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La transition énergétique

Fabienne Collard
Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2016/36 (n° 2321), pages 5 à 44
Éditions CRISP
ISSN 0008-9664
DOI 10.3917/cris.2321.0005
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Courrier hebdomadaire
n° 2321 • 2016

La transition énergétique

Fabienne Collard
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Rédacteur en chef : Cédric Istasse
Assistante éditoriale : Fanny Giltaire

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Tous droits de traduction, d’adaptation ou de reproduction par tous procédés,


y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous pays.
ISSN 0008 9664
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 5

1. LES ENJEUX 6

2. LES CONTRAINTES 8

3. LES ACTEURS 10
3.1. Les producteurs et les fournisseurs 10
3.1.1. La part du renouvelable 11
3.1.2. L’importance des groupes étrangers 12
3.1.3. L’image et la rentabilité 14
3.2. Les gestionnaires de réseau 16
3.2.1. Les gestionnaires de réseau de transport 18
3.2.2. Les gestionnaires de réseau de distribution 20
3.2.3. Perspectives 21
3.3. Les clients finaux 22
3.3.1. Les particuliers 22
3.3.2. Les clients industriels 32
3.4. Les régulateurs 35

4. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES 37

CONCLUSION 40
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INTRODUCTION

Développer une politique énergétique efficace et cohérente, quelle que soit l’équation de
départ (ressources, localisation, moyens), nécessite un effort d’anticipation considérable
et une volonté d’imprimer pour le long terme les choix qui seront posés. Depuis une
dizaine d’années, le concept de transition énergétique est de plus en plus utilisé dans le
langage politique, notamment en Europe. Pionnière en la matière, l’Allemagne a, dès le
début des années 2000, employé l’expression de « tournant énergétique ». Dans les grandes
lignes, une telle transition passe par une révision du mix énergétique dont dispose un pays
afin de diminuer la part des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables.
Cependant, cette volonté de transition énergétique et, par conséquent, les politiques
menées pour mettre une telle évolution en place se heurtent à une série de difficultés qui
auraient davantage tendance à consacrer un certain immobilisme. En matière de politique
énergétique, et plus particulièrement en ce qui concerne les questions liées à la fourniture
d’électricité (un secteur qui a évolué davantage que celui du chauffage ou celui du
transport), les enjeux, les contraintes et les acteurs sont multiples, ce qui complique
considérablement l’équation globale.
Le présent Courrier hebdomadaire s’inscrit dans une série plus large, consacrée au secteur
de l’énergie et à ses développements 1. Sans avoir la prétention d’être exhaustive, cette étude
cherche à prendre le recul nécessaire pour comprendre la complexité de l’équation
énergétique en place en Belgique, équation qui est soumise aux premiers effets de la
transition énergétique, ainsi qu’aux mutations et défis que celle-ci implique et aux
contraintes qu’elle rencontre.
Nous aborderons dès lors cette problématique en quatre chapitres. Les trois premiers
présenteront respectivement les enjeux, les contraintes et les différents acteurs liés à la
politique énergétique, tandis que le quatrième et dernier chapitre abordera la question
de la répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoir.
La situation dépeinte dans le présent Courrier hebdomadaire est celle arrêtée à la mi-
avril 2017.
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1
Cf. F. COLLARD, « Les énergies renouvelables », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2252-2253, 2015.

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1. LES ENJEUX

Les grands enjeux d’une politique énergétique efficace sont au nombre de quatre.
Le premier d’entre eux consiste dans la nécessité d’assurer un approvisionnement adéquat
tout au long de l’année. Or le système électrique fonctionne à flux tendu, ce qui implique
qu’offre et demande d’électricité doivent à tout moment correspondre l’une à l’autre,
malgré les pics de consommation (généralement enregistrés le soir et le matin, ainsi qu’en
hiver où les besoins en chauffage sont plus importants). Il s’agit donc de s’assurer que
le mix énergétique en place, avec des facilités d’exploitation et une flexibilité différentes
en fonction de la source d’énergie utilisée (nucléaire, gaz, renouvelable), permette de
rencontrer la demande en électricité, sachant que les solutions de stockage sont pour
l’instant encore marginales.
Un deuxième enjeu lié à la politique énergétique d’un État concerne l’autonomie dont
celui-ci peut plus ou moins jouir en la matière. Le profil d’un pays n’est pas celui d’un
autre. Il dépend des ressources propres de ce pays, des infrastructures qu’il a mises en
place pour assurer son approvisionnement, mais également de sa situation géographique
et des capacités d’exportation et d’importation d’électricité de ses voisins directs. Cela
étant, importer de l’électricité a un coût, car cette solution repose sur des négociations
avec les pays exportateurs, en fonction de la capacité technique d’importation d’un pays
et de la disponibilité des réserves de production dans les pays voisins.
D’un point de vue économique, la question de l’autonomie, en matière d’énergie, est donc
un enjeu important. Mais un autre enjeu découle encore de la politique énergétique menée
par un État. Ce troisième enjeu est écologique ou à tout le moins climatique, avec des
objectifs imposés aux États par l’Union européenne, notamment les « 3x20 » en 2009, ou
au niveau mondial, avec la tenue à Paris, fin 2015, de la COP21, la Conférence mondiale
des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
(CCNUCC). Par ailleurs, un changement de discours s’est également amorcé chez les
producteurs et fournisseurs d’énergie eux-mêmes, à l’image d’Isabelle Kocher, la nouvelle
directrice générale du groupe français Engie, pour qui la baisse du coût du renouvelable
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et l’évolution des possibilités de stockage impliquent aujourd’hui le besoin de repenser © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
le système énergétique mondial. Selon elle, les investissements que sélectionne le groupe
énergétique aujourd’hui sont quasiment tous dans le renouvelable 2.
Enfin, la politique énergétique influence le prix de l’électricité. En Belgique, ceci s’opère
par le biais des prélèvements fédéraux ou locaux, de taxes et de la taxe sur la valeur ajoutée
(TVA), des frais des gestionnaires de réseau de transport d’électricité, des frais des

2
L’Écho, 26 février 2016.

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gestionnaires de réseau de distribution, ainsi que du soutien aux énergies renouvelables


via le système des certificats verts. Ces différentes composantes viennent gonfler la facture
adressée par les fournisseurs aux consommateurs, bien au-delà du coût de l’énergie elle-
même. La composante énergie ne représentant plus aujourd’hui en Belgique qu’entre
25 % et 35 % de la facture des consommateurs (cf. infra), l’évolution des autres variables
incarne un quatrième et dernier enjeu important : celui de conserver le coût de l’électricité
à un niveau abordable pour le particulier, économiquement rentable pour les industriels,
tout en permettant au système complexe de production, de transport et de fourniture
de l’électricité de rester opérationnel.
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2. LES CONTRAINTES

La politique énergétique d’un État doit tenir compte d’une série de contraintes qui
s’avèrent différentes selon les sources d’énergie exploitées, notamment celles pouvant
produire de l’électricité. Si les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) ont permis le
développement industriel à grande échelle de certaines régions du monde, elles ne sont
pas renouvelables et existent en quantités limitées. Ceci implique notamment que leur
prix est lié à leur disponibilité mais aussi à leur éventuelle raréfaction 3. La combustion
des énergies fossiles entraîne par ailleurs l’émission de gaz à effet de serre et leur sur-
utilisation est à l’origine aujourd’hui de dérèglements climatiques. Par comparaison,
les centrales au charbon sont plus rentables que les centrales au gaz mais elles sont aussi
bien plus polluantes ; en 2014, elles représentaient encore, selon les chiffres de l’Agence
internationale de l’énergie (AIE), 41 % de la production d’énergie (électricité, chauffage
et transport) au plan mondial. En Europe, le message prôné semble être celui de réduire
progressivement l’utilisation de ce type d’énergie. Par exemple, après avoir été très critiquée
sur le sujet, l’Allemagne a offert une compensation financière à plusieurs énergéticiens,
fin 2015, en contrepartie de la fermeture de certaines vieilles centrales au charbon.
Pour autant, l’Allemagne reste encore fortement tributaire, énergétiquement et
économiquement, de l’exploitation de ses centrales au charbon. Le Royaume-Uni ou
la Pologne sont également montrés du doigt. Sans compter que ces centrales sont
parfois subsidiées par les États.
Le nucléaire présente d’autres contraintes. En Europe, dans les années 1950, les six
pays fondateurs de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom :
Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) ont cherché
dans l’exploitation du nucléaire un moyen de parvenir à l’indépendance énergétique.
Depuis lors, ils ont été rejoints dans cette volonté par l’ensemble des pays membres de
l’Union européenne. La volonté de parvenir à l’indépendance sur le plan énergétique
a été renforcée dans les années 1970, suite au choc pétrolier et à l’envolée du prix de l’or
noir. Mais aujourd’hui, les pressions pour un abandon du nucléaire sont beaucoup
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plus fortes qu’à l’époque. En effet, si les défenseurs de l’atome brandissent l’argument
d’une source d’énergie peu coûteuse et propre, dans le sens où elle ne rejette pas de gaz à
effet de serre, ses détracteurs nuancent cet élément, arguant que du CO2 est relâché lors
de l’extraction de l’uranium ou de la construction et du démantèlement des centrales.
Surtout, les centrales nucléaires sont indissociables des préoccupations liées à la sécurité

3
Cette préoccupation est sans doute moins d’actualité aujourd’hui, du fait du ralentissement mondial
de l’économie ces dernières années et de l’apparition de nouvelles sources telles que les gisements de
gaz de schiste.

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des infrastructures ainsi qu’à la question du traitement des déchets nucléaires. Les ombres
de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011) planent encore. Si l’Allemagne s’est très
clairement inscrite dans un processus de démantèlement progressif de ses centrales
nucléaires, la France, malgré quelques déclarations d’intention, reste, avec ses 58 réacteurs
(assurant 78 % de l’électricité consommée par les Français), l’un des pays les plus
dépendants de ce type d’énergie au niveau mondial.
Quant à la Belgique, elle a adopté en 2003, à l’époque du gouvernement Verhofstadt I
(VLD/PS/Fédération PRL FDF MCC/SP/Écolo/Agalev), une loi de sortie progressive du
4 5
nucléaire, avec un programme de fermeture de ses sept réacteurs allant jusqu’en 2025 .
Toutefois, le gouvernement Di Rupo (PS/CD&V/MR/SP.A/Open VLD/CDH) a décidé
6
en 2013 de prolonger pour dix ans Tihange 1 , tandis que, en 2015, le gouvernement
7
Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) a fait de même pour Doel 1 et Doel 2 .
Reste encore la question des énergies renouvelables. Un peu partout dans le monde,
celles-ci ont connu un développement régulier depuis le début des années 2000. Au sein
de l’Union européenne, des objectifs ont été fixés pour chaque État membre afin de
faciliter l’implantation des énergies renouvelables. Perçu comme une source d’énergie
verte, même si là également les détracteurs opposent des nuances à cette idée, le
renouvelable assure une certaine autonomie de l’approvisionnement en électricité et offre
des opportunités de développement économique au niveau local. Cependant, son arrivée
massive sur les réseaux électriques a également contribué à créer certains déséquilibres.
Les énergies renouvelables intermittentes, telles que le photovoltaïque ou l’éolien, n’ont
pas un rendement constant et prévisible, puisqu’elles dépendent de l’intensité du soleil ou
du vent, qui fluctue au cours de l’année. Ce manque de flexibilité doit être compensé par
le recours à la production d’électricité provenant des centrales au gaz, essentiellement,
qui sont davantage mobilisables dans ce type de configuration que les centrales nucléaires
(que l’on ne peut pas activer ou éteindre dans un laps de temps réduit). Or les centrales
au gaz font aujourd’hui face à des problèmes de rentabilité, notamment parce que le
recours accru aux énergies renouvelables a influencé à la baisse le prix de l’électricité
(la composante énergétique du prix imposé aux consommateurs). Le développement des
énergies renouvelables implique également une nouvelle organisation du réseau, davantage
décentralisée que par le passé, ce qui entraîne des coûts supplémentaires, ainsi que des
aménagements à mettre en place par les services de distribution. À tous les échelons,
l’intégration au réseau de davantage d’énergie d’origine renouvelable nécessitera une
flexibilité accrue.

