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THÉRAPEUTIQUE
Département de psychiatrie du CHUV, faculté de biologie et médecine, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse
Résumé
MOTS CLÉS
Contexte. — Trente-cinq pour cent à 45 % des patients psychotiques consomment régulièrement
Cannabis ;
du cannabis, avec des effets néfastes sur la rémission des symptômes positifs, le niveau de
Conduites
fonctionnement et le risque de rechute. Des approches motivationnelles ont été développées
addictives ;
pour les doubles diagnostiques afin de s’accommoder aux consommateurs de substances souf-
Trouble psychotique ;
frant de psychose. La banalisation du cannabis comme une drogue « douce » jugée inoffensive,
Comorbidité ;
la fréquence de sa consommation chez les jeunes et son appétence et sa nocivité par-
Entretien
ticulière pour les personnes souffrant de psychose implique de développer des approches
motivationnel
spécifiques à cette population. Notre objectif est de développer une approche pragma-
tique, sans jugement, inspirée du modèle d’intervention motivationnelle adapté aux doubles
diagnostics afin de viser une réduction des risques liés à cette consommation. Cette adap-
tation est basée sur une revue de littérature des interventions motivationnelles pour les
doubles diagnostics, sur notre expérience du modèle motivationnel avec des patients souffrant
de psychose et inspiré initialement par les interventions brèves à l’intention des consom-
mateurs d’alcool à risque. Les principes d’une intervention motivationnelle adaptée aux
patients psychotiques consommateurs de cannabis sont : (a) l’abord simultané des ques-
tions liées à la psychose et au cannabis et de leur interaction ; (b) la prise en compte
des troubles cognitifs liés à la maladie et au traitement ; (c) l’adaptation des techniques
d’écoute réflexive ; (d) la structuration des entretiens, notamment à l’aide de la grille de
balance décisionnelle (GBD). Les quatres premières séances comportent : (1) la création
d’une alliance et évaluation de la consommation de substance ; (2) le développement de la
motivation au changement en augmentant les contradictions dans le discours du patient ;
(3) la définition des objectifs en fonction du stade de motivation au changement et ;
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : Charles.bonsack@chuv.ch (C. Bonsack).
KEYWORDS Summary
Cannabis; Background. — People suffering from psychiatric disorders abuse alcohol or illicit substances
Psychotic disorder; twice as frequently as the general population. This problem is even more frequent in the early
Substance abuse; phase of psychotic disorders where prevalence of substance abuse ranges, according to various
Comorbidity; studies, from 35 to 65% during first psychotic episode. Cannabis is currently the most frequently
Dual diagnosis; used substance, and although its impact is often minimised, many data suggest it constitutes a
Motivational risk for psychosis at three levels: (a) possible toxic psychosis in healthy individuals, (b) relapse
interviewing of positive symptoms in schizophrenia and (c) raises the risk of schizophrenia when used early
during adolescence. Despite a persistent controversy regarding some of these findings, they
have constituted a sufficient body of evidence to support the development of specific inter-
ventions for psychotic patients. Various authors have described the fundamental elements of
such dual diagnosis treatments, and some intervention programs have recently been develo-
ped. However, their relative complexity and the long duration of such interventions are often
not well adapted to patients with limited motivation and low level of insight. Moreover, many
obstacles arise that complicate their application to early psychotic disorders: minimisation of
deleterious effect of cannabis by young people, distrust linked to psychotic symptoms, cogni-
tive disturbances, stigmatisation of psychiatry, and use of cannabis as a means to socialise with
peers. It is therefore important to adapt interventions to the specific needs of such patients
and particularly to adopt a realistic attitude, aiming at increasing motivation to change habits
and minimising associated risks rather than total abstinence. Our objective is to develop a
pragmatic, non-judgemental approach, based on motivational interviewing techniques that is
adapted to early psychosis with comorbid cannabis abuse, aimed at reducing the risks associa-
ted with abuse. In this article, we describe the basic principles and various stages of a brief
motivational intervention developed for the treatment of cannabis abusers, going through the
early phase of a psychotic disorder. The conceptualisation of the intervention was based on an
extensive literature review and our experience in the treatment of such patients, as well as in
the treatment of alcohol abuse through motivational interview.
