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Personnalité dépendante
G. Loas
Plan Préambule
■ Préambule 1 Cet article constitue la version actualisée de celui publié
■ Introduction 2 en 2008. Les données nouvelles de la littérature sont présentées.
■
Deux points méritent d’être soulignés. D’une part, la dernière ver-
Définitions 2
sion du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de
Selon l’Association américaine de psychiatrie (DSM) 2
l’Association américaine de psychiatrie (DSM-5) avait envisagé
Selon l’Organisation mondiale de la santé (CIM-10) 3
une suppression de ce trouble de la personnalité sur des argu-
■ Mesure 3 ments qui ont été réfutés et, d’autre part, il persiste toujours un
■ Prévalence 5 faible nombre de travaux consacrés à ce trouble de la personnalité,
■ Comorbidités 5 ceci contrairement aux personnalités limites par exemple.
Troubles de l’axe I 5 Comme l’indique clairement son titre, l’article porte exclu-
Troubles de la personnalité 6 sivement sur la conceptualisation d’une dépendance affective
Troubles somatiques 6 pathologique considérée de manière catégorielle au sein d’une
conception schneidérienne des personnalités pathologiques.
■ Évolution et pronostic 6 Cette conception des troubles de la personnalité est celle qui a
Suicide 6 été adoptée dans la classification américaine de psychiatrie depuis
Mauvais traitements 6 le DSM-III et par la classification internationale des maladies
■ Coût social 7 (International Classification of Diseases ou ICD) de l’Organisation
■ Facteurs prédisposants 7 mondiale de la santé (OMS) depuis la dixième révision (ICD-10).
■
En dehors de la dépendance affective pathologique catégorielle
Processus cognitifs 7
existent des dépendances affectives pathologiques d’intensité
■ Étiopathogénie 7 variée, de nature dimensionnelle, qu’il est possible de mesurer par
Facteurs génétiques 7 de multiples échelles. De nombreuses études ont engendré une lit-
Facteurs psychodynamiques 7 térature scientifique importante essentiellement dans des revues
Facteurs sociaux et cognitifs 8 de psychologie en anglais et effectuée par des psychologues,
Facteurs humanistes, phénoménologiques et existentialistes 8 comme l’illustre le livre de Bornstein publié en 1993 et intitulé
■ Traitement 8 The Dependent Personality où seulement un chapitre est consacré à
Traitement curatif 8 la personnalité dépendante au sens catégoriel du DSM-III. Ainsi, la
Traitement préventif 9 dépendance affective dimensionnelle peut constituer un facteur
■ Conclusion 9 de vulnérabilité, un symptôme colorant un trouble psychia-
trique ou une séquelle apparaissant secondairement à un trouble
EMC - Psychiatrie 1
Volume 14 > n◦ 3 > juillet 2017
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(17)75292-3
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37-490-D-10 Personnalité dépendante
2 EMC - Psychiatrie
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Personnalité dépendante 37-490-D-10
Tableau 2. Tableau 3.
Personnalité dépendante du DSM-5. Critères diagnostiques 301.6 Critères diagnostiques de la personnalité dépendante selon la CIM-10
(d’après [6] ). (d’après [8] ).
Besoin général et excessif d’être pris en charge qui conduit à un A. Répond aux critères généraux d’un trouble de la personnalité (F 60)
comportement soumis et « collant » et à une peur de la séparation, qui B. Présence d’au moins quatre des caractéristiques suivantes :
apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers, - le fait d’autoriser ou d’encourager les autres à prendre la plupart des
comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes : décisions importantes de la vie à sa place
- le sujet a du mal à prendre des décisions dans la vie courante sans être - une subordination de ses propres besoins à ceux de personnes dont on
rassuré ou conseillé de manière excessive par autrui dépend et une soumission excessive à leur volonté
- a besoin que d’autres assument les responsabilités dans la plupart des - une réticence à faire des demandes, même justifiées, aux personnes
domaines importants de sa vie dont on dépend
- a du mal à exprimer un désaccord avec autrui de peur de perdre son - un sentiment de malaise ou d’impuissance quand le sujet est seul en
soutien ou son approbation (N.B. : ne pas tenir compte d’une crainte raison d’une peur excessive de ne pouvoir se prendre en charge seul
réaliste de sanctions) - une préoccupation par la peur d’être abandonné par la personne avec
- a du mal à initier des projets ou à faire des choses seul (par manque de qui le sujet a une relation proche et d’être livré à soi-même
confiance en son propre jugement ou en ses propres capacités plutôt - une capacité réduite à prendre des décisions dans la vie quotidienne
que par manque de motivation ou d’énergie) sans être rassuré ou conseillé de manière excessive par autrui
- cherche à outrance à obtenir le soutien et l’appui d’autrui, au point de
faire volontairement des choses désagréables
- se sent mal à l’aise ou impuissant quand il est seul par crainte exagérée Tableau 4.
