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La notion de fragilité des
personnes âgées : apports,
limites et enjeux d’une
démarche préventive
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La fragilité des personnes âgées est une notion biomédicale développée en Amérique du
Nord (Hogan et al., 2003) puis reprise dans les autres pays industrialisés. Principalement
fondés sur des recherches en épidémiologie (clinique et sociale), les travaux sur la fragi-
lité commencent à fournir des instruments qui pourraient permettre de poser un diagnos-
tic clinique de la fragilité. Des programmes de prévention primaire (Drey et al., 2011) et
secondaire (Fairhall al, 2008) apparaissent également.
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l’extérieur (Michel, 2010). Il n’est donc pas surprenant que les gériatres se soient saisis
de cette notion pour caractériser l’état de faiblesse des personnes âgées à partir d’in-
dicateurs essentiellement biologiques et physiques. Plus précisément, la fragilité serait à
la fois un état de faiblesse et un processus de fragilisation réversibles sur lesquels il serait
possible d’agir dans une perspective de prévention.
La fragilité est présentée comme un état d’équilibre instable entre deux bornes quali-
fiées de façon variable selon les auteurs : par exemple, « la fragilité décrit précisément un
état d’équilibre précaire avec un risque de déstabilisation, une sorte d’état intermédiaire
entre la robustesse et la dépendance » (Piette et Boumendil, 2009). Cet état d’équilibre
précaire peut être situé de façon plus large entre la bonne santé et la maladie, l’auto-
nomie (mentale) et sa disparition, l’indépendance (physique) et sa perte, l’existence de
ressources et leur épuisement, la présence d’un entourage affectif ou aidant et le total
isolement (Michel et al., 2002).
La fragilité est aussi caractérisée comme un risque : par exemple, « le risque pour une
personne âgée, à un moment donné de sa vie, de développer ou d’aggraver des limita-
tions fonctionnelles ou des incapacités, étant donné les effets combinés de déficiences
et de facteurs modulateurs » (Lebel et al., 1999).
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Frailty is best regarded as a condition or syndrome which result from a multi-system reduc-
tion in reserve capacity to the extent that a number of physiological systems are close to, or
past, the threshold of symptomatic clinical failure. As a result the frail person is at increased
risk of disbability and death from minor external stresses. (Campbell et Buchner, 1997)
La réduction des réserves physiologiques occupe ainsi une place centrale dans la défi-
nition de la fragilité (Aquino, 2009).
Plus précisément la question se pose de savoir s’il s’agit d’un syndrome médical ou géria-
trique, c’est-à-dire d’un ensemble de dysfonctions essentiellement physiques, avec des
composantes réduites associées à un processus biologique identifié (syndrome médical)
ou avec des composantes et des trajectoires multiples (syndrome gériatrique) (Bergman
et al., 2004, 2007 ; Karunananthan et al., 2009).
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Les instruments de mesure de la fragilité sont également multiples (Fortin et al., 2009).
Toutefois, deux principaux modèles opérationnels, faisant écho au débat sur le syn-
drome médical ou gériatrique, balisent le champ de la mesure de la fragilité des per-
sonnes âgées.
D’un côté, Linda Fried (2001) propose de mesurer la fragilité à partir de cinq indica-
teurs physiques :
perte de poids non intentionnelle de plus de 4,5 kg dans la dernière année
force de préhension
vitesse de marche sur 4,5 mètres
endurance, fatigue rapportée par le patient à partir de deux questions du CES-D,
une échelle de dépression
sédentarité, mesure des dépenses énergétiques (évaluée au travers de la version courte
du Minnesota Leisure Time Physical Activity Questionnaire)
Relié d’un point de vue conceptuel au cycle de fragilité, ce système de mesure de la fra-
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D’un autre côté, Kenneth Rockwood (2005) défend une approche multidimensionnelle
de la fragilité pouvant regrouper jusqu’à 70 indicateurs de nature très différente (symp-
tômes, signes cliniques, maladies, incapacités) et intégrant des indicateurs d’ordre psy-
chologique (dépression) et cognitif (mémoire). Effectivement très large, ce système de
mesure peut être assez lourd à utiliser ; il a aussi l’inconvénient de ne pas faire la dis-
tinction entre la fragilité, les comorbidités et les incapacités.
Dans une perspective exclusivement physique, Vellas (1997) propose ainsi de mesurer
la fragilité à partir d’un indicateur unique : le temps d’appui sur un pied.
