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Anxiété sociale et phobie sociale


A. Pelissolo

La phobie sociale, dénommée également anxiété sociale, est un des troubles psychiques les plus fréquents
puisqu’il touche environ 5 à 7 % des sujets de la population générale, sur une durée longue le plus souvent.
Cette pathologie est définie par une peur excessive et gênante du regard de l’autre dans les situations
d’interactions simples ou plus formelles, que ce soit devant un groupe ou une seule personne, avec des
conséquences importantes en termes d’anxiété anticipatoire et d’évitements sociaux. Il existe plusieurs
sous-types (anxiété circonscrite aux situations de performance, phobie sociale généralisée) et différentes
formes cliniques, dont la peur obsédante de rougir en public dénommée éreutophobie. Les principaux
diagnostics différentiels, qui peuvent être aussi des troubles comorbides, sont les troubles schizoïdes et
paranoïaques, la personnalité évitante et l’agoraphobie. Les complications les plus fréquentes sont les
dépressions, qui surviennent dans au moins 50 % des cas sévères, et les addictions. Les bases psycho-
pathologiques des phobies sociales sont cognitives (peur du jugement négatif d’autrui, faible estime
de soi, perfectionnisme), tempéramentales (timidité, émotivité, inhibition), et comportementales (évite-
ments sociaux renforçant les peurs, autocentration excessive). Ce trouble est associé à une hyperréactivité
amygdalienne, avec défaut de régulation émotionnelle, aux stimuli sociaux perçus comme menaçants. Le
traitement des phobies sociales repose en premier lieu sur les thérapies comportementales et cognitives,
notamment en groupe, avec des méthodes d’exposition au regard de l’autre, de restructuration cognitive
et d’affirmation de soi. Dans les formes sévères et fortement handicapantes, un traitement médicamen-
teux complémentaire à l’aide d’un antidépresseur sérotoninergique peut être prescrit sur plusieurs mois
avec des effets souvent très positifs. Au vu de la prévalence élevée de cette pathologie, de son retentisse-
ment et de l’efficacité des traitements mis en place précocement, le dépistage de cette pathologie à un
âge jeune, en médecine générale et en psychiatrie, est un objectif important.
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Mots-clés : Anticipations ; Anxiété sociale ; Antidépresseur ; Évitement ; Exposition ; Interaction ; Performance ;


Timidité ; Thérapie comportementale et cognitive

Plan formes de craintes et de gênes en lien avec les interactions sociales.


Il peut s’agir de traits ou de troubles de personnalité, comme
■ Introduction 1 l’inhibition comportementale ou la personnalité évitante, mais
aussi de syndromes cliniques bien identifiés comme les phobies
■ Définition 1 sociales [3] . Celles-ci sont maintenant reconnues comme des diag-
■ Diagnostic 2 nostics à part entière depuis plus de 30 ans, mais elles restent en
Mode de début et installation 2 France assez mal connues des médecins non psychiatres, et par-
Forme typique 2 fois même des spécialistes. Cette méconnaissance peut résulter
Sous-types et formes cliniques 3 en partie de l’histoire, puisque les symptômes d’anxiété sociale
Diagnostic différentiel 3 ont souvent été négligés voire oubliés dans les traités de réfé-
Évaluation 4 rence du début du XXe siècle [4] . Mais elle peut aussi se comprendre
■ Épidémiologie 4 comme une conséquence de la pathologie elle-même : les per-

sonnes phobiques de la relation sociale sont par nature discrètes,
Mécanismes et étiopathologie 4
leurs symptômes ne gênent qu’elles-mêmes, et elles sont en
Facteurs psychologiques 4
grande difficulté pour en parler, notamment à un médecin qui
Facteurs éthologiques et neurobiologiques 4
reste une figure très intimidante pour beaucoup.
■ Traitements 5 Du fait de la prévalence élevée, des conséquences fonctionnelles
Psychothérapies 5 et affectives, et des complications possibles des phobies sociales,
Traitements médicamenteux 5 il paraît très important de mieux les connaître pour en améliorer
■ Conclusion 6 le repérage et la prise en charge. Ceci d’autant plus qu’il existe
maintenant des traitements qui peuvent être très efficaces pour
nombre de patients.

 Introduction
Les pathologies anxieuses sont les troubles psychiques les plus  Définition
fréquents dans la population générale et, parmi elles, l’anxiété
sociale représente une part très importante [1, 2] . Il s’agit d’une La phobie sociale est définie par l’existence d’une peur
catégorie de troubles relativement vaste, qui regroupe toutes les durable, excessive et gênante du regard d’autrui dans des

EMC - Psychiatrie 1
Volume 13 > n◦ 4 > octobre 2016
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(16)69634-7

