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Les Thymorégulateurs : Applications Thérapeutiques

DU Neuropsychopharmacologie : de la cible à la thérapeutique

Dr H BEN AMMAR, Pr Ag L MNIF

Le 16/04/2021
Objectifs éducationnels

1. Définir les différentes classes de thymorégulateurs.


2. Identifier les indications, les contre-indications des thymorégulateurs
3. Indiquer les règles de prescription des thymorégulateurs
4. Indiquer les éléments de surveillance des thymorégulateurs
I. Introduction

Le trouble bipolaire, avec un mode évolutif et une physiopathologie complexes, justifie


une approche pharmacologique qui ne peut être univoque. L’enjeu thérapeutique réside
dans la conjugaison, au cours du trouble bipolaire, d’accès aigus aux spectres
symptomatiques opposés et d’une évolution chronique associant une résurgence
aléatoire de ces accès aigus et de l’apparition progressive de symptômes résiduels ou de
troubles cognitifs. Dans la perspective d’une prise en charge globale des troubles
bipolaires, l’approche pharmacologique doit conjuguer le traitement des accès aigus, la
prévention des rechutes et le traitement des comorbidités. Les régulateurs de l’humeur
nommés « les thymorégulateurs » sont les médicaments disponibles comme traitement
de fond des troubles bipolaires.
Le concept contemporain de « thymorégulateur » a émergé qu’en 1970, et pendant de
nombreuses années, la classe des médicaments thymorégulateurs s’est résumée aux sels
du lithium, dont les propriétés anti maniaques ont été découvertes depuis 1949, avant de
s’élargir aux anticonvulsivants, puis aux antipsychotiques.
Il s’agit d’une classe majeure des psychotropes et qui englobe les médicaments le plus
consommés en milieux psychiatriques.

II. Définitions :

La régulation de l’humeur est un concept attractif pour les cliniciens et les patients
bipolaires mais on ne trouve aucune définition consensuelle et aucune reconnaissance
officielle ; Le terme de thymorégulateur n’est pas défini par le FDA.
En pratique, plutôt on se base sur la définition des critères d’efficacité : Effet anti
maniaque, effet antidépresseur, effet préventif des rechutes maniaques et dépressives.
Keck propose une définition stricte de stabilisateur de l’humeur : "Un psychotrope
efficace dans le traitement et la prévention des épisodes maniaques, mixtes ou dépressifs
sans déclencher d’épisodes de polarité opposée"
Plusieurs molécules ont eu l’AMM en tant que thymorégulateur :
Lithium : Theralite® ; Carbamazépine: Tégrétol® ; Valpromide: Dépamide® ;
Divalproatede sodium : Dépakote® ;Olanzapine: Zyprexa® ; Aripiprazole : Abilify® ;
Risperidone: Risperdal® ; Quetiapine: Xeroquel®

D’autres molécules sont souvent utilisées en tant que thymorégulateurs, mais qui n’ont
pas l’AMM : Acide valproïque: Dépakine® ; Lamotrigine: Lamictal® (Lamotrigine :
AMM dans la prévention des troubles dépressifs en cas de TBPII)

III. Mécanismes d’action :

Les thymorégulateurs agissent à plusieurs niveaux contribuant à l’effet thérapeutique.


Toutefois, plusieurs actions sont encore mal connues.

De façon générale, les principaux mécanismes d’action sont :


- Effet direct sur certains neuromédiateurs (Les systèmes sérotoninergiques,
noradrénergique et GABAergique);
- Effet stabilisateur de membrane par modification de l’équilibre hydroélectrique ;
- Effet d’inhibition des systèmes de transduction ;
- Effet anti-kindling càd s’oppose au phénomène d’ « embrasement » où chaque accès
facilite le suivant.
IV. Principales caractéristiques pharmacocinétiques :

V. Règles générales de prescription :

Le choix du thymorégulateur se fera en fonction :


- Du terrain : chercher les contre-indications, grossesse, interactions
médicamenteuses…
- De l’observance du patient et de sa capacité à comprendre l’intérêt du traitement (le
lithium n’est pas prescrit si le patient n’est pas observant)
- De la forme clinique du trouble dont souffre le patient : le lithium est généralement
référé en première intention, dans le trouble bipolaire, sauf dans certains cas : cycles
rapides, épisodes mixtes, dysphoriques.
Au moment de l’initiation :
- Les traitements seront adaptés en augmentant progressivement les doses.
- Suivi thérapeutique pharmacologique
- Education du patient
- Contraception efficace chez les femmes en âge de procréer.
Au moment du traitement d’entretien :
- Surveillance, de l’efficacité et de la tolérance, adaptée au traitement choisi
VI. Les sels de lithium :

Le lithium constitue l’un des premiers médicaments ayant nécessité une


personnalisation de la prescription en raison de la marge thérapeutique étroite entre ses
effets bénéfiques et son risque toxique.

