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Historiquement, la psychothérapie des psychoses a été liée à la psychanalyse dans les questions autour de
la possibilité de transfert chez les psychotiques puis dans les aménagements de la technique
psychanalytique et dans l’utilisation du contre-transfert. Elle s’est ensuite construite à partir des soins
institutionnels, que ce soit en pensant l’institution comme partie prenante du dispositif thérapeutique ou
que ce soit dans l’utilisation des médiations thérapeutiques groupales ou individuelles. L’essor des
médicaments et la formalisation d’autres techniques psychothérapiques (psychothérapies familiales,
cognitives et comportementales [TCC]) a mis en avant la nécessaire coordination des soins pour aller
d’une psychothérapie exclusive centrée sur un type de traitement vers une psychothérapie intégrative. Le
modèle dominant actuellement notamment aux États-Unis est un modèle psychosocial qui utilise le
traitement médicamenteux, une psychothérapie familiale et des techniques psychothérapiques de type
TCC. L’objectif de cette prise en charge est de limiter les rechutes et les conséquences des symptômes
négatifs qui entraînent isolement et désinsertion. Récemment, la psychothérapie des psychoses s’est
centrée sur la prise en charge des débuts de la maladie à l’adolescence, sur de nouvelles modalités de
traitement psychanalytique et sur l’évaluation des différentes psychothérapies ou de leurs associations
éventuelles. L’avenir des psychothérapies des psychoses articule la dimension évaluative afin de pouvoir
définir de véritables stratégies thérapeutiques intégratives et la dimension individuelle où la rencontre
avec un sujet est au cœur du dispositif thérapeutique et où la psychanalyse garde toute sa place.
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Mots clés : Psychothérapie des psychoses ; Psychanalyse ; Thérapies familiales ; Thérapies à médiation ;
Psychothérapie intégrative ; Évaluation des psychothérapies
Psychiatrie 1
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psychique même si dans les conceptions familiales ou cogniti- Si les objections à l’utilisation des psychothérapies sont
vocomportementales l’approche des troubles psychotiques se rapidement évacuées, la réflexion sur les difficultés de la
fait plus à partir d’une observation symptomatique. Ce double psychothérapie des psychoses est plus intéressante. Ces difficul-
point de vue illustre la complexité et la variété des outils tés sont essentiellement d’ordre théorique, et concernent la
thérapeutiques dans l’approche psychothérapique des psychoses. capacité des psychotiques à s’engager dans une relation transfé-
Nous suivrons l’évolution du concept de psychothérapie des rentielle, indispensable à toute psychothérapie. Pour que la
psychoses d’un point de vue historique, psychanalytique, psychothérapie s’engage le thérapeute doit tenir compte de la
institutionnel pour ensuite nous pencher sur l’évolution plus fragilité du Moi et de la spécificité des mécanismes de défense.
récente du concept dans l’utilisation de thérapies familiales ou Pour ce faire, il doit privilégier « le plan non verbal de la
psychosociales pour enfin évoquer les enjeux les plus actuels communication purement inconsciente, et cette part est
dans la prise en charge des adolescents, dans les nouvelles incontestablement la plus grande » [1, 2].
modalités de la psychanalyse ou dans l’évaluation des effets ou
de la place de la psychothérapie dans les soins aux patients
psychotiques.
Psychanalyse entre clinique et théorie
Dans les articles suivants, notamment dans celui de l’EMC
toujours rédigé par Racamier en 1984 [11], les questions centrales
■ Éléments historiques concernent l’articulation entre la théorie de la clinique des
psychoses et la théorie de la technique de manière générale et
Historiquement, la psychothérapie des psychoses est indisso- de manière plus spécifique dans la cure psychanalytique. Le
ciable de la psychanalyse, même si pour Racamier [1, 2], les corpus théorique principal à l’époque est la psychanalyse mais
premières interprétations, commencent dès l’Antiquité grecque. les approches biologique et pharmacologique d’un côté, et
Les premières conceptualisations vont apparaître, en France, familiale de l’autre, commencent à prendre de l’ampleur.
après la seconde guerre mondiale. Elles vont s’appuyer sur la Plusieurs approches théoriques vont s’opposer. Elles repren-
théorie psychanalytique et vont s’organiser dans deux directions nent en partie l’opposition entre la théorie kraepelinienne [12]
complémentaires. La première qui débouchera sur la notion de de la dégénérescence, concept central de la démence précoce et
psychothérapie institutionnelle se fixe comme objectif de la théorie bleulérienne [13] de la dissociation (spaltung), au cœur
transformer l’asile en un instrument de soins. Il s’agit à la fois de la notion de schizophrénie. D’un côté on trouve les tenants
de penser l’institution comme un organisme vivant et malade d’un Moi psychotique faible, non mature qui a régressé au stade
et le quotidien comme partie prenante du dispositif psychothé- oral et de l’autre, les tenants d’un fonctionnement spécifique
rapique. Les psychothérapeutes et les psychanalystes sortent du des psychotiques. Ce fonctionnement se construit autour de
cadre strict de la cure et commencent à « s’occuper des modalités défensives particulières comme le déni, le clivage et
23 autres heures de la vie des patients » selon la formule de la projection pour les freudiens, l’identification projective et la
Racamier [3] . La deuxième direction utilise la psychanalyse position schizoparanoïde pour les kleiniens, et la forclusion du
comme modèle de compréhension psychopathologique et Nom du Père pour les lacaniens [14].
propose une technique thérapeutique s’inspirant de la psycha-
nalyse dans ses modalités thérapeutiques. La faiblesse du Moi
Dans les pays anglo-saxons, la psychothérapie des psychoses
a débuté dès les années 1930 et selon la même dualité d’appro- Federn [15] a le premier mis en avant la faiblesse du Moi dans
che. D’un côté des auteurs qui à partir de leur pratique institu- la psychose. Contrairement à l’hypothèse freudienne première
tionnelle vont exposer leur travail psychothérapique. Ainsi, d’un surinvestissement libidinal du Moi psychotique, il va
Bullard [4], Fromm-Reichmann [5] vont décrire leur pratique postuler une insuffisance d’investissement libidinal du Moi.