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situations d’interaction sociale quelles qu’elles soient [3, 5] . Un cer- diversifiées et exigeantes : prises de parole devant de nombreux
tain nombre de critères permettent de fixer les contours de ce interlocuteurs, éloignement du milieu familial protecteur, néces-
diagnostic, et notamment la limite entre le normal et le patholo- sité d’élargir son cercle relationnel, rencontres avec les personnes
gique : intensité de la peur, persistance dans le temps, incapacité du sexe opposé ou d’autres figures intimidantes, etc. La répéti-
à la réguler, niveau de retentissement, etc. Dans la définition tion d’expériences vécues comme négatives accentue l’anxiété
actuelle de la phobie sociale, on insiste sur un mécanisme psy- anticipatoire et, parallèlement, les conduites d’évitement. Alors
chologique important qui sous-tend la peur du regard de l’autre, que les sujets seulement timides voient leur inhibition se réduire
à savoir l’anticipation et la crainte d’un jugement négatif sur soi- progressivement avec l’expérience et certaines réussites, les per-
même, avec le vécu de rejet, de honte voire d’humiliation que sonnes souffrant d’anxiété sociale pathologique vont s’enliser
cela peut comporter [6] . Il s’agit donc avant tout d’une peur de ses dans des comportements de repli altérant d’autant leur confiance
propres insuffisances (« ne pas être à la hauteur », être trop timide en elles-mêmes [7] .
ou émotif, etc.), et non d’une crainte du comportement et des Plus rarement, la phobie sociale peut émerger à l’âge adulte,
intentions de l’autre comme on peut le voir dans la paranoïa. avec ou sans timidité antérieure, presque toujours alors à
Comme dans toutes les phobies, la confrontation avec la l’occasion d’une situation traumatisante au plan de l’image sociale
situation redoutée peut déclencher instantanément une réac- (scène d’humiliation devant autrui du fait d’une « faute » ou d’une
tion anxieuse forte, qui peut aller jusqu’à l’attaque de panique. maltraitance). Dans ce cas, la peur est limitée au type de contexte
Mais cet état d’angoisse aiguë n’est pas toujours perceptible dans lequel l’incident est survenu : prise de parole ou performance
par l’entourage, car les personnes touchées redoutent particu- devant un public, geste manuel ou technique sous l’observation
lièrement qu’on remarque leur gêne et font donc tout pour d’autrui, interactions avec un certain type de personne, etc.
la dissimuler. Les autres symptômes de la phobie sociale sont
l’anxiété anticipatoire, présente parfois des jours avant un événe-
ment redouté, une hypervigilance à l’égard des situations pouvant Forme typique
exposer le sujet au regard d’autrui, la tendance à les éviter de
manière complète ou partielle, et puis également de fortes rumi- L’anxiété en situation sociale peut prendre les trois visages habi-
nations et sensations de honte après les confrontations vécues tuels de la peur :
comme négatives. Pour pouvoir parler de phobie, il faut que la • émotionnel avec tension nerveuse et un sentiment d’angoisse ;
peur soit très excessive par rapport aux dangers réels de la situa- • cognitif avec des pensées négatives sur soi-même et le jugement
tion redoutée, et que les symptômes soient à l’origine d’une gêne de l’autre, ainsi que des troubles de l’attention et de la mémoire ;
importante. Celle-ci peut venir aussi bien du stress provoqué par • comportemental avec une inhibition, un repli sur soi ou parfois
les contacts sociaux au quotidien que des contournements et évi- une agitation anxieuse. S’y ajoutent des signes physiologiques
tements qui en découlent. d’anxiété, plus ou moins visibles selon les personnes : sueurs,
La classification de la cinquième version du Diagnostic and bouffées de chaleur et rougissements, palpitations, tremble-
Statistical Manual (DSM-5) propose une définition de la phobie ments, bégaiements, etc.
sociale qui a peu évolué par rapport aux versions antérieures [5, 6] . Le patient craint particulièrement que l’on remarque son
L’appellation de la pathologie a cependant été modifiée, car le anxiété, ce qui ne ferait qu’augmenter l’attention et donc le
DSM-5 affiche en premier lieu « anxiété sociale », en y ajoutant jugement négatif des autres, au travers de ses attitudes, de son
entre parenthèses « phobie sociale ». Le terme « anxiété » reflète expression ou de symptômes physiques reflétant sa gêne. Cet
plus fidèlement le fait que les phobies sociales ne consistent pas état d’anxiété peut aller jusqu’à l’attaque de panique et dure tant
uniquement en des peurs conditionnées par des situations cir- que le sujet se sent observé voire scruté. Mais le comportement
conscrites, avec une réaction anxieuse forte et irrépressible face réel de la personne phobique n’est que rarement très perturbé
au regard des autres, mais comprennent aussi des symptômes (même si l’anxiété peut modifier le comportement social), au
d’anxiété diffuse, presque en continu dans la vie quotidienne prix d’un effort d’autocontrôle important : elle parle moins mais
du fait de la fréquence inévitable des confrontations sociales. peut s’exprimer presque normalement, elle ressent un besoin très
L’anxiété de performance, l’anxiété anticipatoire, les ruminations fort de fuir mais elle reste présente, elle évite le regard de l’autre
avant et après les situations, une sensation de stress permanente mais parvient à répondre à certaines questions et à participer à
et souvent une altération de l’estime de soi contribuent à un l’échange. Il existe ainsi un fort décalage entre le vécu subjectif
vécu particulier, proche de celui par exemple que vivent les per- du sujet, qui ressent certaines situations comme très douloureuses
sonnes souffrant d’anxiété généralisée. Ceci est surtout vrai dans et parfois humiliantes, et la réalité de son comportement et sur-
les formes dites « généralisées » de phobies sociales, même si cette tout du jugement de l’autre, assez neutre voire bienveillant le
terminologie a disparu dans le DSM-5 qui ne reconnaît qu’un seul plus souvent. Après chaque confrontation pénible, apparaissent
sous-type : « seulement de performance » [5] . des ruminations et un sentiment de honte uniquement fondés
La définition de la phobie sociale inclut par ailleurs le fait que sur ce ressenti intérieur très négatif et non sur des éléments
les sujets reconnaissent le caractère excessif de leur peur par rap- objectifs de la réalité des événements [8] . Ce vécu douloureux aug-
port au danger réel des situations sociales rencontrées, ce qui mente l’appréhension des situations à venir, et peut engendrer des
permet de différencier cette pathologie de certains troubles psy- conduites d’évitement plus ou moins complètes et récurrentes :
chotiques ou de la personnalité. Ce critère n’est cependant pas refus des invitations, renoncement à certaines activités nécessi-
toujours explicite et a donc été supprimé dans le DSM-5 ; il est tant un contact social intense, arrêt des études à cause des examens
laissé à l’appréciation du clinicien. Enfin, un critère de durée a été oraux à passer, modification des habitudes privilégiant les actes
introduit dans la nouvelle classification : les symptômes doivent solitaires ou non soumis au regard des autres. Cette tendance à
évoluer depuis au moins six mois pour que l’on puisse porter le l’évitement est cependant variable selon les personnes, certaines
diagnostic d’anxiété sociale. cherchant malgré tout les contacts, et d’autres se retirant le plus
souvent possible des situations perçues comme « à risque ».
L’anxiété peut porter sur une ou plusieurs catégories de situa-
 Diagnostic tions sociales [7] :
• les prises de parole ou les autres performances (pièce de théâtre,
Mode de début et installation démonstrations, musique, etc.) à effectuer devant un public ou
un groupe. Ces situations, peu courantes et donc auxquelles
Les phobies sociales apparaissent le plus souvent dans l’enfance peu de personnes sont entraînées, sont anxiogènes du fait du
ou à l’adolescence, de manière progressive même si un événe- grand nombre de regards qui convergent vers soi, mais aussi du
ment marquant, ou une situation particulièrement déstabilisante fait de l’absence d’échanges avec les interlocuteurs. Cette incer-
voire humiliante, peut rester mémorisé comme le début sou- titude du jugement d’autrui, dans une situation où l’on peut
dain du trouble. Dans un contexte de timidité préexistante ou effectivement être en situation d’évaluation, induit en général
de tempérament anxieux, la peur des autres va croître avec l’âge, des pensées pessimistes sur le résultat produit et l’impression
entre 10 et 20 ans, lors de confrontations sociales de plus en plus des observateurs ;

