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Le tronc commun dans l'enseignement secondaire

Dominique Grootaers
Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2014/5 (n° 2210), pages 5 à 47
Éditions CRISP
ISSN 0008-9664
DOI 10.3917/cris.2210.0005
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Courrier hebdomadaire
n° 2210 • 2014

Le tronc commun
dans l’enseignement secondaire

Dominique Grootaers
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y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous pays.
ISSN 0008 9664
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 5
1. LES STRUCTURES DE L’ENSEIGNEMENT : FILIÈRES ET TRONC COMMUN 7
1.1. Origine des structures actuelles de l’enseignement secondaire 7
1.2. Premières inflexions apportées au degré commun dans les années 1990 9
1.3. Les mesures récentes, de 2004 jusqu’à aujourd’hui 10
1.4. Un diagnostic largement partagé concernant les maux du système 13
2. L’OPTION D’UN AMÉNAGEMENT DU SYSTÈME ACTUEL 18
2.1. Acteurs de première ligne 18
2.1.1. Ministres en charge de l’Enseignement obligatoire 18
2.1.2. Partis politiques 20
Le CDH 20
Écolo 21
Le MR 23
Les FDF 24
2.1.3. Fédérations de pouvoirs organisateurs 24
Le SEGEC 24
La FESEC 26
2.2. Acteurs de deuxième ligne 27
L’UFAPEC 27
2.3. Acteurs de troisième ligne 27
La BECI, la FEB, l’UWE et le VOKA 28
3. L’OPTION D’UNE REFONTE EN PROFONDEUR 29
3.1. Acteurs de première ligne 29
3.1.1. Partis politiques 29
Le PS 29
3.1.2. Fédérations de pouvoirs organisateurs 31
Le CPEONS 31
3.2. Acteurs de deuxième ligne 31
3.2.1. Syndicats d’enseignants 31
La CSC 31
La FGTB 32
La CGSLB 33
3.2.2. Fédérations d’associations de parents 34
La FAPEO 34
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3.3. Acteurs de troisième ligne 34
3.3.1. Organisations appartenant au monde associatif 35
Les signataires de la « plateforme contre l’échec scolaire » 35
L’APED 35
Le CEDEP 37
3.3.2. Chercheurs universitaires 38
3.3.3. Groupes de réflexion à visée prospective 40
L’ADEPT 40
Méta-Éduc 41
CONCLUSION 43
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INTRODUCTION

En Communauté française 1, existe actuellement le projet de redessiner les structures


2
de l’enseignement secondaire . En particulier, certains acteurs souhaitent voir réformer
le système de partage en trois grandes filières parallèles (générale, technique et
professionnelle), qui date de la première moitié des années 1950. Ils remettent en
question la différenciation précoce (dès la 3e année de l’école secondaire) séparant,
d’une part, un enseignement qui est conçu pour préparer les élèves aux études supérieures
en se centrant sur une formation générale et, d’autre part, un enseignement qui se veut
davantage qualifiant ou professionnalisant en associant une formation théorique et
une formation pratique.
3
Les enquêtes internationales PISA (Programme international pour le suivi des acquis)
ont révélé les piètres résultats des élèves de la Communauté française. Ces enquêtes
comparatives ont contribué, de manière récurrente, à alerter l’opinion publique. Elles ont
aussi poussé les responsables politiques francophones à se mobiliser 4 en vue d’améliorer
l’efficacité et l’équité de l’enseignement, autrement dit en vue d’élever le niveau moyen
des acquis tout en diminuant les écarts de niveaux entre groupes sociaux.
La volonté politique de réforme en Communauté française s’appuie également sur
le constat que l’orientation vers les filières technique et professionnelle en 3e secondaire
n’est pas majoritairement le fruit d’un choix positif posé par des élèves âgés de 14 ans
(âge correspondant à un parcours scolaire « sans faute »), mais résulte le plus souvent
d’un processus de relégation, basé sur l’échec et le redoublement, qui concerne des élèves
âgés de 15 ou 16 ans. Ce processus est fortement influencé par l’origine sociale des jeunes.
Autrement dit, la faiblesse dans les acquis de base en fin de parcours commun rejaillit
directement sur l’orientation scolaire ultérieure des élèves.
Les solutions préconisées par les acteurs de l’enseignement sont multiples : revalorisation
des filières technique et professionnelle, lutte contre l’échec et ses retombées négatives
sur l’orientation, remise en question du principe même du partage précoce en filières.
Afin de contrer la hiérarchie scolaire et sociale qui existe de facto, en fin de parcours
commun, entre les niveaux d’acquis atteints et entre les orientations vers les différentes

1
Précisons que la Communauté française a décidé, en mai 2011, d’adopter la dénomination de
« Fédération Wallonie-Bruxelles » dans sa communication interne et externe. Ce nouveau nom
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n’ayant cependant pas la portée juridique que lui donnerait une révision de la Constitution allant
dans le même sens, nous maintiendrons, dans ce Courrier hebdomadaire, l’appellation constitutionnelle
2
de Communauté française.
Tel est également le cas en Communauté flamande (cf. notamment P. FANNES, B. VRANCKX, F. SIMON,
M. DEPAEPE, « L’enseignement en Communauté flamande », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2186-2187,
3
2013, p. 12-13 et 56-59).
Les enquêtes PISA sont réalisées tous les trois ans depuis 2000 et comparent les niveaux des acquis
d’un échantillon de jeunes âgés de 15 ans issus des différents pays de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) dans trois domaines de compétences : la compréhension de
l’écrit, les mathématiques et les sciences.
4
Fin 2010, la ministre de l’Enseignement obligatoire de la Communauté française, Marie-Dominique
Simonet (CDH), a ainsi évoqué la politique développée « depuis l’électrochoc de PISA 2000 »
(Cf. Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 7, 15 décembre 2010, p. 20).

CH 2210
6 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

filières qui en dépendent, nombreux sont ceux qui préconisent de réformer ce tronc
er
commun, certains en le maintenant dans ses limites actuelles du 1 degré, d’autres en le
e e
prolongeant jusqu’à la 3 , voire à la 4 année secondaire.
Le présent Courrier hebdomadaire a pour objectif de dresser un état des lieux des positions
des principaux acteurs intervenant dans le champ scolaire en Communauté française,
relativement à la question d’une éventuelle réforme du tronc commun.
Deux groupes d’acteurs ont pu être identifiés. D’une part, ceux qui appellent à des
aménagements s’inscrivant dans le cadre des structures actuelles. D’autre part, ceux qui
sont partisans d’une refonte en profondeur. Dans chacun de ces deux groupes, nous
distinguerons les acteurs de première, de deuxième et de troisième ligne, selon leur
proximité avec les centres de décision politique en matière d’enseignement.
En l’occurrence, nous entendrons par acteurs de première ligne ceux qui décident et
agissent directement sur les politiques de l’enseignement : le Ministère de l’Enseignement,
les partis politiques et les fédérations de pouvoirs organisateurs. Par acteurs de deuxième
ligne, nous désignerons ceux qui exercent une influence sur les décideurs, en jouant
le rôle de groupes de pression, en étant consultés par les décideurs ou en étant invités
à participer aux négociations : les syndicats d’enseignants et les fédérations d’associations
de parents. Par acteurs de troisième ligne, enfin, nous entendrons ceux qui forment
une constellation à géométrie variable, jouant le rôle de laboratoire d’idées, alimentant
un mouvement d’opinion dans la société civile (notamment via la presse) et exerçant
une influence plus lointaine sur les décideurs : les organisations appartenant au monde
associatif (dont certaines se sont regroupées afin de défendre des prises de position
communes), les chercheurs universitaires, les groupes de réflexion à visée prospective
et les organisations patronales.
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CH 2210
1. LES STRUCTURES DE L’ENSEIGNEMENT :
FILIÈRES ET TRONC COMMUN

À l’approche des élections du 25 mai 2014, la question d’une réforme du tronc commun
au début du secondaire revient à l’avant de la scène politique et de la scène médiatique.
Avant d’analyser les positions des différents acteurs à ce sujet, il convient de présenter
les structures actuelles de l’enseignement secondaire, d’en rappeler brièvement les origines
et les évolutions récentes, autour des enjeux du tronc commun.
Si le premier chapitre fait ainsi un rapide retour sur le passé, les deux suivants regarderont
vers le futur et se pencheront sur des prises de position programmatiques.

1.1. ORIGINE DES STRUCTURES ACTUELLES DE L’ENSEIGNEMENT


SECONDAIRE

Actuellement, l’enseignement secondaire comprend quatre filières : la filière de transition


générale, la filière de transition technique, la filière de qualification technique et
la filière de qualification professionnelle 5. Cette structure est héritée de la réforme
de l’enseignement secondaire rénové (dit Rénové), datant du début des années 1970.
L’une des principales intentions du Rénové était de diminuer la distance séparant la filière
générale et la filière technique qui, avec la filière professionnelle, constituaient jusqu’alors
les trois voies parallèles de la structure de l’enseignement secondaire instaurée dans
les années 1950 6. Dans cette perspective de rapprochement, la filière de transition
technique, qui est une création de toutes pièces du Rénové en tant que quatrième filière,
reçut comme caractéristique de partager les programmes de ses cours généraux avec ceux
de la filière générale. Plus fondamentalement, le Rénové voulut donner une égale valeur,
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du moins formellement, aux filières générale et technique, en attribuant à leur issue
un seul et même certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS). Ce diplôme,
toujours d’actualité, donne légalement accès à l’enseignement supérieur (de type court
comme de type long), et ce dans n’importe quel secteur ou orientation. L’intention de

5
Plus exactement, il faudrait parler de filière de transition technique et artistique et de filière de qualification
technique et artistique.
6
Cf. D. GROOTAERS, « Cent cinquante ans d’instruction publique, à la poursuite de l’intégration sociale
et de la promotion individuelle », in D. GROOTAERS (dir.), Histoire de l’enseignement en Belgique, Bruxelles,
CRISP, 1998, p. 95-98.

CH 2210
8 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

mettre à égalité les filières générale et technique passait en outre par une valorisation
symbolique des savoirs technologiques, non seulement par le biais d’une formation
théorique reconnue comme fondement d’un humanisme technique (surtout pour les
élèves poursuivant leur scolarité jusqu’au terme de la filière technique), mais aussi à
er
travers des activités d’essai introduites dans le programme du 1 degré et pratiquées
obligatoirement par tous les élèves de 1re secondaire. Ces activités comprenaient de
la technologie au même titre que de l’initiation au latin.
Depuis l’instauration de l’enseignement rénové, les deux premières années de
l’enseignement secondaire constituent le degré d’observation et sont en principe
communes à l’ensemble des élèves. Le choix de l’orientation vers l’une ou l’autre filière
e e
ne se pose que lorsque l’élève entre en 3 année, au seuil du 2 degré, dit degré d’orientation
e e 7 er
(3 et 4 secondaire) . Au moment de l’instauration du Rénové, le 1 degré commun
ne relevait ni de l’enseignement général, ni de l’enseignement technique et professionnel.
Les statistiques ministérielles classaient les effectifs de ce degré en dehors de ceux de
ces deux grandes catégories d’enseignement qui, à cette époque, dépendaient chacune
d’une administration différente. Depuis 1988 cependant, les effectifs du 1er degré ont
8
été intégrés à ceux de l’enseignement général . La suite de l’historique nous éclairera
sur ce changement.
Nous avons dit que le 1er degré d’observation créé par le Rénové est en principe conçu
comme un degré commun. En effet, certains élèves – à savoir ceux qui n’ont pas réussi
e
leur 6 primaire dans les délais prescrits – ne fréquentent pas les deux années communes
du degré d’observation (dites 1re A et 2e A). Le Rénové a prévu pour eux la classe d’accueil
(dite 1re B), conçue en principe comme une classe de rattrapage permettant de rejoindre
la 1re A ou la 2e A, mais conduisant en réalité la majorité de ses élèves en 2e professionnelle
(2e P). Ce faisant, la réforme de l971 maintient la filière professionnelle en dehors des
nouvelles structures qu’elle a créées. Plusieurs mesures ministérielles récentes viseront
ensuite à supprimer cette voie parallèle et à intégrer les élèves de 1re B – 2e P au 1er degré
d’observation (cf. infra).
Même si l’expression de « degré d’observation » ou de « 1er degré commun » a toujours
cours aujourd’hui, plus de 40 ans se sont écoulés depuis l’instauration du Rénové. Il nous
faut pointer quelques-unes des évolutions de ce 1er degré, concernant, d’une part, son
statut d’enseignement général et, d’autre part, le mode de traitement des élèves faibles
qui y est appliqué.
Concernant son statut d’enseignement général, nous allons brièvement rappeler quelques-
unes des mesures politiques qui apportent des inflexions au 1er degré de l’origine et qui
sont intervenues autour du décret « missions » du 24 juillet 1997. Ainsi nous pourrons
éclairer le transfert statistique des élèves du 1er degré dans la catégorie de l’enseignement
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7
8
Cf. Ibidem, p. 98-101.
re e re e
Pour l’année 1988-1989, les élèves de 1 et 2 observation sont comptés comme « 1 et 2 générale »,
re e re
les élèves des classes d’accueil sont comptés comme « 1 et 2 professionnelle » et les rubriques « 1 et
e re e
2 technique de transition » et « 1 et 2 technique de qualification » sont vides (cf. Communauté
française de Belgique, Ministère de l’Éducation, de la Recherche et de la Formation, Service des statistiques,
Compléments aux annuaires statistiques de 1988-89 et 1989-90. Ventilation des effectifs par année de
naissance et par section, Bruxelles, 1995, p. 174, 180 et 190). À partir de 1990, on retrouvera les élèves
re e
de 1 et 2 observation dans la rubrique « enseignement de transition » et les élèves des classes d’accueil
dans la rubrique « enseignement de qualification ».

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 9

général, un transfert qui semble loin d’être anodin. Concernant le traitement des élèves
en difficulté scolaire, nous aborderons les mesures plus récentes, adoptées durant les deux
dernières législatures (2004-2009 et 2009-2014).
er
Ainsi nous pourrons envisager l’état actuel du 1 degré et présenter le diagnostic des
acteurs concernant cet état. C’est là le point d’appui des diverses propositions qui seront
analysées dans les deux autres chapitres.

1.2. PREMIÈRES INFLEXIONS APPORTÉES AU DEGRÉ COMMUN


DANS LES ANNÉES 1990

La réforme du Rénové s’inspire du principe de l’égalité d’accès ouvert à tous, sans


distinction sociale, à l’entrée du secondaire : aucun obstacle d’origine économique ou
sociale ne doit empêcher un élève de monter dans l’ascenseur que représente le parcours
de l’école secondaire. Ce principe va de pair avec l’idéal méritocratique : chacun a le même
droit de participer au jeu scolaire mais sa progression (réussite ou échec) dans le parcours
dépend de ses propres stratégies et façons de s’impliquer dans le jeu 9. Le 1er degré
d’observation concrétise cette égalité d’accès. Dans les deux degrés suivants, une palette
élargie d’options offertes est instaurée par le Rénové pour encourager chacun à trouver
sa voie et à la poursuivre le plus loin possible, idéalement jusqu’au certificat d’enseignement
secondaire supérieur (CESS), obtenu à la clé de tous les itinéraires (sauf ceux relevant
de la filière professionnelle).
Dès 1993 et 1994, alors qu’Elio Di Rupo (PS) puis Philippe Mahoux (PS) sont ministre
de l’Éducation de la Communauté française, une nouvelle priorité apparaît : l’exigence
d’une égalité des acquis. Ce nouvel objectif se démarque du principe de l’égalité d’accès,
relative à l’entrée du cursus d’enseignement secondaire. Il définit pour sa part une
obligation de résultats fixée à un terme donné du parcours scolaire. Le principe de l’égalité
des acquis concerne, non pas une entrée, mais une sortie (ou une étape) du cursus.
Selon les politiques menées depuis lors, l’égalité des acquis de base correspond aux
compétences minimales, appelées « socles de compétences », qui doivent être maîtrisées
er
par tous en fin de 1 degré du secondaire. Une première version du référentiel des socles
de compétences est publiée en 1994 10.
Dans le sillage du décret du 24 juillet 1997, dit décret « missions » 11, sous le ministère de
Laurette Onkelinx (PS), des référentiels valables pour tous les réseaux sont élaborés pour
définir les socles de compétences, c’est-à-dire les compétences minimales à maîtriser
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e
par tous les élèves aux différentes étapes du cursus commun : à la fin de la 2 primaire,
e e
à la fin de la 6 primaire et à la fin de la 2 secondaire. Ces compétences correspondent

9
D. GROOTAERS, « Les mutations de l’égalité des chances à l’école », Courrier hebdomadaire, CRISP,
10
n° 1893, 2005.
J. BECKERS, Comprendre l’enseignement secondaire. Évolution, organisation, analyse, Bruxelles, De Boeck,
1998, p. 193.
11
Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et
de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, Moniteur belge,
23 septembre 1997.