psychothérapeutique à partir de leur expérience à la clinique de Cette carence narcissique limite la possibilité d’investissement
Chesnut-Lodge à Washington. Il en sera de même pour K. et C. objectal par le psychotique et détermine la faiblesse des limites
Menninger à la Menninger clinic [6]. De l’autre côté, des auteurs et du sentiment du Moi dans la psychose, ce qui débouche sur
vont s’appuyer sur leur conception psychanalytique de la les angoisses de dépersonnalisation. Un des objectifs de la
psychose pour mieux proposer de nouvelles modalités de psychothérapie est de renforcer les limites du Moi et de favori-
traitement. Ce sera notamment le cas de Mélanie Klein [7] et ser sa différenciation et son intégration.
d’auteurs post-kleiniens comme Bion [8], Segal [9] ou Rosen- Ce défaut d’intégration est repris par Racamier dans ses
feld [10] qui tous seront partisans d’une application stricte du notions de « personnation et de dépersonnation ». S’appuyant
cadre psychanalytique aux patients psychotiques. sur les travaux de Federn et de l’égopsychologie, il définit la
personnation comme le mécanisme par lequel le Moi va
pouvoir fonctionner de manière intégrée, en ayant un senti-
Psychothérapie, psychanalyse ment d’unité et de continuité. Ce travail est effectué par le Soi
des psychotiques : premières questions « le soi tout en manifestant un degré capital de l’évolution du
Moi, c’est-à-dire de l’intégration des fonctions adaptatives du
Les articles de Racamier dans l’EMC de 1958, sur « La tech- sujet, constitue (...) comme le garant de cette intégration et de
nique de psychothérapie dans les psychoses », débutent par la cohésion fonctionnelle » [16]. La personnation est un phéno-
deux parties consacrées aux objections et aux difficultés de la mène universel, spécifique du travail d’intégration de la psyché
psychothérapie des psychoses. Racamier balaye d’un trait la humaine.
première objection car pour lui il est indéniable que l’on peut L’attaque de la vie psychique dans ses fondements, son
utiliser la psychothérapie dans le traitement de psychoses. Il identité, ses capacités de liaison caractérise le fonctionnement
souhaite qu’elle soit proposée rapidement et non pas comme psychotique et se traduit par un sentiment de dépersonnation
dernier recours après l’échec « des traitements dit biologiques », durable. La psychothérapie a comme objectif de remettre en
et seulement une fois que « le milieu est assaini », c’est-à-dire marche les processus de liaison pour rendre à nouveau possible
une fois que les conditions de vie hospitalière ou familiale sont le travail de personnation.
suffisamment étayantes pour permettre le travail psychothéra- Les théories de Sechehaye s’inscrivent également dans ce
pique. Il réfute tout aussi rapidement la deuxième objection, courant d’un Moi psychotique faible. Pour elle, la faiblesse vient
mettant en avant la nécessité de promouvoir « une psychiatrie de l’accumulation de frustrations réelles qu’a du subir le
saine et efficace (...) psychothérapique » [1, 2] en raison de la psychotique dans sa petite enfance, ce qui a conduit à la
multiplicité des facteurs en jeu. Le débat qui fait rage à l’époque désagrégation de son Moi. Le travail du thérapeute s’appuie sur
concerne l’étiologie des psychoses, opposant les tenants d’une ce qu’elle nomme « la réalisation symbolique » [17]. Il s’agit de
organogenèse à ceux d’une psychogenèse, les premiers s’oppo- réparer les frustrations subies, réparation fantasmatique, réelle,
sant à ce titre à l’utilisation de la psychothérapie. voire corporelle à travers des échanges directs avec le patient.
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Dans le « Journal d’une schizophrène » [18] elle donne à psychanalyse ne peut être pratiquée avec des psychotiques, il
manger une pomme à sa patiente, pomme qui a pour but s’appuie sur une définition stricte de la cure, dans laquelle se
symbolique de réparer les effets du mauvais sein qui l’a frustrée constitue une névrose de transfert dont la résolution permet la
dans sa petite enfance. Sa théorie s’appuie aussi sur les concep- fin de l’analyse. De manière plus générale, le transfert s’appuie
tions de M. Klein sur les bons et mauvais objets, M. Klein avec sur les relations qui vont se nouer entre analysé et analyste ;
qui elle correspondra. parler de transfert chez le psychotique implique de s’appuyer
sur une théorie des relations d’objet dans la psychose.
Des mécanismes de défense spécifiques Pour les tenants d’un Moi faible, les relations d’objet sont
menaçantes pour le psychotique car elles entraînent un surcroît
M. Klein représente un deuxième courant de pensée dans les
libidinal qui dépasse les capacités d’adaptation du Moi et qui
théorisations de la psychose, dans lequel le fonctionnement
majore la fragilité narcissique. Du côté d’une définition au plus
psychotique se caractérise par des modalités défensives spécifi-
proche de la définition freudienne du transfert, on trouve la
ques organisées autour de la position schizoparanoïde. Cette
position de Lébovici pour qui, dans la psychose, « le Moi est si
phase du développement concerne les 4 premiers mois de la vie
altéré dans son fonctionnement que le transfert ne se consti-
du bébé. Pour M. Klein, contrairement à S. Freud, les relations
tue » [19]. D’autres auteurs ont ensuite élargi la définition de
d’objet existent dès le début de la vie avant même que le Moi
transfert en s’appuyant sur plusieurs éléments : la mauvaise
ne soit constitué. Les relations d’objets précoces, comme elles
différenciation Moi/non-Moi, l’importance et la persistance des
s’organisent dans la position schizoparanoïde, se divisent en
processus primaires, la difficile séparation entre réalité interne et
relations à de bons objets et des relations à de mauvais objets
réalité externe. Ainsi pour Searles, il s’agit d’un transfert
vécus comme persécuteurs. L’enfant clive donc les relations à sa
symbiotique où derrière la façade première du mépris qui
mère en relation avec un bon sein, gratifiant qui doit être
protège de la désillusion, s’installe une relation d’adoration où
protégé et un mauvais sein persécutant qu’il faut attaquer.
le thérapeute est vécu comme une mère omnipotente. Il s’agit
La maturation et le passage à la position dépressive, après
alors de restituer au transfert sa réalité en le séparant des
4 mois, vont permettre à l’enfant de sortir de ce fonctionne-
processus délirants. Il reconnaît la difficulté à faire la part des
ment clivé pour avoir des relations avec un objet total, bon et
choses entre le transfert psychotique et le transfert délirant
mauvais à la fois. C’est parce que l’enfant va prendre conscience
décrit par Little : « dans le transfert délirant [...] l’analyste est de
qu’en s’attaquant au mauvais, il s’attaquait à sa mère, aussi
manière absolue [...] à la fois les parents idéalisés et leurs
porteuse du bon sein, qu’il va éprouver des sentiments de
opposés » [20] alors que dans le transfert psychotique l’analyste
culpabilité à l’origine du vécu dépressif et des angoisses de perte
est vécu comme l’un ou l’autre des parents dans une identifica-
d’objet.
tion massive et exclusive.
