vital ; souvent instauré lors de la phase aiguë, en vertu de
d’un neuroleptique incisif, antiproductif à un ✔ dépression délirante ; ses propriétés curatives de l’accès, ou après deux à
neuroleptique sédatif est couramment pratiquée ✔ contre-indication au traitement trois épisodes dépressifs majeurs. La présence
(Haldolt : 15 à 30 mg/j et Terciant : 100 à 300 mg/j). médicamenteux ; d’indices d’évolution vers la bipolarité (cf supra) peut
Le traitement devra être poursuivi pendant ✔ dépression résistante aux être un argument pour le prescrire lors du premier
plusieurs mois (durée théorique de l’évolution antidépresseurs ; accès dépressif majeur.
spontanée de l’accès), avec une adaptation ✔ état maniaque délirant ; Le traitement par lithium est théoriquement à vie,
progressivement décroissante des doses, en fonction ✔ manie furieuse ; dans la mesure où la vulnérabilité aux accès persiste
de l’état clinique et de la tolérance du patient. ✔ manie résistante ; pendant toute la vie d’un patient présentant une
L’instauration rapide d’un thymorégulateur, en ✔ état mixte. maladie maniacodépressive. Cependant, certains
phase aiguë, permet en règle générale une réduction praticiens proposent un arrêt du lithium après au
plus rapide des neuroleptiques, une réduction de moins 5 ans de stabilisation, sans accès, pour peu
leurs effets secondaires, et un meilleur confort pour que le patient soit informé des risques, des
Traitement préventif des accès dépressifs
le patient. et maniaques symptômes de rechute, et soit à même de faire
¶ Traitement des états mixtes immédiatement appel à son psychiatre en cas
Il repose sur la prescription de molécules
Le traitement de ce type d’accès est particuliè- d’alerte.
qualifiées de thymorégulatrices (régulateurs de
rement délicat. L’association d’antidépresseurs et de l’humeur), dont l’effet est de réduire la fréquence des Certaines études récentes ont toutefois montré un
neuroleptiques pour agir sur les deux versants de la cycles de la maladie maniacodépressive, et leur fort taux de récidives à l’arrêt du lithium, de l’ordre
symptomatologie a une efficacité modérée. On intensité. Il s’agit d’un traitement au long cours, sinon de 50 % dans les 2 ans suivant l’arrêt. En outre,
privilégie dans ce cas les thymorégulateurs, seuls ou certains auteurs évoquent l’hypothèse d’une
à vie. Trois produits sont actuellement utilisés dans
en association avec des benzodiazépines. Les résistance secondaire au lithium après interruption
cette indication : les sels de lithium (Téralithet ou
sismothérapies constituent cependant le traitement du traitement, ayant constaté une moindre efficacité
Neurolithiumt), carbamazépine (Tégrétolt), le
de référence des états mixtes. de celui-ci lors de sa réintroduction pour récidives
valpromide (Dépamidet).
après un arrêt.
¶ Sismothérapie (les électrochocs) Dans les formes unipolaires, les antidépresseurs
La sismothérapie est le traitement le plus efficace au long cours sont parfois préférés aux thymorégu- ¶ Carbamazépine (Tégrétolt)
de la dépression, avec 90 % de succès (contre 70 % lateurs par certains auteurs. Cependant, les études Produit prescrit dans l’épilepsie, il s’est également
de bons résultats avec les antidépresseurs). Elle est le ayant montré leur efficacité dans la prévention des avéré efficace dans la prévention des récidives de la
traitement de référence des états mixtes, et donne accès dépressifs sont limitées à un suivi relativement maladie maniacodépressive. Il est souvent prescrit
également de bons résultats dans les états bref (2 ans). En outre, les antidépresseurs tricycliques en seconde intention, lorsque le lithium ne s’est pas
maniaques. ont été suspectés d’induire une accélération des montré efficace, ou en association avec le lithium.
Elle consiste en le déclenchement, sous cycles de la maladie. On peut cependant le privilégier dans certaines
anesthésie générale et curarisation, au moyen d’un La question de la posologie des antidépresseurs formes de la maladie, ou dans certains types
courant électrique de faible intensité délivré au en traitement préventif des dépressions récurrentes d’accès :
niveau de deux électrodes temporales, d’une crise n’est actuellement toujours pas résolue. On retiendra – états mixtes ;
d’épilepsie généralisée. L’anesthésie dure quelques en pratique une posologie minimale efficace, – cycles rapides (plus de quatre accès par an) ;

7
7-0160 - Troubles de l’humeur

– formes associées à un trouble de la d’intensité légère à modérée de dépression, seules ‚ Place de l’hospitalisation
personnalité dans laquelle prédominent l’impulsivité, ou en association aux antidépresseurs. Place de l’hospitalisation dans la dépression
l’instabilité, la tendance aux décharges Nombre de dépressions peuvent être suivies en
Le sujet profondément déprimé, du fait d’un
émotionnelles violentes et la facilité du passage à consultation ambulatoire, lorsque certaines
ralentissement psychique important, d’une altération
l’acte. de ses capacités de concentration, est en effet conditions sont réunies :
L’adaptation de la posologie est surtout clinique, incapable de se livrer à un travail d’élaboration – bonne collaboration du patient et compliance
mais peut également s’appuyer sur des dosages psychique qui demande précisément la mobilisation au traitement ;
plasmatiques de la carbamazépine. Les fourchettes de ses ressources intellectuelles et psychiques. Le – contrôle du risque suicidaire ;
d’efficacité correspondent à celles utilisées dans sujet maniaque, tachypsychique et distractible, et le – environnement favorable.
l’épilepsie (4 à 12 µg/mL). sujet mixte, anxieux et dispersé, sont évidemment La sévérité d’une dépression n’est pas un critère
La surveillance en début de traitement porte sur la incapables de bénéficier de ce type d’approche. d’hospitalisation.
fonction hépatique et sur la formule sanguine
La priorité est donc, lors d’un accès, au traitement
(toxicité hépatique et leuconeutropénie). Indications d’hospitalisation
médicamenteux.
✔ Mauvaise collaboration et forte
¶ Valpromide (Dépamidet) En revanche, la prise en charge psychologique a probabilité d’une mauvaise
Molécule proche du valproate de sodium une importance capitale en dehors des accès. Les compliance.
(Dépakinet), le valpromide est également utilisé objectifs que l’on peut lui fixer en matière de troubles ✔ Risque suicidaire important.
dans le traitement préventif de la maladie de l’humeur sont les suivants : ✔ Pronostic vital engagé (altération
maniacodépressive. Il est plutôt prescrit en seconde – aide au réaménagement psychologique au de l’état général).
intention, en cas d’échec ou d’intolérance aux autres décours d’un accès ayant constitué une rupture dans ✔ Dépression délirante.
thymorégulateurs, mais peut l’être d’emblée, comme la vie du sujet, afin d’en limiter les séquelles ; ✔ Retentissement important sur
la carbamazépine, dans les états mixtes ou les
– soutien dans l’acceptation d’une vulnérabilité l’entourage avec mauvais ajustement
formes à cycles rapides. L’adaptation posologique
aux accès dans le cadre des troubles récurrents de de celui-ci, ou mauvaise tolérance de
est clinique, les posologies se situant préférentiel-
l’humeur ; l’entourage avec développement de
lement entre 1 200 et 1 800 mg (4 à 6 comprimés à
– aide au repérage et à la meilleure gestion des contre-attitudes délétères.
300 mg en deux prises).
situations conflictuelles et de stress, situations à
¶ ECT d’entretien risque dans le déclenchement d’un nouvel accès ; Place de l’hospitalisation dans l’accès
En cas d’efficacité des sismothérapies pour les – aide à l’entourage et en particulier au conjoint, maniaque
accès de la maladie, mais de la persistance de afin de favoriser l’adaptation du couple à la maladie, L’hospitalisation est souvent nécessaire en raison
récidives malgré l’essai de plusieurs traitements de limiter les séquelles de la maladie et les des troubles du comportement. Néanmoins, certains
thymorégulateurs bien conduits, on peut être amené contre-attitudes du conjoint. patients peuvent être suivis en ambulatoire, si les
à proposer au patient un autre traitement préventif, circonstances suivantes sont réunies :
Le suivi psychothérapique avec ses objectifs ainsi
qui consiste en la pratique de sismothérapies – lucidité du patient par rapport à ses troubles ;
définis est en règle générale assuré par le psychiatre – compliance au traitement proposé ;
d’entretien, au long cours. La fréquence des séances
prescripteur. – absence de troubles du comportement ou
est à définir pour chaque patient, en fonction de la
durée de maintien d’une humeur stable. Elle est Les psychothérapies structurées, en dehors de la compatibilité avec le maintien à l’extérieur ;
psychothérapie cognitive de la dépression – environnement familial informé, averti et
généralement mensuelle, mais il est parfois
(psychothérapie analytique ou d’inspiration coopérant, capable de tolérer les manifestations
nécessaire de pratiquer les séances d’ECT toutes les
analytique, psychothérapie systémique familiale), psychopathologiques ;
3 semaines, voire toutes les 2 semaines.
peuvent trouver une indication dans la prise en – suivi rapproché de l’ordre de deux à trois
charge de patients souffrant de troubles de l’humeur, consultations par semaine.
‚ Prise en charge psychologique
surtout lorsqu’existe un trouble de la personnalité Place de l’hospitalisation dans les états mixtes
Les psychothérapies n’ont qu’une place associé. Mais l’indication se porte alors par rapport à L’hospitalisation est la règle, en raison de
extrêmement limitée lors des accès de la maladie la personne malade, et non par rapport au l’agitation anxieuse fréquente, du risque suicidaire
maniacodépressive, à l’exception des thérapies diagnostic de trouble de l’humeur, qui ne justifie pas élevé, de l’instabilité de ces états, et des difficultés
cognitives de la dépression dans les formes en soi de psychothérapie structurée. thérapeutiques que le malade représentent.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Cédric Zeitter. Troubles de l’humeur.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0160, 1998, 8 p

Références

[1] APA. DSM IV. Critères diagnostiques (Washington DC, 1994). Traduction [5] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiques
française par JD Guelfi et al. Paris : Masson, 1996 en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[2] OMS. CIM 10. Traduction de l’anglais par CB Pull. Paris : Masson, 1993 [6] Lempérière T. Les troubles bipolaires. Paris : Masson, 1995

[3] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Sémiologie et logique dé- [7] Olié JP, Hardy P, Akiskal H, Féline A, Gorog F, Loo H et al. Psychoses
cisionnelle en psychiatrie. Paris : Doin, 1986 maniaco-dépressives. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-220-A-
10, 1990 : 1-32
[4] Olié JP, Poirier MF, Loo H. Les maladies dépressives. Paris : Flammarion
Médecine-Sciences, 1995

8
7-0190
7-0190

Troubles mentaux liés


Encyclopédie Pratique de Médecine

à une pathologie somatique


Y Sarfati

U n certain « cloisonnement » des pratiques psychiatriques et médicales ne favorise pas la double prise en
charge nécessaire à ces patients.
© Elsevier, Paris.

■ ■
comme on peut s’y attendre, elle augmente avec l’âge.
Introduction Épidémiologie Cette sur-représentation des troubles somatiques chez
les patients psychiatriques reste en partie inexpliquée.
On a pu avancer une vulnérabilité biologique
‚ Généralités particulière induite par la maladie mentale, et
Les troubles mentaux liés à une pathologie Une étude portant sur 553 patients examinés en l’existence de nombreux facteurs de risques
somatique posent des problèmes diagnostiques et cabinet par des omnipraticiens répartit, comme suit, les intermédiaires (au premier rang desquels l’alcoolisme
thérapeutiques. Dans un certain nombre de cas, c’est sujets examinés : et la toxicomanie).
l’affection somatique qui prend un masque Entre 30 et 40 % des patients consultant ou
psychiatrique : le problème est essentiellement hospitalisés en psychiatrie sont porteurs d’une
diagnostique, et le traitement de la maladie physique ✔ maladie physique pure : 45,6 % ; maladie somatique active, s’exprimant par des
suffit à supprimer les symptômes psychiatriques. Le ✔ maladie physique avec trouble symptômes physiques, et nécessitant des soins et un
plus souvent, les intrications sont plus complexes. Une psychiatrique associé : 10,1 % ; suivi médical. Fait capital, dans la moitié des cas, les
double prise en charge, médicale et psychiatrique peut
✔ maladie psychiatrique avec patients psychiatriques négligent leurs symptômes
s’avérer nécessaire. Enfin, le médecin omnipraticien somatiques et ne se préoccupent pas de les soigner.
peut être amené à gérer seul les complications
symptômes somatiques : 9,4 % ;
✔ maladies physiques et psychiatriques C’est pourquoi, chez ses patients, les pathologies
psychiatriques des maladies somatiques, le plus somatiques sont souvent découvertes fortuitement, à
souvent dépression et anxiété. À sa charge alors, de indépendantes : 5,5 % ;
l’occasion d’un bilan systématique.
reconnaître le trouble et d’adapter une stratégie ✔ maladie psychiatrique pure : 7,8 % ;
thérapeutique adaptée. ✔ parent d’enfant malade : 16,8 % ; ‚ Fréquence des complications
Il peut arriver que les troubles psychiatriques soient ✔ pas de maladie, inclassable : 4,9 %. psychiatriques des affections organiques
intriqués avec des affections organiques. Les carences Là encore, il est difficile de faire la part des choses
diagnostiques et thérapeutiques chez les patients entre les troubles psychologiques faisant intrinsèque-
présentant ce type de « double » pathologie ne sont Cette étude montre qu’un quart des patients d’une
consultation généraliste présentent à la fois des ment partie d’un trouble somatique, et les troubles
pas rares. Ces insuffisances ont plusieurs causes. D’une psychiatriques avérés, venant se surajouter à une
part, les erreurs d’orientation sont possibles ; ainsi les troubles psychiatriques et des troubles somatiques.
maladie physique. Toute la difficulté repose sur les
premières expressions d’une sclérose en plaques ‚ Fréquence des troubles mentaux critères plus ou moins stricts que l’on choisit pour
peuvent passer pour un symptôme conversif et les dans les affections organiques différencier le « simple trouble psychologique
patients être adressés au psychiatre. D’autre part, un transitoire » (qui ne nécessite pas de traitement
certain « cloisonnement » des pratiques psychiatriques Il est très difficile d’établir si une maladie est
directement à l’origine de troubles psychiatriques. psychiatrique) et le trouble psychiatrique franc, apparu
et médicales ne favorise pas la double prise en charge dans les suites de la maladie physique et évoluant
Cette relation de causalité ne peut être prouvée que
que ces patients nécessiteraient. Les psychiatres ne ensuite pour son propre compte (et qui nécessite alors
lorsque le traitement de la maladie somatique fait
procèdent que rarement à l’examen physique de leur un traitement).
disparaître les symptômes psychiatriques. Les études
patient et peuvent être tentés d’expliquer les Néanmoins, toutes les études, quelle que soit la
statistiques réalisées dans différentes structures de
symptômes physiques par la psychopathologie. Les méthode utilisée, montrent la sur-représentation des
soins psychiatriques (hôpitaux, consultations,
somaticiens ne sont pas toujours prêts à consacrer le troubles anxionévrotiques et dépressifs dans les
urgences) montrent tout de même que, dans 20 à
temps nécessaire à ces patients souvent complexes, et populations médicochirurgicales. Selon les études, le
40 % des cas, l’affection organique peut être
qui suscitent un sentiment d’incompréhension ou de considérée comme responsable du trouble chiffre varie bien sûr avec la sévérité des symptômes,
crainte. psychiatrique. exigée avant de parler de trouble psychologique vrai.
Trois cas de comorbidité peuvent se présenter. Ils En moyenne, 40 % des patients des structures de soins
seront ici envisagés successivement : ‚ Fréquence des affections organiques primaires ayant une maladie somatique pure,
– maladie somatique ayant une expression dans les troubles mentaux présenteraient secondairement un trouble
© Elsevier, Paris

exclusivement psychiatrique ; Il a été prouvé qu’il existait une plus grande psychologique (la maladie somatique est reconnue
– maladie psychiatrique augmentant le risque (la fréquence de maladies somatiques chez les patients responsable de l’émergence ou du maintien de la
probabilité) de maladie somatique ; psychiatriques que dans la population générale. Cette pathologie psychique). En milieu hospitalier, ce chiffre
– trouble psychiatrique venant compliquer comorbidité n’est pas associée à une pathologie est plus élevé, et monte à 50 %. Dans 50 à 90 % des
l’évolution d’une maladie somatique. psychiatrique en particulier, ni au sexe. En revanche, et cas, il s’agit de troubles anxiodépressifs.

1
7-0190 - Troubles mentaux liés à une pathologie somatique


Parfois, la dépression peut inaugurer la maladie de
Troubles mentaux dans Parkinson. Pendant plusieurs mois, les signes Tableau II. – Affections ou toxiques pouvant
les affections organiques induire des manifestations psychiatriques.
neurologiques peuvent être frustres ou absents, tandis
que les symptômes psychiatriques sont au premier
‚ Affections neurologiques plan. Dans ce cas, le traitement antidépresseur est
Hyper- ou hypothyroïdie
Phéocromocytome
souvent inefficace et provoque d’importants effets Hypoglycémie
En pratique : secondaires, qui préfigurent l’installation de la Hypercorticisme
un syndrome dépressif réagissant mal pathologie neurologique (tremblements, raideur, etc). Prise de substances psychoactives :
Plus rarement, un état confusionnel peut révéler la - caféine
à plusieurs chimiothérapies
maladie de Parkinson. - cocaïne
antidépressives bien conduites doit - amphétamines
faire suspecter une étiologie organique ‚ Endocrinopathies - sevrages (alcool, tranquillisants)
sous-jacente et faire pratiquer un bilan Tumeurs cérébrales du 3e ventricule
Épilepsies diencéphaliques
neurologique. Embolies pulmonaires
En pratique :
Bronchopneumopathies obstructives
Sclérose en plaques
✔ Erreur à ne pas commettre : Pancréatite
entamer un bilan endocrinien
La sclérose en plaques est la pathologie
complet pour éliminer une origine


neurologique la plus sujette évoquer, à tort, un
diagnostic psychiatrique. somatique à une dépression. Affections organiques
L’hystérie est fréquemment diagnostiquée au début ✔ Il est légitime, devant tout épisode dans les troubles mentaux
de la maladie, d’autant que les points communs avec dépressif avec quelques points
les accidents de conversion sont nombreux : d’appel somatiques, de pratiquer un
– femme jeune ; bilan thyroïdien (dosage TSH- Les maladies les plus fréquemment diagnostiquées
– symptômes neurologiques ; sont de trois types :
ultrasensible). L’hypothyroïdie est la
– survenue brusque ; – cardiovasculaires ;
– signes régressifs ;
seule endocrinopathie pouvant – neurologiques ;
– optimisme par rapport au symptôme (qui peut fréquemment passer pour une – endocriniennes et métaboliques.
passer pour une « belle indifférence »). dépression. Les types d’intrications entre trouble somatique et
La dépression est extrêmement fréquente, mais elle trouble psychiatrique sont infinis et ne peuvent être
est plus souvent une complication secondaire de la détaillés. Cependant, quelques associations
maladie qu’une manifestation initiale et isolée Le tableau I résume les affections endocriniennes particulièrement fréquentes ont été mises en
pouvant égarer le diagnostic. les plus fréquemment en cause. évidence ; ce sont elles que nous présentons ci-après.
La prise en charge de ces affections médicales doit se
Tumeurs cérébrales ‚ Pathologies somatiques faire selon les mêmes modalités que celles pour des
Dans certaines localisations, les tumeurs cérébrales à manifestations anxieuses patients non psychiatriques.
peuvent avoir, pour seule expression, un trouble prédominantes
psychiatrique, évoluant isolément et sans trouble Les troubles anxieux peuvent constituer la ‚ Schizophrénie
neurologique associé. manifestation principale (et parfois le seul point Chez les patients schizophrènes, il existe un risque
Les syndromes les plus fréquemment évoqués sont d’appel) de plusieurs pathologies somatiques, accru pour plusieurs pathologies : on parle de lien
la dépression et le trouble caractériel. Plus rares sont certaines fréquentes, d’autres anecdotiques (tableau II). « positif ». Ce risque accru se traduit par une
les tableaux délirants ou maniaques.
Un état dépressif peut être évoqué alors qu’apparaît
un « état akinétique », marqué par un ralentissement Tableau I. – Endocrinopathies.
psychomoteur pseudodépressif associant :
– état akinétique (évoquant une tumeur frontale, Trouble endocrinien Manifestations psychiatriques les Caractéristiques marquées
plus fréquentes
calleuse ou mésodiencéphalique) ;
– réduction de l’activité motrice ; Hypothyroïdie Dépression Indifférence
– perte des initiatives ; Instabilité émotionnelle
– stéréotypies ; Bradypsychie
– pauvreté mimique, amimie ; Insomnie
– inertie. Somnolence diurne
« Le syndrome psycho-organique » peut en passer Hyperthyroïdie Dépression Troubles caractériels
pour un trouble caractériel. Il est fréquent dans toutes Manie Agitation
les localisations, et peut être le seul signe révélateur de Anxiété Insomnie
la tumeur.
Insuffısance surrénale aiguë Confusion mentale majeure
Il s’exprime par :
– des troubles caractériels (agressivité, colères, Insuffısance surrénale chronique Dépression Troubles caractériels
crises de larmes) ; Asthénie majeure
– une indifférence pour l’entourage et les plaisirs Éventuel délire
habituels ;
Maladie de Cushing Dépression Éventuels délires aigus
– des troubles des pulsions (relâchement Manie Troubles caractériels
pulsionnel) ; État confusodélirant
– des comportements socialement inadaptés ;
– une méfiance, voire des idées de persécution. Insuffısance antéhypophysaire Dépression Délire aigu ou chronique
Anorexie
Maladie de Parkinson
Hypoparathyroïdie Dépression Tétanie
La dépression est étroitement associée à la maladie
de Parkinson. Souvent, elle apparaît comme une Hyperparathyroïdie Confusion mentale Irritabilité
complication du cours naturel de la maladie (40 % des Anorexie
cas de Parkinson). Ce cas, qui est celui d’une Diabète Peu de manifestations psychiatri-
dépression secondaire à un trouble organique, est (hors décompensation aiguë) ques
traité plus loin.

2
Troubles mentaux liés à une pathologie somatique - 7-0190

surmorbidité (plus de maladies) et une surmortalité – syndrome psycho-organique ;


(plus de décès dus à ces maladies) que dans la Tableau III. – Pathologies particulièrement – alternance inexpliquée de rires et de pleurs ;
population générale. Les affections liées positivement dépressogènes. – anorexie ;
à la schizophrénie sont, par ordre décroissant : – insomnie.
Douleur chronique (mais qui peut être une dépres-
– les maladies respiratoires ;
sion masquée) ‚ États anxieux
– les maladies cardiovasculaires ; Cancer
– les maladies cérébrovasculaires ; Pathologie gastro-intestinale Le dépistage, en médecine générale, des états
– certains cancers. Insuffısance rénale anxieux secondaires à une pathologie somatique,
Pour expliquer la grande fréquence de ces maladies Maladie auto-immune paraît encore inférieur à celui des états dépressifs. Ils
chez les patients schizophrènes, on a incriminé le rôle AVC* sont pourtant fréquents, et apparaissent de façon non
joué par le tabac (les schizophrènes sont souvent de spécifique quelle que soit la pathologie somatique.
gros fumeurs) et l’inactivité, voire, mais sans preuve, * AVC : accidents vasculaires cérébraux ; Leur prise en charge améliore souvent le pronostic
l’effet des traitements. général de l’affection somatique associée.
D’autres pathologies sont surreprésentées, et plus
Les facteurs favorisant l’émergence d’une ‚ Syndrome subjectif
spécifiquement liées aux effets de la chimiothérapie
dépression, en cas de pathologie somatique sont : des traumatisés du crâne
neuroleptique au long cours :
– les âges extrêmes (jeune ou vieux) ;
– iléus ; Il s’agit d’une complication psychiatrique
– le sexe féminin ;
– pyélonéphrite ; traditionnellement décrite après des traumatismes
– le bas niveau socioéconomique ;
– hypertrophie prostatique ; crâniens, même minimes. Il n’existe aucune corrélation
– l’isolement social.
– diabète. entre la gravité du traumatisme et la survenue du
Dans les maladies chroniques et de pronostic
Notons enfin qu’il existe une association négative syndrome.
sombre, on a pu montrer que c’était l’invalidité,
entre certaines pathologies somatiques et la Il se caractérise par des plaintes subjectives dans les
l’intensité de la douleur et la rapidité du déclin qui
schizophrénie, c’est-à-dire que les patients jours, les semaines ou les mois qui suivent l’accident.
provoquaient le plus souvent des réactions
schizophrènes seraient proportionnellement moins Ces plaintes motivent naturellement, initialement, un
dépressives, véritables réactions psychologiques à la
touchés que la population générale : nouveau bilan somatique, qui s’avère normal. Le
progression d’une maladie à l’issue létale.
– polyarthrite rhumatoïde ; syndrome subjectif des traumatisés du crâne doit être
Il est très important de noter que la gravité de la
– maladies psychosomatiques surtout. évoqué dès lors que des plaintes subjectives persistent,
pathologie n’entre pas en ligne de compte de manière
alors que le bilan neurologique est objectivement
‚ Troubles de l’humeur univoque. Une dépression sévère peut venir
compliquer une pathologie somatique bénigne, normal.
Toutes les recherches de comorbidité entre trouble
pourvu qu’elle produise un important sentiment Il se manifeste le plus souvent sous la forme d’un
de l’humeur et pathologie somatique se sont avérées
d’impuissance et d’insatisfaction. À l’inverse, une syndrome dépressif, rarement franc, le plus souvent
négatives. Les résultats obtenus ne sont pas probants
pathologie sévère (cancer, sida, interventions atypique et bâtard. Il est plus fréquent chez les sujets
ou sont trop contradictoires d’une étude à l’autre pour
chirurgicales lourdes) peut ne pas entraîner de de faible niveau socioculturel, mal insérés
être pris en considération. La mortalité naturelle est la
symptomatologie dépressive. Dans ce cas, le professionnellement. Certaines caractéristiques
même chez les patients déprimés et dans la
diagnostic de dépression est fait plus volontiers doivent aider à faire le diagnostic et inciter à limiter les
population générale.
lorsque le praticien se sent débordé par la souffrance explorations complémentaires :
La seule association positive retrouvée avec une
physique de son patient, que lorsque celui-ci se – sensations vertigineuses ;
certaine constance, concerne l’augmentation du risque
déprime réellement. Il faut donc veiller, dans ces – douleurs persistantes de topographie incertaine ;
cardiovasculaire chez les patients maniacodépressifs.
circonstances, à ne pas transférer sur le patient les – troubles neurovégétatifs ;
Contrairement à ce qui avait été un moment avancé,
impressions négatives que produisent les situations – irritabilité, intolérance au bruit et à la lumière ;
(influence néfaste des antidépresseurs tricycliques), le
d’allure désespérée. – désintérêt, asthénie ;
risque accru serait dû à des facteurs non spécifiques,
Certaines pathologies ont été reconnues comme – troubles du sommeil, cauchemars ;
comme le tabagisme, plus important chez ces patients
particulièrement dépressogènes. Elles sont figurées – revendications en rapport avec l’accident ;
que dans la population générale.
dans le tableau III. – parfois, symptômes du registre dépressif ;
‚ Anxiété Dans le cas particulier représenté par les accidents – insensibilité aux antalgiques, mais réactivité aux
Dans le groupe hétérogène constitué par les vasculaires cérébraux, la reconnaissance de la antidépresseurs.
patients « anxieux » au sens large (incluant les dépression peut être rendue difficile en raison des
différentes formes de la symptomatologie anxieuse), perturbations induites par le trouble de la conscience,


les études montrent l’existence d’un surcroît d’ulcères l’aphasie, l’anosognosie et toutes les autres
gastroduodénaux et d’hypertension artérielle. manifestations de l’atteinte organique. Ces épisodes Stratégies thérapeutiques
Les patients présentant un trouble panique dépressifs risquent donc d’être méconnus. Cette
(attaques de panique à répétition), seraient plus sujets méconnaissance est aggravée par la tendance à
aux accidents vasculaires cérébraux qu’un groupe mettre sur le compte d’une « réaction psychologique ‚ Troubles mentaux dans les affections
contrôle. normale » les symptômes dépressifs consécutifs à une organiques
lésion du cerveau. Dans tous les cas de figure envisagés, la prise en


Les symptômes dépressifs ne sont pas corrélés à charge et le traitement de la pathologie organique
Complications psychiatriques l’étendue de l’atteinte organique, mais plutôt avec doivent amender la symptomatologie psychiatrique
des affections organiques l’importance du handicap et avec le territoire concerné qui en était l’expression.
par la nécrose. Quoique les données soient parfois La difficulté n’est là, pas tant thérapeutique que
‚ États dépressifs réactionnels contradictoires, les localisations les plus susceptibles diagnostique.
Les troubles dépressifs observés chez les patients d’engendrer une dépression sont, par ordre
décroissant : ‚ Affections organiques
médicochirurgicaux peuvent être de tous types. Le plus
– lésions antérieures gauches ; dans les troubles mentaux
souvent, ils sont d’intensité modérée. Les médecins
somaticiens ont tendance à sous-évaluer l’intensité des – lésions postérieures gauches ; Les affections organiques survenant chez les
troubles dépressifs, qu’ils mettent volontiers sur le – lésions postérieures droites. patients psychiatriques doivent être traitées en elles-
compte d’une tristesse naturelle en rapport avec la Plusieurs éléments, certains atypiques dans la mêmes, de même que la pathologie psychiatrique, qui
maladie somatique, alors qu’il s’agit de troubles dépression, doivent faire garder ce diagnostic à l’esprit doit être traitée selon son évolution propre.
dépressifs vrais, autonomes, et méritant une prise en dans les 4 mois qui suivent l’accident :
charge spécialisée. On estime ainsi que 50 % des – récupération fluctuante ; ‚ Complications psychiatriques
affections psychiatriques présentées par les – aggravation après amélioration ; des affections organiques
consultants en médecine générale ne sont pas – négligence pour les soins ; Les complications psychiatriques des troubles
identifiées. – rééducation difficile à mener ; somatiques doivent, elles aussi, faire l’objet d’une prise

3
7-0190 - Troubles mentaux liés à une pathologie somatique

en charge pour leur propre compte. Néanmoins,


certaines spécificités thérapeutiques sont à prendre en Tableau IV. – Exemples de prescriptions dans certains cas de troubles psychiatriques et somatiques
compte. associés.
Les états dépressifs réactionnels à un trouble Pathologie somatique Pathologie psychiatrique secon- Traitement à privilégier
somatique doivent pouvoir faire l’objet, une fois dairement associée
reconnus, d’une prise en charge en bonne et due
forme. Compte tenu du pourcentage important d’états Parkinson Hallucinations ou délire Largactilt 50 à 200 mg/j
Dogmatilt 100 à 200 mg/j
dépressifs méconnus ou sous-estimés, c’est une
(les autres neuroleptiques sont neurologique-
conduite à tenir qu’il faut toujours garder à l’esprit. ment mal tolérés)
Toutes les études montrent qu’un état dépressif
secondaire à une pathologie somatique vient péjorer Dépression Anafranilt 50 à 75 mg/j si possible
le pronostic de celle-ci. Quelle que soit la pathologie Sinon : IRS, Athymilt, Vivalant
somatique envisagée, le traitement de la dépression Troubles du caractère Vérifier l’effıcacité du traitement anticomi-
qui s’y associe (une fois encore, rappelons que c’est de tial. Si besoin, adjonction d’anticomitiaux
façon parfois masquée) améliore le suivi et la Tégrétolt : 400 à 800 mg/j
coopération avec le médecin, le confort de vie, et Dépakinet chrono 500 : 500 à 1000 mg/j
accélère l’amélioration clinique physique. Impulsivité, aggressivité Dipipéront 1 à 3 cp/j
Cette prise en charge peut nécessiter, dans la Neuleptilt fort 5 à 20 gouttes/j
plupart des cas, la prescription d’antidépresseurs. Épilepsie Haldolt 3 à 10 mg/j
Néanmoins, le sentiment d’impasse ou d’échec dans
Dépression Seul antidépresseur n’abaissant pas le seuil
lequel se trouve le médecin (souvent dans les cas de
épileptogène :
maladies graves) peut le conduire, à tort, à la Vivalant 100 à 300 mg/j
prescription d’antidépresseurs qui vient obturer le (attention, risque de crise convulsive en cas
dialogue. Dans ce cas, c’est bien plutôt le médecin qui d’arrêt brutal)
se sent soulagé ou rassuré, plutôt que le patient. Dans Sinon : antidépresseur tricyclique en aug-
les situations les plus désespérées, la nécessité d’une mentant le traitement anticomitial et sous
écoute de qualité est l’action thérapeutique la plus contrôle électroencéphalogramme
souhaitable. Ainsi, c’est à travers l’abord des questions AVC Dépression Il existe peu d’études statistiquement fiables
essentielles, que le patient pourra trouver une pour prouver la supériorité d’un antidépres-
réassurance, ou débuter un travail de deuil d’un « idéal seur par rapport à un autre. Privilégier :
de bonne santé ». Le pronostic, le traitement, l’espoir, la Anafranilt 50 à 150 mg/j
survie, la mort sont autant de thèmes difficiles que le Prozact20 mg/j
médecin devrait pouvoir aborder avec son patient. S’il Trauma crânien Syndrome subjectif ± Importance du traitement psychologique
se sent débordé, le recours à un soutien psychologique spécialisé
spécialisé est toujours possible, mais doit être Dépression Doses faibles de tricycliques (25 à 50 mg/j)
mûrement réfléchi et discuté. En effet, il peut être vécu sur une longue période (12 à 18 mois)
par le patient comme un abandon ou un rejet de la Douleur chronique Dépression Laroxylt : 50 à 150 mg/j
part de son médecin, comme s’il ne pouvait faire face Anafranilt : 25 à 100 mg/j
avec lui.
Le soutien psychologique se fait, la plupart du
temps, sous la forme de thérapies de soutien, qui fédérale américaine) montrent que le soutien capables de diminuer de 20 % la durée d’hospitalisa-
peuvent être brèves. Certaines techniques peuvent psychologique des patients hospitalisés pour maladie tion pour infarctus du myocarde et de favoriser le
inclure la réduction des conduites à risque (telle que le grave permettait d’améliorer le vécu général des soins retour à domicile des sujets âgés hospitalisés après
tabagisme dans le domaine des atteintes cardiovascu- et de réduire très significativement la durée (donc le fracture du col du fémur.
laires et cancéreuses, par exemple). À titre illustratif, coût) de l’hospitalisation des patients bénéficiant d’une Le tableau IV résume les quelques spécificités des
rappelons que toutes les études (menées notamment telle prise en charge. Dans cette optique, on a montré prescriptions dans certains cas de troubles
par les compagnies d’assurance et l’administration que de simples interventions psychologiques étaient psychiatriques et somatiques associés.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Troubles mentaux liés à une pathologie somatique.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0190, 1998, 4 p

Références

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Res 1984 ; 28 : 387-395 Med Psychol (Paris) 1985 ; 143 : 175-189

[2] Hardy P. Épidémiologie des associations entre troubles mentaux et affections


organiques. Paris : PUF, 1993

4
Troubles psychotiques : 7-0225
7-0225

troubles schizophréniques
Encyclopédie Pratique de Médecine

et troubles délirants chroniques


V Olivier

L es états psychotiques désignent différentes pathologies psychiatriques autonomes ayant en commun la


présence de signes dits psychotiques : idées délirantes, hallucinations ou dissociation mentale (incohérence,
désorganisation du discours). Les deux principaux groupes diagnostiques regroupés sous ce terme sont les troubles
schizophréniques et les troubles délirants chroniques. Les symptômes psychotiques ne sont toutefois pas spécifiques
des troubles schizophréniques et délirants chroniques, mais peuvent apparaître au cours d’autres pathologies
psychiatriques (cf chapitre « Démarche diagnostique devant un syndrome délirant »), en particulier thymiques
(troubles dépressifs ou maniaques délirants). Cependant, même si des signes de dissociation peuvent apparaître au
cours d’états non schizophréniques, ces signes restent, dans la clinique traditionnelle française, considérés comme
spécifiques des troubles schizophréniques.
© Elsevier, Paris.

■ ■
La prise en charge au long cours des patients
Introduction « psychotiques » est souvent lourde et complexe. Elle Troubles schizophréniques
est fonction de la maladie psychiatrique. La prise en
charge des troubles schizophréniques nécessite
Le médecin généraliste constitue souvent le l’élaboration d’un projet de soins en milieu
premier interlocuteur consulté par le patient spécialisé, de préférence sur le secteur psychiatrique Les troubles schizophréniques sont des troubles
lui-même ou plus souvent par sa famille pour des car celui-ci dispose de structures de soins diverses mentaux chroniques affectant 1 % de la population.
difficultés pouvant faire évoquer un trouble (hôpitaux de jour et/ou de nuit, centres Le terme de schizophrénie a été créé par Bleuler en
psychotique. À ce titre, son rôle dans la prise en médicopsychologiques, appartements thérapeu- 1910, pour désigner un groupe de maladies
charge précoce de la maladie est fondamental. Il est tiques, réalisation de visites à domicile...). Le dispositif rattachées à une même pathogénie : la dissociation
de reconnaître et de rechercher les signes pouvant de secteur permet d’assurer une prise en charge mentale, trouble pathogénique fondamental,
associant des traitements biologiques, psychothéra- organisateur de la maladie, qui permettait
faire évoquer une entrée dans une maladie
piques, sociothérapiques ainsi qu’une prise en d’expliquer les symptômes cliniques observés
psychotique, ces signes précurseurs n’étant pas
charge familiale. (théorie explicative de la maladie), mais dont les
toujours des symptômes typiques de la maladie. Il
est cependant important de ne pas faire un Le médecin généraliste a un rôle important à étiologies pouvaient être multiples. Bleuler définissait
diagnostic de trouble psychotique de manière jouer tout au long de la maladie schizophrénique. Il ainsi la schizophrénie : « il s’agit d’un groupe de
abusive devant tout adolescent présentant des doit être informé des mesures thérapeutiques mises psychoses qui évolue tantôt sur le mode chronique,
en place pour son patient afin qu’une collaboration tantôt par poussées, qui peut s’arrêter ou rétrocéder
d iffi c u l t é s s c o l a i r e s o u d e s t r o u b l e s d u
de bonne qualité puisse s’établir avec l’équipe à n’importe quel stade, mais qui ne permet sans
comportement.
psychiatrique. Son rôle est de soutenir son patient et doute pas de restitutio ad integrum complète. Ce
Souvent, le médecin généraliste est amené à
sa famille, d’aider la famille à mieux comprendre et à groupe est caractérisé par une altération de la
aider le patient et/ou sa famille à prendre une
mieux vivre la maladie, de dépister les signes de pensée, du sentiment et des relations avec le monde
décision d’hospitalisation (sous contrainte
rechutes, d’évaluer la compliance et la tolérance du extérieur d’un type spécifique et que l’on ne
éventuellement) ou de consultation chez un
traitement. rencontre nulle part ailleurs ».
psychiatre. Il est important d’éviter un délai trop long
entre les premiers signes de la maladie et le Le médecin généraliste est, en général, plus Avant Bleuler, Kraepelin (1887, 1898) avait
traitement de celle-ci, la précocité de la prise en directement impliqué dans la prise en charge des regroupé sous le terme de « démence précoce »
© Elsevier, Paris

charge thérapeutique étant un facteur pronostique troubles délirants chroniques, en particulier des (dementia praecox), trois grandes formes cliniques
important. Certaines manifestations doivent attirer délires paranoïaques, en raison de l’évolution de psychose : la forme paranoïde, l’hébéphrénie et la
particulièrement l’attention et conduire à une progressive et à bas bruit des troubles et du déni catatonie, dont les deux caractéristiques
consultation spécialisée. d’une pathologie mentale par le patient. fondamentales étaient une évolution chronique

1
7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

inéluctable vers un état démentiel et un trouble difficile, par des phénomènes de persévérations ou Bien que considéré comme non spécifique et de
fondamental défini par un appauvrissement de stéréotypies (le cours de la pensée reste bloqué diagnostic difficile (car de définition floue et peu
émotionnel. sur une idée ou le malade ne cesse de revenir sur objective) par les psychiatres américains, le
Depuis les description de Kraepelin et Bleuler, la une même idée). Le discours est perturbé par la syndrome de dissociation reste pour les cliniciens
schizophrénie a été l’objet d’un nombre présence de brusques ruptures de sens, des français un signe fondamental de schizophrénie
considérable de travaux et de controverses sur ses contaminations d’une idée par une autre, des lorsqu’il survient en dehors d’un trouble thymique
critères diagnostiques, ses limites nosographiques, contradictions, des coq-à-l’âne, des associations (maniaque ou dépressif) et qu’il persiste au moins
ses causes et ses mécanismes. Ces travaux n’ont absurdes, une diffluence avec des digressions sans 6 mois. Il permet d’autre part de distinguer la
cependant pas permis d’aboutir à un réel consensus rapport entre elles. Le pensée apparaît ainsi insolite schizophrénie des délires chroniques, la majorité de
entre les différentes écoles psychiatriques sur la et le raisonnement illogique, impénétrable. ces délires sont rattachés, dans les écoles
définition et l’étiopathogénie de la maladie. Les troubles du langage reflètent également le psychiatriques anglosaxones, à la schizophrénie.
Cependant, l’origine biologique de la maladie ne fait manque de cohérence de la pensée : ralentissement
plus aucun doute aujourd’hui ; selon les dernières intermittent du débit de la voix (fading), accès de Délire
hypothèses, la schizophrénie serait liée à un mutisme ou de semi-mutisme (entrecoupé de gestes Le syndrome délirant schizophrénique, dit délire
dysfonctionnement de structures cérébrales brusques ou d’impulsions verbales), accès de paranoïde, est un délire polymorphe, non
d’origine biologique. verbigération. La pauvreté ou la perte de systématisé, souvent extrêmement flou, illogique et
La clinique traditionnelle française garde une spontanéité du langage peut se traduire par une incompréhensible. Tous les mécanismes délirants
conception assez restrictive de la maladie, centrée latence des réponses, une pauvreté du discours peuvent être observés, mais les plus fréquents sont
sur deux critères clefs : la présence d’un syndrome et/ou de son contenu. Les composants élémentaires les hallucinations, le plus souvent acousticoverbales,
dissociatif et le caractère chronique des troubles, du langage peuvent être également atteints : et l’automatisme mental (hallucinations
même si ceux-ci peuvent varier en intensité au cours utilisation de mots nouveaux n’existant pas dans la intrapsychiques). Les thèmes délirants sont variés et
de l’évolution, avec une évolution à long terme langue (néologismes), mots créés pour exprimer des souvent intriqués, centrés sur des idées de
parfois déficitaire. concepts obscurs et personnels, mots utilisés à persécution, de menace, d’influence, pouvant
Les expressions cliniques de la schizophrénie sont mauvais escient dans une phrase (paralogismes), s’associer à des thèmes mégalomaniaques,
très variées d’un malade à l’autre, et fluctuent avec le mauvaise utilisation des règles syntaxiques d’érotomanie, de devination, de catastrophe. La
temps. Les nombreux signes cliniques décrits (agrammatisme), au maximum, langage totalement participation émotionnelle au délire est variable : on
peuvent être regroupés autour de trois grandes déformé et incompréhensible, aboutissant à un peut retrouver une indifférence affective ainsi qu’une
dimensions syndromiques : la dissociation, le délire paralangage absolument hermétique, interdisant froideur ; un sentiment d’angoisse (sentiment
et l’autisme. Bien qu’aucun de ces signes ne soit tout communication (schizophasie). d’hostilité de l’ambiance, de menace), parfois
pathognomonique de la maladie, le syndrome de d’euphorie (sentiment de toute puissance). En cas de
D’autres particularités de la pensée schizophré-
dissociation reste un signe relativement spécifique forte participation émotionnelle au délire, une
nique rendent le discours du patient obscur et
de la schizophrénie. Ces signes peuvent ou non hospitalisation s’avère en général indispensable en
impénétrable : la tendance au symbolisme,
s’associer de façon variable au cours de la maladie. raison de troubles de comportement associés.
c’est-à-dire le recours à des métaphores et des
‚ Description clinique traditionnelle images donnant aux expressions du schizophrène Les caractéristiques du délire peuvent se modifier
un caractère bizarre, maniéré et flou, une tendance à au cours de l’évolution. Lors des accès aigus de la
Le diagnostic de schizophrénie repose sur trois
manipuler des concepts abstraits, sans portée maladie, il prend l’allure de bouffées délirantes
grandes dimensions sémiologiques : la dissociation
pragmatique, un rationalisme morbide, nécessitant une hospitalisation. En dehors des accès,
mentale, le délire et l’autisme.
raisonnement pseudologique d’allure scientifique ou on observe un certain appauvrissement des thèmes.
Trois autres critères sont nécessaires au
philosophique totalement détaché du réel.
diagnostic : une évolution de la symptomatologie
Dans le champ affectif, la dissociation peut Autisme
pendant au moins 6 mois, un début des troubles
s’exprimer soit par un appauvrissement de L’autisme est la conséquence directe de la
avant l’âge de 40 ans et une détérioration du niveau
l’affectivité et des réactions émotionnelles, soit par dissociation qui oblige le schizophrène à
de fonctionnement antérieur.
une inappropriation des affects (affect gai avec réaménager ses rapports avec le monde : le
Dissociation mentale propos tristes), soit par une ambivalence affective schizophrène reconstruit un monde à lui,
La dissociation mentale reste considérée comme (expression simultanée de deux sentiments indépendant de la logique de la réalité et de
le trouble fondamental de la schizophrénie. Elle contraires : amour et haine, désir et rejet, fusion et l’existence des autres, dans lequel ses désirs sont
désigne une dislocation des fonctions psychiques, séparation). exaucés et les obstacles exclus. L’autisme est
une perte d’unité de la personnalité du sujet. Elle Dans le champ des comportements, des troubles caractérisé par deux phénomènes : une évasion de
s’exprime au niveau clinique dans les différents psychomoteurs expriment l’ambivalence et la perte la réalité (perte de contact avec la réalité) et une
domaines d’activité du sujet : activité mentale, de l’unité de la vie psychique : maniérisme et prédominance relative ou absolue de la vie
comportementale, affectivité. Les symptômes de maladresse des gestes, bizarrerie de la mimique, intérieure. Le retrait du monde se traduit
dissociation ou de discordance sont variables dans le caractère contradictoire ou absurde de certains habituellement par un apragmatisme, une
temps et peuvent s’associer à des performances mouvements qui semblent involontaires. Le indifférence et une pauvreté affective, un désintérêt
intellectuelles tout à fait remarquables. syndrome catatonique, actuellement rare, associe un et un retrait social.
La dissociation de la pensée s’exprimant ensemble de troubles moteurs tels qu’un Lorsque le retrait autistique est majeur et
cliniquement par les troubles formels de la pensée négativisme (résistance voire opposition active, repli), empêche toute activité et tout contact avec le monde
ou les troubles du cours de la pensée restent au une inertie (suspension des gestes, passivité), des extérieur, une hospitalisation continue en institution
centre de la description de la schizophrénie dans la stéréotypies (répétitions de mêmes gestes ou de spécialisée est nécessaire.
clinique traditionnelle française. Il s’agit d’une mêmes conduites), des hyperkinésies (souvent Ces trois syndromes sont d’intensité variable et
désorganisation des activités mentales s’exprimant agressives ou clastiques), une catalepsie (perte de peuvent ou non s’associer au cours de l’évolution.
avant tout au niveau du discours. Le déroulement de l’initiative motrice, flexibilité cireuse, plasticité, et Les signes dits positifs ou productifs, délire et
la pensée est souvent perturbé par des conservation des attitudes imposées). dissociation, apparaissent généralement en début de
ralentissements, voire des interruptions inexplicables Les conduites sociales sont souvent perturbées : maladie, alors que les signes dits négatifs ou
du discours, le classique barrage, signe supposé isolement social progressif, comportements déficitaires (retrait autistique) surviennent
pathognomonique, mais de reconnaissance très inadaptés, impulsifs, auto- ou hétéroagressifs. généralement plus tardivement.

2
Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

À ces signes peuvent s’associer d’autres signes sexuelle ; et des manifestations obsessionnelles
moins spécifiques. Il est fondamental de savoir annonciatrices de l’automatisme mental, sont
L’angoisse est fréquente et souvent intense. Elle reconnaître les signes précurseurs de fréquentes en début de maladie. On parle de
peut s’exprimer sous la forme d’une angoisse de la maladie schizophrénique car les schizophrénie pseudonévrotique. Des conduites
dépersonnalisation (le malade ne se reconnaît plus) possibilités thérapeutiques sont en psychopathiques peuvent également annoncer la
ou de déréalisation (le malade ne reconnaît plus son partie fonction de son dépistage maladie : délinquance, recours à l’alcool et aux
environnement). précoce. drogues. On parle d’héboïdophrénie.
Ces symptômes initiaux doivent conduire à une
‚ Diagnostic dans
La schizophrénie débute généralement chez consultation spécialisée qui cherchera à mettre en
les classifications internationales
l’adolescent ou l’adulte jeune. L’entrée dans la évidence les premiers signes de dissociation ou
La nécessité pour la recherche clinique et l’ébauche d’une activité délirante. On pourra
maladie peut s’effectuer, soit de manière brutale et
fondamentale d’homogénéiser les pratiques également s’appuyer sur les informations apportées
bruyante par l’émergence d’un trouble aigu, soit de
diagnostiques entre cliniciens, entre chercheurs et par la famille ainsi que par des tests
manière insidieuse et progressive.
entre pays, a amené, ces dernières années, des psychométriques.
Au début de la maladie, le diagnostic est souvent
tentatives d’homogénéisation des critères
difficile à poser, car les signes francs de Le rôle du médecin de famille est d’aider le patient
diagnostiques des troubles mentaux et la création de
schizophrénie n’apparaissent qu’après plusieurs et sa famille à accepter une consultation
systèmes critériologiques internationaux. Devant
mois ou années d’évolution. Le diagnostic ne doit psychiatrique en insistant sur la nécessité d’une prise
l’absence de consensus quant à l’étiopathogénie des
pas être porté de façon abusive chez tout adolescent en charge précoce, en informant le patient sur
troubles mentaux, les auteurs des principales
qui présente des troubles du comportement ou des l’existence de traitements médicamenteux
classifications ont utilisé une approche dite
difficultés scolaires mais il ne doit pas non plus être spécifiques très efficaces et l’intérêt de ces
« a-théorique », c’est-à-dire purement descriptive,
négligé en raison de la nécessité d’un traitement traitements et d’un soutien psychologique.
pour définir les troubles mentaux. Le choix des
précoce.
critères diagnostiques a été basé sur la clarté de leur
Troubles aigus
définition, plutôt que sur leur spécificité. Troubles insidieux et progressifs
Le choix de critères précis et objectifs (afin Deux types de symptomatologie aiguë peuvent
Les formes à début progressif sont un peu plus
d’améliorer la fidélité interjuge) a eu pour fréquentes que les formes à début aigu. Elles sont inaugurer une schizophrénie : un épisode délirant
conséquence, pour la clinique de la schizophrénie, le caractérisées par une rupture dans la vie du sujet : aigu (bouffée délirante aiguë) ou des épisodes
rejet au second plan du concept bleulérien de changement incompréhensible de caractère, d’allure maniaque ou dépressive.
dissociation mentale, jugé de définition floue et peu d’intérêt, de comportements, difficultés scolaires. Un épisode délirant aigu (bouffée délirante aiguë)
objective. Le poids diagnostique du syndrome de peut inaugurer la maladie schizophrénique. Le
Différents symptômes non spécifiques peuvent
dissociation a donc considérablement chuté dans les pronostic d’un tel épisode est presque impossible à
constituer le premier symptôme de la maladie. Il
principaux systèmes critériologiques internationaux déterminer pendant l’épisode lui-même. Cependant,
peut s’agir de troubles de la concentration entraînant
(DSM IV, système critériologique américain ; CIM 10, certains arguments sont en faveur d’un pronostic
une baisse du rendement scolaire ou professionnel,
classification internationale des maladies de défavorable et prédictifs d’une évolution vers la
de signes d’autisme avec retrait et isolement social,
l’Organisation mondiale de la santé [OMS]), au profit schizophrénie :
perte progressive des intérêts, perte des activités,
de critères de définition plus clairs et plus objectifs – un début moins brutal, précédé d’une phase
aboulie, apragmatisme, indifférence affective, parfois
tels que les hallucinations et le délire. Le diagnostic prodromique insidieuse ;
hostile à l’entourage. Les périodes d’apragmatisme
de schizophrénie repose ainsi essentiellement sur les
peuvent être entrecoupées par des actes impulsifs – l’absence de trouble de l’humeur avant et
symptômes productifs : le délire et les hallucinations.
(auto ou hétéro-agressifs), des engouements subites pendant l’épisode aigu, avec appauvrissement et
Malgré l’abandon, au moins partiel, du concept pour des sujets inhabituels, parascientifiques, restriction des affects ;
de dissociation comme critère fondamental du religieux ou ésotériques. Certaines manifestations – une personnalité prémorbide pathologique de
diagnostic de schizophrénie, les cliniciens français doivent attirer particulièrement l’attention telles que type schizoïde ;
continuent d’utiliser ce concept pour porter le des troubles des conduites alimentaires, et – une résolution incomplète de l’accès avec
diagnostic de schizophrénie. Ce concept permet particulièrement l’anorexie mentale (20 à 30 % critique partielle du délire.
également à l’école française de distinguer au sein évoluent vers la schizophrénie). Des manifestations
des troubles psychotiques chroniques, la La persistance ou l’apparition de signes de
d’allure névrotique, et particulièrement des dissociation au décours de l’épisode permettront de
schizophrénie et les autres délires chroniques, délires manifestations pseudophobiques sous-tendues par
chroniques non hallucinatoires (délires confirmer le diagnostic.
des idées délirantes hypocondriaques concernant le
paranoïaques et délires imaginatifs) et la psychose Des épisodes thymiques, maniaques ou
fonctionnement du corps (nosophobie, éreuto-
hallucinatoire chronique, distinction non reconnue dépressifs, dits atypiques, peuvent également
phobie, surtout dysmorphophobie) ou l’identité
par les deux principaux systèmes critériologiques inaugurer la maladie. Ces états associent une
actuels (DSM IV, CIM 10). L’école américaine intègre symptomatologie thymique à des signes dissociatifs
la psychose hallucinatoire chronique et les délires Certaines manifestations doivent et des idées délirantes non congruentes à l’humeur,
imaginatifs au sein des troubles schizophréniques. particulièrement attirer l’attention du fréquemment persécutives. Devant un tel épisode
Il n’existe donc pas actuellement de réel médecin généraliste chez un survenant chez un adolescent, il est cependant
consensus entre les différentes écoles psychiatriques adolescent présentant des troubles du important de ne pas porter un diagnostic de
sur la définition et les limites diagnostiques des comportements et/ou un changement schizophrénie de façon abusive. Un diagnostic de
troubles schizophréniques. incompréhensible de caractère : des trouble de l’humeur (psychose maniacodépressive)
signes hypocondriaques, une doit également être envisagé, compte tenu de la
‚ Modes d’entrée dans la schizophrénie dysmorphophobie (transformation possibilité d’un traitement préventif par un
L’importance d’une mise en route précoce des corporelle), des troubles des conduites thymorégulateur. L’antériorité d’apparition des
mesures thérapeutiques impose de savoir alimentaires (anorexie avec régimes signes maniaques ou dépressifs sur les signes
reconnaître les formes de début de la maladie. bizarres), des phobies sociales atypiques oriente plutôt vers un diagnostic de
Certains signes évoquant une entrée dans la s’accompagnant de la crainte d’être psychose maniacodépressive (PMD). La persistance
maladie doivent conduire à une consultation observé ou influencé par autrui. de signes dissociatifs et/ou délirants après l’épisode
spécialisée afin d’établir le diagnostic. aigu oriente plutôt vers une schizophrénie.

