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LSPF 017 0037
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Daniel Koren
Dans Les Lettres de la SPF 2007/1 (N° 17), pages 37 à 72
Éditions Éditions Campagne Première
ISSN 1281-0797
ISBN 9782915789300
DOI 10.3917/lspf.017.0037
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DANIEL KOREN
La psychanalyse est devenue avec le temps une discipline divisée, éclatée entre
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divers courants, qui se différencient entre eux aussi bien dans leur contenu
doctrinal que dans leur manière d’aborder la clinique ou d’envisager la conduite
de la cure, et dont les positions ne sont pas facilement conciliables.
À ce constat, certains de nos collègues répliquent: « banalités! » Ils consi-
dèrent – à tort selon moi – que ces différences ne sont que simples habilla-
ges sémantiques qui recouvrent les mêmes phénomènes et qu’en fin de compte
le champ de la psychanalyse est un et indivis. On ne ferait au fond qu’appe-
ler autrement, avec des mots différents, une même réalité. Auquel cas, il ne
semble pas inutile de se demander: pourquoi faudrait-il appeler la même réalité
avec des mots différents, puisque c’est la même ?
D’autres psychanalystes ne voient pas les choses de la même manière.
Il y a quelques années, le psychanalyste nord-américain Robert Wallerstein
(au demeurant président de l’IPA à l’époque) posait cette même question
– et sans ambiguïté aucune – dans un texte qui méritait plus d’attention
qu’il n’a reçu : Y a-t-il une psychanalyse ou plusieurs ? 1 L’analyste anglais
Christopher Bollas constatait lui aussi, de son côté, cet éclatement 2.
En ce qui me concerne, je partage pour l’essentiel et le diagnostic de
R. Wallerstein et le constat de Ch. Bollas. La psychanalyse une et indivise
n’existe plus depuis longtemps. Il y a à cela des raisons historiques et poli-
tiques ; celles-ci ont leur importance, mais ce ne sont pas ces raisons-là que
je veux discuter ici. De manière plus fondamentale, cet éclatement relève
davantage et pour l’essentiel de divergences théorico-cliniques fondamen-
tales ; celles-ci ont comme soubassement l’insuffisante effectuation d’un
travail épistémologique de la clinique psychanalytique.
1. R. Wallerstein, « One psychoanalysis or many ?, International Journal of Psychoanalysis, 69, 1988, p. 5-21.
2. Ch. Bollas, « Quitter le courant : de la défaite de la psychanalyse freudienne », Revue française de psychanalyse,
Hors-série 2001, p. 231-242.
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rantiste 2. Dès lors, rester axé sur la clinique ne peut pas signifier faire
l’impasse sur les concepts mais, au contraire, les travailler et les retra-
vailler dans une dialectique permanente. Si l’analyste doit, au moment
où il écoute le discours de son patient, « oublier ce qu’il sait », cette mise
entre parenthèses du savoir pour ne pas faire obstacle à l’inouï d’une parole
singulière n’est qu’un premier temps, préliminaire à la nécessaire cons-
truction d’un savoir sur ce que nous pouvons tirer comme enseignement
de la cure. Faute de quoi, toutes sortes de confusions viennent infléchir
le sens même de la pratique analytique.
La notion de contre-transfert et son destin me semblent être un
exemple privilégié et capital de cet état de fait. Je voudrais essayer de
montrer comment le contre-transfert s’est transformé en une très mau-
vaise réponse à une vraie question et comment de cette sorte il a dérivé
vers des pratiques qui, bien qu’elles s’appellent toujours psychanalytiques,
ne semblent pas vraiment freudiennes. Car si Freud reconnaissait très
clairement la difficulté, sa réponse fut assez univoque. En tout cas, elle
avait bien peu à voir avec la tendance qui commence au tournant des
années 1950 et qui transforme le contre-transfert en véritable « radar »
de l’analyste, radar qui devrait l’amener de manière sûre vers l’incon-
scient de son patient et qui guiderait le travail de l’analyste, notamment
dans sa tâche interprétative. Tendance qui, dans un glissement impara-
ble, aboutit ces dernières années à des pratiques qui prônent ouvertement
la « contre-identification et le contre-transfert compréhensif 3 », ou qui
1. Selon la formule « consacrée », il faut rester « au plus près du plus vif de la clinique ».
2. Lacan avait trouvé à ce propos une jolie formule : « Il est pourtant indispensable que l’analyste soit au moins deux :
l’analyste pour avoir des effets, et l’analyste qui, ces effets, les théorise ». Séminaire RSI, séance du 10/12/74.
3. David B. Feinsilver (1999), « Counteridentification, Comprehensive Countertransference, and Therapeutic Action »,
Psychoanalytic Quarterly, 68 , p. 264-301.
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Rien que ça.
1. Steven H. Cooper (1998) : « Countertransference Disclosure and the Conceptualization of Analytic Technique »,
Psychoanalytic Quarterly, 67, p. 128-154 ; O. Renik (1999), « Playing One’s Cards Face Up in Analysis : An Approach
to the Problem of Self-Disclosure », Psychoanalytic Quarterly, 68, p. 521-539.
2. Et cela malgré les affirmations des auteurs de l’argument du numéro d’avril 2006 de la Revue française de psy-
chanalyse, qui affirment : « L’introduction d’un tel concept dans la métapsychologie (?) représente une étape impor-
tante dans l’évolution de la pensée freudienne au sein de laquelle le contre-transfert conserve une place déterminante. »
RFP, LXX 2, p. 326. Vu l’exiguïté des références freudiennes, l’affirmation est pour le moins aventureuse. La sur-
prise laisse la place à l’effarement lorsque le paragraphe suivant fait référence aux « travaux (de Freud) sur le contre-
transfert ». Nous aimerions demander aux auteurs de l’argument en question : quels seraient les travaux de Freud
consacrés au contre-transfert ?
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sentiments tendres envers la patiente n’est pas tout à fait sans danger. On
n’est pas maître de soi au point de n’être pas, un beau jour, allé soudain
plus loin qu’on n’en avait l’intention. Je pense donc qu’on n’a pas le droit
de désavouer l’indifférence que l’on s’est acquise en refrénant le contre-
transfert 5. » Dans la note introductive de cet article dans la Standard
Edition, James Strachey fait remarquer qu’« il est difficile de trouver un
autre examen explicite [du contre-transfert] dans ses ouvrages publiés 6 ».
En fait, à partir de 1914, il n’évoquera plus jamais le terme.
Rares sont ceux qui se sont attardés sur les raisons pour lesquelles il aura
fallu quarante ans pour que le contre-transfert vienne occuper le devant de
la scène dans les préoccupations des analystes. Heinrich Racker, à qui il
1. Le terme apparaît pour la première fois dans son texte « Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique »
que Freud lut au Congrès de Nuremberg en mars 1910 : « Nous sommes devenus attentifs au “contre-transfert”
qui s’installe chez le médecin de par l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du médecin et nous ne
sommes pas loin d’avancer l’exigence que le médecin doive obligatoirement reconnaître et maîtriser ce contre-
transfert. Nous avons remarqué […] que chaque psychanalyste ne va qu’aussi loin que le permettent ses propres
complexes et résistances internes, et nous réclamons par conséquent qu’il commence son activité par son auto-
analyse et approfondisse continuellement celle-ci au fur et à mesure de ses expériences avec le malade. » Cf. S. Freud,
Œuvres Complètes, Vol. X, Paris, PUF, 1993, p. 67.
2. Notamment pour discuter de « l’affaire Spielrein ». Cf. Freud-Jung Correspondance 1906-1914, Paris, Gallimard,
coll. « Connaissance de l’inconscient », 1992. Voir les lettres du 7/6/1909, 2/2/1910. Le 21/12/1911, il revient sur
un éventuel texte sur le contre-transfert qu’il ne conviendrait pas de publier mais de faire circuler en interne.
3. « Le problème du contre-transfert que vous évoquez est un des plus difficiles de la technique psychanalytique.
Théoriquement il est, je pense, plus facile à résoudre. Ce qu’on donne au patient ne doit jamais être un affect spon-
tané, mais doit toujours être consciemment exprimé, en plus ou moins grande quantité selon les besoins. Dans cer-
taines circonstances il faut donner beaucoup, mais jamais rien qui soit issu directement de l’inconscient de l’analyste.
Pour moi c’est ça la règle. On doit chaque fois reconnaître et dépasser son contre-transfert pour être libre soi-même. »
Freud-Binswanger Correspondance 1908-1938, Paris, Calmann-Lévy, 1995. Lettre du 20/2/1913, p. 183. C’est
moi qui souligne.
4. Sigmund Freud, « Remarques sur l’amour de transfert » (1914), Œuvres Complètes, Vol. XII, Paris, PUF, 2005,
p. 200.
5. Ibid., p. 204.
6. Cf. The Complete Psychological Works of S. Freud, Standard Edition, Vol. 12, Hogarth Press, London, p. 164.
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transfert, rejet qui représente des conflits non résolus concernant leur pro-
pres angoisses primaires et leur culpabilité (their own primitive anxiety and
guilt) 4. » On pourrait d’emblée se demander quelle différence il y aurait
alors entre contre-transfert et résistance. Mais, de manière plus radicale, il
faut signaler que, curieusement, il ne vient pas à l’esprit de Racker de tirer
la conclusion qu’un tel statement impose : si, pendant quarante ans, les ana-
lystes ont été tellement incapables de penser le contre-transfert à cause de
leur incapacité à résoudre les conflits liés à leurs angoisses primaires et à
leur culpabilité… que faudrait-il penser de leurs analyses « didactiques »
et de leurs contrôles ?
