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V. Le Goff-Cubilier INTRODUCTION
C. Bryois Fréquemment rencontrés, dans un premier temps de consul-
Dr Valérie Le Goff-Cubilier
tation par les médecins somaticiens, les troubles somatofor-
Thérapeute de famille ASTHEFIS mes se trouvent à la croisée des chemins entre la médecine
Dr Christian Bryois somatique et la psychiatrie. Le terme de troubles somatoformes
Secteur psychiatrique Ouest vaudois
1197 Prangins recouvre différentes entités diagnostiques, lesquelles posent
aux praticiens concernés des difficultés constantes d’évaluation
et de prise en charge.
tiques. L’hypothèse d’un mobbing est évoquée à cette période. Durant l’année 2001,
quels elle consulte son médecin généraliste et reçoit des traitements symptoma-
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dissociatifs selon la CIM-10 (survenant en relation temporelle
troubles de conversion qui sont considérés comme troubles
devient incontrôlable. Les arrêts de travail sont continus.
étroite avec des événements traumatiques, problèmes insolubles ou
En 2002, après ablation de diverticules coliques bénins par
insupportables ou relations interpersonnelles difficiles). Selon le
voie endoscopique, une hospitalisation en psychiatrie a
lieu au vu de la gravité de l’état dépressif. Durant le séjour,
DSM-IV, ils sont classés dans les troubles somatoformes.
la patiente s’améliore sur le plan thymique avec un nouvel
Sont donc communément admis comme étant des trou-
antidépresseur, mais sans jamais parvenir à se sevrer tota-
bles somatoformes: la somatisation, le trouble hypocondria-
lement des benzodiazépines. A sa sortie, le mieux psychia-
que (incluant la dysmorphophobie), le trouble somatoforme
trique est contrebalancé par une nouvelle aggravation
indifférencié, le dysfonctionnement neurovégétatif soma-
somatique, les douleurs quittant la sphère digestive pour
et selon les classifications, les troubles de conversion.
toforme, le syndrome douloureux somatoforme persistant,
devenir essentiellement articulaires et musculaires. La
patiente change trois fois d’interniste en six mois, consulte
un endocrinologue à plusieurs reprises, est adressée à un La somatisation
rhumatologue qui diagnostique une fibromyalgie, est tou-
Elle se caractérise par un refus persistant d’accepter l’avis
jours suivie sur le plan psychiatrique. L’ensemble des trai-
médical confirmant l’absence de toute cause organique. On
tements échoue, les effets secondaires sont nombreux, les
y retrouve une perturbation concomitante du comporte-
changements de molécules se poursuivent, les douleurs
ment et une altération du fonctionnement social et familial.
deviennent insupportables. Les médecines parallèles
Elle se caractérise par des plaintes somatiques multiples
(massages énergétiques, kinésiologue, magnétiseur, chro-
et variables, pendant au moins deux ans, ne pouvant être
matothérapie) sont assidûment fréquentées, avec le
expliquées par un trouble somatique identifiable.
même résultat. Fin 2003, une rente invalidité est deman-
dée. Depuis, le suivi se stabilise autour d’un interniste, du Le trouble hypocondriaque
rhumatologue et du psychiatre, tandis que le tournus des
Il s’agit de la conviction d’être atteint d’une ou plusieurs
médecines parallèles se poursuit. Les traitements médica-
maladies somatiques graves, conviction fondée sur la pré-
menteux restent difficiles à stabiliser, mais les trois méde-
sence d’un ou de plusieurs symptômes persistants alors que
cins évitent de prescrire sans se consulter, ce qui limite l’in-
les investigations répétées ne mettent en évidence aucune
flation. Les symptômes somatiques et psychiatriques
cause organique plausible. On y inclut aussi la dysmorpho-
coexistent en permanence mais peuvent s’exacerber en
phobie, à savoir une préoccupation persistante concernant
alternance, voire s’aggraver en parallèle en cas de contra-
un défaut ou une disgrâce physique. Dans les deux cas, on
riété majeure (facteurs contextuels clairement identifiés).
retrouve un refus persistant d’accepter les conclusions ras-
Le diagnostic se confirme donc de troubles somato-
surantes des médecins confirmant l’absence de tout pro-
formes avec comme comorbidités psychiatriques un état
blème somatique pouvant rendre compte des symptô-
anxiodépressif persistant et un trouble de la personnalité
mes.
de type histrionique.