Le psychotique n’a pas accès à la position dépressive, régie
Searles se situe à la jonction avec les théories de M. Klein
par l’ambivalence face à l’objet, il continue à évoluer dans un
dans son utilisation de l’identification projective dans l’instal-
monde où les objets sont clivés en bon et mauvais. Une des
lation du transfert avec le psychotique. Il s’en différencie
modalités défensives préférentielles face aux mauvais objets
cependant fortement puisqu’il se refuse à interpréter le transfert
internes est l’identification projective par laquelle une partie de
tant que celui-ci n’a pas repris une place dans la réalité, c’est-à-
ces mauvais objets (une partie du soi en utilisant une autre
dire que le Moi ne s’est pas suffisamment consolidé pour
terminologie) est placée dans l’objet et peut alors faire l’objet
s’engager dans des relations objectales secondarisées.
d’attaques, dans le but de pouvoir contrôler l’objet.
Pour les kleiniens et les post-kleiniens, l’objet est d’emblée
Le travail du psychanalyste, pour M. Klein, est alors qu’il
présent même s’il se construit en dehors de toute ambivalence
prenne conscience de cette modalité de fonctionnement du
et que les transactions avec lui passent par l’identification
psychotique et qu’il puisse accueillir ces mauvais objets issus de
projective. À ce titre, le transfert doit être analysé d’emblée, tout
l’identification projective.
silence serait pour le patient psychotique source d’angoisse.
Le travail principal se centre sur le ressenti de l’analyste, c’est-
Rosenfeld définit le transfert psychotique comme : « relations
à-dire sur le contre-transfert plutôt que de vouloir d’emblée se
transférentielles intenses et primitives vécues par des patients en
centrer sur le transfert psychotique. Ces conceptions seront
séance dans des moments de régression intense » [21]. Pour lui,
reprises et développées par l’école kleinienne, notamment par
il va s’installer en miroir avec la névrose de transfert « une
Bion par analogie au travail de détoxification de la mère qui,
psychose de transfert ». Le rôle du thérapeute est de contenir ces
par sa capacité de rêverie, va pouvoir modifier les données
mouvements régressifs et ce d’autant plus que leur soubasse-
sensorielles brutes d’origine interne ou externe appelées élé-
ment reste l’identification projective, l’analyse du contre-
ments bêta en éléments alpha (éléments qui sont représentés à
transfert est faite dans un deuxième temps.
la conscience).
Cette fonction alpha, ou fonction de détoxification, fait
défaut chez le psychotique qui continue à être assailli par des Contre-transfert et psychose
données brutes qui ne sont pas transformées en processus de Le contre-transfert tient une place importante dans la
pensée et qui ne peuvent être que projetées à l’extérieur. réflexion théorique de la psychothérapie des psychoses. Comme
Le thérapeute doit dans un premier temps servir d’appareil à le souligne Racamier « La conscience du contre-transfert donne
penser pour le patient, en assurant la fonction de détoxification, les meilleures et parfois les seules indications de l’état du
pour ensuite établir une fonction alpha chez le psychotique. transfert » [22], puis dans l’EMC en 1958 « il est amplement
démontré que le contre-transfert du psychothérapeute joue dans
Psychanalyse entre théorie et technique la cure un rôle réellement essentiel » [1, 2]. Le consensus porte à
la fois sur l’importance et l’analyse du contre-transfert et,
L’ensemble de ces orientations théoriques va déboucher sur
comme le dit Fromm-Reichmann, sur la nécessité « que le
une vaste réflexion sur les questions techniques de la psycha-
thérapeute reste maître de son contre-transfert » [5]. Les modali-
nalyse. La première question porte sur la nécessité d’une
tés vont diverger sur la nature et l’utilisation de ce dernier.
modification de la technique même de la psychanalyse. Pour les
Le contre-transfert avec le psychotique est principalement de
kleiniens il ne faut rien modifier de la technique classique, pour
nature parentale : paternelle dans une excessive rigidité et
les autres, au contraire il faut des aménagements importants.
sévérité, ou à l’inverse maternel dans une bienveillance qui tient
Du transfert dans la psychose à la psychose plus à la surprotection qu’à la neutralité.
La massivité des affects éprouvés par le psychotique met à
de transfert
mal les fonctions de contenance du thérapeute et explique qu’il
Un des premiers débats ou une des premières controverses sur a fallu attendre Bettelheim pour que la question de l’amour que
la place de la psychanalyse dans la psychothérapie des psycho- le thérapeute doit porter ou non à son malade soit résolue par
ses a touché à la notion de transfert. Quand Freud dit que la une formule-titre d’un ouvrage : « L’amour ne suffit pas » [23].
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réinsertion, l’hôpital devenant la première étape du processus de ou transitionnel qui va rendre possible cette émergence d’un
réinsertion. La structuration des clubs thérapeutiques en sujet qui se pense comme une personne et qui peut donc
association loi de 1901 fit dire à Rappard que « les clubs commencer à s’autonomiser sans risquer de disparaître ou d’être
thérapeutiques devenaient ainsi le complément indispensable annihilé par des angoisses effroyables.
des organisations d’hygiène mentale tout en faisant partie Toujours en 1956, le psychanalyste argentin J. Bleger va
intégrante de l’arsenal thérapeutique » [28]. s’engager dans une analyse des effets et du rôle du cadre
La psychanalyse a nourri la réflexion théorique du courant de thérapeutique. Cette réflexion est motivée par un souci de
la psychothérapie institutionnelle. L’institution comme orga- comprendre ce qui, dans certaines cures, vient faire obstacle au
nisme vivant et malade doit faire l’objet d’une analyse « insti- travail thérapeutique, et se pencher sur la spécificité du cadre
tutionnelle », les relations qui se construisent dans l’institution institutionnel. Bleger part de l’analyse du cadre psychanalytique
sont comprises à partir du concept de transfert et de contre- pour ensuite étendre sa réflexion à l’ensemble des processus
transfert, les modalités thérapeutiques sont pensées à partir des thérapeutiques.