d’être incapable de se débrouiller Critères diagnostiques de la personnalité dépendante proposés par Born-
- lorsqu’une relation proche se termine, cherche de manière urgente une stein pour la 5e version du DSM (d’après [1] ).
autre relation qui puisse assurer les soins et le soutien dont il a besoin
- est préoccupé de manière irréaliste par la crainte d’être laissé à se Une vision de soi-même comme faible et impuissant qui motive le sujet
débrouiller seul à rechercher des relations apportant soins et protection et à s’engager
dans des comportements variés actifs ou passifs pour maintenir ces
relations. Ce mode de comportement commence au début de l’âge
adulte et présent dans des contextes divers, comme en témoignent au
variabilité de la prévalence, la faible répercussion sur la vie des moins cinq des manifestations suivantes :
sujets et de la société en matière d’altération du fonctionnement - le sujet se perçoit impuissant et inefficace et croit que les autres
habituel, et la faible prévalence par rapport aux autres troubles de comparativement sont puissants et efficaces
la personnalité. Plusieurs auteurs ont argumenté que la personna- - le sujet a du mal à prendre des décisions dans la vie courante sans être
lité dépendante répondait aussi bien à ces critères que plusieurs conseillé ou rassuré de manière excessive par autrui
autres troubles de la personnalité retenus dans le DSM-5 [7] . - le sujet utilise des stratégies de présentation (se montre prévenant,
supplication, autopromotion, etc.) pour obtenir et maintenir des
relations de soins et de soutien
Selon l’Organisation mondiale de la santé - focalise ses efforts pour consolider une relation avec la personne la plus
apte à lui apporter aide et soutien au long cours
(CIM-10) - cherche à outrance à faire plaisir aux autres au point d’être volontaire
pour faire des choses désagréables
En 1992 paraît la dixième version de la Classification inter-
- se sent mal à l’aise ou impuissant(e) quand il (elle) est seul(e) par
nationale des troubles mentaux et des troubles du comportement crainte exagérée d’être incapable de se débrouiller
(CIM-10) [8] . Cette classification a été très influencée par le DSM-III - montre des niveaux élevés d’anxiété de performance et de peurs
avec notamment l’apparition de critères opérationnels de diag- d’évaluation négative notamment en présence de personnes d’autorité
nostic. Antérieurement, dans la neuvième version, la personnalité - est préoccupé(e) de manière irréaliste par la crainte d’être laissé(e) à se
dépendante était désignée sous le terme de personnalité asthé- débrouiller seul(e)
nique [9] .
La personnalité dépendante apparaît comme un trouble spéci-
fique de la personnalité, caractérisé par des perturbations sévères
des items mesurant l’attachement en insécurité et suggère de
de la constitution caractérologique et des tendances compor-
les supprimer en proposant une nouvelle définition pour le
tementales de l’individu, concernant habituellement plusieurs
DSM-5 (Tableau 4). Ces critiques ont été confirmées dans une
secteurs de la personnalité et s’accompagnant en général de diffi-
étude publiée en 2006 ayant montré chez 1078 patients une
cultés personnelles et sociales considérables. La CIM-10 définit six
structure bidimensionnelle de la personnalité dépendante avec
critères pour un trouble spécifique de la personnalité : attitudes
une dimension d’attachement dysfonctionnel et une dimen-
et comportements nettement dysharmonieux dans plusieurs sec-
sion de perception d’incompétence [10] . Par ailleurs, les auteurs
teurs de fonctionnement ; mode de comportement anormal
recommandent d’une part de supprimer les items 3 et 5 et
durable et persistant non limité à des épisodes de maladie men-
d’inclure d’autres items mesurant davantage la dépendance que
tale ; mode de comportement anormal profondément enraciné et
l’attachement.
