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Jean-Michel Vivès
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Jean-Michel Vives
La vocation du féminin
vaporeux, dans les plis de la robe 5 où l’objet perd ses contours, où le regard
lui-même se perd. En faisant proliférer les signes dans le vertige du sens
perdu, le baroque construit une mimétique du rien. Il crée un vide par sur-
croît d’images et engendre la « défaisance de l’ego » (deshacimiento) décrit par
Saint-Jean de la Croix. Cette absence, ce creux autour duquel s’organise le
travail de la représentation de la mascarade féminine serait celui de l’absence
de pénis, qui renverrait plus primitivement à l’absence de l’objet premier : la
Chose. Le trompe-l’œil féminin se révélerait alors être la révélation humoris-
tique de l’impossible comme tel : il manifeste dans le jeu représentatif ce que
la représentation même est chargée de dissimuler. À savoir le réel du
manque.
Le trompe-l’œil dans cette tension entre évocation et révocation de la
castration féminine se situerait du côté du manque et de sa possible mise en
forme. La mascarade féminine ne serait en rien une stratégie d’allure per-
verse, mais se rapprocherait plutôt de la sublimation en tentant d’élever
« l’absence d’objet à la dignité de la Chose ». On reconnaîtra là une paraphrase
de la célèbre formule lacanienne 6 modifiée en ce sens que dans l’attitude
féminine c’est non l’objet, mais son absence, à laquelle il s’agirait de donner
forme. Non pour le dénier comme cela pourrait se faire dans la perversion,
mais pour ne pas s’y abîmer et pour que ce manque que vient souligner et
sance, tel est ce que l’artiste courtois donne à voir dans son art. La dame
donne à voir « rien », et en cela, nous y reviendrons, fait entendre un appel.
Cette question du tressage de l’art et de l’artifice se retrouve également à tra-
vers la nécessaire, car vitale, beauté féminine. Beauté féminine qui ne réside
pas dans l’inventaire de ses attributs, mais au contraire dans l’espace indi-
cible qui se dessine entre les attributs. La beauté se situe dans ce point impre-
nable constitué en elle comme Chose, une beauté fondée sur le point hors
représentation qui constitue la femme comme lieu de la Chose. La beauté
serait à la fois ce qu’il y a chez une femme de plus extérieur et pourtant de
plus intime, c’est un voile qui la désigne ailleurs que là où elle est. Nous
retrouvons ici ce que Lacan repère comme « ce lieu central, cette extériorité
intime, cette extimité qui est la Chose 7 ».
Cette dimension extime du féminin pointe un élément particulièrement
important : le masque ne cache rien ou plutôt cache le rien. Ainsi une femme
serait simultanément une représentation, un spectacle, une image qui vise à
fasciner, attirer le regard, et une énigme, l’irreprésentable, qui vise à destituer
le regard. Un des exemples pourrait être l’art consommé avec lequel les
femmes, aux cours des âges, ont présenté des seins demi nus et rehaussés qui
entrent dans la stratégie féminine qui leur sert à montrer ce qu’elles n’ont pas
(un pénis), en faisant étalage d’autre chose (Chose que l’on pourrait écrire ici
avec une majuscule). La mascarade féminine serait une stratégie baroque ce
7. Ibid., p. 167.
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qui nous conduirait à la situer moins du côté du moi, comme le fait le dis-
cours populaire, mais du côté du sujet. On pourrait même dire, paradoxale-
ment qu’une femme par ce travail devient le sujet par excellence. C’est
précisément dans la mesure où elle se caractérise par une « mascarade »,
dans la mesure où tous les traits qui la définissent sont artificiellement « por-
tés à son compte » par les autres ou par elle-même – cela ne fait que peu de
différences en fait –, qu’elle peut, à l’occasion, se révéler plus sujet que
l’homme. En effet, ce qui caractérise finalement le sujet est cette contingence
radicale même et ce caractère artificiel de chacun de ses traits positifs, c’est-
à-dire le fait qu’« elle » en soi est un pur vide qui ne peut s’identifier à aucun
de ses traits. Lacan, l’avait bien souligné en situant la mascarade féminine du
côté du symbolique et la parade masculine du côté imaginaire. On pourrait
dire que les femmes, le phallus, elles n’y croient pas totalement, ou plutôt
vent se soumettre les femmes n’est pas aisément accessible à l’homme qui a
tôt fait de confondre phallus et pénis.