concepts freudiens. Ainsi, les clubs thérapeutiques sont « pro- Il sépare, dans le développement de l’enfant, le Moi et le
ches des frayages du pare-excitation conceptualisé par Freud, ce non-Moi, le non-Moi étant issu de la phase de symbiose avec la
qui permet de mettre en jeu de plus faibles quantités d’énergie mère. Sa constitution muette et implicite va permettre au Moi
psychique (...) cette fonction facilite les processus d’inscription de l’enfant de se constituer en se séparant. Le non-Moi renvoie
psychique interne et protège contre les excitations exter- à la période d’indifférenciation dans laquelle le bébé ne se pense
nes » [29]. Le travail de psychothérapie s’engage donc directe- pas encore comme un sujet et ne peut donc concevoir sa mère
ment dans l’institution, en offrant au patient des espaces et par extension les autres comme des objets, d’où cette
différenciés et des modalités de rencontres variées. dénomination de non-Moi. « Les institutions et le cadre consti-
tuent toujours un “monde fantôme” celui de l’organisation la
Institution et cadre thérapeutique plus primitive et la moins différenciée ce qui est toujours là ne
se remarque que lorsqu’il vient à faire défaut » [34].
La psychothérapie institutionnelle a ouvert le champ d’exer- Cette vision du cadre vient compléter celles de Freud et de
cice de la psychanalyse en dehors du cadre strict du cabinet de Winnicott. D’un côté, Freud mettait en avant une fonction que
l’analyste et du divan pour l’élargir à la psychothérapie de l’on peut qualifier de paternelle, dans l’établissement de règles
patients psychotiques en institution, comme en atteste le titre à ne pas transgresser, oscillant entre un rappel à la loi et une
du livre coordonné par Racamier « Le psychanalyste sans vision surmoïque interdictrice du cadre, où le cadre est le
divan » [30] . Elle a aussi eu comme effet de proposer des vecteur du processus thérapeutique.
modifications de la technique même de la cure psychanalytique De l’autre, la vision maternelle de Winnicott pour qui les
dans une réflexion centrée principalement sur le cadre de soins fonctions du cadre se déclinent à partir des fonctions de la
qui est une notion élargie du cadre analytique. mère, maternante et contenante et sur la création d’un espace
Pour Freud le cadre analytique a une place centrale dans le transitionnel, premier aménagement de la séparation pour
dispositif de la cure, c’est-à-dire dans le processus thérapeutique. l’enfant, le cadre appartenant à l’ensemble du dispositif.
Il va construire progressivement le cadre analytique en étant Bleger sort de cette dialectique pour introduire une dialecti-
orienté par les patients qu’il reçoit. Ainsi, lors d’une consulta- que plus archaïque entre processus et non-processus. Le travail
tion de 1889 avec Emmy von N., elle lui demande « Ne bou- en institution et avec des psychotiques lui fait penser le cadre
gez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » [31]. Cet énoncé avant les enjeux œdipiens, quand il s’agit de constituer une
conforte Freud dans la mise en place d’un cadre thérapeutique trame, un squelette sur lesquels des éléments vivants et plus
fixe. mobiles pourront alors s’accrocher : quitter la période de non-
Le cadre, dans sa conception de dispositif, se construit à la Moi pour aller vers celle d’un Moi qui se constitue.
fois sur des éléments matériels comme la fréquence ou la durée D’autres auteurs comme Anzieu [35] et Kaës ont poursuivi la
des séances, mais aussi sur des éléments plus techniques comme réflexion théorique sur le cadre de soins. Pour Kaës dans la suite
l’association libre ou les interdits du toucher et de l’agir pour des travaux d’Anzieu sur le Moi-peau, le cadre thérapeutique a
l’analyste. une double fonction de « conteneur qui débouche sur la
Winnicott va poursuivre et enrichir la réflexion freudienne transformation des processus psychiques et sur la métabolisation
sur le cadre psychanalytique. En 1956, il introduit la notion de des contenus destructeurs » et une « fonction transitionnelle qui
setting, qu’il définit comme « la somme de tous les détails de rétablit la capacité de symbolisation par l’intermédiaire du jeu
l’aménagement du dispositif de la cure psychanalytique » [32]. notamment » [36].
Pour Winnicott, on peut faire un parallèle entre les premières Racamier va s’appuyer sur tous les travaux précédents et sur
interactions mère-enfant et l’organisation des soins aux patients son travail à La Velotte pour mettre en avant la transposition
les plus fragiles, et notamment aux psychotiques. Le cadre nécessaire du cadre analytique vers le cadre de soins. L’objectif
thérapeutique a donc une triple fonction de holding, de conte- de cette transposition étant de « pouvoir y recevoir des psychés
nance, de handling, de maintenance et de nursing, de soins. essentiellement discontinues qui sont propres à la
L’établissement du cadre pour Winnicott « ne va pas de psychose » [37].
soi » [33] et pourtant il est au centre du soin aux patients les plus Une autre partie de son travail concerne la composition du
vulnérables, ceux qui doivent à un moment de leur existence cadre des soins. En cela, il rejoint Bleger qui distingue l’aspect
être hospitalisés. L’objectif sous-tendu derrière cette conception invariant quasi mécanique du cadre et l’aspect actif qu’il
du cadre est double. Le premier objectif concerne l’émergence nomme « le processus ». Le processus pour Racamier est agi par
du self. Le cadre va, en ayant les capacités attribuées à la mère les soignants mais doit être porté par une réflexion globale, celle
et liées au maternage, pouvoir jouer un rôle de contenance, de qui insuffle l’esprit des soins, esprit sans lequel le cadre n’est
pare-excitation devenant une sorte d’appareil à penser selon la qu’une coquille vide de sens beaucoup plus toxique que
terminologie de Bion. bénéfique car elle laisse le patient psychotique face à son
Les soins ne se limitent ni ne se substituent à un maternage monde fantôme, c’est-à-dire face à ses pulsions d’autoconserva-
défaillant mais permettent véritablement une restauration tion, de répétition et de fusion.
narcissique qui débouche sur un investissement moins anxio-
gène de la réalité.
