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De l'importance du facteur économique dans le

« phénomène psychosomatique »
Alain Fine
Dans Revue française de psychosomatique 2010/1 (n° 37), pages 21 à 37
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1164-4796
ISBN 9782130571971
DOI 10.3917/rfps.037.0021
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 30/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 129.0.205.1)

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ALAIN FINE

De l’importance du facteur économique


dans le « phénomène psychosomatique »1

Il me faudra extraire de cette œuvre riche et foisonnante les enjeux


économico-dynamiques du fait psychosomatique, enjeux évidemment
alimentés par les autres dimensions de l’œuvre. Je considère ma parti-
cipation comme un vibrant hommage à Michel Fain, qui fut un psycha-
nalyste de plein emploi dans ce registre aussi et à titre personnel mon
analyste, devenu par la suite un personnage électif privilégié.
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PRÉAMBULE

C. Smadja évoque ici un acte de naissance du facteur économique


qu’il situe à juste titre dans le cadre du livre L’Investigation psycho-
somatique, véritable bible de cette nouvelle discipline, de cette nou-
velle réalité épistémologique. Le recours économique sans cesse assumé
dans le cadre du phénomène psychosomatique par les auteurs du livre :
P. Marty, M. de M’Uzan, C. David mais aussi M. Fain, mettait de la dis-
tance tant avec les non-analystes s’occupant de ce phénomène qu’avec
des analystes évoquant la « conversion généralisée » par exemple, la folie
du sens (Henri Ey), une prévalence psychogénétique, le recours aux fan-
tasmes archaïques (M. Klein)… Nos auteurs par contre dénonçaient un

1. Ce texte est issu de ma participation à une table ronde animée par Claude Smadja intitulée
« Naissance de l’économique dans le phénomène psychosomatique chez Michel Fain ». D’autres tables
rondes concernant son œuvre se sont aussi déroulées lors de cette journée organisée conjointement entre
la spp et l’ipso – une journée d’hommage.

Rev. franç. Psychosom., 37/2010


22        Alain Fine

sens à donner au symptôme psychosomatique et privilégiaient le recours


économique, économico-dynamique, une prévalence du facteur énergé-
tique ; plutôt donc du côté de la force que du sens, pour le dire très
schématiquement.
Je ne ferai que rappeler les notions de carence, de defect, la diminu-
tion de l’activité pulsionnelle ainsi que de l’activité mentale faible éner-
gétiquement, l’abrasion du registre affectif, le défaut de la dimension
symbolique et leurs occurrences que représentent la pensée opératoire et
la dépression essentielle, voire la réduplication projective.
Je ne suis pas certain que Fain ait adhéré au « principe d’équivalence
énergétique » entre l’activité mentale en tant que telle et l’activité fonc-
tionnelle somatique – principe suggéré dans le livre, dans le droit fil des
positions monistes.
Lorsqu’on parcourt l’œuvre de M. Fain, riche, complexe, ô combien
fouillée au niveau de la métapsychologie freudienne !, on sent combien
cette œuvre est éloignée d’un formalisme retrouvé chez d’autres. Il faut
préciser aussi, comme l’a écrit Marilia Aisenstein, que son apport fut
personnel : « L’originalité de la perspective de M. Fain, d’ordre général,
mais concernant aussi la psychosomatique, est que “l’objet” reste le fonc-
tionnement psychique en tant que système économique dans sa constante
interaction avec une libido érotique (je le souligne) qui l’alimente. »
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Avant d’entrer dans le détail, je voudrais signaler que l’approche
de M. Fain a questionné, mis en perspective celle de Pierre Marty,
notamment de son monisme absolu ; de son déterminisme obligé d’al-
lure souvent génétique et par trop hiérarchisé, évolutionniste ; celle de
son « tonus vital » d’allure néo-vitaliste, vitalisme qui dépasse l’énergé-
tique, l’économie strictement métapsychologique à laquelle M. Fain reste
attaché. Je veux aussi signaler qu’au fil de l’œuvre, il a insisté plus que
Marty sur les notions de libido, de narcissisme, de pulsionnel, intégrant
au fil du temps, dans son approche, la force de la pulsion de mort.

Énergie, excitation

Rappelons que la psychanalyse a été définie par certains comme une


théorie énergétique. M. Fain nous incite avec les auteurs de l’École psy-
chosomatique de Paris à considérer que le fait psychosomatique pouvait
entrer dans cette définition.
De l’importance du facteur économique           23