3
7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

La forme paranoïde est caractérisée par la L’intervention de facteurs génétiques dans la


L’établissement d’un diagnostic présence prédominante de symptômes productifs schizophrénie paraît bien démontrée, cependant le
précoce est fondamental. Les (idées délirantes et hallucinations) et d’un syndrome mode de transmission reste discuté et le lien entre
possibilités thérapeutiques sont en dissociatif. Elle apparaît classiquement au décours les facteurs génétiques et les autres facteurs de la
partie fonction de la précocité du d’un ou de plusieurs accès délirants aigus maladie est peu clair. Les études d’adoption vont
dépistage de la maladie. Il est donc incomplètement résolutifs. L’évolution est faite de dans le sens d’un risque accru de schizophrénie dans
important de savoir reconnaître les poussées processuelles entrecoupées de périodes de la famille au premier degré d’un patient
formes de début de la maladie. rémissions partielles, au cours desquelles le patient schizophrène. Les études de jumeaux montrent un
✔ Début aigu : bouffée délirante peut retrouver un bon niveau d’adaptation risque plus élevé pour la schizophrénie chez les
aiguë, épisode maniaque ou professionnelle, au moins en début de maladie. jumeaux homozygotes que les hétérozygotes.
dépressif atypique, épisode Cette forme, de meilleur pronostic, est plus sensible L’origine biologique de la maladie ne fait
catatonique (rare). aux traitements neuroleptiques qui permettent de également plus aucun doute aujourd’hui.
mieux contrôler l’évolution.
✔ Début insidueux et progressif : L’hypothèse d’un dysfonctionnement du système
forme déficitaire (asthénie, difficultés ‚ Évolution dopaminergique a été la première hypothèse
intellectuelles, désintérêt, retrait et L’évolution de la schizophrénie est très variable et biologique retenue. Elle reposait sur le fait que les
isolement affectif et social), forme peu prévisible. Elle est parfois sévère. Certains neuroleptiques agissaient en bloquant les récepteurs
pseudonévrotique (manifestations patients évoluent rapidement vers un état déficitaire dopaminergiques et qu’à l’inverse, les agonistes
phobiques et obsessionnelles croissant empêchant toute activité et tout contact dopaminergiques aggravaient les symptômes
atypiques), forme délirante avec le monde extérieur. D’autres patients, très schizophréniques. Cependant, tous les symptômes
progressive (idées hypocondriaques, dissociés, présentent une désorganisation de leur ne pouvaient être expliqués par une hyperdopami-
transformation corporelle, activité mentale entravant de façon majeure la nergie. L’hypothèse d’une hypodopaminergie
dysmorphophobie, troubles des communication avec autrui. Enfin, d’autres patients sous-tendant les symptômes négatifs est venue
conduites alimentaires atypiques encore s’enferment dans un délire de plus en plus compléter le modèle dopaminergique de la maladie.
avec régimes bizarres). incohérent, résistant au traitement. Depuis, d’autres systèmes neurotransmetteurs ont
Le pourcentage d’évolutions sévères vers un état été explorés et semblent jouer également un rôle
Ces signes doivent conduire à une
démentiel et une hospitalisation continue a dans la maladie. Même si aucun de ces modèles ne
consultation spécialisée, voire à une
cependant considérablement diminué depuis permet à lui seul d’expliquer l’ensemble de la
hospitalisation, pour une observation
Kraepelin, grâce aux progrès des thérapeutiques symptomatologie schizophrénique, ces travaux
et un bilan qui confirmeront ou non
(médicamenteuses, institutionnelles) et au dépistage confirment l’existence d’anomalies biologiques
un diagnostic de schizophrénie
précoce de la maladie. Même des formes déficitaires sous-tendant la maladie schizophrénique et
souvent très délicat à poser.
marquées peuvent s’améliorer et retrouver une permettent d’orienter les recherches psychopharma-
relative adaptation sociale. cologiques vers de nouveaux produits.
La majorité des patients se stabilisent au bout de Des hypothèses neuroanatomiques ont
‚ Formes cliniques
quelques années. également été avancées. Les études d’imagerie
Les formes cliniques sont très diverses. Quatre Enfin, dans 25 % des cas environ, l’évolution de la cérébrale (scanner et imagerie par résonance
formes classiques ont été individualisées : la forme maladie est très favorable. Les facteurs de bon magnétique [IRM]) ont, dans un premier temps, mis
paranoïde associant un délire et une dissociation pronostic qui tendent à prédire une évolution en évidence des anomalies structurales du cerveau
plus ou moins prononcée, la forme hébéphrénique favorable sont : un début tardif de survenue aiguë, la chez les schizophrènes déficitaires, et en particulier
caractérisée par la prédominance d’une présence de facteurs déclenchants manifestes, un élargissement des ventricules cérébraux. Au vu
symptomatologie déficitaire et dissociative, le délire l’existence d’une personnalité prémorbide bien des résultats d’études plus récentes, l’hypothèse
étant absent ou discret, la forme catatonique, plus adaptée sur le plan social et familial, une bonne d’anomalies lésionnelles a été remplacée par celle
rare, définie par une discordance psychomotrice réactivité au traitement médicamenteux d’un d’anomalies fonctionnelles du cerveau,
prévalante et la schizophrénie simple réduite à une épisode aigu avec résolution complète de l’accès. n’apparaissant que lorsque certaines fonctions sont
restriction des intérêts et des relations et une L’évolution dépend de l’efficacité du traitement sollicitées. Ces anomalies fonctionnelles ont été
ambivalence affective, sans délire ni troubles (médicamenteux, psychothérapique, institutionnel), mises en évidence grâce aux nouvelles techniques
dissociatifs importants. mais également d’autres facteurs tels que le soutien d’enregistrement de l’activité cérébrale, montrant
Les deux formes cliniques les plus fréquentes sont et la collaboration de l’entourage familial, les une hypoactivité dans certaines régions cérébrales
la forme hébéphrénique ou déficitaire ou « négative » événements de vie auxquels sont soumis le patient, lors de la passation de tâches expérimentales
et la forme paranoïde ou productive ou « positive ». Il la personnalité du schizophrène. Les facteurs mettant en jeux une fonction cognitive donnée.
est important de reconnaître ces deux types de psychologiques influencent grandement l’évolution Plus récemment, l’hypothèse d’une anomalie
schizophrénie car ils ont une évolution, un pronostic de la maladie ; en particulier des événements de vie neurodéveloppementale a été postulée, permettant
et une réactivité au traitement distincts. stressants, l’expression d’une hostilité ou de d’expliquer les anomalies cognitives des
sentiments négatifs de l’entourage, des situations schizophrènes. D’après cette hypothèse, certaines
La forme hébéphrénique est caractérisée
d’humiliation, l’éloignement d’un être cher capacités cognitives « de haut niveau » (organisation
cliniquement par la prédominance de symptômes
augmentent les risques de rechute. de l’action, conscience de l’action, attribution
déficitaires : une pauvreté et un retrait affectif, un
repli social, un apragmatisme, un désintérêt. Le délire ‚ Hypothèses étiopathogéniques d’intentions) permettant un bon ajustement du sujet
est soit absent, soit peu exprimé. L’évolution est en de la maladie à son milieu et à autrui, ne se mettraient pas en
général rapidement chronique vers un état De nombreux travaux ont été réalisés pour place normalement à l’adolescence chez le
déficitaire croissant et d’appauvrissement social, étudier les causes et les mécanismes de la maladie schizophrène. Ce déficit neurodéveloppemental
affectif et intellectuel. Même si des améliorations (la pathogénie). Plusieurs modèles pathogéniques et pourrait être d’origine génétique, mais également
peuvent s’observer, cette forme est en général hypothèses étiologiques ont été proposés mais virale.
associée à un mauvais pronostic car peu sensible aucun, à lui seul, ne permet d’expliquer la maladie. Enfin, les facteurs environnementaux et en
aux traitements médicamenteux. Elle nécessite Les modèles actuels postulent l’existence de particulier familiaux jouent également un rôle dans
précocement une prise en charge institutionnelle plusieurs facteurs étiologiques intervenant à la survenue du trouble. L’attitude de l’entourage
dont le rôle est de stimuler le patient. différents niveaux (clinique, cognitif, génétique...). familial et notamment l’expression d’émotions

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Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

négatives, hostiles, rejetantes vis-à-vis du Différentes modalités de prise en charge familiale


schizophrène, influencent la fréquence des rechutes sont possibles et fonction de différents facteurs La distinction de ces trois types de
et l’évolution de la maladie. (demande familiale, importance de la pathologie délires chroniques s’impose du fait de
L’ensemble de ces facteurs participent à des familiale...). Il peut s’agir d’entretiens, de conseils et leurs différences évolutives et de prise
degrés divers à l’étiopathogénie de la maladie. de soutien, de visites au domicile, de groupes de en charge. En effet, ces différents
parents, voire de thérapies familiales plus structurées délires ont un pronostic (conséquences
visant à traiter l’ensemble du « système » familial socioprofessionnelles, légales) et une
La schizophrénie est liée à un dans ses perturbations relationnelles et réactivité au traitement distinctes et
dysfonctionnement biologique des communicationnelles. Lorsque le maintien dans le par conséquent conduisent à des prises
structures du cerveau. Différents milieu familial devient difficile, il est possible de en charge distinctes, bien codifiées.
facteurs étiologiques participent, à des proposer un hôpital de nuit, un foyer ou un ✔ La PHC est une pathologie rare.
degrés divers, à l’étiopathogénie de la appartement thérapeutique.
Elle nécessite le plus souvent une
maladie, mais le lien entre ces Des mesures sociothérapiques ambulatoires hospitalisation en début de
différents facteurs reste mal défini : permettent de faciliter la réinsertion sociale, voire
traitement du fait de la conviction
facteurs génétiques, professionnelle, des patients schizophrènes :
délirante, des troubles du
neurodéveloppementaux, cognitifs. hôpitaux de jour, foyers de postcure, clubs
comportement et de la
sociothérapiques, ateliers professionnels protégés,
non-reconnaissance des troubles.
centres d’aide pour le travail (CAT).
‚ Moyens et stratégies thérapeutiques Elle est caractérisée par une très
Le rôle du médecin généraliste, dans la prise en
La schizophrénie est une maladie chronique et
bonne réactivité aux neuroleptiques
charge d’un patient schizophrène, est important. Il
invalidante, nécessitant une prise en charge est de faciliter un diagnostic précoce, parfois en
antiproductifs qui permettent de
spécialisée, prolongée et adaptée à chaque patient aidant la famille à prendre une décision maintenir une adaptation
et sa famille. La chronicité des troubles impose une d’hospitalisation (sous contrainte éventuellement) ou socioprofessionnelle satisfaisante.
prise en charge ambulatoire et hospitalière de de consultation chez un psychiatre devant des ✔ Les délires paranoïaques sont
secteur, où l’intervention de toute une équipe difficultés pouvant faire évoquer une schizophrénie. caractérisés par la dangerosité des
pluridisciplinaire permet un dépistage précoce des Au cours de la maladie, il est de soutenir le patient et patients. Ils impliquent souvent le
rechutes, prévient le recours à l’hospitalisation et sa famille en collaboration avec le psychiatre, d’aider médecin généraliste du fait du déni
aide à maintenir une insertion socioprofessionnelle. la famille à « vivre avec la maladie » pour que le foyer de toute atteinte mentale par les
Il n’existe pas de traitement « codifié » valable pour soit un soutien et non une menace, d’encourager le patients, de l’apparition souvent
tout patient. Le traitement est fonction de la forme patient à poursuive son traitement. L’environnement progressive de l’activité délirante et
clinique de la maladie, du stade évolutif, de la familial doit être à la fois suffisamment stimulant de l’évolution à bas bruit des
personnalité du sujet, de la qualité de l’entourage pour que le malade puisse progresser, mais sans troubles. La conduite à tenir est
familial, des possibilités de réinsertion sociale... Il doit qu’il soit fixé de buts irréalistes. L’entourage doit être fonction du type de délire
être le plus précoce possible. assez tolérant aux bizarreries de comportement ou paranoïaque. Les neuroleptiques
Le projet thérapeutique doit inclure trois au délire, éviter d’exprimer des émotions trop sont en général peu efficaces sur
dimensions : un traitement médicamenteux, une hostiles et négatives vis-à-vis du patient, accepter l’activité délirante. La prise en
psychothérapie individuelle, une prise en charge l’existence de troubles résiduels chroniques, charge psychiatrique débute souvent
du « milieu » (prise en charge familiale, sociale). collaborer avec l’équipe soignante. après une hospitalisation sous
L’hospitalisation est nécessaire dans différentes contrainte, effectuée à l’occasion de
situations : pour une évaluation diagnostique, troubles du comportement (actes
symptomatique et thérapeutique, pour instaurer une Le rôle du médecin généraliste, dans
la prise en charge d’un patient hétéro agressifs) en rapport avec le
relation thérapeutique durable avec l’équipe de
schizophrène, est fondamental. délire.
secteur lors d’une recrudescence délirante associée à
✔ Faciliter un diagnostic précoce. ✔ Les délires imaginatifs sont d’une
des troubles du comportement.
✔ Assurer un rôle d’intermédiaire part rares, d’autre part « rarement
Le traitement médicamenteux repose sur les
entre le patient et sa famille, et le observés » en consultation, car ils
neuroleptiques qui agissent sur les phases aiguës de
la maladie (hallucinations et délire) et, lors des milieu psychiatrique. coexistent avec une remarquable
périodes de rémission, préviennent les rechutes. Des ✔ Soutenir le patient et sa famille en adaptation à la réalité quotidienne et
neuroleptiques d’action prolongée peuvent être collaboration avec l’équipe à la vie sociale et professionnelle du
administrés par voie injectable (une injection psychiatrique de secteur (conseils à fait d’une activité délirante bien
intramusculaire par mois), en traitement d’entretien la famille, explications et circonscrite qui se juxtapose à la
au long cours. Ils permettent d’augmenter la informations sur la maladie et son réalité. On parle de bipolarisation de
compliance du traitement qui est souvent mauvaise traitement). la vie psychique du paraphrène. Les
dans ce type de trouble. ✔ Participer au dépistage précoce des neuroleptiques sont souvent peu
Un soutien psychologique doit être systémati- rechutes. efficaces et risquent d’induire des
quement associé au traitement médicamenteux. Cette mouvements dépressifs.
aide psychologique consiste à soutenir, réassurer le


patient, lui donner des explications sur sa maladie et Troubles psychotiques chroniques dissociation et la rareté ou l’absence de signes
son traitement, ainsi que des conseils. Cette non schizophréniques déficitaires importants. Bien qu’ils ne soient pas
psychothérapie permet d’instaurer une relation de ou délires chroniques reconnus par les systèmes diagnostiques
confiance avec le patient qui améliore la compliance internationaux, les délires chroniques restent
au traitement. Des psychothérapies plus structurées, Les délires chroniques se définissent comme des considérés, dans l’école psychiatrique française,
individuelles ou de groupe, peuvent être également troubles délirants permanents, survenant à l’âge comme une catégorie diagnostique bien définie et
envisagées (psychothérapie cognitivocomporte- adulte (classiquement plus tardivement que dans la autonome.
mentale, psychodrame, ateliers d’expression, schizophrénie), et qui se distinguent des troubles En fonction du mécanisme prévalent du délire, on
psychothérapie analytique « aménagée »). schizophréniques par l’absence de signes de distingue trois types de délire chronique :

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7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

– la psychose hallucinatoire chronique (PHC) s’étendre, à s’enrichir d’autres mécanismes, Étonnement, l’investissement affectif du délire
(mécanisme hallucinatoire) ; imaginatifs ou interprétatifs, envahissant de plus en reste souvent discursif et l’adhésion assez lâche. Le
– le délire chronique d’imagination ou plus la vie mentale et sociale du sujet. délire est plus parlé que réellement vécu. Il n’entraîne
paraphrénie (mécanisme imaginatif) ; Comme pour tout épisode délirant aigu, le rôle généralement pas de troubles du comportement.
– les délires paranoïaques (mécanisme du médecin généraliste est de faciliter l’hospitali- Le délire du paraphrène reste bien circonscrit et
interprétatif). sation, avec la collaboration de la famille, pour une coexiste en général avec une remarquable
évaluation diagnostique et thérapeutique. La prise adaptation à la réalité quotidienne et à la vie sociale
‚ Description clinique en charge initiale d’une PHC nécessite le plus et professionnelle. On parle de « bipolarisation de la
souvent une hospitalisation, du fait de la conviction vie psychique » du paraphrène qui sait faire la part
Psychose hallucinatoire chronique délirante, des troubles du comportement du réel et celle de ses imaginations délirantes.
fréquemment associés et de la méconnaissance des L’évolution est chronique, faite de périodes
Dans la PHC, le mécanisme délirant prévalent est
troubles par le patient qui rend difficile l’observance fécondes où l’activité délirante s’enrichit, et de
l’hallucination.
thérapeutique. périodes de relative rémission.
Le début des troubles est relativement tardif, entre
Les traitements neuroleptiques antiproductifs L’absence habituelle de conséquences
30 et 50 ans. La PHC serait plus fréquente chez la
permettent une régression plus ou moins complète socioprofessionnelles et de troubles du
femme que chez l’homme, et surviendrait sur une
des phénomènes hallucinatoires et, plutôt qu’une comportement en rapport avec le délire font que la
personnalité prémorbide, caractérisée par des traits
critique du délire, une mise à distance de celui-ci paraphrénie est une pathologie rarement observée
de personnalité sensitifs ou psychasthéniques.
(enkystement du délire). Parfois, les neuroleptiques en médecine.
Le mode d’entrée dans la maladie est souvent
entraînent une disparition complète du délire. Comme pour tout trouble délirant, la suspicion
brutal, par un épisode délirant aigu, richement
Le traitement permet en général de maintenir une d’un délire paraphrénique impose une consultation
hallucinatoire, avec d’emblée un automatisme
adaptation sociale et professionnelle correcte. spécialisée. Les traitements neuroleptiques sont peu
mental. L’installation des troubles peut être plus
Compte tenu de la chronicité des troubles et de la efficaces sur le délire proprement dit, mais
progressive, s’accompagnant de phénomènes
permanence du système délirant (rechute délirante permettent de contrôler l’exaltation thymique, les
cénesthésiques pénibles, ou d’un sentiment
quand interruption du traitement), les PHC doivent phénomènes hallucinatoires et les poussées
d’automatisme de certaines fonctions psychiques
être orientées, au décours de l’hospitalisation, vers délirantes. Ils permettent d’obtenir une mise à
dont le caractère pathologique n’est pas d’emblée
une prise en charge ambulatoire de secteur. distance et un enkystement du délire. Ils doivent être
évident pour le sujet. Un facteur déclenchant
prescrits avec discernement du fait d’un risque
possible (décès, éloignement ou maladie dans les
Délire chronique imaginatif ou paraphrénie d’induction de trouble dépressif.
trois années précédentes) apparaît dans 40 % des
cas. La paraphrénie est définie comme un délire
Délires paranoïaques
Dans la phase de délire installé, la PHC se chronique dans lequel les mécanismes imaginatifs
caractérise par l’importance et la richesse des prédominent sur les autres mécanismes délirants, Les délires paranoïaques sont des délires
hallucinations. Les hallucinations sont variées, dont les thèmes sont volontiers grandioses et chroniques dont le mécanisme prévalent est
psychosensorielles (essentiellement auditives, mais fantastiques, dont l’organisation est peu l’interprétation. Ils s’installent le plus souvent de
également cénesthésiques, olfactives et gustatives) systématisée et qui ne comporte pas de façon insidieuse et progressive chez des sujets d’âge
et psychiques (automatisme mental). Les thèmes détérioration intellectuelle ou affective importante. moyen (35 à 45 ans). L’élément caractéristique du
sont également variés, souvent mégalomaniaques Le début des troubles est souvent difficile à dater, délire paranoïaque est le type de personnalité
et persécutifs. Au cours de l’évolution, le délire peut mais se situe généralement entre 30 et 45 ans. Il est prémorbide sur lequel survient le délire. Il s’agit d’une
s’enrichir de mécanismes imaginatifs ou le plus souvent progressif, s’exprimant discrètement personnalité paranoïaque ou sensitive dont les traits
interprétatifs. Le plus souvent, le délire apparaît bien par des comportements bizarres ou un certain retrait essentiels sont la psychorigidité, la méfiance et
organisé, logique et cohérent. Cette organisation affectif. l’interprétativité.
peut se relâcher lorsque les thèmes se multiplient ou Le délire installé se caractérise par sa richesse, son Les thèmes délirants sont le plus souvent issus de
lorsque des éléments imaginatifs viennent enrichir le caractère très imaginaire, et son manque de la réalité quotidienne du sujet (jalousie, persécution
délire. La conviction délirante est souvent cohérence. Il est fréquemment associé à une sociale). Le délire paranoïaque est caractérisé par un
importante, ce qui conduit à des comportements certaine exaltation thymique. Classiquement, on degré de systématisation maximal. Le délire apparaît
pathologiques (conduites de fuite, protections distingue deux formes cliniques de paraphrénie : la logique, cohérent, compréhensible, emportant
diverses, insonorisation de pièces, changement de forme imaginative (paraphrénie confabulante ou parfois la conviction d’autrui. Il se développe
serrures ou de domicile, plaintes à la police...). Ces délire d’imagination) et la forme fantastique habituellement à partir d’un seul thème ou lorsque
troubles du comportement doivent conduire à une (paraphrénie fantastique). deux thèmes s’associent, ils restent liés de manière
hospitalisation. En revanche, les réactions agressives Dans la forme imaginative, les mécanismes sont très logique. La gravité du délire paranoïaque est liée
contre les persécuteurs sont relativement rares. Le essentiellement imaginatifs et peu hallucinatoires. à l’importance de l’investissement affectif du délire
retentissement de ces comportements sur la vie Le délire s’élabore comme une fabulation par le patient et la conviction de celui-ci, ce qui rend
relationnelle et professionnelle est souvent progressive, qui s’enrichit des apports de la réalité dangereux le paranoïaque et l’amène à des
important. Les patients se retrouvent rapidement en extérieure : lectures, événements de l’actualité, faits passages à l’acte hétéroagressifs contre le
situation d’isolement social. historiques. Les créations délirantes restent plus ou persécuteur désigné (le persécuté peut tenter de tuer
L’absence de signes de dissociation et de signes moins reliées entre elles par un certain degré de son persécuteur). En dehors du secteur délirant, le
déficitaires est également un élément en faveur du logique et restent compréhensibles. Les thèmes sont paranoïaque reste bien adapté à la réalité.
diagnostic de PHC et contre celui de schizophrénie. le plus souvent des thèmes de grandeur, de richesse, Actuellement, la psychiatrie française distingue
Le contact avec ces patients est en général de bonne de filiation. trois types de délire dans le groupe des délires
qualité. Il ne manifeste pas la réticence du délirant La forme fantastique est caractérisée par paranoïaques :
paranoïaque. Une note thymique de type dépressif l’intrication de mécanismes imaginatifs et – les délires interprétatifs ;
est fréquente. hallucinatoires. Les thèmes sont grandioses, – les délires de relation des sensitifs ;
L’évolution se fait par poussées, au cours cosmiques, riches en fiction, extravagants. Le délire – les délires passionnels : de revendication, de
desquelles le délire se réactive (« moments féconds »), apparaît peu organisé, peu logique, les liens entre les jalousie, l’érotomanie.
entrecoupées de rémissions plus ou moins thèmes délirants sont assez flous et souvent Ces trois types de délire paranoïaque ne
marquées. Spontanément, le délire a tendance à incompréhensibles. conduisent pas à la même prise en charge.

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Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

¶ Délire interprétatif ils ne concernent qu’une partie limitée de la vie du ‚ Traitement


Le mécanisme central du délire est l’interprétation sujet, dans laquelle il investit toute sa charge
Le traitement est fonction du type de délire.
qui va construire peu à peu un système cohérent. Le affective et son énergie. Les mécanismes délirants
L’hospitalisation est souvent nécessaire lors des
délire s’étend en intégrant de façon logique, claire et sont l’interprétation et l’intuition. Le délire s’installe
périodes de recrudescence délirante. Elle peut être
cohérente, de nouvelles interprétations touchant souvent à partir d’une brusque intuition venant tout
effectuée sur le mode de la contrainte lorsque le
l’ensemble de l’univers du sujet (extension en à coup éclairer une période de doutes et
délire s’accompagne de troubles du comportement
réseau) et qui tendent à tout expliquer en fonction de d’interrogations dans le domaine affectif. À partir de
ou d’une dangerosité du patient. Le rôle du médecin
l’idée prévalante qui sert de thème central au délire. cette révélation, des interprétations secondaires
généraliste est de savoir reconnaître et de rechercher
Le thème central est le plus souvent une persécution viendront confirmer le postulat de base et
des manifestations délirantes et/ou une dangerosité
ou un préjudice. La conviction et la cohérence sont développeront la trame du délire. Des mécanismes
d’un patient, proposer une hospitalisation au patient
parfois telles qu’elles peuvent entraîner l’adhésion imaginatifs et des illusions peuvent participer au
ou aider une famille à prendre une décision
de l’entourage (délire à deux). Pour reconnaître le délire, mais il n’y a pas d’hallucinations. La
d’hospitalisation sous contrainte. Pour les délires
caractère délirant des idées de persécution ou de participation émotionnelle au délire est toujours très
paranoïaques et passionnels, une hospitalisation
préjudice, le médecin peut nécessiter la collaboration importante, la conviction est totale. Les délires
d’office est nécessaire et représente souvent le
de plusieurs personnes de l’entourage du patient. passionnels, dont la dangerosité est réputée, premier contact avec la psychiatrie. Elle permet de
Les projets de défense et de menace de passage à s’accompagnent de revendications affectives et mettre en place une prise en charge ambulatoire de
l’acte du sujet doivent être pris au sérieux. En effet, d’actes procéduriers (lettres, menaces, procès, voire secteur, comporte un traitement médicamenteux et
les actes à conséquences médicolégales ne sont pas passages à l’acte hétéroagressifs). un suivi psychothérapique. Des décompensations
exceptionnels. Lorsque de tels projets sont présents, Parmi les délires passionnels, on a individualisé : dépressives sont également des moments propices à
une hospitalisation sous contrainte s’impose avec – les délires érotomaniaques (illusion délirante une certaine demande d’aide et à un début de
l’aide du service psychiatrique de secteur, en raison d’être aimé), dont le développement se fait en trois traitement.
de la dangerosité du patient. phases : espoir, dépit, rancune ; Le traitement des délires chroniques repose sur
Généralement, l’adaptation socioprofessionnelle – les délires de jalousie ; les neuroleptiques au long cours (l’interruption du
reste bonne, malgré l’importance du délire.
– les délires de revendication, relativement traitement conduit souvent à une reprise de l’activité
L’évolution est chronique, ponctuée de moments fréquents, de début brutal, provoqués par une délirante) et sur l’abord psychologique
féconds, faits de réactivation délirante et d’excitation
circonstance extérieure et la conviction d’un (essentiellement psychothérapie de soutien) lorsque
thymique, ou de moments dépressifs, propices à une
préjudice subi (« les quérulents processifs », « les celui-ci est possible. L’efficacité des neuroleptiques
certaine demande d’aide et à un début de
inventeurs méconnus », « les idéalistes passionnés », est variable selon le type de délire : excellente dans
traitement.
« les délirants hypocondriaques » après une la PHC, partielle dans les délires paraphréniques et
¶ Délire de relation des sensitifs intervention chirurgicale ou un diagnostic faible dans les délires paranoïaques. Même si les
Le délire de relation se développe sur des insatisfaisant, « les sinistroses délirantes » après un neuroleptiques sont en général peu efficaces sur les
personnalités sensitives, habituellement à la suite accident). interprétations délirantes, ils permettent d’atténuer la
d’événements d’échecs, de frustration ou de rejets, La prise en charge initiale d’un délirant passionnel conviction délirante, de réduire la sténicité et
ou de situations de conflits pénibles, d’isolement, concerne souvent le généraliste car le patient dénie l’agressivité du patient et contrôler son angoisse. La
entraînant des sentiments de honte, d’humiliation généralement toute atteinte mentale et refuse de prescription de neuroleptiques d’action prolongée,
ou de culpabilité, dans un secteur relationnel bien consulter un psychiatre. L’abord de ces patients sous la forme d’une injection mensuelle
circonscrit, souvent le cadre professionnel. Les nécessite une grande prudence compte tenu de leur intramusculaire, permet d’assurer un traitement
interprétations délirantes sont de thème persécutif : grande méfiance et de leur susceptibilité et du risque minimum efficace et d’améliorer la compliance au
impression d’hostilité, de moquerie, de brimade. Le constant d’être englobé dans leur système persécutif. traitement.
délire se renforce en certitude, mais ne s’étend guère Le rôle du médecin généraliste sera d’établir une La survenue d’un épisode dépressif dans le cours
au delà du domaine relationnel. Il est ponctué relation de relative confiance en restant « neutre » et évolutif d’un délire chronique nécessite la mise en
d’épisodes dépressifs et/ou de rechutes délirantes, à faire accepter au patient une aide spécialisée à place d’un traitement antidépresseur.
de plaintes hypocondriaques, rarement de l’occasion d’une dépression secondaire. En cas de L’indication des neuroleptiques et/ou des
comportements quérulents. Il reste compatible avec troubles du comportement sous-tendus par l’activité antidépresseurs dans les différents types de délires
une adaptation subnormale. délirante (passage à l’acte hétéroagressif envers le chroniques doit être évaluée par le spécialiste (risque
L’évolution se fait vers une extinction délirante. persécuteur), une mesure d’internement, type de recrudescence délirante sous antidépresseur). La
L’évolution à long terme est le plus fréquemment hospitalisation d’office, s’impose en raison de la chronicité des troubles et la permanence de l’activité
récurrente. dangerosité du patient pour autrui. Cette délirante justifient une prise en charge ambulatoire
En période de rechute dépressive et/ou délirante, hospitalisation pourra être effectuée avec l’aide du de secteur où toute une équipe de soin peut
l’hospitalisation n’est, en général, pas nécessaire, car service psychiatrique de secteur. intervenir pour prévenir les rechutes et maintenir
le délire est le plus souvent limité au lieu de travail. Il l’insertion professionnelle de ces patients.
suffit de proposer un arrêt de travail, d’encourager le ‚ Hypothèses étiopathogéniques Le rôle du généraliste, dans la prise en charge à
patient à consulter un psychiatre pour entreprendre long terme, est d’aider au dépistage précoce des
Même s’ils sont regroupés au sein d’un même
un traitement ambulatoire associant neuroleptique rechutes, de soutenir et de conseiller l’entourage
groupe diagnostique, distinct de la schizophrénie, les
et antidépresseur et une prise en charge familial.
troubles inclus dans le groupe des délires chroniques
psychologique de soutien, visant à aider le patient à
apparaissent trop différents pour constituer une
modifier son cadre de vie professionnel (parfois, seul


entité clinique homogène. Cependant, la majorité
un changement de travail fera cesser l’activité Conclusion
des études sur les troubles psychotiques s’est
délirante).
consacrée à la schizophrénie et peu d’entre elles aux
¶ Délires passionnels délires chroniques dont les mécanismes
Les délires passionnels rassemblent des délires étiopathogéniques demeurent mal connus. Les troubles psychotiques, schizophréniques et
dont les thèmes sont divers (érotomanie, délire de Différents facteurs dont le poids est variable, non schizophréniques, sont des troubles chroniques
jalousie, délire de revendication), mais qui ont en semblent intervenir dans la survenue de ces et souvent invalidants, nécessitant une prise en
commun une structure et des mécanismes troubles : facteurs génétiques, facteurs de charge spécialisée, associant la prescription de
constants. Ce sont des délires dits « en secteur », car personnalité, facteurs de stress psychosociaux. psychotropes au long cours, des psychothérapies

7
7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

personnelles et familiales, des mesures de difficultés évoquant de tels troubles, et d’amener le patients schizophrènes doit s’effectuer dans un
réinsertion sociales et professionnelles. patient et sa famille à consulter un psychiatre pour service spécialisé de secteur qui pourra mettre en
Le rôle du médecin généraliste est, avant tout, de mettre en route le plus précocement possible un place les différentes stratégies thérapeutiques
reconnaître et de rechercher ces troubles devant des traitement. La prise en charge au long cours des permettant de stabiliser la maladie.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0225, 1998, 8 p

Références

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Viallard). Paris : Epel grec, 1993 en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[2] Dubertret C, Gorwood P, Adès J. Psychose hallucinatoire chronique. Paris : [6] Hardy-Baylé MC, Olivier V, Sarfati Y, Chevalier JF. Approches contemporai-
L’Encéphale, 1997 nes de la clinique des troubles schizophréniques. Encycl Med Chir (Elsevier,
Paris), Psychiatrie, 37-282-A-20, 1996 : 1-36
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[4] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Sémiologie et logique dé-
cisionnelle en psychiatrie. Paris : Doin, 1986

8
7-0220
7-0220

Urgences psychiatriques
Encyclopédie Pratique de Médecine

C Zeitter, Y Sarfati

L es urgences psychiatriques représentent 10 % des urgences accueillies dans les hôpitaux. Elles se définissent
comme une rupture : rupture dans l’équilibre habituel du patient ou rupture du patient par rapport à son
entourage. L’essentiel pour le soignant est d’établir une relation avec le patient et de pouvoir proposer rapidement
un cadre de soins.
© Elsevier, Paris.

■ ■
proposer une orientation vers un lieu de soins
Introduction approprié, la crise étant rarement traitée « dans États d’agitation
l’urgence ».
‚ Prise en charge initiale des états


Si la psychiatrie est une discipline médicale qui
privilégie la parole et l’écoute, et qui doit se donner d’agitation
Notions d’épidémiologie
du temps, tant pour évaluer que pour voir évoluer
un patient et son entourage, il est alors difficile de ✔ Recueil des données
concevoir dans cette discipline la notion d’urgence, Les urgences psychiatriques concernent environ
anamnestiques.
avec ce qu’elle implique, à savoir essentiellement 1 % de la population chaque année, et représentent
✔ Recherche des signes de
l’action rapide, immédiate, et évaluable dans un 10 % des urgences accueillies dans les hôpitaux
dangerosité.
délai très bref. publics. La répartition de ces urgences se fait de la
✔ Examen clinique, recherche des
Pourtant, certaines situations vont amener le façon suivante :
signes de confusion.
médecin à solliciter de façon urgente l’avis du ■ 20 % d’états d’agitation (alcoolisme et
problèmes somatopsychiques) ;
✔ Proposer un cadre de soins et
spécialiste psychiatre, lorsqu’existent des troubles de
■ 15 % de tentatives de suicide ;
établir une relation avec le patient.
la relation ou du comportement à caractère aigu
chez une personne qui interpelle ainsi son ■ 40 % d’états dépressifs ou anxieux ;
entourage. On a donné à ce type de situation le nom ■ 15 % d’états psychotiques ; Mal tolérés en raison du caractère « bruyant » et
de « crise », qui se définit comme une rupture dans ■ 10 % de problèmes médicosociaux et des désordres entraînés, les états d’agitation sont
l’équilibre habituel du sujet lui-même, ou du sujet toxicomanie. souvent générateurs d’une anxiété dans l’entourage,
avec son entourage. Cette rupture ne préjuge pas de Sur le plan clinique de la forme de la crise, on familial, mais aussi parmi le personnel soignant
la qualité de cet équilibre habituel. On peut ainsi distingue les crises extériorisées, bruyantes, et les sollicité, anxiété qui peut entraîner un renforcement
observer des crises « existentielles », résultat du crises plus intériorisées. Les crises extériorisées se de l’agitation.
bouleversement d’un équilibre de bonne qualité par caractérisent soit par des conduites d’agitation, avec Il est nécessaire de pouvoir proposer rapidement
un événement extérieur tel un deuil, une séparation, expression éventuelle d’une agressivité tournée vers un cadre de soins, qui pourra par lui-même avoir des
une perte, des crises liées à la difficulté pour un sujet les autres ou vers soi-même, soit par des conduites effets thérapeutiques. Il faut pour cela savoir repérer
de gérer une situation donnée, en raison de troubles de fuite, fugues, surdosages toxiques. Ce type de quelques indices, et obtenir un minimum de
de la personnalité ou des crises liées à l’exacerbation crise interpelle rapidement l’entourage, et débouche renseignements qui pourront orienter le praticien
aiguë d’une pathologie psychiatrique. le plus souvent vers une demande d’intervention dans la conduite à tenir.
Il va alors souvent être demandé au psychiatre rapide. L’entourage peut ainsi apporter un certain
d’agir, comme il est habituel d’agir face à une Les crises intériorisées, se caractérisant surtout nombre de données anamnestiques importantes :
urgence, alors que la réponse à la crise ne peut être par le repli, l’apathie, sont souvent plus longtemps antécédents psychiatriques et médicaux du patient,
fournie d’emblée. L’autre demande adressée au tolérées, et il faut parfois attendre que les traitements suivis, événements de vie récents,
spécialiste psychiatre est celle d’une lecture conséquences sociales soient déjà importantes pour circonstances de début des troubles, prise d’alcool,
compréhensible de la crise. Or c’est précisément qu’une intervention soit sollicitée. de médicaments, de toxiques. L’entretien avec la
cette demande qui va nécessiter une évaluation du Les deux formes de crise évoquées ci-dessus famille doit éviter deux écueils : en présence du
patient et de son entourage, s’inscrivant dans une correspondent aux deux principales situations patient, la prolongation d’une confrontation
durée qui va dépasser celle qui est octroyée au d’urgence psychiatrique rencontrées en pratique conflictualisée qui risque de majorer l’agitation, et, en
psychiatre pour « faire quelque chose ». Il en résulte courante : l’absence de celui-ci, une interprétation négative par
que la réponse immédiate à une situation de crise ■ l’état d’agitation ; le patient du contact entre ses proches et le médecin,
■ l’état dépressif.
© Elsevier, Paris

aiguë peut se limiter à une action purement avec qui le contact sera plus difficile. Il est ainsi
symptomatique, et donc partielle. Cependant, il est On évoquera également le patient toxicomane, préférable de faire une synthèse rapide avec la
essentiel d’avoir pu procéder à une évaluation dont la prise en charge, en dehors des cas famille présente, puis de lui demander de s’éloigner
soigneuse médicale et psychiatrique, afin de tenter d’overdose, ne peut se faire dans l’urgence, mais qui pour tenter avec le patient un accrochage
de préciser la nature de la crise, et ainsi de pouvoir la provoque régulièrement. thérapeutique.

1
7-0220 - Urgences psychiatriques

Le degré d’agitation, la nature de l’agitation, la


présence d’éléments de dangerosité vont déterminer Tableau I. – Signes cliniques de confusion mentale.
la qualité de la relation qu’il va être possible d’établir Troubles de la vigilance, obtusion intellectuelle, obnubilation, réponses à côté, ralentissement idéique, délai
avec le patient. de latence important avant la réponse aux questions posées
Certaines agitations, dans un registre névrotique
Désorientation temporospatiale
et plus particulièrement hystérique, se caractérisent
par une dimension théâtrale, une grande sensibilité Troubles mnésiques : amnésie antérograde
à l’ambiance, et ont tendance à s’aggraver en Fausses reconnaissances
présence de l’entourage. L’éloignement de celui-ci, la
Perplexité anxieuse, aspect égaré, hébété
réduction du nombre de soignants impliqués dans la
prise en charge, la proposition d’un espace de Manifestations délirantes oniriques : le délire est agi avec une participation intense, les hallucinations vi-
dialogue limité et sans spectateurs permettent déjà suelles sont fréquentes, changeantes, souvent terrifiantes
d’atténuer l’agitation. Troubles du comportement en rapport avec l’activité délirante : fuite, agitation, risque de défenestration
D’autres agitations vont en revanche requérir des
mesures de sécurité, notamment lorsque l’on repère
des signes de dangerosité :
■ agitation clastique, état de fureur ; Tableau II. – Causes des états d’agitation.
■ hostilité, opposition à tout contact ;
■ intoxication alcoolique ou liée aux drogues ; Neurologiques Hémorragies méningées, cérébroméningées
Hématomes intracérébraux
■ vécu délirant persécutif ; Tumeurs frontales
■ violence persistant après l’éloignement de
l’entourage, ou majorée lors de l’intervention du Œdème cérébral Traumatisme crânien : hématome extradural et sous-dural
Méningites, encéphalites
personnel soignant et du médecin.
Épilepsie : crises temporales
Ce type d’agitation nécessite alors une présence
physique importante en nombre de personnes. La Cardiovasculaires et pulmonaires Collapsus, état de choc
Infarctus du myocarde
détention d’armes par le patient impose le recours à
Tachycardies supraventriculaires
la force publique. Le nombre suffit dans certains cas Insuffısance rénale aiguë
à contenir l’agitation. Cependant, il faudra parfois Embolie pulmonaire, pneumothorax
avoir recours à des mesures de contention et
Troubles métaboliques et endocriniens Hypoglycémie
d’isolement, qui outre la sécurité qu’elles vont Troubles calciques
apporter pour le patient et pour l’entourage, ont des Troubles de l’hydratation
vertus thérapeutiques. Elles donnent en effet au Basedow
patient qui a perdu le contrôle de lui-même des Cushing
limites qu’il n’est plus en mesure de se fixer Médicaments et Intoxications Toxicomanies : amphétamines, LSD, cocaïne, syndrome de man-
lui-même, et qui doivent donc être restaurées par un que
intervenant extérieur. Médicaments : anorexigènes, corticoïdes, tricycliques, barbituri-
ques, benzodiazépines, lithium...
L’examen médical du patient agité, lorsque
l’agitation reste modérée, peut être pratiqué
d’emblée, et avoir un effet positif sur l’établissement
d’un lien, d’une relation avec le patient. La prise de
tension, l’examen clinique par un soignant dont la Causes psychiatriques ¶ Agitations des troubles de l’humeur
fonction est de prendre en considération la Exacerbation de l’excitation psychomotrice,
¶ Agitations délirantes
souffrance d’autrui peuvent déjà apporter un l’agitation peut se rencontrer aussi bien dans les
Bouffée délirante aiguë formes simples de manie, que dans les formes
soulagement de l’anxiété du patient agité. Il lui est de
plus proposé un espace protégé où il pourra être Explosion délirante chez un sujet souvent jeune, délirantes (cf supra). Dans la pathologie dépressive,
écouté, où une aide médicalisée est possible. elle se caractérise par l’irruption brutale d’un délire on rencontre des formes agitées de dépression où
Une agitation trop importante entrave parfois la riche dans sa thématique et faisant appel à divers l’anxiété est au premier plan et le risque suicidaire
réalisation de cet examen et nécessite des mesures mécanismes (intuition, interprétation, hallucinations). majeur. Les états mixtes se manifestent également
de contention et de sédation immédiate. L’examen Les hallucinations sont au premier plan, aux par une agitation anxieuse désordonnée.
sera pratiqué lorsque le traitement symptomatique d iff é r e n t s m o d e s , p s y c h o s e n s o r i e l l e s e t
¶ Agitations dans la pathologie névrotique
aura fait son effet, car il doit être systématique, en intrapsychiques. Le délire s’accompagne d’une
et dans les troubles de la personnalité
raison des nombreuses causes médicales aux états perplexité anxieuse, de fluctuations de l’humeur, Le plus souvent elles apparaissent dans le cours
d’agitation, évoquées plus bas. d’une note confusionnelle, et parfois d’agitation. des pathologies suivantes.
L’examen du patient agité doit en premier lieu Exacerbation d’un délire chronique Attaque de panique
s’attacher à la recherche de signes de confusion, L’agitation s’intègre chez le schizophrène à une Crise d’angoisse aiguë, elle se manifeste par
dont la présence signe dans la majorité des cas une activité délirante paranoïde, ou à la désorganisation l’association d’une anxiété psychique (peur d’une
origine médicale à l’agitation. Ces signes sont de son comportement. Chez le paranoïaque, elle catastrophe imminente, peur de devenir fou, peur de
rappelés dans le tableau I. revêt un côté sthénique, avec hétéro-agressivité, et mourir, sentiments de dépersonnalisation et de
La présence de signes de confusion impose alors s’intègre dans un vécu délirant persécutif. déréalisation), et d’une anxiété somatique (dyspnée,
la pratique d’un bilan étiologique clinique et
tachycardie, sueurs, troubles digestifs) avec tension
paraclinique. Manie délirante
interne importante et agitation fréquente.
La thématique délirante est grandiose,
‚ Causes des états d’agitation
mégalomaniaque, et associée à l’excitation Agitation de l’hystérique
Causes médicales psychomotrice caractéristique, à la perturbation de Elle revêt un côté spectaculaire, théâtral, est très
Les principales causes médicales des états l’humeur où l’euphorie peut cependant être absente, sensible à l’ambiance, et peut se nourrir de la
d’agitation sont résumées dans le tableau II. et remplacée par une agressivité. réceptivité des spectateurs. Elle est considérée

2
Urgences psychiatriques - 7-0220

comme un mode corporel d’expression de conflits limite son emploi dans les ivresses agitées. On
psychologiques qui ne peuvent être élaborés dans la préfère alors le Loxapact : 2 à 6 ampoules en IM. Indices de gravité d’un geste suicidaire
pensée ou verbalisés. La monothérapie est préférable, en utilisant des ✔ Existence de signes de dépression
neuroleptiques sédatifs ou polyvalents : Nozinant majeure ou de mélancolie.
Agitation des psychopathes et des états limites
50 à 100 mg, ou 2 ampoules IM, Terciant 50 à ✔ Premiers jours d’un traitement
Agitation caractérielle dans le cadre d’une crise
100 mg ou 1 ampoule IM, Largactilt 50 à 100 mg, antidépresseur (levée de l’inhibition
clastique, réactionnelle à une frustration chez le
ou 2 ampoules IM. L’association d’un produit incisif motrice).
psychopathe, elle revêt un côté manipulateur avec
recherche d’un but précis, mise en cause de
et d’un produit sédatif est également utilisée dans les ✔ Désir de mort exprimé avec
cas d’agitation délirante : Haldolt 5 mg et Terciant authenticité.
l’interlocuteur, expression fréquente de menaces
50 mg (1 ampoule de chaque produit en IM). ✔ Geste suicidaire prémédité dans le
auto- ou hétéroagressives.
Dans le cadre des agitations confuses, les plus grand secret.
L’agitation des états limites (personnalités
neuroleptiques de la famille des benzamides ✔ Organisation d’un plan et de
borderline) a également un aspect réactionnel, mais
substitués sont utilisés, et en particulier le Dogmatilt : l’après décès (héritage, fermeture de
s’intègre davantage dans une violente décharge
1 à 2 ampoules IM. comptes bancaires).
émotionnelle d’un sujet qui perd le contrôle de
lui-même, incapable de trouver en lui des limites ✔ Isolement ; absence de secours


contenantes. potentiel sur le lieu du geste.
État depressif et risque suicidaire ✔ Utilisation d’une méthode violente
¶ États d’agitation chez l’alcoolique
ou radicale : arme à feu, gaz, arme
L’agitation se rencontre chez l’alcoolique dans
différentes situations.
blanche, pendaison, défenestration,
Derrière un risque suicidaire, il existe une noyade, empoisonnement, anti-
Ivresse aiguë multitude de facteurs et de pathologies possibles. Un vitamine K, caustiques, injection de
Simple ou pathologique, dont on décrit trois risque suicidaire est un symptôme psychiatrique, qui substances dangereuses (insuline,
formes (excitomotrice avec agitation clastique, peut venir révéler aussi bien une « simple » rupture air) saut sous le métro ou un train,
hallucinatoire et délirante, ivresse avec troubles de sentimentale qu’une schizophrénie. Si ce n’est la accident volontaire de la voie
l’humeur et en particulier excitation d’aspect nature faussement simplificatrice de la formule, il est publique.
maniaque). bon de retenir qu’il existe » différents risques
Sevrage suicidaires ». Les différentes conduites à tenir devant risque suicidaire. Une hospitalisation doit être
Le prototype en est le delirium tremens, délire les gestes suicidaires sont détaillées dans le chapitre proposée, éventuellement en envisageant une
onirique avec son cortège de manifestations « positions inadéquates face à l’acte suicidaire ». mesure de placement sous contrainte (hospitalisa-
hallucinatoires en particulier visuelles, et le risque Le risque suicidaire chez un patient déprimé fait tion à la demande d’un tiers). Il est important alors,
vital qu’il représente en raison des perturbations partie des situations d’urgence, raison du risque pour ne pas perdre de temps, de préparer en bonne
neurovégétatives. toujours très élevé d’une issue fatale de ce geste. Le et due forme les certificats qui seront exigés par le
taux de suicide réussi est de 30 fois supérieur chez service hospitalier d’accueil pour garder le patient
‚ Traitement médicamenteux les patients déprimés que dans la population contre sa volonté.
symptomatique générale. Les « autopsies psychologiques » réalisées


Le traitement des états d’agitation est celui de la après la mort à partir de différentes sources
cause de l’agitation, et déborde donc largement ce d’informations montrent que 60 % des sujets Patient toxicomane
chapitre. L’agitation en elle-même, lorsqu’elle décédés par suicide souffraient de dépression. Ces
entrave toute communication, toute possibilité de chiffres soulignent à la fois la fréquence et la gravité
rétablir un lien avec le patient, nécessite cependant du risque suicidaire chez les patients souffrant de Le patient toxicomane sollicite régulièrement une
un traitement symptomatique. troubles dépressifs. Il est donc toujours important de intervention médicale sur le mode de l’urgence. Ce
Les benzodiazépines sont utilisées dans le cadre rechercher l’existence d’une dépression chez les mode de demande est souvent générateur de
des agitations névrotiques. La voie d’administration patients suicidaires ou supposés tels - et contre-attitudes, qui sont liées à plusieurs facteurs :
dépend de la coopération du patient, la voie inversement, d’un désir de mort chez un patient ■ connotation péjorative de la pathologie
intramusculaire (IM) pouvant être nécessaire. Elle n’a déprimé. Même si le sujet ne verbalise pas toxicomaniaque ;
cependant aucun avantage pharmacocinétique par spontanément son intention suicidaire (un patient ■ agitation et éventuelle agressivité du patient ;
rapport à la voie orale, en particulier en matière de très déterminé aurait même tendance à la cacher ■ anxiété des interlocuteurs soignants ;
rapidité d’action. La voie sublinguale est pour ne pas risquer qu’un proche vienne entraver ■ hostilité à l’égard du toxicomane perçu comme
particulièrement efficace. son plan), il suffit bien souvent au médecin manipulateur, demandeur de produits et non de
On peut ainsi proposer : Lexomilt 6 mg, Xanaxt d’interroger son patient pour connaître l’intensité de soins, liée souvent à une idée préconçue du soignant
0,5 mg, Lysanxiat 40 mg, Tranxènet 50 mg, son désir de mort. Il faut lui demander s’il a envie de qu’il risque de « se faire avoir », et qui correspond
Sérestat 50 mg. mourir et comment il ferait pour se tuer. essentiellement à un sentiment d’impuissance.
Les carbamates sont proposés dans l’agitation Le diagnostic de dépression avec risque suicidaire L’hostilité ou les attitudes de rejet à l’égard du
chez l’éthylique, par voie orale ou intramusculaire si doit alors s’accompagner d’un soutient extrêmement patient toxicomane peuvent avoir des conséquences
la crase sanguine le permet : Équanilt, 2 ampoules rappoché et/ou spécialisé, voire, au moindre doute néfastes : on voit par exemple des états d’agitation
IM. sur la qualité de l’entourage, d’une hospitalisation. clastique induits par un effet de résonance de
Les neuroleptiques sont le traitement de Plusieurs arguments plaident en faveur d’un l’agitation initiale du patient, qui aurait sans doute pu
référence des agitations délirantes, de l’agitation danger imminent pour la vie du patient. Il est être contrôlée alors qu’elle était encore modérée, et
chez le maniaque, des agitations confuses. Ils sont malheureusement parfois difficile d’avoir qui débouchent sur des hospitalisations sous
également utilisés dans les autres formes d’agitation connaissance de tous ces éléments avant le geste. contrainte en milieu psychiatrique, inadaptées et
où les benzodiazépines sont insuffisantes. L’agitation Mais ces indices de gravité et d’urgence doivent injustifiées par rapport à la demande initiale.
clastique peut nécessiter l’emploi d’un neuroleptique toujours être recherchés. Il est donc essentiel de proposer rapidement un
puissant d’action rapide (Droleptant : 1/2 à 1 La présence d’un seul signe de gravité doit entretien au patient toxicomane qui souhaite voir le
ampoule IM), mais sa forte potentialité hypotensive alarmer le médecin ayant à charge le patient. médecin, afin de préciser au mieux la nature de sa
impose une surveillance tensionnelle rigoureuse, et L’entourage doit être immédiatement prévenu du demande.