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• les conversations et échanges informels, avec une seule per- sement [12, 13] . Les personnes souffrant d’éreutophobie spécifique
sonne ou un petit nombre : engager la conversation avec considèrent qu’elles n’auraient aucune difficulté relationnelle si
un inconnu, échanger des propos plus ou moins personnels, elles ne rougissaient pas, et n’ont effectivement pas de problème
aborder des sujets professionnels, etc. L’enjeu psychologique de timidité par ailleurs. Les rougissements leur semblent être
est alors de révéler des informations personnelles et de faire un défaut altérant gravement leur image, et l’incapacité à les
« bonne impression », ce qui est vécu par les personnes souffrant contrôler génère un sentiment de gêne voire de honte intense.
de phobie sociale comme une obligation de résultat parfait. Au point d’ailleurs que certains éreutophobes sont demandeurs
Elles s’inquiètent de toute attitude ou de tout propos inadéquat, d’une opération (sympathectomie de certaines racines contrôlant
refusant toute erreur ou maladresse qui révéleraient leurs failles les vaisseaux capillaires du visage) pour supprimer les réactions de
(manque d’intelligence, de culture, d’intérêt pour les autres, rougissement [14] .
etc.) ; Les phobies scolaires, ainsi que le mutisme sélectif, peuvent
• les situations d’affirmation de soi, caractérisées par un rapport constituer des formes de phobie sociale particulières aux enfants et
de force ou la nécessité de défendre un point de vue ou des aux adolescents, même si l’angoisse de séparation et certains élé-
droits : faire une demande ou une critique, opposer un refus, ments post-traumatiques peuvent aussi contribuer à l’apparition
répondre à une critique ou une proposition insistante. L’objectif de ces troubles [15] . Par ailleurs, certains troubles sexuels masculins,
est alors d’affirmer son point de vue de manière claire mais non sous-tendus par une anxiété de performance, incluent une dimen-
agressive, en respectant la position de l’autre, pour essayer de sion de phobie sociale. Enfin, les sujets souffrant de symptômes
parvenir à son but. Les personnes phobiques tentent en géné- physiques (troubles de la marche, tremblements, malformations,
ral d’éviter ce type de situations potentiellement conflictuelles, autres handicaps) ou comportementaux (troubles alimentaires,
craignant de provoquer la colère des interlocuteurs sans pou- bégaiement, etc.) peuvent présenter une anxiété sociale liée à la
voir y faire face, ou de donner une image négative et surtout peur du regard des autres sur ces signes visibles [9] . Cependant, si
d’attirer l’attention sur elles-mêmes. D’où des tendances à la l’anxiété n’est focalisée que sur cet aspect, le diagnostic de phobie
soumission et à l’acceptation forcée contre son gré ; sociale ne peut pas être porté d’après les critères du DSM-5 ; on
• l’exposition simple au regard d’autrui sans performances ni peut donc considérer qu’il s’agit d’une forme différente d’anxiété
échanges verbaux particuliers : être dans le champ de vision sociale.
d’une personne ou d’autrui, par exemple dans la rue ou un autre
lieu public, un restaurant, ou un transport. Dans ces situations,
les craintes des personnes souffrant de phobie sont de paraître Diagnostic différentiel
anormal ou étrange du fait de leur allure physique ou de leur
comportement, comme leur manière de marcher, de manger La plupart des troubles à différencier de la phobie sociale pré-
(peur de renverser quelque chose ou de trembler), ou d’écrire sentent une importante comorbidité avec cette pathologie, et il
quand on les regarde. n’est pas toujours facile de repérer les signes respectifs de chaque
diagnostic quand ils sont associés. Il existe cependant des élé-
ments sémiologiques susceptibles d’identifier ce syndrome.
Sous-types et formes cliniques La première question est celle de la différence entre phobie
sociale et anxiété sociale « normale ». Beaucoup de sujets ont en
Même si les classifications ont évolué à ce sujet, deux types effet, à un moment de leur vie ou de manière durable, une certaine
de phobies sociales peuvent être identifiés : un type généralisé appréhension face à des situations ou des personnes nouvelles
et un type spécifique aux situations de performance [9] . Dans ou impressionnantes (timidité) ou face à une performance inha-