Le lithium est le traitement de première intention des accès maniaques et dépressifs ; du


fait de son délai d’action de 1 à 3 semaines, il est souvent associé à un neuroleptique au
début du traitement. Il reste le traitement de référence dans la prévention des rechutes
dans le trouble bipolaire ; il permet un allongement de la durée des intervalles libres
entre deux épisodes. C’est également le seul traitement qui a montré une efficacité dans
la prévention du risque suicidaire, ainsi une réduction du risque de mortalité ; comme il
a des propriétés neuro protectrices.

1. Mécanismes d’action du lithium :

L’effet thymorégulateur du lithium s’explique par des mécanismes d’action variés. En


effet, malgré sa structure simple, les cibles d’action du lithium impliquées dans l’effet
thérapeutique sont multiples. Le lithium a une action sur les systèmes de signalisation
intracellulaire : Les signaux externes sont détectés et interprétés par des récepteurs qui
assurent la spécificité de la réponse et transmettent le signal à des systèmes effecteurs
intracellulaires. C'est cette transmission du signal de l'extérieur à l'intérieur de la cellule,
souvent appelée transduction cellulaire, qui en permet l'amplification et entraîne les
effets biologiques.
On distingue, comme effets biologiques :
- Les effets moléculaires du lithium : Le lithium intervient dans la modulation de
nombreux systèmes de seconds messagers (inositol monophosphate, adénosine
cycline monophosphate, protéine Kinase C) et dans l’Inhibition de la GSK3β ;
Comme il a une Action sur la phospho adénosine phosphate…
- Modulation de la neurotransmission : le lithium inhibe les récepteurs
dopaminergiques et les récepteurs glutamatergiques et stimule les récepteurs
gabaergiques.
- Neurotrophicité cérébrale : le lithium a un effet neuroprotecteur, en facilitant l’action
du facteur de la neurotrophicité cérébrale, en réduisant le stress oxydatif, et en
augmentant la protéine Bcl2 antiapoptotique.

2. Instauration du traitement par le lithium :

Il existe deux formes de sels de lithium :

- Carbonate de lithium à libération immédiate (Théralite 250 mg ®) (2à3 prises par


jour sont nécessaires)
- Carbonate de lithium à libération prolongée (Théralite 400 mg ®) (1prise par
jour)

Bilan pré thérapeutique :

- Examen clinique complet


- ECG
- Bilan biologique : NFS, Ionogramme sanguin, Clairance de la créatinine,
Glycémie à jeun, Calcémie, Bilan thyroïdien (TSHus), βHCG chez la femme
- Recherche d’une protéinurie
- EEG
Eliminer les Contre-indications :

Régime hyposodé, insuffisance rénale sévère, HTA, infarctus du myocarde, grossesse,


allaitement

Associations contre-indiquées : prise concomitante de molécules interférant avec la


pharmacocinétique du lithium, susceptibles d’entraîner un surdosage : diurétiques,
AINS, IEC, inhibiteurs de l’angiotensine

- L’association avec la Carbamazépine est à éviter : risque de neurotoxicité.


- En cas d’hypothyroïdie : correction avant le début du traitement.
Mise en route du traitement :

Instauration progressive du traitement et ajustement de la posologie en fonction de la


lithiémie :

- Pour le Téralithe250mg : lithiémie thérapeutique entre 0,5 et 0,8 mmol/L. Le


prélèvement est effectué, le matin 12h après la dernière prise, 5jours après
l’instauration du traitement.

- Pour le Téralithe LP 400mg : lithiémie thérapeutique entre 0,8 et 1,2 mmol/L

3. Surveillance du traitement :
- Clinique : Surveiller l’efficacité, la tolérance (EI : tremblements, diarrhée, nausées,
prise de poids, polyuro-polydipsie) et la toxicité (signes de surdosage : troubles
digestifs, ataxie, troubles de l’équilibre, dysarthrie, vertiges, baisse de la vigilance,
crises convulsives…)
- Biologique : Bilan thyroïdien, urée, créatinine, ionogramme sanguin, calcémie, PTH
- Suivi Thérapeutique Pharmacologique : Contrôle de la lithiémie : Toutes les semaines
pendant 1 mois / Tous les mois pendant un trimestre/ puis tous les trois mois
VII. Les anticonvulsivants :
1. Acide valproïque
Mécanismes d’action : - Blocage des canaux sodiques voltage-dépendants
- Blocage des canaux calciques de type T
- Augmentation de la neurotransmission GABAergique
Indications : Divalproate et valpromide sont des antiépileptiques possédant également
des propriétés thymorégulatrices ; Ils sont indiqués en première intention dans les états
mixtes et les cycles rapides. Généralement, ces molécules sont indiquées dans les accès
maniaques et la prévention des rechutes en cas d’inefficacité, de contre-indication ou de
mauvaise tolérance au lithium. Le délai d’action est plus court que celui du lithium.

