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Psye 472 0341
Psye 472 0341
2004/2 - 472
ISSN 0079-726X | ISBN 2130549918 | pages 341 à 391
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 02/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.64.221.85)
INTÉRÊTS ET LIMITES
D’UN GROUPE DE PAROLE
POUR ADOLESCENTS INFECTÉS
PAR LE VIH
Isabelle FUNCK-BRENTANO1
Serge HEFEZ2
Florence VEBER3
Pierre QUARTIER4
Stéphane BLANCHE5
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PATIENTS ET MÉTHODES
Règles de fonctionnement
Procédure d’inclusion
Lors d’une consultation médicale, le pédiatre informait
l’adolescent et son parent de l’existence du groupe de parole
Groupe de parole pour adolescents infectés par le VIH 349
RÉSULTATS
Population à l’inclusion
— Caractéristiques sociofamiliales
La moyenne d’âge des 21 adolescents ayant participé au
groupe de parole était de 15 ans 1 mois [11, 7-16, 8]. Le
groupe était composé de deux fois plus de filles que de gar-
çons (14 filles ; 7 garçons). La majorité, soit 19 adolescents,
avaient été infectés par voie materno-fœtale (90 %) tandis
que 2 l’avaient été par administration de produits sanguins
contaminés, l’un hémophile et l’autre lors d’une opération à
la naissance.
350 Isabelle Funck-Brentano et al.
* Médiane et extrêmes.
Céline : « J’en ai parlé à une copine. Elle l’a dit à sa mère et elle
l’a dit à personne d’autre. Sa mère l’a dit à ma mère qui est sa meil-
leure amie. Ma mère a été surprise ; elle ne m’en a pas voulu. Je suis
contente de l’avoir fait et j’y pense plus maintenant. »
Pierre : « Une fois je veux en parler à un copain et puis je me
bloque ; une semaine après je me dis qu’il m’aurait balancé et que
j’ai bien fait de ne pas lui parler. J’ai un copain dans le Sud à qui je
peux en parler... »
Simbad : « J’en ai parlé à une copine qui est maintenant mon
ex-copine ; personne le sait et c’est mieux. »
Mathieu : « Avec ma mère, c’est non. J’ai l’impression que ça
lui fait de la peine, alors j’en parle pas trop. Elle a connu des histoi-
res avec des gens qui ont été rejetés, du coup elle a peur pour moi.
Mais d’ici l’année prochaine, je vais être obligé d’en parler. J’ai pas
envie que ça explose, que je craque, que je me mette à m’énerver
avec mes copains... »
La grande majorité des adolescents déclarent vivre très
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— Le déni
Le maintien de ce non-dit tout au long de la trajectoire
des adolescents contaminés illustre la fonction du déni dans
l’économie psychique de l’individu, mais aussi sa fonction de
déliaison au sein d’un groupe familial.
Animateur : « Tu vis avec deux parents qui sont contaminés.
C’est quelque chose de lourd à supporter ? »
Mathieu : « Ouais, plutôt, par exemple le soir quand on prend
tous les mêmes médicaments. »
Animateur : « C’est quelque chose qui est partagé à l’intérieur
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Céline : « Je crois que c’est le docteur qui avait dit qu’il fallait
me le dire. Aux informations, j’avais vu à la télévision les mêmes
cachets que moi et je l’ai dit à mes parents et ils ont dit ça arrive. »
Animateur : « À quoi tu as pensé à ce moment-là ? »
Céline : « Je me suis demandé comment je l’ai eu ; ils m’ont dit
par transfusion parce que j’avais eu un souffle au cœur quand
j’étais petite. »
[...]
Simbad : « Ça m’a fait ni chaud ni froid ! J’étais même en train
de rigoler parce que j’ai cru que c’était une farce. Ma mère, je lui ai
reproché de ne pas me l’avoir dit plus tôt. Me le dire à 11 ans, c’est
tard [...] Ma mère m’a dit : “C’est par transfusion sanguine.” Je sais
pas, peut-être elle m’a menti. Je lui ai posé la question plusieurs fois
et elle m’a parlé d’autre chose. [...] J’ai vu à la télévision les médica-
ments que je prenais, alors je n’ai plus mangé... »
[...]