4
5
Doel 1, 2, 3 et 4, et Tihange 1, 2 et 3.
Loi du 31 janvier sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle
d’électricité, Moniteur belge, 28 février 2003. Cf. aussi Loi du 11 avril 2003 sur les provisions constituées
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pour le démantèlement des centrales nucléaires et pour la gestion des matières fissiles irradiées dans
6
ces centrales, Moniteur belge, 17 juillet 2003.
Loi du 18 décembre 2013 modifiant la loi du 31 janvier 2003 sur la sortie progressive de l’énergie
nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité et modifiant la loi du 11 avril 2003 sur les
provisions constituées pour le démantèlement des centrales nucléaires et pour la gestion des matières
fissiles irradiées dans ces centrales, Moniteur belge, 24 décembre 2013.
7
Loi du 28 juin 2015 modifiant la loi du 31 janvier 2003 sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire
à des fins de production industrielle d’électricité afin de garantir la sécurité d’approvisionnement sur
le plan énergétique, Moniteur belge, 6 juillet 2015. Cf. aussi Loi du 12 juin 2016 modifiant la loi du
31 janvier 2003 sur la sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle
d’électricité, en vue de la fixation de la redevance annuelle due pour la prolongation des centrales nucléaires
Doel 1 et Doel 2, Moniteur belge, 22 juin 2016.

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3. LES ACTEURS

La politique énergétique, et plus particulièrement la politique électrique, concerne et


implique un nombre important d’acteurs. Ceux-ci poursuivent des objectifs différents
et sont soumis à des intérêts parfois divergents : producteurs, fournisseurs, gestionnaires
8
de réseau de transport, gestionnaires de réseau de distribution, régulateurs , facilitateurs,
consommateurs industriels, particuliers, etc. Sans oublier le fossé qui oppose, de manière
plus générale, les défenseurs du gris (le fossile et le nucléaire) et les défenseurs du vert
(le renouvelable). Parler d’énergie, c’est débattre d’enjeux économiques, écologiques
ou même philosophiques. Les crispations sont nombreuses et les points d’accord sont
difficiles à trouver.

3.1. LES PRODUCTEURS ET LES FOURNISSEURS

La transition énergétique entamée en Europe vise un glissement de la production d’énergie


à partir de ressources traditionnelles (énergies fossiles et nucléaire) vers une production
davantage – voire essentiellement – d’origine renouvelable. Dans ce cadre, une série
d’adaptations et d’investissements doivent intervenir par rapport au mix énergétique
d’origine 9. Pour inciter les acteurs privés à mettre en place ces investissements, les
politiques adoptées se heurtent à un véritable casse-tête, un travail d’équilibriste entre
les intérêts parfois opposés des différents intervenants dans l’équation énergétique
(producteurs, fournisseurs, gestionnaires de réseau, régulateurs, clients finaux). Cela est
particulièrement vrai dans l’équation électrique, où on observe à ce jour les plus grands
développements (l’essor de l’énergie électrique pouvant lui-même avoir des répercussions
sur d’autres secteurs consommateurs d’énergie, tel celui des transports). Ces politiques
ont-elles eu une réelle influence sur la stratégie des fournisseurs d’électricité ou ceux-ci
se sont-ils juste conformés aux normes imposées ?
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Souvent, ces fournisseurs sont également producteurs d’électricité – mais dans des
proportions variables. En Belgique, le soutien au renouvelable a pris les traits du

8
Les régulateurs n’ont pas d’intérêts propres, hormis celui de concilier au mieux les intérêts de toutes
9
les parties.
On appelle mix énergétique la répartition des différentes sources d’énergie primaire (d’origine fossile,
nucléaire, renouvelable ou utilisant des déchets) dans la consommation énergétique finale d’une zone
géographique donnée. Ces énergies primaires sont utilisées pour produire de l’électricité, des carburants
pour les transports, de la chaleur ou du froid pour l’habitat ou l’industrie. Cf. F. COLLARD, « Les énergies
renouvelables », op. cit.

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LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 11

mécanisme des certificats verts. Chaque fournisseur est contraint de proposer à ses clients
une proportion déterminée d’électricité verte, attestée par un certain nombre de certificats.
Pour un fournisseur, il est dès lors intéressant de produire lui-même l’énergie verte
qu’il fournit. Mais pour atteindre le nombre de certificats verts qui lui est imposé, un
fournisseur peut également en acquérir auprès d’autres producteurs d’électricité verte.
Même si les systèmes de soutien diffèrent dans les autres pays, ce type d’incitant est
également d’application ailleurs en Europe.
Cependant, se doter de capacités de production d’énergie verte ou réorienter ses capacités
de production dans le secteur du renouvelable a bien entendu un coût et nécessite du
temps. De manière générale, la stratégie des fournisseurs d’électricité, en particulier les
acteurs historiques, oscille dès lors entre la protection de leurs acquis, dans le nucléaire
ou les centrales traditionnelles, par exemple, et la prise en compte de l’arrivée du
renouvelable. Celui-ci n’occupe, du moins pour les plus grands groupes, qu’une part
encore modérée de la production, mais il est souvent la cible des nouveaux investissements,
au détriment de ceux destinés aux centrales au gaz, devenues comparativement moins
rentables et qui doivent désormais compter sur un recours aux appels d’offre publics
pour d’éventuelles réouvertures. À côté d’eux, des fournisseurs de taille plus réduite
apparaissent ou se développent.

3.1.1. La part du renouvelable

Quel poids occupe aujourd’hui le renouvelable dans la fourniture d’électricité en Belgique ?


Greenpeace a procédé à l’examen des 21 fournisseurs d’électricité actifs dans le pays
10
afin d’en proposer un profil complet sous l’angle de leur identité verte . Pour rappel,
les fournisseurs sont des opérateurs privés qui établissent avec les consommateurs un
contrat de fourniture et qui leur adressent la facture pour l’électricité consommée. Ces
fournisseurs produisent – ils sont alors également producteurs – ou achètent l’électricité
qu’ils fournissent à leurs clients. Ainsi, Electrabel, et plus largement le groupe industriel
français Engie (anciennement GDF Suez), son unique actionnaire, produit 100 % de
l’électricité qu’il fournit. Il en va de même pour EDF Luminus, majoritairement détenu
par l’établissement public Électricité de France (EDF). Par contre, Lampiris, aujourd’hui
aux mains de l’entreprise française privée Total SA, ne produit que 22 % de l’électricité
qu’il fournit (à partir de l’éolien et d’un barrage hydroélectrique).
Dans sa comparaison, Greenpeace estime que toute électricité verte ne se vaut pas.
Greenpeace reproche ainsi à Lampiris de favoriser une production d’électricité en
provenance d’incinérateurs et de biomasse et de consentir très peu d’investissements
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dans l’éolien et le photovoltaïque, sources d’énergie moins polluantes que les deux
premières. Au-delà de ces considérations sur ce qui différencie l’énergie « verte » de
l’énergie « totalement verte », le classement qu’opère Greenpeace distingue d’un côté
les tout bons élèves, de petites sociétés coopératives, et de l’autre les mauvais élèves,
souvent filiales de grands groupes énergétiques. Les trois coopératives belges que
Greenpeace place en tête de classement en ce qui concerne la fourniture d’énergie verte
sont le Comptoir citoyen des énergies (COCITER, actif en Wallonie, producteur à 100 %,

10
Les informations délivrées par Greenpeace se retrouvent sur le site Internet http://monelectriciteverte.be.

CH 2321
12 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

énergie d’origine éolienne), Ecopower (actif en Flandre, producteur à 82 %, essentiellement


en éolien mais également en photovoltaïque et, très minoritairement, en hydraulique
et en biomasse) et Wase Wind (dont le rayonnement est, comme pour les deux autres,
très local).
Cette observation amène à un premier constat : le nombre de clients à fournir doit être
pris en compte dans l’analyse. Ainsi, les coopératives alimentent un nombre relativement
limité de consommateurs finaux. En revanche, une société comme Lampiris, par exemple,
qui se revendique 100 % verte mais ne l’est pas aux yeux de Greenpeace, ne peut alimenter
l’ensemble de sa clientèle grâce aux seuls partenariats qu’elle a noués avec des producteurs
verts locaux. Pour le reste, la société achète dès lors de l’électricité sur le marché de
l’énergie, mais l’origine de celle-ci n’est pas formellement connue. Et pour se prévaloir
d’une énergie 100 % verte, Lampiris rachète à des producteurs d’énergie renouvelable
européens des labels de garantie d’origine.
Actuellement, sur la base du mix énergétique en place en Belgique, il est impossible de
fournir l’ensemble de la clientèle belge en électricité grâce à la seule production d’énergie
renouvelable. Fin mars 2016, des coopératives vertes telles qu’Ecopower ou Wase Wind
ne représentaient que, respectivement, 1,23 % et 0,07 % des parts de marché des
fournisseurs d’électricité en Flandre 11, contre 5,69 % pour Lampiris. Mais celui-ci est
également présent en Wallonie (11,16 % des parts de marché) et en région de Bruxelles-
Capitale (15,16 %), ce qui n’est pas le cas des deux coopératives précitées.

3.1.2. L’importance des groupes étrangers

La majorité des parts de marché de la fourniture d’électricité en Belgique reste aux mains
de deux filiales de groupes français : Electrabel (2,78 millions de clients, société liée au
groupe Engie) et EDF Luminus (1,8 million de clients, société liée au groupe EDF).
Les deux groupes ont pour actionnaire majoritaire l’État français.
Fin mars 2016, Electrabel représentait 48,63 % des parts de marché des fournisseurs
d’électricité en Wallonie, 68,08 % à Bruxelles et 41,44 % en Flandre. Le groupe Engie
produit l’entièreté de l’électricité qu’il fournit. Selon l’étude menée par Greenpeace,
celle-ci provient de centrales au gaz (33 %), de centrales nucléaires (28 %), de centrales
au charbon (19 %), ainsi que des énergies renouvelables (18 %) et de la biomasse (2 %).
En Europe, les investissements d’Engie sont encore fortement liés au nucléaire (59 %),
essentiellement pour le prolongement de certaines centrales existantes, en Belgique
notamment (Tihange 1, en copropriété avec EDF, Doel 1 et Doel 2), mais également dans
de nouveaux projets. C’est le cas du projet de centrale nucléaire à Sellafield, au Royaume-
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Uni, où Engie est associé au japonais Toshiba à travers le consortium NuGeneration
(NuGen). Engie investit également de plus en plus dans le renouvelable, et notamment
dans l’éolien belge, avec la volonté d’en doubler la capacité d’ici 2020 : Electrabel passerait
ainsi d’une capacité de production de 200 MW en 2016 à 400 MW en 2020 pour l’éolien.
Pour significative qu’elle soit, cette évolution est cependant à comparer à sa capacité totale

11
Les chiffres concernant les parts de marché par région des différents fournisseurs d’électricité ont été
calculés sur la base des points d’accès aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD) et sont issus
de CREG, « Tableau de bord mensuel électricité et gaz naturel », septembre 2016, www.creg.info.