3
7-0220 - Urgences psychiatriques

‚ Demande urgente de produits soit être signifié au patient, afin d’éviter la répétition ‚ Hospitalisation sur demande d’un tiers
chez le toxicomane de démarches qui n’aboutiraient (HDT)
Le patient réclame des médicaments,
pas à un suivi.
principalement des benzodiazépines, en exposant
des symptômes de manque, et souhaitant qu’on le ‚ Demande de sevrage Article L 333 DU CSP
soulage rapidement. Bien que l’état de manque (en
Souvent exprimée dans l’urgence, elle doit ✔ L’état de santé du malade rend
dehors du sevrage aux benzodiazépines dans les cas
recevoir une réponse qui sort du contexte de impossible son consentement et
de toxicomanie polymédicamenteuse) ne représente
l’urgence, faute de quoi l’échec est constant. En impose des soins immédiats assortis
aucun risque vital, il est nécessaire de proposer une
dehors des situations où s’associe une pathologie d’une surveillance constante en
réponse au patient, qui ne soit pas un refus d’emblée psychiatrique qui justifierait par elle-même une prise milieu hospitalier.
de toute prescription. en charge hospitalière immédiate, l’hospitalisation ✔ Demande d’admission manuscrite
L’état de manque aux opiacés peut ainsi être en urgence pour un sevrage est donc signée par un membre de la famille
traité par une association de neuroleptiques. contre-indiquée. ou de l’entourage.
On peut alors proposer au patient un traitement ✔ Deux certificats médicaux, dont un
ambulatoire (cf supra), et l’orienter vers un centre doit émaner d’un médecin extérieur
Traitement de l’état de manque aux spécialisé, qui pourra travailler avec lui sa demande à l’établissement d’accueil,
opiacés de sevrage, en préparer les conditions en lui
descriptifs des troubles, justifiant la
✔ Neuroleptiques : Terciant : 100 à proposant un cadre adapté, ou l’engager dans un
nécessité d’hospitalisation, et
300 mg/j. protocole de substitution.
attestant l’impossibilité du patient à
✔ Antalgiques : Viscéralgine Fortet : Il y a urgence à proposer un espace de dialogue
donner son consentement aux soins
3 cp/j. et d’écoute au patient toxicomane qui adresse une
ou son refus.
✔ Antispasmodiques : Spasfont : 6 demande au médecin, mais il n’existe pas de
✔ Piece d’identité du demandeur.
cp/j. réponse dans l’urgence qui, à la fois satisfasse la
✔ Hypnotiques : Théralènet : 30 à 50 demande immédiate du patient, et soit efficace dans
gouttes au coucher. le long terme : il est « urgent d’attendre », c’est- à-dire
de réintroduire chez le patient toxicomane la notion
de temps, qui pourra lui permettre d’apprendre à
différer la satisfaction de ses désirs.
En ce qui concerne la demande souvent insistante
de benzodiazépines, la règle est de refuser ces


produits, et en aucun cas de les prescrire sur Rappel des modalités
ordonnance. Certains psychiatres spécialisés d’hospitalisation psychiatrique
estiment néanmoins qu’un patient toxicomane qui sous contrainte
demande des benzodiazépines est en fait déjà Procédure d’urgence
‚ Hospitalisation d’office (HO)
engagé dans une démarche de substitution, et que Article L 333-2 du CSP
leur prescription peut être envisagée. Elle doit alors En cas de péril imminent pour la santé
s’effectuer sous forme de délivrance directe des Procédure d’urgence du patient.
comprimés nécessaires pour la journée, avec une Article L 343 DU CSP Certificat médical : un seul suffit, et
orientation sur un centre spécialisé. Il faut éviter les ✔ Maire de la commune ou peut être émis par un médecin de
benzodiazépines qui sont réputées à fort potentiel commissaires de police à Paris. l’établissement d’accueil, qui doit
toxicomanogène, comme le Rohypnolt, le ✔ Notoriété publique et avis médical. justifier la notion de péril imminent.
Tranxènet, le Témestat, et privilégier d’autres ✔ Nécessité d’en référer dans les 24 Demande manuscrite de l’entourage et
produits comme le Lysanxiat, le Sérestat. Ce type de heures au préfet, la mesure devenant pièce d’identité doivent être produites
réponse doit rester exceptionnel, et ce caractère caduque au bout de 48 heures. comme pour la procédure habituelle.
exceptionnel

Cédric Zeitter : Assistant des hôpitaux.


Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant.
Service de psychiatrie du professeur JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter et Y Sarfati. Urgences psychiatriques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0220, 1998, 4 p

Références

[1] Ginestet D, Peron-Magnan P. Chimiothérapie psychiatrique. Abrégé Masson. [4] Larcan A, Laprevote-Heully MC. Urgences médicales. Abrégé Masson. Pa-
Paris : MASSON, 1984 ris : Masson, 1987

[2] Goumilloux R. Législation psychiatrique. Abrégé Masson. Paris : Masson,


1991

[3] De Clercq M, Ferrand I, Andreoli A. Urgences psychiatriques et psychiatrie


des urgences. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-678-A-10, 1996 :
1-13

4
Maniement des actes
médicolégaux en psychiatrie
N Gluck-Vanlaer

D ans diverses circonstances relevant de la pathologie psychiatrique, le praticien peut être amené à établir des
certificats et donner des avis qui engagent sa responsabilité, imposant donc prudence et discernement.
© Elsevier, Paris.

■ ■
sous sauvegarde de justice. Si le médecin traitant
Mesure de protection est un généraliste, un autre certificat émanant Curatelle
d’un spécialiste doit être également envoyé pour
que la demande prenne effet. L’effet est alors C’est une mesure intermédiaire qui frappe le
Il faut aborder ici le rôle du médecin traitant immédiat. Le médecin se doit d’avertir le patient malade d’incapacité partielle. Il existe d’ailleurs
dans la mise en route d’une mesure de protection et/ou son entourage de cette démarche, son plusieurs degrés selon l’incapacité du patient
d’un malade qui s’avère, du fait de troubles principal effet est d’ailleurs dissuasif. Cette mesure (curatelle simple, curatelle 512). C’est la mesure la
psychiques, incapable de gérer ses biens et est indiquée pour des troubles aigus et sévères plus utilisée pour les malades mentaux chroniques
d’apprécier les conséquences des actes qu’il pour lesquels on peut légitimement espérer une (schizophrènes, délires chroniques). La procédure
pourrait être amené à signer. Il peut s’agir d’états récupération sous traitement (état maniaque, d’ouverture est la même que pour la tutelle.
transitoires (manie, mélancolie, bouffée mélancolique, bouffée délirante), ou pour des
délirante...) dans lesquels on peut espérer, sous


troubles plus chroniques, en attendant l’ouverture
traitement, une amélioration, voire une d’une tutelle ou d’une curatelle (en vue d’une
guérison, des troubles et la récupération des
Difficile responsabilité
sauvegarde, le médecin écrira dans son certificat
capacités de jugement et de gestion. Dans qu’il pense nécessaire qu’une autre mesure
d’autres cas, le handicap est vraisemblablement Comme dans toute autre pathologie, le médecin peut
prenne le relai).
définitif (schizophrénie, démence, retard mental), être sollicité par le patient ou son entourage afin
c’est pourquoi divers régimes de protection sont d’établir toutes sortes de certificats et d’attestations pour
prévus par la loi du 3 janvier 1968. obtenir divers avantages. Il doit se montrer très


circonspect en cette matière. Il doit en particulier se
Tutelle méfier des demandes faites (souvent sur le conseil de
leur avocat) par des personnes en instance de divorce


Sauvegarde de justice C’est la mesure la plus lourde, frappant le
patient d’une complète incapacité. C’est son
tuteur qui gère ses affaires avec l’avis du conseil
qui se disputent la garde de leurs enfants. Ils demandent
par exemple au médecin de leur délivrer un certificat
attestant la perturbation psychique de l’enfant au retour
d’un week-end passé chez « l’autre ». Le médecin doit se
C’est la mesure la plus légère, elle est toujours de famille et le représente dans les actes de la garder d’accéder à des demandes qui violeraient le
provisoire (elle cesse automatiquement au bout vie civile. Cette mesure a pour indication les secret professionnel et n’auraient pas de valeur. En effet,
de 2 mois, sauf si interviennent des renouvelle- handicaps sévères et permanents (retard en cas de litige, le juge ne se fondera pas sur de tels
ments, par tranches de 6 mois). Cette mesure mental, démence évoluée). La requête ne peut arguments risquant d’être partiaux, mais ordonnera une
n’empêche pas le patient de faire un acte émaner que du patient, de son conjoint ou de enquête sociale et des expertises psychiatriques qui lui
juridique, qu’il soit d’administration ou de ses parents au premier degré, du curateur (dans permettront de trancher. En revanche, si le médecin
disposition, mais permet d’en demander le cas d’une curatelle qui s’avère devoir être constate d’importantes perturbations de l’enfant, il doit
l’annulation ou l’atténuation (par exemple en cas alourdie), ou d’un magistrat (procureur ou juge en apprécier les risques réels, car il lui est fait obligation
de dépense inconsidérée). Dans le cas d’un des tutelles). Cependant, le médecin traitant de signaler au procureur ou à l’autorité sanitaire tout
patient non hospitalisé, le médecin traitant peut peut adresser un certificat au juge à titre enfant en danger afin que des mesures de protection
adresser au procureur de la République un d’information, charge à ce dernier de se saisir puissent être mises en route (il s’agit ici d’une dérogation
certificat attestant de la nécessité d’une mise d’office s’il l’estime justifié. obligatoire au secret professionnel).
7-0250
7-0250

Pièges d’une médicalisation


Encyclopédie Pratique de Médecine

des troubles psychiatriques


C Zeitter

L a médicalisation des troubles psychiatriques peut aboutir à une focalisation excessive du clinicien sur la
maladie au détriment de l’individu lui-même.
© Elsevier, Paris.


peut s’y insérer, présente des troubles du la disponibilité de traitements anxiolytiques, aboutit
Introduction comportement, est éventuellement dangereux, en en effet à des prescriptions abusives, pour une
lui proposant un lieu de vie (l’asile), mais de traiter un anxiété non pathologique. L’anxiété fait partie de la
individu malade, en souffrance, en lui proposant un nature humaine, et ne devient pathologique que
La médicalisation des troubles psychiatriques doit programme de soins, qui lui permette de retrouver lorsqu’elle entraîne des réactions non appropriées à
certainement être envisagée comme une évolution une place au sein de la société. la situation anxiogène : fuite, évitement, sidération.
favorable de la prise en charge des troubles Les progrès considérables effectués ces 50 C’est alors et alors seulement qu’elle justifie une
mentaux. La psychiatrie s’intègre ainsi aux autres dernières années (découverte de la chlorpromazine intervention médicale.
spécialités médicales. Son objet est le cerveau, Largactilt en 1952) dans la prise en charge des Dans le cadre de l’anxiété pathologique, le
organe pouvant présenter des altérations, des troubles psychiatriques, sont donc intimement liés à traitement permet de réduire les manifestations
dysfonctionnements. Dans un modèle médical la médicalisation de ces troubles. subjectives et comportementales de l’anxiété. Outre
appliqué à la psychiatrie, une perturbation du Cependant, cette médicalisation des troubles les conséquences bien connues d’un traitement au
cerveau produit des symptômes s’organisant en psychiatriques peut aboutir à une focalisation long cours par benzodiazépines (habituation,
syndromes et en maladies, qui requièrent chacun un excessive du clinicien sur la maladie dont souffre tolérance, dépendance, impossibilité du sevrage,
traitement spécifique. La singularité de la psychiatrie l’individu, au détriment de l’individu lui-même. Les développement d’une toxicomanie médicamen-
par rapport aux autres disciplines, dans l’utilisation conséquences peuvent être variables selon la teuse), on peut voir se développer chez le patient un
du modèle médical, réside dans l’absence de lésion pathologie considérée, avec toutefois des aspects apprentissage délétère dans la gestion de ses
objectivable cliniquement ou à l’aide d’examens communs : manifestations anxieuses, dont il résulte une
complémentaires, à l’origine des symptômes – réponse médicale (médicamenteuse) exclusive intolérance à l’anxiété. La réponse uniquement
observés. Cependant, les niveaux sous-jacents du à des troubles impliquant des facteurs psycholo- médicale peut ainsi amener un objectif pour le
modèle conservent une pertinence. giques (réponse insuffisante) ; patient d’une absence totale d’anxiété, qu’il tentera
Les classifications actuelles s’appuient sur un – déresponsabilisation du patient dans la gestion d’atteindre en multipliant les prises médicamen-
modèle similaire, en remplaçant la notion de de sa maladie ; teuses, en augmentant les doses.
maladie par celle de « trouble ». La notion de maladie – utilisation de la maladie et des médicaments
est écartée dans la mesure où elle renvoie à une comme « solution » à des conflits psychologiques. Il est donc indispensable de fixer
pathogénie spécifique, imprécise pour la majorité Les troubles anxieux et dépressifs serviront d’emblée les objectifs d’un traitement
des troubles psychiatriques. Le trouble se définit par d’exemples pour illustrer les pièges de la
une association de symptômes, et se caractérise
anxiolytique, en matière de durée de
médicalisation des troubles psychiatriques. prescription, d’intérêt et de résultats
également par des données épidémiologiques, des
données évolutives, et une réactivité à certains escomptés du produit, mais aussi de


traitements. préciser les relations entretenues par
Médicalisation le patient avec son anxiété.
La médicalisation des troubles psychiatriques se des troubles anxieux
place dans une double perspective historique :
– développement au cours du siècle de la Cette analyse doit permettre de lui faire accepter
pharmacopée psychiatrique avec possibilités La réponse médicale à l’anxiété est d’une un certain niveau d’anxiété, et de développer
nouvelles de traitement des troubles psychiatriques efficacité remarquable dans le court terme. L’anxiété d’autres stratégies, d’autres aménagements. Le but
(techniques de choc du début du siècle dont seules aiguë (attaque de panique), l’anxiété généralisée est de l’impliquer le plus possible dans le traitement,
les sismothérapies sont conservées, essor des sont accessibles de manière spectaculaire aux afin d’éviter que la réponse médicale symptoma-
psychotropes : neuroleptiques, antidépresseurs, benzodiazépines, abondamment prescrites en tique n’entrave la mobilisation des ressources
benzodiazépines, lithium) ; France. Le soulagement ressenti par le patient est psychologiques du sujet.
– évolution de la conception de ces troubles, quasi immédiat, et les benzodiazépines dans le L’implication du sujet dans la thérapie est, par
considérés comme des maladies atteignant une traitement de l’anxiété généralisée apportent un exemple, un principe fondamental des thérapies
personne, au même titre que d’autres pathologies confort appréciable, en améliorant la qualité de vie
© Elsevier, Paris

cognitives et comportementales, qui trouvent de


médicales. du patient. nombreuses indications dans les troubles anxieux, et
Le statut du malade mental change ainsi, de Un premier écueil à éviter est de confondre particulièrement dans les troubles anxieux
même que la réponse apportée à ses troubles. Il ne anxiété normale et anxiété pathologique. La situationnels :
s’agit plus d’extraire de la société un individu qui ne médicalisation du concept d’anxiété, en partie liée à – phobie sociale ;

1
7-0250 - Pièges d’une médicalisation des troubles psychiatriques

– phobies simples (avion, ascenseur) ; une maladie. Les objectifs de la prise en charge pas en compte son inscription dans une perturbation
– agoraphobie. psychologique de la dépression illustrent cette des relations avec l’entourage, pourra avoir comme
Dans le cadre de ces thérapies, il est établi avec le nécessité, lorsqu’il s’agit d’aider le sujet et son conséquence une utilisation par le patient de sa
sujet un programme de soins qui l’implique entourage à s’aménager autour de la maladie, de la dépression pour éviter de gérer les situations
directement dans l’apprentissage d’une meilleure connaître, de repérer les situations à risque, d’en conflictuelles, avec donc des rechutes ou une
gestion des situations anxiogènes. limiter les séquelles. chronicisation.
Si les facteurs biologiques ont un poids prévalent Enfin, le sujet ayant fait l’expérience d’une
en matière de troubles dépressifs, et amènent dépression va spontanément avoir tendance à lui


Médicalisation
des troubles dépressifs
logiquement la médicalisation, les facteurs
psychologiques ont également une influence non
négligeable sur le cours évolutif de ces troubles :
facteurs précipitants d’accès, facteurs d’entretien,
donner un sens, une explication. Il faut alors savoir
respecter cette démarche, qui n’est pas incompatible
avec l’acceptation du concept de maladie. Si le sujet
peut accepter que la rupture dépressive représente
Le développement des molécules antidépressives facteurs de chronicisation. Le risque majeur de la une maladie, que cette maladie apporte un
a permis depuis une trentaine d’années de traiter changement en lui, dans son « être au monde », il est
médicalisation exclusive est donc de ne pas prendre
efficacement la pathologie dépressive. En dehors des néanmoins important pour lui de restaurer une
ces facteurs en compte, les conséquences pouvant
formes de dépression d’intensité légère à modérée, continuité, des liens entre l’avant, le pendant, l’après
alors se mesurer en termes de fréquence de rechutes
qui sont accessibles aux thérapies cognitives, et dépression. Pour cela, il va chercher à donner un
ou de chronicisation de la dépression.
peuvent parfois s’améliorer sans prescription sens, une raison à cette rupture. Même si les raisons
La dépression comporte assez régulièrement une
médicamenteuse, le recours aux antidépresseurs alors évoquées n’ont pas valeur de « vérité
composante de régression. Elle place le sujet dans
doit être systématique dès lors que le diagnostic de psychologique », il est important de les respecter, ou
une position de demande affective importante, à
syndrome dépressif est posé. plus exactement de respecter la démarche de
type surtout de maternage. Cet aspect régressif peut
La possibilité d’une réponse médicale, l’individu qui tente ainsi de restaurer des liens qui
être renforcé par la prise en charge médicale : le sujet
médicamenteuse, aux troubles dépressifs a participé avaient été rompus pendant la dépression, avec
se remplit, on le « nourrit » avec des médicaments, et
à la conceptualisation de la dépression comme une lui-même et avec son entourage. Le respect de cette
en cas d’hospitalisation, nombre de tâches
maladie à part entière, ce qui change le statut du quête de sens, suppose là encore que le clinicien
quotidiennes sont effectuées à sa place, et il
sujet déprimé. Il n’est plus un sujet qui en quelque « assouplisse » une position trop médicalisée qui
bénéficie d’un entourage protecteur maternant. Le
sorte « produit » des symptômes dépressifs, mais s’attacherait davantage au trouble, qu’à l’inscription
risque est alors l’installation dans cette situation de
devient un individu confronté à un processus de celui-ci dans la trajectoire vitale du patient.
régression, avec instauration d’une dépendance, et
morbide qui le dépasse et altère ses capacités
passage à la chronicité. Le patient régressé attend


d’adaptation, de réaction, d’ajustement.
que le médecin fournisse la réponse à sa souffrance,
Conclusion
sans participer lui-même à son rétablissement. La
Il est essentiel pour le patient que le vigilance s’impose donc lorsque l’on propose un
clinicien puisse l’aider à intégrer le projet de soins à un patient déprimé, et en particulier Les aspects évoqués dans les troubles anxieux et
fait que la dépression est une maladie. une hospitalisation. Il est alors impératif de repérer dépressifs, les plus fréquemment rencontrés en
La prescription médicamenteuse certains indices au cours de l’évaluation du patient, consultation de médecine générale, se rencontrent
qui pourraient faire craindre une telle évolution, aussi dans d’autres champs de la pathologie
s’inscrit dans cette logique.
notamment des traits de personnalité névrotique tels psychiatrique. D’une manière générale, on peut
un haut niveau de dépendance, une immaturité. résumer les aléas de la médicalisation des troubles
Pour autant, cette réponse ne doit pas être L’intervention médicale doit s’ajuster de telle sorte psychiatriques de la manière suivante :
isolée. Il est impératif d’y associer une prise en que le patient soit responsabilisé dans le traitement – la focalisation du clinicien sur la maladie
charge psychologique. Les objectifs de cette prise en de ses troubles. psychiatrique en tant que telle conduit à négliger des
charge sont décrits dans le chapitre consacré aux Le patient déprimé peut également trouver des facteurs psychologiques déterminant dans
troubles thymiques. Une prise en charge bénéfices à sa maladie lorsqu’elle mobilise l’évolution de celle-ci. On ne traite pas un trouble
exclusivement médicalisée tend à trop dissocier l’entourage, ou lorsque la rupture dépressive vient psychiatrique, mais un individu confronté à une
l’individu de sa maladie. Il ne s’agit pas de traiter une interrompre une situation conflictuelle. Là encore, maladie psychiatrique, qui doit être associé à son
maladie, mais de soigner un individu confronté à une intervention focalisée sur la maladie, ne prenant traitement.

Cédric Zeitter : Assistant,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Pièges d’une médicalisation des troubles psychiatriques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0250, 1998, 2 p

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Poids des actes médicosociaux


Encyclopédie Pratique de Médecine

en psychiatrie
N Gluck-Vanlaer

E n pathologie psychiatrique, les intrications de problèmes médicaux et sociaux sont monnaie courante, d’une
part parce que les maladies psychiatriques entraînent presque toujours un handicap social plus ou moins
important (difficulté pour les schizophrènes de s’insérer dans le monde du travail par exemple), et d’autre part parce
que des facteurs sociaux peuvent jouer un rôle très important dans l’apparition ou la décompensation de troubles
psychiques (chômage et dépression par exemple). Enfin, dans des pathologies actuelles ayant un potentiel de
chronicisation, la stratégie sociale peut influer considérablement sur le pronostic.
© Elsevier, Paris.


Pour ce qui est du suivi ambulatoire, il faut réfléchir à l’opportunité d’une hospitalisation, si la
Introduction rappeler que les soins dispensés en Centre poursuite du travail est vraiment impossible.
médicopsychologique (CMP) sont gratuits, tant les Il faut aussi savoir dépister les cas où le facteur
consultations psychiatriques que les psychothérapies déclenchant de la décompensation est un conflit au
Le médecin peut intervenir dans cette stratégie et les soins infirmiers, et que tout le monde peut y travail, car cette circonstance peut être banalisée ou
sociale à plusieurs niveaux. Il importe qu’il soit bien avoir accès. passée sous silence par le patient, et le médecin peut
averti des droits et législations existants pour bien être en position d’arbitrer un différend sans le savoir


aider son patient, parfois trop perturbé et isolé pour et laisser ainsi son patient s’enfermer dans un
faire par lui-même des démarches, ou à l’inverse, Arrêts de travail processus d’évitement immature dont il risque
pour éviter de se faire manipuler par des patients ensuite de faire les frais.
plus au courant que lui de ces matières et qui
recherchent des bénéfices injustifiés par leur état ou


Ils sont souvent indispensables dans les affections
des avantages à court terme qui hypothèquent psychiatriques (convalescence au décours d’une Maisons de repos, cures
peut-être leur avenir. hospitalisation, traitement ambulatoire d’un état et postcures
aigu ; pour certains auteurs, une dépression sévère


met en moyenne 6 mois à s’améliorer suffisamment
Elles font aussi partie des demandes fréquentes
Demandes de prise en charge pour permettre une reprise professionnelle efficace,
des patients psychiatriques. Leur utilité est
d’autant plus que les traitements peuvent
indiscutable dans de nombreux cas, en particulier au
initialement entraîner une somnolence et des effets
décours de certaines hospitalisations en aigu, pour
La demande de prise en charge à 100 % de la secondaires difficilement compatibles avec l’exercice
permettre une étape de transition et de
maladie par la Sécurité sociale permet au patient de certaines professions).
réadaptation. Cependant, sans parler des personnes
d’être exonéré du ticket modérateur pour les soins Il faut toutefois se garder de trop les prolonger
cherchant plus un lieu de vacances qu’un lieu de
relatifs à l’affection et à elle seule. Les troubles chez certains phobiques qui craignent la reprise du
soins, dans le cadre d’une prise en charge de la
psychiatriques y ouvrant droit (cités dans la liste des travail, surtout quand au décours d’une dépression,
Sécurité sociale, il est des patients pour lesquels ce
30 affections de longue durée ou ALD) sont les persistent quelques sentiments d’incapacité ; il faut à
type de séjour peut être contre-indiqué malgré une
psychoses, les troubles graves de la personnalité et un moment leur exposer que de nouveaux délais
véritable maladie psychique, car la demande est plus
l’arriération mentale. On voit donc qu’une risquent d’accroître encore leur appréhension (les
celle d’une mise à distance des problèmes, que le
dépression, qui peut entraîner des hospitalisations dispositions spéciales de prise en charge de longue
patient retrouvera identiques, voire pire, à son
coûteuses pour les patients sans mutuelle (il n’y a maladie des fonctionnaires ou de certaines autres
retour. Il faut alors en discuter ouvertement avec le
prise en charge à 100 % de l’hospitalisation que si professions sont un bienfait pour certains malades
patient afin qu’il change de projet ou qu’il règle,
celle-ci dépasse 30 jours) et des soins ambulatoires graves et chroniques, mais peuvent aussi être un
préalablement à son départ, les problèmes les plus
coûteux (« nouveaux » antidépresseurs), ne pourra facteur de chronicisation pour des affections moins
importants (famille, emploi, problèmes financiers...).
relever d’une ALD que si cette dépression s’inscrit sévères).
dans le cadre d’une psychose ou d’un trouble grave Il faut aussi tenir compte des impératifs


de la personnalité. Le médecin doit donc y songer socioéconomiques et de la situation profession-
nelle du patient au cas par cas, afin de ne pas
Allocation adultes handicapés
lors de la rédaction de la demande, après avoir pesé (AAH)
le bien-fondé d’une telle demande ; il peut alors risquer de compromettre son avenir professionnel
(faire préciser son statut, son ancienneté, sa
© Elsevier, Paris

écrire que cette dépression s’inscrit dans le cadre


d’une psychose maniacodépressive (terme sans protection sociale). Elle concerne les personnes dont le taux
doute impropre mais encore couramment utilisé), ou Il faut aussi peser les cas de patients très isolés et d’invalidité reconnu est d’au moins 80 % ou qui sont
que cette dépression vient compliquer un trouble déprimés pour lesquels l’arrêt de travail va aggraver dans l’impossibilité de se procurer un emploi du fait
grave de la personnalité. la solitude et avoir des effets pervers ; il faut alors de leur handicap. Les décisions d’attribution

1
7-0290 - Poids des actes médicosociaux en psychiatrie


dépendent de la deuxième section de la pour ceux qui peuvent en bénéficier, le montant du
Commission technique d’orientation et de RMI était de 2 374,50 F en 1997 pour une personne
Reconnaissance
de travailleur handicapé
reclassement professionnel (COTOREP). Elle seule, et donc inférieur de près de 1000 F à l’AAH, ce
concerne les français, de plus de 20 ans (ou plus de qui peut rendre l’AAH plus « attractive », au détriment
16 ans pour ceux qui ne sont plus à la charge de de la dynamique de réinsertion afférente au RMI Cette reconnaissance relève de la première
leurs parents), dont les ressources ne dépassent pas (évaluations régulières de la situation, propositions section de la COTOREP. Elle propose aussi une
un certain plafond (l’AAH est une allocation de travail en contrat emploi solidarité...). orientation, éventuellement en s’appuyant sur des
différentielle). Elle est attribuée pour une période tests psychotechniques (il existe plusieurs catégories
limitée (1 à 10 ans), mais renouvelable. Elle donne de travailleurs handicapés et plusieurs orientations
automatiquement droit à l’affiliation à la Sécurité
sociale. Son montant était de 3 392,50 F par mois en
1997. Elle peut se cumuler avec l’allocation
logement et peut ainsi permettre aux malades

Allocation compensatrice
possibles : reclassement, emploi protégé, centre
d’aide par le travail...). Il faut toujours préciser au
patient et à son entourage que le fait d’être reconnu
handicapé ou invalide, et même de toucher une
Également attribuée par la deuxième section de la pension ou une allocation, n’empêche nullement
mentaux chroniques (psychotiques principalement),
COTOREP, elle est destinée aux handicapés ayant une initiative individuelle de recherche d’emploi
que leur famille ne peut ou ne veut entretenir, de
besoin de l’aide d’une tierce personne. Elle est « normal », qui, si elle aboutit, fera automatiquement
pouvoir avoir une vie autonome, dans des
rarement justifiée pour les patients psychiatriques. tomber la qualification d’handicapé. Au cas où cette
conditions certes assez précaires. La constitution
d’un dossier de demande auprès de la COTOREP expérience échouerait après quelques temps, soit


nécessite un certificat médical établissant le par rechute, soit du fait du travail lui-même
handicap. Le médecin a donc un rôle à jouer et doit Carte d’invalidité (licenciement économique par exemple), il reste
agir au cas par cas. En effet, pour certains jeunes possible de réintroduire une demande auprès de la
psychotiques, il est préférable de différer la COTOREP.
demande pour ne pas démotiver d’éventuels Celle-ci, attribuée au vu d’un certificat médical par


projets de réinsertion professionnelle. Il est souvent la deuxième section de la COTOREP, n’est
possible à leur famille de les aider temporairement, généralement pas demandée par les malades Conclusion
et ils peuvent trouver d’autres moyens d’être affiliés mentaux pour l’accès aux places réservées des
à la Sécurité sociale (statut d’étudiant, assurance transports en commun, mais pour les avantages
volontaire). De même, le médecin peut se retrouver fiscaux qu’elle procure (exonération de la vignette En tout état de cause, le médecin pourra se faire
confronté à une demande abusive d’un jeune automobile, de la redevance télévision, aider des conseils d’une assistante sociale, soit celle
(directement ou par sa famille) sans travail et sans augmentation d’une demi-part ou d’une part de dépendant de la circonscription d’action sociale du
ressources, trop jeune pour bénéficier du RMI (le quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le patient, soit celle dépendant de l’hôpital ou du centre
revenu minimum d’insertion ne peut être attribué revenu). Sa justification se discute au cas par cas médicopsychologique dont le patient dépend
qu’à partir de 25 ans). Il faut d’ailleurs savoir que, dans les maladies psychiatriques. lui-même.

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Poids des actes médicosociaux en psychiatrie.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0290, 1998, 2 p

Références

[1] Goumilloux R. Législation psychiatrique. Paris : Masson, 1991

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7-0260

Prise en charge
Encyclopédie Pratique de Médecine

des troubles psychiatriques


C Zeitter

D ix pour cent seulement des déprimés sont reconnus comme tels et reçoivent un traitement approprié.

© Elsevier, Paris.


‚ Symptômes somatiques
Introduction Tableau I. – Symptômes d’alerte.
Insomnie
Symptômes somatiques
On la retrouve essentiellement dans les troubles de
Insomnie l’humeur, et dans les troubles anxieux.
Le médecin généraliste se trouve régulièrement
Anorexie Dans la pathologie anxieuse, il s’agit essentielle-
confronté à des troubles psychiatriques, avec trois Asthénie ± perte de poids ment d’une insomnie d’endormissement,
niveaux d’intervention : Douleurs accompagnée de ruminations anxieuses sur les
– repérage (attribution de symptômes à une Crises de tétanie événements à venir, anticipés de façon négative.
pathologie psychiatrique) ;
Retentissement Dans la pathologie dépressive, elle est typiquement
– orientation (initiation d’un projet de soins
du petit matin, à type de réveils précoces vers 3-4
lorsqu’une pathologie psychiatrique est repérée, ou Repli affectif (réduction des intérêts pour les dis- heures du matin, sans possibilité de retrouver le
lorsqu’une demande de soins psychiatriques est tractions, les activités habituelles, les contacts so- sommeil. Le sujet déprimé est immédiatement assailli
formulée directement par un patient et/ou son ciaux)
de ruminations dépressives, tournées vers le passé,
entourage) ; Diffıcultés professionnelles (conflits, baisse des
performances) s’accompagnant volontiers de reproches sur les
– traitement (prise en charge du trouble).
Échec scolaire chez l’enfant, l’adolescent, l’étu- actions passées, de sentiments d’incapacité, de
La première étape est essentielle, et appartient dévalorisation. Les réveils sont pénibles, le sujet n’a
diant
quasi exclusivement au médecin généraliste, premier pas le sentiment d’avoir récupéré. Les déprimés
Conflit familial
interlocuteur d’un patient en souffrance. Elle est Conflit conjugal peuvent néanmoins présenter une insomnie
essentielle dans la mesure où la majorité des troubles dRupture dans le fonctionnement habituel du sujet d’endormissement ou des réveils nocturnes, surtout
psychiatriques sont accessibles à un traitement et à lorsqu’une anxiété s’y associe.
une prise en charge adaptée, et où la rapidité
L’insomnie fait également partie de la symptomato-
d’intervention et d’instauration d’un traitement est un – les conséquences sociales, familiales ; logie typique de l’état maniaque. Il s’agit alors plutôt
facteur pronostic majeur pour l’évolution des troubles – la sévérité des symptômes ; d’une réduction du temps de sommeil, le sujet
psychiatriques, quelle qu’en soit la nature. – l’existence de facteurs de stress (l’absence n’éprouvant pas le besoin de dormir. Il se consacre
Les deux étapes suivantes sont décrites dans les d’événement déclenchant diminue le taux de alors aux nombreuses activités qui s’inscrivent dans
chapitres consacrés aux troubles psychiatriques. reconnaissance d’un trouble psychiatrique) ; l’état d’excitation psychomotrice caractéristique, sans
– la présence d’un diagnostic somatique, qui éprouver de fatigue.
diminue également le taux de reconnaissance. Enfin, l’insomnie apparaît dans des états délirants,
La pathologie psychiatrique représente
Il est donc capital, dans la mesure où la plainte surtout aigus, associée à une anxiété majeure ou à une
une part considérable de la psychologique ou psychiatrique n’est que rarement activité délirante, par exemple à thématique
consultation de médecine générale. La exprimée, de repérer certains symptômes, persécutive (conviction que des ennemis vont pénétrer
pathologie dépressive à elle seule couramment évoqués dans le champ de la chez le sujet pendant son sommeil et l’attaquer).
constitue en effet 10 % des motifs de consultation de médecine générale, pouvant évoquer
consultation généraliste. un trouble psychiatrique, et amenant ainsi une
recherche approfondie.
La prescription d’hypnotiques ne peut
se faire qu’après analyse sémiologique
Pourtant, il semble que les troubles psychiatriques rigoureuse. Le traitement de


soient insuffisamment repérés dans le cadre des l’insomnie repose avant tout sur le
consultations de médecine générale. Concernant la Symptômes d’alerte traitement de son étiologie. Une
pathologie dépressive, il s’avère que sur 100 patients
prescription de somnifères à titre
déprimés, seuls 50 % sont reconnus comme
présentant une souffrance psychologique, et 25 % purement symptomatique devient
comme déprimés. En outre, parmi les patients Ils sont constitués, d’une part, des symptômes rapidement inefficace, masque la
déprimés identifiés, seul un sur deux reçoit un somatiques que l’on rencontre dans diverses symptomatologie sous-jacente, et
traitement adapté (antidépresseurs à doses efficaces et pathologies psychiatriques, d’autre part de symptômes amène un retard au traitement de
sur une période suffisamment longue). Ainsi, environ de dysfonctionnement du sujet dans son environne- l’affection responsable.
10 % des déprimés seulement sont reconnus comme ment habituel, qui sont la conséquence du trouble
tels et reçoivent un traitement approprié. psychiatrique, son retentissement sur les plans social,
Certains facteurs sont évoqués, qui interviennent relationnel, familial, professionnel. La rupture dans le Anorexie
© Elsevier, Paris

dans l’identification ou la non identification des fonctionnement habituel du sujet dans ces différents L’anorexie se rencontre dans les troubles anxieux et
troubles psychiatriques : champs est un élément particulièrement important du dépressifs. Elle s’accompagne volontiers d’une perte de
– l’absence de plainte psychologique ou diagnostic de trouble psychiatrique. poids dans la pathologie dépressive, qui peut être
psychiatrique (seuls 25 % des déprimés expriment une Les symptômes d’alerte sont résumés dans le importante et rapide. La perte de poids est un élément
telle plainte) ; tableau I. important du diagnostic de dépression. Le bilan

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7-0260 - Prise en charge des troubles psychiatriques

étiologique d’un amaigrissement doit comprendre la conversifs, s’intégrant dans un jeu relationnel avec professionnelle, conduire à un licenciement, qui là
recherche de signes de dépression, surtout si les autrui, mais il faut évoquer systématiquement le encore sera conséquence et non cause de la dépression.
antécédents somatiques et l’examen clinique sont diagnostic d’attaques de panique (crise d’angoisse Il est donc important d’évaluer l’état du sujet
sans particularités. aiguë). Les attaques de panique, lorsqu’elles se antérieur à l’événement de vie.
Le terme d’anorexie définit également une répètent, constituent une maladie qualifiée de trouble
pathologie psychiatrique, l’anorexie mentale. En panique, qui justifie l’introduction d’un traitement Situations d’échec scolaire
réalité, les patients anorexiques n’éprouvent aucune spécifique, à base d’antidépresseurs, ayant une action L’échec scolaire est un motif fréquent de
perte de l’appétit, mais luttent contre une sensation de préventive sur la survenue des crises. consultation chez le pédiatre ou le médecin généraliste
faim, avec le besoin de la maîtriser. Le motif de Les attaques de panique se rencontrent également pour un enfant, un adolescent ou un adulte jeune
consultation est d’ailleurs le plus souvent, dans le dans la pathologie dépressive, survenant au cours étudiant. La demande est alors souvent de traiter ce
cadre de l’anorexie mentale, l’inquiétude des parents d’un épisode dépressif et accompagnant les autres qu’on suppose être une banale fatigue, par des
d’une adolescente qui perd du poids. La gravité de signes de dépression, ou pouvant constituer, stimulants, des vitamines.
cette pathologie impose la recherche des signes lorsqu’elles surviennent isolément et par périodes, un Or l’adolescence et le début de l’âge l’adulte sont les
classiques, et une orientation précoce vers une prise en véritable « équivalent » dépressif, qui justifie bien âges de début de nombreuses pathologies
charge spécialisée. évidemment un traitement antidépresseur. psychiatriques, et notamment les troubles de l’humeur
et la schizophrénie.
Asthénie ‚ Modifications du fonctionnement Ainsi l’échec scolaire peut être le premier symptôme
Symptôme régulier de la dépression, elle est habituel du sujet objectif d’un adolescent déprimé, morose et irritable,
souvent, dans cette pathologie, à prédominance Changements de caractère restreignant également ses activités de loisir, replié,
matinale. Elle est typiquement aggravée lors d’efforts éprouvant des difficultés à se concentrer, dormant mal,
de concentration, ou lors de situations de conflit Des modifications du caractère d’un sujet se devenant plus coléreux, pouvant développer une
psychologique, de stress. Elle peut se réduire à une rencontrent fréquemment au cours des épisodes appétence nouvelle pour les toxiques.
simple fatigabilité, ou, dans les formes extrêmes dépressifs. Ces modifications peuvent être signalées
L’échec scolaire peut aussi s’intégrer dans un début
aboutir à la clinophilie. par l’entourage qui le trouve différent, changé, ou par
de schizophrénie, alors caractérisé par un repli social,
À la différence du sujet psychasthène chez qui elle le sujet lui-même. Le patient se montre plus irritable,
des difficultés de communication, un émoussement
est présente de manière chronique et s’intègre dans le susceptible, voire agressif, intolérant au bruit,
des affects, une bizarrerie, des préoccupations
trouble de la personnalité, l’asthénie du sujet déprimé « supporte » moins bien ses proches. Il peut présenter
nouvelles ésotériques, philosophicoreligieuses,
a un début repérable, et représente une rupture par des réactions de colère inhabituelles.
hermétiques.
rapport à son fonctionnement habituel. Chez des patients déprimés présentant un trouble
de la personnalité, on peut observer, soit un


¶ Douleurs et autres plaintes somatiques changement caractériel, soit une expression accentuée
En l’absence d’une pathologie organique pouvant des traits pathologiques de leur personnalité. C’est Conclusion
les expliquer, ou lorsque leur intensité est ainsi que l’on peut passer à côté du diagnostic de
disproportionnée par rapport à une lésion objective, dépression chez une personnalité hystérique, qui
l’orientation diagnostique repose sur la recherche de présente une labilité thymique accentuée, un Le rôle du médecin généraliste est donc essentiel
certains éléments : histrionisme plus marqué. dans le repérage des signes pouvant constituer des
– histoire chronologique des douleurs,
symptômes d’un trouble psychiatrique nécessitant une
circonstances d’apparition, facteurs favorisants et
prise en charge spécifique. Il doit pouvoir proposer au
facteurs atténuants ; Toute modification du caractère d’un
patient un programme de soins adaptés, en sachant
– relation du patient à sa douleur : origine sujet doit donc faire évoquer un d’emblée poser les limites de son intervention, de telle
attribuée, conviction d’une atteinte organique trouble psychiatrique, et en particulier sorte qu’un éventuel recours au confrère psychiatre, en
incurable, ou indifférence ;
une dépression. fonction de la nature du trouble psychiatrique et de ses
– relation au médecin : aspect plaintif, demande
compétences, ne soit pas vécu comme un abandon,
affective, demande technique d’explorations
un désaveu, ou une mauvaise prise en considération
complémentaires, revendication, sthénicité ; Événements de vie négatifs et situations de la souffrance du patient.
– retentissement de la douleur sur les aptitudes du de crise
Le recours au psychiatre doit évidemment
sujet ;
Lorsqu’un sujet manifeste des troubles psychologi- s’envisager sous l’angle d’une collaboration et d’une
– modifications induites par la douleur dans la
ques à l’occasion d’un événement important, il est confiance réciproque, qui s’appuiera sur une définition
dynamique familiale ;
tentant de les trouver légitimes, de les considérer claire des champs d’intervention des deux médecins.
– recherche des signes classiques de dépression.
comme une réaction d’adaptation à une situation On peut ainsi, de façon schématique, concevoir quatre
L’analyse de ces éléments permettra ainsi d’orienter nouvelle. Or les événements de vie sont des facteurs modalités de collaboration :
le diagnostic vers une pathologie névrotique pouvant précipiter des troubles psychiatriques avérés, – Le médecin généraliste qui en a les compétences
hystérique ou hypocondriaque, vers une pathologie et en particulier des épisodes dépressifs : deuils, assure la prise en charge psychiatrique et sollicite le
anxieuse, vers une pathologie délirante (hypocondrie ruptures sentimentales, pertes d’emploi. Il convient psychiatre pour un avis (en matière de dépression par
délirante), ou vers une dépression pouvant être donc systématiquement, dans ce genre de situation, exemple).
masquée (la plainte somatique est au premier plan du d’en rechercher les signes spécifiques. – Le médecin généraliste assure la prescription des
tableau. Il est essentiel de ne pas passer à côté d’un
Par ailleurs, les sujets déprimés peuvent induire des psychotropes s’il possède les connaissances requises,
diagnostic de dépression, les antidépresseurs
événements de vie négatifs. Les modifications de le psychiatre assurant une prise en charge
permettant alors une amélioration spectaculaire.
caractère induites par la dépression peuvent en effet psychothérapique.
¶ Spasmophilie entraîner des conflits avec les proches, avec le – Le psychiatre intervient comme prescripteur et
Souvent attribuées à un hypothétique trouble du conjoint, et provoquer une rupture, qui n’est alors pas confie au médecin généraliste qui possède la
métabolisme du calcium ou du magnésium, les crises le facteur dépressogène, mais une conséquence du formation requise une prise en charge
de tétanie représentent en fait les manifestations trouble. psychothérapique.
physiques d’une anxiété aiguë. De même, les difficultés de concentration, la baisse – Le médecin généraliste confie la prise en charge
On les rencontre dans la pathologie hystérique, où des performances intellectuelles d’un déprimé peuvent au psychiatre et intervient pour alerter celui-ci lorsqu’il
on peut les considérer comme des symptômes avoir un retentissement majeur sur son activité est inquiet pour son patient.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Prise en charge des troubles psychiatriques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0260, 1998, 2 p

2
7-0240
7-0240

Règles de prescription des


Encyclopédie Pratique de Médecine

psychotropes pendant la grossesse


V Olivier, C Passerieux

L a question de la prescription de psychotropes, et plus largement de la prise en charge de troubles psychiatriques


durant la grossesse, est une situation fréquente et souvent difficile. La possibilité d’un diagnostic anténatal
d’éventuelles malformations a sans doute favorisé le recours à des psychotropes, que le recul permet également de
mieux connaître du point de vue de leurs répercussions sur l’enfant à venir. Cependant, l’évaluation de la nécessité
de soins pour la mère, des risques éventuels si ces soins ne lui sont pas prodigués et des risques pour le fœtus, est un
exercice difficile qui justifie pleinement le recours à un avis spécialisé.
© Elsevier, Paris.


Principes généraux

‚ Quelle est la tendance évolutive des


Tableau I. – Risques pour le fœtus de l’emploi pendant la grossesse des principaux psychotropes.