Les troubles de conversion
DÉFINITION On y retrouve l’absence de tout argument en faveur d’un
Selon la classification internationale des maladies (CIM- trouble physique pouvant rendre compte des divers symp-
10), les troubles somatoformes sont «caractérisés par des tômes caractéristiques de ces troubles (amnésie, fugue, stu-
symptômes physiques associés à des demandes d’investi- peur, état de transe, atteinte motrice ou sensorielle, convul-
gation médicale, persistant malgré des bilans négatifs répé- sion, etc.). On relève, dans cette catégorie diagnostique, la
tés. La présence avérée d’un trouble physique authentique présence d’arguments en faveur d’une origine psychologi-
ne permet pas de rendre compte de la nature ni de la gravi- que avec relation temporelle manifeste entre la survenue
té des symptômes du patient. Le patient s’oppose à toute du trouble et celle d’un événement stressant ou trauma-
hypothèse psychologique pouvant expliquer ses troubles, tisant ou perturbation des relations interpersonnelles, re-
même quand le contexte l’évoque ou qu’il existe des symp- lation qui est ardemment niée par le patient.
tômes dépressifs ou anxieux manifestes». La CIM-10 spéci-
fie, par ailleurs, «que ces patients présentent souvent un Le trouble somatoforme indifférencié
comportement histrionique et essayent d’attirer l’attention Il se caractérise par des plaintes somatiques multiples,
d’autrui, notamment quand ils ne réussissent pas à variables, persistantes mais ne répondant pas au tableau
convaincre leur médecin de la nature essentiellement phy- complet d’une somatisation. Il y a également l’absence de
sique de leur maladie et de la nécessité de poursuivre les trouble organique pouvant expliquer les symptômes.
investigations et les examens complémentaires».
Le dysfonctionnement neurovégétatif
somatoforme (exemple : palpitations,
QUELS SONT LES DIAGNOSTICS ENGLOBÉS hyperventilation, mictions fréquentes, etc.)
PAR CE TERME GÉNÉRAL DE TROUBLES
Les symptômes sont ceux d’une hyperactivité neurové-
SOMATOFORMES ? gétative. Ce sont des symptômes persistants et gênants,
Les deux grandes classifications utilisées en psychiatrie, associés à de nombreuses plaintes subjectives que le pa-
à savoir la CIM-10 et le DSM-IV, sont globalement super- tient attribue à un système ou un organe spécifique. Le pa-
posables en la matière, hormis en ce qui concerne les tient craint d’avoir une maladie grave vis-à-vis de laquelle
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il ne peut être rassuré, même en l’absence de problème portant du diagnostic, à savoir que parmi les patients por-
somatique avéré du système ou de l’organe désigné. teurs d’un diagnostic de troubles somatoformes, 58% d’entre
eux travaillent dans le groupe 20 à 29 ans alors qu’il n’y en
Le syndrome douloureux somatoforme a plus que 6% encore en activité professionnelle dans le
persistant groupe âgé de 50 à 59 ans. Cette chute, au niveau de la
Il se caractérise par une douleur intense et persistante capacité de travail, est significativement supérieure à celle
accompagnée d’un sentiment de détresse, n’étant pas ex- observée dans des groupes présentant un autre diagnostic
pliqué entièrement par un problème somatique et surve- psychiatrique ou dans un autre groupe ne présentant pas
nant dans un contexte de conflit émotionnel et/ou psycho- de diagnostic psychiatrique. Il est intéressant de noter éga-
social pouvant être considéré comme la cause essentielle lement, dans cette étude, que 74% des personnes ayant
du trouble. présenté ce diagnostic au cours de l’étude ont été référés,
par la suite, pour un suivi ambulatoire.