Je vais, en survol, rappeler la notion d’énergie ainsi que celle d’excita-


tion, car elles reviennent souvent sous la plume de M. Fain et participent
de plein emploi au registre économique. Les notions d’énergie psychique,
d’excitation, de pare-excitations, ainsi que celles de défense, d’investis-
sement, désinvestissement, contre-investissement, sont largement diffu-
sées dans l’œuvre, retrouvées dans son parcours théorico-clinique.
En 1915, Freud rappelle qu’il existe deux états différents : un état
d’énergie librement mobile tendant à la décharge et un état d’énergie
toniquement lié. Puis sa nouvelle théorie des pulsions et sa deuxième
topique vont permettre de parfaire la théorie énergétique à laquelle Fain
deviendra un défenseur et un illustrateur. L’énergie déplaçable, libidi-
nale, travaillerait au service du plaisir pour éviter les stases, charges de
déplaisir, alors que la décharge, selon la première théorie économique
de Freud, serait source du plaisir. Fain évoquera, lorsqu’il entrevoit la
perspective masochique notamment, la possibilité d’une « rétention plai-
sante » pouvant aboutir au versant masochique érogène.
Quant à l’excitation ! Une origine externe en tant que stimulus venant
de l’objet sur lequel insistera Fain en tant qu’objet primaire ou de l’en-
vironnement, impliquant la manière de la traiter, de l’évacuer, voire de
la lier. Dans ce contexte, il fera aussi jouer à fond le concept freudien
de « pare-excitations », son effraction aboutissant au traumatique, à
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l’instar de Freud et avec d’autres. Il suggère avec d’autres la notion de
« pare-excitants maternel ». Il fera jouer au fil du temps la notion de
« calme » à la source de distorsions : de l’organisation pulsionnelle, du
fonctionnement mental. Dès 1965, comme nous le verrons, évoquant un
retour régressif du moi des sujets dits psychosomatiques, il pense qu’il
y aurait un retour de l’excitation à sa source première, le somatique,
par absence d’une bonne mentalisation, voire d’une démentalisation qui
implique une régression.
Le niveau économique suggère un effort pour maintenir les masses
d’excitation ayant leur siège dans l’appareil psychique ; cependant, que
ce maintien pourrait organiser comme nous le verrons plus avant des
systèmes défensifs antitraumatiques, au risque d’une abrasion de la
mentalisation, de l’affect, d’une symbolisation dite primaire. À l’orée de
la constitution de ces « moi » sera suggérée une « prématurité du moi ».
Il insistera aussi sur un « refus de passivité » ainsi que sur la diminution
des capacités régressives.
Au registre des traumas précoces et de l’hypothèse de « systèmes anti-
traumatiques », je souligne la proximité de Fain avec celle de systèmes
antitraumatiques de M. Neyraut dans le cadre de ses logiques primitives ;
24        Alain Fine

ils seraient des modes réactionnels mis en place dans les appareils psy-
chiques avant que la maîtrise du principe de plaisir ne soit assurée. Ces
systèmes seraient des régressions des modes actuels de réponse à des
conjonctures traumatiques dépassées et dont la seule compulsion de
répétition, contrainte itérative, garderait la mémoire en en représentant
l’ultime témoignage. Ces systèmes itératifs n’auraient pas su « coder » la
séquence des messages traumatiques transmis par l’adulte.

ÉLÉMENTS MÉTAPSYCHOLOGIQUES

Ainsi, chez M. Fain, la pulsion de mort sera impliquée, jouant un


rôle important dans l’économie psychosomatique à l’encontre de Marty
qui n’envisage l’instinct de mort, et non la pulsion de mort, que comme
déficience des mouvements de vie. Ce dernier aurait substitué selon sa
conception évolutionniste le concept de désorganisation contre-évolutive
au concept de pulsion de mort. Il est vrai que le concept de pulsion de
mort reste controversé voire exclu de l’approche du fait psychosomati-
que, par exemple celle de M. de M’Uzan qui envisage surtout les formes
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de la « destructivité » sans convoquer cette pulsion.
Chez Fain, la deuxième théorie des pulsions est pleinement impliquée
mais peut-être pas d’emblée. Cette deuxième théorie, qui fait jouer les
intrications-désintrications pulsionnelles, est bien l’enjeu ici d’un tra-
vail de désintrication pulsionnelle. La pulsion de mort implique bien sûr
la destructivité, voire l’autodestructivité, mais elle est aussi envisagée
par Fain comme travail du négatif selon l’approche de A. Green qu’il
convoque souvent, notamment lorsque ce dernier évoque la notion de
narcissisme négatif ou encore celle de « désobjectalisation ».
Comment aussi admettre l’hypothèse d’un « masochisme primaire
érogène » sans celle de pulsion de mort ? Cette hypothèse sera reprise
par M. Fain, notamment en tant que noyau mal constitué, déficient, dans
les préludes du phénomène psychosomatique.
Je vais insérer ici les problématiques du masochisme primaire éro-
gène ainsi que du masochisme secondaire, objectal.
Ces problématiques découlent de la mise en tension, en confrontation
des pulsions de vie et de la pulsion de mort. Cette confrontation est dif-
férente de celle des mouvements de vie et de mort étayés sur les instincts
de vie et de mort de P. Marty comme nous l’avons vu en amont. Dans ce
De l’importance du facteur économique           25

