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La traversée par le maternel dans une psychothérapie

conjointe mère-enfant
Pascale Blayau
Dans Revue française de psychosomatique 2012/1 (n° 41), pages 71 à 85
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1164-4796
ISBN 9782130593959
DOI 10.3917/rfps.041.0071
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 154.112.11.4)

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Pascale Blayau

La traversée par le maternel


dans une psychothérapie conjointe mère-enfant

L’enfant, âgé d’un an, que j’appellerai Léo souffre de troubles mas-
sifs du sommeil depuis l’âge de six mois. Outre les réveils nocturnes, il
réclame les bras et pleure dès qu’il est posé ou que ses parents s’éloignent
de sa vue. Une inflexion de la courbe de poids s’est amorcée ainsi qu’une
anémie. Une psychothérapie conjointe mère-enfant s’est engagée ; le
père, présent à la première consultation, n’a pas souhaité s’y associer.
Il est difficile de rendre compte de la complexité de cette situation à trois
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avec un très jeune enfant. Le souci d’impliquer aussi bien l’enfant que sa
mère dans un travail d’élaboration psychique tout en tenant compte du
lien et des interactions mère-bébé est souvent mis à mal. L’aménagement
de ce cadre est particulier et difficile à manier, garde la référence au
« site » analytique de la cure type. On cherche à favoriser l’associativité,
à établir une rencontre avec chacun en étant attentif à l’alternance d’in-
vestissement et de désinvestissement au sein des interactions.
La cure va permettre de mesurer combien les troubles du sommeil
chez Léo sont en rapport avec un défaut d’investissement libidinal de
l’enfant par sa mère, ainsi que de comprendre l’impact sur l’économie
psychosomatique de l’enfant des difficultés psychiques quant à la fonc-
tion maternelle et la censure de l’amante1. Ces mêmes références vont
tisser dans notre cas le cadre interne du thérapeute, ce qui joue un rôle
fondamental.
Les questionnements et tiraillements éprouvés par l’analyste partici-
pent de la mise en place d’espaces et de situations conflictuelles mobili-
satrices pour chacun des protagonistes. Comment rester au plus près des
associations tout en cherchant à accorder du temps à chacun, comment

1. Braunschweig D. et Fain M. (1975), La Nuit, le Jour : essai sur le fonctionnement mental,


Paris, PUF.

Rev. franç. Psychosom., 41/2012


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interrompre l’un pour s’adresser à l’autre, comment se partager entre


l’un et l’autre ? Comment rendre compte de l’impact des investissements
maternels sur l’enfant dont la réactivité suscite à son tour des nouvelles
émergences pulsionnelles chez le ou les parents présents, réactivant alors
leurs théories sexuelles infantiles ?
Ce sont quelques questions posées dans cette cure que j’essaierai
d’aborder.

LA RENCONTRE

Mme L. se montre réticente pour s’organiser et trouver du temps


pour la psychothérapie. Elle viendra pourtant régulièrement, malgré les
menaces d’interruption qui émailleront le traitement.
Tout un temps, elle arrive en séance, encombrée de sacs, de la pous-
sette, d’affaires diverses, au milieu desquelles j’aperçois Léo, porté sur
son bras, ballotté au rythme des mouvements de sa mère. Je suis frappée
par son teint pâle, sa mine défaite derrière la tétine, son tonus mou.
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Affaissé inconfortablement, se tenant à peine assis, il reste impassible,
sans mimiques, silencieux, mais en me fixant dès que je porte mon atten-
tion vers lui. Lorsqu’il tente de se redresser, sa gestuelle reste comme
suspendue. Il se laisse habiller ou déshabiller, comme une poupée-
­chiffon. Mme L. me paraît décontenancée par la situation. Elle me donne
l’impression d’apercevoir son fils en se penchant en avant, comme si sa
présence lui revenait subitement. Par moments, elle réajuste la tétine et
la chaînette reliée à son vêtement. Nous faisons connaissance à travers
ces moments d’incertitude et d’étrangeté.
J’apprends que les troubles du sommeil de Léo sont survenus bru-
talement à six mois, lors d’un séjour chez ses grands-parents où ses
parents l’avaient déposé avant de partir en vacances avec leur fille aînée.
Dès leur départ, Léo a déclenché fièvre et diarrhée. Il n’a pas mangé de
la semaine, très peu dormi et beaucoup pleuré. Depuis, ses troubles du
sommeil n’ont plus cessé. Léo se réveille maintenant toutes les deux heu-
res, ne s’endort qu’avec un biberon, réclame d’être porté dans les bras,
pleure souvent.
Le discours de Mme L. reste très factuel. Elle décrit par le menu les
tâches quotidiennes, les transports, les courses, dans un langage fruste
et incolore, en revenant sans cesse à la charge de travail domestique et
professionnel.
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Le caractère bruyant des réveils incessants de la famille et de son