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de production, essentiellement d’origine nucléaire, qui s’élève actuellement à 9 350 MW


en Belgique.
De son côté, EDF Luminus, détenu à presque 69 % par le groupe français EDF, concentre
23,20 % des parts de marché des fournisseurs d’électricité en Wallonie, 15,16 % à Bruxelles
et 21,01 % en Flandre. EDF Luminus détient la propriété, à parts égales avec Electrabel, de
12
Tihange 1 , ainsi qu’un nombre important de centrales électriques au gaz, pour une
capacité installée totale de presque 2 000 MW. En Belgique, l’entreprise investit elle aussi
de manière non négligeable dans l’éolien, dans le cadre du projet C-Power notamment, un
parc éolien off-shore au large d’Ostende raccordé au réseau belge en 2013. Actuellement,
EDF Luminus compte en Belgique une capacité de production de 254 MW à partir de
l’énergie éolienne (devant Electrabel, donc) et entend atteindre les 600 MW en 2023.
Si EDF Luminus investit fortement dans l’éolien en Belgique, le groupe EDF reste quant à
lui fort attaché au maintien, et même au développement de l’énergie nucléaire. Il exploite
notamment l’intégralité des 58 réacteurs nucléaires du réseau français, le deuxième plus
important au monde derrière celui des États-Unis. Le groupe français est également
impliqué dans la construction de réacteurs pressurisés (Evolutionary Power Reactor, EPR),
des réacteurs nucléaires de nouvelle génération, à Flamanville (France), Olkiluoto
(Finlande) et Taishan (Chine). D’autres projets de ce type doivent également voir le jour,
notamment à Hinkley Point (Royaume-Uni) et à Jaitapur (Inde). Cette orientation n’est
pas sans poser quelques difficultés financières à EDF, car la construction des EPR en
France et en Finlande a pris beaucoup de retard. En outre, à cela s’ajoutent la prise en
charge de la rénovation du parc nucléaire français et le rachat d’une partie des activités
d’Areva (groupe français également, spécialisé dans l’exploitation de l’énergie nucléaire).
Le classement opéré par Greenpeace concerne également les autres fournisseurs. Certains
(Energie 2030, Eneco, etc.) s’avèrent proches de la logique verte mais locale adoptée par
les coopératives, tandis que d’autres (Octa+, Belpower, etc.) s’inscrivent plutôt dans
l’optique défendue par les filiales des opérateurs historiques, avec une clientèle plus
importante et des sources de production moins vertes.
Enfin, même s’ils ne concernent qu’une part relativement modeste de la fourniture
d’électricité en Belgique, il est également intéressant d’évoquer la situation de trois gros
acteurs en Europe : l’italien ENI et les allemands E.ON et RWE (actionnaire du fournisseur
belge Essent).
La stratégie du groupe Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), derrière lequel on retrouve
l’État italien comme actionnaire majoritaire, tient elle aussi compte du renouvelable,
puisque son intention est de s’illustrer dans l’exploitation de l’énergie solaire, même
si ce groupe reste pour l’instant très fortement lié aux énergies fossiles. ENI est
essentiellement actif à l’échelle mondiale dans le domaine de l’extraction de pétrole et
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de gaz, du transport, du commerce et de la livraison aux particuliers et aux entreprises. © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
La situation allemande, où la transition énergétique est davantage devenue une réalité
qu’ailleurs en Europe, est un cas à part. Dans ce contexte, les quatre principaux
fournisseurs d’électricité que compte le pays – E.ON, Rheinisch-Westfälisches
Elektrizitätswerk (RWE), Energie Baden-Württemberg (EnBW) et le suédois Vattenfall –

12
Electrabel est l’exploitant des réacteurs nucléaires Tihange 2 et 3 et Doel 3 et 4, dont EDF Luminus
possède 10 % des participations.

CH 2321
14 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

doivent faire face à une évolution similaire : d’importants problèmes de rentabilité qui
amènent à une réorganisation des activités au détriment du fossile et en faveur du
renouvelable. La politique allemande – l’Energiewende, qui a fait le pari clair de la
transition – et l’importance des lobbies en faveur du renouvelable sur le sol allemand
jouent ici un rôle non négligeable sur la stratégie des groupes énergétiques. Les difficultés
que ceux-ci ont rencontrées sont nées de la fermeture progressive de leurs centrales
nucléaires, selon les vœux de la politique allemande (accentués au lendemain de l’accident
nucléaire de Fukushima, en mars 2011), à laquelle s’est ensuite ajoutée une forte
dépréciation de leurs centrales au gaz, qui souffrent de la concurrence avec le
renouvelable, d’une demande d’électricité en baisse et de la chute des prix de gros sur
le marché de l’électricité. Devant faire face à des difficultés financières importantes, les
énergéticiens allemands ont mis en place des programmes de restructuration importants.
À la fin de l’année 2014, E.ON a décidé de rassembler ses activités conventionnelles
(ses centrales au gaz et au charbon, et les activités de courtage d’énergie et de production
de gaz naturel) dans une société séparée, Uniper, qui a été mise en bourse en octobre 2016.
Il s’agit d’une sorte de bad bank des activités menées par le groupe. E.ON estime ainsi
13
nécessaire de distinguer les activités associées au passé (le nucléaire et le fossile) et les
activités jugées d’avenir (le renouvelable, la gestion de réseau et les services). Si la
décision radicale d’E.ON a surpris nombre d’observateurs fin 2014, le groupe avait
pourtant préparé le terrain en investissant 10 milliards d’euros dans les énergies
renouvelables au cours des dix années précédant son annonce.
Les concurrents d’E.ON actifs en Allemagne sont dans la même situation : cessions d’actifs,
mesures d’économies, fermetures de centrales déficitaires, dépréciations d’actifs se chiffrant
en milliards d’euros. Ainsi, RWE a rassemblé ses activités les plus porteuses dans Innogy,
sa filiale dédiée au renouvelable, à la gestion de réseau et à la distribution, au sein de
laquelle on retrouve Essent, le fournisseur belge filiale du groupe allemand. Quant à
Vattenfall, il s’est séparé de ses centrales au charbon et de ses mines de lignite, rentables
mais très polluantes, car ces activités n’entrent plus dans la stratégie du groupe scandinave,
qui veut verdir son image. Et il n’est pas le seul.

3.1.3. L’image et la rentabilité

Quel que soit leur historique, quelle que soit leur taille, et que ce soit une option exclusive
ou combinée à d’autres développements, les fournisseurs investissent donc aujourd’hui
dans le renouvelable et le font savoir. Il suffit de parcourir le site Internet d’Engie,
fournisseur d’électricité en Belgique, mais dont le corps de métier reste surtout
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l’exploitation et la fourniture de gaz, pour s’en convaincre. Depuis l’arrivée à sa tête de
14
la nouvelle chief executive officer (CEO), Isabelle Kocher , le groupe concentre très
clairement sa communication et ses intentions sur les investissements renouvelables et

13
Sous la pression du gouvernement allemand, les centrales nucléaires appartenant au groupe resteront
dans le giron d’E.ON et non d’Uniper. Cela doit faciliter les négociations sur leur démantèlement et
la responsabilité du traitement des déchets. Il s’agit de huit centrales nucléaires, dont quatre sont déjà
14
en cours de démantèlement.
Isabelle Kocher a succédé à Gérard Mestrallet en mai 2016. L’ex-PDG du groupe en conserve la présidence
jusqu’en mai 2018.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 15

les technologies bas carbone. Certaines rumeurs font même état d’un possible abandon
des nouveaux projets nucléaires, au Royaume-Uni et en Turquie. Afin de donner corps
à ce virage annoncé fin 2015 par le groupe, Engie a dévoilé une stratégie sur trois ans, pour
la période 2016-2018, s’appuyant sur 22 milliards d’euros d’investissements, financés
majoritairement par des cessions d’actifs ne répondant plus à la ligne stratégique adoptée.
Cette réorientation de la politique de l’énergéticien qui ne va parfois pas sans mal pour
des cadres issus des années fossiles et à qui l’on assène aujourd’hui l’objectif d’une énergie
« 3D » (décarbonisée, digitalisée et décentralisée). Le plan développé par Engie repose
sur deux piliers : d’une part, le recentrage des activités du groupe sur les énergies bas
carbone (l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la géothermie, la biomasse, mais aussi le gaz)
et, d’autre part, le développement des services liés à l’énergie dans l’idée de fournir des
solutions adaptées aux défis de la transition énergétique. Pour officiellement concrétiser
et lancer cette réorientation du groupe, celui-ci a fait l’acquisition de Maïa Eolis (rebaptisée
Engie Green en 2016), une société spécialisée dans le développement, la construction,
l’exploitation et la maintenance des parcs éoliens en France. Engie s’affiche comme
leader du marché éolien et solaire en France.
Un autre exemple de l’importance que revêt aujourd’hui l’image propre du renouvelable
auprès des fournisseurs est le rachat de Lampiris (société anonyme fondée à Liège en 2003
dans le but de distribuer de l’électricité verte) par le groupe pétrolier et gazier français
Total. À l’annonce de la transaction, mi-juin 2016, Greenpeace a vu son site Internet pris
d’assaut par des clients inquiets d’un éventuel revirement de politique du fournisseur,
qu’ils jugeaient jusqu’ici soucieux de fournir une énergie « propre ». Une perte a alors été
évoquée de 3 000 à 5 000 clients pour ce fournisseur (sur un total d’environ 800 000),
que le groupe assure avoir ensuite compensés. Comprenant, peut-être après coup, que
l’entreprise liégeoise devait beaucoup à sa réputation de fournisseur « vert », Total a montré
patte blanche et s’est voulu rassurant et impliqué dans le développement des énergies
renouvelables en mettant en avant SunPower, sa filiale spécialisée dans les panneaux
solaires. Pour apaiser les esprits, Lampiris a annoncé de son côté, fin septembre 2016,
la signature d’un contrat d’approvisionnement auprès de la société coopérative Zonneberg,
à Gand, qui détient une surface de panneaux solaires d’une capacité de production de
15 MW. Lampiris assure que son approvisionnement se veut toujours majoritairement
vert et local. Une identité que Total assure vouloir lui conserver, tout en concédant que,
lorsqu’il a acquis Lampiris, c’était aussi pour profiter d’un marché résidentiel déjà en
place et d’un nom déjà implanté.
En effet, une autre préoccupation de ces acteurs privés demeure la rentabilité. L’arrivée
du renouvelable, subsidié par les politiques publiques de soutien, a eu des répercussions
importantes sur le marché de l’électricité. Sur cette question de la rentabilité, on pourrait
opposer, d’un côté, EDF et sa production essentiellement nucléaire, issue des unités
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existantes et du déploiement futur de ses unités EPR, et, de l’autre côté, E.ON et son © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
total revirement de stratégie en faveur du renouvelable. Bien entendu, le contexte dans
lequel les deux groupes évoluent principalement est très différent.
EDF bénéficie d’une situation de monopole sur le deuxième parc nucléaire le plus
important au monde et qui incarne la grande majorité de la fourniture d’électricité en
France. Il s’appuie sur l’État français, actionnaire majoritaire (à 85,3 %), ce qui est de
nature à rassurer sur l’avenir du groupe. Pourtant, celui-ci a rencontré de grosses difficultés
dans l’implantation de ses nouvelles centrales et doit faire face, comme Engie en Belgique,

CH 2321
16 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

à un prix de gros de l’électricité très bas, alors que les coûts liés au nucléaire augmentent :
entretien ou travaux de prolongation des centrales – on parle de 55 milliards d’euros
pour remettre à neuf le parc nucléaire français – et gestion des déchets nucléaires. Dès lors,
EDF, comme les groupes allemands avant lui, fait également face à de lourdes difficultés
financières.
De son côté, E.ON s’est vu imposer l’Energiewende et les conséquences déjà évoquées
pour sa filière conventionnelle. La dette du groupe allemand reste très lourde, au point
que certains observateurs lui ont prédit une fin imminente. La restructuration de ses
activités a permis d’engranger des résultats encourageants pour sa filière renouvelable.
En parallèle, le groupe allemand (de même que RWE) milite pour une rémunération
des installations conventionnelles (gaz et charbon) même lorsqu’elles ne sont pas en
activité. En effet, celles-ci restent actuellement nécessaires pour suppléer la production
renouvelable intermittente et garantir la sécurité d’approvisionnement. Leur mobilisation
génère un coût, estiment les groupes énergétiques. Cette revendication intervient au
moment même où se tiennent des négociations sur la prise en charge du coût du
démantèlement des centrales nucléaires et de l’obligation des groupes privés en matière
de stockage des déchets radioactifs. Et elle pose question : en viendra-t-on à ce que les
États doivent subventionner les centrales traditionnelles après avoir subventionné les
énergies renouvelables ?
En Belgique comme dans les pays voisins, tous les fournisseurs d’électricité ont été
affectés par l’arrivée du renouvelable. Chacun a dû opter pour une stratégie, en fonction
du contexte politique, de ses valeurs, de la rentabilité de ses installations de production,
ainsi que de ses capacités de production et d’investissement. Pour une part, ces choix
constituent des paris sur l’avenir. Il faudra voir lesquels s’avèrent payants, en termes
de rentabilité, d’image et d’impact sur l’environnement.