Il y a certes égalité du petit garçon et de la petite fille devant le manque
symbolique. Pour autant, comme Freud le repérait dans son texte de 1925,
Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anato-
mique 10, la découverte de l’absence du pénis sur le corps féminin va orienter
deux destins psychiques divergents : si le petit garçon réagit par l’angoisse,
il en va autrement pour la petite fille qui dès le premier regard a vu, sait
qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir. Pour le petit garçon, l’incarnation leurrante
du phallus se fera sur le pénis qu’il sera souvent conduit à surestimer en en
faisant le signe de sa complétude. Le leurre de la parade masculine venant ici
s’opposer au trompe-l’œil de la mascarade féminine. Ce centrage n’étant pas
possible chez la petite fille, c’est le corps entier qui va se trouver investi. La
différence des jeux que l’on peut observer chez les enfants des deux sexes
semble en être une claire illustration : d’un côté le jeu de balle, de l’autre le
saut à la corde. Les garçons courent après une balle désirée qu’il s’agit de
rejoindre et de maîtriser par l’intermédiaire d’une partie du corps, alors que
la petite fille se jette en l’air, c’est tout son corps qui s’éloigne du sol sur lequel
elle semble rebondir. Ce que nous montre l’opposition de ces deux pratiques
c’est que ce qui est en jeu chez la petite fille c’est un rapport au corps qui
tout, être renvoyée au néant, n’être rien. L’opéra a parfaitement bien mis en
évidence la dissymétrie de la position féminine et masculine face à l’aban-
don. « Si tu me quittes, je te tue », dit Don José à Carmen. Ce à quoi Madame
Butterfly répond : « Si tu me quittes, je me tue. » L’homme quitté tue l’objet,
la femme abandonnée se fait objet perdu, d’ailleurs dans les romans les filles
séduites et abandonnées ne deviennent-elles pas des filles perdues ?
Une brève illustration clinique nous permettra de repérer l’expression de
ce phénomène dans le cadre de la cure. Emma est une belle jeune femme,
intelligente et cultivée venue consulter à la suite d’une tentative de suicide
qui a failli lui coûter la vie. Ce qu’elle dira au cours de notre premier entre-
tien est : « Mon compagnon, que je n’aimais plus, m’a abandonnée ». Mon
silence laisse résonner quelques secondes cette phrase dont elle perçoit
l’étrangeté. Très vite elle reliera ce passage à l’acte avec des souvenirs. D’une
part, une mère d’origine étrangère qui ne lui parla jamais dans sa langue
maternelle et qui passait très souvent de longues semaines sans lui adresser
la parole lorsqu’elle était fâchée contre elle… D’autre part, un père fascinant
et violent qui voulut élever cette petite fille très brillante (elle a eu tout au
long de sa scolarité deux ans d’avance) comme un garçon jusqu’à lui impo-
ser dix ans de karaté et l’inscription dans un lycée professionnel. Ici sont bru-
talement posées les questions concernant l’appel de l’Autre où s’exprime son
désir et le regard où se lit son désir. Emma posa très vite au cours de sa cure
la question de l’assomption du féminin. Pas seulement « Qu’est-ce qu’une
femme ? » mais plus précisément « En quoi une femme peut-elle être assu-
jetti à la voix et au regard de l’Autre, dont l’homme n’est qu’une incarnation
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11. Ibid.
12. A. Didier-Weill, Les trois temps de la loi, Paris, Le Seuil, 1995, p. 71.
13. J. André, « La perte d’amour », dans Psychologie clinique et projective, Paris, Dunod, 1995, vol. 1,
n° 2, p. 161-168.
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14. Le Château des Carpathes, musique de Philippe Hersant, Livret de Jorge Silva-Melo d’après le
roman de Jules Verne, créé le 27 octobre 1993, à Montpellier.
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15. Cité par E. Lemoine-Luccioni, Le partage des femmes, Paris, Le Seuil, 1976, p. 33.
16. Il aura fallu attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître le cri féminin avec lequel l’opéra
flirtait depuis sa création. On trouve ce cri princeps, assez étrangement, dans une œuvre de
Jacques Offenbach, plus précisément à la fin de l’acte de Giuletta des Contes d’Hoffmann. Il est
important de remarquer que ce cri indiqué dans la partition : « Elle crie et tombe morte », est la
plupart du temps escamoté. Les apparitions du cri féminin auront lieu ensuite dans Parsifal de
Richard Wagner et Lulu d’Alban Berg avec lequel semble se finir une certaine histoire de l’opéra.
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BIBLIOGRAPHIE
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Résumé
Le trompe l’œil que le féminin comme mascarade positionne, indique que derrière le
phallus que la femme semble être il n’y a rien. Cela implique un rapport à l’autre spé-
cifique. En effet, cette construction est dépendante de la manifestation du désir de
l’Autre qui vient la légitimer et lui donner consistance. Que cette légitimation vienne
18. Dans une note ajoutée en 1915 aux Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Freud énonce que
la pulsion est toujours active même quand elle s’est fixée un but passif.
19. J. Lacan, 1964, Le Séminaire Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris,
Le Seuil, 1973, p. 178
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à faire défaut et le masque tombe : il n’y a rien à voir. Apparaît alors la plainte qui
tente de tenir à distance ce rien que le travail du féminin avait pour vocation de
mettre en forme.
Mots clés
Féminin, phallus, pulsion invocante, regard, surmoi, trompe-l’œil, voix.
Summary
Trunk the eye which the feminine as masquerade positions, indicates that behind the
phallus that the woman seems a being there is nothing. It implies a report to the other
one specific. Indeed, this construction is dependent on the demonstration of the desire
from the Other whom comes to legitimize her and to look to her consistency. That this
Key words
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