harassement contraste avec l’impassibilité de Léo et le vide de leur
relation.
Envahie par ses propos déversés dans un flot ininterrompu, je prends
en compte qu’elle est dans un état d’épuisement. Par petites touches,
je tente de la ramener à ce qui se passe avec Léo. Je suis frappée par le
contraste entre le jour et la nuit : l’apathie de l’enfant et le calme opéra-
toire du discours de sa mère d’une part, les bruits harassant des réveils
nocturnes, de l’autre. Je repère plusieurs propos de facture opératoire,
qu’elle lâche en vrac : Léo « doit souffrir d’angoisse d’abandon » ; « il
connaît ses grands-parents puisqu’il les a vus à sa naissance » ; un enfant
gardé par ses grands-parents, c’est normal ; « notre fille aînée nous a
mal éduqués puisqu’elle n’a jamais posé de problème ». Mme L. cher-
che un remède pour faire dormir un enfant, et parle de Léo comme s’il
n’était pas là, présent. Dans son fonctionnement, l’hyperactivité compor­
tementale est privilégiée en tant que modalité défensive, au détriment
des défenses mentales. Grande sportive, championne de natation, elle a
travaillé jusqu’à la veille de son accouchement et a repris très vite son
travail. Un accident et des interventions chirurgicales ont interrompu
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ses entraînements intensifs. Cette déception semble avoir déclenché un
comportement boulimique et une importante prise de poids, après la
naissance de Léo.
Lors des séances, je manifeste ma présence en soutenant par le
regard mon attention à Léo que je vois esquisser des tentatives déses-
pérées et vaines pour apercevoir sa mère en arrière et au-dessus de
lui. Il essaie de se redresser, esquisse des mouvements, jette des coups
d’œil vers les jouets et s’affale. Dans le contre-transfert, je dois faire
un effort pour ne pas intervenir et me contenter d’étayer ces mouve-
ments par le regard et par mon écoute. De temps à autre, Mme L. prend
Léo brièvement sur les genoux, mécaniquement, tout en restant dans sa
logorrhée. Lorsque Léo cherche à se retourner vers elle, elle le repose
à terre pour réajuster ses jambes et lui enfoncer la tétine en la pla-
quant avec le plat de la main contre sa bouche. Comment comprendre
cette difficulté maternelle à s’identifier aux besoins de l’enfant ? J’ai
l’image d’un bâillon : veut-elle le faire taire ? Comme si elle utilisait la
tétine pour elle-même, sans répondre à un besoin de Léo qui la garde
mollement en bouche ou la lâche sans réagir : je ne le vois ni téter ni
la prendre par lui-même, il est posé là en suspens. Les non-réponses
de sa mère induisent une détresse. La tonalité dépressive de Léo est
préoccupante.
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Au début du traitement, je suis frappée par l’absence de souvenirs


de la première année de son enfant. Comme si Mme L. n’en avait gardé
aucune trace, une histoire non inscrite. De sa propre histoire, peu de
choses apparaissent, un élément vient accrocher mon attention, l’image
de son père qui boit et elle petite fille défendant sa mère.
Je saisis un moment où Léo cherche activement le visage de sa
mère, alors même que celle-ci lui retient les mains pour esquiver le
contact, je lui demande ce qui se passe là. Surprise ; après un silence,
elle me dit qu’elle ne comprend pas que son fils cherche à l’attraper et
même à la taper. Devant mon air interrogatif qui vise à la faire asso-
cier, elle dit qu’il y a « un décalage » entre eux. Je relève cet insight
inattendu.
Elle pense que Léo n’aime pas les câlins quand elle les lui propose, et
qu’elle a autre chose à faire quand il réclame sa présence. Devant moi,
elle interrompt aussi les gestes exploratoires de Léo.
Des traits de caractère anal vont se dégager avec des rituels obses-
sionnels, des vérifications, une névrose de la ménagère, une phobie du
contact. Les mécanismes de maîtrise comme des restrictions motrices
imposées à ses enfants : ils ne peuvent ni crier ni courir sur le parquet
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choisi facile à nettoyer ! Elle ne comprend pas que Léo la réclame quand
elle revient de son travail. « Il est bien avec son père, n’est-il pas nor-
mal qu’au retour du travail, ayant pris le métro, elle prenne sa douche
comme toute mère de famille ? Léo ne tient pas debout, il ne peut donc
pas venir avec elle. »