3.2. LES GESTIONNAIRES DE RÉSEAU

Parmi les acteurs œuvrant dans le secteur de l’énergie, les gestionnaires de réseau de
transport (GRT) et les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) sont en situation
de monopole 15, contrairement aux producteurs et fournisseurs, qui sont eux soumis à
la concurrence. Il en va ainsi depuis la libéralisation du secteur de l’énergie, l’ouverture
16 17
totale des marchés de l’électricité et du gaz ayant été décidée au niveau européen en

15
Les GRT sont en situation de monopole pour l’ensemble de la Belgique, tandis que les GRD le sont
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16
pour une zone géographique limitée.
Cf. la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des
règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (Journal
officiel de l’Union européenne, L 176, 15 juillet 2003). Cette directive a été transposée en droit belge
er
par la loi du 1 juin 2005 portant modification de la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du
marché de l’électricité (Moniteur belge, 14 juin 2005). Cf. aussi, antérieurement, la directive 96/92/CE
du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le
marché intérieur de l’électricité (Journal officiel des Communautés européennes, L 27, 30 janvier 1997)
– transposée en droit belge par la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité
et par la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché du gaz et au statut fiscal des producteurs
d’électricité (Moniteur belge, 11 mai 1999) – et, postérieurement, la directive 2009/72/CE du Parlement
européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 17

er 18 er
2003 et étant effective depuis le 1 juillet 2003 en Flandre et depuis le 1 janvier 2007
19 20
en Wallonie et en Région de Bruxelles-Capitale . L’ouverture à la concurrence de
l’activité de production et de fourniture a permis l’arrivée sur le marché belge de nouveaux
opérateurs face à l’opérateur historique, Electrabel. Quant à elle, l’activité de transport
et de distribution jouit d’un monopole de facto s’expliquant notamment par le fait que
les infrastructures sur lesquelles reposent les réseaux concernés (câbles électriques et
conduites de gaz) sont liées à un territoire donné. Il serait économiquement déraisonnable
et techniquement très difficile de faire cohabiter plusieurs réseaux de transport et de
distribution sur un même territoire. GRT et GRD sont rassemblés au sein de la fédération
Synergrid.

l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (Journal officiel de l’Union européenne, L 211, 14 août 2009)
– transposée en droit belge par la loi du 8 janvier 2012 portant modifications de la loi du 29 avril 1999
relative à l’organisation du marché de l’électricité et de la loi du 12 avril 1965 relative au transport de
17
produits gazeux et autres par canalisations (Moniteur belge, 11 janvier 2012).
Cf. la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles
communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (Journal officiel
de l’Union européenne, L 176, 15 juillet 2003). Cette directive a été transposée en droit belge par la loi
er
du 1 juin 2005 portant modification de la loi du 12 avril 1965 relative au transport de produits gazeux
et autres par canalisation (Moniteur belge, 14 juin 2005). Cf. aussi, antérieurement, la directive 98/30/CE
du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché
intérieur du gaz naturel (Journal officiel des Communautés européennes, L 204, 21 juillet 1998) – transposée
en droit belge par la loi du 29 avril 1999 (cf. supra) – et, postérieurement, la directive 2009/73/CE du
Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché
intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (Journal officiel de l’Union européenne, L 211,
18
14 août 2009) – transposée en droit belge par la loi du 8 janvier 2012 (cf. supra).
Cf. l’article 2 de l’arrêté du gouvernement flamand du 13 juillet 2001 établissant les conditions d’éligibilité
comme client au sens de l’article 12 du décret sur l’électricité (Moniteur belge, 17 août 2001) et l’article 53
de l’arrêté du gouvernement flamand du 11 octobre 2002 relatif à l’organisation du marché du gaz
(Moniteur belge, 18 octobre 2002). Cf. aussi, antérieurement, le décret flamand du 17 juillet 2000 relatif à
l’organisation du marché de l’électricité (Moniteur belge, 22 septembre 2000) et le décret flamand du
19
6 juillet 2001 relatif à l’organisation du marché du gaz (Moniteur belge, 3 octobre 2001).
Cf. l’article 2 de l’arrêté du gouvernement wallon du 21 avril 2005 relatif à l’ouverture totale des marchés
de l’électricité et du gaz (Moniteur belge, 6 mai 2005). Cf. aussi, antérieurement, le décret wallon du
er
12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité (Moniteur belge, 1 mai 2001)
et le décret wallon du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz (Moniteur belge,
11 février 2003). Il est à noter que, en Wallonie, les clients résidentiels (c’est-à-dire les ménages) wallons
se procurant leur électricité auprès d’un fournisseur vert – mais uniquement eux – ont eu accès au marché
er
20
libéralisé à dater du 1 janvier 2003.
Cf. l’article 1 de l’arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 6 juillet 2006 fixant
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la date à laquelle les clients résidentiels sont éligibles pour l’électricité (Moniteur belge, 21 août 2006)
et l’article 1 de l’arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 6 juillet 2006 fixant la date
à laquelle les clients résidentiels sont éligibles pour le gaz (Moniteur belge, 21 août 2006). Cf. aussi,
postérieurement, l’ordonnance bruxelloise du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de
l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge, 17 novembre 2001), l’ordonnance bruxelloise
er
du 1 avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale (…) et portant
modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en
Région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge, 26 avril 2004) et l’ordonnance bruxelloise du 14 décembre
er
2006 modifiant les ordonnances du 19 juillet 2001 et du 1 avril 2004 relatives à l’organisation du marché
de l’électricité et du gaz en Région de Bruxelles-Capitale et abrogeant l’ordonnance du 11 juillet 1991
relative au droit à la fourniture minimale d’électricité et l’ordonnance du 11 mars 1999 établissant des
mesures de prévention des coupures de gaz à usage domestique (Moniteur belge, 9 janvier 2007).

CH 2321
18 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

3.2.1. Les gestionnaires de réseau de transport

Les GRT sont au nombre de deux en Belgique : Fluxys et Elia. Fluxys exploite les
infrastructures de transport de gaz haute pression, tandis qu’Elia gère le réseau des lignes
à haute et très haute tensions qui véhiculent l’essentiel de l’électricité sur l’ensemble du
territoire.
Fluxys, la maison mère du groupe homonyme, est détenu à 77,62% par le holding
communal Publigaz. Celui-ci rassemble les intercommunales belges de l’énergie : 55 % de
ses actions sont détenues par les intercommunales flamandes et le Vlaamse Energieholding
(VEH), 30 % par les intercommunales wallonnes et la Société de financement en matière
énergétique (SOCOFE), et 15 % par les intercommunales de la région de Bruxelles-
Capitale. Le solde des actions de Fluxys est réparti entre la Caisse de dépôt et placement
du Québec (CDPQ, un actionnaire privé, 19,94 %), la Société fédérale de participations
et d’investissement (SFPI, dont l’unique actionnaire est l’Autorité fédérale, 2,13 %) et
les membres du personnel et le management de Fluxys (0,31 %).
En Belgique, le gestionnaire des infrastructures de transport et de stockage du gaz naturel
prend les traits de la société Fluxys Belgium, détenue à 89,97 % par Fluxys (le reste étant
coté à la bourse de Bruxelles, plus une action spécifique aux mains de l’État belge).
Fluxys Belgium est chargée du transport du gaz naturel depuis la frontière jusqu’aux
gestionnaires de réseau (qui s’occupent dans un second temps du transport vers les
particuliers et les PME), les centrales électriques et les grands consommateurs industriels.
Grâce à ses 18 points d’interconnexion avec les pays voisins, le réseau du GRT est
également utilisé pour le transport de frontière à frontière vers d’autres marchés de
21
consommateurs finaux et occupe à cet égard une place centrale en Europe. Au niveau
européen, les GRT de gaz sont rassemblés au sein de l’European Network of Transmission
System Operators for Gas (ENTSO-G). Fluxys Belgium est également le propriétaire et
le gestionnaire du terminal de Zeebruges, mis en service en 1987 et dédié au gaz naturel
liquéfié (GNL). L’entreprise y assure le déchargement et le chargement des méthaniers 22,
le stockage du GNL ainsi que la regazéification du GNL pour l’injecter sur le réseau de
transport haute pression. Zeebruges est ainsi devenu la porte d’entrée pour l’approvision-
nement en GNL dans le nord-ouest de l’Europe. En juillet 2016, un premier méthanier a
également débarqué au terminal GNL de Dunkerque, un nouveau projet aux mains d’EDF
(65 %), de Fluxys (25 %) et de Total (10 %) 23. Enfin, Fluxys Belgium détient des capacités
de stockage à Loenhout (sur la commune de Wuustwezel, en province d’Anvers), à une
profondeur d’un kilomètre, dans les nappes aquifères. Les services de stockage de Fluxys
permettent aux fournisseurs de maintenir en équilibre les volumes importés et les volumes
consommés par les clients, pour faire notamment face aux pics de consommation durant
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l’hiver.