clairement inadapté à des situations personnelles et sociales très
variées ; manifestations apparaissant toujours dans l’enfance ou
l’adolescence et se poursuivant à l’âge adulte ; trouble à l’origine
d’une souffrance personnelle considérable mais qui peut être Mesure
d’apparition tardive ; trouble habituellement – mais pas toujours –
associé à une dégradation du fonctionnement professionnel et La personnalité dépendante peut être mesurée de trois manières
social. (cf. revue in [1] ) :
La personnalité dépendante de la CIM-10 se définit par la pré- • par des interviews structurées mesurant tous les troubles de la
sence de quatre traits parmi six. Ces traits sont très proches de personnalité, comprenant ou non un questionnaire de dépis-
ceux du DSM-IV (Tableau 3). tage. Dans la même catégorie, il existe des questionnaires de
Peu d’auteurs ont critiqué les critères de la personnalité dépen- dépistage des troubles de la personnalité. Ces interviews ou
dante selon le DSM. Bornstein, en 1997 [5] , a passé en revue les questionnaires permettent des diagnostics selon le DSM ou la
neuf critères de la personnalité dépendante, selon le DSM-IV, en CIM-10 ;
montrant que deux critères sont contredits par les études, à savoir • par des interviews ou questionnaires permettant le diagnostic
le critère 3 (expression du désaccord) et le critère 4 (avoir du isolé de la personnalité dépendante ;
mal à initier des projets). Les sujets dépendants peuvent mani- • par des échelles mesurant la dépendance interpersonnelle avec
fester leur désaccord et prendre des initiatives, notamment dans l’existence de notes seuils ou non permettant de diagnostiquer
le domaine de la santé. Par ailleurs, l’auteur souligne l’importance la personnalité dépendante.
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Tableau 5. Tableau 6.
Le questionnaire de personnalité dépendante (QPD) (d’après [11] ) a . Inventaire de dépendance interpersonnelle (IDI) (d’après [1, 13] ) a .
Veuillez lire chacune des phrases suivantes, puis cochez parmi les 48 affirmations sont présentées plus bas. Veuillez lire chacune d’entre
quatre réponses celle qui correspond le plus à ce que vous éprouvez elles et décider si elles sont caractéristiques ou non de vos attitudes, de
d’une manière générale (et pas seulement en ce moment) vos sentiments ou de vos comportements. Veuillez ensuite donner une
1) Je suis une personne indépendante Oui, tout à fait évaluation de chaque affirmation en utilisant les valeurs suivantes :
Oui, un peu 4 : très caractéristique de moi
Non, pas beaucoup 3 : assez caractéristique de moi
Non, pas du tout 2 : un peu caractéristique de moi
1 : pas caractéristique de moi
2) Je préfère faire face seul(e) aux problèmes Oui, tout à fait
Oui, un peu 1) Je préfère être seul(e)
Non, pas beaucoup 2) Quand j’ai une décision à prendre, je demande toujours un avis
Non, pas du tout 3) Je fais mon meilleur travail quand je sais qu’il sera apprécié
3) J’ai tendance à céder aux autres personnes Oui, tout à fait 4) Je ne peux supporter d’être dorloté(e) quand je suis malade
Oui, un peu
5) Je préférerais être un disciple qu’un meneur
Non, pas beaucoup
Non, pas du tout 6) Je crois que les gens peuvent faire beaucoup plus pour moi s’ils le
désirent
4) Je n’aime pas être seul(e) Oui, tout à fait
Oui, un peu 7) Enfant, faire plaisir à mes parents était très important pour moi
Non, pas beaucoup 8) Je n’ai pas besoin d’autrui pour me sentir bien
Non, pas du tout 9) Désapprouvé par quelqu’un qui m’est cher est très douloureux pour
5) J’arrive facilement à prendre des décisions Oui, tout à fait moi
Oui, un peu 10) J’éprouve confiance dans ma capacité à faire face à la majorité des
Non, pas beaucoup problèmes personnels que je suis susceptible de rencontrer dans la vie
Non, pas du tout
11) Je suis la seule personne à laquelle je veux faire plaisir
6) J’ai confiance en moi Oui, tout à fait
12) L’idée de perdre un ami intime m’est terrifiante
Oui, un peu
Non, pas beaucoup 13) Je suis rapidement d’accord avec l’opinion exprimée par les autres
Non, pas du tout 14) Je ne fais seulement confiance qu’à moi-même
7) Je compte beaucoup sur ma famille et mes Oui, tout à fait 15) Je serais complètement perdu si je n’avais pas quelqu’un qui m’est
amis Oui, un peu cher
Non, pas beaucoup 16) Ça me gêne beaucoup quand quelqu’un découvre une erreur que j’ai