Le deuxième objectif est de permettre au patient de sortir de Institution et médiations thérapeutiques
l’état de dépendance et de fusion induit par la psychose. La
séparation avec les parents est impossible en raison de l’absence La réflexion sur la psychothérapie des psychoses par la
de travail de personnification selon la terminologie de Winni- psychothérapie institutionnelle a mis en avant les médiations
cott. Le cadre, en raison de ses propriétés intrinsèques de thérapeutiques, en en faisant un outil essentiel du soin psycho-
fiabilité et de permanence, va délimiter un espace intermédiaire thérapique des patients psychotiques, notamment chroniques.
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Les activités thérapeutiques ont commencé en psychiatrie au processus créatif et délire dans les ateliers de pratique artistique,
e
XIX siècle. La notion de médiation thérapeutique s’est cons- sensations corporelles et hallucinations cénesthésiques dans les
truite en s’appuyant sur deux concepts complémentaires : la prises en charge corporelle.
notion d’intermédiaire chez Freud et celle de transitionnalité Le corps a une place particulière dans les médiations théra-
chez Winnicott. À partir de ses travaux sur l’objet transitionnel, peutiques. S’il peut être outil de médiation, il ne peut s’y
Winnicott va introduire la notion de transitionnalité et d’aire résumer puisqu’il est d’abord et avant tout le premier support
transitionnelle ou intermédiaire. Comme l’objet transitionnel et la première forme que revêt le Moi du sujet. Pour Freud, le
qui se situe entre la mère et l’enfant tout en n’étant ni la mère Moi est avant tout un Moi corporel. Le corps est aussi le
ni l’enfant, l’aire transitionnelle se situe entre le monde premier mode de communication. Dans la psychose, le corps est
intérieur et le monde extérieur tout en étant composé en partie malmené, dissocié, morcelé. Pour Pankow, la dissociation dans
par chacun des deux. Elle permet à l’enfant, qui va par le jeu son expression corporelle se définit comme « une destruction de
investir cette aire transitionnelle, de mettre sa créativité au l’image du corps telle que les parties perdent le lien avec le tout
service de l’investissement de la réalité extérieure, de supporter pour réapparaître dans le monde extérieur » [42]. Elle propose de
« la désillusion » de la perte de la fusion maternelle. travailler sur les « failles » de la construction de l’image du corps
Les médiations thérapeutiques pour Kaës ont plusieurs en utilisant des techniques comme le modelage pour entrer en
fonctions : permettre une représentation de l’origine et une communication et mettre en place « des greffes de transfert ».
oscillation entre créativité et destructivité, circonscrire une Il s’agit de proposer au patient de réaliser avec de la pâte à
problématique des limites, s’opposer à l’immédiat, susciter un modeler des personnages, des objets, qui vont servir de support
cadre spatiotemporel. à l’expression et qui pourront ensuite être identifiés et intégrés
Toutes ces fonctions vont venir éclairer la problématique dans un environnement spatial. « L’acte de modeler que le
psychotique et engager le patient dans un processus de change- médecin fait faire au malade [...] est là pour l’aider à formuler
ment en s’appuyant sur une dynamique qui ne repose pas des demandes et à reconnaître des désirs inconscients » [43].
seulement sur l’utilisation du langage. Comme le souligne Michaud, la technique permet « d’aller
jusqu’au bout du stade dit de la catastrophe et de la reconstruc-
Médiations d’objets tion végétale » [44] pour permettre au psychotique de sortir de
son univers de destruction et de chaos en donnant un sens à
Dans ce groupe, on peut retrouver l’ensemble des médiations des expériences sensorimotrices jusque-là non représentables.
qui vont utiliser un objet comme support. L’objet peut être le Tous ces éléments sont un support permettant la reprise des
corps du patient, dans les packs ou les massages, ou un objet processus de liaison, et à ce titre participent au processus
extérieur comme dans l’ergothérapie, la sociothérapie ou psychothérapeutique dans lequel les patients psychotiques
l’art-thérapie. peuvent s’inscrire. Plus les processus de symbolisation ont été
Les objectifs psychothérapiques des médiations avec des mis à mal par la psychose, plus la psychothérapie s’appuie
patients psychotiques sont multiples. Les médiations sont d’abord sur les médiations thérapeutiques avant d’utiliser le
d’abord un premier support de relation, notamment dans médium plus classique qu’est la parole et ainsi préparer la
l’investissement du quotidien qui devient le premier objet de rencontre avec l’autre ; « le travail sur le signifiant est souvent
médiation (on retrouve ici un des principes de la psychothéra- illusoire avec lui (le psychotique) » [45].
pie institutionnelle qui place le quotidien au cœur du dispositif
thérapeutique). Elles permettent des relations transférentielles Médiations groupales
moins menaçantes que celles établies dans la relation duelle,
relations que Oury nomme « les transferts dissociés » [38]. Elles La deuxième grande catégorie de médiations concerne les
limitent la tendance à la passivité et au repli en offrant des médiations groupales. Dès l’article princeps de Racamier en
activités régulières et programmées. Elles assurent un renforce- 1958 sur « les techniques de psychothérapie dans les psycho-
ment du narcissisme en offrant au sujet des activités reposant ses » l’utilisation de groupes thérapeutiques est mise en avant.
moins sur l’investissement intellectuel et plus sur le plaisir à L’utilisation des groupes psychothérapiques pour les patients
fonctionner. Ces activités en faisant appel à la créativité, à la psychotiques repose notamment sur les travaux de Bion sur les
dimension artistique et culturelle, limitent la place de la pulsion petits groupes et sur les travaux de Kaës sur l’appareil psychique
de mort dans la psyché du psychotique. En permettant une groupal et l’illusion groupale. Bion va étendre le travail com-
utilisation différente d’un objet concret qui peut être façonné, mencé par Freud dans « Psychologie des foules et analyse du
réparé, mis à distance ou investi, elles symbolisent les nouvelles Moi » [46] sur la place de l’inconscient dans les groupes, dans le
modalités de relations d’objets, sortant le psychotique de but de pouvoir utiliser l’analyse de groupe pour les pathologies
l’alternance entre attraction-fusion d’un côté et rejet- de type borderline ou psychotique. Le groupe se constitue
anéantissement de l’autre. Les travaux de Roussillon, dans la d’abord autour d’un « groupe de base » qui va mobiliser des
suite de ceux de Milner sur le médium malléable [39], mettent états émotionnels intenses rattachés aux processus primaires.