Autres troubles somatoformes Snyder 8 mentionne que 31% des troubles somatoformes
On y retrouve des plaintes se rapportant à des systèmes diagnostiqués en hôpital somatique, ne le seraient qu’en fin
ou à des parties du corps spécifiques (dysphagie, torticolis d’hospitalisation. Il faut bien prendre conscience que cette
psychogène, prurit psychogène, dysménorrhée psychogène, difficulté à poser le diagnostic semble être à l’origine de la
bruxisme). Ceci en l’absence d’atteinte lésionnelle et en difficulté à mener des recherches standardisées sur cette
étroite relation temporelle avec des événements stressants. population. En effet, les études consultées lors de l’établis-
sement de la bibliographie vont mettre cette problémati-
que en évidence à différents niveaux, que cela soit sur le
ÉPIDÉMIOLOGIE : QUI SONT-ILS
plan de l’épidémiologie, de l’établissement du diagnostic,
(ET QUE FAIRE DE NOS PRÉJUGÉS…) ? de l’évaluation chiffrant les comorbidités, et de l’évaluation
Selon Kirmeyer,1 les troubles somatoformes seraient de l’efficacité des traitements proposés. A tous ces niveaux,
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dans l’enfance, pouvant affecter les perceptions physiques nalité évitante, obsessionnelle-compulsive, dépendante,
(tels que les abus sexuels, Kirmeyer,1 citant Walker, Spiegel). narcissique. Le problème, c’est que leur prévalence est
Hartvig24 évoque lui aussi une étiologie environnementale tellement variable d’une étude à l’autre qu’il paraît inutile
des troubles somatoformes par une exposition, dans l’en- de mentionner les chiffres, certaines fourchettes pouvant
fance, à des décès, divorces, maladies graves dans la famil- aller sur les études de 4 à 60% pour l’association du diag-
le ou également des douleurs chroniques chez les mem- nostic. Par contre, les traits alexithymiques sont toujours
bres de la famille. Rogers 25 mentionne une étude établis- présents quand ils ont été recherchés dans les différentes
sant qu’un diagnostic de syndrome post-traumatique a été études. L’intérêt de l’identification des troubles de la per-
retrouvé chez 22% des patients ayant, au préalable, un dia- sonnalité associés est essentiellement un intérêt pronos-
gnostic de troubles somatoformes. Kirmeyer,1 (citant Wil- tique, certains troubles de la personnalité étant notoire-
kinson) met en avant une hypothèse contextuelle familia- ment plus sujets aux interruptions de traitement que
le. Les patients présentant, à l’âge adulte, un trouble d’autres.
somatoforme auraient eu des parents renforçant l’expres-
sion somatique chez eux au détriment de l’expression des
émotions. Les parents de ces patients auraient eu, eux- LES TRAITEMENTS
mêmes, souvent des comportements de somatisation. Les Il serait certainement plus exact de parler de prise en
patients ayant un trouble somatoforme auraient pu égale- charge des troubles somatoformes plutôt que de traitement
ment être fréquemment en contact, durant leur enfance, au sens strict du terme. Ces prises en charge, dont il est
avec des membres de la famille adultes et malades. clair qu’elles s’inscriront dans la durée, seront de meilleure
qualité si elles s’inscrivent avant tout dans le cadre d’une
étroite collaboration entre somaticiens et psychiatres.30
Ainsi, le Quality Assurance Project Australian and New-Zealand
LES COMORBIDITÉS PSYCHIATRIQUES
(tableau 1) Worldwide College of Psychiatry31 préconise les prises en char-
Là encore, la variabilité des résultats des différentes ge suivantes :
études est notoire. • pour l’hypocondrie : une association de thérapie brève
Smith,26 dans une revue de la littérature allant de 1975 dynamique individuelle, thérapie de famille, consultation
à 1990, dégage une prévalence élevée des dépressions médicale.
dans les diagnostics de somatisation et de douleurs chro- • Pour les somatisations : une psychothérapie de soutien
niques. A l’inverse, les patients ayant un diagnostic de dé- à moyen terme associée aux consultations médicales.
pression majeure souffrent plus fréquemment des douleurs • Pour les douleurs chroniques : un soutien psychothéra-
et présenteraient également, de façon significative, des peutique et une forte collaboration entre médecins, un
symptômes de somatisation et/ou d’hypocondrie. Toujours soulagement antalgique.
selon lui, le traitement de la dépression améliorerait la Dans les trois cas, il préconise de la physiothérapie et
symptomatologie douloureuse et les somatisations. L’étude une éducation des patients au niveau de la qualité de leur
de Rief,11 retrouve une comorbidité pour les troubles so- perception. Dans ces guidelines, il est mentionné que les
matoformes de 86% de troubles affectifs et 43% de troubles thérapies cognitivo-comportementales et les benzodiazé-
anxieux. Les chiffres de l’étude de Leibbrand27-29 (101 pa- pines ne présentent pas d’intérêt.