CACHER, TROUVER, JOUER

Face à la détresse de Léo et face à l’intensité de mes propres ressen-


tis contre-transférentiels, je me demande comment soutenir les tenta-
tives de l’enfant pour se tenir, ses amorces de mouvements, comment
me saisir de ses manifestations d’attente alors qu’il me regarde comme
intrigué, avant que le mouvement ne s’arrête ? Restée lettre morte, la
sollicitation se rompt, Léo renonce, s’éteint, s’affaisse. Cette disconti-
nuité est-elle le signe d’une répétition du mode de désinvestissement qui
lui est imposé ? Est-ce un moyen, pour lui, de se mettre à l’abri d’un
désinvestissement trop massif de sa mère, une tentative de reprise de
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maîtrise face à une situation traumatique ? Chercher à se passer de l’ob-


jet prématurément ?
Avec prudence, dès lors que Léo manifeste son intérêt pour les jouets,
ce que je commente, je les mets à sa portée. Imprégnée des observations
d’Emmi Pikler qui prônait la nécessité de laisser l’activité motrice spon-
tanée se développer chez les nourrissons, dans un environnement adapté
à leurs capacités, je vais m’employer à me laisser surprendre par lui, ce
qui va constituer une trame pour qu’il se saisisse de ce qui lui est offert.
Souvent silencieux, Léo va se manifester par des plaintes sourdes, puis
protester plus vigoureusement. Je découvre que mettre des mots sur son
malaise aura pour effet de réduire les interventions d’enfournement de
la tétine par sa mère. Sa réactivité à mes réponses montre que ses res-
sources peuvent être mobilisées.

Lors d’une séquence, pendant que Mme L. parle en continu, Léo,


après avoir jeté un regard à sa mère, effleure une clémentine de la
dînette et se retire avachi, interrompant son activité de lui-même. Puis,
il attrape maladroitement la clémentine qu’il pose dans la boîte de jouets
et reprend tout en me jetant des coups d’œil. Il ouvre et ferme le couver-
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cle avec lenteur. Au moment où la clémentine paraît couler de sa main
et roule, il s’en détourne. Je fais « ah ? ». Il me regarde et sourit timide-
ment, et retrouve la clémentine par le regard. Je dis « partie la clémen-
tine, la revoilà ». Il s’aventure à approcher une figurine de sa bouche.
Dès que sa mère s’en aperçoit, elle la lui retire et lui replace la tétine,
sans s’adresser à lui.

Une attitude particulière se dégage chez Léo au fur et à mesure qu’il


gagne en liberté d’initiatives. Il se révèle étonnant d’ingéniosité pour
échapper à notre regard, à sa mère et à moi, pour se mettre dans un
coin, caché sous la table, derrière une chaise, tourné dos à nous, alors
même que ses déplacements en sont à leur balbutiement, silencieux,
quasi imperceptibles. Il reprend les mêmes jouets d’une fois sur l’autre,
surtout le petit cochon. C’est la répétition du geste pour lui retirer ce
cochon qui amène sa mère à parler de sa crainte de la saleté et de sa peur
qu’il ne s’étouffe. En continuité avec les jeux de coucou que j’initie en
le cherchant du regard, je le vois qui cherche à s’échapper, à se faire
disparaître.
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Garçon ou fille  ?

Envahie par le discours saturé de Mme L., à propos de la vie dure et


du monde sans merci, je me sens identifiée à l’enfant absenté, non perçu,
non différencié. Je n’arrive pas à me représenter ce qui anime la mère
psychiquement, seule sa tension est perceptible. Elle se démène à corps
perdu, embarrassée d’elle-même, de son poids, de sa vie de famille.
Une séance va permettre d’amorcer un questionnement. Je vois Léo
attraper une figurine, et je saisis un gazouillis auquel je réponds. Alors
que Mme L. perçoit les sollicitations de Léo à mon égard, surgit au milieu
de ses propos la phrase suivante à peine audible : « il y a quelque chose
depuis la grossesse », qui est aussitôt déniée par l’affirmation d’une gros-
sesse sans problème.
Je reprends : « il y a quelque chose depuis la grossesse » et elle me
révèle qu’au cours du cinquième mois, alors qu’elle ne voulait pas savoir
le sexe de l’enfant, l’échographe lui a annoncé qu’elle attendait un gar-
çon, ce qui « l’avait ébranlée ». Elle ajoute qu’il lui avait gâché la sur-
prise du garçon, formule bien énigmatique.
Je ponctue : « quelque chose à garder caché », me demandant quelle
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figure de son histoire se profile ici. À partir des mots prononcés par
l’échographe s’était imposée à elle l’image d’une circoncision, anticipant
l’idée qu’il faudrait décalotter le garçon. Les gestes de décalottage par
un pédiatre sur son garçon et la nécessité d’« entretenir » cette tâche
qu’elle redoute sont reliés dans ses associations à sa préférence, par rai-
son d’hygiène, pour les hommes circoncis. Comme son mari, qui l’a été,
lui, pour raison médicale. Je me demande comment entendre ces images
livrées de façon abrupte, en présence de son fils, ce qui m’évoque la
confusion des langues entre parents et enfant. Je pense évidemment à
la gestuelle de Léo qui passe d’élans vers les jouets à des mouvements de
retrait comme s’il s’empêchait de les toucher, comme en écho aux propos
de sa mère.