en lumière la dimension thérapeutique des médiations dans la Pour Bion [47] le travail dans le groupe se fait autour de trois
psychose. Le médium malléable se caractérise par son « indes- « présupposés de base » qui sont : « la dépendance » face au
tructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, leader du groupe, « l’attaque fuite » face au fantasme collectif
inconditionnelle disponibilité et animation propre » [40] , il d’une menace interne ou externe pesant sur le groupe et enfin
permet aux patients psychotiques de lutter contre les vécus « le couplage » qui va permettre au groupe d’avoir l’espoir que
infantiles d’agonie primitive et d’avoir accès à une destructibi- par l’union dans le groupe ou à son leader il sera sauvé.
lité tempérée qui ne menace pas de destruction l’objet puisque Anzieu va prolonger cette analyse du fonctionnement groupal
ce dernier peut être réparé et est représenté à chaque séance. en proposant la notion « d’illusion groupale » [48] qui va
Il s’agit aussi comme le souligne Brun « à travers le processus permettre qu’après un temps d’inquiétude les membres du
créateur [...] de prendre conscience de représentants psychiques groupe éprouvent un bien-être et un sentiment de sécurité à
inconscients, de l’ordre de la sensation, de l’affect ou de l’image l’intérieur de celui-ci, sécurité qui va permettre d’engager un
motrice, en lien donc avec une réalité somato-psychique » [41]. travail thérapeutique. Pour Kaës, il faut travailler sur « l’appareil
Cette première étape va ensuite déboucher sur la délimitation psychique groupal » [49], dispositif de liaison et de transforma-
et la prise de conscience d’un espace psychique suffisamment tion des processus psychiques de chaque membre participant au
consolidé pour entrer en relation, après l’avoir utilisé, avec groupe et d’interactions entre les appareils psychiques des
l’objet. membres du groupe.
Les médiations avec utilisation d’un objet sont aussi un Pour les patients psychotiques, le travail psychothérapique de
accrochage concret pour reprendre contact avec la réalité : en groupe vient lutter contre les effets de la psychose sur le
s’appuyant sur une série de consignes dans la réalisation d’un psychisme qui, en raison de la fragilité narcissique, vit les
objet comme dans les activités d’ergothérapie, en différenciant relations objectales comme une menace d’anéantissement. Pour
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le psychothérapeute pour qu’il puisse analyser les effets de cette entraînements aux habilités sociales se font par étapes se fixant
relation. Les médicaments favorisent les processus de liaison [72], des tâches successives. Roder et al. [78] proposent quatre niveaux
ils permettent également de travailler sur le lien entre psyché et d’intervention : le premier niveau se fixe comme objectif la
soma. Ils vont servir de catalyseur du travail d’élaboration sensibilisation des patients à leurs besoins, leurs possibilités et
psychique et de séparation entre perception interne et percep- leurs capacités. Puis, il s’agit d’aider le patient à prendre des
tion externe. Les médicaments provoquent des sensations décisions, pour ensuite lui faire expérimenter les étapes qui
corporelles, le patient doit les éprouver, puis se les représenter accompagnent la prise de décision. Enfin, le patient va appren-
et enfin les interpréter, « le travail de la substance psychotrope dre à anticiper les difficultés et à résoudre de manière concrète
pouvait être envisagé comme principalement destiné à déplacer les problèmes.
ou plus souvent à rétablir les liaisons entre l’affect et la Tout l’enjeu de ces psychothérapies est que le patient puisse
représentation » [73]. poursuivre dans sa vie quotidienne ce qu’il a appris dans les
Ce travail de figuration corporelle permet un renforcement programmes d’entraînement aux habiletés sociales. Les psycho-
du Moi, qui doit d’abord exister comme Moi corporel avant de thérapies psychosociales sont le plus souvent menées conjoin-
devenir un Moi psychique. L’effet du renforcement ne doit pas tement avec des programmes psychoéducationnels pour les
aller jusqu’à ce que Kapsambelis [70] nomme « une effusion du familles. Ces programmes se situent dans le prolongement des
Moi » avec transformation en une « pathologie hypocondria- psychothérapies familiales précédemment citées avec comme
que » dans laquelle le patient se détourne des investissements objectif d’augmenter les connaissances de la famille concernant
du monde extérieur pour se centrer exclusivement sur ses la maladie et de favoriser l’inscription sociale des patients
préoccupations corporelles dans un investissement de type (Tableau 4) [79].
narcissique.
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Tableau 4.
Structure générale de la TCC avec des patients psychotiques (d’après [79]).
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se situe dans le même registre et « se conduise comme un comme « la mise en forme d’un perçu [...], d’une activité
protecteur aimant et omnipotent qui nourrit le malade » [96]. inaugurale de la psyché pour laquelle toute activité est toujours
L’analyse directe se fait sur l’ensemble du contenu manifeste autoréférente et reste à jamais indicible » [104].
et va au-delà des productions verbales, « le matériel à interpréter À travers cette définition Aulagnier prolonge les réflexions de
est constitué par les productions verbales du malade, ses gestes, Freud sur le narcissisme primaire et celles de Lacan sur le stade
ses attitudes particulières, sa posture, sa conduite quoti- du miroir, et construit l’originaire comme un « schéma relation-
dienne » [96]. Pour permettre au malade de réinvestir la réalité il nel dans lequel le représentant se reflète comme totalité
faut le réinscrire dans ce que Rosen nomme « la grande loi », identique au monde ». Les relations mère/enfants sont régies par
celle qui permet à la mère de se montrer bienveillante quelles « la violence primaire » [102].
que soient les circonstances. Le pouvoir aliénant de la violence primaire se situe dans la
De la même manière, le thérapeute doit accompagner le différence de registre entre la mère et l’enfant. La mère ne
patient dans toutes les étapes qui vont le conduire vers l’auto- satisfait pas le besoin de l’enfant, mais son désir à elle. Le
nomie. Ces étapes pour Rosen sont au nombre de quatre, il faut processus structurant de la psyché qui va du besoin vers le désir,
successivement démontrer l’absurdité du délire, permettre au comme le décrit Freud, est ici inversé. Le registre du primaire
patient de passer à l’acte pour limiter sa toute-puissance (le s’organise autour du fantasme qui permet, par la production
thérapeute doit accompagner la mise en acte du délire), gérer d’une représentation idéique inconsciente d’une scène, de
supporter le manque et l’absence. Dans le registre du secon-
l’agressivité qui accompagne le retour à la réalité et lui faire
daire, la maîtrise du langage permet à travers les processus de
revivre certains aspects de sa psychose pour mieux les mettre à
pensée d’associer une représentation de chose à une image ou
distance. L’attitude du thérapeute est ici essentielle, il est tout
à une chose.