les phobies sociales généralisées, les sujets redoutent un grand bituelle à réaliser en public (trac, anxiété de performance). Si
nombre de situations différentes, par exemple dans au moins l’anxiété n’est que légère, peu handicapante, et surtout qu’elle
trois des quatre domaines évoqués ci-dessus (performances, dis- s’atténue avec le temps et avec l’expérience, on ne peut pas parler
cussions, affirmation de soi, et observation). L’identification de de pathologie. La notion de durée est importante à prendre en
cette forme se justifie par le niveau de sévérité et de retentissement compte, notamment chez les enfants et adolescents : le diagnos-
qu’elle engendre, du fait des confrontations quasi quotidiennes tic de phobie sociale ne peut être porté que si les symptômes sont
qui sont redoutées et évitées. Les formes généralisées ont un début présents et gênants depuis plusieurs mois (au moins six mois dans
en moyenne plus précoce que les autres phobies sociales, sou- le DSM-5). Il faut également mettre en rapport le niveau de pertur-
vent dès la première enfance, entraînant plus d’isolement et de bation produit, ainsi que sa durée, par rapport à l’événement qui
complications [10] . le déclenche. Appréhender et être tendu pour son premier entre-
L’anxiété sociale de certains patients ne porte que sur une caté- tien d’embauche semble ainsi moins anormal que d’être paralysé
gorie voire même que sur une seule situation sociale : prendre la par l’angoisse à l’idée d’entrer dans un magasin.
parole en public, s’affirmer, écrire devant les autres, etc. On peut Les autres troubles anxieux doivent être distingués de la pho-
parler alors de formes circonscrites ou spécifiques. Le DSM-5 isole bie sociale, ce qui est en général aisé en analysant l’objet de la
uniquement le type « seulement de performance », qui est une des peur, social ou non [2] . L’anxiété phobique peut cependant surve-
formes les plus fréquentes, avec certaines caractéristiques recon- nir lors de l’anticipation de la situation et pas uniquement lors
nues comme une moindre sévérité et un moindre retentissement d’une confrontation directe. Des ruminations avant ou après une
que les formes généralisées. situation sociale redoutée ne rentrent donc pas dans le cadre d’une
En dehors de ces sous-types de phobies sociales, il existe des anxiété généralisée mais bien d’une phobie sociale. Le diagnostic
variantes caractérisées par des manifestations et des appréhen- d’agoraphobie est souvent confondu avec celui de phobie sociale,
sions particulières [9] . Il s’agit surtout des phobies centrées sur la du fait des craintes de la foule et des lieux publics. Cependant,
peur de montrer des signes physiques du stress, essentiellement l’objet de la peur n’est pas le même dans les deux cas : avoir un
les tremblements, les sueurs ou les rougissements. Cette crainte, malaise et se retrouver « coincé » par la masse dans l’agoraphobie,
qui devient parfois obsédante, repose sur l’idée que ces signes et devoir supporter le regard ou le contact avec les autres per-
corporels peuvent attirer l’attention des autres et risquent d’être sonnes dans la phobie sociale. Les deux types de peur peuvent
interprétés comme des preuves de faiblesse. Les sujets entrent alors coexister, avec notamment la crainte d’avoir un malaise à cause
dans un véritable cercle vicieux : le stress engendre ces symptômes de la foule et d’être alors gêné par la présence des autres, et on peut
somatiques, l’hyperattention du sujet les accentue, leur présence alors parler de comorbidité. De même, les personnes souffrant de
augmente l’anxiété qui, en retour, aggrave les symptômes en ques- phobie sociale peuvent présenter des attaques de panique, mais
tion [11] . La peur obsédante de rougir en public, ou éreutophobie, le diagnostic de trouble panique associé n’est constitué que si les
constitue réellement une forme particulière d’anxiété sociale qui crises surviennent également dans d’autres situations.
peut devenir très invalidante et conduire à de nombreux évite- Les autres diagnostics différentiels importants sont les patholo-
ments. Elle touche en général des sujets souffrant d’anxiété sociale gies psychotiques ou les troubles de la personnalité schizoïdes et
typique, généralisée ou non, mais il existe également des cas très schizotypiques, voire les troubles autistiques. La conscience et la
spécifiques dans lesquels la peur concerne uniquement le rougis- critique des troubles sont des éléments de repère essentiels pour