CH 2210
10 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

à des savoir-faire intellectuels de base dans huit domaines : français, formation


mathématique, initiation scientifique, langues modernes, éducation physique, éducation
par la technologie, éducation artistique, formation historique et géographique comprenant
12
la formation à la vie sociale et économique. Coulés en décret en 1999 , les socles
de compétences constituent le contrat de base entre l’école et la société. Ces socles de
compétences sont ensuite traduits en programmes par chaque réseau.
Ce changement de perspective fait du 1er degré, non plus une porte d’entrée largement
ouverte pour faciliter la poursuite d’études secondaires dans une école secondaire
multilatérale (c’est-à-dire offrant des voies variées et des passerelles entre ces voies)
comme le prévoyait le Rénové, mais plutôt un sas menant tous les élèves au terme
re
d’un parcours de huit années commencé en 1 primaire. À cette borne de passage,
se joue la réussite dans la maîtrise des acquis de base qui est à la fois l’objectif à atteindre
en fin de 1er degré et la condition sine qua non pour accéder de plain-pied (sans restriction
e
de choix) au 2 degré, véritable porte d’entrée du secondaire.
Depuis le décret « missions », le parcours commun – qui comprend l’école maternelle,
les six années primaires et le 1er degré secondaire – est qualifié de « continuum
er
pédagogique » et d’« enseignement du fondement ». Le 1 degré en constitue la troisième
et dernière étape, et doit sceller les acquis de base pour tous les enfants ; il intègre
la catégorie de l’enseignement général et abandonne sa position particulière de voie
d’accès (et d’essai) du secondaire qui n’appartenait encore à aucune des filières, telle
que l’avait conçue la réforme de 1971. Dans la foulée, des circulaires ministérielles
de 1994 (sous le ministère de Philippe Mahoux, PS) et de 2001 (sous le ministère de
Pierre Hazette, PRL) limitent la possibilité de redoubler et instaurent une année
complémentaire correspondant à une différenciation des parcours : il s’agit de permettre
à tous d’atteindre l’objectif des socles communs en trois années maximum passées dans
le 1er degré, sans redoubler et sans déroger au nouveau principe d’égalité des acquis.

1.3. LES MESURES RÉCENTES, DE 2004 JUSQU’À AUJOURD’HUI

Les premières inflexions données dans les années 1990 conduisent à modifier la position
du 1er degré en tant que charnière entre le primaire et le secondaire, et à redéfinir son
objectif principal en termes d’égalité des acquis. Elles marquent ainsi une véritable rupture
par rapport à la réforme du Rénové de 1971.
Des évaluations externes sont progressivement instituées à différentes étapes du continuum
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pédagogique afin de contrôler le niveau des acquis des élèves, en référence aux compétences

12
Décret du 26 avril 1999 portant confirmation des socles de compétences et modifiant la terminologie
relative à la compétence exercée par le Parlement en application des articles 16, 25, 26, 35 et 43 du
décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de
l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, Moniteur belge, 27 août
1999. Un document reprenant tous les référentiels des compétences-socles actualisés est consultable
sur le site Internet www.enseignement.be (dans la rubrique « Référentiels de compétences. Les socles
de compétences »).

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 11

13
minimales définies pour chacune de ces étapes. Un décret de 2006 (sous le ministère
de Marie Arena, PS) instaure une épreuve externe associée à la délivrance du certificat
d’études de base (CEB), en fin de 6e primaire. Mais c’est l’épreuve de fin du 1er degré
secondaire qui marque le terme de ce continuum : elle est certificative et conduit à
er
l’obtention du certificat d’études du 1 degré (CE1D). Depuis l’année scolaire 2012-2013,
une épreuve externe commune est obligatoire au terme du 1er degré de l’enseignement
14
secondaire ; elle porte sur les mathématiques et le français. À partir de 2014, elle
concernera également les langues modernes (testées déjà dans certaines écoles en 2013)
et, à partir de 2015, viendront s’y ajouter les sciences. Les consignes de passation, les
questions et les critères de correction sont communs pour tous les élèves qui présentent
l’épreuve. L’organisation de celle-ci dans les écoles est réglée par voie de circulaire.
er
À travers ces évolutions, le 1 degré est devenu un tronc commun centré avant tout
sur des cours de formation générale, complétés par 4 heures hebdomadaires d’activités
complémentaires laissées au choix de l’élève (cours optionnels).
Deux décrets complémentaires de 2006 et 2007 (également sous le ministère de M. Arena)
se sont attachés à renforcer le caractère commun de ce degré, tout en modifiant le
traitement des élèves en difficulté qui, jusqu’alors, étaient maintenus dans une sorte
de voie parallèle composée de la classe d’accueil et de la 2e professionnelle.
D’une part, le décret du 30 juin 2006 15 réaffirme le caractère de tronc commun du
1er degré et précise, de manière plus contraignante, les règles concernant les activités
complémentaires (à option). Selon ce décret, bien que les activités complémentaires
puissent être concentrées sur des cours de latin (jusqu’à 4 heures par semaine) ou sur
des cours techniques (mais dans ce cas, à raison de 2 x 2 heures hebdomadaires maximum
dans deux types d’activités différentes), elles ne peuvent en aucun cas correspondre à
er
des options qui détermineraient l’orientation à l’issue du 1 degré.
D’autre part, le décret du 7 décembre 2007 16 règle l’organisation structurelle des parcours
différenciés pour les élèves en difficulté scolaire au sein du 1er degré, en instaurant le
« 1er degré différencié » (comprenant la 1re D et la 2e D), auxquelles s’ajoutent l’« année
complémentaire » (appelée S) et l’« année spécifique de différenciation et d’orientation »
(appelée SDO) 17. Le décret renforce également les modalités d’un accompagnement

13
Décret du 2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire
14
et au certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire, Moniteur belge, 23 août 2006.
Le décret du 28 mars 2013 modifiant diverses modalités d’épreuves externes prévues par le décret du
2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et au
certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire (Moniteur belge, 24 avril 2013) contient
un titre III intitulé « De l’organisation des épreuves externes certificatives communes au terme de
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la troisième étape du continuum pédagogique », qui règle l’épreuve commune correspondant à la fin
er
15
du 1 degré secondaire.
er
Décret du 30 juin 2006 relatif à l’organisation du 1 degré de l’enseignement secondaire (Moniteur belge,
31 août 2006), modifié par les décrets des 19 juillet 2007, 7 décembre 2007 et 12 décembre 2008 (Moniteur
16
belge, 4 septembre 2007, 26 février 2008 et 13 mars 2009).
er
Décret du 7 décembre 2007 organisant la différenciation structurelle au sein du 1 degré afin d’amener
l’ensemble des élèves à la maîtrise des socles de compétences (Moniteur belge, 26 février 2008), modifié
par les décrets des 12 décembre 2008, 23 janvier 2009 et 13 janvier 2011 (Moniteur belge, 13 mars 2009,
17
10 mars 2009 et 22 février 2011).
Une année supplémentaire appelée « année spécifique de différenciation et d’orientation » (SDO) peut
er
être ajoutée pour les élèves qui, après avoir fréquenté le 1 degré durant trois ans, n’ont pas atteint
le niveau de maîtrise minimum attendu à la fin du continuum pédagogique (les compétences-socles).
e
Cette année supplémentaire est rattachée au 2 degré. Elle doit aider l’élève à acquérir la maîtrise des

CH 2210
12 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

individualisé des élèves (en année S et en année SDO). Cet accompagnement se réalise
grâce à l’élaboration d’un « plan individuel d’apprentissage » et au suivi assuré par
un « conseil de guidance ». Le décret prévoit des itinéraires multiples à l’intérieur d’un
er er er
1 degré se dédoublant désormais en un « 1 degré commun » et en un « 1 degré
différencié ». La nouvelle structure, d’un côté, s’est délestée de sa voie séparée comprenant
la 1re accueil – 2e P et, de l’autre côté, s’est complexifiée en un véritable dédale de voies
plus ou moins communicantes. Selon le décret, l’accompagnement et la différenciation
des parcours sont individualisés en vue de poursuivre non seulement l’objectif de
la maîtrise des socles de compétences, mais aussi l’objectif de la formulation et de
er
la maturation d’un projet personnel en prévision de l’orientation à la sortie du 1 degré.
er
Celle-ci intervient obligatoirement après trois années passées dans le 1 degré, avec
ou sans réussite dans la maîtrise des socles. L’année SDO (rattachée au 2e degré) offre
la possibilité d’un sursis d’une 4e année supplémentaire précédant l’orientation et
permettant de se centrer sur le projet personnel de l’élève.
Ces mesures visent à concilier un objectif d’égalité des acquis au terme du 1er degré (que
celui-ci soit « commun », pour ceux qui n’ont pas de difficultés scolaires insurmontables,
ou qu’il soit « différencié », pour les autres) et un accompagnement individualisé instauré
au sein du 1er degré différencié. Les dispositifs d’accompagnement individualisé servent
à soutenir et à pousser les élèves faibles vers la maîtrise des acquis de base exigée de
tous ou, tout au moins, vers la formulation d’un projet personnel rendant possible
une « orientation positive », même lorsque l’impasse de l’échec ferme aux élèves les portes
de leur premier choix.
Pour compléter le tableau du système actuel, il nous faut encore évoquer deux mesures
politiques récentes visant à favoriser la réussite au 1er degré.
Au soutien individualisé apporté aux élèves s’ajoutent, dès les années 1990, des politiques
de discrimination positive et d’encadrement différencié visant cette fois à donner des
moyens supplémentaires aux écoles en fonction d’un indice socio-économique moyen
qui leur est attribué à partir des indices des quartiers d’habitation de leurs élèves 18.
Ces moyens supplémentaires doivent à leur tour contribuer à améliorer la maîtrise
des acquis de base pour des élèves fréquentant des établissements scolaires dont le
recrutement social est considéré comme un frein à la réussite. Les décrets les plus récents
sur cette question datent de 2009, 2010 et 2011 (sous les ministères de Christian Dupont,
PS, et de Marie-Dominique Simonet, CDH) 19.
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compétences visées à l’issue du tronc commun et à élaborer, en collaboration avec le centre psycho-
18
médico-social, un projet personnel lui permettant de poursuivre sa scolarité.
Citons, entre autres, le décret du 14 mars 1995 relatif à la promotion d’une école de la réussite dans
l’enseignement fondamental (Moniteur belge, 17 août 1995) et le décret du 30 juin 1998 visant à assurer
à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, notamment par la mise en œuvre de
discriminations positives (Moniteur belge, 22 août 1998). L’intitulé du second décret fait référence
à l’article 6 du décret « missions » du 24 juillet 1997. Concernant les dispositions antérieures relatives
19
à cette question, cf. J. BECKERS, Comprendre l’enseignement secondaire, op. cit., p. 201-202.
Décret du 30 avril 2009 organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de
la Communauté française afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale
dans un environnement pédagogique de qualité (Moniteur belge, 9 juillet 2009), modifié par les décrets
er
des 8 juillet 2010, 15 décembre 2010 et 10 février 2011 (Moniteur belge, 16 août 2010, 1 février 2011
et 25 février 2011).

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 13

Enfin, une dernière mesure récente concerne la création de nouvelles écoles. Profitant
de la pression démographique, M.-D. Simonet a voulu assouplir les conditions permettant
de créer des établissements d’un nouveau type, appelé degré d’observation autonome
(DOA). L’idée n’est pas neuve ; elle date des origines du Rénové mais s’était très peu
concrétisée jusqu’alors. Un décret de 2011 vise à encourager la création d’écoles
n’organisant que le 1er degré, de manière totalement indépendante des écoles qui offrent
e e
les 2 et 3 degrés et qui sont, quant à elles, spécialisées dans une ou plusieurs filières et
20 er
reconnues comme telles par les parents . Ce détachement du 1 degré et son institution
en entité autonome doit empêcher que le choix de l’école secondaire à l’issue de
la 6e primaire ne prédétermine le choix d’orientation ultérieur des élèves. Deux
interpellations au Parlement de la Communauté française, l’une en 2012 de Caroline
Persoons (députée FDF), l’autre en 2013 de Caroline Désir (députée PS), concernant
l’application de ce décret conduisent à constater que, jusqu’en février 2013 en tout cas,
aucun projet de création d’école de type DOA n’a encore été déposé par un pouvoir
organisateur 21.

1.4. UN DIAGNOSTIC LARGEMENT PARTAGÉ CONCERNANT


LES MAUX DU SYSTÈME

À l’heure actuelle, les différents acteurs, ministre inclus, s’accordent sur un diagnostic
commun des problèmes de l’enseignement secondaire en Communauté française. Nous
avons eu l’occasion de pointer la plupart de ces maux lorsque nous avons passé en revue
les diverses mesures prises depuis le décret « missions » en vue de les enrayer. Sans doute
ces mesures n’ont-elles pas encore réussi à apporter de réponse vraiment convaincante.
Car aujourd’hui encore, l’ensemble des acteurs du champ scolaire reconnaissent la
faiblesse des acquis de base et les mauvais résultats des élèves de 15 ans, en termes tant
de niveau moyen que d’écart entre les niveaux selon l’origine sociale (cf. les résultats
des enquêtes PISA). Ils continuent de déplorer le fait que l’orientation vers les filières
technique et professionnelle se fasse majoritairement par l’échec. Ils dénoncent plus
que jamais une série de conséquences néfastes de cette orientation par l’échec, elle-même
associée à une hiérarchisation des filières. Du côté des élèves concernés par la relégation,
ils observent une dévalorisation des filières de qualification, une détérioration de l’image
de soi, un désinvestissement, voire un décrochage scolaire. Les retombées négatives
touchent aussi les professeurs. Les acteurs constatent que la tâche d’enseignement
dans ces filières est rendue particulièrement difficile, ce qui décourage nombre de jeunes
enseignants affectés à ces classes et tentés de fuir définitivement le métier, déjà menacé
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de pénurie. Enfin, du côté des écoles elles-mêmes, ils relèvent que ces divers
dysfonctionnements aboutissent à dualiser encore plus les établissements scolaires en
fonction des publics qu’ils accueillent. La ségrégation s’accentue selon un cercle vicieux,

20
Décret du 19 juillet 2011 modifiant diverses dispositions relatives à l’enseignement secondaire, Moniteur
belge, 22 août 2011.
21
Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 9, 29 juin 2012, p. 70 ;
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 65-Educ 11, 5 février 2013, p. 16 et 19.

CH 2210
14 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

dans lequel le départ de certains parents entraîne une détérioration du climat et/ou du
niveau de l’école, provoquant à son tour la fuite d’autres parents. Inversement, le fait que
les places sont rares dans certaines écoles augmente la réputation de ces écoles, ce qui
accentue à son tour la pression de la demande d’inscription des parents.
À ce diagnostic partagé, répondent une variété de propositions et de projets de la part
des divers acteurs intervenant dans le champ scolaire en Communauté française. Certains
font de nouvelles propositions sur l’enjeu des inscriptions à l’entrée du secondaire, selon
des formules multiples et subtiles qui tentent de concilier l’objectif de favoriser plus de
mixité sociale à celui du respect des principes de la liberté de choix de l’école par les
parents et de la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs. Gageons que la question
de la régulation des inscriptions n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre (et de volonté
22
politique) en Communauté française . Pour notre part, nous nous intéressons à l’étape
qui suit immédiatement cette inscription : l’enjeu des premières années du secondaire.
Le terme de « tronc commun » utilisé dans les débats parlementaires de la dernière
législature (2009-2014) laisse la porte ouverte à de multiples interprétations. Comme
tel, ce terme ne figure pas dans le décret « missions » du 24 juillet 1997 qui institue,
nous l’avons vu, le continuum pédagogique en tant que parcours commun débutant
à l’école maternelle et devant aboutir à la maîtrise des socles de compétences à la fin
du 1er degré secondaire. Pour sa part, la déclaration de politique communautaire de
l’exécutif actuel, le gouvernement Demotte II (PS/Écolo/CDH), dit vouloir « consolider
le tronc commun ». Mais que faut-il entendre par là ? La déclaration assimile le « tronc
commun » au continuum pédagogique prévu par le décret « missions » et définit sa
« consolidation » en lui donnant une perspective qui nous apparaît particulièrement
ambiguë : « assurer à tous les élèves, y compris les élèves à besoins spécifiques, la maîtrise
des savoirs de base et permettre une orientation positive ; consolider tout particulièrement
les volets scientifique, artistique et technologique afin de contribuer, dès l’amont, à
une valorisation des filières qualifiantes » 23. Une première contradiction (ou tout au
moins une tension) apparaît entre, d’une part, le souci de mener « tous les élèves » sans
distinction aux acquis de base et, d’autre part, l’attention particulière à consacrer à
certains élèves « à besoins spécifiques » (on peut entendre : en difficulté, voire en échec
scolaire) et à l’« orientation positive » qui semble importante plus particulièrement pour
ces derniers. Une autre contradiction ou tension qui se combine à la première sous-tend,
d’une part, l’objectif de consolider les volets scientifique, artistique et technologique
de la formation donnée au 1er degré et, d’autre part, l’association explicite de ceux-ci
à la valorisation des filières qualifiantes. Cette double ambiguïté dans les finalités de
la consolidation du tronc commun rejaillit sur les débats parlementaires en séance
plénière et sur ceux de la Commission de l’Éducation qui, depuis 2009, se sont penchés
à maintes reprises sur la portée et les retombées de la réforme du 1er degré commun et
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différencié, découlant des décrets de 2006 et 2007 dont nous avons parlé ci-dessus. © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)