Non, pas du tout faite
8) Quand les choses vont mal dans ma vie cela Oui, tout à fait 17) C’est difficile pour moi de demander à quelqu’un une faveur
me prend du temps pour que tout rentre dans Oui, un peu
l’ordre Non, pas beaucoup 18) Je déteste quand les gens partagent ma douleur
Non, pas du tout 19) Je suis facilement découragé(e) quand je n’obtiens pas ce dont j’ai
besoin des autres
a
La cotation se fait selon un gradient de sévérité allant de 0 (non, pas du tout),
1 (non, pas beaucoup), 2 (oui, un peu) à 3 (oui, tout à fait) avec un score total 20) Dans une discussion, je cède facilement
potentiel de 0 à 24. La moitié des items (n◦ 3, 4, 7 et 8) mesure la dépendance 21) Je n’ai pas beaucoup besoin des autres
et l’autre moitié (n◦ 1, 2, 5 et 6) mesure l’indépendance. Les items mesurant
l’indépendance sont recotés en soustrayant leur valeur de 3 (par exemple 0 22) Je dois avoir quelqu’un qui m’est très proche
correspond à 3). 23) Quand je vais à une réception, je m’attends à ce que les autres
personnes m’apprécient
Dans la première catégorie figurent l’interview structurée pour 24) Je me sens mieux quand je sais que quelqu’un d’autre commande
les troubles de la personnalité du DSM-IV (SIDP-IV), l’interview 25) Quand je suis malade, je préfère que mes amis me laissent seul
structurée pour l’axe II du DSM-IV (SCID-II) et l’International Perso- 26) Je ne suis jamais aussi heureux que quand les gens savent que j’ai
nality Disorders Examination ou IPDE permettant un diagnostic des fait un bon travail
troubles de la personnalité selon le DSM-IV et la CIM-10. Il existe 27) C’est dur pour moi de me faire une opinion sur un show (spectacles,
deux questionnaires de dépistage pour le SCID-II et l’IPDE. Ces variétés) à la télévision ou un film jusqu’à ce que je connaisse ce que les
trois interviews structurées sont traduites et validées en français [1] . autres pensent
Un questionnaire permettant de diagnostiquer les troubles de la 28) Je n’hésiterai pas à ne pas tenir compte des sentiments des autres
personnalité selon le DSM-IV est disponible. Il s’agit du Personality personnes afin d’accomplir quelque chose qui est important pour moi
Diagnostic Questionnaire ou PDQ-4 pour lequel existe une version
29) J’ai besoin d’avoir une personne qui me mette au-dessus des autres
française.
Dans la deuxième catégorie n’existe qu’un seul questionnaire 30) Dans les situations sociales, j’ai tendance à être embarrassé(e)
mis au point par Tyrer et al. en 2004 [11] et intitulé le Dependent 31) Je n’ai besoin de personne
personality Questionnaire ou questionnaire de personnalité dépen- 32) J’ai beaucoup de difficultés à prendre moi-même des décisions
dante (QPD) selon la version [12] . Il s’agit d’un questionnaire de 33) J’ai tendance à envisager le pire si une personne que j’aime n’arrive
huit items cotés de 0 à 3 avec un score total allant de 0 à 24. Des pas quand je l’attends
notes seuils de 10 pour la version anglaise et 13 pour la version 34) Même quand les choses vont mal, je peux me débrouiller sans
française ont été proposées. Deux études [11, 12] ont montré une demander d’aide à mes amis
validité et fidélité satisfaisantes (Tableau 5).
35) J’ai tendance à attendre trop des autres
Dans la troisième catégorie, différentes échelles ont été mises au
point pour mesurer la dépendance affective (revue par Birtchnel 36) Je n’aime pas acheter des vêtements moi-même
en 1991 in [1] ). L’une des plus utilisées est l’inventaire de dépen- 37) J’ai tendance à être un solitaire
dance interpersonnelle (IDI) d’Hirschfeld comprenant 48 items 38) Je pense que je n’obtiens jamais vraiment tout ce dont j’ai besoin
répartis en trois sous-échelles mesurant la dépendance psycholo- des autres
gique vis-à-vis d’autrui, le manque de confiance en soi sur le plan 39) Lorsque je rencontre de nouvelles personnes, j’ai peur de ne pas faire
social, et l’affirmation d’autonomie [13] . Une version française dis- les choses correctement
ponible a montré des propriétés psychométriques satisfaisantes [14]
40) Même si la plupart des gens se retournent contre moi, je pourrais
(Tableau 6). Des notes seuils de dépistage de la personnalité dépen- cependant continuer si quelqu’un que j’aime me soutient
dante ont été proposées pour chaque sexe [15] .