Freud n’a donc pas théorisé le contre-transfert. On nous objectera : « ce
n’est pas parce que Freud ne l’a pas théorisé qu’on ne peut pas le faire » ;
« Freud ne pouvait pas tout théoriser ». Voire : « Freud n’est pas le maître
de la vérité en psychanalyse ». Certes, et là encore on ne peut qu’en conve-
nir. La psychanalyse étant une discipline vivante, il est tout à fait légitime
– et nécessaire – de développer des concepts dans la postérité post-freu-
dienne. Que l’on nous permette simplement de proposer deux conditions :
qu’il soit établi qu’il ne s’agit pas – et pour cause – d’un concept freudien
d’abord, et ensuite – et surtout – que l’on soit en mesure de préciser quel
1. H. Racker « devance » P. Heimann, mais son texte, publié d’abord en espagnol, ne sera publié en anglais
qu’après celui de Heimann. Ce qu’il importe de souligner c’est la contemporanéité de l’éclosion. Le premier texte
de Racker est donc de 1948 : « Aportación al problema de la contratransferencia », Revista de psicoanálisis,
vol. 12, p. 481-499, publié en anglais « A contribution to the problem of counter-transference », International
Journal of Psycho-Analysis, vol. 34, 1953, p. 313-324. Il sera suivi en 1957 par « The Meanings and Uses of
Counter-Transference », Psychoanalytic Quarterly, 26, p. 303-357. Le texte de P. Heimann est présenté en 1949,
publié en 1950.
2. H. Racker (1957), « The Meanings and Uses of Countertransference », Psychoanalytic Quarterly, 26, p. 303-357.
3. Op. cit., p. 306.
4. Ibid., p. 306-307.
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Le contre-transfert n’est pas freudien donc. Mais alors d’où nous vient-il ?
La réponse n’est pas vraiment compliquée : de celui qui était sans doute le
plus brillant parmi les disciples de Freud, son fils chéri, son Grand Vizir,
celui qui valait à lui tout seul pour une association de psychanalystes. Bref ,
de la filiation ferenczienne de la psychanalyse. L’origine du contre-trans-
fert descend en ligne directe des interrogations de Ferenczi, et ce que l’on
peut dénommer aujourd’hui les « errements du contre-transfert 2 » est repé-
rable déjà dans les ambiguïtés que celui-ci a manifestées. L’enjeu est suf-
fisamment important pour que l’on s’y attarde un moment, d’autant plus
que la pensée de Ferenczi est remarquablement passée sous silence dans
la plupart des travaux consacrés au contre-transfert 3.
Il faudra attendre quelques années après que Freud eut abordé pour la
première fois le contre-transfert pour que Ferenczi ne s’empare de la ques-
tion. Fin 1918, après le 5e Congrès de Psychanalyse à Budapest (où Freud
présenta les « Perspectives d’avenir de la thérapie analytique »), Ferenczi
prononce une conférence dans le cadre de l’Association psychanalytique
hongroise sur « La technique psychanalytique 4 », conférence dont la der-
nière partie porte sur la « Maîtrise du contre-transfert 5 ». Ferenczi suit ici
à la lettre la position freudienne et signale que l’analyste doit « doser » sa
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soulignera d’emblée dans son enseignement et qui ne se formule pas encore
en termes de désir de l’analyste : quelle doit être la position de l’analyste
pour mener correctement la cure ? Entendons à ce propos que l’émergence
du contre-transfert est l’indice que « l’inconscient du médecin » fait obs-
tacle au déroulement de la cure. Par furor sanandi, par identification au
malade, par « hainamoration », enfin tous les « signes, petits et grands, de
l’attrait inconscient qu’il éprouve pour ses patients et patientes 4 »
l’analyste témoigne qu’il n’est pas dans la position qui « n’est exigée dans
nul autre domaine de la thérapeutique : une liberté et une mobilité des inves-
tissements psychiques exemptes de toute inhibition 5 ».
Mais cette première prise de position de Ferenczi va changer dans les
années qui suivent. Si, dans un premier temps, Ferenczi reste sur la même
position que Freud, il introduit des modifications considérables à partir de
sa collaboration avec Otto Rank qui trouvent leur aboutissement dans leur
livre écrit en commun 6. Cet ouvrage, comme on le sait, produisit un véri-
table séisme dans le cercle fermé des proches de Freud. Non seulement Freud
s’y opposa ouvertement (après y avoir été favorable dans un premier temps)
1. Ibid., p. 335.
2. Ibid. (c’est nous qui soulignons).
3. Jacques Lacan, « Variantes de la cure-type », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 340.
4. Sandor Ferenczi, op. cit., p. 336.
5. Ibid., p. 337. Ajoutons que si Ferenczi met en garde contre le débordement de l’analyste par ses propres affects,
d’où la nécessité de l’analyse personnelle, en revanche il ne dit nulle part, comme certains auteurs le laissent croire,
que le contre-transfert devient un « instrument essentiel et efficient (essential and efficient tool) entre les mains
de l’analyste ». Cf. Martin Cabré, L.J. (1998), « Ferenczi’s Contribution to the Concept of Countertransference »,
International Forum of Psycho-Analysis, Vol. 7, p. 247-255. En revanche, nous sommes d’accord avec cet auteur
pour dire que les positions de Ferenczi préfigurent celles de Balint, Heimann, Racker, Winnicott, Little, etc., comme
nous l’expliciterons plus loin.
6. Sandor Ferenczi, Otto Rank, Perspectives de la psychanalyse (1924), Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scienti-
fique », 1994.
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mais un conflit ouvert se déclara entre Rank et Ferenczi, d’une part, avec
les « Berlinois » (Abraham, Eitington et Sachs) et avec Jones, d’autre part.
Le résultat final fut la rupture définitive de Rank et un retour en arrière
provisoire de Ferenczi. La levée de boucliers concerna essentiellement ce
que Ferenczi désigna lui-même par la suite comme son « excès d’activisme 1 »
dans le but d’abréger les cures (ils allaient jusqu’à préconiser la fixation
systématique du terme de la cure par l’analyste) et la réintroduction de l’hyp-
nose et de la suggestion dans la technique analytique, sans compter l’im-
portance superlative accordée au traumatisme originaire au détriment de
la structuration œdipienne.
La correspondance de Freud avec Ferenczi laisse apparaître clairement
le désaccord entre les deux. Ferenczi va en quelque sorte faire « machine
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arrière » et modérer considérablement ses propos. Pourtant, à suivre ses
textes, on voit combien Ferenczi se sait sur le fil du rasoir, raison pour laquelle
il multiplie les mises en garde 2. Ainsi, formulant les limites de la technique
active, il indique sa désapprobation d’une « activité » qui serait synonyme
d’acting 3.
C’est dans son texte « Élasticité de la technique psychanalytique 4 » que
Ferenczi met en jeu les points essentiels de la difficulté. Ils s’articulent autour
de deux pivots : d’une part, l’équation personnelle de l’analyste, et, d’au-
tre part, la question du « tact » et du « sentir avec » ou empathie.
Concernant le premier point, il s’agit de savoir si les écarts techniques
entre analystes pouvaient être réduits, ou si le facteur personnel constitue
un facteur incontournable. Ferenczi parie dans ce texte pour une réduction
des écarts dus aux facteurs individuels grâce à l’analyse didactique :
« dans ce travail, l’importance qui semblait attribuée à l’« équation per-
sonnelle » était bien plus grand que nous ne devions par ailleurs l’accep-
ter dans la science… cette déclaration date d’avant l’époque ou se cristallisait
la deuxième règle fondamentale de la psychanalyse, à savoir que quiconque
veut analyser les autres doit d’abord être analysé lui-même. Depuis
1. « Vous n’ignorez certainement pas que nous nous sommes laissés entraîner, moi-même et quelques autres qui
m’avaient suivi, à des excès dans le domaine de l’activité. » Sandor Ferenczi, « Principe de relaxation et néoca-
tharsis » (1930), Psychanalyse IV - Œuvres Complètes 1927-1933, Paris, Payot, 1992, p. 86.
2. Mises en garde qui, comme nous le verrons par la suite, résonnent aussi comme témoignages de son ambivalence.
3. Sandor Ferenczi, « Contre-indications de la technique active » (1926), Psychanalyse III - Œuvres complètes, Paris,
Payot, p. 368 : « En général on peut formuler la limite de l’activité permise de la façon suivante : sont admis tous
les modes d’expression qui n’obligent pas le médecin à sortir de son rôle d’observateur et de conseiller bienveillant.
Il convient de laisser insatisfaits les désirs qu’a le patient d’obtenir des signes d’un contre-transfert positif ; en
effet l’analyste n’a pas à faire le bonheur du patient pendant la cure par un traitement tendre et amical (pour ce
qui est de ces demandes, il faut le renvoyer à la vie réelle après l’analyse). »
4. Sandor Ferenczi, « Élasticité de la technique psychanalytique » (1928), in Psychanalyse IV - Œuvres Complètes
1927-1933, Paris, Payot, 1982, p. 53-65.