Animateur : « Est-ce que quand vous l’avez appris, vous avez
eu l’impression que vous vous en doutiez ? Que vous aviez un soup-
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sida pour ses camarades de classe. Cet intérêt la pousse sans doute à
regarder un soir une émission de télévision consacrée aux perspec-
tives ouvertes par les nouveaux traitements de la maladie. Un
détail lors d’un reportage consacré à la vie d’un malade fige
l’attention d’Anna : le nom d’un médicament ingéré par la patiente
apparaît subrepticement, signifiant familier d’un produit quoti-
diennement présent au côté de l’assiette du petit déjeuner de son
père. Ce mot déchire un pan de voile, tourbillonne dans la tête de la
jeune fille jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus tenir. Profitant d’un
tête-à-tête avec son père, elle lui pose la douloureuse question :
« Es-tu oui ou non malade du sida ? »
Anna se remet peu à peu de l’acquiescement paternel, parait
soulagée de détenir cette vérité, même si elle n’opère aucune liaison
consciente entre la maladie de son père et la sienne. Quelques semai-
nes plus tard, Anna, distraite, emprunte par mégarde la brosse à
dents de son père. Affolée, certaine d’avoir été ainsi contaminée, elle
court voir sa mère qui, n’y tenant plus, lui dévoile un autre pan de
cette histoire : « Tu es toi aussi, ma fille, porteuse de ce virus, mais
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— La sexualité
Pour ces adolescents qui s’engagent dans leurs premières
relations amoureuses et sexuelles, rien n’est simple. La pre-
mière fois, ça va à peu près car tout le monde est censé mettre
un préservatif ; mais après, tout se complique. Doivent-ils en
parler, faire confiance alors que leur histoire les pousseraient
plutôt à se méfier de tous ? Et si oui, à quel moment ? Sou-
vent, plutôt que de se confronter à ce dilemme, ils anticipent
le rejet et l’exclusion et préfèrent rompre, et rompre encore,
véritable processus de répétition d’un début d’existence déjà
bien malmenée par les deuils et les séparations :
Simbad : « Comme disait Pierre avant les vacances, en amour, il
faut être trois. »
Animateur : « Tu as envie de parler de ça ? »
Simbad : « Oui, si on est deux, ça pose des problèmes, il faut
bien être trois. »
Animateur : « Tu as déjà rencontré des problèmes ? »
Simbad : « Aucun avec celle avec qui j’étais depuis longtemps.
Comme j’ai vu qu’elle allait me laisser, avant qu’elle me laisse, ben
je l’ai laissée. Quand je lui ai expliqué qu’en amour il fallait être
trois, elle a pas voulu et j’ai pensé qu’elle allait me laisser. Elle me
regardait bizarrement. »
Groupe de parole pour adolescents infectés par le VIH 367
— Les traitements
Pierre : « J’ai pas de problème avec les médicaments mais c’est
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DISCUSSION
qui n’ont pas leurs problèmes ; ils constatent aussi qu’ils peu-
vent avoir des problèmes similaires d’origine différente, ce
qui relativise leur situation et la dédramatise tout en permet-
tant à chacun de surmonter plus facilement ses propres diffi-
cultés. Une étude comparative avec d’autres groupes de
parole d’adolescents séropositifs permettrait de dire si la
capacité de courte durée des adolescents séropositifs à
s’identifier à leurs pairs est une caractéristique isolée ou si elle
est générale à la population adolescente des séropositifs.
Par ailleurs, contrairement à l’expérience décrite avec les
groupes d’adultes séropositifs (Kelly, 1998 ; Weiss, 1997), les
adolescents ont révélé être dans la quasi-impossibilité de pou-
voir exposer devant le groupe des difficultés familiales inti-
mes dont ils faisaient une expérience personnelle douloureuse,
ce qui a fait obstacle à l’aide qu’ils auraient pu s’apporter sur
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alors que plusieurs séances ont déjà eu lieu. Les groupes fer-
més sont requis dans le cadre des thérapies structurées où un
programme précis des séances est déterminé à l’avance. Dans
le cas des groupes de soutien où ce sont les patients
eux-mêmes qui identifient leurs difficultés semblables et les
discutent, le principe du groupe fermé est moins nécessaire.
En cas d’absentéisme ou de départ de plusieurs participants
en cours d’année, le groupe ouvert offre plus de chances
d’avoir un nombre suffisant d’adolescents à toutes les séances
et le renouvellement des participants réduit le risque que
l’intérêt des thèmes abordés se tarisse. En revanche, le renou-
vellement en cours d’année expose les anciens participants à
l’inconvénient de reprendre avec les nouveaux venus des
thèmes dont ils n’ont plus envie de parler. La cohérence du
groupe et la notion d’une identité commune sont ainsi plus
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RÉFÉRENCES