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Plusieurs études [24, 25] ont montré, d’une part, que la per- Suicide
sonnalité dépendante mais aussi les personnalités évitantes ou
compulsives chez la femme en période postnatale précoce étaient Concernant le risque de suicide, une méta-analyse réalisée
prédictives de dépression majeure à six semaines et, d’autre par Bornstein et O’Neill en 2000 (cité in [1] ) a conclu à une
part, que les femmes ayant une dépression du post-partum à six association significative entre, d’une part, l’augmentation de
semaines avaient plus de risque d’avoir une dépression à un an en l’importance de la dépendance interpersonnelle et, d’autre part,
cas d’association avec une personnalité dépendante ou compul- les idées suicidaires, le nombre de tentatives de suicide et de
sive. réalisations suicidaires. Aucune des études citées n’utilisait la défi-
Une étude récente en population française [26] ayant évalué les nition catégorielle de la dépendance interpersonnelle impliquée
troubles de la personnalité chez la femme enceinte a objectivé par la personnalité dépendante du DSM ou de la CIM. Depuis cette
que la personnalité dépendante était prédictive du stress post- méta-analyse, quatre études ont montré dans différents groupes
traumatique, de l’état anxieux et de la dépression en période de de sujets sains ou présentant un trouble psychiatrique des asso-
post-partum tardif (trois à six mois). ciations significatives entre d’un côté la personnalité dépendante
et de l’autre les idées suicidaires, la tentative de suicide ou le
suicide.
Troubles de la personnalité Loas et al., en 2005 (cité in [1] ), ont étudié dans divers groupes
de sujets présentant des addictions, des troubles des conduites
Alnaes et Torgersen, en 1988 (cité in [1] ), ont comparé deux
alimentaires, ou indemnes de tout trouble psychiatrique, le lien
groupes de patients ambulatoires présentant ou non une per-
entre la personnalité dépendante et les idées suicidaires ou le
sonnalité dépendante selon le DSM-III. Le groupe dépendant
nombre de tentatives de suicide. Pour les idées suicidaires, des
présentait significativement plus de traits évitants, passifs-
OR (rapport de risque ou risque relatif) variant entre 2,65 et 9,42
agressifs, schizotypiques et limites.
étaient observés chez les sujets alcooliques, consommateurs abu-
De nombreuses études (revue in [27] ) ont objectivé des relations
sifs de drogues, ou même chez les sujets sains de sexe masculin.
étroites entre les personnalités dépendantes, limites et évitantes.
Pour les tentatives de suicide, un OR de 5 était observé chez les
Ces interrelations sont constamment retrouvées entre les person-
abuseurs de drogues masculins.
nalités dépendantes et évitantes.
En 2005, Schneider et al. [33] ont utilisé la technique des autop-
Reich, en 1996, a comparé 12 personnalités dépendantes (DSM-
sies psychologiques pour préciser les relations entre le suicide, les
III-R) à 159 autres troubles de la personnalité [22] . Les personnalités
troubles selon les axes I et II du DSM-IV. Ainsi, 163 sujets suici-
dépendantes présentaient de manière significative plus de traits
dés (104 hommes, 59 femmes) ont été inclus, avec 163 personnes
limites, histrioniques et compulsifs que les autres.
proches des sujets décédés pour recueillir les informations. Un
En 1996, Skodol et al. (cité in [1] ) ont étudié les relations entre la
groupe contrôle était constitué de 396 personnes appariées quant
personnalité dépendante du DSM-III-R et les troubles de l’axe I et
à l’âge, le sexe et la zone d’habitation. Pour la personnalité dépen-
de l’axe II. Les co-occurrences, en pourcentage, étaient de 36,5 %
dante, des OR de 4,89 et 15,67 étaient observés respectivement
pour les personnalités limites, 35,8 % pour les personnalités évi-
chez les hommes et les femmes.
tantes, 20,5 % pour les personnalités compulsives, 18,2 % pour
Bolton et al., en 2008 [34] , ont utilisé les données d’une étude épi-
les personnalités schizotypiques, 16,2 % pour les personnalités
démiologique américaine sur la prévalence des troubles mentaux
paranoïaques, et 14,3 % pour les personnalités narcissiques.
à partir d’un échantillon représentatif pour étudier les facteurs de
En 1987, sur une population de 43 hommes présentant une
risque de suicide chez les sujets ayant un trouble dépressif majeur.
personnalité dépendante selon le DSM-III, Loas a retrouvé 22 %
Chez les hommes, la personnalité dépendante était associée à un
d’autres troubles de la personnalité essentiellement schizoty-
risque de tentative de suicide avec un OR de 2,71.
piques et limites [23] .