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la faculté de “sentir avec” (Einfühlung). Si nous réussissons à l’aide de
notre savoir, tiré de la dissection de nombreux psychismes humains, mais
surtout de la dissection de notre Soi, à nous présentifier les associations
possibles ou probables du patient, qu’il ne perçoit pas encore, nous pou-
vons – n’ayant pas comme lui à lutter avec des résistances – deviner non
seulement ses pensées retenues mais aussi les tendances qui lui sont incons-
cientes 3. » N’y a-t-il pas une tension extrême entre cette accentuation du
« sentir avec » et la phrase suivante en contrepoint qui s’ouvre sur le savoir
qui permet un « calcul » de l’émergence inconsciente ? Quelle est la nature
alors de ce « sentir avec » ? Ferenczi l’assimile à une espèce de « bonté »,
avant de précipiter une mise en garde : « Je m’empresse d’ajouter, dès main-
tenant, que la capacité d’exercer cette sorte de « bonté » ne signifie qu’un
aspect de la compréhension analytique. Avant que le médecin ne se décide
à faire une communication, il doit d’abord retirer pour un moment sa libido
du patient, soupeser froidement la situation : en aucun cas, il ne doit se lais-
ser guider par ses seuls sentiments 4. » Voilà comment Ferenczi marche sur
la ligne de crête ! Et cela va encore plus loin. Lorsque nous connaissons
les impasses auxquelles Ferenczi aboutit, comme c’est notre cas aujourd’-
hui, nous entendons dans le « sentir avec » la potentialité de ce qui le pous-
sera vers l’analyse mutuelle. Et en même temps la multiplication de
précautions dont Ferenczi entoure cette proposition montre combien lui-
même sentait qu’il s’avançait sur un terrain très problématique. Ainsi, dans
le même texte, un peu plus loin, il lance encore un avertissement : « Sans
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aucun doute, nombreux seront ceux – non seulement parmi les débutants,
mais aussi parmi tous ceux qui ont une tendance à l’exagération – qui pro-
fiteront de mes propos sur l’importance du « sentir avec » pour mettre, dans
le traitement, l’accent principal sur le facteur subjectif, c’est-à-dire sur l’in-
tuition, et qui mésestimeront l’autre facteur que j’ai souligné comme étant
décisif, l’appréciation consciente de la situation dynamique 1 » pour recen-
trer la question de manière très juste sur la formation de l’analyste dans sa
propre analyse : « La seule base fiable d’une bonne technique analytique
est l’analyse finie de l’analyste. Il va de soi que chez un analyste bien ana-
lysé, les processus de « sentir avec » et d’évaluation, exigés par le moi, se
joueront non dans l’inconscient, mais au niveau préconscient 2. » Nous ne
multiplierons pas davantage les citations : Ferenczi ouvre dans ce texte lumi-
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neux et non sans le savoir deux voies divergentes que nous retrouverons
par la suite : l’une qui mettra de plus en plus l’accent sur le « sentir avec »
et fera de lui l’alpha et l’oméga de l’action de l’analyste (et cela malgré
les mises en garde du même Ferenczi que nous avons soulignées) ; l’autre
qui considérera que les sentiments de l’analyste n’ont rien à faire dans
l’affaire (sauf à devenir un obstacle dans la cure) 3 et que tout repose sur
un maniement correct du transfert (dont il faudra préciser par la suite ce
que cela signifie). Ce n’est pas pour rien si c’est dans ce texte que Ferenczi
évoque un problème qui n’a pas encore été soulevé, « une éventuelle métap-
sychologie des processus psychiques de l’analyste au cours de l’analyse 4 ».
Évoquons rapidement la dernière période, dramatique, douloureuse, de
la fin de vie de Ferenczi. C’est le dernier avatar, celui qui va de la néo-
catharsis à l’analyse mutuelle. La meilleure source est sans doute le Journal
clinique 5. L’idée qui anime Ferenczi est que l’analyste, avouant au patient
ses propres faiblesses et sentiments aussi sincèrement qu’il en est capable,
fournit à celui-ci des repères quant à la réalité. Ainsi Ferenczi se révoltera
contre « l’insensibilité de l’analyste 6 », et voudra « démasquer ce qu’on
appelle “transfert” et “contre-transfert” comme étant les cachettes des
1. Ibid., p. 64.
2. Ibid., p. 65. Notons en passant que cet énoncé relativise énormément la fameuse « communication d’inconscient
à inconscient ».
3. « La position analytique n’exige pas seulement, du médecin, le contrôle rigoureux de son propre narcissisme, mais
aussi la surveillance aiguë de diverses réactions affectives. » Ibid., p. 60.
4. Ibid., p. 63.
5. Sandor Ferenczi, Journal clinique, Paris, Payot, 1985. Certes, le Journal clinique sera publié plusieurs décennies
plus tard. Mais son influence s’est transmise par le biais de ceux qui ont travaillé avec Ferenczi pendant ces années.
Je pense notamment à Michael Balint. On verra par la suite comment certaines de ses positions réapparaissent
dans les élaborations de Balint, de Winnicott ou de Margaret Little.
6. Ibid., p. 43.
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nous, passionnément active. Ce qui est exigé là est en vérité inhabituel…
n’est comparable qu’à l’abnégation d’une mère 2 ».
Le Journal clinique est le témoignage poignant d’un très grand analyste
qui pousse à l’extrême son engagement clinique en même temps que ses
propres impasses. Comment ne pas entendre derrière ces propos l’appel
au secours jamais entendu par Freud ? Comment ne pas entendre ce que
Ferenczi désignait lui-même avec son époustouflante acuité comme son reste
inanalysé ? Dès lors, comment ne pas s’interroger sur le rôle de cet inana-
lysé sur les passages à l’acte de Ferenczi ? N’est-il pas resté rivé en fin de
compte à ce qu’il déclarait à Freud depuis le début : « J’ai beaucoup trop
tendance à considérer les affaires des malades comme les miennes 3 » ?
De Budapest à Londres
En dehors de Ferenczi, on ne trouve pratiquement aucune contribution au
sujet du contre-transfert dans les années qui suivent. Il y a pourtant une
exception qui mérite d’être signalée, pour une double raison : parce qu’elle
vient d’un analyste de grande qualité, et parce que cet analyste fait le pont
entre le Budapest ferenczien et le Londres postfreudien, où la notion de
contre-transfert ne tardera à prendre son essor. Cet analyste, on l’aura com-
pris, c’est Michael Balint, qui publie en 1939 un texte en collaboration avec
sa femme Alice : « On transference and counter-transference 4 ». Chose éton-
1. Ibid., p. 189.
2. Ibid., p. 190.
3. Lettre à Freud du 22/9/1908. Freud-Ferenczi. Correspondance 1908-1914, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 27.
4. A. & M. Balint (1939), « On Transference and Counter-transference », International Journal of Psycho-Analysis,
Vol. 20, p. 223-230. Version française : « Transfert et contre-transfert », in Amour primaire et technique psycha-
nalytique, Paris, Payot, 2001, p. 267-275.
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signalait déjà avec finesse et un certain humour ce qui se produit lorsque
l’analyste sort de la position qui est la sienne dans le transfert. Il se passe,
dit-il, quelque chose de très banal, il réagit… en être humain : « Autrement
dit, lui aussi réagira et transférera ses émotions sur son patient. La rela-
tion psychanalytique sera transformée en une relation humaine quelconque
d’amitié ou d’hostilité, de sympathie, d’amour ou de haine, voire d’indif-
férence 4. » Autrement dit, en transférant ses affects sur le patient on sera
peut-être humain, mais on ne sera plus analyste 5. Pour Balint, il est clair
que « le maniement prudent du transfert, le contrôle du contre-transfert sont
là les pierres de touche de l’analyste 6. »
On ne peut pas dire que pendant ces années le débat sur le contre-trans-
fert fasse rage. Ce qui fait rage dans le ciel de Londres, c’est la Blitzkrieg
nazie. Un déluge de bombes se déverse jour après jour sur la capitale
britannique, ce qui n’empêche pas les collègues londoniens de s’affronter
dans des débats âpres dont nous avons – heureusement – la trace.
Entre 1941 et 1945 se déroulent les « grandes controverses » entre
kleiniens et annafreudiens 7. Débat passionnant et passionné où il est ques-
tion des grands thèmes de la cure psychanalytique. Or, concernant le sujet
qui nous occupe, le lecteur ne trouvera pas grand-chose à se mettre sous
la dent. Du contre-transfert, il n’est pas question, à quelques (très) rares
exceptions près. Rien en tout cas qui puisse annoncer l’éclosion qui aura
1. Op. cit., p. 272.
2. Ibid., p. 274.
3. Michael Balint, « Le transfert d’émotions » (1933), in Amour primaire…, op. cit., p. 221-236.
4. Ibid., p. 226. C’est moi qui souligne.
5. Dans le sens de la manière dont on occupe la fonction dans le transfert. Nous reprendrons plus loin ce que peut
vouloir dire « être analyste ».
6. Ibid.
7. Les Controverses Anna Freud-Melanie Klein 1941-1945, Paris, PUF, 1996.
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lieu peu de temps après, au tout début des années 1950. Rien, sauf peut-
être un tout petit détail qui préfigure déjà un certain nombre d’orientations
que se déploieront avec force dans les années 1950 et 1960.
Ainsi, dans le rapport final qui vient clore ces controverses, nous trou-
vons dans le chapitre concernant la formation de l’analyste une définition
de ce qu’est un « bon analyste »: « Un bon analyste, pour ce qui nous occupe
ici, semble être un analyste ayant une bonne technique analytique… le
meilleur critère d’évaluation de la technique d’un analyste est son manie-
ment du transfert et du contre-transfert 1 », sans autre précision de ce que
l’on entendait par là (ce qui sous-entend que tout le monde le savait ?). En
tout cas, cela n’a pas suscité la moindre interrogation, sauf celle de Barbara
Low, qui ne semble pas manquer de pertinence : « Je trouve frappant que
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d’après le rapport sur la formation, une bonne technique, c’est-à-dire le manie-
ment du transfert ET du contre-transfert, soit le critère d’un bon analyste,
plutôt que la connaissance approfondie de l’analyse freudienne 2. » Si l’on
regarde attentivement les soubassements du mouvement qui va se déployer
quatre ou cinq ans après, on ne peut que constater que cette « bonne tech-
nique » vient en quelque sorte remblayer « l’analyse freudienne 3 ».
1. Op. cit., p. 604. Rapport définitif du Comité de formation signé par Marjorie Brierlay, Melanie Klein, Sylvia Payne,
John Rickman, Ella Sharpe et James Strachey.
2. Ibid., p. 787. Les majuscules sont dans le texte.
3. C’est aussi le constat d’Élisabeth Roudinesco, lorsqu’elle avance l’hypothèse que le prix à payer pour la survie de
l’IPA était celui d’une tolérance maximale à la diversité théorique et une rigidité extrême quant à la technique.