Famille
médicamenteuse
Effet tératogène Toxicité néonatale Séquelles comportemen-
tales postnatales
pathologies psychiatriques pendant Neuroleptiques ++ ++ ?
la grossesse ? risque évalué à 0,4 %, Hypertonie, irritabilité, séquelles observées chez
pas de malformation spé- agitation, mouvements l’animal et non retrouvées
La grossesse a longtemps été considérée comme cifique identifiée ; ont été anormaux, diffıcultés à chez l’enfant (évaluées
un facteur plutôt protecteur vis-à-vis des troubles particulièrement incrimi- l’alimentation, ictère néo- jusqu’à 5 ans)
psychiatriques. En fait, l’évolution des principales nées les phénothazines à natal, occlusion
pathologies psychiatriques est mal connue et paraît 3 carbones fonctionnelle
variable : aggravation, stabilisation ou amélioration.
Antidépresseurs + ++ ?
La prévalence des troubles dépressifs chez la femme pour antidépresseurs tri- tachycardie, détresse res- pas de séquelles observées
enceinte est identique à celle en dehors de la cycliques et fluoxétine (les piratoire, myoclonies, mais peu d’études
grossesse et la survenue d’une dépression durant la plus étudiés) somnolence, cyanose,
grossesse est fortement prédictive d’une dépression hypothermie, convulsions
du postpartum. Plus généralement, la période du
Benzodiazépines ++ ++ quelques données suggè-
postpartum est une période à risque de rechute des anomalies de la voûte syndrome de sevrage : rent un retard développe-
troubles psychiatriques. palatine et bec de lièvre, hypotonie, irritabilité, mental
malformations cardiovas- diffıcultés à s’alimenter,
‚ Quels sont les risques pour le fœtus de la culaires et des membres hypothermie, apnées
prescription de psychotropes durant
la grossesse ? Sels de lithium ++ ++ ?
risque évalué à 0,1 % cyanose, hypothermie, Pas de séquelles
Classiquement on décrit plusieurs périodes (malformation cardiaque) hypertonie observées
concernant ce risque :
– durant la période initiale des deux premières Autres régulateurs +++ + ?
de l’humeur risque évalué à 0,5 à 1 % Pas de séquelles
semaines, avant que la grossesse ne soit connue,
de spina bifida pour la observées
l’effet toxique éventuel des médicaments se ferait carbamazepine et à 1 à
selon la loi du tout ou rien. Un produit très toxique 5 % pour l’acide
entraînera un avortement précoce, les effets valproïque
éventuels d’un produit moins toxique pourront être
compensés lors des divisions ultérieures de l’œuf ;
– durant la période embryonnaire (de j 15 à j 60),
le risque tératogène est maximal ; Les données sur les effets sur l’enfant à venir des éventuel manque de suivi pendant la grossesse,
– durant la période fœtale et périnatale, la principaux psychotropes sont mieux établies pour risque lié au vécu psychologique de la grossesse et
différenciation des principaux organes est réalisée à les psychotropes les plus anciens (tableau I). concernant l’investissement affectif de l’enfant à
l’exception des organes génitaux qui ne s’achève venir, risque d’évolution du trouble psychiatrique
qu’à la fin du quatrième mois. Des malformations ‚ Quelles sont les règles générales pendant le postpartum, etc. La décision de
sévères ne sont plus à craindre mais des effets de prescription des psychotropes prescription d’un traitement psychotrope doit, autant
toxiques sont possibles et peuvent être redoutables. pendant la grossesse ? que faire se peut, être prise en concertation avec la
Ils se manifesteront après la naissance ; Évaluer la nécessité du maintien ou de la patiente et avec le futur père. Cette évaluation,
– enfin, des effets à long terme ont été suspectés prescription de psychotropes pendant la grossesse souvent difficile, ainsi que le choix éventuel du
© Elsevier, Paris

avec les psychotropes : troubles parkinsonniens impose d’évaluer les risques encourus par le fœtus psychotrope doit être l’objet d’un avis spécialisé.
éventuels avec les neuroleptiques, « tératogenèse du d’une part et les risques encourus par la mère (et Lorsque la décision est d’initier ou de poursuivre
développement » (retard psychomoteur, instabilité, secondairement par le foetus) en cas d’évolution un traitement psychotrope, il est recommandé
retard intellectuel) dont la mise en évidence est non traitée de son trouble psychiatrique : risque d’utiliser les doses efficaces les plus faibles pendant
particulièrement difficile. suicidaire ou de conduites à risque, risque lié à un la période nécessaire la plus brève. Cependant, en

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7-0240 - Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse

raison de modification du métabolisme pendant la d’interrompre le traitement au moins pendant le donc être particulièrement rapprochée dans les
grossesse, il peut être nécessaire d’augmenter les premier trimestre de la grossesse. Le traitement semaines qui suivent l’accouchement (et jusqu’à un
posologies par rapport aux doses habituelles. Enfin, médicamenteux peut alors être remplacé par un an après).
sauf exception, on optera pour une monothérapie. traitement psychothérapique. Lorsqu’un antidépresseur a été introduit pendant
Lorsque les symptômes dépressifs sont d’intensité la grossesse et surtout si la patiente a des
‚ Qui doit assurer le suivi de la patiente modérée à sévère ou si le trouble dépressif persiste antécédents dépressifs, il est recommandé de
pendant la grossesse ? après le premier trimestre, l’utilisation d’un poursuivre le traitement antidépresseur pendant
Chez une patiente stabilisée, si la décision de traitement médicamenteux est préconisée. Les toute la grossesse et après l’accouchement afin de
maintien du traitement est du ressort du psychiatre, antidépresseurs tricycliques et certains inhibiteurs de prévenir le risque de dépression du postpartum.
le suivi peut être assuré au moins partiellement par la recapture de la sérotonine peuvent être utilisés. La Dans le cas d’une patiente ayant des antécédents
le généraliste. Il nécessitera alors une étroite règle de la prescription en monothérapie de dépression majeure récurrente ou de dépression
collaboration avec le psychiatre d’une part et (antidépresseur seul) est fortement recommandée. du postpartum, la réintroduction d’un antidépresseur
l’obstétricien d’autre part. La surveillance de la rapidement après l’accouchement, voire durant le
pathologie psychiatrique devra être particulièrement troisième trimestre de la grossesse est recom-
attentive à la recherche de signes précurseurs de Antidépresseurs préconisés dans le cas mandée par certains auteurs.
rechute, et en veillant à la bonne tolérance d’une dépression nécessitant un
maternelle et fœtale du traitement. Le suivi
‚ Troubles bipolaires
traitement psychotrope
obstétrical devra être assuré dans un service ✔ Dans la mesure du possible, Dans quelles situations faut-il poursuivre
hospitalier spécialisé et comportant un service de un traitement par le lithium
différer le traitement au deuxième
réanimation néonatale. Il justifiera souvent la pendant la grossesse ?
prescription d’examens complémentaires
trimestre de la grossesse.
✔ Choisir parmi les antidépresseurs L’évolution des troubles bipolaires pendant la
supplémentaires (échographie, monitoring fœtal...) à
ceux pour lesquels les données sont grossesse est mal connue. En revanche, la période
ceux d’une grossesse banale. Une rechute de la
du postpartum (et jusqu’à 12 mois après
maladie psychiatrique pendant la grossesse ou au les mieux établies :
l’accouchement) est une période à risque majeur de
cours de la période puerpérale nécessite un avis – soit un tricyclique : par exemple, rechute (le risque est multiplié par 8 pendant le
spécialisé et impose le plus souvent une clomipramine (Anafranilt) ou premier mois).
hospitalisation et un traitement en urgence. Une désipramine (Pertofrant) moins Lorsqu’une patiente bipolaire sous lithium
consultation psychiatrique sera systématique dans
hypotenseur que la clomipramine ; envisage une grossesse, l’évaluation de la nécessité
les suites immédiates de l’accouchement afin de
vérifier l’absence de rechute dans cette période à
– soit un inhibiteur de la recapture de du maintien de son traitement prophylactique doit
la sérotonine : plutôt la fluoxétine être réalisée par la patiente, son conjoint et le
haut risque.
(Prozact) pour lequel on a le plus de psychiatre. Les attitudes préconisées sont les
Dans le cas d’une décompensation psychiatrique
suivantes :
durant la grossesse, posant le problème de la mise recul.
– chez une femme ayant fait des épisodes
en route éventuelle d’un traitement psychotrope et ✔ Un cas particulier est celui d’une dépressifs ou maniaques isolés entrecoupés de
de la prise en charge du trouble psychiatrique, un patiente poursuivant un traitement longues périodes normothymiques, le lithium doit
suivi spécialisé est nécessaire jusqu’à la rémission antidépresseur pour une dépression être arrêté avant le début de la grossesse. Compte
des symptômes et l’obtention d’une bonne d’intensité faible à modérée et tenu d’un risque élevé de rechute à l’arrêt de la
stabilisation. Un relais peut alors être pris par le
souhaitant poursuivre le traitement lithiothérapie, surtout lorsque le traitement est arrêté
généraliste, la consultation du postpartum restant
durant la période de conception : si brutalement, un arrêt progressif sous surveillance
nécessaire.
son antidépresseur a une demi-vie
courte, le poursuivre, sinon opter Règles de surveillance obstétricale


Règles générales de conduite pou un antidépresseur à demi-vie durant une grossesse sous régulateurs
en fonction de la pathologie courte (parmi les inhibiteurs de la de l’humeur
recapture de la sérotonine, choisir la ✔ Dans le cas d’un traitement par
‚ Troubles dépressifs majeurs sertraline ou la paroxétine sels de lithium pendant le premier
(Deroxatt) plutôt que le Prozact. Le trimestre de la grossesse, une
Dans quelles situations faut-il prescrire traitement est alors interrompu dès échocardiographie fœtale entre la
des antidépresseurs ? le début de la grossesse. seizième et la dix-huitième semaine
D’après des études récentes, la grossesse ne de grossesse doit être réalisée à la
semble pas être un facteur protecteur de dépression recherche d’une malformation
comme on l’a longtemps supposé. Il est donc Dans le cas d’une dépression sévère (présence
d’idées suicidaires envahissantes, d’idées délirantes, cardio-vasculaire (Maladie de
important d’observer un suivi psychiatrique régulier
d’une anorexie sévère), une hospitalisation Ebstein).
des femmes enceintes ayant des antécédents de
dépression. d’urgence en milieu spécialisé s’impose. En milieu ✔ Dans le cas d’un traitement par
L’indication d’un traitement antidépresseur lors de hospitalier, on pourra opter soit pour un traitement carbamazépine (Tégrétolt) ou acide
la survenue d’une dépression pendant la grossesse médicamenteux, soit pour des électrochocs. valproïque (Dépamidet et
dépend en grande partie de la sévérité de la Dépakinet) certains auteurs
Combien de temps faudra-t-il poursuivre
maladie. Bien qu’il n’y ait pas de risque tératogène recommandent une administration
le traitement ?
élevé avec la plupart des antidépresseurs, à quotidienne de folates (4 mg/j)
l’exception des inhibiteurs de la mono-amine- Là encore, l’attitude dépendra du degré de quatre semaines avant la conception
oxydase (IMAO), les femmes enceintes préfèrent ne sévérité de l’état dépressif, du moment où
et jusqu’à la fin du premier trimestre
pas prendre de traitement pendant leur grossesse l’antidépresseur a été introduit et du degré
lorsque les symptômes sont peu sévères. Lorsque la d’amélioration de l’état dépressif (rémission rapide
(MRC Vitamin Study Research
patiente ne présente pas d’antécédent dépressif, une de tous les symptômes ou non). Les femmes ayant Group, 1991). D’autre part, il est
surveillance étroite et une prise en charge des antécédents dépressifs ont un risque élevé de recommandé d’effectuer une
psychothérapique pourra être alors proposée. Chez dépression du postpartum (25 %). De même, la surveillance ultrasonographique
des patientes débutant une grossesse sous survenue d’un état dépressif pendant la grossesse foetale entre la seizième et la dix-
antidépresseur et présentant des antécédents est hautement prédictive d’une dépression du neuvième semaine de gestation.
dépressifs modérés, il est recommandé postpartum. La surveillance psychiatrique devra

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Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse - 7-0240

rapprochée est conseillé avant l’arrêt de la ‚ Troubles anxieux et névrotiques d’une fréquente absence de suivi obstétrical pendant
contraception. La lithiothérapie doit être si possible l’épisode délirant. Une hospitalisation en milieu
interrompue pendant toute la grossesse. Si une Trouble panique spécialisé s’impose.
rechute intervient, le lithium peut être réintroduit à Lorsque les symptômes délirants sont modérés et
partir du second trimestre ; L’évolution d’un trouble panique pendant la apparaissent chez une femme sans antécédents
grossesse est variable. Certaines études ont psychotiques, il est conseillé d’éviter de prescrire des
– chez une femme ayant un trouble bipolaire
démontré que la grossesse était un facteur médicaments antipsychotiques pendant le premier
sévère, avec un risque important de rechute à l’arrêt
protecteur du trouble, d’autres un facteur aggravant. trimestre de la grossesse. Si le délire persiste après le
du lithium, et désirant une grossesse, il est Lorsqu’une femme traitée pour un trouble panique premier trimestre, un traitement neuroleptique sera
recommandé d’arrêter temporairement la désire une grossesse, il est recommandé de diminuer introduit à partir du second trimestre
lithiothérapie pendant la période de l’embryo- progressivement le traitement médicamenteux À l’inverse, chez des patientes suivies pour une
genèse, c’est-à-dire entre la quatrième et la jusqu’à son arrêt et de le remplacer par une thérapie psychose chronique et rechutant régulièrement à la
douzième semaine d’aménorrhée. En cas de rechute, cognitivo-comportementale. Si la tentative de suite d’une réduction du traitement ou d’une
le lithium doit être réintroduit associé ou non à un sevrage échoue, il est possible de réintroduire un mauvaise observance, il est recommandé de
autre psychotrope ; antidépresseur tricyclique ou sérotoninergique poursuivre le traitement neuroleptique avant et
– chez une femme présentant un trouble (fluoxétine) ou une benzodiazépine. Les tricycliques pendant la grossesse. Le maintien du traitement
bipolaire très sévère rendant la lithiothérapie sont le traitement de choix du trouble panique pendant la grossesse permettra d’éviter d’exposer le
indispensable, le traitement par le lithium peut être pendant la grossesse. Chez une femme présentant fœtus à des doses plus élevées de neuroleptiques
maintenu. un trouble panique sévère nécessitant un traitement nécessaires en cas de rechute. Le traitement
permanent, le traitement médicamenteux sera neuroleptique doit être maintenu pendant et après
La poursuite de la lithiothérapie lors d’une
poursuivi pendant la grossesse. l’accouchement en raison d’un risque de
grossesse, ses avantages et ses risques, doivent être
discutés avec la patiente et son conjoint. Ils doivent décompensation accru pendant le post-partum.
Troubles obsessionnels-compulsifs


être informés du risque plus élevé de malformation
cardiovasculaire (Maladie d’Ebstein) et de la nécessité Certaines femmes débutent un trouble Conclusion
d’une surveillance fœtale. obsessionnel-compulsif lors de leur première
grossesse. Selon certains auteurs, jusqu’à la moitié
Qu’en est-t-il des autres régulateurs des patientes ont présenté leurs premiers Un traitement psychotrope peut être maintenu
de l’humeur ? symptômes au cours de leur première grossesse. Ces chez une femme enceinte ou désirant une grossesse
troubles doivent être traités de préférence par des si ce traitement est indispensable, c’est-à-dire si les
L’exposition à d’autres thymorégulateurs moyens psychothérapiques (thérapie cognitive) risques de rechute de la pathologie psychiatrique
(carbamazépine ou acide valproïque) pendant le plutôt que médicamenteux au cours du premier maternelle non traitée sont majeurs. Plusieurs études
premier trimestre de la grossesse est associée à un trimestre. En cas d’échec des traitements ont confirmé la possibilité d’un effet tératogène,
risque plus élevé d’anomalie du tube neural (liée en psychologiques ou de formes graves de la maladie, mais faible, des psychotropes. Par conséquent, la
partie à une diminution des folates maternelles). un traitement médicamenteux par fluoxétine poursuite d’un traitement lors d’une grossesse
L’utilisation des doses efficaces les plus basses réduit (Prozact) ou clomipramine (Anafranilt) est indiqué. (surtout pendant le premier trimestre) impose
le risque de spina bifida. Le second a l’inconvénient d’aggraver l’hypotension d’avertir la patiente de l’existence d’un risque de
orthostatique pendant la grossesse. tératogénicité et d’assurer la surveillance maternelle
Les règles proposées pour le traitement par les
et foetale nécessaire.
sels de lithium peuvent s’appliquer dans ce cas.
Quelle que soit la décision prise par la patiente et
‚ Schizophrénie et délires chroniques
Il ne semble par ailleurs pas justifié, compte tenu son psychiatre, de maintenir ou non un traitement
des risques respectifs des différents thymorégula- L’apparition d’un syndrome délirant pendant la psychotrope, il est recommandé d’assurer une
teurs, de substituer un traitement à un autre chez grossesse est une urgence médicale et obstétricale surveillance et un suivi psychiatrique attentifs tout au
une patiente stabilisée et ayant un projet de en raison des risques majeurs de comportements long de la grossesse et dans le postpartum qui sont
grossesse. impulsifs, dangereux pour la mère et l’enfant, et des périodes à risque important de rechute.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant.


Christine Passerieux : Praticien hospitalier.
Service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier et C Passerieux. Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0240, 1998, 3 p

Références

[1] Altshuler LL, Cohen L, Szuba MP, Burt VK, Gitlin M, Mintz J. Pharmaco- [3] Saulnier JL, Maurain C. Médicaments, grossesse et allaitement. Aide à la
logic management of psychiatric illness during pregnancy : dilemmas and guid- prescription des médicaments chez la femme enceinte ou allaitant. Liège : Sidem,
lines. Am J Psychiatry 1996 ; 153 : 592-606 1987

[2] Lagier G, Bouchez S. Lithium et grossesse. In : Gay C ed. Pratiques de la


lithiothérapie. Consensus et contreverses. Paris : Doin, 1997 : 61-67

3
7-0227
7-0227

Refus de soins psychiatriques


Encyclopédie Pratique de Médecine

N Gluck-Vanlaer

E n pathologie psychiatrique, le praticien se retrouve fréquemment confronté au refus des soins de la part du
patient, généralement peu conscient de la nature et de la gravité de ses troubles. Cependant, en raison de la
nature même des troubles, qui altèrent le jugement du malade, le médecin ne peut se contenter d’entériner son refus
par respect du libre arbitre sous peine de non-assistance à personne en danger (danger pour le patient lui-même,
mais aussi pour son entourage).
Quand les troubles psychiques sont graves, intenses et/ou aigus, se pose le problème de l’hospitalisation sous
contrainte en milieu psychiatrique.
© Elsevier, Paris.


consent dans l’immédiat, qu’il ne risque pas de partie du personnel soignant de l’établissement
Troubles psychiatriques graves changer d’avis dans les heures qui suivent). d’accueil et d’avoir réellement rencontré le malade
L’évaluation de la dangerosité potentielle se fait au moment de la demande. Le tiers peut ainsi être
sur les comportements manifestes du patient : un ami, un voisin, un curateur, une assistante sociale,
Il s’agit principalement des accès délirants aigus discours suicidaire, incohérent ou menaçant pour y compris celle de l’hôpital, car elle n’est pas
(bouffée délirante, poussée processuelle de autrui, troubles de comportement à type de considérée comme faisant partie des soignants au
schizophrénie) et des troubles graves de l’humeur tentatives de suicide, fugues, voyages pathologiques, sens strict du terme. Ces possibilités sont précieuses
(accès maniaque, mélancolie). Plus rarement le violences sur l’entourage, achat d’armes, conduites car les malades mentaux sont souvent isolés, voire
problème se pose devant un délire paranoïaque, dangereuses (au volant, dans la maison, au travail). rejetés par leur milieu familial.
une pharmacopsychose, un alcoolique dangereux. On prend également en compte les antécédents de Il est généralement nécessaire de rassurer le tiers
passages à l’acte du patient. en lui expliquant bien le cadre juridique de l’HDT et
‚ Évaluation de la dangerosité
en lui précisant qu’il ne porte pas seul la
‚ Hospitalisation sous contrainte
La première étape est diagnostique et comporte responsabilité de l’hospitalisation, puisque le
une évaluation de la dangerosité. Une fois établie la nécessité d’intervenir pour médecin doit aussi s’engager par un certificat, qu’à
Le diagnostic est parfois aisé, quand le médecin hospitaliser le patient contre son gré, il convient d’en l’hôpital, le patient sera réexaminé par un spécialiste
se trouve devant un malade exprimant organiser le processus. Deux modes d’hospitalisation qui devra confirmer le bien-fondé de la procédure,
spontanément son délire, pour lequel des sous contrainte existent : l’hospitalisation à la qu’il pourra à tout moment demander la levée de la
antécédents similaires sont connus, voire une notion demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office mesure s’il estime qu’elle n’est plus justifiée, et qu’il
de rupture de traitement. (HO). ne doit pas craindre la rancune du patient qui, après
Le problème est plus complexe lorsque le patient des soins adaptés, reconnaît généralement
Hospitalisation à la demande d’un tiers
est mutique, réticent, ou qu’il dissimule son trouble volontiers qu’il en avait besoin, enfin, que vu l’état
lors de l’examen. La procédure d’HDT est justifiée lorsque le malade du patient, les soins sont indispensables et que cette
présente un trouble psychique qui, selon les termes mesure est donc une nécessité ; il faut lui expliquer
Enfin, parfois, les troubles sont rapportés par
définis dans l’article L-333 de la loi du 27 juin 1990, également que l’établissement de la demande ne lui
l’entourage, mais le malade refuse l’entretien. Le
« rend impossible son consentement », et « impose impose pas d’autres responsabilités, comme de
médecin doit alors interroger très soigneusement les
des soins immédiats assortis d’une surveillance prendre en charge ensuite le patient ou se porter
différents membres de l’entourage pour former une
constante en milieu hospitalier ». garant de ses dettes.
hypothèse diagnostique, et doit également
rassembler le maximum de documents (écrits Les documents suivants doivent être fournis :
La demande (tableau I) doit être entièrement
bizarres du malade, comptes rendus de traitements – demande d’admission faite par le tiers ;
rédigée à la main sur papier libre, elle doit
antérieurs) avant d’envisager une action concertée – deux certificats médicaux ;
comporter les nom, prénom, profession, date de
au cours de laquelle il entrera en contact avec le – une pièce attestant l’identité du patient
naissance et domicile du patient et du demandeur,
malade afin de confirmer le diagnostic et, dans un ¶ Demande d’admission ainsi que la nature de leur relation (degré de parenté,
même temps, de l’amener à l’hôpital. Elle est généralement faite par un membre de la par exemple). La demande sera datée et signée, avec
mention du lieu de rédaction, elle est ainsi valable
© Elsevier, Paris

Outre le repérage des symptômes psychiatriques famille mais, lorsque cela est impossible (absence de
et la réflexion sur le cadre nosographique auquel on famille ou désir de celle-ci de ne pas s’impliquer 15 jours. Le demandeur doit également être en
doit les rattacher, il importe de vérifier que ces juridiquement, même si elle souhaite l’hospitalisation mesure de fournir une pièce attestant de son
troubles altèrent le jugement du patient et le du malade), toute personne agissant dans l’intérêt identité, dont le numéro sera noté en référence sur la
rendent incapable de consentir aux soins (ou, s’il du malade peut la faire à condition de ne pas faire demande.

1
7-0227 - Refus de soins psychiatriques

Tableau I. – Modèle de demande de tiers. En cas d’urgence, il peut être difficile Le médecin généraliste face à la
Je soussigné M X, né le..., demeurant..., profes- de réunir deux médecins. La loi procédure d’HDT
sion..., demande, en ma qualité de... (père, ami...), prévoit « à titre exceptionnel, en cas de
l’admission de M Z, né le..., demeurant..., profes- Lorsque le médecin est appelé par un
péril imminent pour la santé du
sion..., à l’hôpital de Y, selon les termes de l’arti- membre de l’entourage auprès d’un
cle L-333 du code de la Santé publique.
malade dûment constaté par le
patient manifestant des troubles
Fait à..., le... médecin » la possibilité d’effectuer une
psychiques sévères avec refus de soins,
Signature HDT d’extrême urgence avec un seul
il doit :
certificat médical, qui peut même
✔ examiner le malade le plus
émaner d’un médecin de l’hôpital
complètement possible afin
Tableau II. – Certificat médical d’HDT. receveur. Le certificat doit alors être
d’éliminer une étiologie organique,
complété par la mention : « Cet état
Je soussigné Dr X certifie avoir examiné ce jour de réunir les éléments de la
constitue un péril imminent pour la
M Y, né le..., demeurant..., profession..., et avoir sémiologie psychiatrique, d’établir
constaté ce qui suit : il présente un état... (d’agi- santé de M X et impose son
les risques prévisibles pour le patient
tation extrême, de prostration...), il dit..., il fait... hospitalisation selon les termes de
En conséquence, son état nécessite des soins im- et pour autrui (dangerosité, degré
l’article L-333-2 du code de la santé
médiats assortis d’une surveillance constante en d’urgence), dont l’existence va
milieu hospitalier, soins auxquels il n’est pas à publique. » La demande du tiers est en
déterminer la nécessité de la
même de consentir. Son état impose donc son ad- revanche toujours indispensable et ne
procédure, de constater le refus de
mission selon les termes de l’article L-333 du diffère pas du cas précédent.
code de la Santé publique. soins du patient ;
Fait à..., le... ✔ exposer à l’entourage ses
Signature conclusions et expliquer la nécessité
d’une hospitalisation en psychiatrie
HDT : hospitalisation à la demande d’un tiers.
¶ Réalisation du placement malgré la réticence du patient ;
En pratique, elle n’est pas envisagée par la loi. Le ✔ faire rédiger au tiers demandeur sa
personnel de l’hôpital n’est pas tenu d’intervenir, de demande écrite. Pour cela il est
même que les pompiers, la police ou la gendarmerie. généralement nécessaire d’expliciter
¶ Certificats médicaux C’est théoriquement au demandeur qu’il incombe le cadre juridique de l’HDT afin de
Deux certificats médicaux concordants, pouvant d’amener le malade à l’hôpital. Dans certains cas, en rassurer le tiers ;
émaner de tout médecin, spécialiste ou non, sont effet, il est possible, avec l’aide d’un service ✔ établir le premier certificat médical
nécessaires. En revanche, ils ne doivent pas être d’ambulance, de transférer directement le patient à d’HDT, ou le certificat d’HDT
parents ou alliés au quatrième degré inclusivement, l’hôpital, en particulier lorsque le médecin connaît d’extrême urgence le cas échéant.
ni entre eux, ni du patient, ni du demandeur, ni du bien le patient et parvient, par persuasion, à lui ✔ prendre contact avec l’hôpital
directeur de l’hôpital receveur. Le premier certificat administrer un sédatif. Dans d’autres cas, la pratique receveur pour préparer l’arrivée du
doit émaner d’un médecin n’exerçant pas dans est plus difficile : le malade est très agité ou barricadé patient et vérifier qu’un médecin de
dans un lieu dont personne n’a la clef... Le médecin
l’hôpital receveur, le deuxième, par contre, peut être l’hôpital pourra établir le deuxième
peut alors se faire aider de l’équipe du secteur
rédigé par un médecin de l’hôpital, mais, dans ce cas, certificat. Dans le cas contraire, il
psychiatrique dont dépend le patient. Il peut aussi
il ne pourra pas rédiger le certificat de 24 heures. s’enquerra, avec l’accord du tiers,
conseiller à la famille de faire appel à la police en
Le certificat doit comporter l’identité du médecin d’un confrère susceptible de l’établir
invoquant le danger couru par le patient (car seul un
et attester qu’il a examiné effectivement le malade (confrère généraliste, urgentiste,
officier de police pourra légalement donner accès au
au jour dit. Il doit ensuite indiquer « l’état mental et
patient si celui-ci est enfermé chez lui), il faudra
psychiatre du secteur concerné, ou
les particularités de la maladie », c’est-à-dire décrire
ensuite avoir prévu le déroulement des opérations
psychiatre traitant le cas échéant) ;
les symptômes constatés par le médecin (et non en coordonnant l’intervention des forces de l’ordre ✔ organiser le transport du patient
rapportés par l’entourage s’il ne les a pas lui-même avec la présence du demandeur, du médecin et du vers l’hôpital (ambulance, aide
vérifiés), en insistant sur ceux qui attestent de sa transporteur. éventuelle du secteur psychiatrique,
déraison et de la perturbation de son jugement, ainsi
Lorsque le médecin est appelé directement par un de la police) ;
que de sa dangerosité potentielle (exemple : « M X patient isolé pour une raison quelconque et qu’il ✔ administrer, si besoin, un sédatif
me dit être le fils de Dieu et exprime son désir de constate des troubles imposant l’HDT, il doit en outre (neuroleptique sédatif, injectable le
sacrifier sa vie ainsi que celle des membres de sa s’enquérir d’un tiers potentiel (interroger le patient plus souvent, type Loxapact...) afin
famille, qu’il appelle ses apôtres, pour sauver le sur sa famille, tenter d’en obtenir les coordonnées, de permettre de bonnes conditions de
genre humain », ou bien : « Mme Y se dit victime de contacter le secteur psychiatrique, l’assistante sociale transport.
tentatives d’empoisonnement qu’elle combat en ne de circonscription...). Lorsque rien de cela n’est
se nourrissant que de pain et de café soluble, régime possible et que la dangerosité potentielle est forte, il
qu’elle applique également à son enfant mineur »). peut également alerter le maire de la commune
En revanche, il n’est pas nécessaire de faire mention et/ou le préfet avec un certificat médical en vue
d’un diagnostic. La rédaction d’un tel certificat est d’une procédure d’HO.
commissaires de police) peut ordonner provisoi-
une des dérogations légales au secret professionnel.
rement l’hospitalisation en cas de danger imminent
Le certificat doit faire état de la nécessité d’une Hospitalisation d’office
« attesté par un avis médical ou, à défaut, par la
hospitalisation sans consentement du malade, il est
La procédure d’HO est réservée aux malades dont notoriété publique » (un certificat médical n’est donc
lui aussi valable 15 jours (tableau II).
« les troubles mentaux compromettent l’ordre public pas absolument indispensable au départ). Le maire a
¶ Pièce attestant de l’identité du malade ou la sûreté des personnes ». obligation d’en référer au préfet dans les 24 heures,
Elle est théoriquement nécessaire, mais son Elle est ordonnée par le préfet (à Paris, par le à charge pour lui de prononcer ou non un arrêté
absence ne doit pas entraver la procédure en cas préfet de police). Cependant, le maire de la définitif, faute de quoi les mesures provisoires sont
d’urgence. commune où se déroulent les faits (à Paris, les caduques après 48 heures.

2
Refus de soins psychiatriques - 7-0227

L’arrêté préfectoral doit être motivé par l’existence


de troubles mentaux, il se fonde pour cela sur un Tableau III. – Certificat médical en vue d’une hospitalisation d’office.
certificat médical qui ne peut émaner d’un psychiatre Je soussigné Dr X certifie avoir examiné ce jour M Y, né le..., demeurant..., profession..., et avoir constaté ce
de l’établissement d’accueil (mais cela peut être un qui suit : il présente un état... (décrire les troubles et la dangerosité).
médecin non-psychiatre de l’établissement d’accueil, En conséquence, M Y présente des troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et/ou pour autrui
si celui-ci en comporte). En pratique, n’importe quel et doit donc être admis en hospitalisation d’offıce dans un établissement régi par la loi du 27 juin 1990, se-
lon les termes de l’article L-343 du code de la Santé publique.
médecin peut être requis par le préfet pour examiner Fait à..., le...
un patient pour lequel se pose le problème d’une Signature
HO. N’importe quel médecin constatant des troubles
graves chez un patient, qui lui paraissent relever
d’une HO, peut adresser un certificat au préfet, rendu l’hospitalisation nécessaire ». Il faut donc que pour lesquels l’entourage se dérobe généra-
charge à lui de prendre la décision qui s’impose. le médecin dans son certificat, outre la description lement à la demande d’HDT par crainte de
Lorsque l’entourage interpelle le médecin au sujet des symptômes attestant d’un trouble mental, représailles ultérieures (ceci est plus rarement le
d’un patient auquel le médecin ne peut avoir précise les éléments cliniques de dangerosité qu’il cas pour les bouffées délirantes, les maniaques
directement accès, il ne peut que leur conseiller de repère (tableau III). délirants, et même pour beaucoup de
signaler au maire ou au préfet la situation en schizophrènes, qui éprouvent une réelle
question. L’arrêté préfectoral doit être également En pratique, relèvent d’une HO essentiellement amélioration sous traitement et conviennent
motivé par la dangerosité du patient et doit des troubles délirants avec passage (ou fort risque volontiers ultérieurement que l’hospitalisation
« énoncer avec précision les circonstances qui ont de passage) à l’acte (héboïdophrénie, paranoïa...), était nécessaire).

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Refus de soins psychiatriques.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0227, 1998, 3 p

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7-0230

Risque iatrogène des médicaments


Encyclopédie Pratique de Médecine

psychiatriques : existe-t-il ?
Y Sarfati


somnolence n’est pas un effet secondaire propre
Introduction Quelques règles permettent de limiter aux médicaments psychiatriques (exemple :
l’apparition de l’accoutumance et de antihistaminiques).
l’assuétude. Les patients (ou leur entourage) ont fréquemment
Les médicaments psychiatriques ont parfois ✔ Prescription de durée brève. l’idée qu’un traitement psychotrope anéantit toute
mauvaise presse. Ils sont tour à tour accusés de ✔ Plus faible posologie efficace. réactivité et empêche d’assurer les activités
favoriser une forme d’aliénation, de devoir être pris à ✔ Pas d’association de habituelles et le travail. Il s’agit d’une crainte
vie, d’engendrer des effets secondaires invalidants, benzodiazépines. irrationnelle. Cette crainte est nourrie par des images
de provoquer des troubles des fonctions supérieures. ✔ Rappel préalable de la nécessité du et des fantasmes qui ont différentes origines
Aucune de ces critiques n’est tout à fait vraie, aucune respect des doses et de la durée. historiques : anciens traitements barbituriques,
n’est tout à fait fausse. Mais les mauvais procès sont ✔ Information du patient sur les « cures de sommeil », hospitalisations répressives,
fréquents. Nous souhaitons dans ce chapitre faire la risques d’une dépendance. « camisole chimique » etc. Le cinéma et le courant
part des choses, et examiner les responsabilités ✔ Non-renouvellement systématique antipsychiatrique se sont fait les relais de cette image
respectives des différentes classes de médicaments d’une psychiatrie qui rend les patients « des
d’ordonnance.
psychiatriques dans les critiques qui leurs sont faites. légumes », selon l’expression populaire. Le médecin
✔ Prescription d’anxiolytiques ou
prescripteur doit reconnaître ces craintes chez son
d’hypnotiques non benzodiazépiniques
patient, car le moindre doute de la part de celui-ci


si un traitement prolongé est
risque de compromettre l’observance de son
Ce qui est faux : les idées reçues nécessaire.
traitement. Il faut expliquer clairement le rapport
✔ Traitement de fond du trouble bénéfice à long terme-effets secondaires à court
motivant la prescription terme, pour lever la réticence du patient.
‚ Les psychotropes induisent d’anxiolytiques ou d’hypnotiques. Les troubles de la concentration, l’avolition,
une dépendance
l’inhibition, le ralentissement, ne sont pas des effets
Les psychotropes induisant une dépendance Il s’agit d’une symptomatologie clinique suivant de des traitements psychotropes. Ils sont la
physique sont rares. La croyance selon laquelle quelques jours l’interruption brutale de conséquence de la maladie (schizophrénie,
débuter un traitement médicamenteux psychiatrique l’antidépresseur associant : dépression, anxiété) pour laquelle ils sont prescrits.
c’est « mettre le doigt dans un engrenage sans fin » – vertiges ;
est fausse. Les psychotropes bien prescrits, avec une – troubles sensoriels ;
bonne collaboration du patient, n’entraînent pas – troubles du sommeil ;
Le patient a tendance à mettre sur le
plus de dépendance que toute autre chimiothérapie. – agitation ; compte des médicaments psychiatriques
Les psychotropes susceptibles d’engendrer une – anxiété ; des symptômes qui sont en fait dus à
dépendance sont essentiellement les benzodiazé- – nausées ; son trouble psychiatrique.
pines. Toutefois, la survenue de cette dépendance – sudation.
peut être tout à fait évitée par le respect des Devant ces signes, une réintroduction du produit
‚ Les psychotropes altèrent la mémoire
références médicales opposables et l’information du est conseillée, suivie d’une interruption progressive.
patient avant le début du traitement. Les remarques faites précédemment s’appli-
Exceptionnellement, certains antidépresseurs ‚ Les psychotropes empêchent quent : ce ne sont pas les antidépresseurs qui
peuvent induire une dépendance. Le plus de travailler et de se concentrer altèrent la mémoire, mais la dépression.
fréquemment (et presque le seul) incriminé est le Les tranquillisants, les neuroleptiques et les Une exception cependant : on sait bien,
Survectort, avec l’apparition possible d’une antidépresseurs, quel que soit leur type, peuvent désormais, que les benzodiazépines provoquent,
toxicomanie progressive. C’est pourquoi il faut provoquer une somnolence en début de traitement. surtout chez le sujet âgé, lorsqu’elles sont absorbées
déconseiller la prescription de ce produit aux Dans certains cas, cet effet peut être recherché au long cours et à fortes doses, une diminution des
patients ayant un terrain ou une appétence (mélancolies anxieuses, épisodes psychotiques performances mnésiques (amnésie antérograde).
toxicomaniaque. féconds ou états d’agitation), mais, hormis ces cas Certaines molécules ont été particulièrement
S’il est classiquement recommandé d’interrompre extrêmes nécessitant souvent une hospitalisation, la incriminées dans la survenue d’ictus amnésiques,
progressivement un traitement antidépresseur, c’est somnolence est considérée comme indésirable. La comme, par exemple, l’Halciont. C’est cette raison
pour prévenir d’éventuelles rechutes dépressives et plupart du temps, le patient (ou son entourage) s’en qui a conduit à en limiter la prescription dans le
non par crainte d’un phénomène de sevrage plaint. Cet effet sédatif est à la fois transitoire et temps (arrêté du 7 octobre 1991).
© Elsevier, Paris

(comme c’est le cas avec les benzodiazépines). dose-dépendant. Il est toujours possible de diminuer
Néanmoins, des réactions physiques sont toujours la dose du produit, et secondairement de ‚ Les psychotropes provoquent
des changements de personnalité
possibles à l’arrêt de certains traitements l’augmenter progressivement, par pallier, selon la
antidépresseurs (exemple : Deroxatt). Elles sont alors tolérance, jusqu’à la posologie minimale efficace. Il De façon très irrationnelle, certains patients
improprement appelées « phénomènes de sevrage ». faut l’expliquer au patient, en précisant que cette pensent que les médicaments psychiatriques

1
7-0230 - Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ?

auraient le pouvoir de toucher à l’intégrité et à la


stabilité de leur être, à leur personnalité. Cette idée Tableau I. – Effets indésirables des médicaments psychiatriques les plus fréquemment rencontrés
en pratique courante.
fait régulièrement l’objet de publications dans la
presse grand public. Effets indésirables Produits incriminés
Les produits antidépresseurs ont été plus souvent
Dystonies aiguës Neuroleptiques
incriminés que d’autres (exemple : Prozact). En fait, Syndrome extrapyramidal
les prétendus changements de personnalité sous
antidépresseurs sont à mettre sur le compte des Dyskinésies tardives Neuroleptiques
modifications du caractère intervenant après la Hypotension orthostatique Neuroleptiques
guérison d’un état dépressif. La personnalité n’est en Antidépresseurs tricycliques
rien remaniée, mais l’expression comportementale Hyperprolactinémie Neuroleptiques
de l’humeur se modifie.
Photosensibilisation Neuroleptiques
Le lithium a été également mis en cause dans
l’induction d’un changement de personnalité. Il Sécheresse de bouche Neuroleptiques
s’exprime généralement sous forme d’un Antidépresseurs tricycliques
émoussement affectif, d’une plus grande difficulté à Constipation Neuroleptiques
ressentir les émotions, d’une sorte de froideur et Antidépresseurs tricycliques
d’anesthésie désagréables. S’il ne s’agit pas à Nausées, vomissements Antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la séro-
proprement parler d’un « changement de tonine
personnalité », cet effet indésirable est parfois Lithium
suffisamment mal vécu (par le patient ou son Troubles de la fonction sexuelle : Antidépresseurs
entourage qui trouve ses réactions modifiées) pour - diminution de la libido
conduire à la diminution ou au changement de - retard à l’éjaculation
- anorgasmie
traitement.
Troubles de la conduction et du rythme cardiaque Antidépresseurs tricycliques
Lithium
Carbamazépine


Ce qui est vrai : les effets
indésirables

‚ Risques liés au terrain psychologique


Bouffées de chaleur
Sueurs profuses
Crises convulsives
Antidépresseurs tricycliques

Neuroleptiques
Antidépresseurs tricycliques
Lithium
Trouble conversif Tremblements Neuroleptiques
Antidépresseurs tricycliques
Toutes les études portant sur le traitement des Lithium
troubles conversifs montrent qu’il est important de Carbamazépine
ne surtout pas centrer la prise en charge sur le
Insuffısance rénale aiguë Lithium
symptôme, mais au contraire, de se soucier plutôt
des conditions psychosociales générales dans Hypothyroïdie Lithium
lesquelles se trouve le patient. Tout traitement ne Indifférence affective Lithium
prenant en compte que le symptôme conversif Diminution de la capacité à ressentir les émotions
aboutit au « renforcement » de ce symptôme.
Agranulocytose Carbamazépine
Dans ces conditions, plusieurs types de prises en Clozapine
charge ont montré leur efficacité, sans qu’aucune,
Hépatites cytolytiques Carbamazépine
d’ailleurs, ne montre de supériorité réelle par rapport Neuroleptiques
à une autre : psychothérapie d’inspiration
analytique, thérapie comportementale, thérapie Polyuropolydypsie Lithium
familiale, hypnose, etc. En revanche, le traitement Dépendance Benzodiazépines
médicamenteux (psychiatrique ou non) reste la pire Survectort
réponse à apporter au patient souffrant de troubles Troubles de la vigilance Benzodiazépines
conversifs, puisqu’il se centre sur le symptôme. Il
risque de chroniciser la plainte somatique en évitant Somnolence Antidépresseurs en début de traitement
au patient d’aborder tout problème d’ordre Troubles mnésiques Benzodiazépines
psychologique.
Désinhibition Benzodiazépines
Actes impulsifs ou automatiques
Somatisations sans lésions organiques

Erreurs à éviter face à une D’une manière générale, si la conviction d’une Personnalités hystériques
somatisation sans lésion organique somatisation est acquise, il devient important, même Certains patients (le plus souvent des femmes)
✔ Ne pas évoquer la nature si cela semble délicat ou difficile, d’informer le patient expriment une intolérance physique à tout
psychiatrique du trouble. du caractère psychiatrique du trouble, voire de la traitement médicamenteux psychiatrique (mais
✔ Empêcher ainsi le patient nécessité d’une prise en charge psychiatrique. La également aussi, souvent, à d’autres produits). Ces
d’exprimer verbalement les prescription « honteuse » de psychotropes est tout à patientes se plaignent d’effets secondaires
difficultés psychiques à l’origine fait néfaste, et risque d’induire des réactions nombreux dès qu’un psychotrope, quel qu’il soit,
de son symptôme. paradoxales aboutissant à une aggravation de la leur a été prescrit. Il s’agit alors d’effets à mettre sur
symptomatologie. le compte de la personnalité, souvent hystérique,

2
Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ? - 7-0230

et non sur celui des psychotropes. Quelques


arguments doivent faire évoquer cette hypothèse. Arguments devant laisser prévoir une intolérance à tout médicament psychiatrique.
Il est important de pouvoir reconnaître ces ✔ La patiente dit avoir eu tous les effets secondaires décrits sur les notices des
patientes, dans la mesure où il est, la plupart du traitements.
temps, inutile de tenter d’introduire de nouvelles ✔ La patiente se plaint de sensations non spécifiques et difficiles à rapporter au
molécules, qui sont tout aussi vouées à l’échec que traitement, tels que vertiges, nausées, brûlures, tremblements, douleurs
les précédentes. abdominales.
✔ Les effets sont décrits comme immédiatement consécutifs à la prise.
‚ Risques liés au produit ✔ Les effets peuvent être très invalidants, voire spectaculaires (perte de
connaissance, « crises de tétanie »).
Le tableau I résume les effets indésirables des ✔ La description de la plainte est souvent théâtrale (véritables allergies, douleurs
médicaments psychiatriques les plus fréquemment fulgurantes, brûlures envahissantes, etc).
rencontrés en pratique courante.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ?
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0230, 1998, 3 p

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3
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7-0280

Troubles sexuels et psychiatrie


Encyclopédie Pratique de Médecine

Y Sarfati

L es troubles sexuels peuvent être subjectifs (par exemple, manque de désir) ou objectifs (impuissance). Dans les
deux cas, ils peuvent faire l’objet de plaintes de la part du patient (sexopathie simple) ou de son partenaire
(sexopathie associée à une conjugopathie), et amener à consulter.
© Elsevier, Paris.


retentissement sur la vie affective du sujet.
Introduction Actuellement, la prévalence de 15 à 20 % de Le médecin généraliste, beaucoup plus
difficultés dans le déroulement de l’acte sexuel est que le psychiatre, peut être confronté à
celle retenue pour la population générale. une demande de son patient touchant
Il est extrêmement rare que le psychiatre soit Une étude italienne a réparti comme suit les à un trouble de la sexualité. Une telle
d’emblée sollicité, les patients souffrant de troubles étiologies des impuissances sur un échantillon de demande est souvent complexe et ne se
sexuels ayant toujours une tendance à mettre sur le sujets âgés de 23 à 60 ans et consultant en centre résume pas à un seul signe pour
compte de perturbations organiques leur déficit de spécialisé : un tiers ont une origine organique lequel il s’agirait de donner un simple
sexualité. C’est donc le plus souvent au médecin prouvée ; un tiers une origine psychogène quasi traitement symptomatique. La prise en
généraliste, à l’endocrinologue, à l’urologue ou au certaine ; un tiers ont une origine douteuse. Une charge du problème doit être globale
gynécologue que la souffrance est exprimée. autre enquête étiologique de 189 impuissances et commencer par une écoute
Deux types de difficultés se posent au médecin classe comme suit les causes d’impuissance : 1 = attentive, bienveillante et discrète. Une
sollicité. La première est celle de pouvoir conduire un iatrogène (25 %) ; 2 = psychique (14 %) ; 3 = fois éliminées les possibles étiologies
interrogatoire complet qui soit rigoureusement neurologique (7 %) ; 4 = urologique (6 %).
somatiques, le médecin devra prendre
informatif mais non indiscret. La seconde est celle de L’intrication avec le retentissement psychologique en compte l’ensemble des origines,
rattacher le trouble sexuel à une éventuelle de l’impuissance a été analysée. On a constaté que
mais aussi des conséquences,
pathologie plus générale. l’étiologie de l’impuissance influençait peu la façon
psychiatriques du trouble sexuel. C’est
À l’exception de l’éjaculation précoce, il est rare dont elle était vécue, et qu’une impuissance
que les troubles sexuels existent isolément. Ils
plus précisément aux particularités de
organique pouvait être tout aussi bien (ou mal)
peuvent être l’expression d’un dérèglement
cette prise en charge à l’interface de la
vécue qu’une impuissance psychogène. Sans qu’il y
biologique et être symptomatiques de troubles ait d’a priori sur le lien entre impuissance et trouble
psychiatrie et de la sexualité que ce
somatiques très divers, comme l’hypertension psychiatrique, on a constaté que, toutes étiologies
chapitre veut rendre compte.
artérielle ou le diabète, qu’il faudra toujours éliminer. confondues, un tiers des patients impuissants
Ils peuvent également être intriqués avec des n’avaient aucun retentissement psychologique, un
aux troubles cardiovasculaires = 1,5 million ; aux
difficultés psychologiques. Il peut s’agir d’une tiers souffraient d’un syndrome dépressif, et un
fractures pelviennes et rachidiennes = 400 000 ; aux
pathologie psychiatrique avérée, comme un trouble tiers de troubles anxieux.
traitements chirurgicaux (prostatectomies,
dépressif ou anxieux, un alcoolisme, voire, plus
‚ Entretien général colostomies, etc) = 650 000. Ces causes fréquentes
rarement, une schizophrénie. Ils peuvent aussi
d’impuissance doivent être détectées par le simple
révéler un conflit intrapsychique, des difficultés La forme de l’entretien que le médecin aura avec interrogatoire.
interpersonnelles, un état de stress important. Il son patient consultant pour troubles sexuels
s’agira donc de reconnaître ces différentes causes de Le tableau I rappelle les pathologies organiques
différera selon qu’une étiologie somatique sera ou se compliquant fréquemment de troubles sexuels.
troubles sexuels, afin de pouvoir les traiter ou non suspectée. Toute cause organique flagrante
orienter le patient. Elles sont à rechercher systématiquement.
devra être éliminée avant de pouvoir s’avancer sur
le terrain des « troubles psychogènes de la


Données générales concernant sexualité ». Un entretien bien mené prend du temps, Tableau I. – Pathologies organiques se compli-
la consultation en médecine mais il permettra d’épargner un nombre conséquent quant fréquemment de troubles sexuels.
générale pour troubles sexuels d’examens complémentaires.
Diabète
L’omnipraticien devra, comme toujours, exclure,
‚ Épidémiologie Insuffısance rénale
dans un premier temps (même si ce n’est jamais tout Hypertension artérielle
La plupart des études qui ont été menées dans le à fait avec certitude), les étiologies organiques les Hyperprolactinémie
domaine concernent l’impuissance masculine. Les plus probables, en fonction du terrain, du sexe, de Facteurs de risque vasculaire (hypercholestérolé-
mie)
© Elsevier, Paris

chiffres sont probablement sous-estimés, le médecin l’âge et des données médicales au sens large. À titre
Myélites
n’étant certainement consulté que dans un d’illustration, citons une étude américaine récente
Traumatismes rachidiens
pourcentage minime de cas. Lorsqu’une demande sur la prévalence de l’impuissance masculine Traitement chirurgical
est faite au médecin, le trouble est souvent déjà d’origine organique : le nombre d’Américains ayant Traitement radiothérapique
ancien, et a déjà eu des conséquences et un une impuissance secondaire au diabète = 2 millions ;

1
7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

de troubles psychiatriques graves. Chez ces sujets,


Tableau II. – Entretien préalable devant un trouble sexuel. une extrême prudence s’impose dans l’interroga-
Étape Objectifs En pratique toire : la question la plus anodine peut être mal
interprétée, et un interrogatoire intrusif peut
1 Mettre le patient à l’aise en début d’entretien Attitude dépourvue de tout jugement moral à décompenser une structure psychologique fragile.
propos de ses valeurs, pratiques et idées sur la
sexualité Au moindre doute, l’entretien concernant une
Discrétion, attention sexopathie dont la nature organique a été exclue
Être sensible à la gêne éprouvée par le patient doit être confié à un psychiatre.
Se satisfaire initialement de réponses métaphori- Il paraît raisonnable de procéder dans l’ordre qui
ques ou imagées (« c’est pas la joie... »)
Petit à petit, ne pas hésiter à solliciter des ren- est suggéré par le tableau II. L’entretien doit
seignements plus complets progresser souplement, d’abord afin de pouvoir
mettre le patient à l’aise, ensuite afin de repérer très
2 Connaître les diffıcultés actuelles Faire préciser le trouble qui motive la consulta-
tion vite l’existence d’un trouble psychiatrique qui suffirait
Le handicap est-il total ou partiel, durable ou à expliquer le trouble. (Il se peut, par exemple, qu’un
inconstant ? jeune schizophrène vienne consulter pour une
Fréquence, durée, intensité de l’acte sexuel simple plainte subjective en rapport avec sa
Quelle séquence de l’acte sexuel est affectée sexualité ; il semble alors inutile, voire dangereux,
Connaître le retentissement sur le couple
que l’interrogatoire aille au-delà de l’étape 6, voire 3.)
3 Évaluer l’existence d’une étiologie psychiatri- Existe-t-il : Il n’est pas nécessaire, si de forts arguments pour un
que avérée - un trouble grave de la personnalité ? trouble psychiatrique apparaissent évidents, de
- une dépresssion ?
poursuivre trop longtemps l’entretien. Il faudra alors
- un alcoolisme ?
- une psychose ? prendre garde à ne pas heurter le patient par un
- une toxicomanie ? interrogatoire trop bref qui pourrait lui faire croire
que sa souffrance est négligeable.
4 Savoir si le trouble est primaire ou secondaire Un trouble « primaire » existe depuis les tout
premiers rapports sexuels Un entretien bien conduit doit pouvoir aboutir à
Un trouble « secondaire » s’est installé secon- une vision suffisamment nette de la problématique
dairement à une période sans anomalie pour apprécier la gravité du trouble et permettre
5 Évaluer les répercussions sur le partenaire Partenaire indifférent ou satisfait d’aborder les propositions thérapeutiques.
Partenaire compatissant ou bienveillant
Partenaire revendicatif, humiliant ou menaçant


Éventuellement, entretien de couple
Aspects cliniques des troubles
6 Apprécier le type habituel de sexualité Type, fréquence des rapports sexuels psychiques
Masturbation
Moyen de contraception
Présence de relations extraconjugales
Degré d’intimité avec le partenaire habituel Il est traditionnel de classer les troubles sexuels
selon la séquence de l’acte sexuel qui se trouve
7 Faire un « historique » de la sexualité Type de relations sexuelles par le passé
altérée : désir, excitation, orgasme, résolution.
Situations de répétition
Sexualité au début de la relation actuelle Comme toute classification, celle-ci est arbitraire, les
Conduites à risque (transmission du VIH) troubles pouvant coexister.
8 Connaître la vision générale du couple Attentes prémaritales
Impact de la naissance des enfants ‚ Troubles du désir et du plaisir
Aspects satisfaisants ou frustrants de la vie de
couple Épidémiologie
9 Estimer le contexte socioéducatif Type d’éducation reçue La fréquence du trouble du désir sexuel est difficile
Modèle parental du couple à estimer pour deux raisons : d’une part, ce trouble
Enseignement religieux repose pour beaucoup sur une impression subjective
Sexualité fortement culpabilisée
Pratique de la masturbation d’insatisfaction de la vie sexuelle, d’autre part, il peut
« Éthique » concernant la sexualité bien souvent masquer un autre dysfonctionnement
de la sexualité.
10 Connaître les opinions générales sur la sexua- Opinions sur les relations extraconjugales, l’ho-
lité mosexualité, l’avortement On a évalué à 20 % de la population le nombre
Position par rapport au sida de sujets atteints d’une diminution du désir sexuel,
sans que cette diminution implique forcément une
notion pathologique. Plusieurs études indiquent que
‚ Spécificités de l’entretien rigueur et de façon plutôt systématique, un certain 8 à 33 % des couples stables disent avoir des
des troubles sexuels nombre de questions destinées à guider son relations sexuelles moins d’une fois par mois. Une
jugement diagnostique. L’entretien libre dans sa enquête britannique portant sur des sujets
Dans un deuxième temps, le médecin devra
forme, de type « psychothérapique », sans consultant en médecine générale montre que 25 %
conduire son interrogatoire en vue de préciser les
intervention du médecin est à proscrire tant qu’une des sujets n’ont aucune activité sexuelle la plupart du
aspects cliniques psychiques du trouble sexuel et de
hypothèse diagnostique n’a pu être émise. Toute la temps, sans forcément en souffrir.
détecter toute problématique d’ordre psychiatrique.
Nous évoquerons ici les particularités d’un difficulté réside dans la présentation sans a priori
des questions, le patient ne devant y sentir ni Clinique
entretien centré autour d’un trouble sexuel que l’on
soupçonne lié à une origine psychogène. Le jugement moral ni curiosité. Il faut distinguer la simple diminution du désir
tableau II résume les objectifs et les modalités d’un Chez les sujets qui ont une inhibition massive sexuel (hypoactivité transitoire) de l’aversion pour la
tel entretien. Il s’agit d’un entretien particulièrement vis-à-vis de la sexualité, les difficultés rencontrées sexualité (évitement persistant ou répété des
structuré, c’est-à-dire où le praticien doit poser, avec dans la réalisation de l’acte sexuel sont l’expression contacts génitaux).