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différencier la peur du jugement des autres d’idées délirantes de tempéramental contribuant à la survenue d’une phobie sociale.
persécution ou de symptômes sensitifs. Il existe cependant des D’autres éléments de personnalité sont retrouvés souvent chez
formes frontières, associant une anxiété sociale sévère à des traits les personnes souffrant de phobie sociale, comme la timidité, le
sensitifs ou à des éléments interprétatifs. Le retrait et l’évitement déficit d’estime de soi, le manque de confiance en soi, ainsi que
relationnel des personnes souffrant de phobies sociales sont de le perfectionnisme [26] . Ces fragilités génèrent des craintes sur ses
nature égodystonique, avec un désir de sociabilité contrarié par la propres capacités à faire face aux autres et même sur sa légitimité
peur, alors que l’autisme ou la schizoïdie sont caractérisés par un à le faire (« Je ne mérite pas d’avoir des amis », « Je ne pourrai pas
réel désintérêt ou incompréhension envers autrui. réussir tel examen oral, je n’ai pas le niveau », etc.).
Certains états dépressifs s’accompagnent d’anxiété sociale et Même si on manque de données pour objectiver ce type de
d’inhibition, ils sont sous-tendus par le ralentissement et une facteurs éducatifs et de vie, il apparaît clairement dans la pratique
baisse de l’estime de soi, mais il s’agit alors de symptômes tran- clinique que deux types de fonctionnement se retrouvent dans
sitoires disparaissant avec l’amélioration du tableau dépressif. l’histoire familiale des personnes souffrant de phobie sociale :
Enfin, la dysmorphophobie est classée dans le spectre des troubles • des maltraitances, ou au moins des dénigrements, répétés et
obsessionnels-compulsifs mais partage des éléments communs plus ou moins sévères par les parents ou d’autres proches [27] , à
avec l’anxiété sociale (peur du regard des autres sur un aspect l’origine d’une faible estime de soi et d’une peur du jugement
physique), et constitue donc un diagnostic différentiel relatif. d’autrui ;
• un excès de protection vis-à-vis du monde extérieur, du fait
d’une anxiété sociale partagée par les parents ou simplement
Évaluation d’habitudes de faible sociabilité [7] .
Les échelles d’évaluation de l’anxiété sociale permettent d’une Plusieurs modèles cognitifs ont été proposés pour expliquer la
part d’estimer la sévérité du trouble à un moment donné, survenue et surtout la pérennisation des symptômes de phobie
notamment dans le cadre d’un traitement ou d’une étude théra- sociale. Celui de Clark, notamment, est fondé sur une perception
peutique, et d’autre part de compléter l’examen clinique par une de soi comme un « objet social », focalisant l’attention d’autrui
exploration plus approfondie des nombreuses situations sociales à la recherche de signes de défaillances et aboutissant à un
pouvant générer de l’anxiété. De multiples échelles d’auto- ou jugement négatif [8] . Cette perception est à l’origine d’un sen-
d’hétéroévaluation ont été développées par différents auteurs [16] , timent excessif de conscience de soi devant autrui, avec une
mais les deux plus utilisées et les plus intéressantes sont l’échelle hyperattention focalisée sur ses propres réactions ou attitudes
d’anxiété sociale de Liebowitz (Liebowitz Social Anxiety Scale au détriment d’une vigilance portée aux autres et au sujet de
[LSAS]) à 24 items [17] , qui peut s’utiliser aussi bien en ques- l’interaction [8, 11] . Ce mécanisme est particulièrement présent et
tionnaire qu’en version d’hétéroévaluation, et l’inventaire de la pathogène dans l’éreutophobie. Au plan cognitif également, au
phobie sociale (Social Phobia Inventory [SPIN]) à 17 items autoé- moins trois schémas de pensée contribuent aux peurs sociales :
valués [18] . l’importance excessive accordée à l’expression et la visibilité des
signes d’émotivité, aux jugements négatifs portés par les inter-
locuteurs sur ces signes d’émotivité, et enfin à l’impact de ces
 Épidémiologie jugements négatifs supposés et perçus comme extrêmes.
À côté de ces facteurs cognitifs, des facteurs comportementaux
Les études épidémiologiques en population générale dans le participent largement au maintien des troubles et à leur aggra-
monde indiquent des taux de prévalence variant entre 5 et 12 % vation, en particulier les conduites d’évitement social. Il peut
sur la vie entière, et entre 2 et 7 % au cours des 12 derniers s’agir de « macroévitements » consistant à ne pas se confronter aux
mois [3, 19] . Les écarts sont parfois importants d’une étude à l’autre, situations les plus anxiogènes (sorties, rencontres, prises de parole
car de légères différences dans la définition du trouble et dans son en public, etc.), mais aussi de « microévitements », ou évitements
exploration conduisent à un seuil de détection très variable [20] . subtils, dans les situations sociales [8] . Les sujets concernés restent
En France, l’étude ESEMED retrouvait des prévalences sur la vie en retrait, échangent le moins possible avec autrui, et évitent de
de 2,6 % chez les hommes et de 6,6 % chez les femmes, et res- regarder leurs interlocuteurs dans les yeux, afin de limiter l’anxiété
pectivement de 0,9 et 2,5 % au cours des 12 derniers mois [21] . liée au jugement d’autrui. On parle aussi de comportements de
On retrouve cette prévalence plus élevée chez les femmes dans sécurité consistant à dissimuler les tremblements, rougissements
toutes les études en population générale, mais la différence ou d’autres signes trahissant l’émotivité. Ces divers évitements ne
apparaît moins marquée en population clinique, comme dans font que renforcer la peur car ils empêchent sa désensibilisation
l’étude Phoenix portant sur 952 patients dont 42,4 % sont des et un gain en compétences sociales et en confiance en soi.
hommes [10] .
En termes de retentissement, de nombreuses études ont mon- Facteurs éthologiques et neurobiologiques
tré l’impact social, professionnel et familial des phobies sociales,
avec des niveaux de réussite et de revenu inférieurs à ce qu’ils L’anxiété sociale est profondément ancrée dans les registres
devraient être, un taux plus élevé de célibat, et des dépenses de comportementaux, et donc dans la neurobiologie, de l’espèce
soins accrues [10, 19, 22, 23] . humaine, comme elle l’est chez d’autres mammifères évolués [28] .
La comorbidité psychiatrique des phobies sociales est dominée Même si certains sujets y sont plus sensibles que d’autres, les situa-
par une forte prévalence de troubles dépressifs (environ 50 %), tions de menaces sociales (agressivité entre congénères, attaques
d’autres troubles anxieux comme le trouble panique (40 %), et de prédateurs, etc.) et de risque de rejet du groupe par non-
d’addictions (15 %) [3, 10, 22, 24] . affiliation, réduisant ainsi gravement les chances de survie, font
partie des motifs de peurs partagés par tous les individus. Elles
se traduisent, en cas d’excès ou de mauvaise régulation, par une
 Mécanismes et étiopathologie peur spécifique et forte des signaux implicites d’agressivité poten-
tielle (émotions de colère, regard fixe, etc.) et de rejet éventuel
Facteurs psychologiques (moquerie, déclassement, critiques, etc.). Ceci correspond aux
deux dimensions importantes de la phobie sociale que sont le
Un tempérament émotif, anxieux et inhibé est présent chez déficit d’affirmation de soi et la crainte du jugement d’autrui, qui
certains sujets très tôt dans l’enfance, comme l’ont montré les s’expriment notamment par des conduites de soumission au désir
travaux de Kagan [25] . Une tendance qualifiée d’« inhibition com- de l’autre. Ces traits psychocomportementaux peuvent se mesu-
portementale face au non familier » peut être repérée dès les rer même dans des situations expérimentales, qui permettent par
premiers mois de vie et, chez certains sujets, persister durant exemple d’objectiver l’évitement oculaire des sujets souffrant de
l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Kagan considère que cette tendance phobie sociale quand on les confronte uniquement à des photos
a des bases constitutionnelles et génétiques, et témoigne d’une de visage [29] .
hyperactivité du système émotionnel et limbique. Même s’il n’est De nombreuses études ont été menées sur les corrélats neuro-
pas spécifique de cette pathologie, ce trait constitue un facteur naux de l’anxiété sociale en imagerie cérébrale fonctionnelle [30] .