Methods. — Our intervention uses motivational interviewing techniques (empathic, non-
judgemental approach, aimed at developing insight regarding potential consequences of
cannabis abuse through the exploration of both its positive and negative aspects) and can be
adapted to the patient’s stage of motivation for change. Its basic principles are: (a) to address
questions related to psychosis and cannabis simultaneously; (b) to take into account cognitive
dysfunction related to illness and treatment; (c) to adapt techniques of reflective listening; and
(d) to structure the interview through frequent summaries and by considering successively the
positive and negative aspects of cannabis. The intervention is composed of four sessions: (1)
creation of an alliance and evaluation of the level of cannabis abuse; (2) development of moti-
vation to change by increasing contradictions between patient’s affirmations; (3) definition of
objectives according to the level of motivation to change; and (4) adaptation of the subsequent
intervention according to the degree of motivation to change.
Results. — A pilot study showed that this intervention can be implemented in the target popu-
lation. It revealed that it facilitated the establishment of a trustful relationship, in the frame
of which ambivalence regarding cannabis abuse could be explored. The fact that the therapist
makes the first step, shows empathy and tries to understand patient’s motivations to use can-
nabis, leads patients to expose their ambivalence with less reluctance and to become more
aware of the possible links between cannabis and psychotic disorders.
Conclusion. — This method is particularly well adapted to patients who are in a pre-
contemplative stage. Additional studies are needed in order to evaluate its efficacy in terms of
decrease in the risks related to cannabis abuse.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
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Les personnes souffrant de troubles psychiatriques Ziedonis et al. [30] ont été les premiers à décrire les
consomment deux fois plus de substances et d’alcool principes d’une intervention motivationnelle adaptée aux
que la population générale, le cannabis étant la drogue doubles diagnostics. Carey et al. [6] ont ensuite décrit
illicite dont l’usage est le plus fréquent [23,29]. La de manière détaillée une intervention clinique inspirée
consommation régulière de substance atteint 35 à 45 % de ces principes, que Martino et al. [18] ont repris de
des patients au moment du premier épisode de psychose manière légèrement différente pour un public plus large.
[15,28]. De nombreux patients apprécient les effets de Par ailleurs, Edwards et al. ont développé un programme
cette substance et l’utilisent largement, alors que des mixte éducatif et motivationnel spécifiquement adapté aux
données montrent que le cannabis représente un risque psychoses débutantes et à la consommation de canna-
lors d’une schizophrénie avérée ou en cas de vulnérabilité bis [10]. Pour notre part, nous avons également centré
à la psychose. Premièrement, une psychose toxique peut notre intervention sur les jeunes psychotiques consom-
survenir [25] en particulier lorsque les taux de THC mant du cannabis, en gardant un axe motivationnel plus
dans la résine de cannabis dépassent 10 % [11], avec des restreint, après avoir constaté que l’approche éducative
conséquences potentiellement graves pour le patient et suscitait trop de réactance et qu’il était plus favorable
son entourage [20]. Deuxièmement, la consommation de d’inscrire l’échange d’information dans un cadre motiva-
cannabis à l’adolescence pourrait doubler le risque de tionnel « pur ». De plus, comme la plupart des patients
développer une schizophrénie à l’âge adulte [2] : plus la concernés ne sont initialement pas motivés à changer leurs
consommation est précoce et importante, plus le risque habitudes de consommation, nous avons préféré « ralentir »
est élevé [26], particulièrement pour un sous-groupe de le déroulement des séances pour mieux développer les
personnes qui présentent une vulnérabilité à la psychose contradictions avant de fixer des objectifs de changement.