entier tourné vers la prise en charge de son patient, optimiste
Avec les psychotiques, le travail d’interprétation est particu-
face aux résultats qu’il va obtenir. Rosen se situe dans un
lièrement difficile en raison de l’attraction de celui-ci pour le
prolongement de l’analyse par la « technique active » [97]
registre de l’originaire. La violence de l’interprétation surgit car
proposée par Ferenczi.
l’enfant ne peut se représenter son origine comme liée au désir
D’autres modalités peuvent être proposées dans les cures de ou au plaisir de ses parents, « l’événement naissance sera
psychotiques pour permettre que les interprétations puissent ouvertement désigné comme la source d’une situation conflic-
faire sens pour le patient. Chaperot s’appuie sur le travail de tuelle, comme l’échec du désir de la mère [...] un accident
Freud sur l’humour et le mot d’esprit. Il reprend la définition biologique que l’on supporte et, de toute façon un événement
que Freud donnait de l’humour « énoncé paradoxal et dédra- dans lequel le désir du père n’a pu jouer un rôle favori-
matisant tel que les parents peuvent adresser à un enfant sant » [102]. De nouveau, on retrouve la confusion entre les
angoissé » [98] pour expliciter comment « la décharge émotion- registres du désir et du besoin, confusion caractéristique, pour
nelle » qui accompagne le rire va permettre au psychotique de Aulagnier, du registre de la violence primaire. Le maniement de
sortir d’une logique relationnelle instable passant d’un registre l’interprétation est complexe chez les psychotiques, chez qui
à l’autre et qu’il nomme « un transfert alternovalent » [99] pour « l’interdit de vérité » s’est constitué dès l’origine. L’interpréta-
aller vers un « transfert positif » qui permet à l’interprétation de tion va obliger à une réorganisation, un remaniement de la
renforcer la cohésion du Moi à travers un renforcement narcis- compréhension de ses origines.
sique. Le partage du rire se caractérise aussi, comme le souligne
Lavallée, non pas par « une décharge qui vide le Moi mais par
une apaisante satisfaction qui l’enrichit » [100].
Évaluation
Le mot d’esprit et l’humour permettent une distanciation qui L’évolution actuelle de la psychiatrie, si on se réfère aux lois
rend à nouveau opérant le travail de l’interprétation qui de 2004 sur la formation médicale, met en avant la nécessité
repousse les effets de la déliaison, et qui crée une intimité d’une évaluation des pratiques médicales, incluant donc des
renforçant les processus de liaison. Cette juste distance, avec les psychothérapies.
psychotiques, instaurée par l’humour établit comme le retrace L’évaluation des psychothérapies a été une préoccupation
Kohon à propos d’une cure, « vraiment cette intimité qui précoce du milieu psychiatrique dans un double objectif :
amenait [...] à avoir confiance dans le fait qu’il ne lui fallait pas pouvoir poursuivre la réflexion théorique sur les aménagements
tout m’expliquer de même que je n’avais pas besoin de lui dire du travail thérapeutique avec les patients psychotiques mais
chacune de mes interprétations » [101]. aussi dans un objectif économique de « management des soins »
à l’américaine.
Interprétation entre représentation et langage Les recherches menées sur l’évaluation des méthodes psycho-
thérapiques utilisent des méthodologies différentes ; d’un côté il
Aulagnier en 1975 va explorer ce qu’elle appelle « la violence s’agit de vérifier les effets de telle ou telle technique et de l’autre
de l’interprétation » dans un ouvrage éponyme [102] sous-titré : de comparer les résultats des différentes techniques sur des
« Du pictogramme à l’énoncé ». Psychiatre et psychanalyste, elle groupes de patients.
va poursuivre sa formation de psychanalyste avec Lacan puis
s’en éloigner en fondant, avec d’autres psychanalystes, le Études d’efficacité thérapeutique
quatrième groupe. Deux démarches coexistent dans la littérature, celle qui
Sa pensée se nourrit de son expérience clinique notamment s’appuie sur les études de cas et celle qui consiste à déterminer
avec des psychotiques pour lesquels elle va proposer une théorie des critères d’efficacité. Ces deux méthodes s’appuient sur des
centrée sur la représentation et ses avatars, qui situe la relation logiques différentes opposant d’un côté les effets d’un traite-
au psychotique au-delà du langage et du discours. ment dans l’étude de cas et de l’autre une standardisation des
La représentation, pour Aulagnier, évolue dans trois registres : résultats autour de critères d’efficacité.
l’originaire, le primaire et le secondaire. Chacun des trois se Les études de cas ont été chronologiquement les premières à
réfère à un fonctionnement psychique spécifique. Le registre de partir des années 1940 et continuent à être utilisées principale-
l’originaire se réactualise dans la psychose, il reste attiré et ment pour les psychothérapies d’inspiration psychanalytique.
attaché aux représentations archaïques de ce registre. L’origi- Elles ont été les premières modalités de présentation des
naire trouve sa source dans la négation du manque, par l’hallu- résultats de la psychothérapie. Plusieurs auteurs ont utilisé ces
cinatoire primitif freudien. Il va comme l’explicite De Mijolla résultats pour faire une méta-analyse et ainsi proposer une
Mellor être « le point de départ de toute pensée » [103]. L’origi- évaluation rétrospective, au sens actuel du terme. McGlas-
naire se structure autour de ce que Aulagnier nomme le picto- han [105] a ainsi réalisé une étude à Chesnut Lodge à partir des
gramme et qui se construit à partir de la rencontre originaire : comptes-rendus et notes de psychothérapies de patients
« la rencontre bouche et sein ». Le pictogramme se définit psychotiques.
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Tableau 7.
Niveau de preuve scientifique et grades de recommandation d’après l’Anaes 2000 [113].
Grade des recommandations Niveau de preuve scientifique (fourni par la littérature) Type de psychothérapie
A : preuve scientifique établie Niveau 1 TCC pour la réhabilitation psychosociale
Essais comparatifs randomisés de forte puissance des schizophrènes chroniques
(en association avec un traitement neuroleptique)
Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés
Analyse de décision fondée sur des études bien menées
B : présomption scientifique Niveau 2 TCC pour schizophrénie en période aiguë
Essais comparatifs randomisés de faible puissance (en association avec un traitement neuroleptique)
Études non randomisées bien menées
Études de cohortes
C : faible niveau de preuve Niveau 3 Psychothérapie analytique
Éudes de cas-témoins Psychodrame psychanalytique
Thérapie familiale
TCC : thérapie cognitivocomportementale.
