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Au cœur de la pratique :
un dialogue tonico-émotionnel revisité
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Le dialogue qui se noue entre le thérapeute et son patient ne peut
se vivre que dans la présence incarnée de l’un pour soutenir la
présence habitée de l’autre.
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psychiatrie, peu habituée, il y a encore vingt ans, à considérer cet
aspect de la construction du bébé et plus généralement de l’enfant.
À la même époque, en Angleterre, Donald W. Winnicott, pédiatre
et psychanalyste, porte un regard totalement nouveau sur le bébé
en donnant une importance aux « interactions du bébé et du jeune
enfant avec son environnement ».
Ainsi, entre les années 1950 et 2019, se développe une nouvelle
voie de compréhension de la construction primaire du sujet, véri-
table « mur porteur » et fondation de la maison corps/psyché.
Actuellement, les travaux de recherche en neurosciences placent
le curseur sur la plasticité cérébrale et montrent que le cerveau est un
système dynamique qui se transforme tout au long de la vie. Ce regard
très contemporain vient souvent confirmer et valider ce qui avait été
élaboré comme autant d’hypothèses sur le fonctionnement humain.
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lequel se trouvent normalement les muscles.
On différencie :
– l’état de tonus de fond, toujours présent, qui renseigne sur le degré
de maturité neurophysiologique du sujet ;
– le tonus d’action lié à l’activité motrice ;
– le tonus postural lié à l’état d’équilibre dans le maintien et le réta-
blissement des attitudes contre l’action de la pesanteur.
Dans le langage courant, quand on veut souligner la vigueur
et l’énergie d’un enfant ou d’un adulte, on dit qu’il a du tonus !
A contrario, l’apathie et le morne sont considérés comme « un manque
de tonus ». On voit donc combien à la notion « savante » – neuro
physiologique et maturative – s’associe rapidement toute la couleur
du vivant, cette vitalité qui définit la personne, son caractère, et qui
va donc dépendre de toutes les composantes biologiques, anato-
miques, psychologiques et affectives, qui la constituent.
Si le psychomotricien accorde beaucoup d’attention au tonus,
c’est sur la notion de régulation tonique qu’il va préciser ses actions
thérapeutiques. En effet, cette régulation est la condition nécessaire à
la motricité d’adresse, à la capacité de précision du mouvement dans
l’espace et à la rythmicité. Est liée intimement à cette régulation la
capacité d’inhibition : de façon localisée, inhiber un segment corporel
au profit d’un autre ; plus globalement, inhiber une activité motrice
trop coûteuse en énergie, pour libérer des capacités de réflexion,
d’attention, de concentration.
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de l’homme s’en trouve renforcée à tous les niveaux.
Julian de Ajuriaguerra a décrit et donné toute son importance
à la notion de dialogue entre la mère et l’enfant, un dialogue de
peau mais également de tonus. Cette notion de dialogue tonico-
émotionnelle reste efficiente toute la vie et est à la base de tous les
soins qui utilisent le toucher 1.
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qui certains jours nous manque.
Alors, à chaque fin de séance, je m’asseyais et prenais le temps
d’écrire et de penser Ange, ce petit bébé qui restait sur le dos sans
presque bouger, dormant yeux fermés, parfois les yeux mi-clos, une
trace de sourire qui s’affirmait de jour en jour… Des mots qui, tels les
vers luisants qui éclairent le chemin quand on a la chance de les voir,
font empreintes. Écrire, laisser des traces. C’était important.
Au fond, j’ai porté Ange, à l’intérieur de moi, je lui ai prêté une
coquille, un nid d’ange, lui qui semblait ne pas être encore né, malgré
ses 3 mois. Mon corps a été tellement impliqué lors de ces séances qu’il
me fallait sans doute « me remettre » de ces émotions intenses qui se
sont inscrites sous ma peau, dans mes muscles, tout mon être tonique.
Ce journal de bord, je l’ai peut-être écrit avant tout pour moi…
2. En réalité, j’en ai tenu un pour chacun de mes deux enfants jusqu’à leur 1 an, que
je leur ai donné à la fin de leur adolescence.
3. Merci à Christine, Isabelle, Anne, ces magnifiques maternantes de la pouponnière
qui réalisent un travail formidable et qui m’ont si souvent fait confiance.
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Tu as 3 mois et 10 jours.
Tu arrives aujourd’hui endormi. Mais tu te réveilles assez vite.
Nous allons avoir une bonne séance, avec toute ton attention.
Je te prends dans mes bras pour la première fois.
Nous sommes sur le tapis, au sol, pendant les séances. Là, tu
acceptes de me regarder. Et tu ne me lâches plus. Même quand je te
mets contre mon ventre pour soutenir ton axe et permettre que je sois
un appui pour tout ton dos. Tu me regardes, la tête à l’envers !
Tu es assis entre mes jambes en tailleur. Je fais la grenouille et me
déplace, en avant en arrière, ton dos toujours bien placé contre mon
ventre. Ça a l’air de te plaire. Tu ne pleures pas, tu es bien maintenu.