[12]. Troisièmement, lors de psychose avérée, la consom- Enfin, nous proposons de matcher les interventions au stade
mation de cannabis double le risque de rechute, même de changement à partir de la quatrième séance, en ouvrant
lorsque les patients suivent régulièrement un traitement à de multiples possibilités tout en gardant un axe cohérent.
antipsychotique [16]. Dans les psychoses débutantes, la
poursuite d’une consommation de substance est associée à
une diminution du niveau de fonctionnement social [1] et L’approche motivationnelle
à une rémission moins fréquente des symptômes psycho-
tiques, alors que l’arrêt de la consommation permettrait de La plupart des auteurs s’accordent à donner une place
retrouver une évolution comparable aux personnes toujours prépondérante aux approches motivationnelles dans le
abstinentes [15]. Une approche thérapeutique spécifique, traitement des abus de substances. Contrairement à
respectueuse du patient et visant à minimiser les risques d’autres formes de thérapie où la demande du patient
doit donc être développée. De nombreux obstacles doivent est une exigence préalable nécessaire, l’intervention moti-
être surmontés pour une telle approche. Chez les jeunes vationnelle donne au clinicien des outils spécifiques pour
patients, le cannabis a l’image d’une drogue globalement s’adapter à différents niveaux de motivation. Le but de
inoffensive, synonyme de plaisir et de révolte tranquille cette intervention vise à développer la perception des
contre l’ordre établi [8]. De nombreux effets du cannabis conséquences de la consommation, à renforcer la motiva-
sont ressentis comme positifs et sont recherchés à des tion du patient et son adhésion au changement, ainsi qu’à
fins « thérapeutiques » : se relaxer, prendre du bon temps, augmenter son sentiment d’efficacité personnelle, tout en
diminuer les émotions désagréables telles que la tristesse limitant la réactance. La réactance est un phénomène de
ou l’ennui [7]. Les patients présentent une méfiance, une résistance qui se développe lorsqu’une personne se sent
faible conscience de la maladie. Ils souffrent de troubles limitée dans ses choix et sa liberté individuelle et qui aug-
cognitifs, liés aux troubles eux-mêmes ou aux médicaments : mente l’envie de réaliser le comportement menacé d’être
troubles de la mémoire à court terme, difficultés à organiser limité [5]. Par exemple, l’approche motivationnelle évite
et hiérarchiser les pensées, distractibilité. Les symptômes une attitude moralisatrice visant à interdire la consomma-
négatifs eux-mêmes peuvent se combiner ou être confondus tion, qui suscite la réactance et inciterait la personne à
à une absence de motivation. Enfin, le cannabis est parfois poursuivre le comportement menacé : « c’est ma liberté de
utilisé comme facteur de sociabilité, à la fois pour lever fumer ! » Le clinicien utilise un style empathique et sans
les inhibitions, mais aussi pour son aspect convivial. En jugement qui stimule la responsabilisation du patient et aug-
conséquence, la plupart des patients ayant un double mente la confiance dans sa capacité à changer son compor-
diagnostic sont peu motivés à changer leurs habitudes de tement. Six niveaux de motivations (stades de changement)
consommation. Ils sont particulièrement fréquents parmi ont été décrits dans le cadre du modèle transthéorique
les patients « porte tournante », dans le domaine des soins de Prochaska et Di Clemente [22] : la précontemplation, la
aigus et dans les équipes de suivi intensif dans le milieu contemplation, la préparation, l’action, la maintenance et
[30]. Le but de cet article est de décrire l’intervention la rechute. Au stade de précontemplation, le sujet poursuit
motivationnelle que nous avons adaptée aux consomma- la consommation de substance, n’est pas motivé à modifier
teurs de cannabis souffrant de psychose, à partir des ses habitudes durant les six prochains mois et nie ou mini-
principes thérapeutiques adaptés aux doubles diagnostics mise que les problèmes associés soient reliés à la consom-
[3,6,18,30] et de la réalisation d’une expérience pilote mation de substance. Au stade de contemplation, le sujet
[19]. poursuit la consommation de substance, mais reconnaı̂t que
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la poursuite de cette consommation constitue un problème sonnes souffrant de schizophrénie éprouvent des difficultés
et exprime un certain intérêt à l’idée de changer ses habi- à focaliser leur attention, à filtrer des détails sans impor-