2
Troubles sexuels et psychiatrie - 7-0280

‚ Troubles de l’excitation chez l’homme,


Tableau III. – Facteurs conjoncturels impli- impuissance Tableau V. – Arguments en faveur d’une ori-
qués dans des troubles sexuels secondaires. gine fonctionnelle de l’impuissance.
Épidémiologie
Surmenage professionnel ou chômage Pathologie organique absente ou négligeable
Stress important L’impuissance touche un français sur dix. Même Circonstances psychoaffectives favorables (infidé-
Conditions de vie diffıciles si le phénomène n’est pas strictement corrélé à lité, nouvelle partenaire, etc.)
Mésentente de couple Présence d’érections matinales (ou d’érections
l’avancée en âge, il est évident que les hommes automatiques obligatoires pendant les phases de
jeunes sont moins touchés que les vieux. L’âge sommeil paradoxal)
La diminution du désir sexuel, lorsqu’elle est charnière, où la peur anticipée de l’impuissance peut Érections possibles pour la masturbation
secondaire, transitoire et isolée de tout autre trouble devenir prévalente et induire une impuissance Impuissance sélective en fonction des partenaires
sexuel, est fréquemment la conséquence de facteurs fonctionnelle secondaire, semble être 40 ans.
conjoncturels (tableau III). Toutes les études retrouvent une incidence de
représenté, pendant très longtemps, que la seule
L’aversion pour la sexualité se décrit comme une l’impuissance avant 40 ans autour de 4 %. Les
forme possible de sexualité. Il n’existe pas
répugnance ou une phobie. Elle s’accompagne de chiffres retrouvés ensuite sont indexés sur l’âge :
d’antécédents de pollutions nocturnes ; la vie
stratégies actives pour éviter d’être confronté à une 40 % après 40 ans, 50 % après 50 ans, 70 % après
fantasmatique est pauvre et très désinvestie, que ce
relation sexuelle. Il n’est pas rare de retrouver des 70 ans, et 77 % après 80 ans.
soit en scénarios diurnes qu’en rêves nocturnes. Il
antécédents de traumatisme sexuel ou un trouble de Rappelons que les statistiques s’accordent pour
existe souvent des rationalisations (justifications),
la personnalité pouvant partiellement rendre dire que 20 à 50 % des impuissances ont une origine
sous forme de craintes hypocondriaques diverses,
compte du dégoût affiché de la sexualité (tableau IV). organique qui doit être recherchée.
une peur des maladies sexuellement transmissibles,
‚ Troubles de l’excitation chez la femme une crainte de l’échec ou du ridicule. Il peut
Clinique
également exister des préoccupations concernant la
Épidémiologie
¶ Impuissance psychogène : définition forme ou la taille du pénis.
Dans une enquête réalisée chez des couples L’impuissance (ou trouble de l’excitation, ou Le diagnostic psychiatrique que l’on peut évoquer
décrivant leur mariage comme heureux, 33 % des encore dysfonction érectile) se définit comme face à une impuissance primaire est la schizoph-
femmes décrivaient une difficulté à maintenir une l’incapacité récurrente ou prolongée de maintenir rénie. Néanmoins, ce diagnostic doit impérativement
excitation sexuelle satisfaisante lors de leurs partiellement ou totalement une érection compatible être posé avec une très grande prudence, d’une part
rapports. avec la pénétration ou l’accomplissement complet parce qu’il est extrêmement rare qu’une
de l’acte sexuel. schizophrénie se révèle par un simple trouble de la
Clinique
Plusieurs arguments de l’interrogatoire doivent sexualité, d’autre part parce qu’il s’agit d’un
Chez la femme, le trouble de l’excitation se définit
orienter vers une origine psychogène de diagnostic grave, ayant des conséquences pour la
comme une difficulté ou une incapacité à maintenir
l’impuissance et épargner la mise en route vie entière du sujet. Au moindre doute devant une
une lubrification vaginale satisfaisante et compatible
d’examens complémentaires complexes, coûteux et impuissance primaire du jeune adulte, un avis
avec la réalisation de l’acte sexuel jusqu’à son terme.
traumatisants tels que la pléthysmographie ou les psychiatrique doit être demandé.
Le trouble de l’excitation est rarement isolé chez
tests pharmacologiques associés à une analyse par
la femme. Il est volontiers associé à un trouble du
rigidimètre. Rappelons ici toute l’importance à ¶ Impuissances secondaires
désir et/ou à un trouble de l’orgasme, voire à une Les impuissances psychogènes secondaires
accorder au recueil d’informations grâce à l’entretien
dyspareunie. C’est chez la femme postménopausée surviennent après une phase plus ou moins longue
clinique préalable à toute investigation spécifique
que le trouble est le plus fréquemment rencontré. de sexualité vécue comme satisfaisante. Elles
(tableau V).
De nombreuses recherches ont été réalisées pour imposent de rechercher avec soin les événements
On pourra nettement distinguer les impuissances
trouver des explications à cette anomalie. Les de vie pouvant plus ou moins expliquer leur
primaires des impuissances secondaires.
résultats sont très contradictoires. Les données survenue. Elles imposent aussi de rechercher des
biologiques mettent en cause diversement les taux ¶ Impuissances primaires maladies psychiatriques (tableau VI).
de testostérone, de prolactine, d’œstrogène, de Les impuissances primaires surviennent chez les Il existe plusieurs facteurs pronostiques de
thyroxine. Les données psychologiques retrouvent hommes jeunes souffrant d’une inhibition globale l’impuissance (tableau VII).
(sans que cela ait une valeur explicative) une crainte de la sexualité. La masturbation est vécue comme
exagérée des réactions physiologiques corporelles extrêmement culpabilisante ; elle peut avoir été ‚ Troubles de l’orgasme,
pendant l’acte sexuel. totalement absente, ou au contraire n’avoir troubles de l’éjaculation

Épidémiologie
Tableau IV. – Troubles psychologiques pouvant être impliqués dans le trouble sexuel.
Selon les données du rapport Kinsey, 5 % des
Trouble psychologique Caractéristiques de l’aversion pour la sexualité femmes mariées, âgées de plus de 35 ans, ne
Personnalité hystérique Inhibition sexuelle qui contraste avec une hyper- peuvent jamais atteindre l’orgasme, contre 39 %
sexualisation apparente des relations sociales chez les femmes non mariées. Une étude américaine
Conduites de séduction suivies d’un refus de prati- récente décrit l’existence d’une anorgasmie, tous
quer l’acte sexuel âges confondus, chez un quart des femmes mariées
Prolongation des préliminaires
et un tiers des femmes non mariées.
Phobies Peur du rapport physique, éventuellement rationali- L’éjaculation précoce toucherait 30 % de la
sée (par exemple, par une peur des maladies sexuel- population mâle. Les statistiques montrent que 40 %
lement transmissibles)
Préférence marquée pour la masturbation des hommes traités pour troubles sexuels ont pour
plainte essentielle l’éjaculation précoce.
Psychasténie Défaut de désir pour autrui s’inscrivant dans un L’orgasme prématuré chez la femme, tout comme
cadre plus global de pauvreté des relations affectives
Souvent associée à une inhibition sexuelle globale l’éjaculation tardive chez l’homme, ne fait pas l’objet
de données statistiques, peut-être en raison de sa
Antécédents de traumatismes Antécédent de viol relative rareté. Néanmoins, une étude américaine
Antécédent d’abus sexuels dans l’enfance
Expériences répétées de coïts douloureux chiffre à 10 % les femmes se plaignant d’atteindre
l’orgasme trop vite.

3
7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

étiologie médicamenteuse, ce qui en fait la


Tableau VI. – Événements de vie et maladies psychiatriques à rechercher dans la survenue d’im- première étiologie des impuissances.
puissance secondaire.
D’une manière plus générale, les troubles de la
Causes possibles d’impuissance psychogène secon- À rechercher sexualité induits par des médicaments sont assez
daire peu documentés quant à leur fréquence. Il est
Événements de vie Infidélité toujours délicat de pouvoir incriminer un
Conflit conjugal médicament dans la survenue d’un trouble de la
Stress professionnel, chômage sexualité. Il existe en effet de fréquentes
Retraite interférences entre l’état de la fonction sexuelle dans
Séparations prolongées (migrants) la pathologie traitée (surtout pour les troubles
Maladie psychiatrique Dépression psychiatriques ou vasculaires) et le traitement de
Alcoolisme chronique ladite pathologie (traitements psychotropes et
Sevrage alcoolique cardiovasculaires).
Toxicomanie (héroïne++)
Névrose
Produits responsables de troubles sexuels
Beaucoup de médicaments ont été incriminés
Tableau VII. – Facteurs pronostiques de l’impuissance. dans la survenue de troubles sexuels. Dans le
tableau VIII figurent les produits les plus
Facteurs de bon pronostic Facteurs de mauvais pronostic fréquemment incriminés. Il nous a semblé important
d’y souligner la fréquence des médicaments
Impuissance partielle Impuissance totale
psychotropes. Dans le cas particulier de la
Impuissance situationnelle pour une partenaire dé- Impuissance permanente, quelle que soit la parte- prescription de psychotropes, le clinicien peut être
terminée naire
dans l’incapacité de faire la part de ce qui revient au
Impuissance secondaire avec longue période préala- Impuissance primaire sans aucune période de rap- trouble psychiatrique proprement dit (dépression,
ble de vie sexuelle satisfaisante ports sexuels par exemple) et au traitement (antidépresseur, par
Impuissance récente ayant encore peu d’impact Impuissance ancienne ayant abouti au remaniement exemple). Seul l’interrogatoire de la chronologie
des relations conjugales d’apparition du trouble sexuel (sa survenue est-elle
Homme en couple Homme sans partenaire fixe contemporaine ou non de la prescription
médicamenteuse ?) permettra de trancher.
Couple uni, jeune Dysfonctionnement ancien de couple Rappelons enfin le rôle joué par les toxiques dans
Femme compréhensive, non culpabilisante Femme méprisante, culpabilisante la survenue de troubles sexuels. Sont en premier lieu
à évoquer l’alcool (hormis dans le début de l’ivresse
Maintien d’une sexualité régulière, même insatisfai- Absence totale de sexualité
sante aiguë où la désinhibition prédomine) et l’héroïne.


Clinique accompagnée d’une humiliation et d’une culpabilité
qui peuvent se transformer en agressivité à l’égard Traitement
¶ Définition
Un trouble de l’orgasme isolé se définit comme de la partenaire. Il est classique de considérer que
l’éjaculation précoce est fortement indexée au
une absence d’orgasme, ou un orgasme survenant ‚ Quels soins peut proposer
dans des délais anormalement brefs ou longs après conditionnement éducatif et à des facteurs culturels
le médecin de famille ?
une période d’excitation normale dans son (sexualité culpabilisée, rapports précoces avec des
déroulement et son intensité. prostituées, premiers rapports sexuels sous le toit Traitement de toute cause médicale
parental). Le rôle joué par la partenaire est ensuite intercurrente
Le trouble de l’orgasme et le trouble de
capital pour entretenir ou au contraire amoindrir la Il va sans dire que toute étiologie organique d’un
l’éjaculation ne recouvrent pas tout à fait le même
tendance aux rapports sexuels au terme précipité. trouble sexuel devra être traitée en elle-même.
concept. Néanmoins, la dissociation des deux paraît
suffisamment rare pour ne pas en faire ici l’objet ¶ Éjaculation tardive Par ailleurs, tout facteur organique pouvant
d’une description détaillée. Les hommes souffrant d’éjaculation tardive sont intervenir, même partiellement ou indirectement,
beaucoup moins nombreux. S’ils sont considérés dans la survenue d’un trouble sexuel psychogène
¶ Anorgasmie féminine devra être traité.
comme des partenaires très performants, ce n’est
Pour la femme, le trouble de l’orgasme consiste le
souvent qu’au prix de scénarios fantasmatiques
plus souvent en une anorgasmie. Le femme est Établissement d’une bonne relation
complexes et pervers qu’ils peuvent atteindre
incapable d’atteindre l’orgasme, ni par pénétration médecin-malade
l’orgasme. Il est classique de retrouver cette
vaginale, ni par stimulation clitoridienne. La capacité
particularité chez des patients psychasthènes et La position du généraliste et la relation qu’il va
à atteindre l’orgasme a été étroitement corrélée à la
souffrant de troubles obsessionnels compulsifs. Par établir avec son patient sont fondamentales dans la
qualité de vie d’un couple. Elle augmente chez les
ailleurs, les causes médicamenteuses d’éjaculation prise en charge des troubles sexuels. Premièrement
femmes âgées de plus de 35 ans, probablement par
tardive sont nombreuses et plus ou moins parce que le patient va avoir tendance à s’en
une inversion de la balance entre inhibition
handicapantes. remettre complètement à l’avis de son médecin et à
psychique et expérience sexuelle.
en attendre réassurance. Deuxièmement parce que
¶ Éjaculation précoce ‚ Troubles sexuels iatrogènes de simples conseils ou avis peuvent, en matière de
Chez l’homme, le trouble le plus fréquent est de médicamenteux troubles sexuels, avoir une action thérapeutique
loin l’éjaculation précoce. Elle est considérée comme nette. Troisièmement parce que le médecin
physiologique chez l’adolescent (surtout s’il est Épidémiologie généraliste sera souvent amené à prendre seul en
étudiant) ainsi que dans les premiers rapports avec Une enquête récente portant sur 1 180 hommes charge un problème pour lequel son patient refusera
une nouvelle partenaire, et doit s’estomper consultant en médecine générale montrait qu’un d’aller consulter quelqu’un d’autre.
progressivement. Dans le cas contraire, une tiers d’entre eux étaient impuissants. Cette Dans un certain nombre de cas, cependant, il sera
souffrance psychologique peut s’installer, impuissance fut corrélée, dans 25 % des cas, à une nécessaire de recourir au spécialiste :

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Troubles sexuels et psychiatrie - 7-0280

Le médecin doit pouvoir diminuer les tensions et


Tableau VIII. – Quel produit responsable de quel trouble sexuel ? l’agressivité engendrées par l’émergence de troubles
Anomalie Produits incriminés sexuels dans le couple. Une écoute attentive, un
intérêt marqué pour la plainte du patient, mais aussi
Hypolubrification vaginale Antihistaminiques pour la souffrance du partenaire, doivent aider à
Anticholinergiques (antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques, IMAO)
dédramatiser des situations parfois explosives.
Impuissance Antidépresseurs tricycliques* Il est possible de délivrer des prescriptions
IMAO verbales dites « paradoxales ». Par exemple, le
Neuroleptiques (surtout les phénotiaziniques, sulpiride, réserpine)
Méthadone médecin peut demander à son patient, en attendant
Lithium (rarement) que le traitement qu’il préconise fasse effet, de
Médicaments cardiovasculaires (clonidine, guanéthidine, vérapamil, n’avoir aucune relation sexuelle. Cette recomman-
bêtabloquants) dation peut avoir, à elle seule, un effet de
Antiandrogènes (acétate de cyprotérone, spironolactone, cimétidine) soulagement. Elle peut aussi inciter le patient à
Anorgasmie féminine Antidépresseurs tricycliques (surtout Tofranilt, Anafranilt) transgresser positivement l’interdit.
IMAO
Antidépresseurs IRS Chimiothérapies
Neuroleptiques (thioridazine, trifluopérazine)
L’indication des chimiothérapies doit être pesée
Éjaculation tardive Antidépresseurs tricycliques avec discernement. Le médecin doit savoir que, dans
Antidépresseurs IRS le domaine de la sexualité, l’effet placebo a été
Neuroleptiques (thioridazine ++)
démontré comme jouant un rôle majeur. C’est dire
Anéjaculation Antidépresseurs tricycliques que la prescription d’une chimiothérapie, quelle
Orgasme spontané associé à Anafranilt qu’elle soit, devra être assortie d’une excellente
baillements irrépressibles Prozact relation médecin-malade, meilleur gage d’une
réussite du traitement. Par ailleurs, le patient doit
IMAO : inhibiteur de la monoamine-oxydase.
IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine (Prozact, Deroxatt, Zoloftt, Séropramt). savoir que leur effet peut se faire attendre quelques
* Surtout antidépresseurs tricycliques fortement anticholinergiques. Beaucoup moins pour la désipramine. semaines (tableau IX).
L’usage de chacune des substances proposées dans
ce tableau devra être régulièrement révisé. Car si toutes
les drogues y figurant ont initialement de multiples
– soit que le symptôme sexuel masque une Dans un nombre non négligeable de cas, le
effets positifs sur la sexualité (diminution de l’inhibition,
problématique beaucoup plus vaste que le patient a médecin pourra conclure que l’acte sexuel ne augmentation de la puissance sexuelle, diminution de
du mal à aborder ; présente pas de troubles dans sa fréquence, ni dans l’anxiété), leur usage prolongé pourra avoir les effets
– soit, comme cela peut arriver, que le patient ne son déroulement, ni dans la satisfaction qu’il procure inverses. Leur utilisation doit surtout faire « passer un
veuille pas modifier le trouble sexuel pour lequel il au partenaire. Ce constat peut tout à fait rassurer le mauvais cap », redonner confiance au patient et briser la
vient paradoxalement consulter ; consultant, le médecin intervenant alors comme un spirale des répétitions échec/angoisse.
– soit que le trouble sexuel s’inscrive dans une tiers rassurant à un moment de doute ou de crise. Notons enfin que les hormones mâles sont très
lourde problématique névrotique ; Répétons que cette conclusion ne doit être portée souvent prescrites, mais que leur effet sur la fonction
– soit que les soins engagés avec le médecin qu’après examen clinique et interrogatoire sexuelle masculine n’a pas été prouvé.
traitant n’aboutissent à aucun résultat au bout de rigoureux. Les troubles de la sexualité en rapport avec un
cinq ou six séances. Toutefois, très souvent, les réassurances du syndrome dépressif (et ils sont nombreux)
Dans tous ces cas, le recours au psychiatre sera à médecin peuvent ne pas suffire, soit qu’il existe répondront favorablement à un traitement
envisager. réellement un trouble psychologique associé, soit antidépresseur qui sera réservé à cette indication. On
En revanche, dans une majorité de situations, le que le patient continue subjectivement d’être préviendra le patient des possibles effets adverses
médecin traitant peut avoir un rôle à la fois rassurant insatisfait de son comportement sexuel. Dans ce portés par l’antidépresseur lui-même.
et déculpabilisant. En dédramatisant le problème, dernier cas, il ne faudra surtout ni négliger ni
sans surtout le minimiser, et grâce à un examen banaliser cette insatisfaction, même si elle paraît ‚ Quelles orientations proposer ?
clinique initial très soigneux, le médecin peut avoir absurde ou immotivée. Tout subjectif qu’il est, il s’agit
très rapidement une action positive. L’examen Psychanalyse
d’un trouble sexuel qui devra être pris en compte
clinique initial, outre l’exclusion de toute cause comme tel. La psychanalyse peut être une solution de choix
organique, aura la vertu de faire admettre au patient pour explorer les conflits inconscients à l’origine d’un
que son trouble est probablement d’origine Recommandations trouble sexuel. Mais ses indications sont, dans le
psychique. domaine, délicates. D’une part, le patient ayant une
En matière de troubles sexuels, quelques peur ancienne de la sexualité peut très bien trouver
recommandations au patient peuvent être fort utiles. un substitut aux rapports sexuels dans la situation
Erreurs à ne pas commettre Elles seront bien entendu modulées en fonction du analytique qui peut alors s’éterniser. D’autre part, les
✔ Éviter impérativement les formules terrain. réponses apportées par l’analyse sont souvent
toutes faites banalisant le trouble du Il n’existe pas de traitement ou de formule différées, alors que la souffrance du patient exige un
type : « ce n’est pas grave », miracle. Il sera bon de le rappeler au patient pour ne soulagement rapide.
« prenez-vous du bon temps », « c’est pas décevoir ses attentes. En effet, le patient venant Il sera bon de confier à un psychiatre le soin de poser
la vie », « ça passera ». Elles sont consulter pour troubles sexuels a tendance à l’indication d’une psychanalyse pour troubles sexuels.
toujours vécues comme rejetantes. attendre une solution rapide et efficace de la part de
✔ Ne jamais faire l’économie d’un son médecin, investi d’un pouvoir illimité. Psychothérapies d’inspiration analytique
examen clinique complet et Le médecin doit pouvoir informer et conseiller sur Beaucoup plus souples que la cure type
systématique à la recherche d’une la pratique de la vie sexuelle dans le couple. En analytique, les psychothérapies peuvent apporter
étiologie organique. donnant des indications « statistiques », il peut une solution de choix pour explorer, à l’aide d’un
contribuer à réduire frustrations et culpabilité. spécialiste, les troubles de la sexualité et leurs

5
7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

ramifications dans le psychisme. Le patient doit être


Tableau IX. – Traitements chimiothérapiques des troubles sexuels. demandeur d’un tel travail de réflexion, en sachant
Trouble sexuel Chimiothérapie possible que l’écoute attentive du thérapeute sera à l’origine
d’un soulagement plus ou moins rapide.
Éjaculation précoce Neuroleptiques sédatifs à très faible dose
(Mellerilt 10 : 1 cp/jour)
Antidépresseur tricyclique ou IRS à faible dose Thérapies comportementales
(Anafranilt 10 : 2 cp/j ou Prozact gouttes : 5 à Les thérapies comportementales sont
10 mg/j) nombreuses en matière de sexualité, plus ou moins
Yohimbine Houdét : 3 cp 3 fois par jour (effet alpha-
bloquant) apparentées à la sexothérapie.
Elles sont basées sur l’apprentissage, le condition-
Baisse de la libido et éjaculation tardive sous traite- Baisse progressive de l’antidépresseur
nement et le dépassement des situations d’échec. Un
ment antidépresseur (tricyclique ou IRS) Adjonction de cyproheptadine (Périactinet : effets
antihistaminique et antisérotoninergique) effet bénéfique peut se faire sentir en 3 à 4 mois.
Adjonction de méthylphénidate (Ritalinet : effet
adrénergique) Autres traitements
Trouble sexuel en rapport avec une anxiété et une Benzodiazépine à faible dose d’action rapide (Ly- Le traitement chirugical de l’impuissance et les
inhibition majeures au moment du rapport sanxiat 10 : 1 cp sublingual avant les préliminaires) injections péniennes sont à envisager après avis
Impuissance Yohimbine Houdét : 3 cp 3 fois par jour (effet alpha- spécialisé.
bloquant) Les thérapies de groupe, très prisées aux
Défaut de sécrétion vaginale Lubrifiants vaginaux États-Unis, sont plus rares en Europe. Elles sont à
réserver aux couples qui y sont très favorables, et à
Appréhension de nouveaux échecs Benzodiazépine à faible dose d’action rapide (Ly- proscrire en cas de réticence de l’un ou de l’autre des
sanxiat 10 : 1 cp sublingual avant les préliminaires)
partenaire ou en cas de trouble psychiatrique avéré
IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine. à l’origine du trouble sexuel.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Troubles sexuels et psychiatrie.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0280, 1998, 6 p

Références

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Prat 1985 ; 35 : 227-235

[2] Stein DJ, Hollander E. Sexual dysfunction associated with the drug treatment
of psychiatric disorders. Incidence and treatment. CNS Drug 1994 ; 2 : 78-86

6
¶ 7-0226

Urgences psychiatriques à domicile


C. Sanchez-Valero, P. Planas, T. Pascual-Sanchez

Environ 10 à 15 % des appels auprès des services médicaux d’intervention à domicile correspondent à des
urgences psychiatriques. Le praticien non spécialiste est confronté à des tableaux cliniques différents et
variables, parmi lesquels la souffrance psychique (par exemple, dépression, anxiété et idées suicidaires)
et/ou les troubles du comportement sont au premier plan. Outre l’examen médical pour écarter une
éventuelle étiologie organique et l’évaluation des symptômes psychiatriques, le médecin d’urgence doit
être attentif au contexte de la demande de soins (par exemple, situation de crise interpersonnelle). En plus
d’une réponse aux principaux symptômes, le clinicien doit veiller à offrir au patient une orientation
thérapeutique adaptée au trouble psychiatrique et au contexte de crise éventuel.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Urgences psychiatriques ; Suicide ; Dépression ; Anxiété ; Violence ; Agitation ; Crise

Plan Le médecin non spécialiste se rendant au domicile du patient


est alors confronté à des situations dans lesquelles la souffrance
¶ Introduction 1 psychique (dépression, anxiété, idées suicidaires) et/ou les
troubles du comportement sont au premier plan de la plainte
¶ Patient dépressif 1 du malade ou de son entourage. Lors de son intervention, le
Tableaux cliniques 2
praticien a souvent affaire à des tableaux cliniques différents,
Prise en charge en urgence 3
variables et imprégnés dans la grande majorité des cas d’une
Conduite à tenir 4
forte tonalité émotionnelle.
Messages essentiels 4
Le rôle du praticien durant ce type d’intervention est d’écar-
¶ Patient suicidaire 4 ter une éventuelle étiologie organique, d’évaluer les symptômes
Appel téléphonique du patient suicidaire et/ou de son entourage 4 psychiatriques et de poser un diagnostic générique. [2] Dans
Évaluation des idées suicidaires 4 certaines situations complexes, ce diagnostic préliminaire sera
Prise en charge à domicile 5 complété dans un deuxième temps. Le médecin doit être
Conduite à tenir 5 particulièrement attentif au contexte de la demande de soins
Messages essentiels 5 (par exemple, crise interpersonnelle). En plus d’une réponse aux
¶ Patient anxieux 5 symptômes (médicaments, conseils, psychoéducation), le
Tableaux cliniques 6 clinicien doit veiller à offrir au patient une orientation théra-
Prise en charge à domicile 7 peutique adaptée au trouble psychiatrique et/ou à la crise
Conduite à tenir 8 interpersonnelle motivant la demande de soins en urgence.
Messages essentiels 8 Dans ce type d’interventions, le médecin non spécialiste doit
¶ Patient agité et/ou violent 8 éviter de se sentir d’office incompétent et doit être conscient
Tableaux cliniques 8 que ces interventions prendront plus de temps que d’autres
Prise en charge à domicile 9 interventions urgentes. Sa présence auprès du malade, son
Conduite à tenir 10 écoute attentive et dépourvue de jugement de valeur sont des
Messages essentiels 10 ingrédients qui lui permettent d’établir des conditions favora-
bles afin de mieux cerner la demande de soins.

■ Introduction ■ Patient dépressif


Le nombre d’urgences psychiatriques ne cesse d’augmenter La prévalence annuelle de la dépression dans la population
dans la plupart des pays industrialisés. [1] Il est estimé qu’envi- générale est estimée à environ 4 à 10 %. [3] Souvent sous-
ron 10 à 15 % des appels auprès des services médicaux d’inter- diagnostiqués, la dépression et/ou les symptômes dépressifs
vention à domicile correspondent à des urgences psychiatriques. représentent un motif fréquent d’appel en urgence. Lors de

Traité de Médecine Akos 1


7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

l’évaluation, le médecin peut être confronté à des situations


diverses qui vont d’états dépressifs majeurs à des dépressions
Encadré 2
psychotiques, en passant par des dépressions secondaires à des
maladies et à des événements de vie difficiles.
“ Critères d’état dépressif
Tableaux cliniques majeur d’après le DMS-IV
Évaluation de l’état dépressif Au moins cinq des symptômes suivants doivent être
Elle doit se baser sur :
présents pendant une période d’au moins 2 semaines et
• l’anamnèse actuelle ;
représenter un changement par rapport au
• l’évaluation du contexte de crise ; fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes
• l’examen clinique ; est soit une humeur dépressive, soit une perte d’intérêt et
• les critères diagnostiques ; de plaisir.
• l’évaluation de l’intensité symptomatique (encadré 1). • 1. Humeur dépressive présente pratiquement toute la
journée, presque tous les jours, signalée par le sujet ou
observée par les autres.
• 2. Diminution marquée de l’intérêt pour toutes ou
presque toutes les activités.
Encadré 1 • 3. Perte ou gain de poids significatif en l’absence de
régime, ou augmentation ou diminution de l’appétit
“ Symptômes nécessitant une presque tous les jours.
• 4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
évaluation d’un état dépressif • 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur.
• 6. Fatigue ou perte d’énergie.
sous-jacent • 7. Sentiment de dévalorisation ou culpabilité excessive
ou inappropriée (qui peut être délirante).
• Fatigue, manque d’énergie
• 8. Diminution de l’aptitude à penser, à se concentrer ou
• Irritabilité, tristesse, humeur labile
indécision presque tous les jours.
• Idées suicidaires
• 9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires avec
• Troubles de l’appétit
ou sans plan précis.
• Troubles du sommeil
• Troubles de la mémoire et de l’attention
• Abus d’alcool et de médicaments psychotropes
• Douleurs diffuses et/ou chroniques
État dépressif avec symptômes psychotiques
Autrefois appelé « mélancolie », l’état dépressif s’accompa-
gnant de symptômes psychotiques représente une urgence
Les critères diagnostiques du Diagnostic and statistical manual maximale au vu du très haut risque suicidaire qui lui est associé.
for mental disorders (DSM) IV [4] sont utiles pour une évaluation Lors de l’évaluation à domicile, le clinicien met en évidence un
systématique des symptômes dépressifs. Dans ce sens, l’avoir à tableau dépressif sévère, le patient se présentant soit fortement
portée de la main peut aider le clinicien à poser un diagnostic ralenti, soit habité par une forte anxiété. Le contenu de la
préliminaire qui devra être confirmé suite à l’intervention pensée se caractérise par des idées délirantes de culpabilité,
d’urgence par le médecin qui prendra en charge le patient. Ces d’incurabilité, ainsi que d’autoaccusations. La tonalité affective
critères diagnostiques sont présentés dans l’encadré 2. est foncièrement pessimiste et colorée d’un sentiment d’indi-
Le médecin se déplaçant à domicile a affaire en règle générale gnité. Certains de ces patients sont alités, immobiles, voire
à des états dépressifs d’intensité de modérée à sévère. L’échelle catatoniques. Un vécu délirant de leur corps (impression d’être
de Hamilton dépression (HAD) s’avère être un bon outil pour pourri à l’intérieur de son corps) peut être présent. Il arrive
évaluer l’intensité symptomatique. D’après cette échelle, fréquemment que l’entourage informe le médecin que le patient
l’intensité peut être subdivisée en : refuse de manger et qu’il s’automutile. Les idées suicidaires sont
• légère : HAD inférieure à 17 ; extrêmement fréquentes, la mort étant perçue comme le seul
• modérée : HAD entre 17 et 23 ; moyen d’échapper à cette souffrance. Il arrive que certains
• sévère : HAD supérieure à 23. patients masquent les idées suicidaires et présentent un déta-
chement et une froideur affective qui doivent constituer un
Trouble dépressif réactionnel signal d’alarme pour le clinicien ; [5] en effet, ceux-ci peuvent
être le signe que la décision de se donner la mort a été prise.
à un événementde vie
Enfin, une idéation morbide dite « altruiste » à l’encontre de
Il survient à la suite d’un ou plusieurs facteurs événementiels l’entourage peut également être présente (par exemple, tuer son
qui débordent les capacités du patient et/ou de l’entourage pour conjoint avant de se suicider), le patient dans son vécu dépressif
y faire face. Des situations de pertes (deuil, chômage, sépara- délirant espérant ainsi préserver son entourage de la souffrance
tion), de conflits (problème conjugal, tensions familiales) ou de dépressive.
maladies peuvent déboucher sur une symptomatologie dépres-
sive d’intensité variable. [5] Dans ce type d’interventions, la
Dépression dans le cadre d’une maladie organique
composante anxieuse de la dépression tend à prédominer et
colorer le tableau clinique. Les idées de suicide sont souvent Certaines maladies systémiques peuvent être à l’origine de
présentes et leur intensité n’est pas forcément proportionnelle symptômes dépressifs, voire d’une dépression majeure. [5]
à la gravité de l’événement. Des facteurs autres, tels que la Parfois, le trouble de l’humeur peut être même la première
structure de la personnalité du patient et l’appui de l’entourage, manifestation de la maladie (par exemple, tumeur de la tête du
jouent un rôle primordial dans ce type d’urgences. pancréas). Certaines estimations considèrent que de 5 à 18 %

2 Traité de Médecine Akos


Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

des dépressions ont une origine organique. Il arrive fréquem- activement contre ces derniers et pouvant être à peine conscient
ment que la coexistence de symptômes physiques et thymiques de leur présence (alors qu’ils remplissent par ailleurs tous les
amène le médecin à négliger l’évaluation de la dépression. En critères pour un épisode dépressif majeur). La dépression ou les
outre, la présence d’un trouble dépressif réactionnel à une symptômes dépressifs peuvent également se manifester princi-
maladie systémique représente toujours une complication et palement par des troubles du comportement (crises clastiques,
non une réponse normale à la maladie de base. désinvestissement de la scolarité et/ou de la vie familiale). Une
Lors de l’évaluation d’urgence, certains indices peuvent des premières manifestations peut également être un repli et un
évoquer l’éventualité d’une cause organique (encadré 3). Parmi isolement affectif progressif qui tendent souvent à passer
ceux-ci, soulignons la présence de troubles neurocognitifs et la inaperçus par l’entourage. Face à un adolescent présentant des
rapidité de l’installation en l’absence de facteurs de crise. symptômes dépressifs, il est central de procéder à une évalua-
tion minutieuse de la suicidalité, ces patients présentant en effet
un haut risque de passage à l’acte autoagressif. L’obstacle majeur
à une évaluation correcte se situe dans la quasi systématique
banalisation des idées suicidaires par le patient et son entou-
Encadré 3 rage. [1] Lorsqu’une idéation suicidaire est présente, elle doit
faire l’objet de questions claires et directes, et être verbalisée par
“ Indices d’une origine le médecin comme étant un risque à prendre au sérieux, ce qui,
de plus, procure au patient le sentiment d’être entendu dans sa
organique de la dépression souffrance (sentiment qui lui fait fréquemment défaut). Lors de
l’examen à domicile, le médecin doit également faire preuve
• Troubles neurocognitifs déficitaires d’une attitude empathique mais égalitaire concernant le patient
• Absence de facteurs de crise et son entourage, qui puisse lui permettre une évaluation
systématique sans céder à des éventuelles pressions de l’entou-
• Premier épisode après 40 ans
rage, soit dans le sens d’une mise à l’écart immédiate (par
• Rapidité de l’installation
exemple, un internement psychiatrique pour se débarrasser du
• Absence de douleur morale
patient), soit d’une relativisation inadaptée de la suicidalité
• Indifférence affective (« l’adolescent fait seulement une crise d’adolescence plus
• Résistance au traitement et fluctuation rapide de marquée »).
l’humeur

Prise en charge en urgence


États dépressif d’intensité légère (HAD inférieure
Certaines pathologies présentent une prévalence élevée de à 17) et modérée (HAD entre 17 et 23)
symptômes dépressifs. Citons en exemple la maladie d’Alzhei-
mer (65 %), la sclérose en plaques (50 %), la maladie de Le patient et l’entourage doivent être informés du diagnostic
Parkinson (de 40 à 50 %), l’épilepsie (20 %) et la tumeur et des possibilités de traitement ambulatoire. Ils sont encouragés
cérébrale (10 %). à prendre dès le lendemain un rendez-vous chez leur médecin
Des médicaments, drogues et substances toxiques peuvent de famille. Les patients modérément déprimés qui verbalisent
également être à l’origine de symptômes dépressifs, principale- une idéation suicidaire active doivent être orientés vers un
ment : service d’urgences de l’hôpital général.
• parmi les médicaments, la réserpine, les bêtabloquants, la En cas d’anxiété importante, le médecin peut éventuellement
ranitidine, les digitaliques, la cimétidine, la théophylline, les prescrire une médication ponctuelle à savoir :
corticoïdes, les amphétamines ; • un somnifère : flurazépam (Dalmadorm®), de 15 à 30 mg per
• pour les substances toxiques, la cocaïne, le cannabis, l’alcool, os ;
le mercure, les hallucinogènes. • un anxiolytique si l’anxiété s’avère importante : oxazépam
(Séresta®), de 15 à 30 mg per os ou lorazépam (Témesta®), de
1 à 2 mg per os.
Dépression chez la personne âgée
La prescription d’un traitement antidépresseur en urgence ne
Les symptômes observés chez le patient âgé sont similaires à se justifie pas et est réservée au médecin qui prendra en charge
ceux de l’adulte. Toutefois, l’anhédonie, les troubles cognitifs et le patient suite à l’intervention à domicile.
la perte pondérale tendent à être plus accentués. [1] Un des
obstacles fréquents dans l’évaluation et le diagnostic de la États dépressif sévère (HAD supérieure à 23)
dépression chez ces patients est la tendance à situer la sympto- avec idéation suicidaire active ou passive
matologie dépressive comme une réponse normale aux aléas
affectifs de cette étape de la vie (pertes, crainte de mourir, Dans ces cas, le patient devrait être orienté vers un service
besoin accru d’être accompagné). De plus, une évaluation d’urgences psychiatriques. Une évaluation spécialisée a comme
soigneuse de la suicidalité est essentielle dans cette tranche objectif de mieux préciser la psychopathologie, l’étendue de
d’âge, le taux de suicide étant plus élevé que chez l’adulte. Une l’idéation suicidaire et l’éventuel contexte de crise. Le choix du
attention particulière doit être portée au diagnostic différentiel transport vers l’hôpital dépend de l’état du patient, tant
avec une pathologie organique sous-jacente, et/ou l’aggravation psychique que physique, de la fiabilité de l’entourage et de la
d’une maladie chronique qui accompagne, participe ou est à distance à parcourir. Au moindre doute quant à la fiabilité de
l’origine de l’état dépressif. ces facteurs indicatifs, le patient devrait être transféré en
ambulance. Il arrive que le clinicien soit confronté au refus du
Dépression chez l’adolescent patient et/ou de l’entourage concernant le transfert vers une
unité d’urgences psychiatriques. Un temps de négociation est
L’épisode dépressif chez l’adolescent s’évalue selon les mêmes souvent nécessaire et la nécessité d’une évaluation plus com-
critères que pour l’adulte. Toutefois, il convient d’être attentif à plète par un spécialiste doit être soulignée. Dans le cas d’une
plusieurs particularités. Tout d’abord, la porte d’entrée sympto- idéation suicidaire active et d’un refus persistant d’un transfert
matique (cf. encadré 1, présence de deux critères principaux de vers une unité d’urgences psychiatriques, le médecin n’a pas
l’état dépressif) est fréquemment l’anhédonie plutôt que des d’autre alternative que procéder à une hospitalisation d’office
sentiments dépressifs verbalisés, l’adolescent luttant souvent dans l’hôpital psychiatrique afin de protéger le patient.

Traité de Médecine Akos 3


7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

Tableau 1.
Conduite à tenir devant un patient dépressif.
État dépressif léger (HAD inférieur à 17) Réévaluation ambulatoire
État dépressif modéré (HAD entre 17 et 23) sans idéation suicidaire
État dépressif modéré (HAD entre 17 et 23) avec idéation suicidaire active Service d’urgences psychiatriques, hôpital général
État dépressif sévère (HAD supérieur à 23) avec idéation suicidaire active ou passive
Présence d’un ou plusieurs facteurs de risque : isolement, antécédents de suicide,
abus d’alcool et/ou de drogues, situation de perte, affection somatique grave, patient adolescent
État dépressif avec symptômes psychotiques Hôpital psychiatrique
HAD : échelle de Hamilton dépression.

Pour le patient présentant une idéation suicidaire passive et etc.), le médecin ou le personnel paramédical doivent inviter le
refusant l’évaluation à l’hôpital, c’est la présence d’un entourage patient ou le proche qui fait la demande à décrire succincte-
jugé fiable s’engageant à rester auprès du patient en attendant ment l’état du patient ainsi que l’intensité des idées suicidaires.
une évaluation spécialisée ambulatoire qui offre au médecin des Le médecin doit rapidement signifier son intention d’évaluer le
garanties raisonnables quant à la sécurité du patient. Pour patient, d’établir une stratégie d’urgence tenant compte de la
cespatients, une médication telle que l’olanzapine (Zyprexa®), à gravité des idées suicidaires, des éventuelles ressources du
raison de 2,5 à 5 mg per os, peut être prescrite en cas d’anxiété patient pour ne pas passer à l’acte et de l’éventuel contexte de
importante. crise. L’entourage du patient est invité à rester auprès du lui en
attendant l’arrivée du médecin. Dans le cas où la menace d’un
États dépressif avec symptômes psychotiques acte autoagressif déborde ses capacités de contention ou celles
de l’entourage (par exemple, menaces de défenestration), il est
Dans ces situations, le praticien doit procéder sans tarder à conseillé de signaler la situation à la force publique tout en se
une hospitalisation en milieu psychiatrique. L’internement en rendant rapidement au domicile du patient. Si le patient a déjà
milieu spécialisé étant une démarche médico-légale, le médecin fait une tentative de suicide, il est hautement recommandé
doit informer le patient et son entourage des raisons le condui- d’envoyer une ambulance sur place, anticipant l’arrivée du
sant à prendre une telle décision. Le transport du patient a médecin. Certains patients suicidaires ne souhaitent pas
toujours lieu en ambulance. Afin de respecter les directives d’évaluation médicale à domicile. Dans ces cas, il est alors
légales régissant ce type d’hospitalisation, il est recommandé conseillé de s’octroyer un temps de négociation pour compren-
de les porter dans la valise de garde et d’y se référer dre les raisons du refus. Si la négative du patient persiste, le
systématiquement. médecin lui signale les limites pour lui venir en aide dans ces
conditions, tout en veillant à lui transmettre sa disposition pour
une évaluation ultérieure. [2]
Conduite à tenir
Elle est développée dans le Tableau 1. Évaluation des idées suicidaires
À l’arrivée du médecin, il est important que celui-ci puisse
Messages essentiels d’abord s’entretenir seul avec le patient et l’éventuel entourage
peut être invité à s’associer à l’entretien dans un deuxième
• Évaluer systématiquement la suicidalité chez le patient temps. Le médecin procède à l’évaluation du status mental, de
dépressif. l’ampleur de l’intensité des idées morbides. [2] Le clinicien doit
• En cas de doute diagnostique quant à la sévérité des symptô- poser au patient des questions claires et ouvertes sur la nature
mes dépressifs ou de l’intensité des idées morbides, orienter des idées suicidaires (encadré 4), leur chronologie et leur
le patient vers une unité d’urgences psychiatriques. contexte d’apparition. La psychopathologie et les éventuels
• Hospitaliser en milieu spécialisé le patient mélancolique. facteurs de risque (Tableau 2) sous-jacents sont systématique-
• Ne pas instaurer un traitement antidépresseur en urgence. ment évalués et mis en relation avec les pensées morbides. Le
contexte de crise est ensuite abordé en essayant d’explorer les
ressources personnelles et/ou familiales qui permettront une
■ Patient suicidaire réponse adaptée à la situation.

Paradigme de l’urgence psychiatrique, l’expression d’une


idéation suicidaire nécessite de la part du médecin se rendant à
domicile une évaluation minutieuse du contexte dans lequel Encadré 4
elle survient et de la symptomatologie psychiatrique qui
l’accompagne. En Europe, l’incidence estimée du taux de suicide
varie selon les pays, mais elle est d’environ de 5 à 23 pour “ Caractéristiques des idées
100 000 habitants par an. [1] Le nombre de tentatives de suicide
est de dix à 25 fois supérieur. La grande majorité des tentatives
suicidaires
de suicide (80 %) surviennent dans des contexte de crise
interpersonnelle et la plupart (90 %) sont associées à un trouble • Type d’idéation suicidaire : sporadique ou persistante,
psychiatrique (trouble dépressif ou anxieux principalement). [1] active ou passive
• Présence d’un scénario suicidaire élaboré (prise de
médicaments, pendaison, défenestration)
Appel téléphonique du patient suicidaire • Désespoir et/ou pessimisme face à l’avenir
et/ou de son entourage • Détermination et attribution positive au geste/com-
portement suicidaire
Tout appel d’un patient suicidaire doit être pris au sérieux. Ce
type de demandes tendant à générer une certaine anxiété chez
le médecin ou le personnel paramédical qui reçoit l’appel, il est
indispensable dans ce cas de garder une attitude calme et Le clinicien doit garder à l’esprit que, contrairement aux idées
réceptive, afin de saisir au mieux la problématique du patient. reçues, l’évaluation de la suicidalité ne risque pas de précipiter
Outre les éléments de base (nom, adresse, numéro de téléphone, un passage à l’acte chez le patient ; bien au contraire, elle a

4 Traité de Médecine Akos


Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

Tableau 2.
Facteurs de risque de suicide et de tentative de suicide.
Facteurs de risque de suicide Facteurs de risque de tentative de suicide
Sexe masculin Présence d’une idéation suicidaire
Âge : adolescents et patients au-dessus de 40 ans Sexe féminin
Antécédents de tentative de suicide Âge entre 15 et 40 ans
Antécédents familiaux de suicide Dépression et anxiété
Isolement affectif Situation de crise interpersonnelle
Affections psychiatriques : dépression majeure, mélancolie, dépression réac- Pertes (séparation, chômage, rupture sentimentale)
tionnelle, psychose décompensée, bouffée délirante, troubles anxieux, trou- Personnalité fragile (par exemple, dépendante, impulsive)
bles de la personnalité, dépendance à l’alcool et aux drogues, troubles psycho-
organiques Abus ou dépendance de substances psychoactives (alcool, drogues)

fréquemment pour effet de soulager le patient qui peut enfin l’émergence de l’idéation morbide (pathologie psychiatrique,
mettre des mots sur une souffrance souvent longtemps contexte de crise) est en effet nécessaire dans ces situations.
cachée. [6] Une autre croyance erronée concerne l’idée que le fait L’entourage est invité à accompagner le patient à l’hôpital et à
d’en parler protège du passage à l’acte. Une attitude ouverte, participer aux entretiens avec les soignants du service de
empathique, claire et dépourvue de jugement de valeur de la psychiatrie. Deux situations peuvent néanmoins amener le
part du clinicien favorise la qualité de l’évaluation. médecin à demander une hospitalisation psychiatrique pour ces
Le recours à une échelle standardisée d’évaluation de la patients dont l’état est inquiétant, à savoir le manque de
suicidalité peut s’avérer utile pour mieux cerner l’intensité des collaboration du patient pour une évaluation spécialisée et
idées morbides. L’item « idées de suicide » de l’échelle l’impossibilité de demander en urgence une évaluation
Montgomery-Asberg depression rating scale (MADRS) composée psychiatrique.
de sept points est un outil simplifié et facile à utiliser comme
complément à l’évaluation du suicidant (encadré 5).
Patient ayant fait une tentative de suicide
à domicile
Le patient doit être transféré sans tarder vers le service
d’urgences de l’hôpital. En aucun cas le praticien ne doit
Encadré 5
banaliser le passage à l’acte du patient. L’expérience auprès des

“ Score du Montgomery-Asberg
patients qui décident d’en finir montre que la gravité du
contexte de crise et celle de leur trouble psychiatrique ne sont
pas forcements proportionnelles à la létalité du geste suici-
depression rating scale daire. [2] Dans ce contexte, le praticien doit garder à l’esprit que
des patients livrés à eux-mêmes peuvent récidiver très rapide-
• 0 Jouit de la vie ou la prend comme elle vient ment. Enfin, il ne faut pas oublier qu’un patient souhaitant
• 1 (entre 0 et 2) mourir peut donner de fausses informations par rapport au
• 2 Fatigue de la vie, idées suicidaires occasionnelles nombre de comprimés avalés. Une évaluation somatique s’avère
• 3 (entre 2 et 4) indispensable dans ces cas, laquelle doit être suivie d’une
évaluation par le psychiatre de garde.
• 4 Il voudrait être mort. Les idées de suicide sont
courantes et le suicide est considéré comme une
solution possible, mais sans projet ou intention précis
• 5 (entre 4 et 6) Conduite à tenir
• 6 Projets explicites de suicide si l’occasion se présente. Elle est définie dans le Tableau 3.
Préparation de suicide
• 7 Début de mise en œuvre du projet suicidaire létal
Coter le patient sur l’échelle de 0 à 7
Messages essentiels
• L’évaluation systématique et empathique favorise la verbali-
sation d’une idéation morbide et soulage le patient suicidaire.
Prise en charge à domicile • Ne jamais banaliser ou minimiser une idéation suicidaire ou
une tentative de suicide.
Idéation suicidaire passive et faible potentiel
• Chez le patient ayant passé à l’acte, le degré de désespoir ou
suicidaire (MADRS égal ou inférieur à 2)
la gravité du trouble psychiatrique ne sont pas forcément liés
Le médecin invite le patient et son entourage à fixer rapide- à la gravité des lésion ou au nombre de comprimés avalés. [2]
ment un rendez vous avec le médecin de famille pour que • Rechercher systématiquement les facteurs de risque et les
celui-ci réexamine le patient et évalue la nécessité d’une prise symptômes d’alarme.
en charge spécialisée. En attendant, le médecin d’urgence peut • La dépression est la pathologie la plus associée à l’apparition
éventuellement prescrire une médication anxiolytique. Dans ce d’une idéation suicidaire, voire d’une tentative de suicide.
cas de figure, les neuroleptiques à faibles doses comme l’olan-
zapine (Zyprexa®), à raison de 2,5 mg per os, ou la thioridazine
(Melleril ® ), de 10 à 30 mg per os, sont utiles pour calmer
l’anxiété associée à une idéation morbide. ■ Patient anxieux
L’anxiété est un symptôme non spécifique qui peut se
Idées suicidaires actives et important potentiel
présenter dans une multitude de situations cliniques. [3, 4] Il
suicidaire (MADRS égal ou supérieur à 3) s’agit d’une expérience subjective et d’un vécu familier à tous
Le patient dans ce cas doit être adressé au service d’urgences les êtres humains. Elle peut être définie comme un état émo-
psychiatriques le plus proche. Une évaluation spécialisée plus tionnel de « discomfort » et de tension dans lequel coexistent des
complète et systématique de tous les facteurs participant à composants cognitifs (peur, vigilance excessive, angoisse, etc.) et

Traité de Médecine Akos 5


7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

Tableau 3.
Conduite à tenir devant un patient suicidaire.
Idéation suicidaire passive avec MADRS égal ou inférieur à 2 Réévaluation ambulatoire
Absence de facteurs d’alarme
Capacité à redemander de l’aide en cas d’aggravation des idées suicidaires
Appui de l’entourage
Toute tentative de suicide Urgences psychiatriques, hôpital général
Un ou plusieurs des symptômes d’alarme suivants : idéation suicidaire active, détermination
et attribution positive de l’idéation suicidaire, désespoir, mise en place d’un scénario suicidaire
Présence d’un ou plusieurs facteurs de risque : score MADRS égal ou supérieur à 3, dépression avec
un score HAD > 23, maladie chronique ou affection médicale sévère, isolement social, conflit ouvert
avec l’entourage, abus/dépendance à l’alcool ou aux drogues, antécédents de tentative de suicide,
patient âgé ou adolescent
Idéation suicidaire active et absence de collaboration pour une évaluation dans un service Hôpital psychiatrique
d’urgences psychiatriques
MADRS : Montgomery-Asberg depression rating scale ; HAD : échelle Hamilton dépression.