4. Wladimir Granoff aimait évoquer la position de Melanie Klein avec un humour irrésistible : « … sa position (à
Melanie Klein) par rapport au contre-transfert lorsque en supervision quelqu’un le lui amenait. C’était comme
vous savez “Si vous êtes embêté par la question du contre-transfert, prenez de l’aspirine” ». W. Granoff, Lacan,
Ferenczi et Freud, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 2001, p. 305.
5. P. Heimann, « À propos du contre-transfert », Le Contre-transfert, coll. « Bibliothèque des Analytica », Navarin
Éditeur, Paris, 1987. Contribution présentée au XVIe Congrès internationale de Psychanalyse de Zürich en 1949,
publiée en 1950 in International Journal of Psycho-Analysis. Pour l’anecdote : c’est dans ce même Congrès que
Lacan présenta la deuxième version, mais la seule publiée, de son « Stade du miroir ».
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pris ou non son patient 3. »
Ces trois thèses sont sous-tendues par une autre, d’ordre général, concer-
nant la situation analytique et que P. Heimann considère comme n’ayant
pas été assez soulignée : la situation analytique selon elle est « une rela-
tion entre deux personnes 4 ».
Les thèses de Heimann impliquent, il faut bien le reconnaître, un tournant
radical. Ses propositions sont, littéralement, contraires aux positions freudien-
nes 5. Elle introduit un renversement total dont il faut tirer toutes les consé-
quences qu’elles impliquent sur le plan clinique, théorique et épistémologique.
Autant la première thèse peut être admise par tout analyste 6, à partir
de la deuxième s’instaure une bifurcation qui divisera désormais la cli-
nique analytique. Non seulement il est entendu que l’analyste éprouve des
sentiments à l’égard de son patient, mais de plus il serait censé apporter
une « réponse émotionnelle » – avec ses propres sentiments donc – qui
deviendrait l’outil de travail superlatif pour l’analyste, son contre-trans-
fert (dans les termes de P. Heimann : « ses propres sentiments ») devenant
de la sorte les rayons X qui dévoilent « l’intérieur » de l’inconscient du
patient, dans une communication d’inconscient à inconscient 7. Curieusement,
1. Op. cit., p. 24.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 25.
4. Ibid., p. 24.
5. Voir à ce propos, par exemple : S. Freud, « Constructions dans l’analyse » (1937), Résultats, Idées, Problèmes II,
Paris, PUF, 1998, p. 269-281. Voir aussi L. Tourn « Freud et Hamlet… », op. cit.
6. Si tant est que l’analyste ait à éprouver des sentiments à l’égard de son patient ; mais lorsque cela se produit, la
question est moins ce qu’il en éprouve que ce qu’il en fait.
7. Là encore, l’humour décapant de W. Granoff remet un peu les choses à leur place. Lorsqu’on lui demande com-
ment est thématisé le contre-transfert il répond ne pouvoir le faire autrement que par une imitation : « (Ici Granoff
se lève, change d’intonation, se prend l’estomac à deux mains et mime ce qui suit) : “Puis tu vois, à ce moment-
là, il me dit ça. Et alors, tu vois, je le sens dans mon ventre. Ça me prend, hein. Je sens mon ventre qui se contracte.
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suscitées par le patient chez l’analyste seraient censées dévoiler la vérité
même de l’inconscient du patient. Jusqu’alors, le contre-transfert était consi-
déré comme un obstacle au travail analytique. Par ce renversement, et sans
autre forme de critique 3, il est intronisé comme l’élément déterminant pour
la conduite de la cure. On ne fait plus référence à Ferenczi, pourtant le
« sentir avec » est palpable dans le texte de Heimann et ceux des autres
auteurs (en particulier chez M. Little). Ces thèses se sont progressivement
imposées dans le milieu analytique, anglo-saxon pour l’essentiel.
Quelques auteurs isolés se sont élevés pour tenter de les nuancer 4, mais
peu à peu ils se sont tus. Au point qu’à partir des années 1960 5, on ne trouve
plus la moindre critique de la pertinence de la notion de contre-transfert 6.
Il est considéré définitivement « incontournable 7 ». Plus qu’un acquis, il
est devenu une évidence qui crève les yeux. Le problème, c’est que lors-
qu’on a les yeux crevés, on ne voit plus rien.
Puis alors, un petit peu de nausée arrive. Alors là, j’ai l’impression que je vais m’évanouir. Mais alors je me reprends,
hein. J’ai une sueur froide, tu vois. Tu me suis, hein ?” » W. Granoff, Le Désir d’analyse, Paris, Aubier, 2004,
p. 131-132. Nous reviendrons un peu plus loin sur la « communication d’inconscient à inconscient ».
1. « [L’analyste] doit se servir de sa réponse émotionnelle comme d’une clé pour ouvrir l’inconscient du patient. »
P. Heimann, op. cit., p. 28.
2. Ibid.
3. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les trois chapitres qui sont consacrés au contre-transfert dans l’ouvrage qui
fait actuellement référence sur la technique analytique, celui du psychanalyste argentin R. Horacio Etchegoyen :
Fondements de la technique psychanalytique, Paris, Hermann, 2005, Partie 2, chapitres XXI, XXII et XXIII.
4. Je pense notamment à Annie Reich.
5. Je me risquerai à dater le moment de la « consécration » : ce serait d’après moi avec le texte d’Otto Kernberg
« Notes on Countertransference » (1965), Journal of American Psychoanalytic Association, Vol. 13, p. 38-56, où
il tranche le débat en faveur de Heimann-Little, et contre Annie Reich.
6. Mis à part Lacan, dont on parlera un peu plus loin. Mais dans les années 1950-1960, l’influence de Lacan ne dépas-
sait guère plus que quelques dizaines d’élèves répartis entre Paris et deux ou trois villes françaises.
7. Cf. l’article de Paul Denis que nous discuterons plus loin: « Incontournable contre-transfert », RFP, LXX 2, avril 2006,
p. 331-350.
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les propos durs, voire cruels de sa mère pendant son enfance, l’analyste lui
répond : « Votre mère, vraiment, je la hais. » Chaque séance se terminait
toujours autour du café et des biscuits, l’analyste se souciant que la patiente
ait chaud, qu’elle se sente bien, etc.
En général, lorsqu’on fait un compte-rendu oral du récit de cette cure, et
à la condition de ne pas dévoiler trop vite l’identité des personnages, les audi-
teurs sont choqués par l’aspect bizarre qui s’en dégage, dont le témoignage
de la patiente est la seule source. Or, ce témoignage mérite largement d’être
lu en son entier pour s’en faire une idée précise et ne pas en rester à l’im-
pression caricaturale que les quelques lignes précédentes ont sûrement créée.
La patiente s’appelait Margaret Little, l’analyste était Donald W. Winnicott 1.
Ce texte demande une attention particulière à cause d’un facteur qui nous
semble éminemment intéressant : la lecture du récit que fait Margaret Little
de sa cure avec Winnicott (ou plutôt : avec Ella Sharpe et Winnicott) donne
la clé pour comprendre les deux textes qui achèveront de marquer l’intro-
nisation du contre-transfert comme clé de voûte de la pratique analytique 2.
Si l’on fait un pas de plus, on peut faire l’hypothèse que ces textes sont la
mise en acte de ce qui restait inanalysé chez Margaret Little et se tradui-
sait dans une identification massive à la position maternante de son ana-
lyste, position maternante que Winnicott manifestement – et ce n’est pas
un secret – incarnait volontairement, voire revendiquait 3.
1. M. Little, « Lorsque Winnicott travaille dans des zones où dominent les angoisses psychotiques – un compte-rendu
personnel », in J. André et al., Transfert et états limites, Paris, PUF, coll. « Petite bibliothèque de psychanalyse »,
2002, p.105-151. Ce texte fut publié d’abord dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 33, printemps 1986.
2. M. Little : « Le contre-transfert et la réponse qu’y apporte le patient » (1951) in Le Contre-transfert, op. cit., p. 30-
47 ; « “R”- la réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient » (1956), ibid., p. 48-76.
3. C’est M. Little qui le dit : « Dans mes séances avec D. W., il y avait toujours un “signe” de maternage. » Cf. « Lorsque
Winnicott… », op. cit., p. 141. Par rapport à « l’inanalysé », J-P. Lehmann rappelle que lorsque M. Little présenta
son texte « “R”- la réponse totale… » en 1956 à la British Psychoanalytical Society, Melanie Klein réagit sèche-
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celui de l’analyste 3. » Soulignons d’emblée que, pour affirmer cela, M. Little
est bien obligée de faire fi de la compulsion à la répétition et de la réac-
tion thérapeutique négative (l’adverbe « irrésistiblement » l’indique clai-
rement) ; incidemment, elle indique la condition dont dépend la
« combinaison heureuse de ces exigences : … un type particulier d’iden-
tification de l’analyste à son patient 4. » Au fur et à mesure que Little déve-
loppe ses idées, sa position se précise : l’identification de l’analyste se fait
aux besoins de son patient. Mais cette notion de « besoins » demeure aussi
large qu’imprécise, de sorte qu’elle devient un pendant de la réponse « totale »
du côté de l’analyste dont on parlera dans un instant.
Il faut souligner également que, contrairement à Winnicott, Little ne fait
pas de réelle distinction entre l’usage du contre-transfert avec les névro-
sés et les psychotiques. De plus, elle va allégrement franchir la limite que
P. Heimann s’était interdit de dépasser : elle propose d’expliquer le contre-
transfert au patient, partant du présupposé qu’« il est nécessaire de mon-
trer au patient la subjectivité des sentiments 5 » et qu’une telle attitude ne
ment en disant que « La seule chose que cela démontre, c’est que le docteur M. Little a besoin de poursuivre son
analyse ! » Winnicott qui présidait la séance empêcha Little de réagir mais prit violemment la défense de son ana-
lysante en disant que « Nous avons tous besoin d’une analyse plus poussée. Aucun de nous ne peut obtenir plus
qu’un certain résultat et on pourrait dire la même chose de tout un chacun : “il lui faut une analyse plus poussée” ».