tudes de consommation, tout en restant ambivalent à l’idée tance et à hiérarchiser des priorités [14]. Elles présentent
de renoncer à cette consommation. Au stade de préparation, des troubles de la mémoire immédiate et de la mémoire de
la personne continue la consommation de substance, mais travail, en particulier de la mémoire verbale. Distraites par
manifeste un intérêt pour fixer des objectifs pour modi- la présence d’hallucinations ou d’interprétations délirantes,
fier sa consommation. Au stade de l’action, la personne elles ont également des difficultés à se concentrer sur cer-
tente activement de modifier sa consommation et est prête tains aspects de leur environnement ou à communiquer avec
à participer au traitement. Dans le stade de maintenance, autrui. Pour s’adapter à ces troubles cognitifs, l’intervention
le sujet est resté abstinent durant plus de trois mois mais motivationnelle doit inclure des stratégies de répétition,
moins de cinq ans et la dépendance reste un aspect impor- l’utilisation de matériel visuel et verbal simple et des pauses
tant de sa santé mentale [22]. Notre intervention adopte durant les séances [18]. Le thérapeute doit contribuer à
la philosophie de réduction des risques [17], plutôt que de structurer le discours en focalisant activement son atten-
se focaliser sur l’abstinence. Cette perspective s’intéresse tion sur les éléments du discours qui sont pertinents et
aux conséquences sociales, physiques et psychologiques de logiquement organisés, sans perdre de vue les principes de
la consommation de substance, plutôt qu’à la substance l’entretien motivationnel [6].
elle-même. Une diminution des conséquences négatives est
considérée comme un résultat positif, même si la personne Adapter les techniques d’écoute réflexive
n’est pas parvenue à l’abstinence. Modifier sa consommation Les techniques motivationnelles doivent être adaptées aux
constitue un but plus réaliste et plus aisément atteignable troubles psychotiques [18] : (a) utiliser un langage concis
pour un patient peu motivé et son thérapeute. et simple, en particulier dans les questions ouvertes ;
(b) refléter régulièrement la position du patient ; (c) orga-
Techniques motivationnelles adaptées aux doubles niser les considérations du patient à l’aide de résumés et ;
diagnostics (d) donner suffisamment de temps au patient pour répondre
aux reformulations et résumés. Carey et al. [6] insistent
Le modèle motivationnel adapté aux doubles diagnostics sur l’importance des résumés et suggèrent de les utili-
vise des objectifs thérapeutiques réalistes qui tiennent ser de manière répétée durant les séances et à la fin de
compte de la sévérité des troubles, du niveau de motivation chaque activité thérapeutique. Ces résumés ont pour fonc-
et du type de substance utilisée, en intégrant le traitement tion de soutenir l’organisation du discours, de souligner
des abus de substance dans le traitement psychiatrique [30]. l’ambivalence (comme avec le double reflet, qui consiste
Ses principes sont les suivants [6,18,30]. à refléter les avantages et les inconvénients exprimés
par le sujet), d’assurer une base de compréhension com-
mune entre patient et thérapeute, de permettre au patient
Adopter une approche intégrée des questions de
d’accepter ou de rejeter la compréhension de la situa-
substance et des troubles psychotiques
tion par le thérapeute et de renforcer la collaboration
Le problème d’abus de substances doit être traité sans le
en sollicitant des feedbacks de la part du patient. Ces
dissocier du trouble mental, en examinant comment les
auteurs soulignent aussi l’importance d’autres aspects des
deux problèmes interagissent entre eux [9,30]. Par exemple,
techniques motivationnelles tels que souligner l’autonomie,
certains patients luttent contre l’émoussement affectif lié
le contrôle et la responsabilité ; demander d’élaborer et
aux symptômes négatifs ou aux effets secondaires des
l’utilisation des affirmations par le thérapeute. Enfin, les
médicaments par la consommation de cannabis. Souvent,
supports écrits ou visuels peuvent contribuer à pallier aux
être « toxicomane » leur paraı̂t préférable à « malade psy-
troubles de mémoire verbale. Ces supports visuels peuvent
chiatrique ». Comme pour les autres consommateurs, les
constituer en plaquettes d’information sur le cannabis et la
mêmes aspects du cannabis sont appréciés : moments de
psychose, en grille de balance (GBD) décisionnelle person-
plaisir, de relaxation, d’oubli de la tristesse et des difficultés
nalisée, en fiches d’activités ou en fiches d’objectifs.