L’image de l’acte de circoncire qu’elle me donne à voir de manière


quasi hallucinatoire montre la force pulsionnelle par défaut d’orga-
nisation d’un fantasme. J’y vois s’exprimer un double mouvement,
le désir de châtrer un garçon, un homme, mais aussi de le garder à
sa merci, indice de la toute-puissance phallique d’une mère, avec son
désir d’emprise. Cette irruption va rester en latence pour moi, devant
la nécessité d’exercer une fonction de pare-excitations face à la charge
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érotique et agressive qui sous-tend les relations mère - fils. La phobie


du contact fonctionne alors comme un contre-investissement massif.

Léo continue à réclamer des biberons la nuit, je m’intéresse à son


alimentation depuis sa naissance, cherchant à me représenter Léo
bébé. Mme L. me dit seulement que l’allaitement n’a pas duré car
elle avait peu de lait, ce qu’elle relie à une mammoplastie faite à dix-
sept ans, à l’insu de ses parents, grâce à la complicité d’un médecin.
Elle avait honte de sa poitrine trop volumineuse à la puberté, et l’ex-
cès d’attributs féminins, vécu de façon traumatique, l’avait amenée
à recourir à cette intervention chirurgicale. Elle me communique le
triomphe d’avoir déjoué l’autorité parentale. J’imagine plutôt un lien
possible entre le besoin de couper le prépuce, de « châtrer », lorsque
son émoi d’avoir un garçon est trop intense, et son besoin de cou-
per les seins associés à l’émergence des désirs amoureux érotiques à
l’adolescence.
Dans une séance où Léo commence à se tenir debout et se touche le
sexe, je mets du temps à comprendre Mme L. qui me dit qu’il cherche
sa tétine. Elle m’explique que, lorsque la tétine est lâchée de sa bou-
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che et pend au bout de la chaînette, elle se retrouve au niveau de son
sexe. L’équivalence tétine/sexe se dévoile, tétine qu’elle manipule avec
une excitation inconsciente en exerçant un contrôle des auto-érotismes
de l’enfant. Quels fantasmes sous-jacents ? Masturbation, fellation, rap-
prochement entre sexualité et saleté ? Montre-t-elle une identification
masculine et une inversion des sexes entre elle et son fils ?

Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une confusion, d’une indifférencia-


tion des zones érogènes ainsi que des espaces psychiques, d’où mon souci
de parvenir à éclairer et faire exprimer les représentations chez la mère.
Je vais saisir les écarts, les contrastes dans ses propos, par exemple le
« quelque chose » qui surgit du rien de la naissance de Léo, ou le « déca-
lage avec son enfant » pour sortir de l’indifférenciation.
Lors d’un échange que j’ai avec Léo à distance, Mme L. s’étonne
qu’il ne se laisse plus prendre par n’importe qui et qu’il réagisse face
aux personnes étrangères. J’entends la mise en garde à mon égard :
suis-je ­perçue comme familière ou étrangère ? Une phobie évocatrice de
l’angoisse face au visage de l’étranger fait son apparition. Ce n’est que
beaucoup plus tard qu’elle relatera son incompréhension des pleurs de
Léo quand elle le laisse à la nourrice. Comme si pleurer reste tout à fait
incompréhensible pour elle.
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FILLE, MÈRE, AMANTE