contexte, les mouvements individuels de vie introduisant la dimension


masochique selon une vision heuristique seraient abrasés. Le modèle de
la désorganisation désimplique la dimension masochique (masochisme
secondaire).
Michel Fain implique donc la pulsion de mort qui jouera un rôle
capital dans l’économie psychosomatique ; sa destructivité issue d’une
désintrication pulsionnelle supposée est un élément clé de la désorga-
nisation. Notre auteur a bien lu les hypothèses de Benno Rosenberg
concernant le « noyau masochique primaire érogène », le masochisme
gardien de la vie, le masochisme mortifère. Ce noyau est un élément
clé dans la construction théorique de Rosenberg, produit et alimenté
par les premières intrications de base, en rapport étroit avec le nar-
cissisme, lui-même alimenté lorsque la nécessité l’exige par le dépla-
cement de la libido objectale vers la libido narcissique. Le sens et la
fonction du narcissisme seraient déterminés après la constitution des
premières ébauches du moi par l’ensemble dont il fait partie, c’est-
à-dire le masochisme selon Rosenberg. Ce noyau, une fois constitué,
reste opérant ; véritable attracteur et gardien de la vie par son effet
intriquant, il alimenterait en quelque sorte le masochisme secon-
daire nommé aussi masochisme objectal. Cette trajectoire théorique
impliquerait dans le registre négatif, faute de masochisme objectal,
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une carence dans la relation objectale. Pour Rosenberg, l’objet (pri-
maire) serait médiateur de l’intrication pulsionnelle ; son affaiblisse-
ment serait constitué par l’affaiblissement du masochisme primaire
érogène constituant le noyau du moi. Sa thèse centrale repose donc
sur l’hypothèse d’un masochisme originaire liant la destructivité qui
ne deviendrait sadisme qu’une fois projetée. Rosenberg nous fait
accepter, ainsi qu’à Fain, une dimension masochique de l’existence.
Ces positions sont largement interrogées par Fain et reprises par les
psychosomaticiens de la nouvelle génération. Chez Rosenberg, le
masochisme est la première défense contre la pulsion de mort et la
défense essentielle contre celui-ci au registre économique. C’est lors-
que le masochisme échoue qu’il y a maladie psychique ou psycho-
somatique ; Fain m’a paru moins suiviste à ce niveau, la pulsion de
mort désintriquée, cause univoque de la pathologie somatique, étant
par trop formalisée, abrupte.
Michel Fain dans un texte inédit, retrouvé cependant en tant que
choix de textes dans le livre de Marilia Aisenstein, article intitulé : « À
propos du masochisme érogène primaire, dialogue imaginaire avec
Benno Rosenberg » (B. Rosenberg, Revue française de psychosomatique,
26        Alain Fine

1995, no 8 et 2000, no 18), reprend à sa manière certains éléments clés de


l’approche de cet auteur concernant la psychosomatique.
Il y aurait collusion entre la pulsion de mort et l’élément traumatique ;
cette addition des effets déstructurants constitue ce que P. Marty décrit
comme mouvement de mort, proche en définitive de ce que Rosenberg
décrit comme masochisme mortifère.
« Ne peut-on pas dire que la valeur “gardien de la vie” du masochisme
primaire se transfère au cours d’une évolution suffisamment bonne sur
la passivité qui permet le compromis établissant le masochisme secon-
daire ? Le refus de reconnaître le plaisir lié à la passivité fait supposer
que le masochisme reste inachevé. » Ce serait ces observations, faites le
plus souvent à partir des malades somatiques qui l’ont amené à parler
de masochisme inachevé. L’inachèvement porterait donc sur la position
passive rendue inaccessible par les traumatismes précoces ; la compul-
sion de répétition deviendrait alors cette forme particulière de séduction
masochique qu’est l’active provocation. Fain évoque ces individus qui
souffrent d’un tel inachèvement comme agressifs.
« Si le masochisme primaire érogène dans le destin et la source de la
pulsion selon Rosenberg ne provenait que d’un résidu de la pulsion de
mort, notamment sous forme d’un sadisme non érotique, ne perdrait-il
pas sa valeur de point de fixation, autrement dit, sa potentialité attrac-
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tive dans les régressions ? »

Je vais maintenant revenir sur d’autres aspects métapsychologiques.


Les pulsions du moi (première topique), pulsions éducables bien que
conservatrices, ne sont pas exclues au seul profit des pulsions sexuelles.
Par ailleurs, à la place de l’« étayage » freudien, il avance la notion de
« désétayage » de l’érotique sur la grande fonction organique. Il écrira
que le concept de gérance de P. Marty prolonge celui d’étayage, concept
organiciste. À la notion plutôt abstraite d’étayage de la pulsion sur une
grande fonction organique se serait substitué le problème concret, diffi-
cile et loin d’être éclairci des relations précoces mère/enfant. Le cadre
supposé de désétayage implique selon moi une subversion libidinale du
montage pulsionnel.
La deuxième topique est impliquée ici, les instances : ça, moi, surmoi
sont quasiment incarnées, elles ne redoublent pas les systèmes de la pre-
mière topique : inconscient, préconscient, conscient, chers à P. Marty
qui s’intéresse par-dessus tout à l’organisation habituelle de la première
topique au détriment des instances dites plus tardives. Chez Fain, le
conflit de ces instances est un enjeu stratégique économique évident qui
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trouve sa place rapidement au cœur même de l’organisation, de la struc-


turation psychosomatique. Je citerai un exemple trouvé dans sa préface
au livre de C. Smadja, La Vie opératoire : « En place d’une liaison idéale
du moi/surmoi, telle qu’elle apparaît fréquemment sous la plume de
Freud, surgit un antagonisme conflictuel, le surmoi, héritier du complexe
d’œdipe, contre l’idéal du moi, héritier du narcissisme infantile », en
opposition avec le narcissisme véritable, lui restaurateur. Dans le cadre
de l’approche de la psychopathologie psychosomatique, Fain a dénoncé
l’axe des idéaux plaqués, la problématique du « moi-idéal ». Dans ce qui
a été appréhendé en termes de carence, voire d’agénésie du préconscient
par P. Marty, M. Fain, tardivement d’ailleurs, a pu écrire que ce qui
avait pu peser en termes de carence, d’agénésie, serait devenu mise en
place d’un système de valeurs organisé pour dénier un « inachèvement
structural », avec, dans certains cas, mise en place d’une organisation
ne laissant aucun repos, en opposition avec l’acceptation d’une certaine
passivité. Nous y reviendrons plus avant.