tients avec un diagnostic de troubles somatoformes) sont
encore plus élevés : 79% de dépressions majeures et 68,9% Traitements médicamenteux
de troubles anxieux associés. Les traitements médicamenteux portent essentiellement
Les chiffres sont très variables en ce qui concerne les sur le traitement de la dépression (fluvoxamine,32 opipra-
troubles de la personnalité éventuellement associés au mol33-35). Fishbain36 a présenté une étude de l’effet antal-
diagnostic de troubles somatoformes. Selon les études, gique de différents antidépresseurs dans les douleurs chro-
on retrouve une association à des troubles de la person- niques et les troubles somatoformes. Les conclusions ont
nalité dans 50 à 70% des cas. Au sein même des troubles été celles d’une diminution de la douleur supérieure à celle
de la personnalité répertoriés comme étant associés à des obtenue par placebo. Les antidépresseurs de différentes
troubles somatoformes, sont fréquemment mentionnées : familles, y compris les sérotoninergiques, et non pas seu-
personnalité histrionique, personnalité antisociale, person- lement comme il était jusqu’ici de tradition les antidépres-
seurs tricycliques, semblent donc avoir un effet positif. Par
Tableau 1. Comorbidités psychiatriques contre, les benzodiazépines ne sont pas mentionnées, voire
clairement déconseillées comme traitement des troubles
• Etats dépressifs anxieux adjoints des troubles somatoformes.
• Troubles anxieux
• Troubles de la personnalité Psychothérapie
Relativement aux différents types de psychothérapie que l’on
– Histrionique
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treint de famille). Les thérapies cognitivo-comportementales restent
controversées. Une revue de la littérature de Karl Looper 9 Le patient est-il conscient de «produire» lui-même ses symptômes ?
avance un bon effet des thérapies cognitivo-comportemen-
tales en groupe pour les somatisations mais spécifie très
clairement que la durée, les modalités, la nécessité des Oui Non
traitements n’ont pas été étudiées et il souligne les nom-
breuses limitations de méthodes, la plupart des études Simulation Troubles factices : Troubles somatoformes
n’ayant pas de groupe contrôle. Par contre, Hiller38-40 pré- 씮 Symptômes fictifs
sente une étude sur 172 patients évaluant les effets d’une 씮 Symptômes simulés
prise en charge cognitivo-comportementale chez des pa- 씮 Symptômes provoqués
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Tableau 2.Traitements disponibles, recommandés doit toujours rester présente à l’esprit comme risque sup-
en association plémentaire de développer, pour certains de ces patients,
une dépendance à différents produits. Différents types de
• Coordination Médecin 1er recours – Psychiatre
psychothérapie doivent être proposés, de façon person-
• Médicaments Somatiques (antalgiques)
Psychiatriques (antidépresseurs) nalisée (en l’absence de guidelines suffisamment établis)
• Psychothérapies Soutien individuel allant de la psychothérapie individuelle aux groupes co-
Thérapie de famille gnitivo-comportementaux en passant éventuellement par
TCC
les thérapies de famille ou de couple. Enfin, la pertinence
• Association possible Physiothérapie
d’hospitalisation à visée d’investigation devrait pouvoir
être débattue entre médecins traitants et psychiatres de
répétées de leurs patients, doivent garder en mémoire liaison afin de pouvoir donner, aux patients, la meilleure
que, pour pouvoir intervenir, leur confrère psychiatre aura réponse, tant sur un plan humain que scientifique et ce au
besoin de s’appuyer sur des données somatiques préci- meilleur coût pour la société.
ses et rigoureuses, tant afin de rassurer son patient que de Il est certainement préférable de concentrer une batterie
pouvoir le confronter à l’aspect vécu souvent comme déni- d’examens avec restitution au patient des résultats par le
grant du diagnostic psychiatrique. biais d’un concilium qui sera le témoin du sérieux et de
Sur le plan médicamenteux, les deux praticiens devront l’intérêt qui est porté à son cas par le corps médical dans
coordonner leurs efforts entre la prescription des antalgi- son ensemble plutôt que de laisser aller les choses dans
ques et celle des antidépresseurs, tout en résistant commu- un tourisme médical et d’investigations qui sera, d’une part
nément à la demande très fréquente de benzodiazépines. fort coûteux, et ne permettra, en aucune façon, de diminuer
En effet, la fréquence des troubles de personnalité associés l’angoisse vécue par ces patients.
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