Mme L. commence à faire des liens qui témoignent d’un travail en


cours. Mais je continue à me sentir tiraillée et préoccupée, ce qui m’est
désagréable même si ces éprouvés me paraissent après coup plutôt opé-
rants. Soulagée que Léo se saisisse des moments d’indisponibilité de sa
mère pour expérimenter ses initiatives, je me sens prise d’un sentiment
de culpabilité quand je réalise que je l’ai engagé dans un jeu de coucou
alors qu’il est à moitié caché derrière un meuble, jeu de cache-cache à
distance. Saisir l’attention de l’enfant, à l’insu de sa mère, le dérober
à son regard, me met mal à l’aise de crainte de la blesser. D’un autre côté,
écouter Mme L. me parler d’elle me donne le sentiment de la « détour-
ner » de son fils, comme si je lui faisais un sale coup pour la distraire
afin que Léo s’autorise à jouer. Un jour que j’étais prise par l’écoute de
Mme L., au moment où mon regard s’est dirigé vers Léo, j’eus la sen-
sation qu’il avait disparu soudainement sans que je m’en sois aperçue.
Saisie d’angoisse, il me fallut le chercher ; je le retrouvai paisible bri-
colant devant le miroir, avec la sensation pénible de l’avoir un moment
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oublié. Ces tiraillements que je vivais dans une sensation de risque de
catastrophe vitale et de disparition me sont apparus constituer un mou-
vement mutatif.
Je me souciais d’accorder du temps et de l’espace à chacun d’eux de
façon consciente, mais c’est après m’être sentie prise, à mon insu, par la
problématique centrale de la discontinuité d’investissement et de désin-
vestissement de l’un et de l’autre que j’ai pu dégager des espaces diffé-
renciés. En quelque sorte, il m’était difficile d’assumer la place du tiers
séparateur inclus dans la méthode analytique, comme absorbée dans
une relation duelle. Ainsi, le cadre de traitement conjoint permettrait
d’offrir les conditions pour que s’intègre quelque chose de « la censure
de l’amante », lorsque le partage entre deux investissements différenciés
passe par le vécu du thérapeute identifié au parent, lorsque lâcher l’un
pour vivre quelque chose avec l’autre n’est plus vécu dans la destruction
ou la confusion.

Au moment où Léo acquiert des capacités psychomotrices et une tona-


lité affective plus différenciée, je vais percevoir dans deux situations les
difficultés de Mme L. d’investir Léo de manière plus différenciée. Elle
m’annonce, sans aucune manifestation affective, que Léo marche, tout
en se demandant s’il ne l’avait pas déjà fait en son absence. Quelque
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temps plus tard, j’entends incidemment que Léo ne s’est pas réveillé la
nuit précédente, ce que je reprends pour lui signifier que « cela n’est
pas tombé dans l’oreille d’un sourd ». Elle rectifie en disant avec un cer-
tain agacement qu’en tout cas, elle ne s’est pas réveillée. Je perçois dans
cette nuance une amorce d’altérité avec son enfant. Elle se dédouane
en précisant que c’est son mari qui « était de garde » cette nuit-là, met-
tant en relief par là l’interchangeabilité des rôles père-mère. Son mari
n’est mentionné dans ses propos que comme double maternel assurant
le relais.
En effet, Mme L. évite tout moment de vide dans sa vie, l’absence de
pause dans son discours en témoigne : la perception du manque est into-
lérable. Elle fait alors un lien entre se détruire avec la nourriture pour
combler un vide et se détruire par l’alcool, comme l’a fait son père. Elle
m’apprend que celui-ci est décédé des suites de complications d’une cir-
rhose du foie. Elle se dit soulagée, mais la tonalité affective reste froide.
À ce moment, je vais la solliciter ; alors qu’elle jette un coup d’œil aux
jouets que son fils manipule, elle me dit qu’elle n’a aucun souvenir d’en-
fance, aucun souvenir d’avoir joué.
Elle rapporte peu de choses de son histoire, des scènes figées comme
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des arrêts sur image, débordée par une angoisse diffuse. Le climat de
l’enfance est morne, ponctué par des accès violents, les cris du père, et
sa préoccupation à défendre sa mère qui était infirmière. Les éléments
sensoriels qui manquent à se mettre en forme prédominent.

Un épisode survient dans un moment où je sens Léo plus vigoureux


et sa mère plus attentive à lui. Il s’est installé à la petite table avec des
figurines et des animaux. Mme L. repense, troublée, à sa réaction à l’an-
nonce d’un garçon et lâche dans un souffle qu’« elle l’aime bien mais
pas comme sa sœur ». Léo s’effondre alors brusquement sur lui-même,
tombant du tabouret. Il ne manifeste rien, tout juste étourdi. Sa mère le
remet sur le tabouret et le réinstalle et poursuit son récit, comme si de
rien n’était.
Je me sens atterrée de cette chute réelle de Léo concomitante à ce
qu’il a pu sentir comme une chute de holding, un désinvestissement
maternel énoncé dans son discours. Peu à peu, Mme L. décrira des
scènes plus vivantes figurant la violence sur fond de dépression pro-
fonde de son propre père, suite à un licenciement brutal et injuste.
Elle retrouve un souvenir de son père jouant au cheval avec les
enfants gardés juchés sur son dos qui laisse apparaître chez elle un
mouvement de tendresse. Les imagos se transforment et les conflits
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identificatoires s’amorcent dans des scénarios un peu plus triangulés.