NOTION DE PRIMAIRE
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M. Fain, comme de nombreux psychanalystes, comme Marty, de
M’Uzan et ceux de la deuxième, voire troisième génération, part de
« l’orée de l’humain », de « l’infans », mais à sa manière théorique origi-
nale et profonde, qui donne sa marque à sa spéculation, traçant le sillon
qu’emprunteront les psychosomaticiens, surtout ceux qui sont issus
de l’ipso1. Les facteurs économiques et dynamiques y sont prévalents
à ce degré d’émergence. Partir du « primaire », voire d’un originaire
(P. Aulagnier), pour admettre les préludes de l’organisation psychique
et même psychosomatique ainsi que les potentialités des diverses psycho-
pathologies est un élément majeur dans notre actualité. On retrouvera
tout au long de son œuvre les notions de sensorialité primaire indifféren-
ciée, de narcissisme primaire devenu « primitivement secondaire » ; plus
tardivement, de masochisme primaire érogène, relançant les discussions
notamment avec B. Rosenberg ; de refoulements et défenses dits primai-
res ; de symbolisation primaire inaboutie ; de réalité primaire qui englobe
la sensorialité primaire ainsi que l’environnement primaire, au premier
chef l’objet primaire-la mère. Pour M. Fain : « Le désinvestissement du

1. Institut de psychosomatique de Paris.


28        Alain Fine

sujet par ses objets réactive toujours une certaine sensorialité primaire
aidant la représentation jusqu’à un certain niveau, la détruisant de
façon fracassante au-delà. C’est cette part fracassante qui confère à la
scène primitive son impact traumatique. »
Ce serait dans « cet ici et maintenant » que s’ébaucheraient la for-
mation du moi, les préludes de la vie fantasmatique, de la pensée, de
la mentalisation, les préformes de l’organisation pulsionnelle ainsi que
de l’objet. Dans la contextualité du primaire se fomentent chez Fain
comme chez d’autres d’ailleurs, à travers les carences, les déficiences et
les distorsions supposées tant chez le sujet que dans son environnement,
les « potentialités » psychopathologiques et psychosomatiques. Il s’agit
bien, il faut le souligner, de spéculations, d’hypothèses, de constructions
en après-coup théorique. Ces orientations ne sont pas chez notre auteur
celles d’un archaïque figé, prédéterminé, d’allure génétique, mais bien
sûr restent problématiques ; il ne faudrait pas les envisager comme la
causalité incontournable du « phénomène psychosomatique ».
Par la suite, les distorsions de ce primaire, suggéré, construit sur des
bases métapsychologiques freudiennes avec quelques apports person-
nels, notamment au niveau économique, aideront à interpréter l’actuel,
l’actuel ici du « phénomène psychosomatique ». C’est bien là un postulat
de base, comme l’a souligné C. Smadja ; en gardant à ce terme son halo
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d’incertitude.
Fain est au plus près de l’hypothèse freudienne de « Construction »
(1938) concernant les événements précoces traumatogènes comme des
morceaux de réalité déniée dans la période d’une enfance reculée, mor-
ceaux qui feraient retour dans les symptômes psychiques – nous pouvons
ici ajouter : psychosomatiques. Le traumatique est resté un axe princeps
de sa réflexion, réflexion qui englobe le facteur économique.
Il écrira : « La psychosomatique montre, selon des modes seulement
partiellement connus, que le moi contient en lui-même des potentialités de
dérapage qui mettent le corps en danger. Selon les circonstances les pul-
sions peuvent être vécues comme l’essence d’une vie heureuse (périodes
fastes) ou alors comme des ennemies à neutraliser (périodes néfastes). »

RÔLE DE LA RÉGRESSION RETROUVÉE DANS UN ÉCRIT ANCIEN

Dans la Revue française de psychanalyse de 1966 colligeant les tra-


vaux du Colloque de Deauville traitant de la régression, la contribution
De l’importance du facteur économique           29