Gagnon et al., en 2009 [35] , ont utilisé la méthode des autop-
Une étude publiée en 2005 par Grant et al. (cité in [1] ) s’est
sies psychologiques chez 29 suicidés versus 23 survivants âgés
intéressée à la co-occurrence des troubles de la personnalité
de 14 à 25 ans. Une prévalence plus importante de la person-
du DSM-IV à partir d’une vaste étude épidémiologique améri-
nalité dépendante s’observait chez les suicidés comparativement
caine. L’association entre les divers troubles de la personnalité
aux survivants.
se mesurait par OR. La personnalité dépendante s’associait aux
Ces quatre études établissent un lien important entre le risque
personnalités évitantes (OR = 118), histrioniques (OR = 37, 7) et
de suicide et la personnalité dépendante.
paranoïaques (OR = 33,8).
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Selon Bornstein [17] , deux orientations sont apparues à partir Facteurs sociaux et cognitifs
de cette conception psychanalytique classique, la théorie de la
relation d’objet et la théorie éthologique de l’attachement. La théorie de l’apprentissage social considère que la dépendance
La théorie de la relation d’objet met l’accent sur le phéno- est un comportement acquis lors de l’enfance par la cessation de
mène de séparation-individuation proposé par Mahler et sur le la satisfaction des besoins (faim, etc.) par la mère. Le comporte-
développement de la conception de soi (self concept), ces deux ment de dépendance se trouve ensuite renforcé par l’apprentissage
théories rendant compte de phases développementales impor- social. Au départ, la mère fournit des gratifications biologiques et
tantes durant l’enfance. L’accent n’est plus mis uniquement sur psychologiques à l’enfant ; celles-ci se trouvent ainsi associées au
les facteurs biologiques de la relation du nourrisson et de la mère, plaisir éprouvé par ce dernier ; ce plaisir devient un renforçateur
mais sur le fait que cette relation représente le prototype de la secondaire. Les croyances et les attentes de l’enfant vis-à-vis de la
future relation du sujet avec les autres. Dans ce modèle, le soi et mère sont généralisées aux autres pourvoyeurs potentiels de gra-
la représentation des autres sont internalisés ou introjectés dans tifications (enseignants, amis, etc.), ce qui explique la recherche
la petite enfance, et ces phénomènes jouent un rôle central dans de relations de dépendance.
l’organisation de la personnalité. Plus récemment, la théorie de l’apprentissage social a été com-
La théorie éthologique de l’attachement combine à la fois des plétée en y incluant des théories cognitives qui expliquent le
facteurs issus de la théorie psychanalytique, de la théorie de passage des traits de personnalité dépendants et passifs vers
l’évolution, de l’éthologie, de la psychologie expérimentale et les comportements observés. Dans cette optique, la dépendance
de la clinique psychiatrique et pédiatrique. Les différences indi- affective a été considérée comme étroitement liée à la dépression.
viduelles dans les relations entre l’enfant et la mère et leurs La dépendance affective est conceptualisée comme un style
conséquences sur le développement ultérieur de la personnalité d’attribution selon lequel le sujet se perçoit comme faible, pas-
s’expliquent par cette théorie. sif et incapable d’influencer le cours des événements dans un sens
Les travaux éthologiques sur le phénomène de l’empreinte de qui lui soit favorable [1] .
Lorenz, ceux d’Harlow sur la déprivation maternelle, et ceux de
la psychologie expérimentale sont à l’origine de la notion de Facteurs humanistes, phénoménologiques
l’existence chez le nouveau-né d’un besoin de soins maternels
qui devrait être comblé pendant une période critique. Ce besoin et existentialistes
conditionnerait un sentiment de sécurité du nouveau-né lui per-
Ces facteurs accordent une place importante aux notions
mettant d’explorer son environnement avec assurance par des
de liberté et de responsabilité ainsi qu’à la motivation. La
mouvements d’aller et retour vers la mère. En cas d’insatisfaction
volonté et la décision représentent des concepts clés pour les
de ce besoin pourraient se développer soit des réactions de repli,
existentialistes. L’indécision et le manque de confiance en soi,
soit des réactions d’excès de dépendance.
caractéristiques des personnalités dépendantes, peuvent ainsi être
Bowlby puis Ainsworth ont étayé conceptuellement le besoin
compris avec pour corolaire des approches psychothérapeutiques
primaire en faisant la distinction entre l’attachement et la
spécifiques [1] .
dépendance. Le paradigme de la situation étrange développé
par Ainsworth permet d’éclairer les rapports entre attachement
et dépendance. Le protocole de la situation étrange permet
d’explorer la réaction de l’enfant lors de la séparation de sa
Traitement
mère pendant de courtes périodes. Les enfants ayant un atta-
chement en sécurité (secure attached) présentent peu de stress De nombreux auteurs ont montré que lorsque le sujet dépen-
lors de la séparation, recherchent activement la proximité de dant présente des troubles somatiques ou psychologiques, il
la mère à son retour, cette proximité est alors réparatrice de la recherche les soins dans un délai plus court que les sujets non
détresse de l’enfant. Les enfants ayant un attachement en insé- dépendants. Par ailleurs, l’apparition de troubles psychologiques
curité sont plus anxieux lors de la séparation, et le retour de conduit les dépendants à adopter une attitude de recherche d’aide.