Instauration du traitement :

- Eliminer les CI : Hépatite aigue ou chronique, Porphyrie hépatique,


grossesse+++, Femmes en âge de procréer (sauf en cas d’inefficacité ou
d’intolérance aux autres traitements et si toutes les conditions du programme de
prévention de la grossesse sont respectées).
- Bilan pré-thérapeutique : ASAT- ALAT – PAL – NFS - TP-TCK - BHCG
- Commencer par des doses de 20 à 30mg/Kg/j, ajuster les doses jusqu’à obtenir
une Dépakinémie entre 50 et 125 µg/ml.
- Suivi : NFS, Bilan de coagulation/6mois ; avant toute intervention chirurgicale ;
en cas d’hématome ou de saignements spontanés
- Contrôle biologique des fonctions hépatiques : tous les 6 mois
- Si élévation des transaminases : bilan plus complet : TP, fibrinogène, bilirubine,
et reconsidérer la dose. Si élévation 2 à 3 fois la normale : arrêt du traitement
- Surveillance métabolique annuelle.
- Arrêt progressif pour prévenir le risque de crises épileptiques et le risque de
rechute du trouble bipolaire.
- Réajuster les doses des autres médicaments (effet inhibiteur enzymatique)
2. Carbamazépine :
Mécanismes d’action : - Blocage des canaux sodiques voltage-dépendants

- Blocage des canaux calciques de type T


Interactions médicamenteuses : La Carbamazépine est un puissant inducteur
enzymatique responsable de nombreuses interactions médicamenteuses avec
abaissement des taux sériques de molécules à métabolisme hépatique (Benzodiazépines,
neuroleptiques et antidépresseurs tricycliques, anticoagulants, homones thyroïdiennes,
pilules oestroprogestatives…).

Bilan pré-thérapeutique : NFS, bilan hépatique, bilan rénal avec ionogramme

Commencer par 200 à 600 mg divisées sur 3 à 4 prises, augmenter par 200mg par jour
jusqu’à la dose de 800à 1000mg /j si absence d’effets indésirables.

Dosage plasmatique : 4 à 12 μg/mL

Suivi : NFS, Bilan hépatique toutes les deux semaines durant les deux premiers mois ;
puis tous les trois mois.

Effets indésirables : fatigue, nausées, allergie cutanée, diplopie, vision floue, ataxie,
leucopénie, élévation des enzymes hépatiques, thrombocytopénie, agranulocytose,
anémie aplasique, thrombocytopénie, insuffisance hépatique et la pancréatite.

3. La Lamotrigine :
Mécanisme d’action : blocage des canaux sodiques voltage-dépendants avec action sur
la réduction de la neurotransmission glutamatergique excitatrice.

Indications : Traitement préventif des épisodes dépressifs chez les patients bipolaires.

Pas d’efficacité prouvée sur les accès maniaques.

Précautions d’emploi : l’instauration et l’augmentation de posologie doivent être


lentement progressives du fait du risque de syndrome de Stevens–Johnson et de nécrose
épidermique toxique.

La Lamotrigine est introduite à la dose de 25 mg/jour durant les deux premières


semaines puis 50mg/jour Durant la semaine 3 et 4; Après, une augmentation de
50mg/semaine peut être envisagée jusqu’à 200mg/jour.
VIII. Les antipsychotiques :
D’abord utilisés uniquement pour les « symptômes psychotiques » accompagnant les
accès thymiques, les antipsychotiques ont actuellement prouvés leur efficacité pour le
traitement des symptômes thymiques eux-mêmes, dans les accès maniaques, dans la
prévention des rechutes et pour certains dans les accès dépressifs.

Mécanismes d’action : - Antagonisme D2 : Effet sur les symptômes psychotiques

-Antagonisme 5HT2A et l’agonisme partiel 5HT1A : pourrait


expliquer l’amélioration des symptômes thymiques via la
réduction de l’hyperactivité glutamatergique.

- La plupart des antipsychotiques atypiques sont efficaces dans les accès maniaques et
dans la prévention des rechutes des troubles bipolaires : Risperidone, Olanzapine,
Aripiprazole

- Un seul antipsychotique dont l’efficacité est approuvée dans la dépression bioplaire :


Quétiapine

- Une efficacité souvent meilleure que les anticonvulsivants et comparable au lithium

- La prise en charge du trouble bipolaire est souvent basée sur l’association de deux
molécules ou plus dont un est un antipsychotique.
Indications des thymorégulateurs dans la prise en charge des troubles bipolaires
Tests d’évaluation

Enoncé 1 : Quels sont les bilans à faire avant d’introduire un traitement à base de
lithium ?

Réponse : ECG, NFS, Ionogramme sanguin, créatinine, Glycémie à jeun, Calcémie,


TSHus, βHCG chez la femme, Recherche d’une protéinurie, EEG

Enoncé 2 : Parmi les contre-indications absolues des sels de lithium on peut citer :

A- Insuffisance rénale
B- Régime hyposodé
C- Syndrome d’apnée du sommeil
D- Grossesse au premier trimestre
E- Myasthénie
Réponse : A, B, D

Enoncé 3 : Quels sont les trois paramètres indispensables à surveiller au long cours, lors
d’un traitement d’entretien par le lithium ?

A- Natrémie
B- Lithiémie
C- EEG
D- Créatininémie
E- TSH
Réponse : B D, E

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