22
Concernant les tenants et aboutissants des dispositions relatives à l’enjeu de la régulation des inscriptions
depuis le décret « missions » du 24 juillet 1997, cf. N. RYELANDT, « Les décrets “inscriptions” et “mixité
23
sociale” de la Communauté française », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2188-2189, 2013.
Parlement de la Communauté française, Déclaration de politique communautaire 2009-2014, 16 juillet 2009,
p. 25.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 15

er
Bien qu’inscrivant explicitement sa politique concernant le 1 degré dans la ligne des
24
recommandations de l’OCDE, qui préconisent un cursus commun jusqu’à 15 ou 16 ans ,
la ministre M.-D. Simonet a déclaré ne pas être favorable à un allongement du
tronc commun au 2e degré secondaire 25. Se référant à la déclaration de politique
communautaire, qui ne prévoit pas pareil allongement mais bien une « consolidation »,
comment la politique de la dernière législature concernant le 1er degré a-t-elle traduit
cette consolidation ? Afin d’illustrer le flou qui entoure la notion dans la déclaration
de politique communautaire, nous avons repéré comment, en réponse à diverses
interpellations au Parlement de la Communauté française et en Commission de
l’Éducation, la ministre M.-D. Simonet a défendu la consolidation du tronc commun
au 1er degré, en envisageant celle-ci de cinq manières différentes selon les circonstances.
La consolidation du tronc commun au début du secondaire concerne d’abord le caractère
de curriculum commun du 1er degré associé à l’acquisition des socles de compétences,
à leur évaluation externe ainsi qu’à la mise en place de mesures de remédiation pour
les élèves en difficulté 26. Elle passe ensuite par l’organisation d’un 1er degré différencié
offrant un parcours adapté aux élèves fragilisés (en particulier à ceux qui n’ont pas
le certificat d’études de base, correspondant à la fin de l’école primaire), en vue de
favoriser pour eux une approche plus individualisée de l’apprentissage, les conduisant
vers une acquisition au moins partielle des socles, et en vue également de les accompagner
dans l’élaboration d’un projet personnel, ouvrant sur une orientation positive, le plus
souvent vers une filière de qualification 27. La consolidation signifie encore approfondir
le tronc commun en diversifiant les contenus enseignés et en y ajoutant des activités
techniques, artistiques, sportives, créatives qui offrent d’autres approches que la démarche
logico-verbale largement dominante au 1er degré et associée à l’enseignement général 28.

24
Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 7, 15 décembre 2010, p. 22 ;
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
25
CRIC 32-Educ 5, 27 novembre 2012, p. 10.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 3-Educ 2, 28 septembre 2010, p. 6 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
26
française, Compte rendu intégral, CRIC 13-Educ 3, 18 octobre 2011, p. 9.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 60-Educ 12, 9 février 2010, p. 4 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 61-Educ 12, 31 janvier 2012, p. 23 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 135-Educ 26, 10 juillet 2012,
p. 4-5 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
27
CRIC 24-Educ 4, 13 novembre 2012, p. 16.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 59-Educ 11, 25 janvier 2011, p. 7 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 106-Educ 20, 10 mai 2011, p. 24-25 ; Commission de l’Éducation
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du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 13-Educ 3, 18 octobre 2011,
p. 10-11 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 50-Educ 9, 17 janvier 2012, p. 10 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 61-Educ 12, 31 janvier 2012, p. 23 ; Commission de l’Éducation
28
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 119-Educ 19, 18 juin 2013, p. 24.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 60-Educ 12, 9 février 2010, p. 41-42 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 3-Educ 2, 28 septembre 2010, p. 6 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 50-Educ 9, 11 janvier 2011,
p. 15 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 59-Educ 11, 25 janvier 2011, p. 7 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 106-Educ 20, 10 mai 2011, p. 25 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 119-Educ 19, 18 juin 2013, p. 24.

CH 2210
16 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Cet élargissement concerne plus particulièrement les élèves en difficulté et permet à


er
son tour une valorisation de leur choix d’une filière de qualification à l’issue du 1 degré.
Une quatrième conception avancée par la ministre consiste à accroître le volume de
la formation générale commune au sein des filières de qualification, ce qui est présenté
29
comme une sorte d’allongement indirect du tronc commun . Une cinquième conception
de la consolidation est associée au fait de donner une année supplémentaire aux élèves
en difficulté, fréquentant le 1er degré durant trois ans au lieu de deux, ce qui représenterait
30
pour eux également un allongement du curriculum commun .
La multiplicité des finalités et des mesures associées au renforcement du tronc commun
témoigne de la double intention ministérielle : il s’agit, d’une part, de renforcer les normes
et les standards communs concernant les apprentissages de base (première conception)
et, d’autre part, de prendre en compte les élèves à besoins spécifiques et de favoriser leur
orientation positive (les quatre autres conceptions). L’approche systémique défendue
31
par M.-D. Simonet apparaît à certains parlementaires comme difficilement lisible et
trop complexe pour être bien comprise et appliquée.
Face aux obstacles qui contrarient la mise en œuvre du 1er degré commun 32, la ministre
veut laisser le temps à la mise en place de la réforme structurelle datant de 2006 et 2007,
ne pas introduire de nouveaux changements « d’en haut » et privilégier le soutien à des
actions innovantes locales (projets-pilotes et diffusion de « bonnes pratiques ») 33.
Durant les derniers mois de cette législature, les difficultés de mise en œuvre des décrets
concernant le 1er degré ont été soulignées à plusieurs reprises 34. En particulier, plusieurs
parlementaires et la ministre elle-même (Marie-Dominique Simonet, puis Marie-Martine
Schyns (CDH) à partir du 17 juillet 2013) mettent en cause le hiatus qui subsiste entre

29
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
CRIC 112-Educ 21, 29 mai 2012, p. 7 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté
française, Compte rendu intégral, CRIC 114-Educ 22, 29 mai 2012, p. 5 ; Commission de l’Éducation
du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 135-Educ 26, 10 juillet 2012, p. 6.
30
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
31
CRIC 32-Educ 5, 27 novembre 2012, p. 11.
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
32
CRIC 19-Educ 3, 23 octobre 2012, p.4.
er
La ministre souligne elle-même le demi-échec de la mise en place des nouvelles structures du 1 degré
commun et différencié (découlant des décrets de ses prédécesseurs et des mesures qu’elle a prises
pour leur mise en application) : « Curieusement, les pouvoirs publics de la Fédération Wallonie-Bruxelles
tentant de mettre en œuvre ces mesures structurelles découlant des études PISA sont confrontés à des
résistances importantes de la part de parents, d’acteurs, de responsables d’école, voire de la classe politique.
(…) Tous les pays occidentaux sont confrontés à un épuisement des pistes pour piloter un système éducatif
par des macrostructures. (…) Rien ne sert de modifier les décrets du passé quand ils sont bons. Il importe
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surtout de les mettre en œuvre » (Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française,
Compte rendu intégral, CRIC 59-Educ 10, 22 janvier 2013, p. 6-7). Cf. également Commission de
l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 13-Educ 3,
18 octobre 2011, p. 10.
33
Ibidem, p. 11-12 ; Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte
rendu intégral, CRIC 61-Educ 12, 31 janvier 2012, p. 24 ; Commission de l’Éducation du Parlement
de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 85-Educ 14, 26 mars 2013, p. 32 ;
Commission de l’Éducation du Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral,
34
CRIC 119-Educ 19, 18 juin 2013, p. 24.
Ainsi, Barbara Trachte (Écolo) a déclaré : « À l’évidence, des analyses et des observations de plus en
er
plus nombreuses convergent pour souligner les difficultés que pose le fonctionnement actuel du 1 degré
de l’enseignement secondaire, tant aux élèves qu’aux enseignants. Nous en avons déjà débattu ici
à plusieurs reprises » (Ibidem, p. 23).

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 17

e er
la 6 primaire et le 1 degré secondaire et qui se reflète dans les grands écarts entre
les résultats obtenus aux deux épreuves externes successives, rendues obligatoires aux
deux étapes (fin de 6e primaire, fin de 1er degré secondaire) d’un parcours pourtant censé
35
constituer un « continuum » .
Ce bref survol rétrospectif a permis d’éclairer le fait que les solutions politiques apportées
au fil du temps à l’organisation des premières années secondaires apparaissent encore,
à bien des égards, largement insuffisantes aux yeux de la plupart des acteurs. Que
la question de la réforme du tronc commun se pose une fois de plus, en fin de législature,
est donc loin d’être surprenant. Quels sont alors les projets en présence au début de
l’année 2014 ?
Dans les deux chapitres suivants, nous envisagerons les positions des acteurs partisans
er
d’un aménagement du tronc commun actuel (limité au 1 degré), puis celles des acteurs
qui préconisent une refonte en profondeur des structures et des programmes à cette
étape du cursus (incluant les années suivantes du secondaire). Dans la conclusion, nous
proposerons une modélisation (et donc une simplification) des positions de chacun
des deux groupes d’acteurs, aboutissant à une conclusion formulée sous forme
d’hypothèse : selon notre analyse, derrière certaines similitudes de vocabulaire se cachent
deux projets nettement contrastés et deux conceptions divergentes du traitement de
la réussite des élèves et de la question de leur orientation. Ce faisant, nous espérons
contribuer à clarifier les enjeux concernant les premières années du secondaire.
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35
Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 12, 30 septembre 2013,
p. 60-61 ; Parlement de la Communauté française, Bulletin des questions et réponses, n° 2, 29 novembre
2013, p. 89-90.

CH 2210
2. L’OPTION D’UN AMÉNAGEMENT
DU SYSTÈME ACTUEL

Le premier groupe d’acteurs est constitué de ceux qui proposent d’apporter, dans le cadre
des structures actuelles, des aménagements au tronc commun du début de l’enseignement
secondaire.
Plusieurs d’entre eux sont proches du réseau libre catholique, ou du moins du sommet
de celui-ci (réseau qui, rappelons-le, représente plus de 60 % de la population scolaire
dans l’enseignement secondaire). Certains acteurs se situent toutefois en dehors du clivage
entre réseaux.

2.1. ACTEURS DE PREMIÈRE LIGNE

Les acteurs de première ligne qui préconisent de maintenir les structures actuelles tout
en leur apportant des amendements sont les ministres en charge de l’Enseignement
obligatoire, ainsi que, parmi les partis politiques, le CDH, Écolo, le MR et les FDF,
et, parmi les fédérations de pouvoirs organisateurs, le SEGEC et l’un de ses membres,
la FESEC.

2.1.1. Ministres en charge de l’Enseignement obligatoire

Au cours des deux dernières législatures, la Communauté française a connu quatre


ministres en charge de l’Enseignement obligatoire : Marie Arena (PS) du 26 juillet 2004
au 20 mars 2008, Christian Dupont (PS) du 20 mars 2008 au 16 juillet 2009, Marie-
Dominique Simonet (CDH) du 16 juillet 2009 au 16 juillet 2013 et Marie-Martine Schyns
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(CDH) depuis le 17 juillet 2013. Ainsi que nous l’avons vu au chapitre précédent, l’action
de ces quatre ministres se situe dans une sensible continuité : d’une part, renforcer
le caractère de tronc commun du 1er degré par une standardisation des contenus (tout en
tolérant le choix précoce du latin) et, d’autre part, diversifier et individualiser les parcours
pour les élèves en difficulté scolaire (tout en restreignant leurs choix d’orientation
ultérieurs).
Il appert des déclarations ministérielles que ces diverses mesures sont encore insuffisantes
pour atteindre les deux objectifs prioritaires assignés au 1er degré commun : la réussite

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 19

de l’« enseignement du fondement », c’est-à-dire la maîtrise des savoirs de base et


e
l’« orientation positive » de l’élève âgé de 14 ans vers l’une ou l’autre filière des 2 et
e
3 degrés. La réussite de ces deux objectifs se justifie aussi par le fait qu’ils sont nécessaires
à la poursuite d’un troisième objectif, qui tient particulièrement à cœur au cabinet
ministériel actuel : la revalorisation de l’enseignement technique et professionnel. Dans
cette optique, M.-D. Simonet a promulgué le 12 juillet 2012 un décret important touchant
36
l’enseignement technique et professionnel de qualification . Ce décret vise à y organiser
la formation professionnelle sous la forme d’un enseignement modulaire qui conduit
à une certification par « unité d’acquis » (CPU) tout au long du parcours scolaire. Une
unité d’acquis correspond aux compétences professionnelles associées à un module.
L’évaluation et la certification de l’unité prennent place au terme du module en question,
autrement dit à la fin de la séquence d’enseignement consacrée à l’acquisition des
compétences définies pour l’unité. La CPU entraîne une totale réorganisation de
l’enseignement, de l’évaluation et du parcours des élèves dans les filières de qualification.
De manière complémentaire, le cabinet a annoncé dès mars 2013 de nouvelles dispositions
pour aménager le 1er degré afin d’y donner plus de place et plus de légitimité à la dimension
technique, voire préprofessionnelle, de la formation 37. Il s’agit d’augmenter le volume
des « cours technico-manuels afin d’éviter une orientation basée uniquement sur le
logico-verbal, ce qui revient in fine à une relégation ». Selon les propos de la ministre
M.-M. Schyns, cette offre de cours nouveaux serait soumise au choix des écoles tout
comme à celui des élèves. Les « cours technico-manuels » ne feraient donc pas partie
du programme commun. Cette proposition doit offrir une alternative et rencontrer
« l’importance d’un choix d’orientation professionnelle mieux affirmée et le besoin
d’une véritable maturation du jeune par rapport à l’offre des filières techniques et
professionnelles » 38.
Les informations que nous avons reçues en novembre 2013 du cabinet de la ministre
de l’Enseignement obligatoire nous ont confirmé que de nouvelles dispositions sont
en préparation, en cette fin de législature. Ces mesures s’orienteraient, non vers un
allongement du tronc commun, mais vers l’apport de modifications à la structure et
au programme allant dans le sens d’une différenciation de l’offre pédagogique au 1er degré.
Le but principal serait de valoriser les activités à orientation technique et manuelle au
er
sein du 1 degré commun (sans cependant les rendre obligatoires pour tous les élèves)
et, par ce biais, de favoriser une orientation positive vers les filières de qualification pour
les élèves concernés. Le projet semble cependant menacé de ne pas pouvoir se concrétiser,
au vu des échéances électorales toutes proches. Finalement, à la toute dernière séance du
Parlement tenue avant les élections de 2014, un nouveau décret concernant le 1er degré
a bien été voté.
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36
Décret du 12 juillet 2012 organisant la certification par unités d’acquis d’apprentissage (CPU) dans © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)
l’enseignement secondaire qualifiant et modifiant diverses dispositions relatives à l’enseignement
37
secondaire, Moniteur belge, 20 août 2012.
er
« [M.-D. Simonet] signale qu’un texte sur l’ajustement du 1 degré et du tronc commun sera déposé pour
apporter des éléments permettant de le rendre plus commun et peut-être moins général » (Parlement
de la Communauté française, Projet de décret modifiant diverses modalités d’épreuves externes prévues
par le décret du 2 juin 2006 relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et
au certificat d’études de base au terme de l’enseignement primaire. Rapport de commission présenté au nom
38
de la Commission de l’Éducation par L. Gahouchi, DOC 460 n° 2, 12 mars 2013, p. 9).
« Marie-Martine Schyns évoque davantage de cours techniques et manuels jusqu’à 14 ans », Dépêche Belga,
25 septembre 2013.

CH 2210
20 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

er
Le décret relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire
39
voté le 10 avril 2014 confirme les pistes annoncées . Il définit ainsi sept domaines
d’activités complémentaires (à raison de 4 périodes par semaine, à choisir par l’élève) :
« le français, la langue moderne, les sciences et les mathématiques, les sciences humaines,
les activités artistiques, les activités techniques, les activités physiques ». Les écoles sont
incitées à favoriser « le maintien d’une réelle diversité » mais elles sont libres de définir
quelles catégories d’activités elles organiseront. Sur le plan structurel, la possibilité
d’ajouter une année complémentaire entre la 1re et la 2e secondaire est supprimée au profit
de stratégies de remédiation et d’accompagnement individualisées. Le décret privilégie
une approche personnalisée et un accompagnement psycho-social des parcours scolaires
à travers l’« approche orientante » prévue pour tous les élèves et le « plan individualisé
des apprentissages » (PIA) concernant les élèves en difficulté 40. Il y ajoute la piste du
« plan d’actions collectives » (PAC) « définissant les actions éducatives et pédagogiques,
ainsi que les dynamiques portant sur la motivation, l’orientation, la remédiation, le bien-
être », à mettre en œuvre collégialement au niveau de la classe ou de l’établissement 41.