Allongé sur le tapis, tu sembles bien mais tu tournes la tête
toujours du même côté, le droit. Tu tends le bras droit tout droit,
comme pour saisir la maracas ; mais tu n’arrives pas à prendre les
objets dans tes doigts.
Par contre, tu serres fort mon doigt dans ton poing.
Tu ne tournes pas encore la tête vers le son produit par la boîte à
musique, mais tu chantonnes avec moi, avec des modulations !
Ta tête a encore très peu de force quand on te soulève et te porte.
Mais tu es bien avec nous, réceptif et présent.
Pourtant, tu as eu des émotions, ton hoquet et tes régurgitations
en témoignent. Tu as rencontré tes deux référentes d’adoption ce
matin. Et tu viens me voir cet après-midi.
Ça fait beaucoup, pour un tout petit bonhomme.
3 mois et 17 jours.
Tu es arrivé bien endormi.
Grande séance de relaxation sur le ballon. Je te chante des
chansons.
Sur le ballon peau d’ange, tu profites des bercements, comme si
tu étais sur un bateau, bercé par les vagues et le vent.
Je te raconte des histoires de rêve.
Ça y est, te voilà réveillé.
Tes paupières s’ouvrent sur un rayon de soleil.
Tu souris.
Du ballon au tapis, tu bouges tes pieds et pousses contre mes
mains. Et te voilà d’un côté, puis de l’autre.
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Je t’aide à t’installer sur le ventre. Et mets ma tête tout à côté de
la tienne. Je vois comme toi le plissé du tissu orange qui recouvre le
tapis. Tu le serres entre tes doigts.
Plusieurs fois, tu redresses ta tête. C’est tout petit, mais quand
même ! Un bel effort !
Tu écoutes le xylophone. Tu tentes de prendre dans tes doigts la
souris peluche ou le bébé girafe.
La gymnastique du bébé a vraiment commencé et tu es très actif.
On dirait que tu crapahutes sur des montagnes.
Tu as très bien travaillé/joué aujourd’hui !
Tu as 4 mois.
Grand changement. Dès ton arrivée dans les bras de Christine,
je remarque comme tu tiens bien ta tête. Presque complètement. Et
puis tu regardes bien droit.
Tu as totalement profité de tout ton temps de séance : 45 min à
être présent, tonique, souriant.
Que de progrès en trois semaines : j’étais en vacances, alors je
peux les constater.
Allongé sur le dos, tu prends le hochet et le soulèves, l’agites, le
passes devant toi, devant tes yeux. Parfois, il est vrai que tu le laisses
choir sur ton front et tu ne réagis pas beaucoup : ça me fait mal pour
toi. Mais bon, ça tient beaucoup mieux dans tes doigts qui ont acquis
de la force. Je le sens quand tu me serres le doigt.
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Alors je te fais travailler les deux !
Tu es souriant, tu regardes autour de toi, tu es très présent.
4 mois et 1 semaine.
Aujourd’hui, tu as un gros chagrin. Je ne t’ai encore jamais vu
pleurer ainsi. Tu sembles avoir mal quelque part, tu ronfles, tu as des
rejets de lait. Peut-être as-tu mal au ventre ? Ce midi, avant de venir
me voir, tu as mangé tes premières cuillères de carotte. Même si tu as
semblé apprécier, la digestion se fait-elle difficilement ? En partant,
il m’a semblé que tu avais fait un caca, ou un prout. Ton corps te fait
souffrir comme quand tu étais un tout petit bébé, parasité par toutes
ces sensations étranges du ventre, des intestins. Un corps, c’est diffi-
cile quand on n’est plus dans le ventre de sa maman.
C’est difficile de grandir et de se sentir tout entier dans sa peau de
bébé quand on a encore si peu de muscles qui permettent de se sentir
fort. Et puis, tu as vécu déjà tellement d’aventures peu heureuses : la
décision de tes parents de t’abandonner (ça s’appelle comme ça), et
même s’ils en étaient très malheureux et qu’ils avaient leurs raisons,
toi, tu ne peux pas les comprendre, simplement sentir que quelque
chose te manque, que tu as connu pendant neuf mois puis cinq jours
à la maternité. La chaleur du ventre, les bras et les voix de ta maman
et de ton papa.
Puis, on t’a opéré d’une sténose du pylore (ton œsophage était
mal fermé). Encore des soucis, encore des personnes différentes.
Enfin, ton arrivée à la pouponnière a permis que tu te sentes un peu
4 mois et 2 semaines.
Ta semaine s’est plutôt bien passée, avec des moments de grande
fatigue. Ta tête alors est plutôt bringuebalante.
Aujourd’hui, je vois de nouvelles choses : tu ne t’endors plus du
tout et tu restes présent, et même actif.
Tu profites bien des moments où je te mets « assis », adossé
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contre mon buste pour que tu sentes bien mon axe et ma tonicité. Tu
es bien centré, et ta tête tient bien.