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Elles mettent toutes en évidence une hypersensibilité des struc- information précise donnée au patient sur les mécanismes de cette
tures limbiques, notamment de l’amygdale, quand les sujets désensibilisation. Les situations fréquemment travaillées sont la
visualisent ou sont exposés à des situations sociales anxiogènes. prise de parole en public, le fait d’être observé par plusieurs per-
En plus de cette hyperréactivité amygdalienne, il semble exister sonnes, de manger ou boire en public, etc. Il est important, au
un défaut de régulation émotionnelle qui serait lié à une hypo- cours de ces séances de confrontation, de repérer et de corriger les
activité des régions préfrontales ou cingulaires antérieures, à un attitudes d’évitement parfois subtiles qui protègent de l’anxiété
dysfonctionnement de l’insula, et à des déséquilibres dans les sur le moment mais empêchent le phénomène d’habituation de
transmissions corticolimbiques. se produire. Sur la base des modèles cognitifs de l’anxiété sociale,
Au plan biologique, comme dans les autres troubles anxieux, il est également important d’entraîner les personnes à désengager
les pistes principales concernent des anomalies des systèmes séro- l’attention qu’elles portent à elles-mêmes pour la réengager vers
toninergiques, sur la base notamment des effets thérapeutiques l’extérieur et surtout leurs interlocuteurs.
obtenus avec les antidépresseurs inhibiteurs spécifiques de recap- La thérapie cognitive, en individuel ou en groupe, vise à aider
ture de la sérotonine (ISRS). Mais il est difficile de préciser plus ces le patient à reconnaître ses mécanismes de pensée dysfonction-
anomalies potentielles, et quelques auteurs ont également pro- nels et anxiogènes, afin de les remettre en cause ou les assouplir.
posé des dysfonctionnements des systèmes dopaminergiques dans Cette approche, fondée sur les méthodes développées par Beck,
les phobies sociales [3] . vise à remplacer les interprétations négatives par des interpréta-
Même s’il existe une agrégation familiale des cas de pho- tions plus réalistes. L’anxiété sociale est avant tout une anxiété
bie sociale, le niveau d’héritabilité génétique de ce diagnostic d’évaluation, conduisant les patients à percevoir toute interaction
ne semble pas très élevé, aux alentours de 30 %. Les études sociale comme une situation de performance ou de test l’exposant
d’association avec des marqueurs génétiques ne sont pas très nom- au jugement négatif d’autrui [32] . Ceci même dans des situations
breuses mais n’ont pas abouti, jusqu’à présent, à des résultats banales de la vie de tous les jours, comme échanger des banalités
concluants [3] . avec un voisin de palier ou signer un chèque sous les yeux d’une
vendeuse. En repérant ces mécanismes au moment où les évé-
nements se produisent, avant ou après, les patients apprennent
 Traitements à discuter de la réalité de certaines croyances qui amplifient leur
anxiété, comme la conviction de devoir se soumettre à autrui dans
La prise en charge des phobies sociales s’appuie aujourd’hui sur toutes les circonstances, de devoir à tout prix contrôler leurs émo-
deux stratégies complémentaires : la thérapie comportementale et tions et ne pas se dévoiler, ou de devoir se conduire de manière
cognitive (TCC), et les médicaments antidépresseurs. parfaite et irréprochable dans toutes les situations.