Cf. J-P. Lehmann, La Clinique analytique de Winnicott - de la position dépressive aux états limites, Ramonville
Saint-Agne, érès, 2003, p. 115. En l’occurrence, il me semble qu’on peut conclure que tous les deux, Klein et
Winnicott, avaient raison ! Nous reviendrons un peu plus loin sur la position de Winnicott.
1. M. Little, « Le contre transfert… », op. cit., p. 32.
2. Ibid., p. 34.
3. Ibid.
4. Ibid. C’est moi qui souligne.
5. Ibid., p. 41. Ajoutons que Heimann considérait que communiquer ses sentiments au patient est « plus de la nature
d’une confession, et constitue un fardeau pour le patient » (p. 28) ; ce n’est pas pour rien que Little ajoute entre
parenthèses « qu’il ne saurait s’agir de “confessions” ».
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thie, compassion ou intérêt à activer le démarrage ou la poursuite de
l’analyse) ont besoin d’être exprimés clairement et explicitement, à point
nommé et quand ils sont explicitement éprouvés et peuvent, par conséquent,
surgir avec spontanéité et sincérité 3. » Ainsi, selon elle, le patient a besoin
d’avoir en face de lui une personne qui éprouve des sentiments de sorte
qu’il puisse s’identifier et introjecter dans un deuxième temps « l’analyste
qui éprouve des sentiments 4 ». Il va de soi que dans ces conditions, tous
ces éléments entraînent la manifestation et « l’affirmation du self de
l’analyste en tant que personne, en tant qu’un être humain vivant avec qui
il est possible d’avoir un contact et une relation 5 ».
Comme Ferenczi, Margaret Little est une figure attachante et elle a été cer-
tainement une clinicienne fortement impliquée dans le travail avec ses patients.
Qu’un analyste ait à s’engager pleinement dans les cures qu’il mène, nous sem-
ble évident. Or, que veut dire « s’engager » pleinement? Sur quoi porte l’enga-
gement? Sur des « besoins » auxquels il faut « répondre » ? C’est toute la question.
La position de Winnicott concernant le contre-transfert est beaucoup plus
subtile, nuancée et complexe, et je voudrais seulement mettre en exergue
quelques points qui me semblent importants, tout en sachant que ces points
mériteraient d’être plus largement débattus. Indiquons d’emblée que
Winnicott a publié deux textes explicitement consacrés au contre-transfert,
et c’est à ces textes que nous ferons référence 6.
1. Ibid.
2. « “R”- la réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient », op. cit., p. 50.
3. Ibid., p. 54.
4. Ibid., p. 56.
5. Ibid., p. 57.
6. Il s’agit de « La haine dans le contre-transfert » (1947) et « Le contre-transfert » (1960). Tous deux sont parus
dans le volume De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1975, p. 48-58 et 229-236 respectivement.
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mettrait de sortir de la dualité spéculaire… dans laquelle il retombe très
vite. En tout cas dans un premier temps, lorsqu’il évoque cette « attitude
professionnelle » qui se dresse entre le patient et l’analyste, Winnicott pré-
cise une conception très claire du contre-transfert. Il ne nie pas l’existence
de sentiments, pensées ou idées qui apparaissent chez l’analyste.
Simplement, l’analyste n’a pas à être influencé par ces aspects-là. En consé-
quence : « Pendant l’heure de consultation, l’analyste est objectif, d’humeur
égale. Il n’agit pas en tant que sauveur, professeur, allié ou moraliste. À
cet égard, l’analyse personnelle de l’analyste a eu pour effet de fortifier son
propre moi, si bien qu’il peut rester impliqué professionnellement sans que
cela lui coûte un trop grand effort. Dans la mesure où tout ce qui précède
est juste, la signification du mot contre-transfert réside seulement dans les
éléments névrotiques qui gênent l’attitude professionnelle et perturbent le
cours du processus analytique tel qu’il est déterminé par le patient 3 ». Un
peu plus loin il insistera sur le fait que « la plupart des gens, lorsqu’on les
analyse, ont besoin de la technique analytique classique, qui implique une
attitude professionnelle entre l’analyste et le patient 4 ».
En revanche, son approche change complètement dès qu’il s’agit des
patients à tendance « anti-sociale » ou qui « ont besoin d’une régression »,
notamment les psychotiques et borderlines. C’est sur ce point qu’un débat
plus large serait nécessaire. D’autant plus que Winnicott se fait extraordi-
1. Ce qui mériterait en soi un long débat que nous ne pouvons pas engager ici.
2. « Il est certain que le malade est confronté avec l’attitude professionnelle de l’analyste et non pas avec l’homme
ou la femme inconstant que nous pouvons être dans la vie privée », op. cit., p. 232 ; « … pour moi, entre le patient
et l’analyste, il y a l’attitude professionnelle de l’analyste, sa technique, le travail qu’il effectue avec ses facultés
intellectuelles », ibid., p. 233. C’est moi qui souligne.
3. Ibid., p. 233. Italiques de Winnicott.
4. Ibid., p. 235.
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évoqué par l’analyste anglais Adam Philips, où l’on passerait « de la psy-
chanalyse pour comprendre le maternage au maternage pour comprendre
la psychanalyse 2 ».
Toujours est-il que par rapport au contre-transfert, si Winnicott rejoint
in fine la position de M. Little, c’est pour mieux différencier cela du contre-
transfert. Je renvoie le lecteur au dernier paragraphe de son texte de 1960
où il plaide pour « laisser le terme de contre-transfert revenir à sa signi-
fication : ce que nous espérons éliminer par la sélection, l’analyse et la
formation des analystes » et dont il « ne peut résulter que de la confusion
si l’on cherche trop à étendre le sens du contre-transfert 3 ». Il me semble
donc que Winnicott différencie ce qui est le contre-transfert de ce qui serait
« la réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient », ce qui n’est
absolument pas le cas de Margaret Little qui assimile les deux et les fait
équivaloir, et dont les effets se feront sentir par la suite, notamment aux
États-Unis.
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transfert doit fonder une conception de la situation analytique comme pro-
cessus d’interaction dans lequel le passé et le présent des deux participants
ainsi que leurs relations mutuelles à leur passé et à leur présent s’unissent
dans une unique position émotionnelle qui les implique tous les deux 3. »
Mais si, pour Little, il y avait une identification au patient, et plus
spécifiquement au Ça du patient (ce que Kernberg souligne d’ailleurs),
Kernberg déplace rapidement le point de gravité vers le Moi de l’analyste.
Ainsi, le contre-transfert devient un « outil de diagnostic important » de
la mesure de régression du patient, et cela va susciter une contre-identifi-
cation (counteridentification) de l’analyste 4: une identification « perma-
nente et excessive » avec le patient, impliquant une duplication chez l’analyste
des identifications constitutives du patient. C’est cette « duplication » qui
permet à l’analyste de savoir ce que le patient ressent. Mais comme l’ana-
lyste, fort heureusement, possède des mécanismes de compensation psy-
chique importants, quelques aspects de son moi (ego) restent intacts et il
peut ainsi retransmettre au patient une sécurité émotionnelle.
Avec Little, nous étions déjà dans le spéculaire. Avec Kernberg, on s’en-
gage résolument du côté de l’interpersonnalisme 5. Th. Jacobs salue pour
sa part le rôle de Kernberg en tant qu’« intégrateur » des différents points
1. O. Kernberg, « Notes on Countertransference » (1965), Journal of the American Psychoanaytical Association, Vol. 13,
p. 38-56. Le texte avait été présenté en décembre 1963 au Congrès de l’APA. Otto Kernberg fut par la suite
président de l’APA, puis président de l’IPA.
2. Ibid., p. 41
3. Ibid., p. 42
4. Ibid., p. 45. Soulignons qu’il s’agit de la notion de contre-identification de R. Fliess, et non pas de la « contre-
identification projective » de L. Grinberg ; celle de Fliess est encore plus « moïque » que celle de Grinberg.
5. Pour voir les résultats aujourd’hui, une lecture instructive : Marvin D. Wasserman (1999), « The Impact of
Psychoanalytic Theory and a Two-Person Psychology on the Empathising Analyst », International Journal of Psycho-
Analysis, Vol. 80, p. 449-464.
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En effet, vers le milieu des « nineties », il semble désormais acquis et
évident que la subjectivité de l’analyste est un élément essentiel et indis-
sociable du processus analytique. Je me permettrai d’insister car je crains
de ne pas me faire comprendre : c’est de la subjectivité (qui n’a rien à
voir avec la notion de « sujet ») de l’analyste qu’il s’agit, de ce qu’il est
ou croit être, de son « identité », de ses idées, pensées et actes qu’il sera
question. Cette position trouvera son acmé dans les travaux d’un Owen
Renik 3, lequel soutiendra de manière explicite que la subjectivité de
l’analyste est une partie irréductible et inhérente au processus analytique.
Accordons-lui le mérite de la cohérence : des termes comme neutralité
ou abstinence n’ont pas de sens pour lui. Et en tirant toutes les consé-
quences, le contre-transfert finit par être un terme redondant, dans la mesure
1. Th. J. Jacobs (1999), « Countertransference Past and Present », International Journal of Psycho-Analysis, Vol. 80,
p. 582.