de la vie. L’interaction entre la consommation de cannabis
et les troubles psychotiques n’est souvent pas aussi évidente
pour le patient que pour le thérapeute. Toutefois, une forte Expérience pilote
motivation peut être provoquée par un premier épisode psy-
chotique après une forte consommation de cannabis et peut Afin d’examiner la faisabilité de l’intervention et de
être amplifiée par l’intervention thérapeutique [10]. Pour l’adapter spécifiquement à une population de jeunes
d’autres patients, cette connexion doit être travaillée en consommateurs de cannabis souffrant de psychose,
examinant en parallèle la consommation de cannabis et les nous avons réalisé une expérience pilote. L’effet de
fluctuations des symptômes tels que la méfiance, la lecture l’intervention sur la quantité de cannabis consommée
de pensée ou les hallucinations auditives. durant les trois mois suivant et la motivation au changement
ont aussi été mesurés. Vingt-trois personnes souffrant de
Tenir compte des troubles cognitifs liés à la maladie et trouble psychotique selon la CIM — 10 (F2) et consommant au
au traitement moins trois joints de cannabis par semaine ont été identifiés
Des troubles neuropsychologiques liés à la maladie ou cer- sur une période de trois mois. Vingt personnes ont accepté
tains effets secondaires des traitements médicamenteux de participer à l’étude (7 hospitalisés et 13 ambulatoires).
peuvent interférer avec les techniques d’intervention qui Douze d’entre eux ont suivi l’intervention complète,
font appel à la mémoire verbale et à l’attention. Les per- dont 80 % des patients ambulatoires (un hospitalisé
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changements est clairement soulignée. L’évaluation de la sans que le sujet ne se sente obligatoirement directe-
consommation s’intéresse aux faits, sans prendre parti ment concerné. Ces informations pourront être reprises en
et sans jugement moral. Un entretien semi-structuré et lien avec l’expérience du sujet au terme de la deuxième
des outils d’évaluation adaptés [13] permettent de gui- séance.
der l’évaluation, de façon à non seulement quantifier la
consommation, mais aussi d’examiner les éléments qui per-
mettent de poser le diagnostic d’abus ou de dépendance et Séance 2
d’examiner les conséquences immédiates ou à long terme
de la consommation. En cas d’abus, on pourra constater Même si l’intervention motivationnelle vise à augmenter la
des conséquences tel que les accidents, les rapports sexuels motivation du patient au changement, le premier pas est
non protégés, les répercussions sur le fonctionnement psy- d’abord du côté du thérapeute : manifester de l’empathie
chologique, les effets sur l’emploi, les relations conjugales pour le patient, comprendre ses motivations à consommer
ou familiales, les problèmes avec la justice ; ou en cas du cannabis, accepter sa vision du monde et comprendre les
de dépendance, le temps consommé à la consommation, obstacles aux changements éventuels. La première séance
les essais infructueux d’arrêter, les envies irrépressibles visait à explorer de manière factuelle la consommation de
(craving), les symptômes de sevrage, la poursuite de la cannabis : cette deuxième séance a pour but de comprendre
consommation malgré des conséquences nocives reconnues les motivations du patient à consommer du cannabis, à aug-
par le sujet, comme les coûts et les risques pris pour se menter les contradictions et, le cas échéant, à dégager la
procurer la substance [21]. L’évaluation peut aussi mettre motivation au changement à l’aide des techniques motiva-
en évidence des sources externes de motivation telles que tionnelles décrites plus haut. L’entretien motivationnel vise
les éventualités d’un emprisonnement, d’une perte de loge- à limiter la réactance, qui augmente la motivation d’une
ment, de soutien financier, d’emploi, ou de conflit familial personne à accomplir un comportement lorsque sa liberté de
ou de couple [30]. Enfin, l’évolution de ces paramètres choisir est limitée, afin de prouver qu’elle n’a pas été privée
permet de discuter les changements survenus en cours de son libre arbitre [5]. Les techniques motivationnelles
de traitement. La relation perçue par le patient entre limitent la réactance, d’une part en adaptant l’intervention
la consommation de cannabis et les troubles psychiques au stade de changement et d’autre part en « roulant avec
constitue le deuxième point à examiner, notamment en les résistances » du patient. Le thérapeute ne fait que souli-
discutant la concordance temporelle entre le début des gner certains éléments du discours de manière sélective de
troubles psychiques et le début de la consommation. Dans façon à amplifier la propre motivation du patient à changer
un premier temps, le thérapeute s’abstient de faire des ses habitudes de consommation. Par exemple :
interprétations à partir de ces constats. Ces questions ne
seront approfondies qu’au deuxième entretien, avec l’aide
P : Fumer, j’aime ça. Ça amplifie les sensations. Ça
de techniques motivationnelles spécifiques. En général,
me fait sentir des émotions nouvelles. Ça me rend
les patients apprécient la mise à plat réaliste et honnête
heureux.