2.1.2. Partis politiques

Parmi les acteurs qui préconisent des aménagements à la conception et à l’organisation


du 1er degré commun, figurent deux partis politiques membres de l’actuel gouvernement
de la Communauté française, le CDH et Écolo, et deux membres de l’opposition, le MR
et les FDF.

Le CDH

En février 2011, le Centre démocrate humaniste (CDH) a adopté une note intitulée
Un plan pour doper l’emploi des jeunes : une nouvelle trajectoire coordonnée de la première
primaire au premier emploi 42. Le CDH y défend un continuum d’éducation et
d’accompagnement des jeunes de la première année de l’enseignement maternel jusqu’à
la première insertion dans le marché du travail. Dans cette perspective, une de ses
propositions consiste à « renforcer un tronc commun d’apprentissage jusqu’à 14 ans ».
Selon le CDH, ce tronc commun approfondi devrait concilier deux préoccupations.
D’une part, faire progresser tous les enfants vers un seuil minimal de compétences.
D’autre part, « mettre en place un parcours d’apprentissage accompagné et différencié »
pour chaque élève en difficulté scolaire, combinant un soutien pédagogique, la
construction d’un projet personnel et un processus d’orientation positive selon
la « dynamique motivationnelle » de l’élève.
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39
Parlement de la Communauté française, Projet de décret modifiant notamment le décret du 30 juin 2006
er
relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire, DOC 640 n° 1, 25 mars 2014.
Cf. aussi Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 18, 10 avril 2014, p. 50-54.
40
Parlement de la Communauté française, Projet de décret modifiant notamment le décret du 30 juin 2006
er
relatif à l’organisation pédagogique du 1 degré de l’enseignement secondaire, DOC 640 n° 1, 25 mars 2014,
p. 6-8.
41
42
Ibidem, p. 2.
Un plan pour doper l’emploi des jeunes : une nouvelle trajectoire coordonnée de la première primaire au
er
premier emploi, 1 février 2011, www.lecdh.be.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 21

La note du CDH pointe une sorte de tension entre ces deux préoccupations,
er
puisqu’elle affirme vouloir simultanément « rendre le 1 degré davantage commun,
par le renforcement de la formation commune, et davantage ouvert aux différentes formes
d’intelligences et d’expressions ». Le CDH est favorable aux trajectoires, activités et
dispositifs différenciés pour les élèves faibles. Le parti montre une sensibilité particulière
à la question de la lutte contre le mal-être et le décrochage. Cette question est envisagée
comme une facette des difficultés scolaires, vécues notamment au 1er degré et impliquant
un accompagnement individualisé de type psycho-social. Le CDH met l’accent sur
les dimensions affective et relationnelle dans la prise en compte de la personne de l’élève.
La note préconise de développer un partenariat avec des acteurs locaux tels les centres
psycho-médico-sociaux (PMS), les services de médiation, les conseillers d’aide à la
jeunesse, etc., et d’instaurer une approche systémique associant les différents secteurs
institutionnels de l’enseignement, de la santé et de la justice.
Par ailleurs, dans sa note, le CDH se dit favorable à la création d’établissements du type
« 1er degré d’observation autonome » (DOA), c’est-à-dire d’écoles qui se consacrent
spécifiquement et exclusivement aux deux premières années du secondaire en tronc
commun. Le CDH souligne aussi la nécessité d’un appui financier supplémentaire
à apporter aux écoles accueillant des publics en difficulté sociale et scolaire.
Dans le document Nos 400 propositions constituant le programme du CDH pour
les élections du 25 mai 2014, la 39e proposition est intitulée « Construire une trajectoire
d’apprentissage d’excellence pour chaque élève jusqu’à la fin du 1er degré du secondaire
et mettre en place un tronc commun renforçant l’apprentissage des savoirs de base » 43.
Le CDH y affirme son opposition à une prolongation du tronc commun qui consisterait
à « imposer à tous les élèves jusqu’à 15 ou 16 ans une formation identique ».
Mettant l’accent sur le concept de continuum pédagogique pour définir un « vrai » tronc
commun, le CDH propose que soit définie « une trajectoire d’apprentissage dès l’entrée
dans le système scolaire jusqu’à la fin du 1er degré du secondaire (au-delà duquel l’élève
fait le choix de son orientation) afin de s’assurer de la maîtrise des compétences
essentielles ». Préconisant une approche souple et personnalisée du continuum, le CDH
propose la prise en compte des « intelligences multiples » et des « besoins spécifiques
de chaque élève » dans la définition de cette trajectoire. Cette approche individualisante
irait de pair avec un « soutien aux difficultés et une remédiation immédiate », « la
valorisation des différents rythmes, modes et canaux d’apprentissage », un suivi « qui
permette à chaque élève de s’observer et d’être observé dans des compétences techniques,
artistiques, intellectuelles, physiques, citoyennes, psycho-sociales », et un accompagnement
aidant « chaque élève à se mettre en projet par rapport aux apprentissages et à l’école ».
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Écolo

En juillet 2013, le parti écologiste francophone a proposé quelques pistes programmatiques


en matière d’enseignement dans un document intitulé Les priorités d’Écolo face à l’échec

43
Nos 400 propositions, 2014, www.les-100-propositions-du-cdh.be.

CH 2210
22 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

44
scolaire, préparatoire à son programme en vue des élections du 25 mai 2014 . Écolo
entend rencontrer le problème de l’acquisition des compétences de base par tous les
enfants. Dans cette perspective, il préconise des politiques différenciées accordant plus
d’autonomie aux bassins scolaires et un subventionnement différent selon les
caractéristiques sociales des écoles. Pour contrecarrer la relégation scolaire et favoriser
l’orientation positive, Écolo prône une « approche orientante » dans le cadre du tronc
commun existant, associée à une formation pluridisciplinaire et à la valorisation des
45
filières qualifiantes et des métiers auxquels elles mènent . Au sein du Parlement de
la Communauté française, ses députés ont défendu sans relâche l’« approche orientante »
comme processus continu concernant tous les enfants et ce, dès leur plus jeune âge.
Le parti s’oppose explicitement à l’idée d’une nouvelle réforme impliquant de prolonger
le tronc commun : « Plutôt qu’une énième réforme de structures, la priorité d’Écolo est
de faire fonctionner l’actuel tronc commun jusqu’à 14 ans. »
Un contact avec le groupe Écolo au Parlement de la Communauté française nous a
permis de préciser ces déclarations d’intentions et de connaître les mesures qu’envisage
Écolo pour les concrétiser. Tout d’abord, Écolo préconise un « véritable » continuum
entre l’enseignement primaire et le début de l’enseignement secondaire (notamment
grâce à la transmission des résultats obtenus aux épreuves du CEB aux enseignants de
1re secondaire, sous la forme d’un bilan de compétences) et défend un renforcement
er
de l’épreuve externe correspondant au CE1D obtenu en fin de 1 degré. Ensuite, Écolo
prône l’organisation d’activités pluridisciplinaires au cours du 1er degré commun de
l’enseignement secondaire « donnant l’opportunité à chaque élève d’explorer ses potentiels
intellectuels mais aussi techniques, scientifiques artistiques et corporels » avant de poser
son choix d’orientation et plaide pour l’introduction d’un cours de « découverte des
métiers ».
Le parti estime que l’élève doit être acteur de son orientation et non se faire orienter.
Afin qu’il soit aidé dans cette démarche, un guichet unique d’information serait créé
par bassin scolaire. Écolo entend trouver des alternatives aux attestations d’orientation
restrictives basées sur la logique des filières hiérarchisées ; dans cette perspective, il
préconise d’« accompagner les élèves dans leur choix d’orientation de manière
e
transversale et progressive ». Enfin, Écolo considère que le 2 degré de qualification
pourrait devenir « un degré de transition, de découverte et d’orientation ». Concernant

44
Les priorités d’Écolo face à l’échec scolaire, 4 juillet 2013, www.ecolo.be. Parallèlement, Écolo a ouvert
un site Internet (www.kdecole.be) en vue de susciter la participation citoyenne et de récolter des propositions
45
pour « réinventer l’école », en vue du congrès organisé par le parti au début de l’année 2014.
Cf. par exemple les interventions d’Yves Reinkin (Parlement de la Communauté française, Compte
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rendu intégral, CRI 21, 12 juillet 2012, p. 55) ou de Bénédicte Linard (Parlement de la Communauté
française, Projet de décret modifiant diverses modalités d’épreuves externes prévues par le décret du 2 juin 2006
relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et au certificat d’études
de base au terme de l’enseignement primaire. Rapport de commission présenté au nom de la Commission
de l’Éducation par L. Gahouchi, DOC 460 n° 2, 12 mars 2013, p. 6). L’introduction d’une palette plus
large d’activités dans la formation n’est pas réservée aux élèves plus faibles scolairement, comme le
soulignent les propos d’Y. Reinkin : « Pour ceux qui persévéreront dans un cursus plus intellectuel, le fait
d’avoir pu approcher pendant deux ans des aspects artistiques, techniques ou technologiques n’est
certainement pas du temps perdu. Au contraire… » (Commission de l’Éducation du Parlement de
la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 59-Educ 11, 25 janvier 2011, p. 5).
Cf. également la présentation par Y. Reinkin d’une expérience d’« approche orientante » en lien avec
les métiers, ainsi que la réponse apportée par M.-D. Simonet (Commission de l’Éducation du Parlement
de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 50-Educ 9, 17 janvier 2012, p. 8-10).

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 23

e
notre problématique, cette dernière piste touchant le 2 degré ne conduit pas à prolonger
la durée du tronc commun, mais vise plutôt une ouverture et une déspécialisation des
filières technique et professionnelle de qualification dans la perspective de l’« approche
orientante ».
Dans son Programme « École » pour les élections du 25 mai 2014, Écolo rappelle la priorité
qu’il convient selon lui de donner à un « véritable tronc commun » jusqu’à 14 ans et à
l’approche orientante 46. Le parti explique : « Par “véritable tronc” commun, Écolo désigne
un continuum pédagogique qui, à l’image du modèle finlandais, diversifie les contenus
d’apprentissage, tout en donnant à chaque élève l’opportunité d’explorer ses potentiels
intellectuels, mais aussi techniques, scientifiques, artistiques et corporels, avant de poser
ses choix d’orientation à la fin du tronc commun. Ce n’est qu’après ce renforcement
du tronc commun théoriquement existant qu’Écolo pourra envisager l’allongement de
ce tronc commun dans une seconde étape. »

Le MR

Le Mouvement réformateur (MR) n’a jamais été un fervent défenseur de l’enseignement


secondaire rénové, ni même du 1er degré commun. Ainsi, Pierre Hazette, ancien ministre
de l’Enseignement secondaire (1999-2004) a exprimé récemment, dans un ouvrage intitulé
Lettre ouverte aux parents responsables et édité par le centre d’étude de son parti 47,
son souhait de voir recréer les filières technique et professionnelle dès l’entrée dans
l’enseignement secondaire (comme avant l’introduction de l’enseignement rénové).
Par ailleurs, le regret de la disparition de la voie d’orientation précoce constituée par
la classe d’accueil et la 2e P existant au 1er degré jusqu’au décret de 2007 a été exprimé à
plusieurs reprises par des députés MR lors des débats parlementaires des dernières
années 48.
Pour sa part, le document officiel du MR, Enseignement : bâtir l’avenir. Trajectoires pour
l’école du 21e siècle, publié en 2013 en préparation à la rédaction du programme électoral
pour le scrutin du 25 mai 2014, est plus nuancé que les prises de position personnelles
de P. Hazette 49. Dans ce texte, le MR critique le manque de lisibilité des divers parcours
scolaires qui ont été instaurés par les décrets organisant la différenciation structurelle
au sein du 1er degré. Le MR préconise une simplification des structures du secondaire,
à savoir un 1er degré restauré dans son rôle de degré d’observation « sans transiger sur
les exigences » et un retour aux trois filières à finalité spécifique (générale, technique et
professionnelle). Par ailleurs, le parti remet en cause la réorientation par l’échec et demande
que, si une telle réorientation a lieu malgré tout, elle soit assortie de « mécanismes de
responsabilisation des écoles ». Enfin, le MR défend la généralisation des écoles de type
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46
Écolo. Élections 2014. Nos priorités, notre programme. Jeunesse, éducation et culture, 2014, www.ecolo.be.
47
P. HAZETTE, Lettre ouverte aux parents responsables, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2012. Cf. aussi
l’interview de Pierre Hazette réalisée en août 2012, sur le site Internet www.enseignons.be sous le titre
er
« Faut-il supprimer le 1 degré commun ? ».
48
Cf. par exemple l’intervention de Marcel Neven (Parlement de la Communauté française, Compte
rendu intégral, CRI 3, 18 juillet 2009, p. 28) ou les propos de Gilles Mouyard (Parlement de la
Communauté française, Compte rendu intégral, CRI 5, 23 novembre 2011, p. 29) : « Certains dénoncent
er
également l’impossibilité de pouvoir s’orienter vers une filière plus qualifiante dans le 1 degré comme
49
cela se faisait par le passé ».
e
Enseignement : bâtir l’avenir. Trajectoires pour l’école du 21 siècle, 2013, www.francoisebertieaux.be.

CH 2210
24 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

er
1 degré d’observation autonomes (DOA) « dans une perspective de revalorisation des
filières technique et professionnelle ».
Les mêmes axes prioritaires sont repris dans le programme du MR pour les élections
50
du 25 mai 2014 .

Les FDF

Selon les informations que nous avons pu obtenir de ce parti, les positions des Fédéralistes
démocrates francophones (FDF) tiennent en deux pistes. Premièrement, mettre sur pied
er
un 1 degré d’observation autonome (DOA) qui favoriserait un tronc commun renforcé
jusqu’à 14 ans et comporterait des classes de remise à niveau. Deuxièmement, instaurer
dès le primaire « l’éducation au choix chez l’élève lui-même » par la mise en place d’une
guidance individualisée. Cette dernière prendrait la forme de conseils donnés par des
professionnels issus des centres PMS, en étroite collaboration avec les enseignants. Elle
devrait permettre d’améliorer la connaissance de soi et de diminuer le redoublement
et le décrochage scolaire. Le résultat attendu de la guidance est d’« aboutir, à la fin du
1er degré, à un certificat d’orientation pour chaque élève et recommander ainsi une filière
générale, technique ou qualifiante (…) dans le respect des atouts de chacun à 14 ans ».
Dans le programme des FDF pour les élections du 25 mai 2014, la proposition n° 34
s’intitule « Instaurer un véritable tronc commun jusqu’à 14 ans » 51. Par rapport aux pistes
précédentes, les FDF y ajoutent la proposition de « remanier le 1er degré de l’enseignement
secondaire de manière plus souple et plus flexible avec un véritable continuum
pédagogique en vue d’assurer une orientation pertinente à 14 ans ». Ils y préconisent
également « la mise en place d’un processus efficace d’accompagnement des élèves
avec une pédagogie différenciée garante d’une meilleure prise en charge des élèves
les plus faibles ».

2.1.3. Fédérations de pouvoirs organisateurs

Deux fédérations de pouvoirs organisateurs sont ici à considérer : le SEGEC et l’un de


ses membres, la FESEC. Elles sont toutes deux actives dans le réseau d’enseignement libre
catholique.