21
Transport de gaz naturel néerlandais et norvégien vers la France, l’Espagne et l’Italie ; transport de gaz
naturel britannique vers l’Europe continentale ; transport de gaz naturel russe vers le Royaume-Uni ;
transport de gaz naturel vers le Grand-Duché de Luxembourg ; etc.
22
23
Les méthaniers sont les navires transportant le gaz sous forme liquéfiée.
L’exploitant du site est Gaz-Opale, filiale à 51 % de Dunkerque LNG (société de droit français dont
Fluxys détient une participation à hauteur de 25 %) et à 49 % de Fluxys.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 19

Du côté du marché de l’électricité, la plus grande partie de la capacité de production


belge est directement reliée au réseau haute tension gérée par la société Elia. Dans un
marché européen de l’électricité où les réseaux de transport sont interconnectés, le GRT
24
a un rôle à jouer dans la gestion des échanges avec les pays voisins . Au niveau européen,
les GRT d’électricité sont réunis au sein d’une association internationale : l’European
Network of Transmission System Operators for Electricity (ENTSO-E), qui est l’organe
de référence pour la Commission européenne. Elia détient également 60 % de 50Hertz
Transmission, l’un des quatre gestionnaires de réseau allemands (actif dans le nord et l’est
de l’Allemagne). Elia System Operator est une société cotée à la bourse de Bruxelles ;
son actionnaire principal (45,08 %) est le holding communal Publi-T.
Elia doit remplir un certain nombre d’obligations qui impliquent toutes un tarif régulé
par la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG, organisme fédéral) :
le raccordement des unités de production au réseau, le développement et la gestion
des infrastructures du réseau, la gestion du système électrique et la compensation des
déséquilibres, l’intégration du marché au réseau européen ainsi que ses missions de service
public (liées aux certificats verts, au financement de la réserve stratégique, au soutien aux
énergies renouvelables et à l’utilisation rationnelle de l’énergie, etc.). Des surcharges sont
également appliquées en complément de ces tarifs régulés. Celles-ci couvrent les coûts
encourus par Elia pour des missions imposées par une réglementation en complément
de son activité de gestionnaire du réseau de transport.
En novembre 2015, la ministre fédérale de l’Énergie, de l’Environnement et du
Développement durable, Marie-Christine Marghem (MR), a approuvé le plan de
développement fédéral du réseau de transport d’électricité 2015-2025 établi par Elia
en collaboration avec l’administration fédérale de l’énergie (SPF Économie, PME,
Classes moyennes et Énergie) et le Bureau fédéral du plan (BFP). Il en ressort une série
d’objectifs pour les dix prochaines années. Outre le développement ou le remplacement
des équipements déjà en place, afin notamment de faire face à une demande croissante
de consommation, le plan prévoit de renforcer les interconnexions aux frontières et de
porter ainsi la capacité actuelle d’importation de la Belgique de 3 500 MW à 6 500 MW
en 2020. Cet objectif sera atteint grâce à la réalisation des projets d’interconnexion
avec l’Allemagne (projet Aachen Liège Electric Grid Overlay - ALEGRO), le Royaume-Uni
(projet Nemo Link) et le renforcement de la capacité d’interconnexion avec les Pays-
Bas (projet Brabo). Des projets sont à l’étude pour renforcer les interconnexions vers le
Luxembourg et la France après 2020.
L’intégration croissante des énergies renouvelables fait également partie des grands
projets du GRT, avec le raccordement des éoliennes en mer et le renforcement du réseau
pour permettre le raccordement d’unités de productions décentralisées. La part croissante
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de renouvelable dans le mix énergétique représente en effet un défi pour les gestionnaires

24
Dans ce cadre européen, Elia est soumis à la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du
Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et
abrogeant la directive 2003/54/CE (Journal officiel de l’Union européenne, L 211, 14 août 2009) et au
règlement (CE) n° 714/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 sur les conditions
d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE)
n° 1228/2003 (Journal officiel de l’Union européenne, L 211, 14 août 2009). Ces deux textes font partie
du « troisième paquet énergie », qui regroupe l’ensemble des mesures pour la libéralisation du marché
de l’énergie dans l’Union européenne.

CH 2321
20 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

de réseau (de transport et de distribution), car leur intégration rend plus complexe, de
par leur caractère intermittent, la gestion de l’équilibre du système électrique. En plus
de la maintenance de son réseau, Elia doit aujourd’hui veiller à développer de nouvelles
technologies pour davantage de flexibilité sur les lignes haute tension. En accord avec
la CREG, une enveloppe de 1,6 milliard d’euros a ainsi été prévue pour de nouveaux
investissements sur la période 2016-2019 (nouvelle période tarifaire entérinée par le
régulateur fédéral).

3.2.2. Les gestionnaires de réseau de distribution

Les GRD exercent leurs activités sur un territoire bien délimité. Avant la libéralisation
25
du marché de l’énergie (cf. supra), ce sont des intercommunales mixtes – regroupant
les communes concernées ainsi que l’opérateur historique, la société privée Electrabel –
qui se chargeaient de la distribution et de la vente de l’énergie dans une zone géographique
délimitée. Après l’ouverture du marché à la concurrence, les activités de distribution et
de vente ont été scindées et les anciennes intercommunales, devenues les gestionnaires
de réseau de distribution, se sont concentrées sur la gestion du réseau secondaire. Ce
sont en effet les GRD qui amènent l’électricité ou le gaz du réseau haute tension pour
l’électricité, et haute pression pour le gaz, vers le client final. Certaines unités de production
décentralisées d’électricité, telles que l’éolien, les cogénérations ou l’hydraulique injectent
directement l’électricité produite sur le réseau haute tension des GRD, tandis que les
producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque utilisent le réseau basse tension de
ces mêmes GRD.
Les GRD sont les interlocuteurs du client résidentiel en cas de demande de raccordement
au réseau, d’une panne d’électricité ou d’une coupure de gaz, d’un changement de
compteur, etc. Ils sont par ailleurs soumis à l’exécution de certaines obligations de service
public (OSP) telles que le développement d’initiatives « utilisation rationnelle de l’énergie »
(URE) ou la rencontre d’obligations sociales. Dans certains cas en effet, pour des clients
résidentiels soumis à de graves difficultés de paiement et qui bénéficient, selon le respect
de certains critères, d’un tarif social et de mesures de protection particulières, le GRD
se substitue au fournisseur (pour le gaz et l’électricité). Les clients bénéficiant de ce tarif
social sont appelés « clients protégés ». Les GRD sont également responsables du placement
de compteurs à budget (cf. infra) pour des clients non protégés qui se retrouvent
temporairement en défaut de paiement.
Les GRD présents sur le territoire belge sont : en Wallonie, l’Opérateur des réseaux gaz
et électricité (ORES) 26, Resa (appartenant à Nethys, ex-Tecteo) 27, la Régie d’électricité
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de Wavre (REW), l’Association intercommunale d’électricité du sud du Hainaut (AIESH)

25
Précisons que, avant la libéralisation du marché de l’énergie, les intercommunales mixtes représentaient
82 % de l’électricité distribuée en Belgique. Les 18 % restants étaient le fait de régies et d’intercommunales
pures.
26
ORES est issu de la fusion, en 2013, de huit intercommunales mixtes wallonnes : Intercommunale de
distribution de l’électricité et du gaz (IDEG, province de Namur), Intercommunale d’électricité du
Hainaut (IEH), Intercommunale de gaz du Hainaut (IGH), Interest, Interlux, Intermosane, Sedilec et
27
Simogel. Ce gestionnaire couvre à lui seul environ 75 % de la Wallonie.
Resa Électricité et Resa Gaz sont les héritiers de l’Association liégeoise d’électricité (ALE) et de l’Association
liégeoise de gaz (ALG).

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 21

28
et l’Association intercommunale d’étude et d’exploitation d’électricité et de gaz (AIEG) ;
29
en région de Bruxelles-Capitale, Sibelga ; en Flandre, Eandis et Infrax. Il s’agit pour
l’essentiel d’intercommunales pures (entièrement publiques) ou mixte (ORES, dont
l’actionnariat est majoritairement dans les mains des communes et minoritairement
dans celles d’Electrabel), à l’exception de Resa (société anonyme détenue in fine par
l’intercommunale pure Publifin, actionnaire majoritaire de la société privée Nethys).
Un décret wallon du 11 avril 2014 prévoit la possibilité, pour les distributeurs d’électricité,
de prendre la forme d’une personne morale de droit privé, détenue et contrôlée,
directement ou indirectement, au minimum à 70 % par des personnes morales de droit
public 30, ceci dans l’éventualité d’une ouverture à un partenaire privé. Il en va de même
31
pour les distributeurs de gaz, en vertu d’un décret wallon du 21 mai 2015 .
Depuis juillet 2014, les tarifs de distribution appliqués par les GRD sont approuvés et
publiés par les régulateurs régionaux : la Commission wallonne pour l’énergie (CWAPE),
le Vlaamse Regulator van de Elektriciteits- en Gasmarkt (VREG) et Bruxelles gaz électricité
(BRUGEL). Ces tarifs varient d’un GRD à l’autre en raison de spécificités au niveau local
(milieu rural ou urbain, etc.) et au niveau régional (nombre et importance des obligations
de service public, soutien mis en place pour le développement des énergies renouvelables,
etc.).

3.2.3. Perspectives

Malgré le contrôle opéré par un régulateur neutre, certains observateurs voient dans la
gestion de la distribution d’énergie opérée par des intercommunales l’opportunité de lever
un impôt qui n’en a pas le nom. Si l’ancrage géographique spécifique des infrastructures
liées aux réseaux concernés, ainsi que des obligations de service public, justifiaient à
l’origine l’implication des communes dans la distribution d’énergie, les dérives de gestion
mises au jour au sein de Publifin, à laquelle appartient le gestionnaire de réseau de
distribution Resa, en janvier 2017, et Publipart, moins d’un mois plus tard, apportent bien
entendu un poids supplémentaire à ces thèses de mauvaise gouvernance.
Ceci étant dit, les gestionnaires de réseau, GRT et GRD, quelle que soit la structure de
gestion et d’actionnariat qui les caractérise ou qui pourrait les caractériser, doivent encadrer
plusieurs mutations parallèles qui résonnent comme des défis : l’intégration de leur réseau
dans un marché européen de l’électricité de plus en plus interconnecté, le raccordement
du renouvelable (dont le développement implique la possible naissance de micro-réseaux,
connectés ou non au réseau secondaire en place), ainsi que le développement d’une
plus grande flexibilité de l’offre et la demande et donc de l’exploitation des nouvelles
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technologies allant dans ce sens (recours au numérique pour une gestion davantage

28
Gestionnaire de réseau de distribution d’électricité et de gaz sur les communes d’Andenne, Gesves,
Ohey, Rumes et Viroinval.
29
Principal GRD en Flandre, Eandis est le fruit du regroupement de plusieurs anciennes intercommunales :
30
Gaselwest, Imea, Imewo, Intergem, Iveka, Iverlek et Sibelga.
Décret wallon du 11 avril 2014 modifiant le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional
31
de l’électricité, Moniteur belge, 17 juin 2014.
Décret wallon du 21 mai 2015 modifiant le décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché
régional du gaz, Moniteur belge, 2 juin 2015.

CH 2321
22 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

automatisée : réseaux et compteurs intelligents, recherche et développement de solutions


de stockage, etc.).
Début 2017, le ministre de l’Énergie du gouvernement flamand Bourgeois (N-VA/CD&V/
Open VLD), Bart Tommelein (Open VLD), a fait part de la volonté de la Flandre
d’entamer, dès 2019, le remplacement des compteurs traditionnels d’électricité (ainsi
que des compteurs à budget, cf. infra) par des compteurs digitaux, souvent dénommés
« compteurs intelligents ». Ceux-ci permettent une ouverture et une fermeture à distance,
32
une modulation à distance de la capacité du raccordement , ainsi qu’un suivi de la
consommation d’électricité quart d’heure par quart d’heure, ce qui pourrait permettre
une tarification plus efficace et dynamique. Ce type de compteur permettra notamment
une prise en compte plus efficiente de l’intégration de la production d’électricité d’origine
photovoltaïque. En Wallonie, aucune décision officielle n’a encore été prise, mais l’ex-
président de la CWAPE, Francis Ghigny, a lui aussi évoqué un déploiement ciblé de
ces compteurs à partir de 2019. Le processus pourrait prendre une quinzaine d’années.
À Bruxelles enfin, Sibelga prévoit un test-pilote de 5 000 compteurs et le déploiement
de 3 000 à 4 000 compteurs par an dès 2018 ou 2019, essentiellement pour le placement
de nouveaux compteurs. Le déploiement plus intensif qui suivra cette première phase
doit être discuté avec le régulateur et le gouvernement bruxellois.
Toutes ces évolutions ont et auront encore à l’avenir un coût, qui explique en partie la
hausse régulière des coûts de distribution liés à la facture d’énergie des entreprises comme
des particuliers (même si certains d’entre eux pourraient être compensés en partie ; ainsi,
le placement de compteurs intelligents permettra d’éviter les frais liés au relevé physique
des compteurs). Sans compter l’attribution de nouveaux rôles, avec tout l’enjeu du
développement de nouveaux métiers liés à la flexibilité et au stockage. À côté des GRD,
des acteurs privés veulent également investir ces nouvelles sphères d’activité. Dès lors, une
question pourrait devenir cruciale pour ces acteurs privés : celle de la possible exploitation
des données qui émaneront des réseaux intelligents.