la mère atténue peu l’angoisse. Lors du retour de la mère, cer- La durée du traitement chez les personnalités dépendantes est plus
tains sont ambivalents en cherchant à se dégager de l’étreinte, longue que chez les non-dépendants, qu’il s’agisse de la durée
d’autres évitent le contact. Ces groupes ont été désignés ambiva- d’hospitalisation ou de traitements ambulatoires. Sur le plan des
lents en insécurité et évitants en insécurité. Cette classification psychothérapies, les travaux ont montré que les dépendants pré-
s’est avérée prédictive de la socialisation. Il est intéressant de sentaient plus d’attitudes positives vis-à-vis des psychothérapies
souligner que les enfants évitants en insécurité peuvent se mon- que les non-dépendants et qu’ils préféraient les thérapies de
trer autonomes lors du contact avec d’autres personnes (cf. revue type psychanalytique aux autres formes de ces techniques qui
in [47] ). s’accompagnent d’interrelations moins importantes avec les psy-
Ces travaux permettent de comprendre que la qualité de chothérapeutes.
l’attachement, et non l’intensité de la relation mère-enfant, per- Tyrer et al., en 1991 [1] , ont distingué deux groupes de person-
met l’autonomisation et la socialisation de l’enfant et que les nalités pathologiques selon leur capacité d’amélioration dans le
concepts d’attachement et de dépendance recouvrent des entités temps. Les auteurs appellent immatures les personnalités patho-
théoriques différentes. logiques ayant tendance à s’améliorer avec l’âge. Le second groupe
Ainsi, les auteurs ont proposé des définitions différentes de ces appelé mature correspond aux personnalités ayant tendance à
deux notions. Selon Livesley et al. (1990) (cité in [1] ), l’attachement persister dans le temps.
fait référence à toutes formes de comportement observées chez Parmi les personnalités immatures figurent les personnalités
un sujet recherchant la proximité avec une personne particu- dépendantes, borderline, histrioniques et narcissiques.
lière. Les comportements dépendants ne sont pas dirigés vers une
personne en particulier et ne sont pas dictés par la recherche Traitement curatif
d’une sécurité provoquée par la proximité d’une personne. Les
dépendants recherchent une assistance, une approbation et un Il repose essentiellement sur l’emploi ou l’usage des psychothé-
guidage. rapies.
Pour Ainsworth, l’attachement est un lien affectif dirigé vers Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique ont été pro-
une personne en particulier, alors que la dépendance est une posées afin d’amener les patients à prendre conscience des conflits
réponse plus générale et non dirigée vers un objet spécifique. infantiles sous-tendant les conduites de dépendance. Avec l’aide
Selon Jeammet et Corcos, la dépendance est conceptuali- du psychothérapeute, cette prise de conscience progressive mène
sée comme l’utilisation de la réalité perceptivomotrice en tant à l’autonomie, au retour de la confiance en soi et à la diminution
que contre-investissement d’une réalité psychique défaillante. La de la passivité.
dépendance va s’acquérir lorsque le sujet va surinvestir de manière Ces psychothérapies ne peuvent être mises en œuvre qu’à
prévalente la réalité externe pour pallier une réalité interne anxio- certaines conditions : capacité de verbalisation, d’introspection,
gène et peu sécurisante [1] . capacité à supporter les frustrations, etc. Par ailleurs, le risque
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de pérennisation du lien de dépendance avec le thérapeute est Le problème qui reste posé est de savoir si cette dépen-
important. dance pathologique catégorielle stable dans le temps constitue
Les thérapies comportementales et cognitives ont été proposées un trouble de la personnalité ou une caractéristique associée à
et ont mis l’accent sur l’autonomisation du patient. Ces théra- d’autres troubles de la personnalité. Plusieurs arguments semblent
pies individuelles, familiales ou en groupe portent souvent sur plaider pour la seconde hypothèse comme le manque de vali-
l’affirmation de soi. dité externe du diagnostic, la co-occurrence importante avec les
Plusieurs exemples de ces traitements ont été rapportés dans la personnalités limites ou évitantes.
littérature (Montgomery, 1971 ; Turkat et Carlson, 1984) [1] . Des études, notamment prospectives, semblent nécessaires
Plusieurs auteurs, dont Bornstein (2004) [1] , ont proposé des thé- pour tester ces hypothèses.