Kernberg [106] a codirigé une étude à la Menninger clinic en De nouveau Andréoli [108] va émettre un certains nombre de
1972 et Grinspoon [107] une étude dans un grand asile améri- remarques méthodologiques : les patients auxquels on propose
cain. Toutes ces études ont démontré qu’il fallait relativiser les une psychothérapie psychanalytique sont souvent très sévère-
effets de la psychothérapie individuelle. ment atteints, d’autre part ils ne présentent pas de capacité
Cependant, comme le montrent Andréoli [108] et son équipe, d’insight suffisante pour bénéficier de ce type de thérapie. Ces
ces méta-analyses soulèvent plusieurs problèmes méthodologi- auteurs proposent pour aller plus loin que « les travaux de
ques : les critères diagnostiques sont peu transposables et les Kraepelin et continuer à se battre », de se centrer sur des
notions de schizophrénie au sens DSM IV [109] ou au sens de thérapies « prenant en compte les problèmes de la vie quoti-
Bleuler, de troubles psychotiques ou de personnalité psychoti- dienne de ces patients, et les stratégies qu’ils peuvent employer
que rendent compte de réalités cliniques bien différentes. Les pour faire face au stress quotidien ».
critères sociodémographiques des populations étudiées sont Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) se situent
également très peu homogènes, de même que les caractéristi- dans le prolongement de ce point de vue. Les critères d’évalua-
ques des troubles étudiés : leur début ou leur sévérité sont très tion sont liés directement aux objectifs thérapeutiques. Chaque
variés (psychose aiguë, psychose chronique, troubles psychoti- objectif est associé à un type de méthode comme nous l’avons
ques évoluant depuis peu ou depuis plusieurs années, patient évoqué précédemment.
pris en charge en institution ou patient ambulatoire). Une partie des critères d’évaluation porte sur la diminution
L’association avec des traitements médicamenteux, de même de certains symptômes comme les hallucinations, le délire et sur
que leur nature et leur proportion, peut aussi représenter un l’observance médicamenteuse. Les effets à court terme sont
biais dans l’analyse des résultats. Pour ces auteurs, le groupe des statistiquement significatifs [111] mais il faut rester plus prudent
schizophrénie est très hétérogène et nécessite des stratégies sur le caractère pérenne de cette amélioration à moyen et long
thérapeutiques diversifiées au sein desquelles des formes terme [112] . Comme le propose la classification de l’Anaes
structurées de traitement analytique ont leur place. Ils (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé ) en
concluent leur analyse en mettant en avant la nécessaire 2000, les TCC sont particulièrement indiquées dans les pro-
intrication avec des politiques de soins : « en accord avec grammes de réhabilitation psychosociale [113] (Tableau 7).
McGlashan et Keats nous faisons l’hypothèse que la stérilité du Les comparaisons se font entre différentes techniques :
débat sur l’utilité respective du traitement d’inspiration psycha-
psychothérapies analytiques versus thérapies cognitives et
nalytique et du traitement psychiatrique-médical correspond en
comportementales par exemple ou dans l’association de plu-
réalité à la difficulté de développer un modèle de politique de
sieurs thérapies : médicaments et approche personnelle, médi-
soins qui prenne en compte la complexité de la clinique et du
caments et approche psychosociale, etc.
devenir psychosocial des troubles schizophréniques » [108].
L’étude de Hogarty [114] est une étude de comparaison de
différentes modalités psychothérapeutiques menée sur 3 ans.
Études de comparaison
Cette étude concernait 151 patients sélectionnés parmi
L’autre catégorie d’études propose des critères d’efficacité et 186 patients hospitalisés. Ces patients recevaient un traitement
les regroupe en plusieurs catégories. Certains critères sont médicamenteux (dans la majorité des cas un traitement par
généraux comme : halopéridol retard R). D’autres modalités thérapeutiques
• la persistance ou non de symptômes et leur importance ; étaient proposées : une psychothérapie individuelle, une
• le taux de réhospitalisation ; thérapie familiale ou une psychothérapie de soutien. La compa-
• le taux de rechutes ; raison porte sur les effets de chaque psychothérapie et sur les
• l’adaptation sociale et les relations interpersonnelles ; effets d’une thérapie face à une autre. Le critère d’efficacité
• l’autonomie face au quotidien. retenu est le taux de rechutes après 1, 2 et 3 ans. Les résultats
D’autres critères sont plus spécifiques comme : démontrent des différences en fonction des données sociodé-
• le recours à des traitements médicamenteux ; mographiques des patients : pour les patients qui vivent en
• le fonctionnement du Moi ; famille, la psychothérapie individuelle est plus efficiente que la
• le fonctionnement cognitif ; psychothérapie familiale dans la prévention des rechutes. En
• la mise en place d’une alliance thérapeutique ; revanche, en ce qui concerne les patients vivant seuls, la
• l’adhésion au traitement médicamenteux ou au programme psychothérapie individuelle échoue face à la prévention des
de soins ; rechutes.
• la qualité de vie. L’association psychothérapie individuelle et familiale est aussi
Les études réalisées sur les effets des psychothérapies psycha- efficace dans la prévention des rechutes que l’association
nalytiques ne remplissent pas les critères d’efficacité choisis : il psychothérapie centrée sur les entraînements aux habiletés
n’y pas d’amélioration à long terme, les symptômes persistent sociales et psychothérapie familiale.
de manière importante, les réhospitalisations sont nombreuses, L’étude de Gunderson [115] a permis une comparaison sur une
etc. [110]. période de 2 ans, entre des psychothérapies de type analytique
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■ Références
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M. De Luca, Psychiatre, praticien hospitalier, médecin chef du service de psychiatrie et de psychopathologie du jeune adulte (mdeluca@mgen.fr).
Institut Marcel Rivière, La Verrière, 78321 Le Mesnil Saint-Denis cedex, France.
Laboratoire de psychopathologie clinique, centre H. Pieron, Université Paris V, 71, avenue Edouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : De Luca M. Abord psychothérapique des psychoses. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie,
37-819-A-10, 2009.
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