3.3. LES CLIENTS FINAUX

Autre acteur incontournable du marché de l’énergie, le client final, qu’il soit une entreprise
ou un particulier, souhaite être assuré d’accéder à l’électricité, au gaz et au carburant dont
il a besoin, et cela à un coût qu’il estimera abordable.

3.3.1. Les particuliers


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Sur le marché de l’électricité, les ménages doivent faire face ces dernières années à un
constat interpellant : bien qu’il est régulièrement annoncé dans les médias que l’électron
coûte de moins en moins cher, ce qui rend d’ailleurs les centrales au gaz de moins en
moins rentables, la facture des ménages, elle, ne cesse d’augmenter. Pour comprendre

32
Cette flexibilité accrue est une des clés de voûte d’une tarification incitative permettant une réduction
des coûts de développement des réseaux et une réponse possible à la problématique du délestage.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 23

ce phénomène, il est bon de déterminer tout d’abord de quoi se compose une facture
d’électricité.

Les composantes de la facture d’électricité

Depuis la libéralisation du marché de l’énergie, la facture d’énergie (gaz comme électricité)


adressée aux particuliers se décline essentiellement en trois grandes rubriques.

L’énergie elle-même
Le poste « énergie » de la facture d’électricité comprend le prix de l’électricité (au kilowatt-
heure, kWh) ainsi que la contribution « énergie renouvelable (et cogénération) ».
Le montant du poste « énergie » dépend de la consommation d’électricité qui est faite,
ainsi que du fournisseur choisi et auquel le consommateur est lié par contrat. Ce segment
est en effet le seul qui soit soumis à la concurrence. Le prix de l’énergie englobe donc
son coût de production (à partir du nucléaire, du fossile ou du renouvelable) ainsi que
les frais de fonctionnement et la marge que s’octroie le fournisseur. Le prix du kWh pour
l’énergie elle-même varie également en fonction du tarif appliqué : normal (qui ne change
pas en cours de journée), bi-horaire (qui distingue les heures pleines et les heures creuses,
le prix en heure pleine étant supérieur au prix normal et le prix en heure creuse lui étant
inférieur) et exclusif nuit (équivalant au tarif en heure creuse pour un compteur qui ne
fonctionne que la nuit). Selon le contrat, le prix fixé pour l’énergie par le fournisseur
peut également être fixe ou variable. Dans ce second cas, le prix de l’énergie est adapté
tous les trois mois (à la hausse ou à la baisse) en fonction des variations du prix sur le
marché de gros. Enfin, la composante plus ou moins verte des différents contrats proposés
par les fournisseurs influence aussi le prix de base de l’électricité.
Afin de soutenir le développement des énergies renouvelables, la Belgique a opté pour la
mise en place du mécanisme des certificats verts. Sur cette base, les régulateurs régionaux
imposent aux fournisseurs d’acheter des certificats verts (et certificats de cogénération
en Flandre) auprès des producteurs d’énergie renouvelable (les fournisseurs étant
parfois eux-mêmes des producteurs d’énergie renouvelable) sur la base de quotas fixés
annuellement. Le fournisseur répercute ensuite l’opération sur le prix du kWh qu’il facture
à ses clients, de sorte que l’ensemble des consommateurs belges contribuent au système,
même si des divergences régionales existent dans l’application du système 33. Il s’agit
de la contribution « énergie renouvelable (et cogénération) ». Selon la CREG, bien que
cette dernière composante ait une importance relative moindre dans le prix final au
34
consommateur , elle a plus que doublé entre 2007 et 2017 en raison de la politique
énergétique menée et de l’évolution à la hausse des quotas imposés par les Régions.
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Les diverses taxes, redevances, cotisations et surcharges
Cinq d’entre elles sont édictées par l’Autorité fédérale. Primo, la TVA (de 21 %). Secundo,
la cotisation sur l’énergie : il s’agit d’une accise mise en place en 1993 pour alimenter

33
Cf. F. COLLARD, « Les énergies renouvelables », op. cit.
34
Aux alentours de 2 % à Bruxelles et de 10 % en Wallonie et en Flandre en 2015 (cf. CREG, « Étude
sur les composantes des prix de l’électricité et du gaz nature », n° (F)160309-CDC-1516, 9 mars 2016,
www.creg.be, p. 33).

CH 2321
24 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

le Fonds pour l’équilibre financier de la sécurité sociale (FEFSS). Tertio, la cotisation


fédérale sur l’électricité : il s’agit d’un prélèvement qui assure l’alimentation du fonds
pour le démantèlement du centre nucléaire de Mol-Dessel, du Fonds social énergie et
du Fonds clients protégés (tous deux destinés aux personnes dans une situation précaire),
ainsi que le financement de la politique fédérale de réduction des émissions de gaz à
effet de serre et le fonctionnement du régulateur fédéral (la CREG). Quarto, la surcharge
de raccordement au parc éolien off-shore et la surcharge liée aux certificats verts off-
shore. Quinto, la redevance pour le financement de la réserve stratégique : il s’agit d’un
prélèvement permettant à Elia de financer les mesures nécessaires pour la mise en place
d’une réserve permettant de faire face aux pics de consommation durant l’hiver.
D’autres prélèvements émanent des autorités régionales. En région de Bruxelles-Capitale,
il s’agit de la redevance de voirie et de la contribution aux obligations de service public
à Bruxelles. La première est versée aux communes pour l’utilisation de l’espace public
pour les conduites de gaz et les câbles électriques. La seconde alimente le Fonds énergie
qui assure le financement des primes énergie régionales, d’un tarif social pour la fourniture
d’électricité et de l’éclairage public. En Wallonie, il s’agit de la redevance de voirie (à
nouveau pour le compte des communes) et de la redevance de raccordement au réseau
électrique. La seconde est versée au Fonds énergie de la Région wallonne, qui permet
le financement du régulateur régional (la CWAPE), des actions en faveur de l’utilisation
rationnelle de l’énergie, de la promotion des énergies vertes et des missions déléguées
en matière d’énergie aux centres publics d’action sociale (CPAS). En Flandre, il s’agit
de la redevance pour l’utilisation rationnelle de l’énergie (rationeel energiegebruik, REG)
et de la contribution au Fonds énergie flamand (bijdrage energiefonds). Ce dernier permet
de financer les activités du régulateur régional (la VREG) et des obligations de service
public en matière d’énergie, de tarif social, d’utilisation rationnelle de l’énergie, de
cogénération et d’énergies renouvelables. Depuis le 1er mars 2016, cette cotisation a
cependant augmenté, prenant les traits de la taxe dite Turtelboom (Turteltaks), afin
d’éponger un nombre très important de certificats verts excédentaires du côté des
gestionnaires de réseau de distribution. Cette taxe varie en fonction de la consommation
des ménages.

Les coûts liés aux gestionnaires de réseau


Comme nous l’avons vu, les gestionnaires de réseau (de transport et de distribution)
sur le marché de l’électricité se retrouvent face à plusieurs défis, dont l’intégration du
renouvelable : participation au mécanisme des certificats verts, attribution de la prime
Qualiwatt pour les GRD wallons, développement du réseau et mise en place de nouvelles
technologies afin d’intégrer au réseau ces énergies décentralisées. Tout ceci génère des
coûts, qui sont répercutés sur les consommateurs finaux.
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En Wallonie et à Bruxelles, les coûts de transport de l’électricité, assuré par Elia, incluent © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
la surcharge pour le rachat de certificats verts. Cela signifie que, en cas de déséquilibre
du marché, comme cela a été le cas en Wallonie pour le photovoltaïque de faible intensité
(inférieur ou égal à 10 kVA 35), Elia, obligé de racheter les certificats verts excédentaires
au prix de 65 euros l’unité, répercute ensuite cette opération à travers ses tarifs de transport.

35
Le kilovoltampère (kVA) mesure la puissance électrique apparente d’une installation (le kilowatt - kW
mesure la puissance active). Il s’agit de la puissance maximale générée à un moment donné.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 25

En Flandre, ce sont les GRD qui ont cette obligation de rachat, ce qui a donné lieu, pour
éponger les dérives du système d’aide au photovoltaïque chez les particuliers, également
connues au nord du pays, à la taxe Turtelboom 36. Les coûts de distribution proprement
dits comprennent quant à eux tout ce qui relève de la gestion de ce réseau (entretien et
développement des réseaux, dépannage, gestion des compteurs, prise en charge des
données de consommation, etc.), ainsi que les obligations de service public des GRD
(installation et gestion des compteurs à budget, éclairage public communal, fourniture
aux clients protégé, etc.).
En 2015, il a été décidé de soumettre les intercommunales (dont bien entendu celles
chargées de la gestion du réseau de distribution) à l’impôt des sociétés. En Wallonie,
cet impôt est facturé par le biais d’un prélèvement complémentaire, tandis que, en Flandre,
cet impôt est facturé par le biais des tarifs d’utilisation du réseau et que, en région de
Bruxelles-Capitale, cet impôt est inclus dans les autres prélèvements locaux, régionaux
et fédéraux.

L’évolution de la facture d’électricité

Ce sont les fournisseurs, liés par contrat avec leurs clients et interlocuteurs directs de
ceux-ci, qui sont chargés de percevoir, outre le coût de l’énergie, les taxes et les frais de
transport et de distribution pour le compte respectif des pouvoirs publics, d’Elia et des
GRD. D’un point de vue technique, signalons simplement ici que certaines surcharges
et prélèvements n’apparaissent pas comme tels dans la facture adressée au client, car ils
sont intégrés aux tarifs de transport ou de distribution. C’est par exemple le cas de la
redevance de voirie perçue en Région wallonne et incluse dans les tarifs de distribution,
ou encore des surcharges pour le raccordement au parc éolien off-shore, intégrées quant
à elles dans les coûts de transport d’Elia.
La facture d’électricité 37 adressée aux consommateurs est donc constituée de nombreuses
composantes, qui diffèrent d’une région à l’autre et parfois d’une commune à l’autre, en
fonction des coûts de distribution pratiqués par les GRD. La CREG offre un aperçu de la
répartition des grands postes d’une facture d’électricité selon les régions (cf. Graphique 1).
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36
Le soutien sous la forme de certificats verts attribués aux installations photovoltaïques de petite intensité,
er
chez les particuliers, a été abandonné le 1 février 2014 en Flandre, le rendement de ces installations étant
toujours évalué entre 4 et 5 %. En Wallonie, un soutien similaire existait sous les traits du plan Solwatt,
er
lui aussi abandonné au profit d’un régime de primes, Qualiwatt, entré en vigueur le 1 mars 2014 (cf.
37
infra).
Il en va de même de la facture de gaz, pour laquelle nous avons décidé de ne pas reproduire l’exercice.
En effet, l’intérêt de celui-ci est de montrer à la fois la complexité d’une facture d’énergie et l’utilité
des différents postes qui la composent. Renouveler l’exercice pour la facture de gaz des particuliers
nous a donc semblé redondant. Le choix s’est porté sur la facture d’électricité en raison de l’opportunité
de pouvoir expliquer l’évolution à la hausse constatée ces dernières années.