Tableau 4. Stress aigu


Motifs principaux de demande d’intervention pour anxiété.
Le médecin peut être amené à intervenir à domicile auprès
Anxiété situationnelle d’un patient ayant subi un stress récent (généralement dans les
Conflit de famille
heures précédant l’urgence médicale) qui a mis en danger son
Conflit de couple
Problèmes financiers ou professionnels intégrité physique ou psychique. Généralement, il s’agit
Deuil récent, divorce, séparation, rupture sentimentale d’accidents de la route, d’agressions physiques (par exemple,
violence conjugale) ou sexuelles (viol, attouchements). Le
Anxiété secondaire
À des troubles psychiatriques (dépression, psychose, etc.)
tableau clinique se caractérise par un état de choc psychique qui
Abus d’alcool ou de drogues peut être accompagné par une hébétude et une symptomatolo-
(cannabis, cocaïne, LSD, amphétamines, ecstasy) gie anxiodépressive diffuse. Parfois, le patient peut présenter un
Syndrome de sevrage état dissociatif (amnésie et stupeur). Les symptômes tendent à
Maladies systémiques, douleur chronique être fluctuants au cours de la journée.
Troubles primaires de l’anxiété
Trouble panique Syndrome de stress post-traumatique
Stress aigu
Syndrome de stress post-traumatique Dans ce syndrome, l’anamnèse met en évidence l’existence
d’un traumatisme physique et/ou psychique qui peut même
remonter à des mois, voire à des années en arrière. L’événement
traumatique est en permanence revécu par le patient sous forme
somatiques avec hyperactivité neurovégétative (tachycardie, de souvenirs répétés et envahissants, ainsi que de cauchemars.
palpitations, dyspnée, sudation, etc.). Le caractère normal ou Une hyperactivité neurovégétative avec un état d’hypervigilance
pathologique de l’anxiété dépend de l’intensité, de la durée (au sont présents. La demande d’urgence peut être motivée par une
point de perturber grièvement le fonctionnement quotidien du intensification du syndrome déclenché par un événement
patient) et la congruence avec des évènements déclencheurs. extérieur qui rappelle au patient l’événement traumatique. Elle
Lors des interventions à domicile, il est courant de voir des peut également émaner des complications fréquentes observées
patients qui présentent des troubles anxieux et qui expriment chez ces patients (dépression, idées suicidaires, abus d’alcool).
fondamentalement des plaintes somatiques. Le Tableau 4
résume les principaux motifs d’intervention d’urgence à Dépendance aux benzodiazépines
domicile dont l’anxiété est au premier plan.
Vu l’importante consommation de tranquillisants dans la
population générale (de 10 à 12 % environ), [2, 3, 7] les deman-
Tableaux cliniques des d’intervention en urgence pour une symptomatologie de
manque ou crainte de l’être sont de plus en plus fréquentes. Les
Attaque de panique/trouble panique symptômes de manque se caractérisent par une anxiété diffuse
Les attaques paroxystiques d’anxiété avec ou sans facteur et progressive. L’examen met surtout en évidence une hyperac-
déclenchant représentent un motif fréquent d’appel en urgence tivité sympathique. Le symptôme signal motivant l’appel en
et d’intervention à domicile. Ces attaques sont généralement urgence est fréquemment l’insomnie. Un tableau confusionnel,
autolimitées dans le temps (entre 2 minutes et 2 heures au voire de crises comitiales, peut parfois apparaître, notamment
maximum) et se caractérisent par une symptomatologie neuro- suite à un arrêt brutal chez un patient dépendant de longue
végétative et cognitive. Généralement, le patient décrit une date aux benzodiazépines.
anxiété soudaine avec palpitations, oppression thoracique,
sentiment d’étouffement et hyperventilation, paresthésies et Anxiété dans le contexte de situation de crise
sensation de vertige Ces symptômes évoluent in crescendo très
rapidement et le patient est de plus en plus submergé par un Certaines urgences à domicile sont motivées par des deman-
état de panique qui s’accompagne fréquemment d’un sentiment des d’évaluation dans le cadre de conflits conjugaux ou fami-
de mort imminente (par exemple, peur d’avoir un infarctus) liaux. Dans ce type d’interventions, le médecin est confronté à
et/ou d’une peur de perdre la maîtrise de soi. Des sensations de une ou plusieurs personnes qui manifestent des symptômes
déréalisation ou de dépersonnalisation peuvent compléter le anxieux d’intensité variable. Lors de l’évaluation, il est possible
tableau clinique. Une anamnèse d’attaques de panique récur- que d’autres symptômes (notamment dépressifs) se surajoutent
rentes associées à une appréhension de nouvelles attaques doit à une atmosphère de grande tension, ou des récriminations, des
faire évoquer le diagnostic de trouble panique. Dans ce type éclats de colère ou règlement de comptes mettent le médecin à
d’urgences, le diagnostic différentiel avec une étiologie organi- dure épreuve. Le clinicien doit garder à l’esprit que l’objectif
que ou un abus de substances psychoactives est primordial. principal dans ces situations, outre de contenir et apaiser ce

6 Traité de Médecine Akos


Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

climat de tension, consiste moins à trouver des réponses qu’à maintenue de 3 à 5 secondes. Ensuite, expirer par la bouche
poser de bonnes questions concernant la crise, la perception de durant le même temps et recommencer de nouveau. Exercice à
celle-ci par les patients, d’évaluer leurs ressources en attendant répéter une dizaine de fois.
un rendez-vous ambulatoire ou spécialisé. Quelques techniques simples de contrôle cognitif peuvent
être proposées, qui visent à contrecarrer les pensées intrusives
Anxiété liée à des maladies systémiques de mort, d’infarctus, de perte de contrôle : on propose au
ou chroniques patient de fixer son attention sur un objet qui se trouve autour
de lui et de le décrire minutieusement.
Diverses affections systémiques s’accompagnent d’une anxiété
(encadré 6) qui peut parfois en être l’un des premiers symptô-
mes. L’anamnèse, l’examen physique et certains indices (âge Éléments psychoéducatifs
supérieur à 35 ans, absence de facteurs de crise, absence L’information a une valeur thérapeutique en soi. Le patient
d’antécédents de troubles anxieux, absence de réponse aux présentant un trouble panique doit être informé du fait qu’il
tranquillisants) aident le clinicien dans le cadre du diagnostic s’agit d’un trouble bien connu, gênant pour le patient mais qui
différentiel. Par ailleurs, certains patients atteints de maladies ou ne présente pas, contrairement à ses craintes, de risque létal. Il
de douleurs chroniques peuvent solliciter le médecin en urgence est en effet utile de prendre quelques minutes pour expliquer au
en raison d’une anxiété liée à leur état. Des facteurs tels que la patient et à son entourage le mécanisme des attaques de
réponse au traitement, le pronostic, l’intensité de la douleur et panique. On peut initier cet exposé en comparant les symptô-
les conséquences sur la qualité de vie de leur affection sont mes de la crise avec ceux présentés dans une situation qui fait
essentiels pour une compréhension de leur anxiété. normalement peur (par exemple, « si vous étiez en face d’un
lion votre cœur battrait très fort, la respiration se serait
accélérée, votre corps aurait commencé à trembler et vos mains
à transpirer…. il n’y avait bien sûr pas de lion quand vous avez
eu votre crise et c’est sûrement parce que il n’y avait pas de
Encadré 6
cause identifiable pour vous que vous avez commencé à vous

“ Quelques affections
demander ce qu’il vous arrivait…. vous avez alors pensé à un
malaise cardiaque, ce qui vous a fait très peur et a augmenté
davantage vos symptômes »). Lors d’une première crise, il est
systémiques à l’origine d’une recommandé de faire participer le patient au raisonnement sur
anxiété (liste non exhaustive) ce qui lui est arrivé plutôt que de le rassurer simplement. Enfin,
il est important d’informer le patient et son entourage des
possibilités de soins à court et à moyen terme. En cas de
• Insuffisance coronarienne, troubles du rythme situation de crise conjugale ou familiale, l’orientation vers des
cardiaque structures ambulatoires (centres de crise, consultations de
• Hyperthyroïdie, hypothyroïdie, syndrome de Cushing secteur) est conseillée afin de procéder à une évaluation plus
• Asthme, maladie pulmonaire obstructive chronique approfondie de la crise et de mettre en place des éventuelles
• Hypoglycémie consultations de couple/famille.
• Épilepsie
• Phéochromocytome
Évaluation de l’intensité
Pour évaluer l’intensité des symptômes d’anxiété actuels,
l’échelle de Hamilton anxiété (HA) est un bon outil d’évalua-
Prise en charge à domicile tion. Le calcul de l’échelle HA peut coter assez haut rapidement,
ce qui est compatible avec le fait qu’en situation d’urgence les
Attitude du médecin symptômes anxieux sont souvent aigus. Par ailleurs, il est tout
à fait habituel que l’échelle HA cotée à la fin de l’intervention
À la différence de la dépression, pour les résultats de l’échelle soit plus basse qu’au début de celle-ci :
Hamilton anxiété, il n’y a pas de seuil d’anxiété à partir duquel • HA inférieure à 5, intensité négligeable ;
il est recommandé de transférer le patient en milieu hospitalier, • HA entre 5 et 14, intensité mineure ;
l’anxiété étant en effet plus instable que les symptômes affectifs. • HA supérieure à 14, intensité majeure.
Ainsi, c’est plutôt le contexte dans lequel elle se situe et la
réponse à l’intervention qui vont participer à la prise de la
décision d’un transfert. Une attitude calme, rassurante, empa-
Traitement pharmacologique
thique de la part du clinicien est l’élément relationnel fonda- Il doit être réservé à l’anxiété incoercible qui ne répond pas
mental durant l’évaluation en urgence du patient anxieux. aux autres mesures citées ci-dessus (entretien, relaxation,
contrôle respiratoire). Par principe, le traitement administré doit
Techniques de relaxation et de contrôle être en dose unique, évitant si possible la prescription d’une
ordonnance. [2]
respiratoire
Le médicament de choix est une benzodiazépine à demi-vie
Certaines techniques simples sont souvent efficaces pour intermédiaire. Les anxiolytiques à longue demi-vie, tels que le
atténuer les symptômes en urgence. diazépam (Valium®) ou le clorazépate dipotassique (Tranxi-
Relaxation : demander au patient, allongé ou assis conforta- lium®) sont à éviter en règle générale et plus particulièrement
blement, de trouver un rythme respiratoire agréable et de se chez les personnes âgées. Les doses sont les plus basses possibles
concentrer sur une relaxation musculaire progressive, des pieds chez ces dernières en raison d’une plus importante prédisposi-
jusqu’à la tête. tion à présenter des effets indésirables (somnolence, effet
Contrôle respiratoire de l’attaque de panique : demander au dépresseur sur le centre respiratoire, réaction paradoxale, état
patient d’inspirer par le nez (chez certains individus, ceci confusionnel).
augmente l’impression d’étouffer et on peut également leur Il convient également d’éviter les benzodiazépines à demi-vie
proposer d’inspirer l’air par la bouche) en gonflant le ventre courte tels que l’alprazolam à cause de leur risque élevé de
afin de provoquer une hyperpression abdominale qui doit être dépendance.

Traité de Médecine Akos 7


7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

Tableau 5.
Conduite à tenir devant un patient anxieux.
Attaque de panique Prise en charge à domicile et réévaluation ambulatoire
Trouble panique
Dépendance à l’alcool et à des substances psychoactives
Anxiété situationnelle modérée
Syndrome de stress post-traumatique Service d’urgences, hôpital général
Stress aigu
Anxiété situationnelle sévère
Sevrage d’alcool et de substances psychoactives
Anxiété associée à un état dépressif sévère

On peut prescrire :
• oxazépam (Séresta®), de 15 à 30 mg per os (10 mg per os Encadré 7
pour la personne âgée) ;
• Séresta Expidet®, 15 mg per os ;
• lorazépam (Témesta®), de 1 à 2 mg per os (0,5 mg per os
pour la personne âgée) ;
“ Facteurs de risque de
• Témesta Expidet®, 1 mg per os. comportement hétéroagressif
En cas de stress aigu ou de stress post-traumatique à forte
composante psychosensorielle (flash-back, réminiscences), une • Sexe masculin
alternative aux benzodiazépines est la prescription d’un neuro- • Âge entre 15 et 39 ans
leptique à faible dose, tel que • Antécédents de comportement agressif
• olanzapine (Zyprexa®), de 2,5 à 5 mg per os ; • Abus d’alcool ou de drogues
• rispéridone (Risperdal®), de 0,5 à 1 mg per os. • Pathologies psychiatriques : paranoïa, troubles
psychotiques, état maniaque, troubles de la
personnalité (par exemple, borderline, antisociale)
Conduite à tenir • Faible support familial, conflit de couple et/ou de
Elle est rapportée dans le Tableau 5. famille

Messages essentiels
• L’anxiété est un symptôme non spécifique qui peut être une hétéroagressivité. À l’examen, on constate une éclosion
provoqué par des causes organiques, psychiatriques ou délirante et productive sous forme de délire à thématique
situationnelles. diverse, de persécution, de grandeur ou à thème mystique.
• Garder une attitude calme, emphatique et rassurante face à Durant l’évaluation, le patient peut se montrer peu collaborant
un patient anxieux. et adopter des attitudes d’écoute qui sous-tendent la présence
• Écarter une éventuelle pathologie organique avant de traiter d’hallucinations auditives. L’hygiène corporelle et l’apparence
le patient avec une médication anxiolytique. personnelle sont souvent déficitaires et l’affect émoussé ou
• Éviter de prescrire des ordonnances de tranquillisants durant inapproprié. Le discours est fréquemment illogique, avec des
les interventions d’urgence. [1, 2, 6, 10] associations d’idées incohérentes. Le médecin du service
d’urgence est souvent alerté par l’entourage, voire le voisinage
du patient.
■ Patient agité et/ou violent Il n’est pas rare que l’examen se déroule au poste de police
en raison de troubles du comportement. Les antécédents de
L’agitation psychomotrice est un état caractérisé par une multiples hospitalisations en milieu spécialisé, la notion d’un
augmentation de l’activité motrice, associée à des états émo-
traitement neuroleptique au long cours et la précarité psycho-
tionnels intenses tels l’anxiété, la tristesse, la panique, l’eupho-
sociale sont des éléments qui vont dans le sens d’un diagnostic
rie, etc. Dans certaines situations, l’agitation s’associe à un
de psychose décompensée. En revanche, un âge trop avancé
comportement violent ou imprévisible, et certains facteurs de
risque de comportement hétéroagressif sont à prendre en (premier épisode après l’âge de 45 ans), l’absence d’antécédents
compte lors des interventions à domicile (encadré 7). psychiatriques, toute altération de la conscience ou n’importe
Comme l’anxiété, l’agitation est d’abord un comportement quelle altération neurologique ainsi que la présence d’halluci-
non spécifique qui peut être provoqué par des causes organiques nations visuelles, olfactives, gustatives ou tactiles doivent nous
et/ou psychiatriques. [8] mettre sur la piste d’une affection organique sous-jacente.

Tableaux cliniques Trouble de la personnalité en situation de crise


Le clinicien qui se déplace à domicile est parfois confronté à
Décompensation psychotique des crises d’agitation psychomotrice d’origine caractérielle dans
Elle se caractérise par une perturbation dans la perception de le contexte de crises interpersonnelles. Ce type d’urgence est
la réalité (hallucinations, délires, désorganisation de la pensée). très fréquent chez des patients présentant des troubles de la
La schizophrénie fait partie des psychoses dites chroniques dont personnalité, où le déficit du contrôle des impulsions se situe au
le tableau clinique se caractérise par l’existence de symptômes premier plan. Cliniquement, le patient peut se présenter agité,
productifs mais également par une détérioration cognitive. Il colérique, verbalisant des demandes irréalistes comportant de
existe d’autres troubles psychiatriques dans lesquels nous multiples revendications à l’égard de son entourage ou de la
pouvons observer des symptômes psychotiques comme les société (autorités, employeur). Très souvent, le contexte de crise
troubles affectifs (manie ou dépression sévère) ou la paranoïa. est celui d’une menace de perte (divorce, rupture sentimentale).
La présentation clinique habituelle se caractérise par un L’abus d’alcool n’est pas rare et le patient tend à présenter une
comportement désorganisé, associé ou non à une auto- ou à attitude provocatrice à l’égard du médecin de garde. Le passage

8 Traité de Médecine Akos


Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

à l’acte hétéro- ou autoagressif est particulièrement à craindre reconnaît plus les lieux, les dates ni les personnes. Parallèle-
du fait de la difficulté à supporter la frustration qui est souvent ment, le discours du patient est incompréhensible, imprécis.
liée à des angoisses massives d’abandon (particulièrement chez Une agitation motrice est aussi fréquente. Des troubles de la
le patient présentant un trouble de la personnalité borderline). mémoire antérograde et rétrograde accompagnent la sympto-
matologie. Des phénomènes psychosensoriels tels que des
Ivresse aiguë illusions et des hallucinations (visuelles, tactiles ou cénesthési-
Le médecin est généralement confronté aux stades 2 et 3 de ques) peuvent être présentes, ainsi qu’un délire désorganisé.
l’intoxication alcoolique, à savoir : L’état de confusion mentale tend à s’aggraver le soir ou avec
• deuxième stade (alcoolémie de 0,2 à 0,3 %) : incoordination l’obscurité. Certains patients sont plus exposés que d’autres à
motrice, dysarthrie, agressivité physique et verbale ; l’apparition d’une confusion mentale (encadré 8).
• troisième stade (alcoolémie supérieure à 0,3 %) : coma avec
hypothermie et dépression respiratoire.

Sevrage d’alcool
Encadré 8
Chez un patient dépendant à l’alcool, le syndrome d’absti-
nence commence habituellement (90 %) dans les 24 heures qui
suivent l’arrêt de la consommation. Les symptômes évoluent sur
“ Patients à risque d’état
quatre stades : confusionnel
• premier stade : sueurs nocturnes ou matinales associées à un
discret tremblement ;
• Personnes âgées, en particulier sous médicaments,
• deuxième stade : les sueurs deviennent abondantes, les
tremblements plus importants, atteignant même les lèvres ; ayant des déficits visuels/auditifs ou présentant une
des myoclonies peuvent apparaître aux membres inférieurs ; infection sous-jacente
présence de troubles digestifs tels que diarrhée et vomisse- • Enfants avec un état fébrile
ments ; à ce stade, l’agitation motrice devient souvent • Patients dépendants d’alcool ou de substances
importante, le patient luttant contre une anxiété croissante ; psychoactives
• troisième et quatrième stades : aggravation progressive de • Patients atteints de syndrome immunodéficitaire acquis
l’état du patient qui devient de plus en plus agité, halluciné
et confus, entrant dans un stade de pré-delirium tremens qui
peut s’accompagner de convulsions tonicocloniques générali-
sées et qui aboutit sans traitement à une urgence médicale
vitale, le delirium tremens avec déshydratation, confusion Devant ce type de tableau clinique, le médecin doit d’abord
extrême, fièvre et crises d’épilepsie. penser à une étiologie organique comme principale hypothèse
diagnostique (encadré 9).
Bouffée délirante
Prise en charge à domicile
La bouffée délirante se caractérise par une éclosion soudaine
d’une symptomatologie délirante à thèmes multiples (délire de Attitude du médecin
persécution, de grandeur) chez un patient qui, en apparence, ne
présentait pas jusqu’alors de symptômes psychiatriques. Des Face à un patient agité et/ou potentiellement violent, il est
phénomènes psychosensoriels tels que les hallucinations important que le médecin adopte une attitude calme, et puisse
auditives peuvent être présents et vécus avec une forte adhésion transmettre au patient un désir de comprendre sa situation et
et angoisse. L’état de conscience peut être légèrement déstruc- de venir à son aide. [1-4, 8-10] Par ailleurs, des consignes de
turé avec un certain détachement, mais il est rare que l’on sécurité doivent être respectées par le clinicien lors de son
assiste à une véritable désorientation temporospatiale. Le intervention (encadré 10). Certaines situations peuvent évoluer
comportement est hautement imprévisible et les raptus auto- ou de façon très satisfaisante, et l’agitation parvient à être traitée et
hétéroagressifs fréquents. Dans ce type de situations, le diagnos- atténuée. En revanche, dans certains cas, l’intervention de la
tic différentiel avec une pathologie organique ou un abus de force publique ou de personnel qualifié (infirmier, ambulancier,
substances psychoactives est fondamental. etc.) s’avère nécessaire pour procéder au transfert du patient vers
une unité hospitalière. Le médecin se rendant au domicile doit
Décompensation maniaque être attentif à consacrer du temps pour un entretien auprès de
l’entourage qui est fréquemment ébranlé dans ce type
Celle-ci se caractérise par une humeur expansive avec eupho- d’urgences.
rie, une hyperactivité motrice (agitation incessante, désinhibi-
tion sexuelle) et intellectuelle (logorrhée, fuite des idées, coq-à- Traitement pharmacologique
l’âne, distractibilité, jeux de mots et ludisme). Des thèmes de
grandeur, de toute-puissance et une irritabilité importante Il varie selon les situations cliniques (Tableau 6).
complètent le tableau. Les proches du patient décrivent souvent Pour le traitement de sevrage d’alcool, la décision de la prise
un comportement social irresponsable (par exemple, achats en charge ou non à domicile peut s’avérer difficile pour le
inconsidérés), ainsi qu’une insomnie durable. Ce trouble du médecin. Si le médecin estime que les conditions pour la mise
sommeil est souvent un des premiers signes d’alarme d’une crise en place d’un traitement ne sont pas réunies (le patient refuse
maniaque. Au moment de la décompensation, la conscience de le traitement, risque de consommation rapide d’alcool, absence
la maladie est fortement diminuée et la mise en place de d’entourage, etc.), il vaut mieux que le patient reprenne sa
l’hospitalisation en milieu psychiatrique donne lieu fréquem- consommation habituelle d’alcool en attendant un rendez-vous
ment à des réactions d’opposition avec agitation et/ou violence. auprès de son médecin pour organiser un éventuel sevrage
ambulatoire ou hospitalier plutôt que de se risquer à un
État confusionnel aigu mélange d’alcool et médicaments. [2, 8, 10] Si les conditions de
base pour le traitement sont présentes, une couverture de
La confusion se caractérise par des troubles de la vigilance, de sevrage par oxazépam (Séresta®), à raison de six fois 30 mg/j per
l’attention et surtout par le signe princeps de cet état, à savoir os avec un schéma dégressif sur 5 jours, doit être associée à une
une désorientation temporospatiale sur trois axes : le sujet ne bonne hydratation et une vitaminothérapie du groupe B.

Traité de Médecine Akos 9


7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

Encadré 9

“ Causes fréquentes d’état confusionnel


• Médicaments : anticholinergiques, benzodiazépines, méthyldopamine, digitaline, corticoïdes
• Syndrome de sevrage à l’alcool et aux benzodiazépines
• Surdosage de psychotropes et de substances psychoactives
• Troubles métaboliques : hypo- et hyperglycémie, hyponatrémie, encéphalopathie hépatique
• Infections, notamment encéphalites et méningites
• Neurologiques : traumatisme cranioencéphalique, hématome sous-dural, état postcritique
• Causes endocriniennes : hypo- et hyperthyroïdisme, syndrome de Cushing
• Intoxication au monoxyde de carbone
• État démentiel chez la personne âgée

Encadré 10

“ Consignes de sécurité face à un patient agité et/ou potentiellement


violent (d’après Sanchez et al. ) [2]

• Pas de prise de risques ni de mesures héroïques. Si, lors de la demande d’intervention, le patient est décrit comme très agité et
violent, se coordonner avec la force publique et les ambulanciers afin de préparer une stratégie d’intervention qui puisse permettre
une évaluation médicale et garantir la sécurité.
• Le médecin doit se présenter calmement en expliquant avec des mots simples et clairs le motif de sa présence. Éviter de se laisser
gagner par un sentiment de peur.
• Le contenu des explications doit être cadrant, en évitant à tout prix de faire la surenchère dialectique avec le patient.
• Si le patient est capable de mener une conversation, lui proposer de s’asseoir et lui demander quel est son point de vue sur ce qui lui
arrive. Si une ébauche de communication est possible, essayer de lui faire transmettre que vous êtes là pour l’aider et soulager son
anxiété.
• Se situer toujours côté porte pour s’assurer une voie de sortie en cas de nécessité.
• La distance entre le médecin et le patient doit être d’au moins deux bras.
• Appeler souvent le patient par son nom de famille.
• Éviter de fixer trop longtemps le regard sur le patient. Certains patients, notamment sous les effets de l’alcool, prennent ceci
comme un défi.
• Si le patient est armé, lui demander tranquillement de déposer son arme. S’il n’obéit pas, surtout ne pas essayer de la lui enlever.
Dans ces situations, partir au plus vite et demander de l’aide à la force publique.
• Face à un patient très agité, délirant et menaçant, il faut rapidement le calmer par une injection parentérale d’un psychotrope avec
l’aide de tierces personnes (entourage, police, ambulanciers) et éviter d’entrer dans une discussion ou de longues palabres.

Tableau 6.
Traitement en urgence d’un patient agité et/ou violent.
Situation clinique Médicament Posologie et forme galénique Remarques
Patient très agité et/ou violent Halopéridol (Haldol®) de 5 à 10 mg i.m. Effets secondaires
Lorazépam (Témesta®) de 1 à 5 mg i.m. L’association du lorazépam à l’halopé-
ridol peut être efficace pour les agita-
tions ne répondant pas à l’halopéridol
Patient ivre et agité Clotiapiane (Entumine®) de 40 à 80 mg i.m. Chute tensionnelle
Éviter les benzodiazépines car elles
potentialisent les effets de l’alcool
Patient agité dans le contexte d’une Olanzapine (Zyprexa®) de 2,5 à 5 mg p.o. Pas de disponibilité actuelle de formes
situation de crise ou d’un trouble injectables
®
de la personnalité Risperidone (Risperdal ) de 2 à 4 mg p.o.

i.m. : voie intramusculaire ; p.o. : per os.

Conduite à tenir • Hospitaliser en milieu psychiatrique le malade décompensé


sur le plan maniaque ou psychotique.
Elle est rapportée dans le Tableau 7. • Réaliser un examen physique et évaluer le contexte de crise
avant de se précipiter pour traiter un patient.
Messages essentiels • S’entourer des mesures nécessaires face à un patient agité ou
• L’agitation est un comportement non spécifique qui peut être potentiellement violent pour garantir la sécurité du patient,
provoqué par des causes organiques ou psychiatriques. celle de son entourage et du médecin intervenant.

10 Traité de Médecine Akos


Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

Tableau 7.
Conduite à tenir devant un patient agité et/ou violent.
Dépendance à l’alcool ou à des substances psychoactives sans syndrome de sevrage et absence d’état Réévaluation ambulatoire
confusionnel
Situation de crise répondant bien à l’intervention du médecin
Agitation d’origine inconnue Service d’urgence, hôpital psychiatrique
Ivresse aiguë stade 2-3
Sevrage d’alcool ou de substances psychoactives
État confusionnel
Trouble de la personnalité et/ou situation de crise avec agitation incoercible
Bouffée délirante
Décompensation maniaque Hôpital psychiatrique
Décompensation psychotique

■ Références [6] Clark D. The evaluation and management of suicidal patient. In:
Emergencies in mental health practice. London: The Guilford Press;
[1] De Clercq M. Urgences psychiatriques et intervention de crise. 1998. p. 75-94.
Bruxelles: De Boeck Université; 1997. [7] Schatberg A, Cole J, De Battista C. Emergency room treatment. In:
[2] Sanchez C, Pascual Sanchez T, Planas P, Amezaga I, Colombo S. Manual of clinical psychopharmacology. Washington: American
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[5] Grivois H. Urgences psychiatriques. Paris: Masson; 1986. 1994.

C. Sanchez-Valero, Psychiatre-psychothérapeute, ancien premier chef de clinique de l’unité d’urgences psychiatriques, hôpitaux universitaires de Genève,
Suisse.
14, rue du Conseil Général, 1205 Genève, Suisse.
P. Planas, Psychiatre-psychothérapeute, ancien chef de clinique du centre psychosocial de la Chaux de Fonds, Neuchâtel, Suisse.
168-174 Gran Sant Andreu, 8030 Barcelone, Espagne.
T. Pascual-Sanchez, Psychologue-psychothérapeute.
Service médico-pédagogique, 8, rue du XXXI Décembre, 1204 Genève, Suisse.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 11


7-0320
7-0320

Interruption des traitements


Encyclopédie Pratique de Médecine

en psychiatrie
V Olivier

L ’interruption des traitements par le malade entraîne fréquemment des rechutes de la maladie.

© Elsevier, Paris.

■ ■
traitement est secondaire à la survenue d’effets
Introduction Interruption d’un traitement indésirables gênants, plusieurs alternatives peuvent
antidépresseur
être proposées : reprise du même antidépresseur,
mais à posologie réduite (la posologie peut être
‚ Interruption du traitement adaptée, pour certains produits, en fonction du
Les interruptions de traitement peuvent après guérison d’un accès dépressif
s’effectuer de deux manières : soit elles s’inscrivent dosage sanguin de l’antidépresseur) ; prescription de
L’interruption d’un traitement antidépresseur ne correcteurs des effets indésirables pouvant
dans le cadre d’un projet thérapeutique élaboré avec
peut se concevoir qu’au terme d’un traitement supprimer ou atténuer ces effets ; changement
le patient, soit elles sont effectuées par le patient
préventif d’une rechute d’une durée d’environ 4 à 6 d’antidépresseur. Dans tous les cas, il est important
lui-même contre l’avis de son psychiatre.
mois à partir de la guérison de l’accès dépressif d’encourager le patient à reprendre un traitement
Les premières nécessitent certaines précautions
(celle-ci étant définie par l’absence de tout antidépresseur du fait d’un risque précoce de
en fonction du cadre diagnostique et du produit
symptôme dépressif ou la récupération du niveau rechute.
utilisé. Sans être précisèment codifiées, elles font
d’adaptation habituelle). Elle se fera de manière
l’objet de règles générales de conduite.
progressive en 2 mois environ. Dans certains cas, en
Les secondes posent plus de problèmes. En effet, En cas d’arrêt brutal d’un traitement
particulier lorsque la tolérance au produit est
la compliance au traitement est mauvaise pour mauvaise et le risque présumé de rechute minime, la
antidépresseur par tricycliques ou
l’ensemble des psychotropes, à l’exception des diminution de la posologie pourra s’effectuer plus
IMAO, il existe un risque de syndrome
benzodiazépines. Les interruptions de traitement précocement, 3 à 6 semaines après la guérison de de sevrage. L’incidence de ce
entraînent fréquemment des rechutes de la maladie l’accès ; la diminution de la posologie s’effectuera syndrome est de 21 à 55 % selon les
dont les conséquences peuvent être graves alors plus progressivement, s’étalant sur 3 à 5 mois. études.
(conséquences professionnelles, familiales, Cette méthode d’interruption permet de
conjugales, financières, légales...) Les principaux réaugmenter la posologie en cas de signe de Ce syndrome est en pratique peu reconnu par les
facteurs de non-compliance sont les effets rechute. En effet, l’apparition de signes de rechute au cliniciens car il est le plus bénin et peu spécifique. Les
indésirables des traitements psychotropes. Des cours de cette période d’interruption doit conduire à syndromes de sevrage des antidépresseurs sont de
conduites de prise en charge ont été proposées afin réaugmenter les doses jusqu’au dosage efficace et quatre types :
d’améliorer la compliance aux psychotropes attendre une nouvelle stabilisation avant – trouble somatique général et gastro-intestinal
(informations sur la maladie et son traitement d’envisager une nouvelle décroissance. Le suivi du (nausées, vomissements, douleurs abdominales,
données au patient et à sa famille, psychothérapies patient doit se prolonger durant 6 à 12 mois après anorexie, diarrhée, malaises, frissons, sensation de
individuelle et/ou de groupe, prise en charge du l’arrêt du traitement antidépresseur, en raison d’un fatigue, myalgies, céphalées), associé à de l’anxiété
couple, surveillance régulière de dosage sanguin du risque de rechute ; il est particulièrement élevé et de l’agitation ;
médicament...). En cas d’interruption du traitement, il durant les 2 premiers mois. – troubles du sommeil à type d’insomnies de
est important de maintenir un lien thérapeutique et début et de milieu de nuit, ainsi que des
de négocier la reprise du traitement avec le patient. ‚ Interruption au cours cauchemars ;
L’interruption de certaines classes de de troubles anxieux ou – troubles moteurs à type d’akathisie ou de
médicaments pose des problèmes spécifiques : le de troubles obsessionnels compulsifs
syndrome parkinsonien ;
syndrome de sevrage des benzodiazépines déjà La durée du traitement antidépresseur est en – manie ou hypomanie.
largement débattu, les syndromes de sevrage aux général plus longue ; mais les modalités Le syndrome de sevrage peut également se
antidépresseurs et lithium moins reconnus, le risque d’interruption de ce traitement sont les mêmes que manifester par d’autres signes, plus rares tels que des
de résistance ultérieur au lithium après interruption dans le cadre d’un trouble thymique : l’interruption attaques de panique, une arythmie cardiaque, une
d’une lithiothérapie. se fera de manière progressive. confusion mentale.
Dans ce chapitre, nous traiterons de différents cas Les facteurs de risque d’apparition du syndrome
d’interruption de traitement, en fonction de la classe ‚ Interruption par le patient lui-même, de sevrage des antidépresseurs sont : un traitement
médicamenteuse et/ou du cadre diagnostique. Les
contre-avis médical
© Elsevier, Paris

prolongé avec de fortes doses, l’utilisation


modalités d’interruption des traitements ne seront Lorsque le traitement antidépresseur est d’antidépresseurs particulièrement anticholi-
abordée que succinctement dans la mesure où elles interrompu par le patient lui-même, il est important nergiques.
sont présentées dans les chapitres des grands de maintenir le suivi et la surveillance en raison d’un Les principaux diagnostics différentiels sont une
troubles psychiatriques. risque de rechute. Lorsque l’interruption du rechute dépressive, des effets indésirables des

1
7-0320 - Interruption des traitements en psychiatrie

antidépresseurs, un syndrome de sevrage des réguliers. Les indications médicales d’interruption de posologie peut être proposée et permettre la
benzodiazépines ou des barbituriques. traitement restent mal codifiées et affaires de cas réduction, voire la suppression de ces effets qui sont
La pathogénie de ce syndrome demeure mal particuliers. Les risques et les avantages d’une en général dosedépendants. Lorsque ces effets
connue. Les explications concernant la pathogénie interruption de traitement sont à évaluer pour restent trop invalidants, on peut proposer un
du syndrome procèdent d’un raisonnement chaque patient par le psychiatre traitant, en changement de thymorégulateur.
analogique. Les auteurs comparent les effets des collaboration avec la famille. Ces interruptions
agonistes ou des antagonistes cholinergiques ou peuvent s’effectuer sous différentes modalités
noradrénergiques aux signes de sevrage des
antidépresseurs. Les signes de sevrage seraient liés à
un phénomène de rebond entraînant une
hyperactivité cholinergique et noradrénergique
(fenêtres thérapeutiques, interruptions prolongées
de traitement).
En cas d’interruption du traitement par le malade
lui-même, il est important de maintenir un lien

Interruption d’un traitement
benzodiazépinique

Les benzodiazépines sont des anxiolytiques bien


essentiellement. thérapeutique avec le malade et de l’accompagner
tolérés et efficaces ; elles sont de ce fait largement
Le meilleur traitement est la reprise du traitement dans ce moment évolutif. L’utilisation de
prescrites et ne font pas l’objet de problèmes de
antidépresseur. neuroleptiques à action prolongée diminue le risque
compliance comme les autres psychotropes. Le
d’interruption du traitement.
problème n’est donc pas tant celui de la compliance


au traitement, mais à l’inverse celui d’une
Interruption d’un traitement Interruption d’un traitement neuroleptique
dans le cadre d’un délire chronique surconsommation. Lors de l’instauration d’un
neuroleptique
traitement anxiolytique, le patient sera prévenu que
Les traitements neuroleptiques doivent être en ce traitement devra être transitoire dans le mesure
‚ Interruption après guérison général poursuivi au long cours, même si leur du possible.
d’un épisode maniaque efficacité est variable selon le type de délire. Un
Même en l’absence de surconsommation
traitement neuroleptique ne doit donc pas être
L’évolution sous traitement d’un accès maniaque manifeste, les benzodiazépines peuvent être à
interrompu dans ce cadre diagnostique, en raison
est très variable. Aucun critère ne permet de prévoir l’origine, lors de l’interruption du traitement, de
d’un risque de recrudescence délirante.
la durée du traitement. En pratique, la durée symptômes somatiques et psychiques divers : signes
moyenne du traitement d’un accès maniaque est de de rechute ou rebond anxieux, signes de sevrage


3 à 4 mois. induits par l’arrêt du traitement.
L’interruption du traitement se fait de manière très Interruption d’un traitement Les rebonds anxieux correspondent à la
progressive et sous surveillance étroite. La
thymorégulateur réapparition des symptômes anxieux présents avant
diminution des doses est guidée par deux facteurs : le traitement ; ils peuvent être plus sévère que les
d’une part, l’apparition de signes d’intolérance ‚ Interruption dans le cadre signes anxieux initiaux. Les signes de sevrage sont
(signes de sédation notamment) ; d’autre part, d’un projet thérapeutique des symptômes différents de ceux dont souffrait le
l’apparition de signes cliniques de rechute maniaque Elle peut être envisagée et négociée avec le patient avant la prescription d’anxiolytiques. Ils
ou de virage dépressif. patient au bout de 3 ans de traitement sans rechute. apparaissent en même temps que les signes de
Elle sera accompagnée d’une surveillance étroite en rebond ou de rechute et sont de ce fait difficiles à
‚ Interruption au sortir d’un épisode distinguer.
raison d’un risque de rechute, maniaque
psychotique aigu n’entrant pas
dans le cadre d’un trouble thymique essentiellement, précoce.

‚ Interruption par le patient lui-même,


Les symptômes de sevrage sont
Pour un épisode psychotique aigu réactionnel
contre l’avis médical multiples et peu spécifiques ; ils
dont la guérison est complète
apparaissent dans les 3 jours suivant
La majorité des auteurs proposent une durée de Les patients thymiques interrompent fré- l’arrêt des benzodiazépines. Les signes
traitement de 6 mois avec un suivi d’une année. En quemment leur traitement thymorégulateur. Les
les plus fréquents sont l’anxiété,
cas d’interruption du traitement contre avis médical taux de non compliance varient de 30 à 70 % selon
l’insomnie, les étourdissements,
lors de cette période, le patient devra être encouragé les études. Les principaux facteurs de non-
l’agitation, l’irritabilité et la tension
à reprendre le traitement en raison d’un risque de compliance sont d’une part, les effets indésirables du
musculaire. Mais d’autres symptômes
rechute à court terme. traitement, et en particulier, les effets délétères du
traitement sur le fonctionnement psychologique ;
peuvent également s’observer tels que
L’interruption du traitement en accord avec le
psychiatre traitant devra se faire de manière très d’autre part, les avantages liés à la maladie, et
des nausées, une perte de l’appétit, un
progressive. Elle pourra s’effectuer en fonction de notamment aux phases hautes de celle-ci. coryza, une hypersensibilité au bruit,
deux paramètres : d’une part, apparition d’une Le risque principal d’une interruption de des sueurs, des tremblements, des
moins bonne tolérance au traitement (notamment, traitement est une rechute précoce (maniaque ou douleurs diverses, des cauchemars, des
apparition d’une sédation) ; d’autre part, la hypomaniaque surtout). Pour le lithium, il existerait troubles de la vision. Dans les formes
résurgence de signes cliniques (réapparition d’une également selon certains auteurs, un risque de sévères, on retrouve des crises
activité délirante par exemple). syndrome de sevrage à l’arrêt brutal, ainsi qu’un comitiales, des états
risque de résistance ultérieure à la reprise du confusohallucinatoires, des états
Pour un épisode psychotique aigu entrant traitement. délirants. Certains symptômes
dans le cadre d’un trouble schizophrénique Des conduites de prises en charge ont été apparaissent plus spécifiques : une
Le traitement neuroleptique ne doit pas être proposées et démontrées efficaces pour améliorer la hypersensibilité aux stimuli sonores,
interrompu au décours de l’accès. Un traitement compliance : une alliance thérapeutique de bonne visuels et olfactifs, à la douleur, des
neuroleptique d’entretien est poursuivi à doses qualité, une information détaillée sur la maladie et accès de dépersonnalisation et de
minimales permettant de contrôler la son traitement au patient et à sa famille, des déréalisation, une sensation de goût
symptomatologie. psychothérapies de groupe et/ou personnelle, une métallique dans la bouche et
Dans certains cas, une interruption de traitement, prise en charge du couple (allant d’un simple soutien l’impression que les objets
de plus ou moins longue durée, peut être envisagée à une psychothérapie plus structurée). Lorsque les environnants se meuvent alors qu’ils
après une durée minimale de 2 ans de traitement, effets indésirables du lithium sont trop gênants et sont immobiles.
tout en maintenant une surveillance et un suivi facteurs de non-compliance, une baisse de la

2
Interruption des traitements en psychiatrie - 7-0320

Le mécanisme physiopathologique du syndrome – des antécédents de dépendance aux un traitement par benzodiazépines lorsque celui-ci
de sevrage des benzodiazépines est une benzodiazépines ou à l’alcool ; s’avère indispensable pour équilibrer un trouble
désinhibition centrale secondaire à une diminution – une maladie chronique somatique ou anxieux chronique ou une anxiété paroxystique de
brutale du fonctionnement GABAergique résultant psychiatrique ; type panique.
de l’arrêt de la stimulation des récepteurs – les troubles de la personnalité de type


GABAergiques par les benzodiazépines. Cette dépendant ou borderline. Interruption d’un traitement
désihinibition centrale entraîne une hyperactivité des Les benzodiazépines à demi-vie courte psychotrope dans des situations
neurotransmetteurs cérébraux, et en particulier de la n’induisent pas plus souvent des syndromes de particulières
noradrénaline, à l’origine des signes cliniques et sevrage, mais les sevrages qu’elles peuvent ‚ Pendant la grossesse
biologiques du syndrome de sevrage. provoquer sont plus précoces.
En cas d’interruption de benzodiazépines Ce sujet fait l’objet d’un chapitre à part (« Règles de
Le traitement du syndrome de sevrage des
hypnotiques, peut survenir une « insomnie de prescription des psychotropes pendant la
benzodiazépines est avant tout préventif, consistant
grossesse »).
sevrage » marquée par un allongement du délai en un « sevrage protégé », c’est-à-dire une diminution
d’endormissement, un sommeil fragmenté, et une très progressive de la posologie. Les patients traités ‚ Confusions mentales
augmentation de l’activité de rêve correspondant à au long cours à doses thérapeutiques par des d’origine médicamenteuses
un rebond de sommeil paradoxal. Un deuxième benzodiazépines devront être informés qu’ils ne L’ensemble des psychotropes peuvent induire
type de troubles du sommeil à l’arrêt des doivent pas interrompre brutalement leurs une confusion mentale (antidépresseurs,
hypnotiques a été appelé insomnie de rebond. Il tranquillisants, et ce d’autant qu’ils présentent une thymorégulateurs, antiparkinsoniens, voire
s’accompagne d’une diminution du temps de maladie somatique ou psychiatrique chronique ; et neuroleptiques et benzodiazépines), surtout sur
sommeil total et de réveils précoces. prévenus des risques de syndrome de sevrage en certains terrains fragilisés (personnes âgées) et dans
Les facteurs de risque du syndrome de sevrage cas d’arrêt brutal du médicament. certaines conditions spécifiques selon les produits
sont les suivants : Les conditions de sevrage varient en fonction du (déshydratation pour le lithium). Le traitement
– des posologies élevées, comme pour la plupart mode de consommation des benzodiazépines. Plus repose alors sur l’arrêt du produit incriminé et le
des autres médicaments ; le traitement a été prolongé et à doses élevées, plus traitement symptomatique de la confusion en
– une durée prolongée de traitement ; après 4 à le sevrage s’effectuera progressivement. évitant d’aggraver celle-ci (lorsque la confusion est
8 mois de prise quotidienne, le risque de syndrome Le risque d’apparition d’un syndrome de sevrage secondaire à la prise de benzodiazépines ou de
de sevrage est important ; est rare. Il ne doit donc pas conduire à interrompre neuroleptiques).

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Interruption des traitements en psychiatrie.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0320, 1998, 3 p

Références

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ness. New York : Oxford University Press, 1990 : 746-762 Gay ed. Pratique de la lithiothérapie : consensus et controverses. Paris : Doin,
1997 : 37-48
[2] Hanin B, Marks J. Dépendance aux benzodiazépines et syndrome de sevrage.
Revue de la littérature. Psychiatr Psychobiol 1988 ; 3 : 347-364 [6] Tyrer P, Murphy S, Riley P. The benzodiazepine withdrawal symptom ques-
tionnaire. Journal of Affective Disorders 1990 ; 19 : 53-61
[3] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiques
en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[4] Lejoyeux M. Le syndrome de sevrage des antidépresseurs. [mémoire de psy-


chiatrie]. Paris : Université Paris VII, 1989

3
7-0340 (1998)

7-0340

Médicaments pharmacologiquement
inactifs en psychiatrie
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

V Olivier

L es anxiolytiques ne permettent en aucun cas de traiter correctement un trouble dépressif.

© Elsevier Paris.


■ Ensuite, plusieurs formes cliniques de « efficaces » (ils soulagent rapidement les patients de
Introduction dépression sont particulièrement trompeuses : la leur anxiété) et d’être bien tolérés. Cependant, ils n’ont
« dépression masquée », où les symptômes aucune action antidépressive spécifique.
dépressifs sont au second plan, masqués par une
Certaines formes cliniques de maladie mentale
symptomatologie différente, le plus souvent
sont de diagnostic difficile, car elles sont caractérisées Les anxiolytiques sont des
somatique (surtout algique), les « équivalents
par une symptomatologie non spécifique
dépressifs », où des troubles d’allure névrotique médicaments pharmacologiquement
(psychiatrique ou somatique) masquant ou inactifs dans la dépression.
d’apparition récente remplacent les signes
remplaçant les signes spécifiques de la maladie. De
dépressifs, les « dépressions anxieuses », où l’anxiété
plus, ces signes peuvent être difficiles à mettre en
est au premier plan, masquant le ralentissement Ils ne permettent donc en aucun cas de traiter
évidence parce que le patient et/ou son entourage
dépressif ; les dépressions chez le sujet âgé, où des correctement un trouble dépressif, au contraire, ils
les ignorent, voire les nient lorsqu’il existe une
signes d’allure démentielle (altération des fonctions favorisent les principales complications des
réticence à admettre la présence d’une maladie
cognitives, troubles du comportement) peuvent dépressions : rechutes et récidives dépressives,
mentale. Enfin, certains signes spécifiques
masquer la symptomatologie dépressive... suicides, dépressions chroniques et/ou résistantes
n’apparaissent qu’après plusieurs mois ou années
aux antidépresseurs, séquelles psychologiques.
d’évolution.


Certaines dépressions majeures ne sont traitées
Pour ces différentes raisons, il est parfois difficile
qu’avec des anxiolytiques (19 % des dépressions
de déterminer la nature des troubles présentés par Traitement majeures selon une étude récente), continuant ainsi
un patient ; le délai de prise en charge de certains
à s’aggraver, et sont par ailleurs associées à un
patients souffrant d’une pathologie psychiatrique est
Un trouble dépressif peut ainsi passer inaperçu, et risque de passage à l’acte suicidaire important facilité
donc souvent important. Dans certains cas, un
seuls les signes apparents rapportés par le patient par l’effet désinhibiteur de ces médicaments.
traitement symptomatique peut être rapidement
proposé pour soulager le patient, mais ce traitement seront traités :
ne sera pas actif sur le trouble lui-même et risquera – traitement anxiolytique d’un état anxieux ; Un trouble anxieux ou d’allure
même de l’aggraver. – traitement antalgique d’une douleur chronique,
névrotique d’apparition récente et
persistante, de cause inconnue ;
La prescription de médicaments « pharmacologi- réagissant mal à un traitement
– traitement symptomatique d’un état démentiel ;
quement inactifs » chez un patient consultant pour anxiolytique bien conduit doit faire
– cure de vitaminothérapie et/ou de sels
une souffrance ou des difficultés psychologiques est
minéraux (magnésium) dans des états de fatigue suspecter une dépression et impose
souvent liée à une mauvaise orientation
diagnostique.
prolongée, sans cause organique retrouvée... une consultation spécialisée.
Lorsque ces traitements symptomatiques


s’avèrent inefficaces ou partiellement efficaces, il
faudra suspecter un trouble dépressif et effectuer un


Risque de méconnaissance entretien psychiatrique attentif afin de mettre en
d’un trouble psychiatrique
évidence des signes dépressifs spécifiques.
Conclusion
Ce risque ainsi qu’une prise en charge inadéquate ‚ Médicaments
sont, en médecine générale, fréquents pour les Les plus fréquemment prescrits dans les états Les anxiolytiques font l’objet de règles de
troubles dépressifs. En effet, un diagnostic de anxiodépressifs sont les anxiolytiques, et en particulier prescription bien codifiées. Dans tous les cas, la
dépression peut être difficile à poser, principa- les benzodiazépines. De nombreuses dépressions prescription d’un anxiolytique doit être transitoire et
lement pour deux raisons. d’intensité « modérée » sont traitées par des de courte durée ; l’indication d’un tel traitement doit
■ D’abord, certaines difficultés psychologiques anxiolytiques au long cours qui ne peuvent permettre être régulièrement réévaluée. Son inefficacité ou son
peuvent apparaître réactionnelles à un ou des qu’une amélioration transitoire de l’état dépressif en efficacité partielle doivent faire suspecter une
événements de vie stressants, et de plus être agissant sur la composante anxieuse de la dépression. dépression et imposent un réajustement
minimisées ou banalisées par le patient. Ces médicaments ont l’avantage d’être rapidement thérapeutique.

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Positions inadéquates
Encyclopédie Pratique de Médecine

face à l’acte suicidaire


Y Sarfati

L e rôle du généraliste dans la prise en charge du suicide est central.

© Elsevier, Paris.


que pour la gravité du suicide : l’attention qu’il porte ‚ Cas particulier des adolescents
Introduction à la menace suicidaire, la disponibilité
Ce fléau touche majoritairement par sa fréquence
(éventuellement téléphonique) qu’il peut avoir, la
et par son impact social la tranche d’âge 15-24 ans.
réduction de la prescription de produits dangereux,
Plusieurs chiffres sont particulièrement parlants.
Avant le geste, le médecin généraliste est souvent l’amélioration du diagnostic et du traitement des
Dans cette tranche d’âge, le taux de suicide a
sollicité par son patient, sans d’ailleurs que celui-ci lui troubles psychiatriques.
augmenté —entre 1950 et 1983— de 100 % pour les
parle forcément de ce qu’il prémédite. Pendant la La position à adopter est souvent délicate,
femmes et de 150 % pour les hommes. Toujours
période de crise que représente le geste suicidaire, toujours individuelle et répond aux seuls expérience
dans cette tranche d’âge, le suicide représente la
quelle que soit son issue, il est à l’interface des et bon sens cliniques. Dans un certain nombre de
deuxième cause de mortalité (10 à 20 % des décès)
différents intervenants (patient, spécialistes, famille). cas, le bon sens peut conduire à des attitudes
derrière les accidents de la voie publique qui sont
Après le geste, lorsqu’il n’est pas létal, il est confronté antithérapeutiques. La banalisation ou la
parfois des TS déguisées (40 % des décès). Enfin, on
à la prise en charge d’une situation psychiatrique dramatisation du geste suicidaire ne sont jamais
estime entre 5 et 9 % les jeunes entre 12 et 24 ans
ambiguë, qui n’a pas les caractéristiques d’une anodines et ont toujours un impact sur les patients,
qui font au moins une tentative de suicide, ce qui est
« maladie » à proprement parler. Ce chapitre se même à retardement. Nous garderons à l’esprit que
les chiffres, les études sociologiques et les conduites considérable. En données absolues, on estime à
propose d’éclaircir les positions possibles face à l’acte 40 000/an les gestes suicidaires dans cette tranche
—ou à la menace d’acte— suicidaire. à tenir sont d’un faible recours face à un geste
suicidaire qui n’est qu’un drame personnel, et d’âge.
Trois arguments doivent suffire à prouver
l’importance du rôle du généraliste devant une qu’aucune loi établie sur des généralités ne
s’applique directement à un individu. Néanmoins,


conduite suicidaire.
quelques situations présentées ci-après, bien
Premièrement, la plus grande majorité des sujets Différentes présentations
évidemment réductrices et schématiques doivent
faisant une tentative de suicide (TS) n’a aucun
pouvoir rendre compte des stratégies possibles face
contact ni avec un établissement psychiatrique, ni
au suicide, et des erreurs à éviter.
avec aucune structure hospitalière. C’est donc bien ‚ TS et trouble mental
souvent les familles et leur médecin qui ont à


« gérer » la situation. On évalue à 25 % seulement la Le taux de suicide réussi est 10 fois supérieur chez
proportion d’adolescents ayant, après TS, une Épidémiologie les patients psychiatriques que dans la population
quelconque prise en charge spécialisée, sociale ou générale et 30 fois supérieur si l’on considère le seul
psychologique. sous-groupe des patients déprimés. Parmi les
Deuxièmement, il a été prouvé qu’il existait ‚ Suicide patients morts par suicide, les chiffres retrouvent en
réellement une demande d’aide préalable au suicide. La France se situe pour le taux de suicides moyenne : 60 % de sujets souffrant de dépression
Cette demande peut être formulée auprès d’un légèrement au-dessus de la moyenne européenne, (dont 10 % de patients maniacodépressifs), 10 % de
prêtre, d’une assistante sociale, d’un psychiatre, mais qui est à 17 pour 100 000. Avec un taux récemment schizophrènes, 10 % de psychotiques non
c’est le plus souvent le généraliste qui la reçoit. Une évalué à 22 cas pour 100 000, notre pays doit faire schizophrènes. Toutes les études réalisées
étude britannique a montré 80 % des suicidants face à un grave problème de santé publique, confirment que 90 % à 95 % des sujets morts par
consultent leur médecin de famille dans le mois qui d’autant que ce chiffre est en constante suicide souffriraient d’un trouble mental caractérisé.
précède leur geste, et 50 % dans la semaine qui augmentation. En 1993 et 1994, donc, plus de Tous ces chiffres, dont certains sont à prendre
précède leur geste. Une étude finlandaise montre 12 000 personnes décédaient chaque année par avec précaution, puisque dans certaines études, les
que les sujets ayant l’intention de se suicider en suicide en France. diagnostics de maladie mentale sont posés après la
parlait souvent à leur médecin : dans un quart des mort, soulignent néanmoins de façon éclatante la
cas avant une première tentative, dans la moitié des ‚ Tentatives de suicide fréquence et la gravité du suicide chez les patients
cas chez les récidivistes. Le taux des TS est beaucoup plus considérable, et souffrant de troubles mentaux avérés.
Troisièmement, une étude suédoise a montré probablement très sous-évalué. Il est difficile Il est important de toujours rechercher l’existence
qu’une formation spécifique aux médecins d’obtenir une estimation fiable, puisqu’il n’existe d’un trouble mental (le plus fréquemment une
généraliste d’une île permettait de réduire dans aucun recueil statistique officiel des tentatives de dépression) chez les patients suicidaires ou supposés
l’année qui suivait le taux de suicide de 50 %. suicide. Une étude de l’Organisation mondiale de la tels. Le diagnostic de trouble mental (quel qu’il soit)
Le médecin de famille joue donc un rôle de santé (OMS) parue très récemment et concernant la avec risque suicidaire doit s’accompagner d’un
© Elsevier, Paris

prévention secondaire du suicide, par le soutien, les période 1989-1992 estime le taux de TS en Europe à soutien extrêmement rapproché et/ou spécialisé,
traitements qu’il propose, l’accès aux soins qu’il 136/100 000 pour les hommes et 186/100 000 voire d’une hospitalisation. Il a été prouvé que les
permet. Il joue surtout un rôle de prévention pour les femmes. En France, où les taux moyens sont soins et le suivi psychiatrique diminuaient la
primaire en ayant le pouvoir d’influer sur quelques plus élevés, on chiffre à au moins 100 000 le mortalité par suicide chez les patients souffrant de
paramètres fondamentaux autant pour la fréquence nombre de TS annuelles. troubles mentaux sévères.