L’amorce d’un fantasme de scène primitive s’exprime par sa curiosité
vis-à-vis des discussions des adultes qu’elle ne comprend pas, dans
un climat familial qui s’avérera après coup hypersexualisé et terri-
blement excitant.
Des mécanismes de dénégation émergent concernant son inquiétude
vis-à-vis de son fils et vont transformer la trame psychique, laissant
paraître du refoulement. À une séance où Mme L. me glisse à voix
basse que Léo cherche le petit cochon, elle me dit que Léo met tout
à sa bouche en ce moment. Lui se réfugie avec le cochon derrière un
fauteuil puis le paravent, avec un air coquin à mon égard, et sa mère le
laisse faire pour une fois. Je commente alors : « oh ! le petit cochon ! »,
ouvrant sur le double sens. Mme L. associe sur un événement du matin
même : elle a demandé à son mari d’aller au secours de Léo car il tous-
sait alors qu’elle était aux toilettes. Je reprends sa formule « aller à son
secours », elle insiste pour me dire qu’elle n’est jamais inquiète, alors
qu’elle décrit deux hospitalisations précoces de Léo l’une pour une
infection urinaire, l’autre pour une chute dans l’escalier. Elle dénie
tout affect d’inquiétude, Léo trône sur un cheval et se regarde dans le
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miroir.
Se manifeste à mon sens l’ébauche d’une préoccupation maternelle
primaire alors que sa capacité à être sensible à l’état de dépendance d’un
bébé vulnérable avait été gelée. L’impossibilité à se confronter au pul-
sionnel de son enfant et l’excitation montrant la défaillance du refou-
lement l’avaient amenée à prodiguer des soins de façon opératoire à le
tenir à distance, le plonger dans le sommeil sans préparation. Elle com-
mence à figurer Léo fragile et susceptible de tomber, se mettre en danger
et avoir besoin d’être protégé.
L’arrimer à une tétine visait-il à contenir ce qu’elle vivait d’effrayant
de l’avidité d’un nourrisson, de sa pulsionnalité et de son élan vital ?
Car aucun temps transitionnel, aucun objet transitionnel n’était toléré.
Mentionner qu’elle était occupée aux toilettes montre le lien avec l’ana-
lité, mais aussi sa non-disponibilité dont elle prend conscience. La scène
entre l’enfant et son père semble être une scène dangereuse d’étouffe-
ment, qui se condense avec une scène primitive sadique et qui ravive ses
souvenirs infantiles.
Apparaissent des moments de partage entre Léo et sa mère, et un
enrichissement du mode relationnel de Léo par des mimiques et des
gazouillis : il joue à faire mine de venir vers moi et se précipite vers sa
mère. La survenue d’une nouvelle chute immotivée de Léo qui s’affaisse
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La traversée par le maternel dans une psychothérapie conjointe…      81