CH 2321
26 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Graphique 1. Composition de la facture d’électricité (avril 2017)

Wallonie
TVA
17,07 % Énergie
23,30 %

Redevances
26,27 %

Coûts de réseau
33,36 %

Bruxelles-Capitale
TVA
17,06 % Énergie
27,36 %

Redevances
21,22 %

Coûts de réseau
34,36 %

Flandre
TVA Énergie
15,25 % 18,51 %

Redevances
38,90 %
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Coûts de réseau © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)


27,07 %

er
Source : CREG, « Comment est composé le prix de l’énergie ? », 1 avril 2017, www.creg.be.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 27

Malgré l’obligation pour les fournisseurs d’être les plus transparents possibles en matière
de facturation, la somme de postes tarifaires que nous venons de décrire fait régulièrement
naître une certaine perplexité chez les consommateurs. Le nombre de plaintes enregistrées
par le Service fédéral de Médiation de l’énergie a augmenté de 30 % entre 2015 et 2016,
avec 5 526 plaintes reçues. Le lot des mécontents s’est avéré plus important chez les
néerlandophones (61,7 % des plaintes reçues) que chez les francophones (37,7 %) et les
germanophones (0,5 %). Selon le médiateur fédéral, cela s’explique par une série de
décisions politiques ayant poussé les factures à la hausse.
er
Sur le plan fédéral, la TVA est passée de 6 % à 21 % au 1 septembre 2015. Historiquement,
la TVA sur l’énergie a toujours été de 21 %. Dans le cadre d’un plan de relance et de
compétitivité, le gouvernement Di Rupo avait pourtant décidé de faire passer la TVA sur
er 38
l’électricité à 6 % au 1 avril 2014 . Une évaluation de la mesure avait été prévue pour
er
le 1 septembre 2015. En l’occurrence, le gouvernement Michel a fait marche arrière,
revenant à un taux de TVA de 21 % car estimant cette mesure trop onéreuse pour l’État.
En Wallonie, c’est la surcharge qui finance l’obligation de rachat par Elia des certificats
verts à 65 euros l’unité qui pèse, notamment, sur les tarifs de distribution. Du côté
39
flamand, les particuliers ont dû faire face à la suppression du système des kWh gratuits ,
en janvier 2016, ainsi qu’à l’augmentation de la contribution au Fonds énergie, en mars
2016 (la dénommée taxe Turtelboom, qui a pris la forme d’une contribution fixée à
100 euros par an et par ménage) et à l’évolution à la hausse des tarifs de distribution 40.
Le financement de l’éolien off-shore devrait également accroître en 2017 les coûts de
transport d’électricité.
Ces dernières années, ce sont essentiellement les coûts de transport et de distribution
qui ont fait grimper le prix de la facture d’électricité, car le prix de l’énergie elle-même
est à la baisse. Selon la CREG, le prix moyen du marché journalier pratiqué pour la
fourniture d’électricité en Belgique a diminué de 18 % en 2016 par rapport à l’année
précédente, et la baisse devrait se poursuivre en 2017 41. La Région de Bruxelles-Capitale
évolue toutefois à contre-courant des deux autres Régions en ce qui concerne les tarifs
de distribution. Une baisse avait déjà été actée en janvier 2015, pour être ensuite quasi
annulée par la décision de l’Autorité fédérale de soumettre Sibelga, comme les autres
intercommunales, à l’impôt des sociétés, ce qui s’est répercuté sur les tarifs pratiqués par
le GRD et a été approuvé par le régulateur bruxellois, BRUGEL. Les tarifs de distribution
sont repartis à la baisse à Bruxelles en 2017, suite notamment à la diminution du nombre
de clients protégés, pour lesquels Sibelga remplit des obligations de service public, et des
frais moins importants du côté du GRD.
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38
L’objectif de la mesure était d’augmenter le pouvoir d’achat des particuliers, tout en améliorant la © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
compétitivité des entreprises par rapport aux pays voisins, via un saut de l’index-santé qui soit retardé et
39
qui permette la postposition dans le temps de l’augmentation automatique des salaires qui l’accompagne.
En 1999, sous l’impulsion du ministre flamand de l’Énergie, Steve Stevaert (SP), chaque famille flamande
a pu prétendre à 100 kWh gratuits par an. À partir de 2003, ces 100 kWh gratuits ont été attribués par
membre de la famille. Jugée trop coûteuse par la N-VA, et le SP.A étant dans l’opposition, cette mesure a
er
40
été abandonnée au 1 janvier 2016.
Cette hausse date de janvier 2015 déjà, lorsque la VREG a approuvé les nouveaux tarifs de distribution,
41
incluant un prélèvement pour le Fonds énergie flamand.
CREG, « Note relative aux évolutions marquantes sur les marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel
en 2016 », 19 janvier 2017, www.creg.be, p. 6.

CH 2321
28 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

La facture d’électricité d’un particulier dépend donc de divers facteurs : sa formule


d’abonnement, son fournisseur, mais également la région dans laquelle il habite ainsi
que le gestionnaire de réseau de distribution qui est le sien. Sur la base des données
disponibles, l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERE) fait
régulièrement le point sur les prix pratiqués pour les principales énergies consommées
par les ménages, hors carburant. Comme ce qui précède le laisse supposer, c’est en Flandre
que la facture d’électricité est actuellement la plus lourde : « Pour un ménage standard
ayant une consommation annuelle de 3 500 kWh, la région bruxelloise présente depuis
2013 les prix unitaires les plus bas et l’écart s’est creusé davantage en 2015. En 2016,
les prix unitaires les plus élevés sont observés en Flandre. En avril 2016, la moyenne belge
est de 24,2 centimes d’euros/kWh. Par région, cela donne 29,4 centimes d’euros/kWh
en Flandre, 23,8 centimes d’euros/kWh en Wallonie et 19,3 centimes d’euros/kWh à
Bruxelles » 42.

Les tarifs sociaux

Que ce soit pour le gaz, l’électricité ou le mazout de chauffage, certains consommateurs


font difficilement face à leur facture d’énergie. Pour les y aider, divers mécanismes ont
été mis en place. Ils concernent essentiellement les « clients protégés », à savoir des clients
résidentiels dans une situation précaire et répondant à certains critères fixés au niveau
fédéral par le SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie. Les autorités régionales
ont elles aussi défini un statut de client protégé, en adoptant des critères complémentaires
à ceux de l’Autorité fédérale. Pour des clients non protégés en situation d’impayé et dont
le contrat de gaz et/ou d’électricité a été résilié par leur fournisseur, le GRD se substitue de
manière provisoire au fournisseur et facture l’énergie selon le tarif social déterminé par
l’Autorité fédérale après avoir acté un échéancier de remboursement des dettes vis-à-vis
du fournisseur commercial.
Les clients protégés bénéficient du tarif social en vigueur et de l’installation gratuite par
leur GRD, en Wallonie et en Flandre, d’un compteur à budget lorsqu’ils se retrouvent
dans l’incapacité de payer leur fournisseur. Ce compteur fonctionne grâce à une carte
rechargeable, prépayée, et permet de gérer sa consommation en fonction de ce qui
est disponible sur la carte. L’utilisation d’un compteur à budget n’entraîne aucune
modification dans l’utilisation des appareils électriques ni dans la puissance disponible.
Le client qui dispose d’un tel compteur ne reçoit plus de factures d’acompte, mais une
facture annuelle de régularisation reprenant tous les renseignements concernant ce qu’il
a consommé. Dans le cas des clients protégés, une fourniture minimale de 10 ampères (A)
est garantie en cas de non recharge. Pour le gaz, et sous certaines conditions, les clients
protégés peuvent disposer d’une fourniture garantie durant l’hiver. Dans les deux cas,
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l’énergie consommée reste due. Certains clients, non protégés, éprouvant des difficultés
de paiement peuvent faire la demande d’installation d’un tel compteur, selon le tarif en
vigueur. Ce compteur est également installé, à leurs frais, chez les clients qui ne bénéficient
pas du statut de client protégé et qui n’ont pas réglé leur facture d’énergie après le rappel
et la mise en demeure de leur fournisseur, sur demande de celui-ci.

42
M. HUART, « Prix de l’électricité : l’écart se creuse entre les régions », Renouvelle, 13 mai 2016,
www.renouvelle.be.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 29

Le tarif social pour l’électricité et le gaz naturel est fixé au niveau fédéral. Il s’agit d’un
tarif réduit, identique pour tous les fournisseurs d’énergie et gestionnaires de réseau de
distribution, équivalant au tarif commercial le plus bas sur le marché des distributeurs.
La CREG révise ce montant tous les six mois. Ce tarif social est octroyé aux personnes
et ménages qui bénéficient d’allocations spécifiques, émanant du CPAS, du SPF Sécurité
sociale (Direction générale Personnes handicapées) ou du Service fédéral des pensions
(SFP) : allocations pour personnes handicapées ou pour aide à une tierce personne et aux
personnes âgées, allocations de remplacement de revenus ou d’intégration, garantie
de revenus aux personnes âgées (GRAPA), revenu garanti aux personnes âgées, revenu
d’intégration, etc. Une liste exhaustive des bénéficiaires de ce tarif social existe sur le
site Internet de la CREG.
43
Pour ces clients protégés, le tarif social monohoraire de l’électricité était de 16,1 centimes
d’euros/kWh en février 2017 (dont 5,3 centimes pour la composante énergie, 8,9 centimes
pour la composante distribution et 1,9 centimes pour la composante transport). À la
même époque, le tarif social des clients protégés pour le gaz naturel était de 2,9 centimes
d’euros/kWh. À titre de comparaison, le prix du gaz naturel, fin 2016, était de 5,9 centimes
d’euros/kWh en Wallonie, de 5,2 centimes d’euros/kWh à Bruxelles et de 4,7 centimes
d’euros/kWh en Flandre 44. Parmi les clients protégés au niveau fédéral, et ce uniquement
pour le gaz, on compte également les locataires d’un appartement dans un logement social.
Sous certaines conditions, de revenus notamment, des clients protégés peuvent également
bénéficier d’un accès au Fonds social chauffage. Celui-ci intervient partiellement dans
le paiement de la facture de gasoil de chauffage pour les personnes qui se trouvent dans
des situations financières précaires. Il repose sur une collaboration entre les pouvoirs
publics, les CPAS et le secteur pétrolier. Une quantité maximale de 1 500 litres de carburant
est prise en considération pour l’octroi de cette allocation, qui varie entre 14 et 20 centimes
d’euros du litre et à laquelle le consommateur peut accéder via son CPAS.
En Wallonie et à Bruxelles, un projet de tarifs progressifs pour l’électricité a également été
en gestation, pour être finalement abandonné. Le système des tranches tarifaires favorise
les plus grands consommateurs d’électricité et de gaz, selon un modèle dégressif : plus
le client consomme d’énergie, moins il paiera par kWh consommé. Le parti Écolo y a
vu une injustice sociale – les statistiques révélant que les ménages à revenus élevés
45
consomment davantage que les ménages à bas revenus –, ainsi qu’un problème
écologique – cette tarification dégressive n’incitant pas à consommer moins d’énergie.