rapies dites improprement intégratives qui relèvent en fait d’une Des études récentes précisant la validité constructive de la clas-
approche éclectique associant des thérapies psychodynamiques, sification des troubles de la personnalité du DSM-IV ont montré
cognitives et existentielles. L’auteur a identifié cinq techniques que les critères des personnalités évitantes et dépendantes appar-
psychothérapeutiques pour les patients dépendants : explorer les tenaient à un seul facteur. Par ailleurs, l’étude de la validité
relations passées qui renforcent la dépendance ; examiner son constructive de la personnalité dépendante [10] objective qu’un
autoperception d’impuissance ; expliciter les autodénigrements modèle bidimensionnel (incompétence perçue et attachement
du patient que provoquent les sentiments de vulnérabilité et dysfonctionnel) conditionne ce trouble de la personnalité avec
d’impuissance ; aider le patient à exprimer ses besoins de dépen- deux critères (3 et 5), contribuant peu aux diagnostics.
dance dans diverses situations ; utiliser des jeux de rôle pour Bornstein a proposé deux perspectives intéressantes sur la
permettre d’acquérir des compétences permettant de fonction- dépendance affective : d’une part, prendre en compte les aspects
ner de manière autonome. Les thérapies de couple sont aussi actifs de la dépendance et remettre en cause l’association systéma-
indiquées, et pour Links et Stockwell [48] il convient de repérer tique entre dépendance et passivité [50] , d’autre part, envisager une
la dimension de manque de confiance en soi qui serait prédic- extraction de la dépendance affective du cadre pathologique où
tive de réussite contrairement à la dimension d’attachement en elle est inscrite, plusieurs travaux montrant qu’elle peut constituer
insécurité. soit un comportement adapté, soit un facteur de bon pronostic
Un travail récent a exploré l’efficacité de la thérapie de dans certaines pathologies somatiques ou psychiatriques [51] .
pleine conscience sur la dépendance interpersonnelle, mesurée Disney [32] , dans une revue critique sur la personnalité dépen-
par l’inventaire de dépendance interpersonnelle d’Hirschfeld, dante parue en 2013 dans Clinical Psychology Review, a souligné le
par une étude contrôlée, randomisée versus placebo. Le groupe peu de travaux consacrés à ce trouble de la personnalité, alors que
ayant bénéficié d’une thérapie de pleine conscience présentait de nombreux arguments démontrent le bien-fondé du maintien
une amélioration significativement supérieure sur la dépendance du diagnostic dans le DSM-5. Contrairement à certains troubles de
interpersonnelle par rapport au groupe placebo [49] . la personnalité, la personnalité dépendante est peu étudiée et des
Sur le plan des chimiothérapies, une étude réalisée par Lauer champs entiers de recherche ne sont pas explorés, comme ceux de
en 1976 [1] a montré qu’un traitement antidépresseur donné à un l’imagerie cérébrale ou de l’étude en psychologie cognitive expé-
groupe de sujets présentant différents diagnostics et des traits pas- rimentale. Par ailleurs, l’auteur souligne le manque d’études en
sifs dépendants améliorait ces traits. Ce résultat n’a pas, ensuite, population générale et la nécessité d’explorer le risque de suicide
été confirmé par d’autres études. et d’être victime ou auteur de mauvais traitements. Enfin, il existe
L’utilisation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs semble devoir peu d’études systématiques sur le traitement curatif ou préventif
être réservée aux complications anxieuses et dépressives des de la personnalité dépendante.
personnalités dépendantes, mais les relations étroites entre
dépendance exagérée et dépression, d’une part, et entre les per-
sonnalités dépendantes et les personnalités limites, d’autre part, Déclaration de liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
doivent amener à se poser la question de la chimiothérapie au en relation avec cet article.
long cours (antidépresseurs, thymorégulateurs, etc.). L’absence
d’études publiées, notamment contrôlées, ne permet pas actuel-
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répond à une utilité clinique. De nombreux arguments étayent [10] Gude T, Karterud S, Pedersen G, Falkum E. The quality of the diag-
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bies, et par un risque moins élevé de toxicomanies alcooliques ou [12] Loas G, Monestes JL, Wallier J, Berthoz S, Corcos M. Le question-
autres. Sur le plan thérapeutique, les personnalités dépendantes naire de personnalité dépendante (QPD) : traduction française et étude
présentent des facteurs entraînant une bonne réponse aux traite- de validation dans une population de 138 patients psychiatriques hos-
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Loas G. Personnalité dépendante. EMC - Psychiatrie 2017;14(3):1-10 [Article 37-490-D-10].
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