lourdement comme s’il se vidait de lui-même me fait prendre la mesure


de sa capacité à agir les fantasmes maternels, au moment où Mme L.
sensible à son évolution me disait que dans la relation avec lui quelque
chose de plus naturel et facile se développait, en contraste avec la gêne
précédente.
Mme L. manifeste qu’elle se sent de plus en plus mal, comme écrasée
par sa propre existence. La qualité de la dépression exprimée par l’épui-
sement m’apparaît plus de l’ordre de la démentalisation sans objet que
d’ordre névrotique objectal.
Je comprends que le mode de défense coûteux que représente le
recours à l’hyperactivité ne suffit plus, et elle lâche dans un souffle :
« avant, j’avais la force d’enterrer la dépression », montrant la puis-
sance de sa lutte effrénée pour réprimer sa vie émotionnelle. Quand elle
réalise quelle enfant sage et effacée elle était, elle se révolte contre sa
mère qui lui disait d’aller de l’avant. La levée progressive de la répres-
sion entraîne des éruptions affectives fortes qui l’inquiètent, et la ren-
dent réactive à la moindre contrariété.
C’est dans ce moment de réaction thérapeutique négative que Mme L.
m’annonce la fin de la thérapie. Son mari est muté, elle va reprendre une
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thérapie « là-bas ». Je suis abasourdie, comme un enfant qui tombe de
sa chaise, mais aussi furieuse d’être si vite remplacée. Cet agir serait un
défaut de symbolisation ? Je pense déni de la séparation, interchangea-
bilité des personnes, rapproché trop dangereux. Je relie son annonce à
la séparation due à mes prochaines vacances. L’imprévisibilité imprègne
tous les niveaux de son fonctionnement et la discontinuité m’est imposée.
Le sol glissant, le parquet comme une patinoire, ne pas tenir debout sont
des figurations d’éprouvés de perte, sans assise stable.
Un épisode de pleurs francs de Léo lors d’un jeu d’imbrication me
permet de soutenir sa mère dans l’accueil et la recherche des raisons
de sa détresse. Il revient subitement à celle-ci et elle en reste interdite
de stupéfaction qu’elle vient de glisser sur le trottoir plein de cacas de
pigeon devant l’IPSO et que Léo s’est retrouvé assis sous elle. J’ai l’image
d’un accouchement, mais je suis aussi sensible à la non-formulation et du
vécu de chute et du ressenti de peur. C’est moi alors qui l’éprouve. Je
dis que Léo a pensé que sa mère le laissait tomber et a eu peur. Mme L.
me dit qu’elle a tout fait pour le retenir, j’entends l’hésitation entre se
salir et le retenir. Le thème de la chute, de laisser tomber, être laissé sur
le carreau, être lâché va faire l’objet de reprise de la problématique des
séparations, absences, désinvestissements, disparition en lien avec la fin
de la psychothérapie. Et bien sûr, tout en le pensant prématuré, je vais
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prendre soin de convenir avec elle du terme avec un délai qui permette
de transformer cette menace de rupture en travail de séparation et en
aborder les aspects conflictuels.
Des souvenirs émergent en rapport avec l’actualité des séances à
travers la relation transféro-contre-transférentielle. L’âge de treize ans
ouvre plusieurs voies associatives : le départ de ses frères et sœurs de la
maison ; la perte de travail de son père « mis sur le carreau » ; le regard
de son père sur elle portant une robe ; son père poussant sa mère sur le
canapé en lui serrant le quiqui. Elle fait le geste d’étrangler, je pense
cou mais aussi pénis des garçons. Elle se souvient avoir voulu mourir,
pensant qu’elle aurait mieux fait de ne pas naître, se sentant responsable
des disputes de ses parents. Elle a appris récemment la grossesse tardive
de sa mère, plus de dix ans après ses frères et sœurs, une grossesse vécue
comme honteuse, cachée aux voisins.
Je note les progrès de Léo dans tous les domaines tout en écoutant
sa mère qui s’inquiète de son propre avenir quand ses enfants seront
grands. Avec gêne, elle me dit que, si elle n’entretient pas son couple, il
ne lui restera rien. Le terme d’« entretenir » utilisé à propos des manœu-
vres autour du prépuce de son fils résonne en moi. Elle énonce sans affect
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apparent le livre Le Choix de Sophie, où une mère doit choisir entre la
fille et le garçon, et elle décrète qu’elle choisit son mari plutôt que ses
enfants. La confusion des investissements et la difficulté à se partager
entre son mari et ses enfants s’expriment de façon radicale. Pourtant,
sa complicité avec son mari reprend vie et elle le laisse prendre sa place
de père. La censure de l’amante semble s’installer en même temps que
l’apparition de nouveaux investissements.

La problématique narcissique phallique et identitaire et les traits


de caractère qui avaient longtemps paralysé toute possibilité de contact
avec elle sont moins envahissants. Un travail autour du féminin s’est
amorcé et une capacité à assumer une certaine passivité devient possible.
La dépendance dans la relation transférentielle est moins vécue comme
la disparition ou la destruction de l’autre ou de soi. L’objet peut survivre
à la haine. L’enrichissement du préconscient s’est progressivement pro-
duit. Le terme caché s’est décliné dans plusieurs registres, un sexe caché,
un enfant caché, une grossesse cachée, et s’ouvre dans plusieurs direc-
tions, la perception de la différence des sexes, la perception du manque,
l’absence. Le thème de la honte a émergé à divers niveaux : avoir honte
de son image, des pleurs de son enfant, de son père, en écho à la honte de
ses parents à sa naissance.
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Mme L. a tenu à me dire que le plus important pour elle avait été de
se différencier de sa mère même si elle en a peu parlé. Elle a le projet
d’entreprendre un traitement analytique personnel, après avoir pu faire
l’expérience d’une conflictualité interne.

Pour terminer, quelques questions ouvertes à la discussion :

Dans ce traitement conjoint mère-bébé, ma préoccupation a été de


chercher comment rendre possible que Léo et sa mère puissent se ren-
contrer dans le bruit de la vie alors que leur lien semblait s’inscrire
dans un paradoxe : pour Mme L., son investissement maternel sem-
blait exiger le silence absolu, l’extinction pulsionnelle, de même que les
soins visaient à obtenir le calme à l’opposé de la satisfaction. Léo, bébé
insomniaque, cherche à solliciter et à séduire une mère épuisée, dévi-
talisée psychiquement. Comment être là, accueillir le brouhaha de la
violence pulsionnelle et le sentiment de non-existence sous les auspices
de la négativité, de l’effacement dans le registre traumatique, le risque
de désinvestissement ? La perte tonique comme phénomène d’absence
de soi sans traduction possible en affect et les perturbations du sommeil
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répondaient à l’effraction d’afflux d’excitations par défaut de moyens
de mentalisation.
Je trouvais ici, en place de la « folie maternelle », une folie d’em-
prise, sur un enfant éteint, effacé, atteint dans son évolution, captif du
rêve maternel selon l’expression de Michel Fain.
Comment amorcer une rencontre avec une mère et son enfant sans
faire intrusion, ni se tenir trop à distance ? Il m’a paru nécessaire de
me laisser prendre par l’inorganisation, le chaos et la détresse dans un
premier temps, pour pouvoir m’en dégager dans un deuxième temps et
amener peu à peu les conditions d’une transformation par le biais du
lien transféro-contre-transférentiel. Monique Schneider reprend avec
éloquence l’« attention flottante » de Freud en disant qu’elle est une
« possibilité d’être ébranlé par ce qu’impose l’écoute en même temps
qu’une tentative d’en atténuer l’impact ; il s’agira non de plonger, mais
de flotter1 ».
Supporter de vivre les alternances d’investissement pour chacun
des protagonistes, en particulier pour une mère qui ne supporte pas son
enfant dans tous les sens du terme « supporter », s’avère un moteur du