de leur consommation, sans jugement moral ni conseil [30].
T : Fumer du cannabis, ça amplifie vos sensations et ça vous
Au terme de l’évaluation ou au début de la séance sui-
rend heureux (reflet simple).
vante, le thérapeute fait un résumé succinct des constats
P : Bon. Si je me sens mal, ça me fait me sentir plus mal
sur la consommation, de la position du patient par rapport à
aussi.
cette consommation et des liens éventuels avec les troubles
psychiques. Nous proposons ensuite une information sur le
cannabis et ses interactions avec les troubles psychiques. Ce Pour éviter de perdre le fil de l’entretien malgré les
partage d’informations est délicat, puisqu’il peut aisément troubles de la pensée, nous suggérons de s’appuyer sur le
susciter la réactance si le sujet se sent trop directement déroulement temporel de la grille de balance décisionnelle,
concerné et pris à parti par une position d’expert. Le but qui permet de discuter les avantages et les inconvénients
n’est donc pas de convaincre la personne, mais d’examiner de la consommation de substance. Contrairement à cer-
avec elle comment elle se situe par rapport à ces connais- tains auteurs [30], nous pensons que la GBD peut être
sances. Carey et al. [6] proposent de situer la consommation utilisée à tous les stades de changement et non seulement
du patient par rapport à l’usage de cannabis dans la popu- dans un stade de contemplation [6]. Suivant cette grille,
lation générale et d’ouvrir la discussion sur une « norme » l’intervenant explore d’abord de manière approfondie les
de consommation sans jugement moral. Nous partageons aspects positifs de la consommation de cannabis, puis seule-
plutôt des informations spécifiques sur l’influence du can- ment ensuite les aspects négatifs. Cette structuration de
nabis sur la psychose dans la population (possibilités de l’entretien est utile pour le patient souffrant de psychose,
psychose toxique, facteurs de risque pour la schizophrénie dont le discours peut être incohérent ou digressif, mais aussi
et d’aggravation pour l’évolution d’un trouble psychotique), pour le thérapeute, qui pourrait être tenté d’évoquer trop
en respectant volontairement une certaine neutralité. Notre vite les aspects négatifs de la consommation et susciter ainsi
objectif est d’introduire le lien entre cannabis et psychose, de la réactance. Dans ce cadre, tous les patients, même les
en examinant de manière critique aux côtés du sujet des moins motivés expriment un certain degré d’ambivalence.
données scientifiques sur les interactions entre troubles psy- De plus, parler des avantages de la consommation permet
chiques et cannabis. Dans cette phase, le but est moins de de manifester de l’empathie pour le patient, en essayant
faire un lien direct avec l’expérience personnelle du sujet, de comprendre sincèrement quelles sont ses motivations et
mais d’abord de prendre connaissance de données scienti- d’ouvrir la discussion sur des alternatives à cette consom-
fiques plus générales pouvant toucher d’autres personnes mation.
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