1
7-0350 - Positions inadéquates face à l’acte suicidaire

‚ TS et rupture sentimentale individu est plus isolé face aux difficultés qu’il
Prônée par les Romantiques ou totalement
rencontre. Il peut de moins en moins compter sur un Les risques prévisibles associés à une
milieu proche, familial, professionnel, religieux. première TS chez un adolescent :
banalisée, la TS après rupture sentimentale a un
statut particulier. Aujourd’hui encore, une conduite Certains sociologues ont pu juger que la TS ✔ très grande fréquence des récidives,
suicidaire dans ce contexte est socialement perçue pouvait être un moyen commode pour provoquer (toutes les données convergent pour
positivement. Les enquêtes montrent que les filles une aide, pour mobiliser un entourage plus ou
prédire que 40 à 60 % vont
valorisent plus ce recours que les garçons, moins proche. La société moderne aurait malgré elle
favorisé ce mode d’expression chez certains sujets
recommencer) ;
expliquant une partie de la sur-représentation ✔ mortalité plus élevée par suicide et
féminine chez les sujets faisant une ou plusieurs TS. fragiles pour obtenir le réconfort, le maternage, ou le
secours qu’ils n’obtiendraient pas sans cela. Ces par mort violente que dans la
Ni forcément dramatique, ni forcément anodine,
la TS après rupture sentimentale doit être replacée
sujets ont pu être appelés des « parasuicidants ». population générale ;
dans chaque contexte individuel. Contrairement à
Dans cette optique, l’aide apportée à court et à ✔ troubles du comportement et
moyen terme aux parasuicidants peut devenir conduites à risque ;
une tendance qui paraîtrait naturelle « TS simple, car
antithérapeutique : elle peut favoriser le ✔ difficultés psychosociales ;
la cause en paraît immédiatement décelable », elle
comportement suicidaire et/ou la récidive. Certains
doit inciter à ne pas faire l’économie d’une ✔ émergence de troubles
ont pu même suggérer que les réseaux
évaluation psychiatrique. Celle-ci doit repérer, psychiatriques dans 80 à 95 % des cas.
institutionnels d’aide aux parasuicidants (urgences
notamment, l’intensité de la dépression sous-jacente
des hôpitaux, services de psychiatrie, soutien
et du désir de mort, les capacités qu’aura le sujet à
téléphonique, etc) incitaient aux TS et contribuaient à système de soins spécialisés après TS ; seulement
surmonter le deuil que représente la séparation. Un
accroître leur nombre d’année en année. 20 % sont hospitalisés. Parmi ceux qui arrivent aux
entourage de mauvaise qualité ou absent, un faible
Ces considérations, entre sociologie et urgences des hôpitaux, 17 % ne sont pas
niveau intellectuel, une mauvaise capacité de
philosophie, sont valables à l’échelle d’une hospitalisés, pour différentes raisons.
réflexion et d’introspection, une insertion
population et sont des éléments intéressants de Un des problèmes posés par l’hospitalisation en
socioprofessionnelle insatisfaisante sont de mauvais
réflexion. Elles sont peu « pratiques » dans le cas d’un urgence des adolescents suicidants est la
pronostic et doivent faire redoubler de prudence
sujet pris individuellement et ne doivent, bien sûr, disponibilité des services pédopsychiatriques, lieux
(risque de récidive).
pas inciter à ne pas répondre aux « appels à l’aide » d’accueil bien sûr idéaux mais souvent débordés par
‚ TS dite « grave » des parasuicidants. En revanche, elles doivent la demande. Il ne faudra pas hésiter alors à proposer
amener à se poser la question du bénéfice que peut une hospitalisation en service de psychiatrie adulte
Les TS dites « graves » démontrent une volonté
tirer un sujet à exprimer sa détresse sur ce seul ou, mieux, en service de pédiatrie qui offre souvent
farouche de mourir. Plusieurs éléments peuvent être
mode, sans qu’il y ait d’autre trouble mental associé. un meilleur environnement.
des indices de l’intensité du désir de mort.
Il faudrait alors dans ce cas, ne pas dramatiser, et Meilleure sera la prise en charge initiale, plus
inciter le sujet à s’exprimer verbalement, plutôt que grandes seront les chances de suivi ultérieur. La
Indices de « gravité » de l’acte d’avoir recours à un « passage à l’acte ». Cette compliance au suivi psychiatrique après TS (chez la
suicidaire indication est d’autant plus difficile à tenir que ce portion des adolescents qui y ont eu accès) est
sont ceux qui ont, justement, le moins de capacité à mauvaise : 60 à 70 % de rupture de suivi. Le rôle du
✔ Geste prémédité dans le plus grand « verbaliser » qui ont le plus volontiers recours à la TS médecin de famille doit donc être clairement incitatif
secret. pour se soulager de tensions internes. en la matière.
✔ Organisation d’un plan et de
‚ TS à l’adolescence ‚ TS du sujet âgé
« l’après-décès » (héritage,
obsèques). Les 75 % des actes suicidaires chez l’adolescent Les TS du sujet âgé sont en augmentation ces
sont précédés par un facteur déclenchant. Certains dernières années. En 1992, près de 50 % des 12 000
✔ Isolement ; absence de secours
de ces facteurs sont spécifiques à l’adolescence : suicides réussis étaient le fait de sujets âgés de plus
potentiel sur le lieu du geste. – pour les plus jeunes : échec scolaire, mauvaise de 55 ans (dont plus d’un tiers au-dessus de 75 ans).
✔ Utilisation d’une méthode violente note ; Le vieillissement de la population explique en
ou radicale : – pour les plus âgés : perturbation de la partie cet accroissement. La TS des sujets âgés
Arme à feu ; gaz ; arme blanche ; dynamique familiale (chômage, divorce, alcoolisme apparaît beaucoup moins comme un appel à l’aide
pendaison ; défenestration ; noyade ; ou maladie psychiatrique d’un des parents, décès) ; que comme une fuite dans la mort de situations
empoisonnement (antivitamine K, manque de communication dans la famille, voire insupportables et accumulées : isolement, deuils,
caustiques, etc) ; injections de violences familiales. infirmités, maladie, etc. Le désespoir, la volonté de
substances dangereuses (insuline, air, Les TS chez l’adolescent ont souvent été mourir est, par conséquent, souvent intense, non
considérées, à tort, comme un « appel à l’aide » ou avouée, et le risque de récidive réussie est important.
etc) ; saut sous le métro, sous un
une « fuite ». Trop fréquente aussi la tendance qui La TS du sujet âgé ne peut donc être considérée
train ; accident volontaire de la voie consiste à expliquer la conduite suicidaire du jeune comme une « lubie », et ne doit pas être mise sur le
publique. par l’équation : facteur causal + impulsivité = simple compte d’une « perte des facultés ».
✔ Présence d’un trouble passage à l’acte. Le risque de cette interprétation, L’évaluation de la présence d’un syndrome dépressif
psychiatrique avéré (dépression ou c’est de banaliser l’acte. Une TS chez un adolescent est primordiale.
psychose). est toujours un geste grave, qui ne doit absolument
jamais être banalisé. Toutes les études montrent que ‚ Première TS
les suites d’une première TS chez les adolescents La première TS est un moment capital dans la vie
‚ TS dite « appel à l’aide » sont marquées par plusieurs risques. d’un sujet et doit être considérée comme une
Des études épidémiologiques montrent qu’une Il existe un consensus pour préconiser effraction brutale dans la vie psychique d’un sujet. Le
frange de TS peut être qualifiée d’« appel à l’aide » ou l’hospitalisation systématique de toute TS à premier geste suicidaire et bien souvent marqué par
de « SOS », voire de « chantage » à l’égard de l’adolescence, qui doit avoir plusieurs buts : le sentiment d’impuissance, à minima, l’impression
l’entourage. Ces gestes ont été décrits comme un – réaliser une évaluation psychiatrique ; d’« impasse », au pire, le désir de mort intense. Le
phénomène de société (étant entendu par ailleurs – évaluer le contexte sociofamilial ; caractère manipulatoire, de chantage ou
que les facteurs culturels ont une influence – lutter contre le déni de l’adolescent de la gravité d’insatisfaction n’est qu’exceptionnellement présent.
considérable sur le taux de suicide selon les pays). de son geste ; Par conséquent, il ne faut jamais négliger un premier
Dans les sociétés occidentales modernes, les êtres – lutter contre la banalisation de la famille ; geste suicidaire, et ne pas le banaliser, comme cela
prennent une autonomie plus grande, s’individua- – amorcer un lien thérapeutique. peut parfois s’envisager pour les tentatives suivantes.
lisent et deviennent responsables seuls. Cette Actuellement, cet objectif est loin d’être atteint. Par ailleurs, la première TS est un moment fort
« libération » a ses revers de médaille : chaque Seulement 25 % des adolescents entrent dans un pour espérer avoir une action sur le devenir du sujet.

2
Positions inadéquates face à l’acte suicidaire - 7-0350

Le premier contact avec le système de soins est (psychologue, infirmier) se fait dans 75 % des cas. assez fréquemment posée au moindre doute, par
primordial est conditionne l’accrochage théra- Elle peut aboutir sur une orientation secondaire en pudeur et à tort. Les formules pourtant ne manquent
peutique futur. Par ailleurs, « seulement » 40 % des psychiatrie. Le recours à l’hospitalisation sous pas : « faire une bêtise », « idées noires », « rejoindre
sujets ayant fait une seule TS récidivent, alors qu’à contrainte peut s’avérer nécessaire. Le généraliste ceux que vous aimez », « disparaître », etc. Si certains
partir de trois TS, le risque de récidive est de 100 %. peut alors être sollicité pour appuyer la décision patients ne peuvent s’empêcher de pleurer face à
La prévention secondaire prend donc tout son sens auprès de la famille. Il devra alors veiller à collaborer une telle question (ce qui trahit assez en général
chez les sujets n’ayant qu’une seule TS à leur actif. étroitement avec le psychiatre, afin d’éviter les l’intensité de leur désir et leur honte), il est rare que le
positions paradoxales vis-à-vis du patient et de sa sujet esquive la réponse et ne se sente pas soulagé
famille. par l’aveu.
‚ « Nième » TS
Le sortir de l’hospitalisation est une période Enfin, dans ce registre, il faudrait garder à l’esprit
Chez certains sujets, la TS peut devenir un mode extrêmement sensible, et à haut risque suicidaire, et que le sujet le plus secret peut toutefois émettre des
d’expression et de soulagement privilégié face à des ce alors même que le sujet semble aller beaucoup remarques laconiques et sibyllines concernant le peu
difficultés, des conflits, un sentiment de tension mieux à sa sortie de l’hôpital. L’augmentation de de jours qu’il lui reste à vivre. Ces remarques
interne. Il s’agit le plus souvent de sujets présentant fréquence des tentatives de suicide au décours annonciatrices sont souvent négligées et réinter-
un trouble de la personnalité marquée par immédiat d’une hospitalisation en psychiatrie est prétées par l’entourage après la mort. Il faut y être
l’immaturité, l’impulsivité, la fragilité narcissique. bien connue pour les patients schizophrènes et les sensible, autant que faire se peut, et ne pas les
Alors, les antécédents de TS ne se comptent plus. patients borderline. L’information et l’implication de balayer d’un déni affectueux « mais non, qu’est ce
Une attitude fréquente est la lassitude de l’entourage l’entourage et de la famille sont des points capitaux que tu racontes... », mais regrettable.
et des soignants ayant à charge le sujet à ne pas négliger pour éviter ce type d’accidents.
multirécidiviste. Le risque est donc l’apparition
inéluctable d’une banalisation du geste. Celle-ci peut ‚ Intentions exprimées de TS
bien souvent paraître légitime, comme la seule Il n’existe aucune corrélation entre les intentions


réponse face au sentiment général d’échec que proférées et le passage à l’acte suicidaire. Un sujet
constituent les tentatives réitérées de suicides. déterminé, mélancolique, parfaitement silencieux Évaluation prédictive du suicide
Néanmoins, il faut toujours garder à l’esprit qu’il sur ses intentions et masquant sa dépression à son
existe une étroite corrélation entre suicide et TS. entourage est certainement plus dangereux qu’un
L’existence d’antécédents de TS est un des plus sujet assurant à son conjoint avec force théâtralité
puissants facteurs prédictifs de suicide réussi : 10 % son intention de se tuer s’il ne cède pas à son Identifier un risque suicidaire pour un patient
des parasuicidants décèdent par suicide dans les 10 chantage. donné et établir une stratégie préventive adaptée
ans qui suivent leur première TS. Rappelons toutefois qu’une étude finlandaise représentent un des problèmes les plus difficiles
montre que les sujets ayant l’intention de se suicider rencontrés en médecine. L’identification des facteurs
en parlait souvent à leur médecin : dans un 25 % des de risque peut être d’une certaine aide. Cependant,
‚ TS et hospitalisation
cas avant une première tentative, dans 50 % des cas aucune échelle d’évaluation du risque suicidaire n’a,
L’hospitalisation peut s’imposer immédiatement chez les récidivistes. Ce taux « d’information » à ce jour, pu supplanter l’impression clinique.
après le geste suicidaire. Soit qu’une surveillance augmenterait si les médecins eux-mêmes prenait L’appréciation clinique est primordiale, l’analyse des
médicale soit nécessaire ; soit que le risque l’initiative de demander à leur patient, devant un facteurs de risque ne saurait être qu’un appoint.
psychiatrique soit au premier plan. En cas de changement de comportement ou des signes
passage en service de médecine, la rencontre avec dépressifs a minima, s’ils ont envie de mourir. Il a été
un psychiatre ou un soignant spécialement formé prouvé que cette question, difficile en soi, n’était pas ‚ Facteurs de risque suicidaire (tableau I)

Tableau I. – Facteurs de risque suicidaire (Extrait de : Paes de Sousa M. L’Encéphale, 1996, Sp IV : 28-34. Tableaux reproduits avec l’autorisation de
l’auteur).

Biomédicaux Psychologiques Socioculturels et environnementaux Symptomatiques


— Génétiques (antécédents familiaux — Accumulation d’émotions — Sexe masculin — Idées de suicides
de trouble affectif, de schizophrénie,
d’alcoolisme, de suicide)
— Crises biologiques (puberté, gros- — Accroissement d’agressivité — Âge > 45 ans — Humeur dépressive sévère
sesse, période puerpérale, climatère)
— Maladie somatique grave, chronique — Limitation progressive de la person- — Classes sociales hautes et basses — Insomnie
et/ou conduisant à une invalidité nalité (existentielle, interpersonnelle)
— Maladie psychiatrique : — Foyer détruit ou désuni pendant — Perte d’intérêt sévère
l’enfance
• dépression — Isolement social — Pessimisme
• alcoolisme et toxicodépendance • célibataires, séparés, divorcés, veufs — Sentiments d’insuffısance
• schizophrénie • échec sentimental — Culpabilité ou auto-accusation
• anxiété • absence d’enfant — Agitation ou ralentissement
• perturbation de la personnalité • éloignement de la famille — Sociabilité diminuée
• maladie cérébrale organique • perte de rapports humains — Rage ou resssentiment
• déracinement, migragion — Autonégligence
• emprisonnement — Mémoire diminuée
• hospitalisation
— Habitat socialement désorganisé
— Chômage, conflit professionnel,
difficultés économiques, retraite
— Manques de buts et d’une tâche
dans l’existence
— Décès récent d’un proche
— Printemps
— Suicide dans l’entourage
(suggestion)

Remarque : il s’agit des facteurs de risque objectivés pour le suicide ; les facteurs de risque pour la tentative de suicide en diffèrent quelque peu (par exemple, les facteurs socioculturels et environnementaux. cf texte).

3
7-0350 - Positions inadéquates face à l’acte suicidaire

‚ Quels médicaments prescrire en cas


de risque suicidaire ? Règles simples pour réduire la mortalité des TS médicamenteuses
Le praticien peut être contraint ou tenté de ✔ Éviter la prescription de psychotropes toxiques à fortes doses. Les plus incriminés
proposer une prescription médicamenteuse à un
dans les décès par surdosage sont :
sujet chez qui il a, par ailleurs, repéré des facteurs de
risque suicidaire. Ce cas de figure est fréquent – les tricycliques, surtout amitryptiline (Elavilt, Laroxylt), doxépine (Quitascont,
lorsqu’une dépression (avec les idées suicidaires qui Sinequant), dibenzépine, désipramine (Pertofant), dothiépine ;
vont avec) est diagnostiquée. Dans ce cas, le – les neuroleptiques, surtout phénothiazine (Largadilt) ;
traitement antidépresseur paraît légitime, mais il – les carbamates.
n’est pas sans danger. Légitime, car c’est sur lui que ✔ Préférer la prescription antidépresseurs moins dangereuses :
repose le traitement du désir de mort et de son IRS essentiellement ;
origine (l’état dépressif) ; dangereux, par l’utilisation Si un tricyclique s’impose : clomipramine, imipramine, iprindole, trimipramine,
que le sujet peut faire du traitement prescrit.
maprotiline.
Le praticien doit garder à l’esprit que l’utilisation
de psychotropes dans un but suicidaire représente la
✔ Éviter la coprescription de produits dangereux à fortes doses (paracétamol,
grande majorité des TS. C’est, classiquement, le salicylés, bêtabloquants...).
moyen autolytique choisi chez la femme. Dans près ✔ Adjoindre un traitement anxiolytique par benzodiazépine en début de traitement
de 100 % des cas, le patient ingère de manière antidépresseur.
impulsive les médicaments qui sont à sa portée. Les ✔ S’assurer éventuellement du soutien de l’entourage, sans toutefois infantiliser le
exceptions sont le fait de TS longuement patient (fermeture de l’armoire à pharmacie).
préméditées et des TS des professions médicales et ✔ Avoir recours à l’hospitalisation dès que le risque paraît grand.
paramédicales, qui peuvent obtenir facilement les
produits sans prescription. Une étude déjà ancienne
démontrait que dans la moitié des cas, le patient
ingère les médicaments qui lui ont été prescrits, dans Ces précautions en tête, on se souviendra la demande de la famille avant d’adresser le patient
la semaine qui précède son geste, par son médecin. premièrement que les risques auxquels exposent les aux urgences peut s’avérer, si elle est possible,
Le choix du produit et de sa létalité potentielle à antidépresseurs sont dérisoires comparés à ceux extrêmement profitable à la suite de la prise en
fortes doses est donc un point crucial devant guider qu’induisent un état dépressif non traité. charge.
la prescription. Deuxièmement que 75 % des suicides sous
Le chiffre élevé de passages à l’acte dans les jours psychotropes sont constatés chez des patients
‚ Existe-t-il des « causes » aux TS ?
qui suivent le début d’un traitement antidépresseur recevant des doses inadéquates antidépresseurs
est une donnée maintenant bien connue. Toutes les (fréquent sous-dosage). Il n’existe aucune cause connue aux tentatives de
études montrent que les traitements antidépresseurs suicides. En dépit de nombreuses recherches de par
‚ Quand hospitaliser ? le monde sur la transmission biologique du risque
provoquent ce qu’on a appelé « une levée
d’inhibition » qui favorise la réalisation d’un suicide L’hospitalisation s’impose dès que sont présents suicidaire, ni le mode de transmission, ni le statut
jusque-là uniquement présent sous forme d’idées les critères de gravité, tels qu’ils ont été définis dans génétique ne sont connus. Les facteurs
suicidaires. Cette « levée d’inhibition » n’est pas ou la rubrique ci-dessus. psychologiques ne peuvent plus être considérés
peu observée sous placebo. Aucune différence entre Dans le doute, l’avis d’un psychiatre peut comme des « causes », même si les situations de
les antidépresseurs n’a été à ce jour mise en s’imposer après un geste suicidaire, soit à domicile si « grand stress vital » ont pu être considérées comme
évidence. l’état somatique le permet, le plus souvent en milieu telles.
Des règles simples doivent pouvoir permettre de hospitalier. Il n’existe donc que des facteurs épidémiolo-
réduire le risque létal qu’induit le début de traitement L’hospitalisation sous contrainte peut s’imposer. Si giques « de risques » ou de « vulnérabilité ». Ainsi, on a
antidépresseur chez un patient ayant une idéation l’on prévoit une hospitalisation à la demande d’un pu montrer que le cumul de trois facteurs de risques
suicidaire marquée. tiers, la rédaction du premier certificat médical et de augmentait par sept le risque suicidaire.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,


service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Positions inadéquates face à l’acte suicidaire.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0350, 1998, 4 p

Références

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Encephale 1996 ; n° spécial IV : 46-51 1983 ; 40 : 249-257

[3] Bouvard MP, Doyen C. Le suicide chez l’adolescent. Encephale 1996 ; n° [7] Vedrine J, Soubrier JP. Signification et prévention du suicide. Rev Prat 1987 ;
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[4] Granboulan V, Durand B. Prise en charge des jeunes suicidants à l’hôpital.


Perspectives Psychiatriques 1994-1995 ; 45 : 258-262

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AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Anorexie mentale

S Criquillion-Doublet, MN Laveissiere-Deletraz

C ’est une pathologie fréquente et grave, deuxième cause de mortalité chez les adolescents.

© 1999 , Elsevier, Paris.

■ ■
– chez les femmes, absence d’au moins trois
Introduction cycles menstruels consécutifs (aménorrhée primaire Aspects épidémiologiques
ou secondaire). (Une femme est considérée comme
aménorrhéïque même si les règles ne surviennent
Les troubles du comportement alimentaire, et Un certain nombre de facteurs sont à l’origine
qu’après l’administration d’hormones, type
plus spécifiquement l’anorexie mentale et la d’une sous-estimation de l’incidence réelle des
progestatifs).
boulimie, ont suscité un nombre très important de troubles des conduites alimentaires, en particulier
L’anorexie peut être de type restrictif : restriction
travaux de recherche depuis une quinzaine pour l’anorexie mentale. Trente pour cent des
alimentaire stricte, sans recours à des crises de
d’années. patients ne sont vus qu’une fois, dans des conditions
boulimie, aux vomissements provoqués, ou à la
Sur le plan épidémiologique, les études récentes diverses : chez le médecin généraliste, chez le
prise de purgatifs. Elle peut être de type boulimie
indiquent une augmentation de leur fréquence, la spécialiste ou en milieu hospitalier à l’occasion de
avec vomissements ou prises de purgatifs de
gravité potentielle de la maladie anorexique, et son complications somatiques. Un certain nombre de
manière régulière.
risque de chronicisation. Les récents travaux malades, par ce biais, échappent ainsi aux études
neurobiologiques soulignent le rôle des interactions menées en milieu spécialisé.


entre systèmes monoaminergiques, peptidiques et Ces données soulignent la difficulté des enquêtes
neuroendocriniens, ainsi que l’existence de facteurs Rappels physiologiques épidémiologiques qui permettent pourtant de
génétiques probables. préciser les différents facteurs de risque,
Sur le plan psychopathologique, même si l’on l’organisation et l’attribution de thérapeutiques
‚ Au cours de l’anorexie mentale adaptées. Il en va de même pour la boulimie, entité
retrouve chez ces sujets certains traits de caractère
communs, aucun type de personnalité spécifique ne L’aménorrhée observée est dite hypothalamo- nosographique relativement récente. L’incidence de
peut être individualisé, l’anorexie se « greffant » sur hypogonadotrope-hypoœstrogénique. Les progrès l’anorexie mentale paraît augmenter depuis 20 ans,
des personnalités variées, éventuellement récents de la neuroendocrinologie ont profon- passant de 1/100 000 à 4/100 000, même si l’on
névrotiques ou psychotiques. dément modifié nos connaissances sur les troubles prend en compte l’effet d’âge (c’est-à-dire la
du fonctionnement hypothalamohypophysaire dans proportion de jeunes entre 15 et 25 ans dans la
Quel est l’impact réel des facteurs socioculturels,
cette maladie. On le sait, toute modification de poids population générale qui a augmenté ces 10
environnementaux, nutritionnels et familiaux sur le
importante induit une régression fonctionnelle du dernières années), l’effet de cohorte (population d’un
développement de la maladie ? Quel type de
gonadostat, qui va atteindre au maximum un niveau âge donné, soumise aux mêmes influences
traitement faut-il proposer et dans quel cadre ? Quels
prépubertaire. culturelles, sociales ou économiques), ou encore
sont les facteurs de pronostic ?
À l’amaigrissement, principalement en cause, l’effet de période (augmentation de l’intérêt
s’associent d’autres facteurs non négligeables : le médico-socio-économique pour les troubles du


type et l’intensité de la restriction alimentaire, comportement alimentaire ces dernières années).
Définition l’hyperactivité physique, les facteurs psychoaffectifs Ces effets semblent influer sur la fréquence
et l’âge (l’axe hypothalamohypophysaire est apparente ou réelle des troubles. L’anorexie touche
d’autant plus fragile qu’on est proche de une population féminine, dans la proportion de dix
L’anorexie mentale est définie selon les critères l’adolescence). filles pour un garçon. L’âge de début se situe en
diagnostiques de la classification américaine des Les troubles ovariens observés ne sont que la moyenne entre 16 et 17 ans. La moyenne d’âge des
maladies mentales DSM IV par : conséquence d’un défaut de stimulation sujets dans les études cliniques est de 19 ans.
– le refus de maintenir un poids corporel hypophysaire, lui-même lié à l’effondrement de la L’incidence de l’affection pour les femmes se situant
au-dessus d’un poids minimal normal pour l’âge et la gonadotrophin releasing hormone (GNRH). dans la tranche d’âge 16-25 ans est de 30/100 000.
taille (par exemple, perte de poids conduisant au Dix pour cent des anorexies se révèlent avant l’âge
maintien du poids à au moins 85 % du poids ‚ À la phase avancée (maigreur de 10 ans. Classiquement, ce sont ces dernières
attendu, ou incapacité à prendre du poids pendant la maximale) formes qui seraient les plus graves, par l’importance
période de croissance, conduisant à un poids Les taux de follicle stimulating hormone (FSH) et des troubles de la personnalité associés et les retards
inférieur à 85 % du poids attendu) ; luteinizing hormone (LH) sont effondrés (LH/FSH = 1). de croissance qu’elles occasionnent.
– la peur intense de prendre du poids ou de La réponse à la GNRH est positive, mais de faible La prévalence de l’anorexie mentale (non plus
devenir gros, alors que le poids est inférieur à la amplitude. La pulsatilité de la sécrétion de LH l’incidence), en considérant que la durée moyenne
© Elsevier, Paris

normale ; n’existe plus. Les ovaires sont petits et sans signe d’évolution est de 4 ans, serait de 1/100 000 chez
– l’altération de la perception du poids ou de la d’activité à l’échographie. Les taux des œstrogènes, les femmes entre 16 et 25 ans, 1/250 entre 14 et 18
forme de son propre corps, l’influence excessive du de la progestérone et des androgènes (hormis ceux ans, 6,5/100 chez les danseuses et les mannequins.
poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, du SDHA [sulfate de déhydroandrostérone]) sont L’épidémiologie clinique nous donne aussi des
ou le déni de la gravité de la maigreur actuelle ; effondrés. informations sur l’évolution de la maladie : le

1
3-0775 - Anorexie mentale

pronostic à 3 ans est à peu près de un tiers de ‚ Facteurs de personnalité Ceux-ci signalent alors un symptôme isolé,
guérison, avec cependant 50 % de formes Cliniquement, certains traits de caractère comme les troubles menstruels (retard pubertaire,
chroniques. Avec un suivi de 24 années, s’il existe communs sont souvent retrouvés chez la jeune oligoménorrhée, aménorrhée primaire ou
environ 60 % de guérison, le pourcentage de décès femme anorexique : surinvestissement intellectuel, secondaire), qui reste modéré à ce stade et souvent
est important (20 % des cas), alors que le nombre de insatisfaction personnelle, manque de confiance en « masqué » par la jeune fille qui se camoufle derrière
décès attendu pour cette population d’âge est soi, manque d’aisance sociale, sentiment plusieurs épaisseurs de pull-overs.
d’environ 2 % : c’est la deuxième cause de mortalité d’insécurité, sans arrêt combattus par des attitudes Ils profitent de cette consultation dans un
dans la population adolescente. perfectionnistes, méticuleuses et exigeantes, une vie deuxième temps pour exprimer leur malaise devant
relationnelle marquée par un comportement leur enfant, jeune adolescente qui leur échappe et
paradoxal avec maintien de relations de dont ils ne comprennent pas le changement de


Facteurs étiologiques

L’origine multifactorielle de l’anorexie mentale


dépendance, attachement vis-à-vis de l’entourage
familial, et tentative de suppléer à cette dépendance
par le déni de cet attachement. La sexualité est
complètement désinvestie et la notion de plaisir
comportement : « elle était sans problème et a
toujours eu envie de nous faire plaisir. » Ils décrivent
une enfant devenue soucieuse, morose ou triste, ne
souriant plus, s’isolant de plus en plus, renfermée, de
n’existe pas. moins en moins expressive et spontanée, indécise,
semble la plus probable.
Les difficultés d’expression verbale et d’expression abandonnant un à un ses centres d’intérêt pour ne
‚ Facteurs génétiques des affects sont souvent présentes. Sur le plan s’intéresser qu’aux études, anxieuse et supportant de
psychopathologique, on ne retrouve pas de plus en plus mal de ne pas maîtriser le temps, le sien
Les études récentes effectuées par l’équipe du et celui des autres.
professeur Russel plaident en faveur d’un facteur personnalité « type » de l’anorexique. Les premières
descriptions de jeunes filles anorexiques faisaient C’est au médecin d’être attentif et de savoir parler
génétique dans l’anorexie mentale. En effet, selon les
état de structure hystérique ou obsessionnelle. avec tact à cette mère anxieuse, puis de recevoir seul
études, la concordance pour l’anorexie mentale chez
Actuellement, toutes les études effectuées à l’aide de cette jeune fille qui paraît à la fois fragile et
les sujets monozygotes est de l’ordre de 50 à 60 %,
questionnaires de personnalité retrouvent des déterminée à « maîtriser » ce corps dont elle ne
contre 5 à 10 % chez les sujets hétérozygotes, et 5 %
personnalités très diverses, allant des structures perçoit pas les limites et qu’elle souhaite le plus
des femmes apparentées au premier degré de sujets
névrotiques à d’authentiques schizophrénies. mince possible.
anorexiques ont eu une histoire d’anorexie.
Cette prise de contact est extrêmement difficile,


‚ Facteurs physiologiques et nutritionnels mais essentielle, car elle va largement conditionner
Aspects cliniques la suite de la prise en charge. Dès à présent, l’objectif
De nombreux travaux sur les mécanismes de ce premier entretien est :
neurochimiques intracérébraux ont montré qu’il – d’évaluer l’importance du trouble alimentaire
existe un grand nombre de systèmes de ‚ Signes cliniques précoces sur le plan clinique par un examen physique
neurotransmission en jeu dans la régulation de l’état Le début des troubles se situe classiquement à complet, souvent subnormal à ce stade : seule la
nutritionnel et du comportement alimentaire. Ces l’adolescence (dans 8 % des cas seulement en phase pesée, difficile à accepter par la patiente, peut déjà
systèmes monoaminergiques, neuropeptiques et prépubertaire). révéler un poids nettement inférieur à celui
neuroendocriniens (axe hypothalamohypophysaire) L’âge moyen de début est de 17 ans. Le annoncé ;
interviennent dans la mise en place d’ajustements déclenchement des conduites restrictives survient – de repérer l’existence de stratégies de
alimentaires qualitatifs et quantitatifs appropriés, alors qu’il existe une prise de poids souvent modérée contrôle du poids et d’expliciter à la jeune fille la
sans que l’on puisse établir de façon formelle une au moment de la puberté, associée ou non à des gravité de ces conduites (hypokaliémie, œsophagite,
relation de causalité entre une dysrégulation conduites de grignotages, ou même à une problèmes dentaires), l’existence de conduites
neurochimique et l’existence de troubles désorganisation alimentaire fréquente dans cette boulimiques associées ou d’un mérycisme débutant,
anorexiques. population d’âge. La décision d’effectuer un régime l’importance des troubles du schéma corporel (la
Les perturbations endocriniennes et métaboliques « sérieux » est souvent encouragée par l’entourage jeune fille dit se sentir grosse au niveau du ventre,
observées ne peuvent pas s’expliquer par la seule familial, du moins au début. Ensuite, une attitude des fesses et des cuisses), la présence de troubles
perte de poids. particulière à l’égard de la nourriture, et de façon psychologiques associés (dysphorie, tristesse, voire
plus générale, du corps, puis de la relation à l’autre plus rarement syndrome dépressif caractérisé), est
‚ Facteurs familiaux
se développe au détriment des échanges affectifs. parfois le seul point d’attache qui permet de nouer le
L’approche des familles d’anorexiques n’a pas mis La nourriture, ou plutôt son absence, devient un dialogue lorsque le déni des difficultés alimentaires
en évidence d’éléments spécifiques, mais il est enjeu à l’insu de la famille. L’obsession de sentir son est au premier plan, l’intensité de l’anxiété (de
frappant de constater, rappelle P Jeammet, l’absence corps de plus en plus mince génère des attitudes l’anxiété sociale, la peur de la sexualité et, plus
d’autonomie de ces jeunes filles dans ces familles, particulières : la jeune fille saute des repas, stocke les généralement, la peur du passage à la vie adulte) ;
l’enchevêtrement des liens affectifs, l’empiétement aliments dans ses poches, mâchonne, coupe en – enfin, d’apprécier le retentissement de la
des générations, la dérive incessante des relations menus morceaux, sélectionne et trie les aliments, maladie au sein de la famille ou de l’entourage
triangulaires vers des relations duelles plus ou moins tout en imposant à ses proches des prises proche, l’existence de graves conflits avec la famille
alternantes avec l’un ou l’autre parent, l’absence de alimentaires riches et volumineuses. La restriction pouvant eux-mêmes faire poser l’indication d’une
leadership, la crainte et la non-expression des alimentaire s’accompagne alors de vomissements hospitalisation rapide.
conflits au sein de la famille, seuls garants d’une cachés après les repas, parfois de prises Les examens biologiques de base prescrits sont
certaine « homéostasie » familiale. intempestives de laxatifs ou de diurétiques, et d’une les suivants : numération formule sanguine (NFS)
consommation excessive de boissons. (anémie, discrète thrombocytopénie et leucopénie
‚ Facteurs culturels De véritables rituels se mettent en place par avec lymphocytose liée aux diurétiques et aux
Les facteurs socioculturels jouent un rôle rapport à la nourriture, aux repas familiaux, aux laxatifs), ionogramme à la recherche d’une
indéniable dans la genèse de l’anorexie, du moins horaires, mettant en relief une irritabilité croissante, hypokaliémie et d’une hyperazotémie, protidémie et
sont-ils largement incriminés comme facteurs un repli sur soi, et une tension qui deviennent glycémie à jeun à la recherche d’une hypoglycémie,
favorisant l’éclosion de la maladie. Sans réduire insoutenables pour la famille. ferritine et fer sérique (anémie par carence ferrique),
l’anorexie mentale à un effet de mode esthétique de À ceci s’ajoute une hyperactivité, d’abord thyroid stimulating hormone (TSH) (syndrome de
femme mince (l’anorexie existait déjà aux XVIIIe et physique, qui traduit cette obsession de maigrir, le basse T3), amylasémie (élevée ou à la limite
XIXe siècles), l’image idéalisée du corps mince, souci de maîtrise et la volonté d’aller au-delà des supérieure de la normale lors de vomissements,
maîtrisé et contrôlé, correspond sans aucun doute à limites du corps et de l’esprit. Dans un premier boulimies associées ou mérycisme), électrophorèse
une recherche de maîtrise des sensations, de même temps, le déni est tel qu’elles rejettent en bloc l’idée des protéines de nutrition (chute de protéine C) et
que la recherche de performances physiques et d’une quelconque aide médicale. La demande de élévation plus tardive du cholestérol plasmatique.
intellectuelles se fait au détriment des échanges consultation chez le médecin généraliste ou le Ces examens permettront d’organiser une
affectifs. gynécologue est souvent à l’initiative des parents. deuxième consultation qui aura pour objectifs :

2
Anorexie mentale - 3-0775

– de faire prendre conscience, clinique (pesée) et Les autres manifestations cliniques, telles que perte de l’immunité cellulaire, se manifestent
biologie à l’appui, de la réalité du trouble du l’hypothermie et la frilosité, sont la conséquence souvent à bas bruit et sont traitées tardivement.
comportement alimentaire, de sa gravité et du risque d’une hypothyroïdie fonctionnelle (syndrome de
de chronicisation ; basse T3). Crises convulsives
– de faire le lien entre l’existence de ces difficultés L’ostéoporose est la principale complication que Elles sont rares et liées à une hypoglycémie aiguë
alimentaires et le « malaise psychologique » ressenti l’on doit redouter. Elle concerne en effet l’avenir ou à une absorption liquidienne massive (supérieure
qui nécessite dès à présent une prise en charge osseux de la patiente et les séquelles, en particulier à 10 L/j).
spécifique par un psychiatre spécialisé dans le tardives, pourront être lourdes de conséquences.
traitement des troubles du comportement On le sait, la masse osseuse totale (ou pic de
alimentaire.

‚ Signes cliniques « tardifs »


Ce sont les manifestations d’une anorexie qui
masse osseuse) se constitue au cours de l’enfance et
de l’adolescence, pour être définitivement acquise
quelques années après l’apparition des règles et se
maintenir jusqu’à 35 ans. Toute carence du

Éléments du pronostic

Sont de mauvais pronostic les facteurs suivants :


développement osseux dans cette période sera donc – le déclenchement de l’anorexie en phase
évolue depuis plusieurs années, celles que la
irrécupérable par la suite. prépubertaire ou en fin d’adolescence ;
psychiatrie « adulte » découvre lors du premier
Le rôle des hormones sexuelles sur la – une durée longue de la maladie et de
entretien chez les jeunes filles ayant un cursus
minéralisation du squelette est bien établi, mais nombreuses hospitalisations antérieures, même si
médical déjà bien rempli : du médecin généraliste
d’autres facteurs interviennent. Chez l’anorexique, à l’on observe des rémissions tardives après plus de
consulté par les parents pour un conseil pendant
l’aménorrhée hypo-œstrogénique sont associées la 8 ans d’évolution de la maladie ;
l’adolescence, au médecin endocrinologue, puis
perte de poids avec la réduction de la masse – le déni massif des troubles ;
gynécologue, puis dermatologue. Les consultations
musculaire, des carences nutritionnelles sévères et – l’importance des troubles du schéma corporel ;
auprès de spécialistes sont multiples et déclenchées
une hypercortisolémie. – le degré d’amaigrissement et la rapidité de la
par la survenue de complications somatiques
La mesure de la masse osseuse permet perte de poids ;
préoccupantes.
d’apprécier l’importance de la déperdition osseuse – l’existence de conduites boulimiques et de
Une grande partie de ces troubles sont liés à la qui est abaissée en moyenne de 25 % par rapport à stratégies de contrôle de poids telles que les
dénutrition et aux stratégies de contrôle du poids celui des femmes témoins. En revanche, la vomissements et la prise intempestive de laxatifs ;
mises en place souvent précocement chez la jeune renutrition avec reprise de poids, même avant le – la prise en charge tardive des troubles ;
fille anorexique. La tolérance de l’organisme peut retour des cycles menstruels, entraîne une nette – l’existence de difficultés de communication et
être extrême et les complications ne survenir amélioration, sans que l’on puisse mesurer d’expression des émotions au sein de la famille ;
qu’après une longue évolution. pleinement encore la qualité et la rapidité de cette – la coexistence de troubles psychologiques
L’amaigrissement est souvent spectaculaire, récupération qui reste le plus souvent partielle. associés.
dépasse 25 % du poids initial, jusqu’à 50 % du poids Les troubles cognitifs prennent la forme de
idéal théorique pour l’âge et la taille : le corps est troubles de l’attention, de la mémoire et de la


efflanqué, anguleux, la silhouette est androïde, la concentration, et se traduisent à l’examen
fonte musculaire est massive. tomodensitométrique par une atrophie cortico-sous- Conduite à tenir
La peau est sèche, écailleuse, les cheveux sont corticale réversible, avec un élargissement des sillons
secs, cassants, clairsemés, les ongles striés. On note et une dilatation ventriculaire.
L’hospitalisation est indispensable lorsque le
une hypertrichose avec un aspect de lanugo.
Les caries sont fréquentes, associées à une ‚ Complications retentissement de l’anorexie menace le pronostic
vital. Si celle-ci n’a pas été préparée au cours
érosion de l’émail dentaire plus marquée sur les Peu fréquentes mais graves, elles se manifestent
d’entretiens préalables, elle est souvent refusée par
incisives supérieures (dents plus blanches) chez les tardivement par rapport à l’état clinique de
la jeune fille qui n’en comprend pas la nécessité, ou
vomisseuses chroniques (depuis au moins 4 ans). dénutrition dans lequel se trouvent ces sujets.
même par les parents qui souhaitent le
Les œdèmes sont fréquents : périorbitaires et au rétablissement rapide de leur enfant tout en
niveau des membres inférieurs, ils traduisent un Mortalité
supportant difficilement l’idée de la séparation lors
abus de sel, l’excès d’apport liquidien (une Les études récentes indiquent un taux de de l’hospitalisation.
potomanie de plusieurs litres d’eau par jour est mortalité allant de 5 à 18 % des cas à 15 ans L’hospitalisation « en urgence » ne doit être
habituelle), un trouble de la natrémie et/ou une d’évolution de la maladie. Parmi les causes de cette réservée qu’aux cas extrêmes, nécessitant au
hypoprotidémie. évolution péjorative, ce sont les complications de la préalable un séjour dans une unité de réanimation
Les troubles circulatoires se manifestant par une dénutrition (cachexie, infections et septicémies, afin de pallier au plus vite les complications de la
acrocyanose des extrémités. L’hypotension artérielle insuffisance cardiaque ou rénale) et les troubles dénutrition et des troubles hydroélectrolytiques.
et une bradycardie sont fréquentes. hydroélectrolytiques (arrêt cardiaque) qui Pendant ce séjour en réanimation, si l’axe
Les troubles digestifs sont secondaires à la prédominent. Le suicide est en revanche thérapeutique est centré sur la réalimentation
restriction alimentaire et souvent l’un des uniques relativement rare (6 % des décès). (celle-ci devra s’effectuer par voie entérale le plus tôt
motifs de consultation : constipation chronique possible, en limitant les perfusions aux corrections
Troubles cardiaques
aggravée par la prise intempestive de laxatifs qui des troubles ioniques), il est extrêmement important
favorise une stéatorrhée, une déperdition protéique Cinquante pour cent des anorexiques présentent de préparer dès ce stade l’hospitalisation dans une
et l’apparition de saignements intestinaux. Le retard des signes particuliers à l’électrocardiogramme unité de soins spécialisée dans le traitement des
de la vidange gastrique explique les sensations de (même en l’absence d’hypokaliémie) : bradycardie troubles des conduites alimentaires.
ballonnement intestinal et la difficulté à digérer dont sinusale avec inversion de l’onde T, aplatissement de En effet, l’hospitalisation ne se déroulera dans de
se plaignent les anorexiques après l’ingestion de T et sous-décalage de ST, bloc auriculoventriculaire, bonnes conditions que si la malade, la famille et
nourriture. et parfois, tachycardie ventriculaire et arrêt cardiaque l’entourage proche comprennent la nécessité du
L’aménorrhée est constante : elle succède à un (hypokaliémie majeure). traitement, adhèrent aux modalités de soins
amaigrissement net dans 25 % des cas, apparaît au L’œdème aigu du poumon survient lorsque la proposées et inscrivent ce séjour hospitalier comme
moment où le sujet commence à maigrir dans 55 % réalimentation (avec apport liquidien trop important) une première étape du traitement qui se poursuivra
des cas, et débute avant la restriction alimentaire est conduite trop vite. en ambulatoire pendant plusieurs mois ou même
dans 15 % des cas. Elle persiste le plus souvent, quelques années. Cette préparation, dans notre
même après normalisation du poids. Les études Complications infectieuses expérience clinique, est fondamentale pour la suite
catamnestiques récentes montrent que 55 % Il s’agit essentiellement d’infections cutanées, du traitement.
seulement des anorexiques retrouvent des cycles urinaires et pulmonaires (herpès, mycoses à Gram Les objectifs du traitement, en consultation
menstruels réguliers. négatif et tuberculeuses). Elles sont majorées par la externe ou en hospitalisation, sont triples.

3
3-0775 - Anorexie mentale

‚ Réalimentation place d’un traitement psychothérapique adapté ; terme ; les neuroleptiques ne sont indiqués que
selon le cas, on proposera une psychothérapie lorsqu’il existe une symptomatologie d’allure
Elle doit se faire de façon progressive et tenir
comportementale ou comportementale et cognitive, psychotique associée. La prescription d’œstroproges-
compte des troubles quantitatifs et qualitatifs de
centrée sur le comportement alimentaire, s’il existe tatifs peut permettre l’installation de cycles artificiels,
l’alimentation de la patiente. Une évaluation des
de grosses perturbations quantitatives et surtout mais surtout la prévention osseuse.
conduites alimentaires individualisée est nécessaire
à partir d’un questionnaire portant sur les qualitatives de l’alimentation, des idées irrationnelles


préférences alimentaires d’une part, et les choix concernant celle-ci ou de l’estime de soi. La thérapie
alimentaires d’autre part. Un travail sur la familiale vise à modifier la structure familiale mal Conclusion
rediversification de l’alimentation s’avère aussi adaptée à la résolution des conflits. Selon le
fondamental que celui portant sur l’augmentation professeur Russel, les thérapies familiales semblent L’anorexie mentale, et plus généralement les
du poids et doit s’effectuer très progressivement, en efficaces lors de la prise en charge de sujets jeunes troubles du comportement alimentaire, suscitent une
réintroduisant peu à peu les aliments considérés par (< 19 ans) vivant dans leur famille ; leur efficacité attention croissante des médecins et de tous ceux
la patiente comme étant de plus en plus difficiles à serait même supérieure à une prise en charge en qui sont concernés par la santé publique, à la fois
ingérer. psychothérapie individuelle. Si l’indication de parce qu’il s’agit d’une pathologie en augmentation
En début d’hospitalisation, des suppléments thérapie familiale ne se pose pas, des entretiens constante dans les pays occidentaux, mais aussi
caloriques liquidiens sont parfois nécessaires. familiaux sont indispensables, comme la d’une affection grave, deuxième cause de mortalité
participation des familles au groupe de parents qui chez les adolescentes.
‚ Reprise de poids permet l’émergence d’émotions qui jusque-là n’ont L’anorexie mentale est une affection essentiel-
C’est un objectif essentiel, mais si cette reprise de pu être exprimées, même à l’intérieur de la famille. lement féminine, neuf fois sur dix chez la jeune fille,
poids ne s’accompagne pas d’une modification La psychothérapie d’inspiration psychanaly- associant une restriction délibérée de nourriture, un
durable des habitudes alimentaires de la patiente, tique individuelle est associée le plus souvent à amaigrissement important et une aménorrhée,
elle ne sera que de courte durée. Il est très important d’autres techniques : thérapies de relaxation lorsque sous-tendus par des troubles du schéma corporel et
de fixer avec la patiente, dès les premiers entretiens, la composante anxieuse est au premier plan et que la hantise de grossir.
le poids à atteindre qui tiendra compte du poids les troubles du schéma corporel sont dominants, Un certain nombre de facteurs étiopathogéniques
idéal théorique (body mass index [BMI] = poids/taille2 techniques d’affirmation de soi s’il existe un défaut ont été proposés : facteurs génétiques, facteurs
entre 20 et 25) et du poids antérieur « stable » avant d’assertivité, et thérapie de groupe qui doit biologiques (réponse favorable de certains sujets aux
le début des troubles restrictifs. encourager la perception, l’identification et antidépresseurs), facteurs neurobiologiques, facteurs
l’expression des affects afin d’assouplir le socioculturels, mais aussi facteurs individuels et de
‚ Moyens thérapeutiques utilisés fonctionnement de chacune et de renforcer par là le personnalité, bien qu’il n’y ait a priori pas de
Deux phases sont prévues dans le contrat sentiment de l’identité. personnalité prémorbide spécifique.
thérapeutique qui mentionne les objectifs globaux et Par ailleurs, vis-à-vis des traitements Le pronostic de cette affection est réservé : si un
hebdomadaires. médicamenteux, l’ensemble des travaux sur tiers des sujets guérissent, une anorexique sur deux
La première phase est marquée par l’abord l’anorexie mentale n’a permis de prouver ni l’intérêt, présente une forme chronique et l’évolution est
médical des troubles somatiques et biologiques, une ni l’efficacité d’une quelconque chimiothérapie à mortelle dans 6 à 18 % des cas sur une période de
réalimentation active mais pas trop rapide avec une long terme. 15 ans.
reprise de poids de l’ordre de un tiers du poids à L’avantage de la prescription de psychotropes se L’approche thérapeutique est longue, complexe,
gagner, et la mise en place d’une approche situe dans leur effet anxiolytique qui aide à dépasser spécialisée et multidisciplinaire. Elle doit être
psychothérapeutique en fonction des éléments du la peur de manger, favorise le gain de poids et individualisée : abord nutritionnel approprié,
bilan clinique et psychologique. C’est à cette phase diminue l’hyperactivité ; la prescription techniques comportementales et/ou cognitives,
que se décide l’indication d’une éventuelle d’antidépresseurs peut être proposée chez des sujets approche corporelle par les thérapies de relaxation,
hospitalisation si la réalimentation initiale n’est pas anorexiques présentant un épisode dépressif majeur prescription éventuelle d’antidépresseurs, enfin, aide
obtenue en ambulatoire. associé à des conduites restrictives. En pratique, les psychothérapique individuelle et familiale. Les
La deuxième phase doit aboutir à une anxiolytiques et les hypnotiques ne seront prescrits résultats ne seront appréciés qu’avec un recul
restauration du poids et correspond à la mise en que ponctuellement, et de toute façon à court suffisant de plusieurs années.