1. Schneider M. (2011), La Détresse aux sources de l’éthique, Paris, Seuil.


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traitement de ce dispositif particulier et nécessaire pour que le climat des


séances se transforme, que chacun puisse apprendre à attendre, expéri-
mente la capacité d’être seul en présence de l’autre, et retrouve le goût
du plaisir du jeu.

Lorsque Mme L. a repris contact avec une partie clivée de son his-
toire, le travail de deuil de son père s’est amorcé, ainsi que l’inscrip-
tion dans une temporalité. Elle a pu trouver la possibilité d’entrer en
écho avec son enfant, de saisir les échanges entre lui et moi, de se sentir
touchée, surprise, d’accepter de tâtonner. Entrer dans la danse comme
témoin du cheminement vers la constitution du maternel a ouvert les
conditions pour la créativité, la construction du lien, la différenciation
des espaces. Ce passage a permis qu’elle offre à son enfant les conditions
pour que s’ouvre la voie hallucinatoire chez lui.
Dans l’« Esquisse », Freud évoque « l’action spécifique », l’apport de
conditions pour que l’infans trouve la satisfaction. La voie hallucina-
toire permet à l’enfant d’organiser sa réalité interne à partir de la mise
en jeu de ses auto-érotismes et de rêver. L’endormissement ne sera plus
vécu comme traumatique, ni la séparation comme une rupture. La répé-
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tition dans le jeu de rechercher activement à échapper à la vue en place
de perdre de vue passivement montre la capacité à organiser des figu-
rations et la représentation de l’autre de la mère. Encore fallait-il qu’il
soit cherché et trouvé quand il se cachait. Avec la transmission de Pierre
Marty, Michel Fain et Denise Braunschweig, nous savons l’importance
de la fonction maternelle et de la censure de l’amante pour soutenir les
processus de croissance et de développement somatique chez l’enfant, et
ouvrir la voie hallucinatoire.

pascale blayau
1, rue de Pontoise
75005 Paris

RÉSUMÉ – L’auteur envisage les liens entre la qualité du fonctionnement mental d’un enfant
âgé d’un an qui souffre de troubles sévères du sommeil et l’absence de fonction pare-
excitations chez sa mère ainsi que les difficultés d’intégration de la censure de l’amante,
discontinuité d’investissement maternel et de désinvestissement lorsque la mère redevient
amante.

MOTS-CLÉS –
Censure de l’amante. Fonction pare-excitante. Effraction d’excitations. État
traumatique.
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SUMMARY – The author traces links between the quality of mental functioning in a one year
old child suffering from severe sleep disorders and the absence of a protective shield in his
mother, as well as difficulties in integrating the censorship of the lover, a discontinuity in
maternal cathexis and de-cathexis when the mother becomes a lover again.

KEY WORDS – Censorship of the lover. Protective shield. Overwhelming excitations. Trau­
matic state.

ZUSAMMENFASSUNG – Der Autor betrachtet die Zusammenhänge zwischen der geistigen


Funktionsweise eines einjährigen, unter schweren Schlafstörungen leidenden Kindes und
der Abwesenheit eines Erregungs-Schutzschilds der Mutter sowie die Schwierigkeiten
der Berücksichtigung der Zensur der Geliebten, die Sprünge zwischen mütterlichem
Engagement und Entzug, wenn die Mutter wieder zur Geliebten wird.

STICHWÖRTER – Zensur der Geliebten. Anti-Erregungs-Schutzfunktion. Erregungseinbruch.


Traumatischer Zustand.

RESUMEN – El autor considera los vínculos entre la cualidad del funcionamiento mental
de un niño de un año que sufra de trastorno grave del sueño y la ausencia de función de
paro-excitación en su madre asi como las dificultades de integración de la censura del
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amante, discontinuidad de la inversión maternal y de la desinversión cuando la madre
vuelve a ser amante.

PALABRAS CLAVES –
Censura del amante. Función para-excitante. Fractura de excitaciones.
Estado traumàtico.

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