Le SEGEC
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Le Secrétariat général de l’enseignement catholique en Communautés française et
germanophone de Belgique (SEGEC) est l’organe de représentation et de coordination
de l’enseignement libre catholique.
En son assemblée générale du 24 octobre 2013, le SEGEC a adopté un Mémorandum
2014-2019 de l’enseignement catholique en vue des élections régionales et communautaires

50
51
Programme wallon - 2014, 2014, www.mr.be.
Programme : Région wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles. Élections du 25 mai 2014, 2014, http://fdf.be.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 25

52
du 25 mai 2014 . Dix priorités y sont développées, dont trois intéressent notre objet
d’étude : « promouvoir les stratégies de réussite et le développement de pratiques de
remédiation dans les établissements », « améliorer l’orientation en vue d’une meilleure
continuité des parcours » et « améliorer l’attractivité de l’enseignement qualifiant ».
er
Le SEGEC estime que l’obtention du CE1D à la fin du 1 degré de l’enseignement
secondaire commun doit être valorisée, en qualité de borne d’arrivée du continuum
pédagogique correspondant aux socles de compétences à 14 ans, et qu’elle doit être associée
aux épreuves externes certificatives de l’acquisition de ces socles. Le SEGEC considère que,
er
au 1 degré, les parcours peuvent être adaptés provisoirement aux besoins et projets
personnels des élèves, que les « plans individualisés d’apprentissage » sont à appliquer
plus largement, et qu’il convient qu’une souplesse organisationnelle soit laissée aux
établissements pour mettre sur pied des mesures de soutien et de remédiation (parmi
lesquelles les années complémentaires). Le parcours en deux ans reste malgré tout celui
que le SEGEC souhaite voir privilégier.
Dans la vision du SEGEC, les activités complémentaires du 1er degré seraient assouplies
pour laisser plus de place aux « gestes techniques » et à l’« utilisation des technologies »
dans l’optique d’une « valorisation des métiers techniques ». La « compétence à s’orienter »
serait travaillée tout au long de la scolarité. Au 1er degré, du temps serait dégagé pour
« la maturation des choix scolaires », s’appuyant sur des stages ainsi que sur une
information et sur une réflexion concernant l’ensemble des parcours possibles aux 2e et
3e degrés (en partenariat avec les centres PMS). Les incitants matériels pour la mise sur
pied d’établissements correspondant au 1er degré d’observation autonome (DOA) seraient
augmentés, le DOA étant considéré par le SEGEC comme une structure plus favorable
à la fois au continuum pédagogique (visant l’acquisition des socles de compétences) et à
l’orientation positive (supposant la reconnaissance de la valeur des métiers techniques).
En prolongement du 1er degré ainsi conçu, le SEGEC préconise aussi de redessiner
les structures des 2e et 3e degrés de l’enseignement secondaire pour les simplifier et
les clarifier. Ces nouvelles structures seraient basées sur trois filières ayant chacune
une finalité spécifique. Premièrement, la filière générale, à finalité de transition vers
l’enseignement supérieur. Elle comprendrait l’enseignement général actuel ainsi
que certaines options groupées de l’enseignement technique de transition actuel.
Deuxièmement, la filière technologique, organisée par secteur, préparant à l’enseignement
supérieur court de type « baccalauréat professionnalisant » du même secteur. Elle
intégrerait la majorité des options de l’enseignement technique de transition ainsi que
les options de l’enseignement technique de qualification. Troisièmement, la filière
qualifiante, préparant à des profils de métiers et s’appuyant sur l’enseignement modulaire
et la certification par unité (CPU). Elle correspondrait à l’enseignement professionnel
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actuel.
Cette nouvelle structure des 2e et 3e degrés constitue un projet de réforme en profondeur
qui réaliserait un véritable changement de cap par rapport à la situation actuelle. Toutefois,
il n’est pas question ici de prolonger le tronc commun. Au contraire, le SEGEC
préconise une spécialisation beaucoup plus poussée du débouché dévolu à chaque filière
que celle qui est en vigueur dans les structures héritées du Rénové et toujours d’application

52
Mémorandum 2014-2019 de l’enseignement catholique, 2013, http://enseignement.catholique.be.

CH 2210
26 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

aujourd’hui. Rappelons qu’une des clés de voûte de la réforme de 1971 était de rapprocher
er
les filières générale et technique, jusqu’à les intégrer totalement au 1 degré (cf. supra).
La finalité était de pallier ainsi leur inégale valeur aux yeux de la société. C’est dans
cet esprit que se comprend aussi l’attribution d’un seul et même diplôme à leur issue.
Le SEGEC propose donc d’emprunter le chemin inverse et préconise une démarcation
plus tranchée entre chacune des filières, par son contenu, son débouché et donc,
logiquement, sans doute aussi par son diplôme.

La FESEC

La Fédération de l’enseignement secondaire catholique (FESEC), membre du SEGEC,


est l’organe représentatif des pouvoirs organisateurs du réseau libre catholique pour
l’enseignement secondaire. Sur son site Internet, la FESEC soutient activement, tout en
exprimant certaines critiques, les politiques qui ont été menées en matière d’organisation
er
du 1 degré par les ministres de l’Enseignement obligatoire M.-D. Simonet (CDH) et
M.-M. Schyns (CDH).
En 2011, la FESEC a publié en collaboration avec la Fédération des associations de
directeurs de l’enseignement secondaire catholique (FEADI) un Livre blanc du 1er degré 53.
Dans l’introduction de ce document, la FESEC annonce que « les lignes de forces qui
s’en dégagent orienteront la politique de notre réseau pour les années à venir. Elles se
veulent autant d’interpellations, voire de revendications, à l’adresse des responsables
politiques ». Le Livre blanc s’appuie sur un état des lieux critique du fonctionnement
concret du 1er degré, après quelques années de mise en œuvre des décrets ministériels
des années 2006-2011. La FESEC met en cause la discontinuité, la complexité et le manque
de clarté des dispositifs en vigueur, qui entraînent selon elle de nombreux effets négatifs
tant pour les élèves que pour les enseignants. Elle formule ensuite une série de propositions
visant à améliorer le système en place. L’essentiel des pistes d’action du Livre blanc
er
portent sur l’organisation d’un parcours de soutien au sein du 1 degré commun et
er
sur le réaménagement des parcours possibles dans le 1 degré différencié, de telle sorte
qu’ils gagnent en lisibilité et puissent devenir « porteurs de sens et d’orientation réellement
positive ».
Par ailleurs, les responsables de la FESEC ont exprimé leur plein appui à la politique
d’encadrement différencié décrétée en 2009-2011 54. De même, ils ont appuyé les mesures
récentes favorisant la création d’établissements organisant uniquement le 1er degré (DOA),
que le Livre blanc de 2011 préconise comme « réponse à privilégier ».
Des contacts que nous avons eus avec la FESEC, il ressort que cette association est
clairement défavorable à un éventuel allongement du tronc commun du secondaire.
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De son point de vue, prime le processus centré sur l’orientation positive des élèves, qui
implique notamment l’organisation de stages et d’activités complémentaires assouplies
au 1er degré. Il s’agit là de la première étape indispensable pour rendre possible un processus
d’orientation progressive (qui comprend trois étapes correspondant aux trois degrés

53 er
Livre blanc du 1 degré. Constats et propositions, 2011, http://enseignement.catholique.be. Cf. également
er
cette autre publication de la FESEC : Structure du nouveau 1 degré de l’enseignement secondaire (y compris
54
les conditions d’admission et la sanction des études), nouvelle édition, juin 2011.
Cf. Entrées Libres, n° 59, mai 2011, p. 4.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 27

du Rénové : observation, orientation, détermination). Aux yeux de la FESEC, un tel


e e
processus, qui devrait se poursuivre aux 2 et 3 degrés, est davantage porteur qu’un tronc
commun allongé.

2.2. ACTEURS DE DEUXIÈME LIGNE

Un seul acteur de deuxième ligne est à signaler ici, à savoir une organisation regroupant
des fédérations d’associations de parents : l’UFAPEC.

L’UFAPEC

En février 2013, l’Union des fédérations des associations de parents de l’enseignement


catholique (UFAPEC) a publié une courte prise de position sous le titre Pour la réussite
au 1er degré du secondaire 55. Elle y préconise le maintien du « continuum pédagogique »
de 8 à 14 ans, tout en regrettant que, dans les faits, le passage entre enseignement primaire
et enseignement secondaire ne se fasse pas de manière suffisamment articulée. L’UFAPEC
appelle donc à une meilleure continuité entre 6e primaire et 1re secondaire, associée à
une remédiation précoce des difficultés scolaires, afin de permettre aux jeunes « d’entrer
positivement au second degré ».
56
Par ailleurs, dans une étude récente portant sur l’enseignement qualifiant , l’UFAPEC
exprime explicitement son opposition au projet d’un tronc commun pluridisciplinaire
prolongé jusqu’à 16 ans. « L’UFAPEC ne préconise pas cette solution, car certains jeunes
sont en attente d’autre chose, aspirent à toucher à la réalité d’un métier dès 14 ans. Nous
ne pensons pas qu’il soit judicieux de vouloir faire avancer tout le monde au même
rythme et en même temps jusqu’à 16 ans. »

2.3. ACTEURS DE TROISIÈME LIGNE

Les acteurs de troisième ligne à mentionner ici sont les organisations patronales. Celles-
ci expriment régulièrement, via les medias, leurs préoccupations au sujet du degré
d’efficacité de l’enseignement secondaire francophone. En particulier, elles considèrent
qu’il existe un problème de manque d’adéquation entre l’enseignement technique et
professionnel, d’une part, et les besoins du marché de l’emploi, d’autre part.
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55 er
56
Pour la réussite au 1 degré du secondaire, 7 février 2013, www.ufapec.be.
M. LONTIE, Nouveau regard sur l’enseignement qualifiant, Étude UFAPEC, n° 1, décembre 2013.

CH 2210
28 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

La BECI, la FEB, l’UWE et le VOKA

En novembre 2011, quatre organisations patronales ont cosigné une note intitulée
57
Améliorer l’enseignement à Bruxelles : la Chambre de commerce et union des entreprises
de Bruxelles (BECI), la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), l’Union wallonne
des entreprises (UWE) et le Vlaams Netwerk van Ondernemingen (VOKA). Dans le
chapitre « Propositions », le tronc commun jusqu’à 14 ans est cité comme constituant
un facteur positif : « la conception du tronc commun, un curriculum commun, jusqu’à
l’âge de 14 ans peut aider [à] une revalorisation de l’enseignement technique et de
qualification ».
Hormis cet élément, nous ne disposons pas d’autres informations quant à la position
des organisations patronales. Il convient toutefois de relever que la note Améliorer
l’enseignement à Bruxelles use, à l’instar des propositions du SEGEC (cf. supra), d’un
vocable inhabituel pour désigner les deux filières spécialisées de l’enseignement secondaire :
celles-ci n’y sont pas identifiées par leur appellation officielle de « filière technique de
qualification » et de « filière professionnelle de qualification », mais par les expressions
« filière technologique » et « filière qualifiante » (SEGEC) ou « enseignement technique »
et « enseignement de qualification » (organisations patronales). Ajoutons que, de leur
côté, les FDF distinguent « filière technique » et « filière qualifiante ». Cette analogie
dans le choix des termes (non orthodoxes) est-elle pure coïncidence ? Ou alors faut-il
y voir l’indice d’une certaine convergence entre les propositions du SEGEC, celles des
organisations patronales et celles des FDF concernant une refonte en profondeur de
e
la structure des filières à partir de la 3 secondaire ?
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57
Améliorer l’enseignement à Bruxelles. White paper sur l’enseignement des organisations patronales BECI,
VOKA et UWE, 10 novembre 2011, www.brusselsmetropolitan.eu.

CH 2210
3. L’OPTION D’UNE REFONTE EN PROFONDEUR

Le second groupe d’acteurs est composé de ceux qui préconisent une refonte en
profondeur du tronc commun, à savoir un élargissement de la structure unique jusqu’à
e e
la 3 voire jusqu’à la 4 année de l’enseignement secondaire. Cet allongement de la durée
du tronc commun se doublerait de modifications apportées tant à l’organisation des
structures du 1er degré commun actuel qu’au contenu de l’enseignement qui y est dispensé.
La majorité des acteurs de ce groupe appartiennent et s’identifient au réseau organisé
par la Communauté française ou au réseau public subventionné (provinces et
communes) ; certains acteurs se situent toutefois en dehors du clivage entre réseaux.

3.1. ACTEURS DE PREMIÈRE LIGNE

Les acteurs de première ligne qui sont partisans d’une refonte en profondeur sont, parmi
les partis politiques, le PS, et, parmi les fédérations de pouvoirs organisateurs, le CPEONS.

3.1.1. Partis politiques

Le PS

Seul le Parti socialiste (PS), actuellement membre du gouvernement de la Communauté


58
française, défend actuellement le projet d’un allongement du tronc commun jusqu’à
l’âge de 15 ou 16 ans, afin de donner les acquis de base à tous les élèves et leur permettre
d’être confrontés à toutes les disciplines avant de choisir leur orientation 59. Selon le PS,
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58
Cette prise de position en faveur d’un allongement du tronc commun jusqu’à 15 ou 16 ans n’est
cependant pas unanimement partagée au sein du PS. Ainsi, Marie Arena (sénatrice et ancienne ministre
de l’Enseignement obligatoire de la Communauté française) a déclaré ne pas être favorable à un tronc
commun plus long, lors d’une intervention aux Midis de la Province de Hainaut, le 24 janvier 2014 :
er
« Je ne partage pas à court terme l’idée d’allonger le 1 degré jusqu’à 16 ans » (Cf. « Que retenir
de la rencontre du 24 janvier ? Si vous avez manqué le débat », sur le site Internet
http://midisprovince.hainaut.be), comme l’avait déjà fait antérieurement Caroline Désir à la Commission
de l’Éducation : « Je ne plaidais pas pour l’extension du dispositif » (Commission de l’Éducation du
Parlement de la Communauté française, Compte rendu intégral, CRIC 13-Educ 3, 18 octobre 2011,
59
p. 9 et 12).
Propositions PS pour l’enseignement : relançons l’ascenseur social [discours du président Paul Magnette
aux rencontres d’été du PS, 6-7 septembre 2013], septembre 2013, www.ps.be. Cf. également la carte

CH 2210
30 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

ce tronc commun allongé devrait être précédé d’une série de mesures préventives contre
l’échec dans les apprentissages de base : scolarisation précoce des enfants, détection rapide
des difficultés scolaires et remédiation immédiate, et octroi de moyens suffisants aux
écoles confrontées aux difficultés scolaires. Il devrait en outre encore être complété par
des passerelles à double sens entre la filière générale et la filière professionnelle, des stages
en entreprise à tous les niveaux d’études et une filière d’enseignement par alternance
conçue comme une véritable filière d’excellence.
Ces propositions sont précisées dans le programme du PS pour les élections du 25 mai
2014 : « Allonger le tronc commun au moins jusqu’à une troisième secondaire ; donner
à ce tronc commun une dimension polytechnique (…) en y introduisant des cours de
60
techniques et de technologie pour tous les élèves. »
La position du PS est influencée par une recherche récente qui a été menée à la demande
de son centre d’études, l’Institut Émile Vandervelde (IEV), par cinq chercheurs de
l’Université de Liège : Marcel Crahay, Ariane Baye, Annick Fagnant, Dominique Lafontaine
et Christian Monseur. Ce dossier, publié en septembre 2013 sous le titre État de la
question. Quelle école pour tous ? 61, a servi de base à l’une des rencontres « Citoyens
engagés » organisées par le PS à l’automne 2013, en préparation de la rédaction du
programme électoral socialiste en vue des élections du 25 mai 2014.
Le document de l’IEV fixe deux objectifs prioritaires, qui apparaissent comme des
conditions pour pouvoir renouer avec la mission d’émancipation de l’école : l’« élévation
du niveau de performances des élèves » et la « réduction des inégalités sociales de réussite
scolaire et, par ce biais, de la dualisation de l’école qui conduit à la fracture sociale ».
Pour atteindre ces deux objectifs, cinq mesures sont préconisées, dont deux sont en lien
direct avec notre objet d’étude : « promouvoir un véritable tronc commun » et « en finir
avec le redoublement ». Ces deux mesures sont assorties d’une série de précisions relatives
à leur opérationnalisation, qui rejoignent les positions déjà évoquées. Tout d’abord,
les auteurs du dossier de l’IEV conçoivent un tronc commun prolongé jusqu’à 16 ans.
Ce tronc commun allongé ne serait en aucun cas une extension de l’enseignement général.
Son programme serait conçu de manière à être un « curriculum polytechnique » et à
laisser une place aux disciplines techniques et artistiques. Ensuite, les auteurs insistent
sur la nécessité de définir des objectifs d’apprentissage à atteindre et à évaluer, selon des
étapes et un échéancier précis. Cela supposerait de repenser les épreuves d’évaluation
en phase avec ces étapes. Enfin, les auteurs du document de l’IEV ajoutent une
recommandation également défendue par les syndicats enseignants socialistes (cf. infra) :
la mise sur pied d’établissements scolaires spécifiques et autonomes, correspondant
aux quatre années du tronc commun (l’équivalent des collèges en France). Il s’agirait
de dissocier ces établissements d’un nouveau type de ceux qui assurent, après le tronc
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commun, une spécialisation du secondaire, et de créer ainsi une rupture par rapport aux
écoles secondaires actuelles. Selon les chercheurs, cette mesure structurelle aurait un impact
décisif sur la mixité scolaire et sociale de la population des écoles et des classes, beaucoup
plus décisif que l’actuel décret du 18 mars 2010 (dit décret « inscriptions »).

blanche de Paul Magnette parue dans Le Soir du 27 septembre 2013, sous le titre « L’école, force motrice
de l’ascenseur social ».
60
61
PS. Programme 2014. Élections européennes, fédérales et régionales. Wallonie, 2014, www.ps.be.
M. CRAHAY, A. BAYE, A. FAGNANT, D. LAFONTAINE, C. MONSEUR, État de la question. Quelle école pour
tous ?, septembre 2013, www.iev.be.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 31

3.1.2. Fédérations de pouvoirs organisateurs

Le CPEONS

Le Conseil des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel neutre subventionné


(CPEONS) fédère les pouvoirs organisateurs des provinces, des communes et de la
COCOF. Nous ne disposons guère d’éléments sur ses positions dans le débat relatif
au tronc commun. Le seul élément d’information dont nous disposons est le fait que
le CPEONS est membre du Centre d’étude et de défense de l’école publique (CEDEP,
cf. infra), ce qui inviterait à le classer dans les acteurs partisans d’une refonte. Cependant,
le fait que l’offre d’enseignement secondaire de certains grands pouvoirs organisateurs
officiels subventionnés, comme la Province de Liège et la Province de Hainaut, se
caractérise par une forte proportion d’écoles techniques et professionnelles pourrait
les pousser à se montrer réticents à l’égard du modèle du tronc commun allongé, dans
la mesure où celui-ci irait à l’encontre de leur spécificité historique. Un dilemme analogue
se posait déjà à ces mêmes acteurs au moment de l’instauration de l’enseignement
secondaire rénové et de son 1er degré d’observation. Mais nous devons nous contenter
ici d’esquisser seulement cette hypothèse qu’une investigation plus poussée devrait
permettre d’approfondir.