Allongé au sol, tu tournes la tête du côté droit pour prendre
la maracas, et tu la passes devant ton visage, rassemblant presque
tes deux mains autour d’elle. Isabelle est d’accord avec moi, tu
commences à rassembler tes deux mains, même à croiser ton bras
droit vers ton côté gauche et inversement. Ta position bras en croix
n’est plus la seule possible.
Tu tournes également sur ton côté gauche, et même si tu n’ar-
rives pas sur le ventre, tu es plus tonique.
Tu commences à mieux regarder, ou à trouver plus vite le regard
d’Isabelle qui est loin de toi.
Tu souris, réponds à la voix, et babilles en fin de séance.
De petits progrès, mais des progrès quand même !
4 mois et 3 semaines.
Bien éveillé, tu es et le resteras toute la séance. Dans la semaine,
ta tête est encore bien lourde à porter.
Tourné sur le côté, je t’aide (d’une légère poussée de main) à aller
sur le ventre. Ta tête se redresse. Tu regardes à droite, à gauche ; c’est
la première fois que nous te voyons faire cela.
De même tu es plus rassemblé. Tu enlaces presque tes deux
mains.
Et surtout, tu saisis la maracas de la main gauche, la passes
devant toi, ta main droite vient toucher la maracas, arrive presque
Tu as 5 mois.
Des petits pas, des petits pas. Tu avances à tout petits pas, mais
sûrement.
À la pouponnière, tu as continué ce que tu avais fait en séance :
mieux, la tête redressée et retournement sur le ventre !
Aujourd’hui, tu te retournes beaucoup plus facilement (je te
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donne seulement un doigt ou mets ma main contre ta hanche pour
soutenir le chemin), tu tiens mieux ta tête, et tu te prends les mains
(presque).
Tu prends mon doigt, l’amènes devant tes yeux et ton autre main
vient saisir mon autre doigt.
Tu souris quand je rassemble tes pieds devant tes yeux sur ton
ventre.
Tu deviens plus mobile.
Anne te trouve moins triste que tu ne l’étais il y a dix jours. Elle
te parle, yeux dans les yeux, pour t’expliquer que tes parents t’ai-
maient, t’ont laissé un courrier, qu’ils ne pouvaient pas faire autre-
ment. À toi de devenir grand, on est avec toi.
Comme tu la regardes intensément ! Tu écoutes, c’est certain.
5 mois et 1 semaine.
Tu te retournes seul, et le matin on te retrouve dans ton lit,
dormant sur le ventre.
Je le constate aujourd’hui en séance. Tu es très éveillé, tu
gazouilles, tu ronfles aussi, parce que tu es très encombré.
Et tu te retournes, en tenant tout droit ta tête. Les progrès sont
là, et c’est un grand pas quand on peut tenir sa tête tout seul ! Ta
tonicité est en train de s’affirmer. Les schèmes moteurs vont suivre !
(On appelle ça comme ça, tous ces gestes que tu vas inventer pour
investir et découvrir l’espace, les objets, ton corps, le monde.)
5 mois et 2 semaines.
Tu continues à progresser. Tu te retournes très vite du dos au
ventre et tu te redresses en prenant appui sur tes avant-bras. Première
fois que je te vois faire ça.
C’est assez facile de t’aider à te retourner du ventre au dos ; les
chemins ne sont pas loin !
Tu tiens un objet avec tes deux mains. Et tu te serres les mains
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l’une dans l’autre. Première fois aussi !
Tu regardes une main puis l’autre, quand elles sont devant toi.
Tes pieds sont de plus en plus actifs ainsi que tes jambes, et tu
pousses.
Et ta nuque est de plus en plus tonique.
Bonne évolution, décidément !
Tu as 6 mois.
Entre Noël et Jour de l’an, tu as été hospitalisé pour une bron-
chiolite. Deux jours !
Comme tu as dû avoir peur, de nouveau dans un endroit inconnu.
Mais malgré tout, tu as continué de progresser. Je te retrouve, la
tête bien tenue, et le dos plus musclé. Je peux te donner les mains et
te relever presque assis, tu tiens bien ta tête, et tu ne me quittes pas
des yeux.
Même, je crois que ça te plaît.
Aujourd’hui, tu n’as pas très envie de rester allongé sur le dos. Tu
te retournes sur le ventre, tu restes assez longtemps ainsi, en faisant
la grenouille : tu plies tes jambes et ratisses le sol. Par conséquent
tu te retrouves presque à quatre pattes. Enfin, ça, Christine me l’a
raconté. Elle était si contente et fière de toi.
Par contre, tu es encore trop occupé par l’une de tes mains que
tu agites devant tes yeux ; je préfèrerais que tu t’intéresses aux objets
que je te donne ! Mais j’exagère ! Quand je fais rouler une balle
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dernière séance, en présence de tes parents adoptifs. Peut-être…
Nous verrons bien.
En tout cas, si c’est vrai, c’est super pour toi.
Mais tu me manqueras !