2. À titre d’échantillon représentatif mais très loin d’être exhaustif (et par ordre chronologique) : M. Gitelson, « The
Emotional Position of the Analyst in the Psycho-Analytic Situation » (1952) International Journal of Psychoanalysis,
Vol. 33, p. 1-10 ; R. Greenson, « Loving, Hating, and Indifference Towards the Patient » (1974), International Review
of Psycho-Analysis, Vol. 1, p. 259-266 ; R. Aaron « The Analyst’s Emotional Life During Work » (1974), Journal
of the American Psychoanalytical Association, Vol. 22, p. 160-169 ; N. Armony, « Countertransference : Obstacle
and Instrument » (1975), Contemporary Psychoanalysis, Vol. 11, p. 265-280; J. Arlow, « Affects and the Psychoanalytic
Situation » (1977), International Journal of Psychoanalysis, Vol. 58, p. 157-170; J. Arlow, « Some Technical Problems
of Countertransference » (1985), Psychoanalitic Quarterly, Vol. 54, p. 164-174 ; H. Blum « Countertransference
and the Theory of Technique » (1986), Journal of the American Psychoanalytic Association, Vol. 34, p. 309-328 ;
W. Burke & M.J. Tansey, « Countertransference Disclosure and Models of Therapeutic Action » (1991), Contemporary
Psychoanalysis, Vol. 27, p. 351-384 ; S. Abend, « Countertransference and Psychoanalytic Technique »,
Psychoanalytic Quarterly, Vol. 58, p. 374-395 ; A. De Blécourt, « Transference, Countertransference and Acting
Out in Psychoanalysis » (1993), International Journal of Psychoanalysis, Vol. 74, p. 757-774; A. Goldberg, « Farewell
to the Objective Analyst » (1994), International Journal of Psychoanalysis, Vol. 75, p. 21-30 ; Th.J. Jacobs
« Countertransference Past and present » (1999), International Journal of Psychoanalysis, Vol. 80, p. 575-594.
3 O. Renik (1993), « Analytic Interaction : conceptualizing technique in the light of the analyst’s irreductible subjec-
tivity », Psychoanalytic Quarterly, Vol. 62, p. 553-571. Du même auteur, (1995) « The Ideal of the Anonymous
Analyst and The Problem of Self-Disclosure », Psychoanalytical Quarterly, Vol. 64, p. 466-495.
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cuté ouvertement avec le patient pendant la cure. D’autres auteurs qui s’ins-
crivent dans la même ligne de pensée indiquent clairement que l’objectif
est d’obtenir, par le biais des « mises en acte contre-transférentielles (coun-
tertransference enactements) » ou par l’« auto-revélation du contre-trans-
fert (countertransference self-disclosure) », une « expérience émotionnelle
corrective (corrective emotional expérience) 2 ». On ne s’étonnera guère
que le terme d’inconscient n’ait plus vraiment cours chez ces auteurs…
Lacan et le contre-transfert
Il est bien connu que Lacan a critiqué dès le départ les positions qui sou-
tenaient le contre-transfert. C’est qui est moins évident, c’est que sa posi-
tion a été beaucoup plus nuancée que la caricature qui est régulièrement
présentée 3, de sorte qu’il ne s’est pas limité à critiquer ce que les positions
sur le contre-transfert ont de problématique. Il nous semble qu’il a voulu
ramener le débat à sa source. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a
pas été très entendu 4.
1. La « subjectivité » de Renik renvoie à la notion de « personnalité » plutôt qu’à la notion de sujet telle que nous
l’entendons en France.
2. Voir par exemple, dans la liste d’articles cités précédemment, les textes de M. Wasserman, de W. Burke & M. Tansey,
de D. Feinsilver ou de S. Cooper.
3. La dernière ineptie en date est celle de P. Denis dans son article déjà mentionné. Il cite Lacan dans « La direction
de la cure » lorsque celui-ci évoque l’impropriété conceptuelle du contre-transfert, « balayant d’un revers de main
– selon P. Denis – toute influence de la personne de l’analyste. Tout son article se déroulera sous le signe d’une
démonstration de l’indépendance du déroulement de la cure par rapport au psychisme de l’analyste ». Nous pen-
sons y apporter une réponse dans ce qui suit. Notons que P. Denis cite Lacan, mais ne fait pas apparaître la réfé-
rence ni en bas de page ni dans la bibliographie générale à la fin de son article. Manière de dire que Lacan n’est
pas une référence pour lui ? Nous croyions l’avoir compris.
4. On retrouve cela entre autres, dans les propos qui se veulent pourtant bienveillants et qui concluent que lorsque
Lacan parle de « désir de l’analyste », c’est sa manière de parler du contre-transfert. Point qui rejoint notre pro-
pos d’introduction.
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l’analysé, on en parle comme ce qui va de soi. Mais on croit faire preuve
d’audace à s’intéresser aux effets qu’y aurait la personne de l’analyste. C’est
au moins ce qui justifie le frémissement qui nous parcourt aux propos à la
mode sur le contre-transfert, contribuant sans doute à en masquer l’impro-
priété conceptuelle: pensez de quelle hauteur d’âme nous témoignons à nous
montrer dans notre argile faits de la même que ceux que nous pétrissons 3. »
Fuite, fausse consistance, alibi, impropriété conceptuelle. C’est là où Lacan
fait un pas supplémentaire qui nous semble essentiel, capital par rapport
à cette question qui nous occupe. Pour lui, il s’agit d’une démission de
l’analyste. Mais, quel genre de démission ? : « Mais c’est plutôt l’exalta-
tion facile de leur geste à jeter les sentiments, mis au titre de leur contre-
transfert, dans le plateau d’une balance où la situation s’équilibrerait de
leur pesée, qui pour nous témoigne d’un malheur de la conscience corré-
latif d’une démission à concevoir la vraie nature du transfert… Ce qu’il y
a de certain, c’est que les sentiments de l’analyste n’ont qu’une place
possible dans ce jeu : celle du mort ; et qu’à le ranimer, le jeu se poursuit
sans qu’on sache qui le conduit 4. »
Le point capital, qui est aussi le point de bascule, c’est le transfert. Il
faut donc revenir sur le transfert… ce que nous ne ferons pas ici. Sauf à
rappeler ce qui est essentiel par rapport à la position de Lacan concernant
1. C’est notamment le cas lorsque Lacan évoque la cure de Dora. Voir Le Séminaire, Livre I, Les Écrits techniques
de Freud, Paris, Seuil, 1975, Leçons du 20 et 27 janvier, 2, 9 et 30 juin 1954. Voir aussi « Interventions sur le
transfert » (1951) et « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (1953), in Écrits, op. cit.,p 225
et 305 respectivement.
2. Jacques Lacan, « Variantes de la cure-type » (1955), in Écrits, op. cit., p. 332.
3. Jacques Lacan, « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » (1958), Écrits, op. cit., p. 585 ; c’est moi
qui souligne.
4. Ibid., p. 589. C’est moi qui souligne.
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pos, il discutera, entre autres, un cas clinique exposé par l’analyste lon-
donienne Pearl King. Je ne citerai pas le cas, mais le commentaire qu’en
fait Lacan sur l’embarras de cette analyste et ce qu’on dénomme contre-
transfert : « si l’analyste avait su justement repérer la fonction de son désir,
elle se serait aperçu que le patient lui faisait à elle le même effet, c’est à
savoir que, elle, était par lui transformée en objet (a). Et la question est
de savoir pourquoi elle a supporté dix ans une tension qui lui était à elle-
même si intolérable sans se demander quelle jouissance elle pouvait y pren-
dre elle-même. Là est la véritable question et là se pointe ce qu’on appelle
plus ou moins légitimement contre-transfert, et qui est, comme il en est
toujours dans la névrose de transfert, dont on dit qu’elle est au ressort des
analyses interminables ».
Or, on pourrait croire que, lorsque Lacan parle de « névrose de transfert »,
il fait allusion au patient. Absolument pas; il poursuit: « Et la névrose de trans-
fert est une névrose de l’analyste. L’analyste s’évade dans le transfert dans la
mesure stricte où il n’en est pas au point quant au désir de l’analyste 2 ».
Lacan poursuit sa réflexion lors d’une séance 3 dans laquelle il se fait
encore plus précis aussi bien par rapport à l’implication de l’analyste que
par rapport à ce qu’il faut entendre par contre-transfert : « De l’expérience
analytique, il n’est pas là moins précieux de savoir comment l’analyste la
1. Ceci à partir de son séminaire sur le transfert ; Lacan n’a jamais changé d’avis sur cette position. Cf. Le Séminaire,
Livre VIII, LeTransfert, Paris, Seuil, 2001 (notamment séances du 8 et 15 mars et du 24 mai 1961) et Le Séminaire,
Livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1 973.
2. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (inédit), séance du 3/2/1965.
Sauf indication contraire, toutes les italiques sont les miennes.
3. Séance du 17/3/1965. Concernant la question de « la pensée », que l’on se rappelle la citation de Ferenczi concer-
nant les processus psychiques de l’analyste… et qu’on le garde en mémoire lorsqu’on discutera des positions de
J-A Miller.