3.2. ACTEURS DE DEUXIÈME LIGNE

Les acteurs de deuxième ligne qui sont partisans d’une refonte en profondeur sont les
trois principaux syndicats (la CSC, la FGTB et la CGSLB) 62, et, parmi les fédérations
d’associations de parents, la FAPEO.

3.2.1. Syndicats d’enseignants

La CSC

Au sein de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), la CSC-Enseignement


représente les personnels des divers réseaux d’enseignement.
Dans une note de juin 2013 intitulée L’école du fondement. Un véritable tronc commun,
la CSC-Enseignement plaide pour un tronc commun jusqu’à 14 ans au moins, pouvant
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être allongé après évaluation 63. Ce tronc commun devrait associer des cours technico-
scientifiques, artistiques et sportifs, obligatoires pour tous les élèves, aux cours généraux

62
Sur les organisations syndicales officiant dans le domaine de l’enseignement, cf. S. KWASCHIN, « La
63
négociation sectorielle dans l’enseignement », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2168-2169, 2013, p. 15-16.
L’école du fondement. Un véritable tronc commun, 14 juin 2013 (note reproduite dans CSC-Educ, n° 71,
septembre 2013, p. 12-15). Cf. aussi Mémorandum CSC-Enseignement. Élections 25 mai 2014. L’École,
institution démocratique productrice d’égalité sociale et d’émancipation individuelle et collective, février 2014,
p. 9-10.

CH 2210
32 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

64
existants . Les programmes, les compétences visées ainsi que les horaires devraient être
revus pour ouvrir sur tous les types d’enseignement et permettre ainsi une orientation
positive, basée sur la réussite. Les activités complémentaires en vigueur actuellement
er
dans le 1 degré de l’enseignement secondaire (cours à option) devraient être supprimées,
et leur contenu devrait être intégré dans la nouvelle formation obligatoire élargie. En
outre, dans le cadre du tronc commun, le programme devrait comprendre des temps
scolaires réservés aux activités centrées sur l’orientation et prévoir l’organisation de
contacts avec les secteurs professionnels.
Le projet de la CSC-Enseignement est de créer, là où la croissance démographique le
demande, de nouvelles écoles du fondement (qui intègrent l’école primaire et le 1er degré
e e
de l’enseignement secondaire et sont totalement indépendantes des 2 et 3 degrés).
Dans ces écoles du fondement, le certificat d’études de base (CEB), délivré à la fin de
l’école primaire, disparaîtrait comme épreuve certificative. Quant au certificat d’études
er
du 1 degré (CE1D), obtenu à la fin de l’école du fondement, il ouvrirait sans réserve
à tous les types de filières. Les seuils de réussite des épreuves d’évaluation associées à
l’obtention du CE1D seraient définis de manière plus précise par l’autorité publique.
Ces épreuves seraient identiques pour tous les élèves et concerneraient toutes les matières
afin de mettre les diverses disciplines sur un pied d’égalité. Selon la CSC-Enseignement,
la mise en place de ces écoles du fondement impliquerait aussi d’appliquer, dès le début
de la scolarité, des dispositifs de pédagogie différenciée, comprenant des activités de
remédiation et des activités de dépassement en fonction des besoins différents des enfants.
Par ailleurs, la CSC-Enseignement est l’une des associations qui ont signé le mémorandum
intitulé Une plateforme contre l’échec scolaire (cf. infra).

La FGTB

Deux organisations de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), syndicat


socialiste, sont ici à mentionner. D’une part, au sein de la Centrale générale des services
publics (CGSP), la CGSP-Enseignement, qui représente les personnels enseignant et
éducatif ; d’autre part, le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA), qui
représente les personnels enseignant, administratif et éducatif de l’enseignement libre
(confessionnel et non confessionnel) via le Syndicat de l’enseignement libre (SEL).
En février 2005, la CGSP-Enseignement et le SEL ont publié en commun un Projet de
contrat stratégique 65. Les pistes qui y sont avancées rejoignent la majorité des propositions
de la CSC-Enseignement. Elles sont cependant plus radicales en ce qui concerne la durée
du tronc commun.
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Pour favoriser une orientation positive et valoriser toutes les intelligences, la CGSP-
Enseignement et le SEL proposent l’« école unique », c’est-à-dire un tronc commun

64
Ce programme peut être rapproché du projet de « curriculum polytechnique » (cf. CSC-Educ, n° 67,
mars 2013, p. 7). Nous observons cependant que les cours « technico-scientifiques » de la note de
juin 2013 se voient requalifiés en cours « technico-manuels » dans le mémorandum de février 2014.
Ce changement d’appellation, qui ne nous paraît pas anodin, semble peu compatible avec le projet
65
polytechnique.
Projet de contrat stratégique pour l’éducation. Contribution de la FGTB Bruxelles, de la FGTB wallonne,
de la CGSP-Enseignement et du SETCA-SEL, 15 février 2005, www.skolo.org.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 33

e e
prolongé jusqu’à la 3 ou la 4 année de l’enseignement secondaire. Ce tronc commun
allongé serait basé sur un programme pluridisciplinaire et ouvert, combinant « de manière
équilibrée branches intellectuelles, “manuelles” (intelligence de la main), artistiques et
er
physiques ». Un tel cursus supposerait de rompre avec la formule actuelle du 1 degré
commun, calquée sur le modèle de l’enseignement général, et de rejeter toutes les formes
existantes de différenciation (activités complémentaires, degré différencié). Le Projet de
contrat stratégique évoque aussi une remédiation immédiate et une évaluation externe
vérifiant les niveaux des compétences des élèves comme autant de pistes susceptibles
d’améliorer les acquis des élèves dans les savoirs de base. Selon la CGSP-Enseignement
et le SEL, ces savoirs de base devraient être définis à un niveau d’exigence élevé.
En 2013, dans un article intitulé Réussite pour tous, le président du bureau exécutif
66
du SEL, Joan Lismont, a réaffirmé les positions de son organisation dans le débat . Il a
également apporté des nuances aux idées développées dans le Projet de contrat stratégique.
Il estime qu’il est nécessaire d’instaurer un tronc commun pluridisciplinaire qui,
contrairement à la conception dominante actuelle, ne se confondrait pas avec un 1er degré
d’enseignement général. Il correspondrait à une formation commune, au cours de laquelle
les élèves pourraient, en tenant compte de leur profil, vivre une expérience positive de
progression dans toutes sortes d’apprentissages. « L’idée est que chaque jeune puisse avoir
l’occasion d’aimer des cours, d’y exceller et de trouver un ancrage pour s’accrocher
aux cours qui développent les autres aptitudes. » Selon J. Lismont, il ne s’agirait plus
de se focaliser seulement sur les savoirs de base de type cognitif, privilégiés dans le Projet
de contrat stratégique de 2005, mais d’intégrer au programme commun des apprentissages
variés, permettant de développer « à égalité les aptitudes cognitives, les aptitudes à
comprendre le monde, les aptitudes artistiques, les aptitudes manuelles et les aptitudes
67
physiques » . Il ajoute que le tronc commun pluridisciplinaire devrait être organisé
sur un seul site (soit rattaché à l’école primaire, soit organisé dans un établissement
autonome). Ainsi, à son issue, pourrait avoir lieu une orientation positive vers l’une
ou l’autre filière, en prenant appui sur les différentes intelligences des jeunes qui
auront pu être révélées et développées grâce au nouveau tronc commun constituant
l’« école unique » jusqu’à 16 ans.
Par ailleurs, la CGSP-Enseignement et le SEL sont deux des associations qui ont signé
le mémorandum intitulé Une plateforme contre l’échec scolaire (cf. infra), et la CGSP-
Enseignement est membre du Centre d’étude et de défense de l’école publique (CEDEP,
cf. infra).

La CGSLB
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Au sein de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB), le Syndicat
libre de la fonction publique (SLFP) représente les personnels des réseaux officiels,
organisés ou subventionnés.

66
J. LISMONT, « Réussite pour tous », Le Sel, Le bulletin d’information du Secteur enseignement libre du SETCA,
e
3 trimestre 2013, p. 11-14, www.sel-setca.org.
67
Ibidem, p. 12. J. Lismont précise que « “à égalité” ne signifie pas qu’il faut strictement le même nombre
d’heures de cours mais qu’il faut que ces formations aient de l’importance (et même une importance
égale) ».

CH 2210
34 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Nous ne disposons pas d’éléments sur les positions du SLFP dans le débat relatif au tronc
commun. Toutefois, il est membre du Centre d’étude et de défense de l’école publique
(CEDEP, cf. infra), ce qui invite à le classer dans les acteurs partisans d’une refonte.

3.2.2. Fédérations d’associations de parents

La FAPEO

En février 2009, la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel


(FAPEO) a publié un document intitulé Pour un « Plan Charlemagne », dans lequel elle
préconise différentes pistes pour lutter contre l’échec scolaire 68. Parmi celles-ci, figurent
un tronc commun jusqu’à 16 ans, et des choix positifs vers les filières techniques et
professionnelles.
Les considérations développées par la FAPEO dans Pour un « Plan Charlemagne »
consistant en des intentions générales, et non en des propositions concrètes, nous ne
pouvons en savoir davantage sur la position de cette organisation relativement à la question
du tronc commun. Toutefois, deux éléments complémentaires sont à relever. D’une part,
la FAPEO a participé à la rédaction du mémorandum Une Plateforme contre l’échec scolaire
(cf. infra) et a cosigné le manifeste Réflexions en vue d’un système éducatif plus performant
pour tous les enfants du CEDEP (cf. infra). D’autre part, dans un article en ligne de
novembre 2013 intitulé Objectif 2014 : l’excellence pour tous, la FAPEO a affirmé clairement
69
son option pour une réforme radicale se démarquant de la situation actuelle . On y lit :
« L’école de la réussite pour tous passera par une véritable refonte de notre système
scolaire, au-delà de décrets en série, de circulaires intempestives, de réformes à répétition…
L’école équitable, quant à elle, ne peut se fonder sur une politique menée sur la base
de projets-pilotes visant à partager de bonnes pratiques, en faisant appel à la bonne
volonté des équipes éducatives. Ce type d’approche a tendance à renforcer la dualisation,
même passagère, entre établissements scolaires, plutôt qu’à garantir un enseignement
équitable. »

3.3. ACTEURS DE TROISIÈME LIGNE

Les acteurs de troisième ligne partisans d’une refonte en profondeur sont d’abord,
d’une part, des organisations appartenant au monde associatif, tels les signataires de
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la Plateforme contre l’échec scolaire, l’APED et le CEDEP, et, d’autre part, des chercheurs
universitaires.
S’y ajoute un troisième type d’acteurs, comprenant deux groupes de réflexion à visée
prospective dont l’apport se situe en aval des propositions politiques et des analyses
des dysfonctionnements du système d’enseignement élaborées par les deux premiers types

68
69
Pour un « Plan Charlemagne », février 2009, www.fapeo.be.
V. DE THIER, J. MATHY, Objectif 2014 : l’excellence pour tous. Le gouvernement a-t-il tenu ses engagements ?,
22 novembre 2013, www.fapeo.be.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 35

d’acteurs de troisième ligne. Le propos des groupes de réflexion à visée prospective


est de concevoir le prototype concret et opérationnel d’une école d’un nouveau genre,
s’inscrivant dans le cadre d’un tronc commun prolongé jusqu’à la 4e secondaire.
Les divers acteurs de troisième ligne entretiennent des échanges entre eux.

3.3.1. Organisations appartenant au monde associatif

Les signataires de la « plateforme contre l’échec scolaire »

En janvier 2007, un ensemble d’associations se sont regroupées pour publier un


70
mémorandum sous le titre Une plateforme contre l’échec scolaire . Parmi les signataires,
figurent des acteurs déjà cités comme la CSC-Enseignement, la CGSP-Enseignement,
le SEL et la FAPEO, ainsi que plusieurs chercheurs universitaires officiant dans le domaine
des sciences de l’éducation (cf. infra). On y retrouve aussi diverses organisations
pédagogiques, parmi lesquelles l’Appel pour une école démocratique (APED, cf. infra),
la Ligue des droits de l’enfant, Changement pour l’égalité (CGÉ), la Ligue des familles,
Inforjeunes, Lire et écrire (organe coordonnant un réseau d’associations d’alphabétisation),
la Coordination des écoles de devoirs, etc.
Ce mémorandum consiste en un inventaire de propositions, qui sont plus des intentions
que des suggestions de mesures concrètes. L’une de ces propositions est d’édifier un « vrai
tronc commun » jusqu’à 14 ans qui, après évaluation, pourra être prolongé jusqu’à 16 ans.
Il s’agirait d’un tronc commun sans redoublement, dont le programme comprendrait
une « formation générale, technique, artistique et sportive, identique pour tous ». Son
objectif serait de retarder la sélection, de donner l’occasion aux jeunes de nourrir leur
projet d’avenir et de contrecarrer les mécanismes de relégation scolaire. Cette proposition
s’accompagne de l’affirmation de la nécessité de mettre en place des dispositifs de
remédiation multiples au sein desquels l’enseignant occuperait la position centrale.
Aux yeux des signataires de la Plateforme, c’est en effet le professeur qui doit rester
l’intermédiaire entre l’élève et les savoirs. L’enseignant serait épaulé par des spécialistes
des difficultés d’apprentissage, présents dans l’école. Afin de développer les mêmes
apprentissages chez tous les élèves, le mémorandum ajoute la nécessité de renforcer
l’évaluation externe du système éducatif lui-même, dans un but de pilotage.
Par ailleurs, les signataires revendiquent le retour à un investissement de 7 % du PIB
dans l’enseignement, ce qui correspond selon eux au niveau du début des années 1980.
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L’APED

Le mémorandum Une Plateforme contre l’échec scolaire peut être mis en relation avec
le programme que l’Appel pour une école démocratique (APED) a publié en avril 2007,
sous le titre Vers l’école commune 71. L’APED se présente comme « un mouvement (…)
de réflexion et d’action qui milite en faveur du droit de tous les jeunes d’accéder à des

70
71
Une plateforme contre l’échec scolaire, janvier 2007, www.ligue-enfants.be.
Vers l’école commune. Programme de l’APED pour un enseignement démocratique en Belgique, avril 2007,
www.skolo.org.