de Fain porte sur « Régression et psychosomatique ». Nous sommes


proches de cet acte de naissance supposé. J’insiste sur cette proximité
temporelle parce que, déjà dans ce court texte, figurent des concepts et
notions personnels qui s’enrichiront au fil du temps. Fain situe nette-
ment la régression au niveau du moi et pose la question : « À quel niveau
se situe la régression d’un tel moi ? » Il se demande aussi à quel niveau
se situe le « point de fixation » sans lequel le mouvement régressif décrit
perdrait toute signification. Il répondait ainsi à sa question : le carac-
tère d’un événement pouvait forcer le moi, défensivement, à une acti-
vité forcenée à but concret pour lutter contre cette menace ; « si cette
défense atteignait son but, l’inconscient lui-même serait menacé par la
régression, privé de ses sources de stimulation psychique, revenant par
voie directe à ses sources somatiques. La régression ferait retour à un
mode primitif de pensée et de comportement s’apparentant aux méca-
nismes à l’origine du processus hallucinatoire, mais privé de sa qualité
libidinale ». Il faisait aussi l’hypothèse que, dans ces cas, la régression
supprimerait les qualités psychiques de l’agressivité, la transformant en
excitation indifférenciée.
Dans ce texte qui s’inscrit en plein dans le registre économique,
nous trouvons nombre d’éléments qui seront approfondis par la suite :
la lignée traumatique de l’excitation ; un processus hallucinatoire sans
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qualité libidinale faute d’un vrai vécu de satisfaction sensori-motrice ;
une activité concrète proche de l’opératoire ; déjà les prémices des sys-
tèmes défensifs de prématurité du moi, aux modes de fonctionnements
archaïques et mortifères. Fain ajoutait que, au niveau de l’économie
générale, cette activité défensive pourrait conduire l’organisme à l’épui-
sement. C’est me semble-t-il une prémonition des procédés calmants
devenus chez Smadja et Szwec dans le registre des galériens volontaires
« procédés autocalmants ».
Nous sommes proches aussi, selon moi, d’une hypothèse de M. de
M’Uzan ; lorsque cet auteur évoque une distorsion, lors du passage de
l’échec de la réalisation hallucinatoire du désir au principe de réalité, il
postule l’intervention d’une conjoncture traumatique qui, par l’intermé-
diaire du mécanisme de la « forclusion », dissocie le rapport nécessaire
entre la représentation du réel et la fantasmatisation, tout en inhibant,
voire détruisant, cette dernière. Ce contexte particulier de régression
n’exclut cependant pas le recours heuristique au « système régression-
fixation » introduit par P. Marty. Il écrira que : « La régression telle
que l’envisage P. Marty ne se situe pas sur une échelle marquée par des
zones érogènes mais par rapport à l’évolution constituée par la structure
30        Alain Fine

œdipienne. Le point de fixation idéal se confond avec un fonctionnement


mental qui ne subirait aucune pesée venant de facteurs traumatiques. »
Nous venons d’envisager autrement chez Fain la problématique de la
régression. La notion de « fixation au trauma », fixation jouant le rôle
d’attracteur en après-coup, y est aussi prévalente.

« PRÉLUDE À LA VIE FANTASMATIQUE » (1971)

Je ne peux qu’aborder succinctement et surtout à l’éclairage de l’éco-


nomique ce texte magistral. Il s’agit dans cet essai de la répartition des
forces qui permettent la constitution des fantasmes en tant que préludes
et leur confèrent leur valeur économique au niveau du fonctionnement
mental, voire la valeur de potentialité d’une organisation psychosoma-
tique, selon moi. Le terme de « prélude » oriente à l’évidence vers le
primaire que nous avons abordé plus haut. Nous retrouvons dans ce
texte les fantasmes originaires, l’identification hystérique primaire, le
processus hallucinatoire primaire, l’importance primordiale de l’objet
primaire – la mère, la constitution de systèmes pare-excitations, une
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théorie de l’œdipification… Ces appréciations théoriques mais aussi cli-
niques dévoilent les impacts de leurs distorsions, de leurs dévoiements
qui peuvent être envisagés comme autant de « désinvestissements » ou
de « contre-investissements » au plan de l’économie psychosomatique.
M. Fain pose d’emblée le conflit entre une « fonction maternelle » et la
structuration œdipienne. Toute défaillance en moins mais aussi en trop
de l’investissement maternel – mère par trop absente ou mère par trop
calmante – altère la qualité des identifications hystériques primaires
et interrompt le processus hallucinatoire en tant que prélude à la vie
fantasmatique et au bon fonctionnement mental. Il y aurait résurgence
d’une « sensorialité primaire indifférenciée » qui imposerait à l’enfant la
mise en place prématurée d’un dispositif de défenses antitraumatiques.
Cette sensorialité primaire fait référence à un état de réalité primaire,
brutal, traumatique, faisant effraction, non métabolisable par la voie
hallucinatoire et conduisant à la décharge. À ce niveau, l’épreuve de
réalité par le sujet ne saurait faire la discrimination entre la perception
et l’hallucination. Cet état fixerait le sujet au pôle perceptif nociceptif,
à la place d’une accession au pôle représentatif et hallucinatoire. Il y
aurait comme un fragment de réalité brute non symbolisable. Je souligne
De l’importance du facteur économique           31

que pour M. Fain le mécanisme d’inhibition apte à contre-investir cette


épreuve de réalité traumatique serait une force assurée par l’instinct
maternel, une force du dehors s’interposant face à la décharge pulsion-
nelle totale dans l’auto-érotisme. Ce mécanisme est suggéré comme un
« pare-excitant maternel » non ou mal mobilisé pour contre-investir les
stimulations indifférenciées du monde extérieur. Ces notions s’apparen-
tent, sont en analogie avec celles d’agonie primitive de Winnicott, d’élé-
ments bêtas de W. Bion, de pictogramme de néantisation de P. Aulagnier,
d’absence de symbolisation primaire de R. Roussillon ; c’est loin d’être
exhaustif. Dans l’approche de Fain, il se créerait « un hiatus entre l’ex-
citation et la représentation qui ne parvient pas à la lier », une béance,
un vide qui laisse passer l’impact traumatique. Il ajoutait que c’est cette
part fracassante qui confère à la scène primitive son impact traumati-
que. Fain évoque à ce moment l’existence possible d’une « fétichisation
primaire » court-circuitant l’organisation symbolique.