Psychothérapies Traitements médicamenteux


Les psychothérapies étudiées et validées dans les phobies Historiquement, les premiers psychotropes à avoir fait la preuve
sociales sont essentiellement les TCC, qui permettent d’obtenir de leur utilité dans le traitement des phobies sociales étaient des
des résultats significatifs, voire très significatifs, en quelques antidépresseurs inhibiteurs de la monoamine oxydase A (IMAO)
semaines à quelques mois. Il s’agit de thérapies visant à adapter comme la phénelzine, non commercialisée en France et de manie-
les émotions – y compris dans leur composante physiologique –, ment difficile. À partir des années 1990, les antidépresseurs ISRS
les comportements, et les modes de pensée dans les situations et apparentés ont montré qu’ils pouvaient être aussi efficaces,
anxiogènes, avec une approche pragmatique, collaborative entre comme c’est le cas de la paroxétine, de l’escitalopram et de la
thérapeute et patient, et axée sur les mécanismes comporte- venlafaxine [33] . Il s’agit toujours de traitements de fond, réser-
mentaux et cognitifs évoqués ci-dessus [8, 31] . Elles peuvent être vés aux formes sévères entraînant un handicap significatif, et
effectuées en consultation individuelle, mais les prises en charge de préférence en association avec les TCC. Les effets se font
de groupe présentent en outre l’avantage de pouvoir créer des sentir progressivement après un délai de quelques semaines en
situations réelles d’exposition au regard d’autrui. moyenne, avec une réduction notable de l’anxiété anticipatoire
Trois techniques sont utilisées dans les TCC des phobies et de l’intensité des symptômes anxieux lors des confronta-
sociales : l’entraînement aux compétences sociales, ou affirma- tions sociales. Cette aide peut être décisive lorsque l’intensité de
tion de soi, l’exposition in vivo, et la restructuration cognitive. l’angoisse rend initialement impossible la mise en place des tech-
L’entraînement aux compétences sociales vise à aider les patients niques d’exposition et d’affirmation de soi. Les progrès peuvent
en matière de savoir-faire relationnel. Ces difficultés concernent la cependant être longs à se manifester, et le traitement ne doit
communication verbale (poser des questions, engager une conver- pas être considéré comme inefficace avant six à huit semaines.
sation, faire face à une critique, parler de soi, etc.) et non verbale En cas de résultat satisfaisant, l’antidépresseur doit être poursuivi
(regarder l’interlocuteur dans les yeux, parler suffisamment fort, pendant au moins six mois et souvent un an, avant de tenter
se montrer souriant et ouvert, etc.). Des conseils et des jeux de une diminution et un arrêt si les progrès semblent être consoli-
rôle permettent de développer des comportements relationnels dés depuis plusieurs mois. Certaines formes nécessitent plusieurs
affirmés, en exprimant ses besoins et ses désirs tout en tenant années de traitement. Les prescriptions d’ISRS sont par ailleurs
compte de ceux de l’autre, plutôt que les comportements passifs, indispensables en cas de syndrome dépressif associé à la phobie
inhibés voire agressifs utilisés le plus souvent par les personnes sociale.
souffrant de phobie. Cet entraînement n’est pas utilisé dans tous Le traitement par escitalopram par exemple doit être introduit
les cas mais seulement pour les personnes présentant un déficit à des doses progressives, 5 à 10 mg/j au départ, avant d’atteindre
des compétences sociales. une dose moyenne de 10 à 20 mg/j, voire plus, selon les sujets. La
L’intérêt de l’exposition in vivo repose, comme dans toutes tolérance est généralement bonne, sauf parfois en début de trai-
les phobies, sur le fait que le malaise anxieux ressenti lors des tement où l’anxiété peut être majorée, accompagnée de nausées
confrontations aux situations phobogènes pousse les patients à ou de sédation. Au long cours, les principaux effets secondaires
fuir et éviter ces situations. On sait que les évitements conduisent à surveiller sont les effets sexuels (diminution de la libido, retard
à une aggravation de l’anxiété, alors que la confrontation graduée d’éjaculation) et la prise de poids éventuelle.
et prolongée entraîne une habituation progressive aux stimuli Les benzodiazépines n’ont pas d’effet thérapeutique sur la pho-
anxiogènes. Ces techniques nécessitent au préalable d’avoir éta- bie sociale elle-même, même si les patients les utilisent souvent
bli avec le patient une liste des situations qu’il craint et le pour affronter les situations anxiogènes. Elles exposent, comme
niveau d’anxiété générée par chacune d’entre elles, par exemple l’alcool, à des risques d’abus et de dépendance, et peuvent per-
grâce à une note entre 0 et 10 [32] . Des exercices de confronta- turber les capacités d’attention et de mémorisation pourtant
tion durable sont ensuite effectués en séance et entre les séances, importantes dans les interactions sociales. Elles ne doivent donc
en commençant par les plus faciles et en passant aux suivantes pas être prescrites dans cette indication, sauf dans des conditions
uniquement lorsque le niveau d’anxiété a baissé de manière signi- très encadrées et intégrées à un projet thérapeutique à long terme,
ficative. Ceci nécessite une bonne alliance thérapeutique et une en TCC notamment.