CH 2210
36 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

savoirs porteurs de compréhension du monde et à des compétences qui leur donnent


72
force pour agir sur leur destin individuel et collectif » . Il s’agit d’une organisation
bilingue s’adressant surtout aux enseignants. Même si elle compte peu d’adhérents, ses
analyses (très) critiques du système scolaire actuel et ses propositions circulent largement
dans l’opinion publique, via la presse, Internet, des ouvrages, des journées d’étude, etc.
En outre, certaines des idées de l’APED influencent des acteurs intervenant dans le monde
politique de l’enseignement. C’est le cas notamment de son expression « enseignement
polytechnique » (ou « curriculum polytechnique »), qui désigne ce que d’autres acteurs
appellent « formation pluridisciplinaire », et qui est citée par la CSC-Enseignement
(cf. supra) et par le professeur M. Crahay (cf. infra).
L’un des apports originaux de Vers l’école commune réside précisément dans cette idée
d’une formation « polytechnique », associée au projet d’un nouveau tronc commun.
Une telle formation viserait à mettre en avant l’objectif du développement de toutes
les intelligences pour tous les élèves. Cet objectif passerait par l’organisation d’une palette
variée d’activités appropriées à chaque profil d’intelligence, sans qu’une hiérarchie ne
soit établie entre elles. En effet, selon la conception de l’APED et de plusieurs autres
acteurs proches, les diverses intelligences sont toutes utiles dans la vie quotidienne et
mobilisables dans le monde professionnel.
Pour l’APED, penser et produire sont les deux faces d’un seul humanisme. Cette idée,
d’inspiration marxiste, correspond au projet de l’école secondaire multilatérale élaboré
73
en France par le plan Langevin-Wallon de 1947 . Celui-ci ne se limitait pas à redessiner
les structures d’une école secondaire « multilatérale » reposant sur un cycle d’orientation
de quatre années ; il voulait également y valoriser à égalité la culture intellectuelle
(la formation générale) et la culture productive (la formation technique). Si ce plan
Langevin-Wallon n’a jamais trouvé à se concrétiser dans aucune réforme de l’enseignement
secondaire en France, ni à l’époque de son élaboration ni à celle de la réforme Haby
créant le collège unique en 1977 74, il est par contre certain que, en Belgique, le projet
d’école secondaire multilatérale qu’il renfermait a inspiré les promoteurs de la réforme
de l’enseignement secondaire rénové dans les années 1960 et 1970.
Les propositions de l’APED, qui sont une source d’inspiration pour plusieurs acteurs
partisans d’une refonte en profondeur, sont celles qui poussent le plus loin la définition
du contenu d’un tronc commun allongé. Son projet est celui d’une école commune, basée
sur une formation générale et polytechnique. Elle s’articulerait autour de deux axes.
D’une part, une école de base commune de 6 à 15 ans. Cela supposerait une seule
structure d’enseignement, qui ouvrirait à 16 ans seulement sur un choix entre deux
voies spécialisées : le lycée préparatoire à l’enseignement supérieur ou le lycée qualifiant.
D’autre part, une formation générale et polytechnique pour tous, entre 6 et 15 ans.
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Cela supposerait un programme combinant les « compétences et savoirs de base »
(mathématiques, lecture, langues étrangères), une « culture commune de haut niveau »
(histoire, géographie, sciences, littérature, arts, philosophie, etc.), une initiation aux

72
73
Site Internet de l’APED : www.aped.org.
« Plan Langevin-Wallon » est le nom donné au projet global de réforme de l’enseignement et du système
éducatif français élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, conformément au programme
74
de gouvernement du Conseil national de la Résistance de 1944.
Cf. P. ROSSANO, « Plan Langevin-Wallon (1947) et système éducatif du secondaire en 1991 », Communication
et langages, volume 90, 1991, p. 34-46.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 37

« technologies de la production et de la vie quotidienne » (technologies de l’information


et de la communication, santé, électricité domestique, agriculture, industrie, etc.), et
« une éducation physique et une formation sportive ».
Les deux axes de ce projet sont précisés par une série d’idées de mesures visant à les rendre
plus opérationnels. L’APED insiste sur le fait que les différentes mesures de son projet
constituent un tout indissociable.
L’APED conçoit la formation polytechnique comme une formation générale, qui ne se
confond pas avec une formation (pré)professionnalisante. L’école commune serait
une école ouverte aux multiples formes de savoirs et viserait à atteindre des compétences
pour comprendre et transformer le monde. L’éducation scolaire serait intimement liée
à la vie sociale et à la pratique productive. Elle impliquerait que les jeunes puissent
s’exercer à l’acte productif (le travail concret), en rapport non seulement avec les divers
métiers mais aussi avec la vie associative et avec les productions domestiques. Toute
spécialisation professionnelle serait à écarter au sein du tronc commun. S’apprendraient
aussi par la pratique, à travers toutes sortes d’activités, les comportements et les valeurs
de coopération et de créativité. Ainsi, chaque enfant développerait ses propres talents
tout en devenant un être social prêt à agir pour rendre le monde plus juste.
Dans l’école commune prônée par l’APED, le groupe-classe progresserait ensemble, tout
au long du cursus des élèves. Les enfants passeraient progressivement d’un instituteur
unique à des maîtres spécialisés par branche. Des stratégies seraient prévues pour soutenir
immédiatement les élèves qui en ont besoin : rattrapage collectif ou individualisé,
études dirigées, cours de langue accéléré, guidance individualisée et mise à disposition
de ressources documentaires. Toutes ces mesures qui visent le « zéro décrochage »
supposeraient un encadrement et des moyens suffisants. Des activités et des méthodes
pédagogiques variées assureraient une plus grande efficacité dans les apprentissages « sans
tomber dans le piège des trajectoires individualisées ». Enfin, des épreuves centralisées
régulières et non certificatives permettraient d’évaluer et de garantir le niveau des acquis.
L’APED indique qu’un tel projet suppose de financer l’enseignement à hauteur de 7 %
du PIB, correspondant selon lui au niveau de la fin des années 1970.

Le CEDEP

Le Centre d’étude et de défense de l’école publique (CEDEP) est un cartel regroupant


douze associations, parmi lesquelles l’Association des directeurs de l’enseignement officiel
(ADEO), l’Association des enseignants socialistes de la Communauté française (AESF),
l’Association des professeurs issus de l’Université libre de Bruxelles (APrBr), le Centre
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d’action laïque (CAL), le Centre d’études Charles Rogier (CECR), les Centres
d’entraînement aux méthodes d’éducation actives (CEMEA), la Fédération des amis
de la morale laïque (FAML) et la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente
(LEEP). En sont également membres quatre acteurs déjà évoqués : le Conseil des pouvoirs
organisateurs de l’enseignement officiel neutre subventionné (CPEONS), la CGSP-
Enseignement, le Syndicat libre de la fonction publique (SLFP) et la Fédération des
associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO).

CH 2210
38 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

En mai 2010, le CEDEP a publié un manifeste intitulé Réflexions en vue d’un système
75
éducatif plus performant pour tous les enfants , qui se termine par une série de propositions.
Relativement à notre problématique, le CEDEP veut créer un « véritable tronc commun »
jusqu’à la fin du 1er degré, prolongé progressivement jusqu’à la fin du 2e degré. Ce tronc
commun serait pluridisciplinaire et comprendrait pour tous les élèves « la musique,
les arts plastiques, l’éducation à la santé, à la citoyenneté, la gestion de la quotidienneté,
le travail technique et manuel ». Le tronc commun permettrait à chacun d’acquérir
e
les connaissances et les compétences nécessaires pour pouvoir suivre, au 3 degré, un
enseignement qualifiant ou un enseignement de transition. Le tronc commun viserait
aussi l’acquisition des connaissances et des compétences préparant à prendre des décisions
sur sa vie et à être citoyen. En outre, en parallèle avec l’acquisition de l’éventail
des compétences exigées pour tous, chaque élève pourrait découvrir et développer ses
aptitudes particulières (modules, ateliers).
La mise en place du tronc commun prôné par le CEDEP irait de pair avec la suppression
du redoublement, le dépistage précoce et la remédiation personnalisée (soit grâce à
l’intervention d’un enseignant dans la classe lorsqu’il s’agit d’un léger retard, soit grâce
à une prise en charge en dehors de la classe par un professionnel spécialisé dans le cas
d’un problème d’apprentissage plus important). Un soutien spécifique aux élèves
maîtrisant insuffisamment le français serait organisé. Le caractère compétitif et sélectif
de l’évaluation interne (réalisée par les professeurs) serait transformé en lui donnant
une portée positive et formative, poursuivant l’objectif d’évaluer ce qui est acquis et ce
qui reste à acquérir sous la forme d’un tableau de bord. L’évaluation certificative, quant
à elle, serait une évaluation externe.
Selon le CEDEP, le tronc commun ainsi repensé (formation pluridisciplinaire, activités
choisies en fonction des aptitudes propres des élèves, remédiation précoce et nouvelles
pratiques d’évaluation) permettrait d’éviter la relégation vers les filières ou les écoles
« plus faciles ». Dès lors, la formation qualifiante accueillerait des élèves maîtrisant les
compétences de base (lecture, écriture, mathématiques, langage scientifique et technique,
langues étrangères) et motivés par un choix positif pour l’apprentissage d’un métier.
L’accès à une filière qualifiante deviendrait ainsi l’objet d’une sélection positive. Les
orientations forcées, choisies par défaut, seraient éradiquées. L’enseignement technique
et professionnel retrouverait son crédit non seulement parce qu’il attirerait des jeunes
qui en ont fait le choix, mais aussi parce qu’il donnerait une formation de qualité ouvrant
sur de réels débouchés.

3.3.2. Chercheurs universitaires


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Certains chercheurs d’université s’instituent comme diffuseurs d’idée, entendant ainsi © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)
influencer les politiques scolaires et, au-delà, l’opinion des acteurs. Tel est le cas
de certains académiques de l’Université de Liège (notamment Marcel Crahay et
Dominique Lafontaine), de l’Université catholique de Louvain (les membres du Groupe
interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation (GIRSEF),

75
Réflexions en vue d’un système éducatif plus performant pour tous les enfants, mai 2010, www.cedep.be.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 39

dont Vincent Dupriez et Bernard Delvaux) et de l’Université de Mons-Hainaut (Marc


Demeuse).
Plusieurs d’entre eux ont publié des travaux sur la question du tronc commun, qui ont
parfois servi de documents de référence aux décideurs scolaires. Ainsi, il arrive que ces
derniers s’appuient directement sur des études universitaires pour justifier leur décision.
Par ailleurs, certains chercheurs ont participé occasionnellement aux travaux d’élaboration
de la Plateforme contre l’échec scolaire et en sont cosignataires (cf. supra).
De nombreuses publications des chercheurs des universités belges francophones
76
démontrent les avantages du tronc commun . Ainsi, à l’aide d’une analyse comparant
divers modes d’organisation scolaire de l’enseignement obligatoire, ils ont établi qu’un
tronc commun jusqu’à 15 ou 16 ans produit de meilleurs résultats en termes d’acquis
des élèves (à la fois une élévation du niveau moyen et une réduction des écarts de résultats
observés entre groupes sociaux). De même, ils mettent en évidence, chiffres à l’appui,
l’inefficacité pédagogique et le coût financier du redoublement (6 % du budget global
de l’enseignement en Communauté française). Ils soulignent aussi les avantages présentés
par la mixité sociale, non seulement sur le plan des résultats en termes d’acquis scolaires
mais aussi sur le plan de l’apprentissage des attitudes qui répondent à l’objectif d’une
formation citoyenne.
Ces chercheurs réfléchissent également au niveau d’exigence qui devrait être attendu
à la sortie du tronc commun pour différentes catégories d’acquis. Ainsi, dans certains
domaines considérés comme essentiels, un niveau d’excellence devrait être visé pour tous.
C’est le cas pour les compétences et les connaissances incontournables, comme par
exemple « pouvoir lire avec aisance et intelligence des textes d’un niveau de difficulté
égal à celui d’un article de journal de qualité » 77, « pouvoir jongler avec les raisonnements
et procédures mathématiques nécessaires pour résoudre les catégories de problèmes
les plus courantes dans notre société » 78 ou « être dotés des connaissances scientifiques
et citoyennes fondamentales » 79. Ces savoirs et savoir-faire sont considérés comme
une sorte de sésame culturel ouvrant la porte de la participation à la société actuelle.
Par contre, dans une série d’autres domaines, seul un niveau minimum de compétences
et de connaissance, jugé indispensable à la participation à la vie sociale, serait requis
de tous. C’est le cas par exemple de la lecture de tableaux à double entrée présentant
des données statistiques ou de l’utilisation de l’informatique. Ceci n’empêcherait pas de
viser dans ces mêmes domaines, pour certains élèves qui en ont fait le choix, un niveau
maximum.
Ces clarifications au sujet des objectifs d’apprentissage (domaines et niveaux d’acquis)
apportent un éclairage nouveau à la finalité du tronc commun. Selon la perspective
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ouverte par ces chercheurs universitaires, le tronc commun abandonnerait sa visée


uniquement instrumentale. Celle-ci, qui domine actuellement, se préoccupe avant tout © CRISP | Téléchargé le 07/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.217.45.188)

76
Cf. par exemple V. DUPRIEZ, « Tronc commun ou filières, comment organiser l’école secondaire ? »,
in D. MEURET, G. CHAPELLE (dir.), Améliorer l’école, Paris, Presses universitaires de France, 2006,
p. 231-242 ; M. CRAHAY (dir.), L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité
e
77
des acquis, 2 éd., Bruxelles, De Boeck, 2013.
M. CRAHAY, D. LAFONTAINE, « En conclusion : pistes pour une école juste et efficace », in M. CRAHAY (dir.),
78
L’école peut-elle être juste et efficace ?, op. cit., p. 358.
79
Ibidem, p. 358.
Ibidem, p. 358.

CH 2210
40 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

de la maîtrise minimum des acquis de base (les compétences-socles) et de la préparation


er
de l’orientation en fin du 1 degré de l’enseignement secondaire. Le tronc commun
allongé revêtirait dès lors une ambition nettement plus haute. En effet, il couvrirait
une plus grande variété de domaines d’apprentissage, permettant de développer les
intelligences multiples chez tous les élèves. Il miserait sur la « diversité cognitive des
individus comme une richesse sur laquelle bâtir » et sur la « lutte contre la propension
qu’a l’être humain de se rapprocher de son semblable » 80. Il viserait pour tous un niveau
élevé de maîtrise dans les domaines correspondant à des acquis de base ainsi que des
niveaux variables dans les autres domaines, étant sous-entendu que chaque élève choisirait
nécessairement l’un ou l’autre domaine pour lesquels il devra atteindre un niveau élevé
d’acquis.
S’ils défendent une refonte structurelle profonde, les chercheurs universitaires cités
ne minimisent pas pour autant les conditions pédagogiques et sociales à remplir pour
rendre possible la mise en place d’un « vrai tronc commun » (sans redoublement, sans
mécanismes de relégation et avec un niveau d’exigence élevé). Sur le plan pédagogique,
il s’agirait de gérer l’hétérogénéité des classes, de prendre en compte l’obstacle des rapports
aux savoirs des élèves distants de la culture scolaire et d’utiliser les pédagogies actives
pour les impliquer dans l’apprentissage. Sur le plan social, il s’agirait d’agir sur les
représentations des enseignants et des parents pour qu’ils adhèrent à la philosophie
politique égalitariste sous-jacente aux objectifs du « vrai tronc commun », philosophie
qui va à l’encontre des opinions dominantes actuelles. Sur le plan à la fois pédagogique
et social, s’ajouterait l’impératif d’accroître l’efficacité pédagogique des pratiques des
enseignants à l’égard des classes et des élèves « faibles », de telle sorte que ces pratiques
deviennent comparables à celles que les enseignants ont l’habitude de déployer à l’égard
des « meilleurs » élèves.

3.3.3. Groupes de réflexion à visée prospective

L’ADEPT

L’Association pour le développement d’une école pour tous (ADEPT) est due à l’initiative
conjointe de Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant de la Communauté
française (depuis 2008) et de Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de
l’enfant. L’ADEPT comprend une série d’experts et de praticiens, dont certains sont
également actifs dans des organisations socio-pédagogiques appartenant au monde
associatif. Si nous nous reportons aux cinq derniers rapports d’activités du délégué général
au droits de l’enfant, rapports qui sont présentés chaque année en janvier au Parlement
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de la Communauté française, dans le cadre de commissions réunies, nous relevons que
le rapport pour l’année 2008-2009 et celui pour l’année 2009-2010 recommandent
« d’imposer un tronc commun et d’interdire le redoublement jusqu’à l’âge de 16 ans » 81

80
81
Ibidem, p. 359.
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
aux Droits de l’enfant pour l’année 2008-2009. Rapport de commission présenté au nom de la Commission
de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse et de la Commission de l’Enfance, de la Recherche, de la Fonction
publique et des Bâtiments scolaires par H. Bayet et D. Yzerbyt, DOC 62 n° 2, 11 janvier 2010, p. 27.

CH 2210
LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 41

et plaident « pour un système complètement refondu et basé sur la solidarité et la réussite,


82
avec un tronc commun, en secondaire, plus vaste, plus long et sans redoublement » .
Ce sont ces principes qui ont inspiré le projet de création d’écoles d’un nouveau type
porté par l’ADEPT, une association mise sur pied spécialement dans ce but. Dans le
rapport 2010-2011, le projet ADEPT est présenté. Il réunit « une équipe composée de
professionnels issus de milieux divers (…) pour réfléchir à la mise en place de projets
novateurs et respectueux des droits de l’enfant » 83. Le programme devra inclure
notamment l’acquisition des compétences sociales, en langues et en technologies
nouvelles. Il concernera les enfants de 3 à 16 ans, selon un parcours en tronc commun.
84
Il s’appuiera sur des pratiques de pédagogie active excluant la compétition et l’exclusion .
L’intention de l’ADEPT est d’ouvrir le plus rapidement possible une première école de
ce type à Bruxelles en respectant tous les prescrits légaux et en faisant appel à un pouvoir
organisateur intéressé par le projet. Des contacts sont pris avec des pouvoirs communaux.
L’implantation se situera « soit sur une ligne de fracture, soit au cœur d’un quartier
populaire » 85. Il s’agit de profiter de l’opportunité que représente la nécessité de créer
de nouvelles places à cause de la pression démographique.
Les rapports annuels de 2011-2012 86 et de 2012-2013 87 font état de l’avancement du
projet ADEPT. Le rapport 2012-2013 annonce que « la rédaction d’un projet de synthèse
finale est actuellement en cours, (…) des rencontres avec des PO potentiellement intéressés
[ont] déjà démarré. Les premières réactions sont très favorables et aident aussi le groupe
à mieux cerner les écueils encore à franchir. Il est important de rappeler que pour
favoriser la reproductibilité du projet, le groupe s’est imposé de suivre au plus près
la réglementation actuelle des écoles, même s’il sera quand même inévitable de devoir
bénéficier d’adaptations spécifiques » 88.