UNE VALENCE ÉCONOMIQUE DU PÔLE PERCEPTIF


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Fain envisagera plus avant une « économie de la perception » à la
recherche de la seule identité de perception au détriment d’une identité
de pensée qui pourrait s’avérer hostile. Ce rôle du surinvestissement
du perceptif dans l’opératoire apparaît bien comme une abrasion sinon
une annulation de l’organisation trophique du système représentatif.
Ce perceptif blanchirait en quelque sorte ce qui se présenterait à l’es-
prit, l’arrachant au percipiens. C’est à ce niveau qu’il énonce : « le
perceptuum efface le percipiens ». Dans ce registre, nous sommes pro-
ches notamment des hypothèses des Botella concernant le perceptif,
le représentatif, l’hallucinatoire, le non-représentable, le défaut de
figurabilité ; ou encore de celles de R. Roussillon concernant les traces
perceptives traversant directement l’appareil psychique pour s’impo-
ser comme telles à la conscience, sa position d’un « fond hallucinatoire
du psychisme ». Au registre économique, le déficit de la mentalisation
oriente vers l’hypothèse d’un « contre-investissement » qui puise ses
forces dans le pôle perceptif de la conscience. Le factuel est surinvesti,
il s’avère selon moi un contre-investissement défensif de la réalité psy-
chique, tout apport psychique pouvant être considéré comme dan-
gereux pour le moi. Ce factuel envahit le processus secondaire avec
32        Alain Fine

surinvestissement des éléments concrets, dans un rapport linéaire


n’admettant pas la « diachronie ».
Faute de temps, je ne convoquerai pas le livre L’Enfant et son corps
dont il est co-auteur sinon pour rappeler combien son apport concernant
l’insomnie précoce, le mérycisme, l’encoprésie, l’asthme, les coliques,
l’anorexie, est devenu incontournable. Nous sommes, dans cette lecture,
aiguillonnés par la richesse théorique foisonnante, la complexification de
la compréhension de ces symptômes.

TEXTES IMPORTANTS CONCERNANT LE PHÉNOMÈNE


PSYCHOSOMATIQUE

Venons-en aux écrits, toujours sous l’éclairage de l’économique. Il


ne pourra s’agir ici que d’un survol par trop schématique, condensé,
abrasant la vividité de la démarche théorisante, son relief. Au-delà du
facteur économique, mais pouvant l’impliquer, l’intriquer explicitement
ou implicitement et faire lien, je ne peux qu’évoquer d’autres éléments
capitaux de cette œuvre, tels que : la structure hystérique de la sexualité
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humaine, l’élaboration du désir humain, les notions de « biphasisme »
mais aussi de « latence », l’approfondissement complexe du fonction-
nement mental, éléments retrouvés notamment dans le livre écrit avec
D. Braunschveig, La Nuit, le Jour. Ces thèmes sont approfondis, ils leur
donnent, « ici ou là » dans l’œuvre, une acuité métapsychologique nou-
velle qui englobe une dimension de l’humain qui frise parfois l’existen-
tiel, surtout les textes des années 1990.

1984, dans un livre collectif : Corps malade et corps érotique, sa par-


ticipation : « Du corps érotique au corps malade », décrit, entre autres,
une voie possible de somatisation à partir d’une conception de l’inachè-
vement, d’une faillite du masochisme érogène et du masochisme moral.
Pour comprendre le lien sans équivoque entre le plaisir masochique et la
passivité, il fait intervenir le mécanisme du « double retournement de la
pulsion », inachevée ici, le temps « c » (il me) entravé dans son dévelop-
pement entraînant une distorsion dans la constitution du moi. Il active
dans ce texte l’hypothèse freudienne de régression narcissique attendue
dans la maladie, que certains sujets ne toléreraient pas faute de l’ac-
ceptation d’une certaine passivité ; un retrait donc non conforme à leur
De l’importance du facteur économique           33

« virilité antihystérique » supposée par Fain. Les élaborations métapsy-


chologiques de ces remaniements qui touchent l’homme malade s’étayent
à juste titre sur les problématiques du trauma, du narcissisme, du noyau
masochique primaire, de l’organisation pulsionnelle jusqu’à ses sources,
ses destins, ses mises en tension énergétique, ses conflictualités, ici exa-
cerbées. Cette vision de l’homme malade touche à l’existentiel.

En 1998, lors d’un colloque sur son œuvre, il précise qu’il s’agi-
rait bien d’un inachèvement quasi structural dont l’achèvement serait
la plénitude œdipienne. Est-ce une généralisation de tout fait structural
ou une précision concernant, comme je le pense, un inachèvement de
l’hypothétique structure psychosomatique ? Structure ou état ? Vaste
interrogation !
À partir de 1991 abondent des textes dans la Revue française de
psychosomatique. Les textes de cette période approfondissent et com-
plexifient les travaux antérieurs. L’inachèvement structural, la com-
plexification, l’impératif de prématurité, le défaut de passivité sont ici
en pièces maîtresses, lestés de leur charge ou décharge énergétique. Je
prends le parti de rapporter certains textes dans lesquels ces thèmes sont
inscrits malgré la lourdeur de cette présentation.
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1992, no 2. « La vie opératoire et les potentialités de névrose
traumatique ».
Avant d’aborder sa notion d’« état traumatique », Fain rappelle le
rôle de l’objet primaire qui pousse le sujet à « désobjectaliser », prenant
l’exemple de l’insomnie précoce. Ici le bercement constant prendrait le
rôle de gardien du sommeil, mais ce calme induit abraserait le recours
hallucinatoire. Ainsi : « Sans hallucination de l’objet s’établit une désob-
jectalisation primaire ».
Selon Fain, les procédés calmants sidèrent la vie mentale, la cal-
ment tout autant qu’ils bloquent les effets permanents de l’événement.
Dans la réalité du trauma, la perception de la réalité est strictement
opératoire. C’est dans ce texte qu’il énonce que « le perceptum efface
le percipiens ». Sa notion d’« état traumatique » est définie comme
un état transitoire, une psychopathologie de la vie quotidienne dans
laquelle on retrouve une certaine fréquence d’épisodes de somatisa-
tion. Ce serait le résultat d’une crise d’ordre économico-dynamique,
voire d’existence que subissent certains sujets en apparence normo-
névrotiques (le noyau de cet état étant représenté par le complexe de
castration et sa valeur œdipienne) au contact d’un événement ruinant
34        Alain Fine