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Selon les auteurs, les instruments de mesure mobilisent donc un nombre plus ou moins
important de dimensions et d’indicateurs. Le tableau suivant résume les principales
dimensions et les principaux indicateurs de fragilité des personnes âgées.
Au départ, biomédicale et centrée sur l’analyse des substrats biologiques et des indi-
cateurs physiques, la notion de fragilité intègre progressivement des indicateurs cogni-
tifs ; elle s’efforce aujourd’hui de prendre en compte les dimensions psychologiques et
surtout sociales, particulièrement importantes pour intervenir en amont du processus
de fragilisation, avant l’apparition des manifestations physiques de la fragilité (perte de
2 Force : force de préhension, levée de chaise, tests musculaires manuels • Équilibre : chutes, peur
de tomber, examen de l’équilibre • Nutrition : poids, albumine, cholestérol • Endurance : autoévaluation
de l’énergie et de la fatigue, activités physiques récentes • Neuromotricité : vitesse de mouvement (par
exemple, vitesse de frappe avec doigts et pieds), attention (par exemple faire plusieurs choses à la fois),
coordination (par exemple, alternance rapide de mouvements) • Mobilité : marche, transferts, escaliers,
dispositifs d’assistance.
3 Apparence : attention à son apparence, posture, hygiène • Recours au système de santé : hospitali-
sation, soins à domicile, fréquence visites médecins • Complexité médicale : nombre et gravité diagnos-
tics, stabilité pathologies, nombre et complexité traitements médicamenteux • Santé perçue : opinion
du patient ou autres personnes sur la santé du patient • Activités vie quotidienne : basique, instrumen-
tale, avancée, capacité à se déplacer à l’extérieur de la maison • État émotionnel : dépression, anxiété •
Statut social : rôles, interaction avec les autres, événements marquants de la vie, conditions de vie.
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Dans le champ de la fragilité, les travaux s’efforçant de prendre en compte le rôle des
facteurs psychologiques, sociaux et environnementaux se développent (Michel, 2010).
Cependant en s’ouvrant à une approche plus globale, la fragilité avance sur un terrain déjà
travaillé par des approches conceptuelles, complémentaires ou concurrentes, telles que
la vulnérabilité (Schroder-Buttefill et Mariant, 2006), l’autonomie fonctionnelle (Hébert,
2003) et le handicap. Comment la fragilité va-t-elle se situer ou résister par rapport à
ces différentes approches ?
La notion de fragilité se caractérise par une idée de réversibilité et une logique préven-
tive qui la différencient en France de la notion de dépendance davantage basée sur une
logique de compensation de la maladie et du handicap (Finielz et Piotet, 2009). La fragi-
lité serait plus précisément un processus de fragilisation qu’il est possible d’appréhender
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Dès lors, selon le niveau auquel on souhaite intervenir dans le processus de fragilisation,
la question de la gestion de ce processus et de la pertinence des indicateurs de fragilité
à mobiliser se pose. Pour des personnes autonomes dans les actes de la vie quotidienne
et a priori en bonne santé, est-il nécessaire d’effectuer un repérage et surtout un suivi
des personnes âgées, ou est-il suffisant de proposer un programme de prévention basé
par exemple sur le « trépied préventif » (Aquino, 2009) de la gérontologie (nutrition,
exercice physique, culture du lien social) ? Pour des personnes plus ou moins dépen-
dantes dans les actes de la vie quotidienne et/ou atteintes de pathologies, une stratégie
de prévention secondaire suppose-t-elle un accompagnement des personnes âgées à
partir d’un travail de repérage et de suivi ? Et si cela est le cas, à partir de quels indica-
teurs physiques, psychologiques et/ou sociaux ?
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À NOTER
Cet article repose sur l’exploitation d’une partie des résultats d’une revue de la littérature
française et internationale sur les notions de fragilité et de vulnérabilité des personnes âgées,
réalisée par Hervé Michel, en collaboration avec Claude Martin, Blanche Le Bihan et Martine
Bellanger de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), entre les mois de sep-
tembre 2009 et mars 2010, pour le compte de l’Agence nationale de la recherche (ANR),
dans le cadre du projet Vulage. Les résultats complets de cette revue la littérature sont en
cours de valorisation. La troisième partie de cet article intègre aussi quelques éléments de
réflexion issus des séminaires internationaux organisés par MADoPA en novembre 2010 et
en janvier 2011 sur la fragilité des personnes âgées à domicile. De multiples échanges avec
le professeur François Béland, que nous souhaitons ici vivement remercier, ont aussi contri-
bué à la rédaction de cet article.