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fourmiller dans tous les textes sur le contre-transfert où l’on rabâche sans
cesse l’identification de l’analyste au patient dans un rapport spéculaire (nous
présenterons un peu plus loin un exemple privilégié). Alors si ce n’est pas
d’un rapport d’identification, de quoi s’agit-il pour Lacan? De quelque chose
de bien différent : il s’agit de son implication transférentielle dans le symp-
tôme tel qu’il se manifeste dans le jeu signifiant : « Que veut dire qu’il y
ait des hommes qui s’appellent psychanalystes et que cette opération inté-
resse ? Il est tout à fait évident que dans ce registre le psychanalyste,
d’abord s’introduisant comme sujet supposé savoir, est lui-même, reçoit lui-
même, supporte lui-même le statut du symptôme. Un sujet est psychana-
lyste, non pas savant rempardé derrière des catégories au milieu desquelles
il essaye de se débrouiller pour faire des tiroirs dans lesquels il aura à ran-
ger les symptômes qu’il enregistre de son patient, psychotique, névrotique
ou autre, mais pour autant qu’il entre dans le jeu signifiant 1. »
Il reprend et développe cette position à la séance suivante, donnant en
passant une belle indication de ce que l’on peut entendre par tâche inter-
prétative : « Nous sommes restés sur cette question, concernant l’analyste
[…] non pas sa capacité bien sûr, trop facile et mythique d’imaginer je ne
sais quelle vertu, don inné ou acquis qui le mettrait en position d’assumer
ce qu’il a à faire : c’est de sa position radicale comme sujet qu’il s’agit,
quand nous disons que le fondement de l’analyse il doit être le sujet sup-
posé savoir. Et j’ai amorcé la dernière fois en quoi ceci pouvait avoir un
sens : ceci ne peut, vus les tracés de ce que Freud nous a donné concernant
l’expérience analytique, représenter rien d’autre que d’une certaine dispo-
nibilité dans l’ordre du signifiant à fournir 2. » Je reprendrai un peu plus
1. Ibid., séance du 5/5/65.
2. Ibid., séance du 12/5/65.
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loin ce que suppose cette « position radicale comme sujet ». Mais avant,
et pour finir avec cette série de longues citations, je voudrais en ajouter
une dernière, d’un séminaire beaucoup plus tardif, lorsque Lacan réagit publi-
quement à la parution du livre de Michel Neyraut sur le transfert 1 :
« J’ai dit quelque part – et à quelqu’un qui a fait, ma foi, un fort joli
petit bouquin sur le transfert, c’est le nommé Michel Neyraut – en quoi je
lui ai dit que, commencer comme il le fait par ce qu’il appelle le « contre-
transfert », si par là il veut dire en quoi la vérité touche l’analyste lui-même,
il est sûrement dans la bonne voie, puisqu’après tout, c’est là que le vrai
prend son importance primaire, et que, comme je l’ai fait remarquer depuis
longtemps, il n’y a qu’un transfert, c’est celui de l’analyste, puisqu’après
tout c’est lui qui est le sujet supposé au savoir. Il devrait bien savoir à quoi
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s’en tenir là-dessus, sur son rapport au savoir, jusqu’où il est régi par la
structure inconsciente qui l’en sépare, de ce savoir, qui l’en sépare bien qu’en
sachant un bout, et je le souligne, autant par l’épreuve qu’il en a faite dans
sa propre analyse que par ce que mon dire peut lui en porter. »
Je reviendrai un peu plus loin sur ces questions. Mais on notera d’ores
et déjà que l’une des conclusions que l’on peut tirer des propos de Lacan
modifie notre première proposition sur le contre-transfert. Si le contre-trans-
fert est ce qui se met en travers du transfert, et donc de la cure analytique,
il faut conclure que :
1. Jacques Lacan, Le Séminaire 1973-1974, Les non-dupes errent, séance du 19/3/1 974.
2. Louise de Urtubey (2 006), « Des origines du contre-transfert », Revue Française de Psychanalyse, LXX - 2,
op. cit., p. 371-383. Toutes les citations sont tirées des pages 381-382. Les italiques sont les miennes.
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lui avait raconté que, juste avant la mort du père, il lui avait demandé, « exprès
pour le faire souffrir, s’il croyait à l’enfer. Je m’aperçois que c’est sa cul-
pabilité qui l’a amené à l’état “infernal” où il répète se trouver ». Surprise :
l’interprétation est immédiatement efficace.
À partir de là de Urtubey, soulignons-le, s’interroge fort honnêtement
sur sa surdité : « Comment ai-je pu ne pas aborder plus tôt cette phrase,
qui m’avait pourtant frappée dans un premier temps ? Tous deux nous avions
créé un bastion intouchable refoulé. » Tous deux ? Que le patient refoule,
rien de plus « naturel », pourrions-nous dire. Mais en l’occurrence, et de
l’aveu même de l’analyste, le patient ne cessait de répéter l’état « infer-
nal » dans lequel il était. Et le refoulement de l’analyste ? « L’agacement
produit par les plaintes m’empêchait d’entendre ce qui se cachait derrière
elles, à savoir l’enfer. » Mais pourquoi un tel agacement ? « En identifi-
cation complémentaire avec son objet paternel, j’étais « indignée » par
l’intensité d’une pareille agression à l’encontre d’un père mourant… Moi-
même je n’aurais jamais prononcé une telle phrase dans un pareil moment,
d’autant plus que ma relation avec mon père et avec mon analyste-homme
furent plus que nettement “assez bonnes”. »
Louise de Urtubey nous présente comme modèle quelque chose qui
est à prendre en effet comme paradigme de notre définition du contre-
transfert : ce qui se met en travers du transfert. Et en l’occurrence ce qui
est en travers du transfert, ce qui fait obstacle, c’est sa propre position,
celle d’une « identification indue », au point qu’elle n’entend plus ce
que son patient pourtant ne cesse de lui dire. Ce qui l’assourdit, c’est sa
propre identification au père, le sien, et à son père-analyste-homme, tel-
lement suffisamment bons qu’elle n’arrive plus à entendre ce que son
patient essaye désespérément de faire entendre de son propre rapport à
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en passant que D. Widlöcher témoigne lui aussi de l’éclatement de la psy-
chanalyse que nous mentionnions dans notre introduction, en évoquant des
groupes avec lesquels ils n’ont « ni les mêmes idées ni les mêmes pratiques ».
Et j’avoue être sensible lorsqu’il s’interroge : « Est-ce que l’écoute nous
est suffisamment commune pour que nous puissions nous entendre parler
des mêmes faits ou des mêmes choses, du même objet mental ? 4 » D’autre
part, je remarque avec intérêt que J-A Miller reconnaît de son côté que l’ex-
pression « être lacanien » n’est pas univoque « ni pour la pratique ni pour
la doctrine » et que lui (J-A. M) « ne saurait ici représenter tous les laca-
niens dont beaucoup et même la grande majorité ne sont pas mem-
bres de l’AMP 5 ».
Comment le contre-transfert est abordé par les deux présidents ? Pour
D. Widlöcher, l’IPA tient ferme les deux principes de la méthode : asso-
ciation libre et attention flottante 6, « elles constituent un processus de com-
munication entre l’analysant et l’analyste qui suppose un travail
1. Il est tout de même cocasse, après ce que l’on vient de lire, que Louise de Urtubey se permette d’écrire ceci page 380 :
« Sans une bonne analyse, pas d’analyste travaillant adéquatement. Sans un bon cadre gardé par l’ancien analyste
[…] pas de nouvel analyste capable d’exercer son métier de mise au jour du refoulé, de réintégration du clivé.
Mais hélas, nous savons bien que tous les analystes ne travaillent pas “assez bien”, surtout ceux “instaurés d’eux-
mêmes”. » Un peu de modestie n’aurait pas fait du mal… à moins que l’arrogance soit inanalysable !
2. « […] est contre-transfert tout ce que, de ce qu’il reçoit dans l’analyse comme signifiant, le psychanalyste refoule. »
L’Angoisse, 27/2/63, p. 138.
3. « L’avenir de la psychanalyse. Débat entre D. Widlöcher et J-A. Miller animé par B. Granger », Psychiatrie, Sciences
Humaines, Neurosciences, Vol. 1, n° 1, janvier-février 2003, p. 10-18.
4. Ibid., p. 11.
5. Ibid., p. 13.
6. Il est tout de même intéressant de voir comment D. Widlöcher fait passer par pertes et profits les différences
abyssales qui coexistent à l’intérieur de l’IPA et dont nous croyons avoir apporté un échantillon dans les pages qui
précedent !
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pathie (le « sentir avec ») dont nous avons retracé le parcours depuis
Ferenczi.
Mais la position de J.-A. Miller n’est pas moins problématique. Il y a
d’une part une caractérisation sans ambages du contre-transfert à laquelle
nous pouvons souscrire 3 au moins partiellement : « Si l’analyste se laisse
manipuler par son contre-transfert, par ses fantasmes et par ses préjugés,
par ses pensées, s’il se laisse séduire et suggestionner, alors en effet il n’est
plus à la place où il doit être, il déchoit : c’est un lapsus de l’acte. En ce
sens le contre-transfert figure bien dans la technique lacanienne, mais seu-
lement sous un aspect négatif : ce n’est pas un instrument d’exploration.
Lacan est là, pour le meilleur et pour le pire, dans la droite ligne de la tra-
dition freudienne 4. » Certes ; cependant un certain nombre de remarques
sont à faire sur d’autres affirmations de J.-A.Miller, qui ne sont pas sans
rapport avec la petite phrase « lapsus de l’acte ». Car il faut noter que ce
fameux « acte » est ramené de manière exclusive à la durée de la séance.
Il avait, en quelque sorte, annoncé la couleur un peu plus tôt lorsque, sou-
lignant la différence entre les pratiques ipéistes et la pratique lacanienne,
il affirmait : « Le maniement du contre-transfert est absent de la pratique
analytique d’orientation lacanienne, il n’y est pas thématisé, et cela est cohé-
rent avec la pratique lacanienne de la séance brève comme avec la doctrine
lacanienne de l’inconscient 5. » Il s’ensuit un argumentaire qui oppose les
séances « longues » dans lesquelles le patient « envahit » l’analyste, qui
trouve refuge dans ses propres associations, aux séances brèves destinées
1. Ibid., p. 12.
2. Ibid., p. 16.
3. Sauf par rapport à un petit détail qui fera partie de nos réserves, voire de nos critiques par la suite.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 14.
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mais dans un mouvement a contrario, soulignant combien le contre-trans-
fert était en quelque sorte un dérapage de la position que l’analyste doit
occuper dans le transfert. Et on est en droit de se demander si cette posi-
tion que décrit Miller n’est pas elle aussi une démission à aborder le trans-
fert, précipitant sous la rubrique discutable d’acte un évitement du transfert
comme tel 2.
1. Ibid., p. 15
2. Soulignons que cette position de J.-A. Miller avait fait l’objet de la critique argumentée d’Alain Lemosof. Cf.
« Construction freudienne ou déconstruction lacanienne ? », Les Lettres de la SPF, Vol. 15, avril 2006, p. 99-112,
en particulier p. 106-108.
3. Je pense à certains apports de J.-B. Pontalis, de Michel de M’Uzan, de Michel Neyraut, de Serge Viderman ou de
Pierre Fédida.