EMC - Psychiatrie 5

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37-370-A-20  Anxiété sociale et phobie sociale

Les bêtabloquants peuvent être utilisés dans des formes limi- [12] Pelissolo A, Moukheiber A, Lobjoie C, Valla J, Lambrey S. Is there a
tées de phobies sociales, en association avec les TCC lorsque place for fear of blushing in social anxiety spectrum? Depress Anxiety
l’anxiété est prévisible et surtout marquée par des symptômes 2012;29:62–70.
cardiovasculaires ou neurovégétatifs périphériques (palpitations, [13] Pelissolo A, Roy S. Ne plus rougir et accepter le regard des autres.
tremblements, etc.) [33] . Il s’agit alors de prises ponctuelles, Paris: Odile Jacob; 2009.
quelques heures avant la confrontation, à des doses qui doivent [14] Licht PB, Ladegaard L, Pilegaard HK. Thoracoscopic sympathectomy
être définies en fonction de la réactivité individuelle (entre 40 et for isolated facial blushing. Ann Thorac Surg 2006;81:1863–6.
80 mg de propranolol par exemple). Les effets sont inconstants, et [15] Mouren M-C, Delorme R. Phobie scolaire ou refus scolaire : un concept
les traitements continus ne sont pas efficaces. discuté. Bull Acad Natl Med 2006;190:1629–39.
[16] Modini M, Abbott MJ, Hunt C. A systematic review of the psy-
chometric properties of trait social anxiety self-report measures. J
Psychopathol Behav Assess 2015;37:645–62.
 Conclusion [17] Yao SN, Note I, Fanget F, Albuisson E, Bouvard M, Jalenques I,
et al. L’anxiété sociale chez les phobiques sociaux : validation de
Les phobies sociales sont des troubles fréquents et invalidants l’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz version française. Encephale
mais souvent méconnus et insuffisamment pris en charge. Une 1999;25:429–35.
meilleure information des médecins et du grand public, permet- [18] Connor KM, Davidson JR, Churchill LE, Sherwood A, Foa E, Weisler
tant d’en rechercher systématiquement les symptômes chez les RH. Psychometric properties of the Social Phobia Inventory (SPIN).
patients, notamment jeunes, consultant en médecine générale et New self-rating scale. Br J Psychiatry 2000;176:379–86.
en psychiatrie, serait essentielle pour faciliter des prises en charge [19] Fehm L, Pelissolo A, Furmark T, Wittchen H-U. Size and burden of
précoces. Les traitements permettent en effet d’améliorer sensible- social phobia in Europe. Eur Neuropsychopharmacol 2005;15:453–62.
ment les symptômes les plus gênants, avec des résultats durables [20] Pelissolo A, André C, Moutard-Martin F, Wittchen HU, Lépine JP.
Social phobia in the community: relationship between diagnostic thre-
grâce aux TCC. Des recherches demeurent encore nécessaires pour
shold and prevalence. Eur Psychiatry 2000;15:25–8.
mieux comprendre les causes des phobies sociales, et pour opti-
[21] Lépine J-P, Gasquet I, Kovess V, Arbabzadeh-Bouchez S, Nègre-Pagès
miser le traitement des formes les plus sévères et résistantes. L, Nachbaur G, et al. Prévalence et comorbidité des troubles psy-
chiatriques dans la population générale française : résultats de l’étude
épidémiologique ESEMeD/MHEDEA 2000/(ESEMeD). Encephale
Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela- 2005;31:182–94.
tion avec cet article. [22] den Boer JA. Social anxiety disorder/social phobia: epidemio-
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A. Pelissolo, Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service (antoine.pelissolo@inserm.fr).


Service de psychiatrie sectorisée, Hôpital Albert-Chenevier, Hôpitaux universitaires Henri-Mondor, AP–HP, Université Paris-Est Créteil, Institut Mondor de
recherche biomédicale (IMRB), 40, rue de Mesly, 94000 Créteil, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Pelissolo A. Anxiété sociale et phobie sociale. EMC - Psychiatrie 2016;13(4):1-6 [Article 37-370-A-20].

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