Méta-Éduc

Un groupe de réflexion associant praticiens et chercheurs s’est réuni dans le cadre de


Méta-Éduc, Atelier d’histoire et de projet pour l’éducation. Partie d’un diagnostic des
maux de l’école secondaire, la réflexion poursuit l’objectif d’élaborer un projet complet

82
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
aux Droits de l’enfant pour l’année 2009-2010. Rapport de commission présenté par les commissions
réunies de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, la Commission de l’Enfance, de la Recherche, de la Fonction
publique et des Bâtiments scolaires et la Commission de l’Éducation par L. Tiberghien, DOC 143 n° 2,
83
12 janvier 2011, p. 12.
Parlement de la Communauté française, Rapport d’activités du délégué général de la Communauté française
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aux Droits de l’enfant pour l’année 2010-2011. Rapport de commission présenté au nom de la Commission
de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, de la Commission de l’Enfance, de la Recherche, de la Fonction publique
et des Bâtiments scolaires et de la Commission de la Culture, de l’Audiovisuel, de l’Aide à la presse, du
er
Cinéma, de la Santé et de l’Égalité des chances, par F. Reuter, DOC 274 n° 2, 1 février 2012, p. 4-5.
84
85
Ibidem, p. 5.
Ibidem. Cf. également la présentation du projet « École pour tous » : J.-P. COENEN, « L’enfant ne
doit jamais être mis en échec », Politique. Revue de débats, n° 12, novembre-décembre 2011,
86
http://politique.eu.org.
Rapport annuel 2011-2012 du délégué général de la Communauté française aux Droits de l’enfant,
Bruxelles, 2012, p. 23.
87
Rapport annuel 2012-2013 du délégué général de la Communauté française aux Droits de l’enfant,
88
Bruxelles, 2013, p. 25.
Ibidem.

CH 2210
42 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

de refondation d’une école secondaire pour des élèves de 12 ans à 15 ou 16 ans, commune
pour tous. Cette école d’un nouveau type offrirait un programme intégral couvrant
sept dimensions éducatives (apprentissages pour vivre dans une société technologique,
pour vivre dans une société démocratique et pluriculturelle, en vue du développement
cognitif, du développement artistique, du développement corporel, du développement
socio-affectif et enfin, de celui des valeurs). Un tel programme est qualifié d’« intégral »
parce qu’il associe l’ensemble des registres du développement personnel et social. Il vise
des compétences aussi variées que celles qui ont trait aux outils intellectuels de base, à
la culture générale, à l’intelligence technologique, à la gestion des émotions, à l’expression
artistique, aux aptitudes corporelles, aux relations sociales. Ce prototype d’école
s’appuierait sur une réorganisation du temps et mobiliserait différents modes de
regroupement des élèves, laissant de larges plages à la réalisation de projets collectifs,
à l’auto-apprentissage, à la recherche documentaire et à la gestion de la vie de groupe.
Les deux dernières années du secondaire seraient, beaucoup plus nettement
qu’aujourd’hui, consacrées à une orientation « spécialisée » qui, soit poserait les bases
de la formation professionnelle, soit préparerait aux études supérieures. Quelle que soit
l’orientation choisie à cette dernière étape du secondaire, la formation « spécialisée »
e
s’y déroulerait selon un rythme intensif. Une 7 année secondaire charnière pourrait
venir parachever le degré supérieur du secondaire dans une optique de maturation
du projet personnel et/ou de propédeutique, s’adressant à des élèves âgés de 17 ou 18 ans
(plus jeunes qu’aujourd’hui, en moyenne, puisqu’ils n’auraient pas redoublé) 89.
L’apport original de ce projet est de concevoir les quatre premières années du secondaire
de manière séparée des deux ou trois dernières. La fin du tronc commun serait marquée
par une rupture et correspondrait au terme d’un parcours partagé par l’ensemble d’une
classe d’âge. Si ce parcours est conçu comme obligatoirement pluridisciplinaire pour tous,
l’étape suivante se déroulerait selon différentes modalités, en fonction de l’orientation
spécialisée choisie par le jeune. Un tel changement de parcours à 16 ans est d’application
dans les pays scandinaves qui pratiquent le tronc commun pluridisciplinaire long.
La dernière étape du secondaire y est tournée nettement et sélectivement vers les futurs
différents des jeunes 90.
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89
Cette réflexion a abouti à un ouvrage dont l’intention est de susciter un large débat avec les acteurs de
terrain, autour du projet de refondation de l’enseignement secondaire (cf. F. TILMAN et alii, La mutation
90
de l’école secondaire. Questions de sens. Propositions d’action, Bruxelles, Couleur livres, 2011).
Cf. par exemple la présentation de la structure du système éducatif finlandais dans P. ROBERT,
e
La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, 3 éd., Paris, ESF, 2010, p. 29-43.

CH 2210
CONCLUSION

En guise de conclusion, nous souhaitons, d’une part, proposer une modélisation des
divers projets en présence et, d’autre part, montrer que chacun des deux groupes d’acteurs
que nous avons identifiés est inspiré par un principe qui a été au cœur de la réforme
du Rénové (à savoir, respectivement, le principe de l’égalité des chances généralisée et
le principe d’une culture plurielle et valorisant plusieurs formes d’humanisme).

« École du fondement » ou « structure unique » : deux projets distincts

Bien que tous les acteurs défendent le tronc commun et une orientation « positive »,
basée sur la réussite, vers l’une des filières spécialisées de l’enseignement secondaire
(actuellement, rappelons-le, au nombre de quatre : transition générale, transition
technique et artistique, qualification technique et artistique, qualification professionnelle),
l’analyse de leurs propositions nous conduit à modéliser deux projets différents : l’un
identifiable comme étant celui de l’« école du fondement », ralliant les partisans de
l’apport d’aménagements au système actuel, l’autre comme étant celui de la « structure
unique », défendu par les partisans d’une refonte en profondeur.
Le projet de l’« école du fondement » présente sept caractéristiques. Primo, il concerne
les six années primaires (voire l’école maternelle, que d’aucuns souhaitent rendre
obligatoire) et les deux premières années du secondaire. Secundo, il vise la réussite du
certificat du 1er degré (CE1D) qui résulte de l’évaluation de la maîtrise des compétences-
socles, c’est-à-dire des acquis de base identifiés comme le minimum requis pour la
poursuite du curriculum dans n’importe quelle filière du secondaire et justifiés aussi
parfois comme la condition de la participation aux divers rouages de la société (emploi,
consommation, vote, loisirs, etc.). Tertio, il poursuit l’égalité des acquis, entendue ici
comme le minimum d’acquis de base indispensable, et vise à accompagner chaque élève
en difficulté dans des parcours adaptés par des dispositifs d’aide et de soutien individualisé
(guidance, plan individuel d’apprentissage) mais aussi par des mesures structurelles
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prévues dans le cadre de l’instauration du 1er degré différencié. Quarto, il complète les
dispositifs de suivi des élèves en difficulté par d’autres mesures centrées sur l’orientation
de ces élèves, mesures appliquées tout au long du parcours de l’école du fondement
(déjà à l’école primaire) et se prolongeant également après, autour de la « dynamique
motivationnelle » et « dans le respect des atouts de chacun ». Les mesures de cette
« approche orientante » comprennent des activités spéciales, des stages et l’intervention
de spécialistes. Quinto, il justifie par le principe de l’égalité des chances la place centrale
accordée aux mesures d’individualisation qui privilégient, pour chaque élève en difficulté,
un travail sur son projet personnel présenté comme utile sur le plan cognitif (progrès

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dans la maîtrise des acquis de base) et bénéfique sur le plan vocationnel (formulation
d’un choix d’orientation, à concrétiser le plus souvent dans l’enseignement technique et
professionnel). Sexto, il intègre au sein même du parcours commun, dans une seule et
même logique d’accompagnement et de soutien destinée aux élèves en difficulté scolaire,
l’objectif d’apprentissage des compétences-socles et l’objectif d’orientation/sélection vers
des formations qualifiantes, en faisant correspondre cette orientation à une expérience
de réussite scolaire et à la formulation par l’élève d’un choix positif. Septimo, il conçoit
l’école comme un continuum, non seulement jusqu’à 14 ans, mais également dans
les années supérieures du secondaire, en ce qui concerne la place accordée à
l’accompagnement individualisé des apprentissages et des choix d’orientation, pour ne
laisser aucun élève faible avec un sentiment d’échec ou d’abandon.
Quant à lui, le projet de la « structure unique » se caractérise par sept éléments. Primo,
il inclut les trois, voire les quatre premières années du secondaire. Secundo, il vise un
niveau élevé des acquis de base pour tous les élèves. Tertio, il donne une place à un
programme pluridisciplinaire qui ajoute et combine à des activités d’enseignement général
classique, des activités techniques, artistiques, sportives et sociales, considérées comme
non hiérarchisées, comme instruments du développement de compétences variées,
comme riches intellectuellement et utiles socialement et donc, évaluées au même titre
que les premières pour certifier la réussite à l’issue du tronc commun. Quarto, il donne
la priorité à une égalité des acquis qui suppose des niveaux élevés de maîtrise, non
seulement dans les acquis de base, mais aussi dans l’un ou l’autre domaine privilégié en
fonction du choix individuel des élèves. Quinto, il remet en question la préoccupation
méritocratique et son principe d’égalité des chances, en basant sa critique sur le fait que
cette préoccupation et ce principe, formellement vertueux, justifient et nourrissent en
réalité les processus de la relégation et de l’orientation « négative » se déroulant en cascade
à travers les structures actuelles de l’école secondaire. Sexto, il postpose le choix vers
une filière spécialisée et le situe après le tronc commun, à l’entrée dans le secondaire
supérieur. Septimo, il admet que, après le tronc commun allongé, prenne place une rupture
nette et que joue alors (et alors seulement) un processus de sélection explicite lorsque
les élèves de 16 ans doivent prendre une orientation déterminant leur avenir, en termes
d’études supérieures ou de formation professionnelle, en empruntant des voies qui sont
nettement spécialisées sans être rigides pour autant (grâce à un système de passerelles).
Dans cette modélisation des deux projets, nous avons mis l’accent sur les éléments de
contraste qui les séparent nettement. Les positions des différents acteurs relevant d’un
même projet ainsi modélisé se démarquent aussi entre elles par des nuances, voire par
de franches différences. L’analyse détaillée des diverses positions en a largement rendu
compte. Inversement, certains traits sont communs aux deux projets et font donc l’objet
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d’une sorte de consensus implicite entre les deux groupes d’acteurs.
Ces points de convergence sont au nombre de sept. Primo, la nécessité de relever le niveau
moyen des acquis de base à 14 ans et de diminuer les écarts des acquis entre les élèves,
selon les écoles ou les groupes sociaux. Secundo, la nécessité d’épreuves externes (ou du
moins standardisées) pour vérifier et certifier les acquis. Tertio, l’urgence de contrecarrer
les mécanismes de relégation scolaire et d’orientation par l’échec. Quarto, le souhait de
revaloriser l’orientation dans l’enseignement technique et professionnel et d’accroître
la valeur des études suivies dans ces enseignements. Quinto, la préférence pour
l’organisation d’établissements scolaires autonomes se consacrant exclusivement au tronc

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LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 45

commun, en vue de rendre celui-ci plus mixte et plus ouvert, à la fois scolairement et
socialement. Sexto, le bien-fondé des moyens supplémentaires accordés aux établissements
scolaires selon le profil socio-économique de leur public (pour autant que les moyens
des établissements non concernés ne diminuent pas). Septimo, l’intérêt d’une marge
laissée aux choix personnels des élèves durant le tronc commun, permettant à ceux-ci
de privilégier certaines activités où ils pourront pousser plus loin, avec succès, le
développement d’une facette d’eux-mêmes.

La filiation à l’imaginaire de l’enseignement secondaire rénové

Chacun des deux projets que nous venons de modéliser présente une filiation avec un des
principes qui a été à la base de la grande réforme du Rénové au début des années 1970.
Ainsi, les partisans de l’« école du fondement » nous semblent se situer dans le sillage
du principe de l’égalité des chances généralisée. Selon ce principe, le Rénové voulait mettre
tous les élèves sur la ligne de départ de l’enseignement secondaire avec les mêmes chances
d’accès et de participation à la compétition scolaire. Le principe de justice est le principe
méritocratique : les aptitudes et les motivations individuelles seules peuvent départager
les élèves entre eux et justifier leur orientation dans telle ou telle voie spécialisée. En aucun
cas, l’origine sociale ne peut constituer un facteur influençant les parcours individuels
à travers le système hiérarchisé des options et des filières du secondaire.
Dans la réalité, la séparation des facteurs sociaux et des facteurs individuels s’est toutefois
avérée constituer une mission impossible. En outre, un effet pervers s’est développé en
sens contraire, à savoir la relégation scolaire et la sélection sociale interne : les enfants des
milieux modestes ont statistiquement été plus souvent touchés par le redoublement et
l’orientation par l’échec. Ces mécanismes de sélection sociale interne, dus au fait que
les structures hiérarchisées du secondaire fonctionnent comme un tamis, ont été dénoncés
dès les années 1970. Depuis lors, de nombreux acteurs n’ont eu de cesse de tenter
de réparer, de colmater et de corriger les brèches du système. Leurs actions ont visé
à supprimer ou au moins à diminuer la fuite d’élèves hors des « bonnes » filières
selon une logique non conforme au principe méritocratique. La préoccupation
d’accompagnement des élèves fragiles et en difficulté rejoint l’objectif de lutter contre
cette injustice scolaire par la remédiation. Aujourd’hui, le contexte a cependant changé.
Les élèves dits « en difficulté » sont captifs du système puisque l’obligation scolaire les
contraint à fréquenter l’école jusqu’à leur majorité légale. Démotivation, absentéisme,
décrochage sont monnaie courante dans les options de l’enseignement technique et
professionnel recueillant les accidentés du parcours scolaire. L’accompagnement préconisé
par les tenants de l’« école du fondement » va donc plus loin que la seule correction de
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l’inéquité dans les acquis d’apprentissages grâce aux dispositifs de remédiation. Il implique
en outre une guidance de type psycho-social qui, quant à elle, relève plus de l’aide sociale
que du travail pédagogique.
De leur côté, les partisans de la « structure unique » nous apparaissent comme les héritiers
du principe de la culture plurielle et de la valorisation de différentes formes d’excellence
qui trouvent à s’exprimer et à se réaliser, de manière (supposée) non hiérarchisée, non
seulement dans les domaines littéraires et scientifiques, mais aussi dans ceux des sciences
humaines, des technologies, des savoir-faire professionnels, des activités artistiques, du
développement corporel et du sport, etc. Ce principe a abouti, à l’époque de l’instauration

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46 LE TRONC COMMUN DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

du Rénové, à remettre en question la supériorité absolue et plus que séculaire des


humanités gréco-latines. Selon ce principe, les Trente Glorieuses offraient l’opportunité
de donner enfin leurs lettres de noblesse aux humanités techniques et invitaient à élargir
les humanités modernes en y intégrant certains éléments de la culture de masse et de
la société des loisirs (éducation aux mass-médias, éducation du consommateur, analyse
de la presse et de l’actualité, enquêtes de société, etc.).
Tous les acteurs qui appellent à une refonte en profondeur du tronc commun préconisent
un programme d’activités pluridisciplinaires dont les différentes facettes déborderaient
er
largement du programme actuel du 1 degré commun, dominé par les cours généraux.
Ces domaines pluridisciplinaires seraient tous évalués de manière non hiérarchisée. Dans
l’un ou l’autre domaine privilégié, les élèves pourraient (devraient) développer un haut
niveau de compétences et ainsi y faire l’expérience de la réussite. Le pari de ces acteurs
est que la réussite dans un domaine d’activités soit transférable en partie vers la réussite
dans un autre.
Plusieurs des acteurs partisans d’aménagements des structures actuelles privilégient
une approche personnalisante, voire psycho-sociale, des parcours des élèves à travers
un 1er degré qui serait pour certains élèves (sans problème) plus commun que différencié
et pour d’autres élèves (en difficulté scolaire), plus différencié que commun. De leur
côté, les acteurs qui souhaitent une refonte en profondeur du tronc commun défendent
une approche résolument collective et un traitement avant tout pédagogique de l’ensemble
des élèves aux divers profils d’intelligences qui, de leur point de vue, ont tout intérêt à
se côtoyer et à se confronter, sur les mêmes bancs et dans les mêmes classes, à la fois
pour des raisons cognitives et pour des raisons citoyennes. C’est sans doute le fait qu’elle
suscite des craintes tant du côté des enseignants que de celui des parents, qui explique
que l’option pour le traitement pédagogique et collectif de la diversité des élèves soit
relativement peu partagée à l’heure actuelle. De son côté, le choix pour le traitement
psycho-social et l’accompagnement individualisé des parcours problématiques, sous
couvert d’« orientation positive », apparaît inscrit dans l’air du temps et rallie dès lors
plus facilement les suffrages de l’opinion publique.
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