4. François. Duparc (2001), « The Countertransference Scene in France », International Journal of Psycho-Analysis,
Vol. 82, p. 151-169.
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devenu un empêchement (this became an impediment) pour tous les auteurs
qu’il influença de près ou de loin1. » Curieux argument, sur lequel nous revien-
drons un peu plus loin. Pour compléter l’argument de Duparc, il reconnaît
que cette hypothèse lui est venu à l’esprit après la lecture d’un texte de la
psychanalyste uruguayenne Beatriz Leon de Bernardi 2 qui soulignait l’ef-
fet inverse, à savoir la raréfaction des textes sur le contre-transfert en Amérique
latine au fur et à mesure que grandissait l’influence de Lacan.
Cette « hypothèse » (puisque c’est comme cela qu’il l’appelle) de F. Duparc
mérite un certain nombre de réflexions. D’une part, il est certain que la figure
du gourou est incompatible avec la psychanalyse. Mais pour ce qui concerne
la psychanalyse, le problème est moins du côté du « gourou » (si tant est que
Lacan en fût un!) que du côté de ceux qui y adhèrent. Que Lacan ait exercé
une fascination énorme, c’est certain; que cette fascination ait eu des retom-
bées pour le moins fâcheuses, également 3. Ce qui est plus curieux, c’est que
Duparc considère que l’influence de Lacan « empêcha » de penser… ceux
qui n’étaient pas ses élèves! Je crois l’argument d’autant plus fallacieux que
c’est dans les années 70 que l’influence de Lacan était la plus grande, et que
bien des auteurs écrivaient des thèses contraires à celles de Lacan 4.
Mais cette thèse que nous appellerons « Duparc – Leon de Bernardi » nous
semble mériter une antithèse: nous venons d’évoquer le fait qu’en France il
n’y a pas eu les dérives sur le contre-transfert que nous avons repérées dans
1. Ibid., p. 151.
2. B. Leon de Bernardi (2000), « The countertransference : a Latin American view », International Journal of Psycho-
Analysis, vol. 81, p. 331-351.
3. J’ai eu à maintes reprises l’occasion de signaler combien il était surprenant de constater l’identification massive
à Lacan ; surprenante pour quelqu’un qui, justement, soutenait que la fin de l’analyse ne pouvait pas être l’iden-
tification à l’analyste !
4. Pour ne donner qu’un exemple : André Green.
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vraie question: quelle place doit occuper l’analyste afin de mener correcte-
ment la cure? Cette question est indissociablement liée à celle de savoir avec
quoi l’analyste opère. Tout cela aboutissant à la boutade: dites-moi ce que vous
entendez par contre-transfert, je vous dirai quelle conception vous avez de la
cure, du transfert et, en dernière instance, de l’inconscient. Nous y sommes.
La vraie question, nous l’avons vu, a été reprise par tous les auteurs que
nous avons visités dans notre parcours. C’est la question de Freud évidem-
ment, elle était aussi celle de Ferenczi – surtout Ferenczi –, mais aussi celle
de Balint, de Winnicott, de Racker, de Heimann, de Little, de Kernberg et
bien évidemment celle de Lacan. La question était la même, mais la réponse
a rapidement bifurqué. Le point central, le point de gravité étant : avec quoi
opère l’analyste ? Mais qui peut s’énoncer autrement : quelle place occupe
la « personnalité », la « subjectivité », voire « l’être » de l’analyste ?
Si l’on considère que l’expérience analytique est une expérience duelle,
réciproque, symétrique, et qu’elle se joue sur la reviviscence d’affects et
sentiments vécus dans la communion et le partage, il n’y a pas lieu de
s’étonner ni de l’énorme diffusion du contre-transfert, ni de ce que nous
avons défini, de notre point de vue, comme ses errements. C’est le Ferenczi
qui fait appel à l’abnégation amoureuse d’une mère (puisque le transfert
c’est le lieu de la répétition du trauma fondamental de ce qui a manqué et
que l’analyste doit, avec abnégation, donner), c’est le Winnicott 2 qui enjoint
1. Puisque je viens d’évoquer A. Green : celui-ci s’insurge lorsqu’on évoque la critique de Lacan à l’Ego-psycho-
logy, en arguant que les psychanalystes français n’ont jamais adhéré aux thèses de l’ego-psychology. Ne serait-ce
pas à cause des mêmes raisons que je viens d’invoquer ? C’est en tout cas ce que pensait W. Granoff. Cf. Le Désir
d’analyse.
2. Rappelons pourtant que pour ce que concerne aussi bien Ferenczi que Winnicott les choses sont loin d’être aussi
linéaires et ils ont soutenu des positions beaucoup plus « classiques » ; c’est le Ferenczi de « L’élasticité technique »
et le Winnicott prônant une « attitude professionnelle » entre la personne de l’analyste et le patient.
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auteurs ? Est-ce que le transfert peut être autre chose que reviviscence d’af-
fects ? Est-ce que l’inconscient peut être considéré comme autre chose que
manifestation affective 1 ? Comment dans ce cas ne pas considérer que
« l’opérativité » de l’analyste réside dans son « authenticité » ? Entendons :
qu’il est capable de faire preuve, devant son patient, de « sentiments authen-
tiques » (M. Little) et de cette sorte, par le jeu de l’identification réciproque
(l’analyste s’identifiant au patient pour connaître son ressenti, donc son
inconscient, le patient s’identifiant à l’analyste comme modèle d’expérience
émotionnelle), amener le patient « irrésistiblement » (toujours M. Little)
vers le happy end ? Pourquoi en effet, comme le soutien O. Renik, ne pas
mettre à la poubelle ces vieux outils que sont la neutralité et l’abstinence ?
Il pourrait sembler redondant de dire que ce n’est pas la position de
Freud… si ces auteurs ne se réclamaient pas de lui ! Et pourtant, certains,
comme P. Denis, n’hésitent pas à évoquer… l’âme de l’analyste ! Voici :
« Pourrait-on dire que le contre-transfert est le reflet du patient dans l’âme
du psychanalyste ? Le rôle de miroir du psychanalyste est en tout cas en
cause dans la question du contre-transfert et ce qu’il réfléchit du patient,
grandement dépendant de la couleur de son tain 2. »
Lacan, tout comme Freud (tout comme un certain Ferenczi ou un cer-
tain Winnicott) ont soutenu que les affects de l’analyste ne devaient pas
rentrer en jeu. Soulignons-le : ils ne disent pas ni qu’il n’y ait pas des mani-
festations affectives du patient dans le transfert, ni qu’il n’y ait pas des mou-
vements affectifs chez le sujet qui occupe la place d’analyste. La question
n’est pas tant, comme nous l’évoquions en discutant Paula Heimann, que
1. Faudrait-il rappeler que pour Freud les sentiments n’étaient pas inconscients ? Cf. la troisième partie de son essai
métapsychologique sur « L’inconscient » (1915).
2. P. Denis, « Incontournable contre-transfert », op. cit., p. 331.
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entre autres choses, à ne pas confondre ce que nous sommes ou ne sommes
pas, et ce que nous croyons et ne croyons pas, avec la place que l’autre peut
venir nous faire jouer en fonction de son discours et de son histoire 1. Il me
semble que c’est exactement ce que Lacan laissait entendre lorsqu’il disait
que l’analyste l’est en tant qu’il se prête au jeu du signifiant, et que sa fonc-
tion consiste en sa disponibilité du signifiant à fournir. Inversement, si
l’analyste laisse intervenir ses sentiments, l’avertissement de Balint retro-
uve toute sa pertinence : nous serons dans une relation humaine, peut-être
chaleureuse et amicale, peut-être tendue, voire haineuse, mais ce ne sera pas
une relation analytique. Ou alors, comme nous l’avons illustré avec le cas
de Louise de Urtubey, dans une identification indue dans laquelle l’analyste
projette sur son analysant ses propres fantasmes et ses propres identifica-
tions imaginaires, et en oblitérant absolument le discours de celui-ci.
Le transfert est d’abord transfert de l’analyste, disait Lacan. Pas de psy-
chanalyse, pas de transfert analysable sans que quelqu’un occupe cette place
du sujet supposé savoir qui n’est la place d’aucun sujet. Ou, pour le dire
autrement, on est analyste à condition d’être capable de soutenir cette place
« désubjectivée » dans laquelle pourra se déployer le transfert de l’analy-
sant. L’analyste l’est parce qu’il est en mesure de mettre entre parenthèses
les « parures de son être » et ne pas faire obstacle à l’émergence d’un dis-
cours Autre. C’est l’énigme qui ouvre cet étrange désir que, faute de mieux,
Lacan a désigné comme « désir de l’analyste ». Comment se fait-il qu’un
1.Évidemment il peut arriver à un analyste des moments d’angoisse. Mais qui angoisse alors ? C’est le sujet, la « per-
sonne » comme dirait Winnicott et non pas l’analyste. Du coup, à mon sens, le sujet pris par son angoisse déserte
bien malgré lui la place de l’analyste. Manière de dire qu’on n’est pas analyste ; on l’est dans la mesure exacte et
le temps précis où l’on parvient à soutenir la position de l’analyste en tant que fonction dans le transfert.
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L E T T R E S D E L A S O C I É T É D E P S Y C H A N A LY S E F R E U D I E N N E
Résumé : « Une mauvaise réponse à une vraie question » : c’est dans ces
termes que nous considérons le contre-transfert. Nous proposons un par-
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cours balisé dans l’histoire de cette notion controversée, de Freud à aujour-
d’hui. Avec le double objectif de signaler quelques dérives théoriques et
pratiques dans la pratique psychanalytique, et comme une invitation à recen-
trer le débat autour de celle qui nous semble la « vraie » question : celle
du désir de l’analyste.
1. Ce qui me semble être la question essentielle à développer une fois écarté la fausse question du contre-transfert.
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