un projet. Cette ruine serait vécue comme une perte brutale d’amour,
comme un équivalent de castration. Il ne s’agirait pas forcément là
de personnalités édifiées à partir d’une carence précoce sur un mode
chronique. Cependant, l’accent est mis sur une fragilité de l’économie
narcissique et de l’estime de soi. On peut penser que le « télescopage »
évoqué dans ce texte, télescopage dû à un événement réel, devra tenir
compte cependant de la réalité infantile, des épreuves et des fantasmes
déjà rencontrés au cours des phases précédentes. Y aurait-il une sen-
sibilité accrue à l’événement, véritable trace laissée par une névrose
traumatique précoce ? S’agit-il d’un fait structural inachevé ou d’un
simple état ? Quoi qu’il en soit : « Le maintien d’une activité d’où est
exclu le projet de vie ressemble à la vie opératoire » ; il ajoutera qu’il
pourrait s’agir d’un véritable « instinct de survie » qui rejoint une
approche de Joyce MacDougall.

1993, no 4. Revue sur « Les procédés autocalmants ». Le terme de


« calmant » est en opposition à « satisfaisant » ; ce qui calme n’apporte
pas la satisfaction. Cette opposition serait au registre économique lourde
de conséquences quant à la qualité des processus engagés.
Fain évoque des spéculations hasardeuses ; j’en donne son résumé :
« Une excitation à visée calmante, née d’une situation prématurément
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traumatique, peut dominer ou coexister avec la complexification pul-
sionnelle dont le stade le plus évolué est représenté par le surmoi. Cette
visée calmante aboutit à la formation de l’instance décrite par P. Marty
sous le nom de “moi-idéal”. Il s’agit d’un impératif de prématurité né
d’une urgence à calmer une situation survenant avant et plus ou moins
en place de la mentalisation. »

1994, no 5. « Troubles somatiques et remaniements psychiques, une


introduction. » Fain pense que l’absence de passivité rendue impossible
par l’intensité de la souffrance (un quantitatif) rend compte de l’inachè-
vement d’un destin des pulsions – « le double retournement » – tout en
soulignant combien l’achèvement reste inséparable de l’aptitude à hal-
luciner l’objet. À trop souffrir, pas d’hallucination ; cette souffrance ne
trouvera d’issue que dans le comportement. L’essentiel de la dépression
du même nom serait-il dû à un trop de calme défensif ? s’interroge-t-il. Il
se demande aussi si l’absence de régression mentale qui caractérise la vie
opératoire proviendrait d’une absence de voies régressives constituées.
La douleur morale liée à l’infirmité causée par la maladie parvient-elle
à se mentaliser ?
De l’importance du facteur économique           35

Il précise aussi que la domination de l’impératif de prématurité ne


favorise pas les fonctions de défense contre les pulsions – un impératif
à l’inverse de l’impératif de la complexification dépendant des activités
pulsionnelles érotiques et agressives. L’impératif de prématurité du moi
non seulement prendrait de l’avance sur la lignée érotique, mais pour-
rait bien se substituer totalement à cette dernière.
Dans ce texte, n’oublions pas de rappeler la problématique de la
« régression narcissique » par repli de la libido sur le moi, suggérée
par Freud, qui échoue dans ce mouvement de régression. Il ajoute à
cette suggestion que ce peut être une illustration de la voie qui mène du
masochisme primaire au masochisme secondaire. Il élargit son élabora-
tion au phénomène psychosomatique : « La psychosomatique montre,
selon des modes seulement partiellement connus, que le moi contient en
lui-même des potentialités de dérapage qui mettent le corps en danger.
Selon les circonstances, les pulsions peuvent être vécues comme l’essence
d’une vie heureuse (périodes fastes) ou comme des ennemies à neutra-
liser. » Toutes ces élaborations touchant l’homme malade, toutes ces
interrogations qui convoquent la métapsychologie peuvent donc aussi
être envisagées comme autant d’appels à des remaniements d’ordre
économico-dynamique.
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1995, no 7 « Psychosomatique et pulsions », avec Diran Donabédian.
La somatisation est-elle un destin possible des pulsions ? un destin
possible dû à l’inachèvement, en tant que défense, du mécanisme du
double retournement, avant même le refoulement – destin déjà vu plus
haut ?
Ils reprennent aussi la notion d’« impératif de prématurité ». Ils écri-
vent que les pulsions du moi ont imposé l’éducation qui les caractérise à
l’érotique originaire. Ils pensent que la prématurité des pulsions du moi,
à des fins défensives, notamment pare-excitantes, viendrait alors d’une
mobilisation de la pulsion de mort. Cet impératif de prématurité peut
donner naissance à des activités d’apparence très évoluée ; cependant,
il ne s’agirait pas de sublimation qui, elle, obéit à l’impératif de com-
plexification. Il semble que cet impératif de prématurité pourrait se
nommer « moi-idéal », locution de P. Marty qui prête d’ailleurs à confu-
sion selon eux.