Sophie Criquillion-Doublet : Praticien hospitalier,


service du Professeur B Samuel-Lajeunesse, centre hospitalier Sainte-Anne, clinique de la faculté, 100, rue de la Santé, 75674 Paris cedex 14, France.
Marie-Noëlle Laveissiere-Deletraz : Attachée,
service du Professeur Dubuisson, groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, 27, rue du Faubourg St-Jacques, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : S Criquillion-Doublet et MN Laveissiere-Deletraz. Anorexie mentale.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, MG-30775, 1999, 4 p

Références

[1] Doublet S. Anorexie mentale. Reprod Hum Horm 1993 ; 6 : 341-348 [3] Jeammet PH. Anorexie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-
350-A-10, 1984 : 1-16
[2] Eisler I, Dare C, Russell GF, Szmukler G, Le Grange D, Dodge E. Family and
individual therapy in anorexia nervosa. A 5-year follow-up. Arch Gen Psychiatry [4] Samuel-Lajeunesse B, Foulon C. Les conduites alimentaires. Paris : Masson,
1997 ; 54 : 1025-1030 1994

4
Anorexie mentale du nourrisson, du jeune enfant, du grand enfant
prépubère et de l'adolescent

Pédiatrie/Maladies infectieuses [4-101-G-40] (1998)

Pierre Ferrari : Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à


la faculté de médecine Paris-Bicêtre, médecin-chef du Centre de psychiatrie
infantile
Fondation Vallée, 7, rue Bensérade, 94257 Gentilly cedex France

Résumé

Dans cet article, l'auteur décrit les différentes formes de l'anorexie mentale :

 du nourrisson et du jeune enfant (forme commune et formes graves :


dépressives, d'inertie, psychotiques et phobiques) ;
 du grand enfant et de l'enfant prépubère (les différentes formes
d'anorexie prépubère, les anorexies lors des dépressions) ;
 de l'adolescent (clinique, épidémiologie, données environnementales
et familiales, psychopathologie et thérapeutique).

L'auteur s'efforce de décrire les différentes formes cliniques de l'anorexie


mentale, de la naissance à la fin de l'adolescence, de dégager une
compréhension psychopathologique de chacune de ses formes et de relier
cette compréhension aux données développementales ainsi qu'aux données
environnementales et relationnelles. L'auteur précise enfin les facteurs
étiologiques qui peuvent être mis en cause ainsi que les divers
retentissements somatiques de ces anorexies. Enfin, est envisagée la
conduite thérapeutique dans chacune de ces différentes formes d'anorexie.

© 1998 Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés

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INTRODUCTION

On désigne généralement sous ce terme d'anorexie un ensemble de troubles


du comportement alimentaire aboutissant à une restriction alimentaire, voire
à un refus plus ou moins complet d'alimentation. La disparition de la
sensation de faim n'apparaît que dans les formes graves d'anorexie.
Habituellement, il s'agit le plus souvent de comportements d'opposition à la
nourriture avec conservation de la sensation de faim. Le retentissement sur
le poids est variable selon les formes : majeur dans les formes d'anorexie
mentale de l'adolescence, il est classiquement considéré comme très modéré
dans les anorexies du second semestre.

Bien que de rares cas d'anorexie de la petite enfance aient pu se prolonger


jusqu'à l'adolescence, on admet généralement qu'il n'existe pas de lien direct
ni sur le plan évolutif, ni sur le plan psychopathologique entre les
différentes formes d'anorexie aux différentes périodes de la vie. Chacune de
ces formes d'anorexie apparaît liée à une structure psychopathologique
spécifique ainsi qu'à des conditions développementales et
environnementales particulières.

Nous distinguerons :

 les anorexies du nourrisson et du très jeune enfant ;


 les anorexies chez le grand enfant et l'enfant prépubère ;
 les anorexies chez l'adolescent.

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ANOREXIE MENTALE DU NOURRISSON ET DU JEUNE ENFANT

L'anorexie mentale est le plus fréquent des troubles alimentaires du


nourrisson avec le mérycisme et les vomissements psychogènes. Ces
derniers sont souvent associés à l'anorexie, lui succédant ou la remplaçant
au bout de quelques temps.

Il convient d'emblée de distinguer deux types d'anorexie mentale :


l'anorexie mentale commune, la plus fréquente, et les formes graves et
complexes d'anorexie, beaucoup plus rares. Il existe peu de données
épidémiologiques sur la fréquence des troubles anorexiques durant la petite
enfance. Les enquêtes de Lindberg [19] sur une population de 841 et de 567
enfants, âgés respectivement de 30 et 71 semaines montrent une fréquence
de 1,4 à 3,2 % des troubles anorexiques durant la première enfance. Il
semble cependant que, actuellement, on assiste à une diminution de
fréquence tant des formes graves que bénignes, en rapport avec les progrès
de la puériculture et un meilleur dépistage des troubles interactionnels
précoces.

Anorexie mentale commune du second semestre

C'est la forme la plus typique. Elle se présente comme une conduite plus ou
moins intense et plus ou moins explicite de refus alimentaire, dans un cadre
général d'opposition à la mère. Les travaux de Lelong et Kreisler ont
confirmé l'individualisation de cette forme psychologique d'anorexie chez
l'enfant.

Tableau clinique

Les modalités utilisées par l'enfant pour refuser ou retarder le moment de


l'alimentation sont variées : refus catégorique et bruyant ou, parfois, refus
moins bruyant mais tout aussi persistant et tenace. Les stratagèmes utilisés
par la mère pour faire accepter la nourriture sont des plus variés, mais ils
aboutissent tous à une attitude plus ou moins ouvertement contraignante de
la mère entraînant entre elle et l'enfant une lutte autour de l'alimentation.
Celle-ci se termine généralement par la victoire de l'enfant et l'abandon de
la mère et, parfois, par un vomissement provoqué, notamment lorsqu'il y a
eu forçage alimentaire.

L'enfant est souvent décrit comme un enfant vif, très attentif au monde
extérieur et ayant parfois même une certaine précocité dans son premier
développement.

L'anorexie de l'enfant et le conflit quotidien autour de l'alimentation


entraînent, chez la mère, un profond sentiment d'échec qu'elle peut vivre sur
un mode anxieux, dépressif ou agressif et qui peut ébranler
considérablement sa confiance en ses capacités maternelles.

Bilan

La constatation d'une telle anorexie impose :

 l'élimination d'une cause organique à l'anorexie ;


 la recherche de facteurs déclenchants, l'analyse minutieuse des
circonstances qui ont entouré les premières manifestations
d'anorexie : poussée dentaire, sevrage, épisode infectieux,
vaccination. On analysera la façon dont le refus alimentaire s'est
organisé à partir de chacun de ces incidents ;
 la recherche des troubles associés : insomnies particulièrement
fréquentes, conduites d'opposition et de colère, voire spasmes du
sanglot ;
 l'examen du comportement du bébé qui montre, dans l'ensemble, un
enfant dont l'éveil et le développement psychomoteur sont normaux
et le contact généralement assez facile ;
 l'examen de la personnalité de la mère et de ses modalités
interactives avec le bébé ainsi que de ses habitudes éducatives. Au
terme de cet examen, le praticien se sera fait une idée plus
approfondie de ce qui se joue lors des échanges entre la mère et son
bébé : la façon dont celle-ci peut induire, sans en être consciente,
certains dégoûts chez son enfant, la façon dont elle peut être amenée
à procéder à des projections inconscientes sur son enfant.
Corrélativement, le praticien s'efforcera de sentir comment l'enfant
perçoit les messages maternels et s'organise autour d'eux.

Evolution

L'évolution est essentiellement variable.

Certaines anorexies guérissent rapidement du fait des modifications du


comportement de la mère liées au traitement : diminution de son inquiétude
dans sa relation à l'enfant, prise de conscience de certains fantasmes et
identifications en jeu dans la relation mère-enfant, plus grande confiance
enfin de la mère dans ses capacités à être « une mère suffisamment bonne ».

Cependant, d'autres fois, l'anorexie peut se perpétuer assez longtemps. Il n'y


a pas de véritable amaigrissement mais la prise de poids reste faible. Les
troubles comportementaux de type oppositionnel peuvent s'étendre à
d'autres modalités et la symptomatologie s'enrichir d'autres manifestations,
insomnies, spasme du sanglot, tout trouble dont la pérennisation témoigne
de la mise en place d'une organisation psychopathologique. Parfois,
certaines anorexies précoces peuvent se prolonger dans la seconde enfance,
voire même, mais assez rarement, jusqu'à l'adolescence.

Certains auteurs américains [6] soulignent la fréquence du retentissement


des refus alimentaires sur la croissance avec perte de poids et exigent
même, pour porter le diagnostic d'« anorexie nerveuse infantile », un
retentissement sur la croissance.

Anorexies néonatales bénignes

Certaines anorexies néonatales bénignes surviennent dans les premières


semaines de vie, généralement dans un contexte particulier, par exemple au
véritable conduite d'opposition à l'alimentation avec refus de succion si des
contraintes alimentaires intempestives sont mises en oeuvre ou si sont
utilisées prématurément des techniques de gavage.

Formes graves d'anorexie précoce

Nous reprendrons ici la classification qu'en a donné Kreisler et qu'il a


proposé de regrouper sous le terme d' « anorexie complexe du premier âge
». Ces formes sont relativement rares comparativement à l'anorexie mentale
commune mais correspondent, généralement, à des troubles
psychopathologiques plus structurés. Leur évolution est plus sévère et
fonction des troubles qui les déterminent.

Anorexies mentales dépressives

Elles sont caractérisées par le contexte dans lequel elles surviennent


(tableau de dépression anaclitique de Spitz, ou tableau d'atonie dépressive
de Kreisler). Il ne s'agit plus ici d'un simple refus alimentaire mais d'une
véritable atteinte de l'appétit et de la sensation de faim. L'anorexie apparaît
là comme un symptôme au sein d'un tableau clinique complexe, fait
d'inertie, de retard de croissance et de retard du développement
psychomoteur. Le contexte dans lequel surviennent ces anorexies
dépressives au cours du second ou du troisième semestre, est très
caractéristique : dépression maternelle, séparation précoce, troubles graves
de l'investissement affectif de l'enfant de la part d'un environnement
sociofamilial défaillant. Certaines de ces formes peuvent mettre en jeu le
pronostic vital.

Anorexie d'inertie de Kreisler

Kreisler a décrit, sous ce terme, une forme rare mais grave de pathologie
mentale sévère s'organisant dès la naissance. Le comportement du
nourrisson est fait d'une grande passivité, l'enfant semblant ne pas éprouver
de sensation de faim, ne manifester aucun attrait pour la succion et
présenter un désintérêt presque total pour toutes les activités orales
habituelles (lallation, succion, explorations buccales). Les troubles du
contact sont constants, marqués par une grande pauvreté des échanges et
une hypervigilance. Dans ce même contexte, l'auteur a décrit une forme
plus active avec refus actif de la succion. Les circonstances de survenue
sont généralement celles d'une défaillance massive de l'environnement. Le
traitement de ces formes nécessite, le plus souvent, l'hospitalisation en
raison des risques encourus mais les explorations orodigestives doivent
rester limitées au strict nécessaire.

Ces deux types d'anorexies dépressives et d'inertie nécessitent des prises en


charge conjointes (mère-bébé) pédiatriques et pédopsychiatriques.

Anorexies psychotiques

Ces formes d'anorexie sont très particulières, en raison du tableau clinique


dans lequel elles s'inscrivent. Les troubles graves et précoces de la
personnalité s'accompagnent souvent, à un moment ou à un autre de leur
évolution, de symptômes anorexiques. Il peut s'agir d'un tableau autistique
avec absence d'activités autoérotiques orales, difficultés de la succion et
absence d'exploration buccale. D'autres fois, il s'agit d'un enfant un peu plus
âgé présentant un tableau de dysharmonie psychotique avec difficulté à la
mastication et à la déglutition, phobies à se servir de la moitié antérieure de
la bouche (« phobie du museau » de Soulé) [17].

Dans ces pathologies graves, l'anorexie apparaît comme la conséquence


d'une difficulté à un investissement normal de la bouche et de l'oralité au
sein de troubles relationnels intenses. Elle relève d'une prise en charge
essentiellement pédopsychiatrique.

Anorexies mentales phobiques

Elles apparaissent généralement au décours de la seconde année. Il s'agit


d'une attitude phobique générale vis-à-vis de l'alimentation avec refus de la
nourriture solide et liquide, le contact avec les aliments entraînant une
attitude générale de crainte. Elle correspond, le plus souvent, à un
déplacement sur la nourriture de l'angoisse de l'étranger. Ce type d'anorexie
s'accompagne volontiers d'autres symptômes phobiques et peut nécessiter
des mesures d'urgence, voire une hospitalisation en raison des risques de
déshydratation et du fait de l'anxiété parentale souvent très grande. Ces
formes sont à distinguer des phobies alimentaires mineures que l'on peut
observer chez un enfant normal avec dégoût pour certains aliments et qui
évoluent favorablement.

En conclusion, il faut opposer la fréquence et le pronostic généralement bon


de l'anorexie habituelle du nourrisson dite « anorexie d'opposition », aux
autres formes d'anorexie, plus rares mais plus graves, et qui traduisent, le
plus souvent, un trouble psychopathologique plus sévère.

Signalons cependant qu'il existe peu d'études sur le devenir, à long terme,
des anorexies habituelles et que nous ne connaissons pas les liens de celles-
ci avec le développement d'éventuels troubles ultérieurs de la personnalité,
pas plus que nous ne connaissons clairement les liens entre troubles
alimentaires précoces du jeune enfant et troubles ultérieurs des conduites
alimentaires de l'adolescent ou du jeune adulte.
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ANOREXIES CHEZ LE GRAND ENFANT ET L'ENFANT


PRÉ PUBÈRE

Contrairement à la période de l'adolescence, il existe peu de données


épidémiologiques sur l'incidence des troubles des conduites alimentaires
durant cette période de la vie. Il semble cependant que celle-ci soit en
augmentation et qu'il existe une surreprésentation des garçons par rapport
aux filles au contraire de ce qui se passe au moment de l'adolescence. Une
étude de Maloney [20] montre que, sur une population d'enfants âgés de 8 à
13 ans, étudiés par l'échelle CH-EAT, 7 % présentent des « scores
anorexiques » et qu'un pourcentage d'enfants plus important aurait des
préoccupations concernant le poids l'amenant à des réductions alimentaires.

Anorexie mentale prépubère

Une forme d'anorexie mentale prépubère, proche dans sa symptomatologie


des anorexies mentales de l'adolescence, s'en distingue cependant par le fait
qu'elle se développe antérieurement à la puberté mais alors que s'ébauche
déjà les premières modifications corporelles. Cette forme où l'aménorrhée
est primaire serait de meilleur pronostic que les formes postpubères.
Cependant, certaines anorexies prépubères surviennent plus précocement en
pleine phase de latence, le plus souvent sur un fond de trouble sérieux de la
personnalité marqué par des traits obsessionnels. Leur pronostic est plus
sévère. Pour Jeamment [12], ces anorexies prépubères méritent d'être
individualisées du fait du retentissement fréquent sur la croissance et de leur
sévérité psychopathologique. Les dosages hormonaux effectués dans ces
cas montrent un taux abaissé de l'hormone de croissance et de l'activité de la
somatomédine plasmatique [24]. Ce tableau se rapproche du nanisme
psychosocial.

Dans l'étude de Bryant-Waugh [2], les indicateurs de mauvais pronostic sont


notamment le jeune âge de début de l'affection, l'importance de la
dépression associée et de la pathologie familiale.

Dépression et anorexie prépubère

La dépression est un symptôme fréquemment associé au tableau des


[29]
anorexies prépubères. Sur 13 anorexiques prépubères, Mouren-Simeoni
généralement antérieurs à la dépression, laquelle n'explique pas la conduite
anorexique qui persiste généralement même si la dépression s'améliore.

En revanche, d'authentiques dépressions de l'enfant prépubère peuvent


s'accompagner de troubles de l'alimentation avec un éventuel retentissement
pondéral (15 à 20 % dans les études de Bryant [2] et Mitchell [23]).

Vomissements psychogènes

Des vomissements psychogènes peuvent s'observer chez les enfants en


période prépubère, isolés ou associés à une anorexie avec un éventuel
retentissement pondéral. Ces symptômes sont généralement considérés
comme des symptômes de conversion rattachés à une structure névrotique
hystérique. Ils ne s'accompagnent pas de troubles de l'image du corps ni de
préoccupations obsédantes concernant le régime, ni de stratégie pour
contrôler le poids. Ces troubles sont ainsi très différents de ceux rencontrés
dans l'anorexie mentale vraie.

Troubles anorexiques rencontrés au cours des maladies organiques

Les troubles anorexiques sont fréquents au cours des pathologies


organiques de l'enfant. Ils sont souvent négligés et rapportés à tort à la seule
maladie organique dont, cependant, ils aggravent souvent le pronostic, du
fait de leur retentissement somatique. Ils traduisent en fait souvent l'anxiété
liée à la maladie, à ses conséquences réelles ou imaginaires. Signalons à ce
propos la fréquence des troubles anorexiques et des vomissements dans les
pathologies cancéreuses. Ceux-ci ne sont liés qu'en partie à la
chimiothérapie. Leur existence vient souligner la nécessité d'une prise en
charge conjointe, pédiatrique et pédopsychiatrique de l'enfant dans les
maladies sévères et au long cours.

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ANOREXIE MENTALE DE L'ADOLESCENT

épidémiologie

Il est classique de souligner l'augmentation de fréquence de l'anorexie


mentale dans les sociétés occidentales durant les dernières décennies et
américaine).

L'incidence de l'affection est souvent sous-évaluée du fait de la négation par


les malades de leurs troubles et de la banalisation de ceux-ci par l'entourage.

D'une façon générale, deux à huit cas pour 100 000 habitants seraient
recensés, chaque année, dans les sociétés occidentales. Schwabe [26] a
avancé le chiffre de un cas pour 200 parmi les adolescentes dans les
sociétés occidentales. En France, l'incidence de l'anorexie mentale est
évaluée entre 2 000 et 6 000 cas annuels [25].

L'anorexie mentale touche le sexe féminin dans plus de 90 % des cas. L'âge
moyen de début se situe entre 15 et 17 ans, le moment du diagnostic étant
cependant parfois retardé de plusieurs années.

Diagnostic positif et symptomatologie


[1]
Le DSM-IV exige pour le diagnostic positif d'anorexie mentale, cinq
critères :

 une perte de poids de plus de 25 % ;


 un âge de début avant 25 ans ;
 l'existence de troubles importants du comportement alimentaire ;
 l'absence de toute pathologie organique ou psychiatrique autre ;
 la peur intense de devenir obèse.

Connue de longue date et décrite déjà au siècle dernier par Gullen en


Angleterre (anorexia nervosa) et Lasegue en France (anorexie hystérique),
l'anorexie mentale, dans sa forme typique, comporte une triade
symptomatique originale (aménorrhée, amaigrissement, anorexie) à laquelle
il convient d'ajouter certaines caractéristiques psychologiques et certaines
modifications biologiques.

Amaigrissement

L'amaigrissement est souvent important, dépassant 25, voire dans certains


cas 50 %. L'amaigrissement est souvent impressionnant au moment de la
première consultation et s'accentue progressivement en cours d'évolution
donnant finalement à la jeune fille un aspect parfois squelettique. La fonte
musculaire et graisseuse atténue les formes féminines, notamment au niveau
des seins, des hanches et des fesses. Les modifications des phanères
accentuent l'aspect émacié (cheveux rares et secs, ongles striés, cassants,
lanugo). Il existe souvent des troubles circulatoires avec une tension
satisfaction de par le sentiment de triomphe que lui procure la maîtrise sur
son propre corps, la vue de celui-ci, de l'image qu'elle en donne à autrui et
que ce dernier lui renvoie. Insensible à toute explication rationnelle sur les
conséquences possibles de son comportement et sur les risques mortels
qu'elle court, la jeune anorexique ne se sent en accord avec elle-même qu'à
la condition qu'elle puisse s'assurer de la maîtrise de son corps, la perte de
cette maîtrise, notamment lors des impulsions boulimiques, la menaçant de
mouvements dépressifs.

Anorexie

L'anorexie est un symptôme capital. Il s'agit, en fait, d'une restriction


alimentaire tout à fait délibérée qui s'accompagne d'un régime draconien et
de préoccupations obsédantes et quasi exclusives pour l'alimentation. La
restriction alimentaire porte électivement sur les aliments réputés
caloriques. Un régime a souvent été instauré initialement par la patiente
pour lutter contre un embonpoint souvent des plus discrets. Si une véritable
perte d'appétit peut, à la longue, s'installer, la conduite anorexique est avant
tout une lutte contre une sensation de faim qui reste conservée et une lutte
contre le sentiment d'une possible dépendance à l'égard de la nourriture. La
conduite anorexique est une composante d'un ensemble de comportements
visant tous au contrôle du poids et à la lutte contre une hypothétique obésité
: contrôle méticuleux des aliments, vomissements provoqués, tentative
d'accélérer l'élimination intestinale et urinaire par la prise de laxatifs et de
diurétiques mais aussi exercices physiques intenses et prolongés (course,
natation, danse). Cette hyperactivité vise à favoriser les éliminations et à
assurer la maîtrise du corps. Toute prise de poids est immédiatement
compensée par une recrudescence du régime ou de l'activité physique.

Aménorrhée

L'aménorrhée est constante au cours de l'évolution. Dans la plupart des cas


(environ la moitié), elle coïncide avec le début de la maladie mais, parfois,
elle peut précéder celui-ci ou le suivre. L'aménorrhée peut être primaire ou
secondaire. Elle n'est pas la conséquence directe de l'amaigrissement, peut
le précéder ou lui survivre, constituant ainsi souvent un symptôme tenace et
lent à disparaître. La patiente est souvent soulagée de cette absence de signe
de sa féminité que constitue, à ses yeux, la survenue des règles.

Psychologie

Les aspects psychologiques de la maladie font partie intégrante de


l'affection et leur identification est capitale tant pour le diagnostic que pour
la conduite du traitement.
 Le déni de l'amaigrissement est souvent considéré comme la
conséquence d'un trouble important de perception de l'image du
corps expliquant l'absence d'inquiétude des patientes au sujet de leur
état, voire même leur sentiment de bien-être. Même si certains
auteurs contestent l'importance centrale d'un tel trouble de l'image
du corps, il n'en reste pas moins que le fantasme angoissant d'un
corps trop gros et déformé et la crainte phobique de grossir sont très
prégnants chez les anorexiques et s'accompagnent d'une idéalisation
de la minceur et de la fermeté du corps.
 La méconnaissance des besoins et exigences corporelles avec
tentative de maîtrise de l'appétit et l'érotisation parallèle de la
sensation de faim, l'appauvrissement du vécu émotionnel et affectif,
la pauvreté des activités oniriques, le refoulement massif des
exigences pulsionnelles et de la sexualité génitale, l'absence
d'activités autoérotiques constituent également des caractéristiques
importantes de la personnalité anorexique.
 Le surinvestissement de l'activité physique et de la motricité avec
méconnaissance des besoins corporels, notamment de la sensation
de fatigue s'inscrivent dans le désir de maîtrise du corps si
caractéristique de l'anorexique.
 Les modalités de la vie relationnelle sont centrées autour d'une lutte
contre le sentiment de dépendance vis-à-vis d'autrui dans un
fantasme d'autosuffisance. Selon Jeammet [12], le dilemme
existentiel central pourrait se résumer ainsi : « comment tenir le plus
à distance de soi ce dont on ne peut se passer ». Cette problématique
explique, selon cet auteur, les caractéristiques suivantes de la
personnalité :
o difficulté d'un réel engagement affectif dans la relation à
autrui expliquant l'isolement et l'apparente indifférence dans
les relations sociales ;
o maintien d'une relation de dépendance et d'attachement aux
objets d'investissement infantiles, notamment parentaux dans
une relation quasi symbiotique évitant la reconnaissance de
la séparation d'autrui et la reconnaissance de son altérité ;
o le fonctionnement intellectuel est classiquement considéré
comme excellent et s'accompagne souvent de bons résultats
scolaires avec une avidité pour l'emmagasinement des
connaissances aux dépens de l'épanouissement de la
créativité avec repli sur des positions défensives,
d'intellectualisation à outrance.

Troubles de l'humeur

Classiquement, ils n'existent pas et l'on considère comme nécessaire au


études). Certains auteurs se sont même interrogés sur l'existence d'une
éventuelle parenté entre anorexie mentale et la psychose maniacodépressive
. En fait, des moments dépressifs peuvent apparaître en cours d'évolution,
notamment lors de certaines prises de poids liées à des accès boulimiques
ou lors d'une reprise pondérale liée à une amélioration clinique ou encore
lors de la perspective d'un retour au domicile.

Modifications biologiques

Certaines de ces modifications sont secondaires à la dénutrition et peuvent,


dans certains cas, conduire à la nécessité d'une réanimation : baisse du
métabolisme de base, troubles hydroélectrolytiques avec hypokaliémie,
hypovolémie avec hypotension, troubles de la conduction cardiaque,
hypoglycémie, hypercholestérolémie, anémie hypochrome.

D'autres troubles relèvent d'un dysfonctionnement hypothalamo-


hypophysaire, diminution de l'hormone thyroïdienne T3 et T4 avec un taux
sanguin normal de TSH, abaissement du taux sanguin des hormones
ovariennes avec un taux de FSH (follicle stimulating hormone) et de LH
(luteinizing hormone) inférieur à la normale. Les facteurs de croissance
plasmatique sont abaissés.

Le tableau biologique ainsi décrit correspond à une anorexie déjà


constituée. Il varie bien sûr en fonction des moments évolutifs de la
maladie.

Milieu familial

Il faut distinguer les réactions du milieu familial à l'apparition des troubles


et l'éventuelle psychopathologie familiale préexistant à ceux-ci et ayant pu,
partiellement, contribuer à leur genèse.

Réactions du milieu familial

Le développement inexorable des conduites anorexiques entraîne un vif


désarroi de la famille et un profond bouleversement dans l'équilibre
familial. L'insensibilité de la jeune anorexique aux pressions familiales et à
toute tentative de raisonnement logique, la méconnaissance du danger vital
qu'elle court et de la signification mortifère de ses conduites sont, pour les
parents, à l'origine d'une angoisse intense et de profondes blessures
narcissiques. Les agressions du cadre familial et le défi lancé au pouvoir
psychologique de l'affection et les réactions excessives de dramatisation.

Psychopathologie familiale

Elle a pu jouer un rôle dans la genèse des troubles mais il faut se garder de
ne voir dans le trouble que le seul reflet du dysfonctionnement familial. Des
études ont mis en évidence certaines caractéristiques familiales qui ont pu
être retrouvées sans qu'il s'agisse là pourtant de données absolument
constantes.

Relation à la mère

Bruch a fait jouer un rôle (de façon peut-être en partie excessive) à


l'inadéquation dans les premières relations mère-fille : méconnaissance des
besoins corporels de l'enfant, entraînant de la part de la mère, des réponses
inadaptées à l'origine chez l'enfant d'une méconnaissance ou d'une
confusion dans ses besoins corporels et d'une perturbation dans l'élaboration
de son image du corps.

Il est classique de souligner l'importance et la particularité de la relation de


la jeune anorexique à sa mère. Plusieurs points ressortent des différentes
études, notamment les particularités de l'investissement par la mère de son
enfant et la place que celle-ci occupe dans la vie fantasmatique de sa mère :
nature profondément narcissique de l'investissement maternel avec,
corrélativement, survalorisation des performances sociales et scolaires aux
dépens de l'expression des manifestations émotionnelles et affectives ainsi
que de la vie imaginaire . La mère vivrait ainsi sa propre fille comme un
double d'elle-même dans sa relation en fait ambivalente à sa propre mère
[12]
. Il ne serait pas rare, par ailleurs, derrière des attitudes apparemment
fixées et rigides de la mère, de percevoir, chez elle, à certains moments de
l'évolution de la jeune fille, des mouvements dépressifs, notamment lorsque
s'amorcent des signes d'autonomisation de la fille qui ne correspondent plus
aux images idéalisées que s'en fait la mère.

Relation au père

Celle-ci a été moins bien identifiée que la relation à la mère : elle est plus
variable et se fait tantôt sur le mode d'attitude contre-oedipienne, tantôt sur
celui d'un évitement relationnel et du repli narcissique. Pour Jeammet, les
pères des jeunes anorexiques présentent souvent des difficultés à assumer la
position d'autorité à l'intérieur du cadre familial dont ils se sont sentis mis à
l'écart et présentent, dans certains cas, une grande fragilité psychologique.
Fonctionnement familial

La théorie systémique a mis en évidence certaines caractéristiques du


fonctionnement du groupe familial et a dégagé certaines modalités de
communication à l'intérieur de celui-ci . Le fonctionnement familial se
caractériserait ainsi :

 souci d'une excessive harmonie familiale tendant à l'évitement de


tout conflit et limitation des échanges affectifs. La bonne entente
apparente du couple masquerait, en fait, des conflits difficiles à
exprimer et à verbaliser ;
 le caractère flou et incertain des limites entre les individus à
l'intérieur du groupe familial, l'enchevêtrement et le manque de
distance entre les membres de la famille et de différenciation entre
les personnes s'alliant souvent à une confusion entre les générations.

étiologie

Il est habituel de considérer l'étiologie de l'anorexie mentale comme


plurifactorielle, mêlant en proportions variables des facteurs physiques,
psychologiques, familiaux et socioculturels.

Facteurs génétiques

En l'état actuel des recherches, il n'existe pas d'arguments formels en faveur


d'une étiologie génétique de l'anorexie mentale. Les études comparatives
des jumelles non concordantes, monozygotes et dizygotes montrent, tout au
plus, qu'il pourrait exister chez les jumelles monozygotes non concordantes
quelques traits psychologiques communs comme l'insatisfaction vis-à-vis
du corps ou le perfectionnisme. Quoi qu'il en soit, en l'état actuel des
connaissances, même s'il existe des cas familiaux incontestables d'anorexie
mentale, il ne semble pas possible d'affirmer l'existence d'un déterminisme
génétique univoque dans la survenue de l'affection même si des
prédispositions génétiques ne sont pas exclues.

Facteurs somatiques

Les troubles hypothalamiques et diencéphalohypophysaires sont fréquents,


au moins dans les formes sévères mais ils sont, le plus généralement,
considérés comme secondaires, soit au trouble psychique lui-même, soit à
la dénutrition. Cette dernière peut, d'ailleurs, être elle-même,
secondairement, à l'origine de certaines modifications psychologiques :
parfois sentiment de dépersonnalisation, apathie psychique avec restriction
des champs d'intérêt, appauvrissement de la vie imaginaire.
Facteurs psychopathologiques individuels

Ces facteurs ont une importance capitale dans la genèse de l'anorexie


mentale ; ils participent à la survenue du trouble sans pour autant être des
facteurs étiologiques uniques. Ils s'inscrivent dans l'histoire individuelle du
sujet en liaison avec les événements qui ont marqué son enfance et la nature
de ses échanges intrafamiliaux.
[12]
Des auteurs comme Jeammet insistent sur deux types de facteurs
psychopathologiques :

 le type de personnalité ayant précédé l'éclosion de la maladie et,


notamment, le développement d'une personnalité en « faux self »
telle qu'a pu la décrire Winnicott [30]. Il s'agit d'une personnalité qui
se développe dans la dépendance aux désirs et aux attentes de
l'adulte, dans un souci d'aconflictualité avec l'entourage, cette
évolution se faisant aux dépens du développement de la personnalité
propre de l'enfant [7] ;
 l'importance de l'impact traumatique sur le psychisme de
l'adolescent, des modifications physiologiques et psychologiques de
la puberté. Nous rappellerons simplement ici quelques-uns de ces
bouleversements pubertaires : modification de l'image du corps et
intensification des exigences pulsionnelles faisant vivre à
l'adolescent son propre corps comme un objet étranger, voire
persécuteur, bouleversement des rapports aux images parentales
avec réactivation de la problématique oedipienne, modification de
structure de l'idéal du Moi, tentative de rompre la dépendance aux
images parentales.

Facteurs culturels

Les facteurs culturels interviennent également dans la mesure où ils peuvent


peser sur les modalités éducatives et contribuer à donner forme aux idéaux
individuels et familiaux. L'idéal de minceur, de perfection des formes
corporelles proposé fréquemment dans nos sociétés comme modèle idéal de
la féminité et les conduites permettant d'accéder à une telle forme idéale
(régimes, activités musculaires et sportives intensives) peuvent apparaître
comme des modèles identificatoires à des personnalités au narcissisme
défaillant et en quête identitaire. En même temps, comme le souligne
Jeammet [12], le recentrage culturellement favorisé sur les préoccupations
corporelles peut venir souligner la valorisation sociale des idéaux de
perfection corporelle et de performances individuelles, aux dépens des
échanges affectifs et relationnels intrafamiliaux et sociaux.

Soulignons également que les conduites alimentaires sont englobées depuis


la petite enfance, au sein des échanges affectifs et relationnels
intrafamiliaux. C'est dans cette perspective, comme le souligne Winnicott
que l'on pourrait comprendre l'absence de l'anorexie mentale dans les
sociétés noires où l'allaitement au sein tient une importance très grande.

Des études épidémiologiques portant sur des groupes sociaux particuliers


(danseurs, mannequins, etc) où le corps est l'objet d'un investissement
particulier, centre de l'activité professionnelle, ont montré la fréquence des
troubles alimentaires de type anorexique dans ces groupes.

Identité structurale psychopathologique de l'anorexie mentale

On considère actuellement que l'anorexie mentale de l'adolescent possède


une certaine spécificité et une certaine autonomie structurales par rapport
aux autres affections de la nosographie psychiatrique.

L'anorexie mentale est considérée comme une forme particulière de


pathologie narcissique qui la rattache aux pathologie « limites ».

Des traits de personnalité, voire des symptômes hystérophobiques,


obsessionnels, pervers ou schizoïdes sont parfois notés, mais ils ne
constituent pas l'essentiel de l'affection, jouant souvent seulement le rôle de
mécanisme de défense.

Anorexie mentale

Elle doit être distinguée :

 des anorexies rencontrées dans le cadre de la névrose hystérique,


très différentes et dont la problématique principale est constituée par
une lutte défensive contre l'érotisme oral, lieu de déplacement de la
conflictualité oedipienne ;
 des autres formes de névroses. Même si des traits de personnalité ou
des symptômes, phobiques ou obsessionnels, peuvent parfois se
rencontrer, ils ne représentent que des mécanismes défensifs au sein
de la structure plus complexe de l'anorexie ;
 des épisodes dépressifs qui, émaillent son évolution. L'anorexie a pu
être considérée par certains comme une organisation défensive
contre la dépression. La survenue d'une dépression marque souvent
l'abandon de l'attitude de déni de la maladie et de défi. Elle peut être
le début d'une introjection de l'objet et d'une élaboration de la perte
de celui-ci. à ce titre, la dépression peut apparaître comme un
moment positif dans l'évolution, contemporaine parfois d'une
amélioration symptomatique ;
 des anorexies qui peuvent inaugurer certaines schizophrénies
débutantes.
Principales caractéristiques psychopathologiques de l'anorexie mentale

 Importance des caractéristiques personnelles prémorbides et de celle


du milieu familial telles qu'elles sont définies aux paragraphes
correspondants.
 Importance de la pathologie narcissique avec sentiments de vide
intérieur et de non-valeur contre lesquels s'organisent défensivement
les fantasmes de toute puissance et d'indépendance et les attitudes de
défi.
 Importance de la conflictualité autour de la problématique
autonomie/dépendance [12]. L'anorexique déplace sur l'objet
nourriture sa lutte contre la dépendance et ses tentatives de
sauvegarde de son autonomie. Elle reste aliénée dans une relation
conflictuelle à l'objet primaire maternel, non pas symbolisé de façon
métaphorique par la nourriture, mais remplacé par elle, objet dont
elle ne veut pas dépendre mais dont, en même temps, elle ne peut se
séparer et qu'elle ne peut perdre. L'anorexie mentale traduit ainsi
l'échec d'une intériorisation de l'objet qui permettrait la séparation
d'avec l'objet externe et, d'une façon plus générale, l'échec de la
mise en place de représentations mentales qui permettrait
l'élaboration intrapsychique des conflits. Pour toutes ces raisons,
l'anorexie mentale a pu être rattachée aux conduites d'addiction
toxicomaniaques. Ceci rend compte de la difficulté de l'abord
psychothérapique de cette affection ainsi que de la difficulté de mise
en place de processus identificatoires en raison d'un
désinvestissement des relations objectales et d'une dédifférenciation
des imagos parentales (qui organisent habituellement la vie
pulsionnelle).
 Vécu corporel : le traumatisme pubertaire. Les modifications
pubertaires sont perçues de façon persécutive. Le corps, dans son
ensemble, est vécu comme objet de haine. Les signes de la féminin,
et, d'une façon générale, du corps pulsionnel féminin, objet possible
du désir d'autrui, sont perçus comme des intrusions persécutrices et
ne peuvent être intégrés au fonctionnement du Moi. Le corps
apparaît ainsi clivé du reste du Moi. En ce sens, l'anorexie mentale
traduit une incapacité à intégrer et à accepter les transformations
corporelles de la puberté. Le corps représente ainsi le lieu d'un
possible débordement pulsionnel par des pulsions libidinales ou
violentes, non accessibles à un travail de représentation psychique.
Le corps est ainsi l'objet d'un double processus :
o déconnecté de sa vie pulsionnelle, il devient l'objet d'une
sorte d'idéalisation défensive à tonalité mégalomaniaque.
C'est un objet désincarné, asexué, tout puissant,
indestructible dont les besoins, voire les formes, sont l'objet
d'une maîtrise absolue. Il devient ainsi le symbole de
l'identification à la toute-puissance maternelle ;
[5]
o paradoxalement, comme le souligne Brusset , certaines
parties de ce corps peuvent faire l'objet d'un investissement
narcissique à la recherche de sensations corporelles, pures,
isolées et déconnectées de toute représentation (par exemple
recherche de la sensation de réplétion gastrique lors des
boulimies, impression d'ivresse procurée par la sensation de
faim).
 incapacité d'assumer les différentes transformations pubertaires
aboutissant à une régression et à une déstructuration de la vie
pulsionnelle [14]. L'organisation pulsionnelle est essentiellement
centrée autour d'une perversion masochiste où le plaisir n'est tiré que
de la non-satisfaction des besoins et dont la forme la plus élaborée
est l'érotisation du sentiment de faim « orgasme de faim ». On
constate une relative indistinction entre les diverses zones érogènes
avec des confusions fréquentes entre activités orales, anales,
génitales, l'intérieur du corps étant vécu comme un tube aux orifices
et aux activités interchangeables. L'accès boulimique, lorsqu'il
existe, permet l'irruption brutale d'une satisfaction pulsionnelle
régressive sur un mode orgiaque avec arrêt des processus de
mentalisation et sentiment consécutif de honte.
 La vie fantasmatique de l'anorexique est souvent, dans un premier
temps, peu accessible, recouverte et cachée par l'importance des
rationalisations défensives. En témoigne par ailleurs la pauvreté
apparente de la vie onirique dans les périodes aiguës de la maladie,
laissant seulement apparaître, parfois, des expressions
fantasmatiques crues de dévoration ou d'engloutissement.
 Rapport à l'image du corps et au regard. L'image du corps reste mal
intégrée au sujet et dépendante du regard d'autrui. En même temps
qu'elle exhibe de façon souvent provocante, son corps décharné,
l'anorexique attend de ce que lui renvoie le regard de l'autre,
confirmation de sa propre identité et de son emprise omnipotente sur
autrui et notamment sur son milieu familial.
 Dimension mortifère. Elle résulte de l'ensemble des comportements
visant à méconnaître les besoins corporels mais peut se manifester
également dans les tentatives de suicide qui peuvent émailler
l'évolution de l'affection.

Formes cliniques

Anorexie mentale du garçon

Bien que beaucoup plus rare, l'anorexie mentale du garçon peut être
considérée comme un équivalent structurel de celle de la jeune fille,
l'aménorrhée étant remplacée par les troubles de la libido. Son existence est
reconnue de longue date. Sa fréquence, en augmentation, se situe entre 5 et
10 %.

La symptomatologie de ces formes d'anorexie n'est pas très différente de


celle de l'anorexie féminine : à signaler cependant la fréquence plus grande
de symptomatologie obsessionnelle, voire parfois schizoïde. Certains
auteurs pensent d'ailleurs que, souvent, se dissimulerait derrière certaines de
ces anorexies masculines, une psychose, voire une authentique
schizophrénie. Quoi qu'il en soit, le pronostic est généralement considéré
comme plus sévère que dans le cas d'anorexie mentale féminine.

Jeammet [12] évoque plusieurs facteurs possibles pour expliquer la plus


grande fréquence chez la jeune fille : notamment importance des modèles
culturels de la féminité, précocité de la puberté chez la jeune fille,
différence d'investissement du corps et de la motricité chez le garçon et
chez la fille, plus grande dépendance de la fille à l'égard de la mère.

Formes frustes

Elles sont très fréquentes. Elles ne rassemblent généralement pas tous les
symptômes, notamment l'amaigrissement y est souvent peu important ou
inexistant. Elles sont marquées essentiellement par des restrictions
alimentaires, l'importance des préoccupations corporelles et des troubles de
l'image du corps.

Formes tardives

Habituellement sont exclues du syndrome d'anorexie mentale les formes


débutant après 25 ans. Cependant, certaines formes, à début apparemment
tardif, au-delà de cet âge, chez des jeunes femmes, voire des jeunes mères,
existent. Dans ces cas, un épisode anorexique discret a, le plus souvent, pu
exister à l'adolescence mais être méconnu.

Formes boulimiques

La fréquence des anorexies avec accès boulimiques suivis de vomissements


est relativement importante même si les études effectuées en apprécient
diversement la fréquence (25 à 50 %). Certains traits psychopathologiques
seraient plus volontiers associés à ces formes d'anorexie (notamment la
dépression et les conduites psychopathologiques à type de kleptomanie ou
d'alcoolisme). Il n'y a pas de consensus absolu sur la question de savoir s'il
existe une continuité entre les formes d'anorexie pure, les formes mixtes
anorexiques et boulimiques et les formes boulimiques pures sans
restrictions alimentaires. Si certains pensent qu'il existe une séparation nette
reposant sur des mécanismes psychopathologiques différents, la plupart des
concomitants, la boulimie serait alors primaire. Certains auteurs pensent
qu'une longue période de recul est nécessaire pour affirmer qu'une anorexie
se développe complètement en l'absence de vomissements et d'accès
boulimiques.

Formes prépubères

Elles ont été étudiées au paragraphe précédent.

évolution

Hormis quelques rares cas (il s'agit en général de formes mineures) qui
s'améliorent apparemment spontanément, mais en réalité sous l'effet de
réaménagements de l'environnement et de réponses plus adaptées de
l'entourage à la pathologie de l'adolescente, l'évolution sans traitement se
fait vers l'aggravation et l'installation dans un état de chronicité. Le poids se
stabilise dans des zones très inférieures à la normale, les relations sociales
et les échanges familiaux s'appauvrissent en même temps que s'abrase
l'agressivité de la relation mère-fille. L'équilibre apparent ainsi obtenu est
d'une grande fragilité et peut être, à tout moment, interrompu par une issue
fatale, soit du fait de la dénutrition, soit du fait d'une tentative de suicide. Le
taux général de mortalité se situe aux environs de 5 %.

L'évolution sous traitement bien conduit est fort différente. Même si elle
reste difficile à systématiser, elle s'avère bien meilleure, fonction entre
autres de la qualité et de la continuité du suivi thérapeutique et des
modifications intrapsychiques qui auront pu ou non se faire jour.

Jeammet [27] souligne, malgré la sévérité globale du pronostic et l'absence


de critère absolu de pronostic, que toute anorexie même sévère « reste
potentiellement susceptible de guérir ». « Le meilleur facteur de pronostic
semble bien être la nature, la qualité, la cohérence et la durée du traitement.
On peut y adjoindre la personnalité antérieure au déclenchement de la
conduite anorectique ». Les facteurs de mauvais pronostic sont le
déclenchement en fin d'adolescence, le caractère limité des relations
sociales, la gravité des troubles psychopathologiques sous-jacents.

L'évolution de l'anorexie est souvent ponctuée de rechute (10 à 50 % des


cas), d'hospitalisation, de rupture de traitement puis de reprise de celui-ci,
d'accès boulimique, de tentative de suicide. Les études sur le devenir au
long cours montrent cependant [13] une évolution favorable des principaux
symptômes dans près de trois quarts des cas et une quasi-guérison dans près
de la moitié des cas. Dans les cas favorables, la jeune anorexique peut
reprendre une vie sociale satisfaisante, voire fonder une famille et assumer
une maternité.
Dans les autres cas, la vie sociale et affective reste réduite et insatisfaisante,
le déficit pondéral demeure important, la souffrance peut alors s'exprimer
dans des manifestations phobo-obsessionnelles, dans des états dépressifs,
dans des tentatives de suicide, dans des conduites toxicomaniaques ou
psychopathiques.

Conduite thérapeutique

Hospitalisation

Elle est absolument indispensable lorsque l'amaigrissement a atteint un


point critique tel qu'il menace gravement la santé, voire la vie. Le pronostic
vital est alors en jeu.

Cependant, celle-ci peut être envisagée même hors de cette perspective pour
permettre la mise en place d'un dispositif thérapeutique tenant compte tant
des conséquences somatiques de la maladie que de ses composantes
psychopathologiques et relationnelles.

Les objectifs de l'hospitalisation sont les suivants :

 la réalimentation peut apparaître parfois comme une urgente


nécessité lorsque l'état somatique est considérablement dégradé. La
renutrition peut se faire alors par sonde gastrique ou par voie
parentérale, de préférence dans une unité de réanimation adaptée.
Dans les autres cas, lorsqu'elle est décidée, l'hospitalisation doit se
faire préférentiellement dans un service de psychiatrie spécialement
adapté à la prise en charge institutionnelle des jeunes anorexiques ;
 la séparation du milieu familial. L'isolement a longtemps été
considéré, depuis Lasegue, comme un traitement symptomatique
essentiel de l'anorexie. Cette séparation du milieu familial permet de
rompre le système des interactions pathogènes entraînées par la
conduite anorexique. Elle permet également, face à la dénégation
par la jeune anorexique de ses troubles, de rappeler la réalité de la
maladie et de ses conséquences ;
 le contrat d'hospitalisation constitue un élément essentiel du cadre
thérapeutique dont il importe de maintenir la solidité, la résistance et
la continuité. Le contrat d'hospitalisation implique un arrêt complet
des relations directes et indirectes entre la jeune anorexique et sa
famille et ce, jusqu'à ce que soit obtenu un poids à partir duquel les
visites seront autorisées et un poids à partir duquel sera envisagée la
sortie.

Ce contrat constitue une règle de référence qui s'impose à toutes les parties,
la patiente, sa famille et l'équipe soignante. Le respect du contrat est la
condition de son efficacité. Il constitue le cadre à l'intérieur duquel pourra
se dérouler un véritable processus thérapeutique ;
 la thérapie institutionnelle vise à introduire des modifications de
fond dans l'économie psychique de la patiente, à favoriser et à
diversifier les échanges relationnels avec les autres adolescents et
avec les soignants, à éviter le repli narcissique, à favoriser le
réinvestissement du corps et à retrouver une dimension de plaisir
dans le rapport de l'adolescente à celui-ci, à favoriser enfin des
mouvements identificatoires. C'est dans cette perspective de
déplacement des préoccupations exclusivement alimentaires vers
d'autres modalités d'expression des conflits que s'inscrira la reprise
progressive de l'alimentation, en sachant cependant que des règles
d'alimentation rigoureuses doivent être maintenues durant toute la
durée de l'hospitalisation. La thérapie institutionnelle implique
l'engagement des divers soignants et une coordination du travail de
ceux-ci dans le cadre des réunions institutionnelles prévues. La prise
en charge institutionnelle peut s'aider de diverses médiations :
sociothérapie, psychothérapie, activités scolaires à l'intérieur du
service d'hospitalisation [21].

La durée de l'hospitalisation est généralement longue mais variable suivant


les cas, entre 3 et 6 mois le plus souvent. Dans certains cas graves, celle-ci
peut atteindre plusieurs années. Une interruption prématurée de
l'hospitalisation, même si elle est ardemment souhaitée par la patiente et la
famille, entraîne souvent une reprise des troubles. Après une phase de
réticence, voire de protestation, la patiente accepte généralement le cadre
qui lui est proposé et qui constitue pour elle un cadre contenant et rassurant.

Autres méthodes thérapeutiques

Elles peuvent être mises en place au cours de l'hospitalisation et devront,


généralement, être poursuivies lors du suivi thérapeutique après
l'hospitalisation.

 La chimiothérapie. Elle n'a que peu d'indications dans l'anorexie


mentale. Les médicaments les plus utilisés sont les antidépresseurs
que certains utilisent de façon systématique mais que la plupart
réservent aux syndromes dépressifs caractérisés. Les thérapies par le
lithium sont préconisées par ceux qui rapprochent anorexie mentale
et psychose maniacodépressive. Les traitements anxiolytiques
peuvent, à certains moments, constituer un appoint utile au
traitement.
 Approche familiale. L'alliance thérapeutique avec les parents
constitue un élément essentiel du traitement. L'engagement de ces
derniers est, en effet, nécessaire pour éviter une rupture
thérapeutique dans le traitement dont les parents doivent
comprendre la nécessité et accepter les modalités. Le travail avec les
parents vise également à aider ceux-ci à modifier leurs modalités
d'investissement de l'adolescente et les aider à en accepter les
mouvements d'autonomisation, à tolérer les modifications
comportementales qui accompagnent fréquemment l'abandon des
conduites anorexiques, à les aider enfin à dépasser leur propre
sentiment de culpabilité. L'approche familiale peut se faire suivant
des modalités particulières : entretiens familiaux répétés, groupes de
parents, thérapies familiales.
 Les thérapies comportementales et cognitives. L'approche qu'elles
proposent peut être intégrée dans la prise en charge institutionnelle
lors de l'hospitalisation. Selon Divac [8], la thérapie
comportementale vise essentiellement à modifier les conduites
alimentaires : diminution de la fréquence des comportements mal
adaptés (comportements alimentaires ritualisés, stratégies de
contrôle du poids) et à augmenter la fréquence des comportements
adaptés (introduction progressive d'aliments nouveaux
antérieurement évités, augmentation de la prise alimentaire, de la
durée des repas, acceptation de repas pris en commun).
L'instauration de ces nouveaux comportements est généralement
intégrée au contrat thérapeutique lors de l'hospitalisation. Cette
thérapie vise aux changements des comportements alimentaires par
modification des cognitions erronées sur lesquelles sont censées
reposer ces comportements. Le réapprentissage alimentaire
s'accompagne d'entretiens cognitifs sur l'objet aliment, sur le
contrôle du poids, sur l'image du corps et de soi. S'appuyant sur la
constatation que les comportements anorexiques s'accompagnent
volontiers d'une anxiété dans les rapports sociaux, certains auteurs
ont couplé ces thérapies cognitives à des thérapies d'affirmation de
soi, visant à l'atténuation des comportements d'évitements sociaux.
Certaines méthodes comportementales ont fait l'objet de critiques.
On leur reproche d'accroître l'isolement des patients et de ne prendre
en compte que le seul symptôme manifeste. Certaines de ces
techniques peuvent, cependant, être utilisées dans le cadre de prises
en charge diversifiées à condition que soit bien précisée la finalité et
la signification au sein de l'ensemble du dispositif thérapeutique.
 La psychothérapie individuelle. La psychanalyse dans sa forme
classique n'est généralement pas indiquée.

La psychothérapie d'inspiration psychanalytique aménagée est, en revanche,


le plus souvent, très utile. Elle se doit cependant d'être prudente, visant,
dans un premier temps, à analyser les modalités relationnelles actuelles de
la patiente, pour n'envisager qu'ultérieurement l'interprétation des contenus
fantasmatiques, des conflits pulsionnels et des manifestations
transférentielles.

L'aménagement d'une relation thérapeutique tolérable pour la patiente est


essentielle pour éviter une rupture toujours menaçante. Cette relation peut
être rapidement vécue par la jeune anorexique comme une relation de
dépendance envers le thérapeute qui la confronte trop brutalement à son
avidité affective et à ses désirs de maîtrise ou comme une relation trop
intrusive, vécue alors comme persécutrice. La psychothérapie vise à
l'ouverture et à l'aménagement d'un espace psychique investi
narcissiquement par la patiente et où pourront être évoqués progressivement
les différents conflits sous-jacents à ses troubles.

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