2001, no 19. Thème proposé : « Mentalisation, Démentalisation. » Il


écrit dans « Mentalisation et passivité » : « Les traumas précoces et d’une
façon générale un cadre parental qui ne permet pas une structuration
36        Alain Fine

œdipienne suffisante chez l’enfant peuvent orienter le développement


pulsionnel de celui-ci vers une forme de défaillance de la mentalisation,
une “démentalisation”, peut-être due aux mécanismes de prématurité du
moi. » Il rappelle que ce qui est décrit classiquement comme une carence
des soins maternels peut entraîner une surexcitation, un « en plus » qui
surcharge l’économie pulsionnelle, impose aussi une contrainte à l’acti-
vité en lieu et place de l’objet actif inconscient manquant. Cette activité,
ce défaut de passivité pourraient être à la base des mécanismes calmants.
La problématique posée par la passivité en tant que position pulsion-
nelle, due, elle, à l’achèvement du double retournement, serait inscrite
comme complément de l’activité plutôt que son contraire. Cette mise en
place ne laisserait aucun repos au sujet, en opposition avec l’acceptation
d’une certaine passivité, en opposition constante aussi avec un narcis-
sisme véritable restaurateur. Il s’agirait plutôt ici d’un « narcissisme de
comportement » impliquant un inachèvement.
Le double retournement acceptant la passivité serait-il créateur d’une
unité de jouissance ?
Inversement, je l’ajoute ici, c’est une approche dans le livre : La Nuit,
le Jour : une mère par trop calmante, face à ce qu’elle pense être une
trop forte excitation érotique et auto-érotique de l’enfant, rabat cette
excitation ne venant pas de l’exigence du besoin mais bien de l’érotique,
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de la fonction du manque au niveau du désir, vers un surcomblement de
ce faux besoin, au détriment de la capacité d’halluciner le désir, créant
alors ce qui est nommé « néo-besoins ».
Au contraire de la mère dont la fonction serait seulement d’aboutir au
calme, la mère satisfaisante qui projette son narcissisme, donne l’amour
avec ses soins et organise une « censure de l’amante » advient comme une
sorte de matrice fantasmatique assurant la liaison des excitations.

Je terminerai en évoquant les deux lignées proposées par Fain : la


lignée d’une stimulation indifférenciée s’engouffrant dans toute béance
du pare-excitations, qui rappelle une lignée traumatique ; la lignée pul-
sionnelle, celle des pulsions sexuelles, exigeant une autonomie jouant sur
le pare-excitations, sur la conservation d’un investissement narcissique,
sur un exercice auto-érotique.

Alain Fine
30, rue Taboise
92140 Clamart
De l’importance du facteur économique           37

RÉSUMÉ – Michel Fain privilégie dans son approche la régression ainsi que les distor-
sions du moi au niveau du primaire : réalité primaire brutale, sensorialité indifférenciée,
environnement primaire néfaste. Dans des textes plus récents, il approfondit des notions
personnelles : inachèvement, impératif de prématurité, défaut de passivité, procédés cal-
mants, distorsions du masochisme primaire érogène…

MOTS-CLÉS – Préludes. Prématurité. Inachèvement. Désintrication. Calmant. Néfaste.

SUMMARY – In his approach, Michel Fain accorded greater importance to regression as


well as to distortions of the ego at the primary level : brutal primary reality, undifferenti-
ated sensoriality, harmful primary environment. In some more recent texts, he delved
into more personal notions : incompletion, the imperative of prematurity, the fault of
passivity, calming practices, distortions of primary erogenic masochism.

KEY WORDS – Preludes. Prematurity. Incompletion. Unbinding. Calming. Harmful.

ZUSAMMENFASSUNG – In seinem Ansatz betont Michel Fain besonders die Regression und
die Verzerrungen des Ich im frühkindlichen Stadium : brutale Primärwirklichkeit, undif-
ferenzierte Sinnlichkeit, schädliches frühkindliches Umfeld. In neueren Texten vertieft er
persönliche Begriffe : Unvollständigkeit, Imperativ der Frühgeburt, Passivitätsmangel,
Verfahren zur Beruhigung, Verzerrung des erogenen Primärmasochismus.
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STICHWÖRTER – Anfänge. Frühgeburt. Unvollständigkeit. Auflösung. Beruhigend.
Schädlich.

RESUMEN – Michel Fain privilegia en su enfoque la regresión así como las distorsiones del
yo al nivel del primario : realidad primaria brutal, sensorialidad indiferenciada, entorno
primario nefasto. En textos mas recientes profundiza en nociones personales : imperativo
de prematuridad, falta de pasividad, procedimientos calmantes, distorsiones del maso-
quismo primario erógeno…

PALABRAS CLAVES – Preludios. Prematuridad. Inacabadamiento. Desintricación.


Calmante. Nefasto.

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