43
44
Tarif normal, qui ne change pas en cours de journée, contrairement au bi-horaire.
L’indicateur de prix est la moyenne calculée par la CREG pour des consommations standard-type :
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45
23 260 kWh de gaz naturel sur l’année.
CREG, « Étude relative à la faisabilité de l’instauration d’une tarification progressive de l’électricité en
Belgique », n° (F)100610-CDC-972, 10 juin 2010, www.creg.be, p. 22 et suivantes. La CREG nuance
toutefois : « En Belgique, il existe une corrélation positive entre le revenu et la facture d’énergie électrique.
Par contre, la part de revenu consacrée à la facture d’électricité est inversement proportionnelle au
revenu, ce qui peut expliquer que les consommateurs à faible revenu ont des difficultés à payer leur
facture. La tarification progressive pourrait limiter ces différences. Néanmoins, une analyse plus fine
par tranche de revenus montre que les consommateurs à très faible revenu peuvent avoir une
consommation assez importante et que la corrélation positive entre le revenu et la facture n’est réelle
qu’à partir d’un revenu de 1 300 euros nets par mois. Ceci est dû à la vétusté des logements, à l’ancienneté
des équipements et au taux de présence dans l’habitation plus important pour ces ménages » (ibidem,
p. 63).

CH 2321
30 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

46 47
À Bruxelles comme en Wallonie , Écolo a donc souhaité que soit adopté un tarif
progressif : plus un ménage consomme, plus le coût du kWh augmente. Il s’agit d’organiser
une forme de solidarité entre consommateurs du fait que la première tranche tarifaire de
consommation, dite de consommation vitale, serait subsidiée par les tranches supérieures
de consommation.
En 2010, la CREG a souligné certains obstacles à la mise en œuvre d’un tarif progressif.
D’un point de vue juridique notamment, la libéralisation du secteur intervenue à l’échelon
européen implique en théorie que le prix de la fourniture d’électricité soit fixé librement
par le jeu de l’offre et la demande. D’un point de vue social, la CREG a relevé, en se
basant sur l’expérience californienne, que l’instauration d’un tarif progressif ne mène pas
automatiquement à la subsidiation de la consommation vitale d’énergie des bas revenus
par la consommation plus importante des hauts revenus. Cela, tout simplement parce que
ceux-ci, de par le volume consommé, sont plus sensibles aux variations de prix (élasticité-
prix élevée) et adaptent davantage leur consommation, tandis que la demande électrique
des bas revenus reste pratiquement inchangée (élasticité-prix faible), se limitant déjà
au minimum nécessaire. « En Allemagne, une tarification progressive avec un but
exclusivement social a fait l’objet d’une étude et a amené le gouvernement allemand,
après analyse, à la conclusion selon laquelle la tarification progressive n’était pas le bon
48
outil pour répondre à un objectif social », a renchéri la CREG dans son étude .
Un autre argument, avancé par Sia Partners, un bureau de consultance qui traite
notamment des questions énergétiques, nuance lui aussi l’efficacité sociale de la mise
en place d’une tarification progressive : « L’usage du chauffage [d’origine électrique]
fait intervenir des paramètres d’isolation et d’efficacité énergétique qui peuvent conduire
les ménages les plus pauvres à avoir une consommation plus importante que les ménages
aisés, bien isolés, entraînant ainsi une pénalisation de la précarité énergétique à travers
49
les tarifs progressifs » . Par ailleurs, l’application d’un tarif progressif peut également
pénaliser des clients qui restent davantage à leur domicile et consomment de ce fait
davantage d’électricité, au rang desquels les pensionnés, les chômeurs, des hommes et
femmes au foyer, etc. Il met également en difficulté les familles nombreuses, elles aussi
grandes consommatrices d’électricité. Enfin, même l’argument écologique d’une moindre
consommation d’électricité induite par une augmentation du tarif dans les tranches
supérieures de consommation est mis à mal. En effet, comme l’explique Sia Partners,
les ménages dont la consommation d’électricité est basse, proche d’une consommation
vitale, pourraient augmenter leur consommation dans le cadre d’une tarification
progressive où la contrainte prix serait pour eux moins forte. Il s’agit de « l’effet rebond ».
Tandis que les plus gros consommateurs, assimilés statistiquement aux hauts revenus,
ne baisseraient pas automatiquement leur consommation, car le prix moyen de l’électricité,
qui figure sur leur facture, resterait inférieur au prix marginal que la tarification progressive
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leur imposerait pour les tranches supérieures de consommation. Par ailleurs, la tarification © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)

46
Évelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Environnement, de l’Énergie et de la politique de l’Eau
dans le gouvernement Charles Picqué IV puis Rudi Vervoort I (2009-2014).
47
Jean-Marc Nollet, vice-ministre-président wallon et ministre wallon du Développement durable et de
48
la Fonction publique dans le gouvernement Rudy Demotte II (2009-2014).
CREG, « Étude relative à la faisabilité de l’instauration d’une tarification progressive de l’électricité en
49
Belgique », op. cit., p. 62.
Sia Partners, « Quelles perspectives de réforme pour les tarifs de l’électricité suite à l’échec de la tarification
progressive », Énergies & Environnement, 15 décembre 2014, www.energie.sia-partners.com.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 31

progressive n’offre pas d’incitant spécifique à une consommation plus « verte », au regard
de la source de production, étant donné qu’elle concerne de la même manière tous les
fournisseurs.
À ces considérations, s’ajoutent des problèmes pratiques de mise en place d’un tel
système. Une étude complémentaire, menée en collaboration avec le régulateur bruxellois,
50
BRUGEL, fin 2015 , indique que la mise en place d’un tel système induirait des difficultés
en termes de récolte des données, avec l’obligation pour le fournisseur de transmettre
au GRD des informations requérant l’utilisation du Registre national. « Par ailleurs, la
complexité du processus risquerait de rendre la mesure difficilement compréhensible
et de compromettre les effets escomptés tout en menant à davantage de plaintes », précise
51
encore l’étude . Même si les textes officiels à ce propos n’existent pas encore, l’idée
d’une tarification progressive a été abandonnée à Bruxelles.
Du côté wallon, les gestionnaires de réseau de distribution ainsi que le régulateur, la
CWAPE, ont eux aussi jugé impraticable la mise en place d’une tarification progressive
qui, pour satisfaire les différents partenaires alors dans la majorité – gouvernement
Demotte II (PS/Écolo/CDH) –, s’était complexifiée encore, prenant les traits de la
« tarification progressive, solidaire et familiale » (TPSF). Le gouvernement wallon Magnette
(PS/CDH) a posé le premier acte visant l’abrogation de la TPSF en avril 2016 52 au moyen
d’un avant-projet d’arrêté. Afin de ne pas renier l’objectif social qui sous-tendait ce
projet jugé inapplicable, cette décision a été compensée par des mesures en faveur des
clients protégés régionaux. En l’occurrence, le gouvernement wallon a décidé d’octroyer
aux clients protégés wallons la possibilité de bénéficier de « plans de paiement
raisonnables » afin d’échapper à la mise en place d’un compteur à budget. Le critère
d’éligibilité au statut de client protégé en Wallonie va également être modifié, ne se
basant plus sur les dépenses de soins de santé (maximum à facturer) mais bien sur les
revenus. Seront considérés comme clients protégés les « bénéficiaires de l’intervention
majorée », avec un plafond de revenu de 15 999 euros, ce qui devrait élargir la base des
personnes concernées par le statut wallon 53. Une enveloppe de 5 millions d’euros sera
dégagée pour l’élaboration d’un Fonds Énergie, réparti entre les CPAS wallons, pour
permettre des travaux de rénovation énergétique pour les plus bas revenus.
À Bruxelles, le régulateur régional, BRUGEL, octroie le statut de client protégé selon
des critères de revenus et de composition du ménage. En Flandre, l’obtention du statut
de client régional protégé, sur la base du revenu ou de l’existence d’une médiation de dette,
permet également d’obtenir une subvention pour la réalisation de travaux permettant
d’utiliser plus rationnellement l’énergie.
Outre ce qui concerne le tarif social et les clients protégés, le gouvernement fédéral Di Rupo
a mis en place, début 2013, un mécanisme visant à encadrer les effets de la volatilité
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50
BRUGEL, « Étude relative à la mise en place d’une tarification progressive de l’électricité en Région
51
de Bruxelles-Capitale », n° 20151002-10, 2 octobre 2015, www.brugel.be.
Ibidem, p. 12.
52
Avant-projet d’arrêté du gouvernement wallon relatif aux obligations de service public, aux commissions
53
locales d’avis de coupure et à la tarification progressive, 21 avril 2016.
D’autres critères peuvent également être évoqués pour obtenir le statut de client protégé wallon :
l’implication dans une décision de guidance éducative de nature financière auprès du CPAS, dans le
cadre d’une médiation de dettes auprès d’un CPAS ou d’un centre de médiation de dettes agréé, ou
dans le cadre d’un règlement collectif de dette.

CH 2321
32 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

des prix à la consommation du gaz et de l’électricité pour les particuliers et les PME :
54
le « filet de sécurité » . C’est le régulateur fédéral, la CREG, aidée de la Banque nationale
de Belgique (BNB), qui est chargé de contrôler que les formules d’indexation des
fournisseurs pour les produits à prix variables n’entraînent pas des prix supérieurs à ceux
pratiqués en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Le gouvernement Michel a toutefois
décidé de mettre un terme à ce dispositif au 31 décembre 2017 (qui pourrait même être
abandonné à tout moment d’ici là s’il s’avérait qu’il a un effet perturbateur important
sur le marché).
La libéralisation du marché de l’énergie a par ailleurs offert au consommateur final la
possibilité de jouer sur la concurrence entre les fournisseurs et d’influencer ainsi sa
facture d’énergie. Après des débuts très frileux qui l’ont vu rester fidèle à l’opérateur
historique, Electrabel, le consommateur n’hésite plus aujourd’hui à comparer et à changer
de fournisseur, aidé en cela par les divers comparateurs mis à sa disposition. Le résultat
est que le nombre de changements de fournisseur a pris son envol depuis 2012 et que
la concentration du marché est en nette diminution. Les comparateurs de prix pour
l’énergie ne reprennent cependant que les contrats actifs, avec les formules tarifaires
du mois. Or, une majorité des consommateurs finaux s’alimentent en gaz et en électricité
dans le cadre d’un contrat que l’on peut qualifier de « dormant », car soit il s’agit d’un
produit qui n’est plus commercialisé, soit d’un produit dont le nom subsiste mais dont
la formule tarifaire a été modifiée. Pour pouvoir situer l’intérêt de tels contrats par
rapport à ce que propose la concurrence, la CREG propose un nouvel outil comparatif
pour la composante énergie de la facture (CREG scan) sur son site Internet.

3.3.2. Les clients industriels

Comme l’explique la CREG, le concept de « grand client industriel » est une notion
abstraite qui recouvre différents types de consommateurs. On peut définir les clients
industriels comme ceux qui consomment plus de 10 GWh d’électricité par an, quel que
soit le type de raccordement dont ils bénéficient. En 2015, le régulateur comptabilisait
484 grands clients industriels répondant à cette description 55, ce qui représente un volume
de consommation de 28,8 TWh, soit 35,3 % de la consommation des clients finaux belges
au cours de l’année étudiée. Les clients industriels peuvent également être considérés
comme ceux raccordés au réseau à haute tension (géré par Elia), indépendamment du
volume de consommation facturé. Il s’agit de 131 clients industriels en 2015, pour un
prélèvement total de 17,38 TWh, soit 22,5 % du prélèvement total enregistré sur le
réseau de transport d’Elia.
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Parmi ces grands clients industriels, les profils de consommation diffèrent (profil baseload,
consommation de nuit, etc.), ce qui influence leur facture d’électricité. Certains d’entre
eux disposent d’unités de production d’électricité situées sur leurs sites, ce qui est pris
en compte par Elia pour établir un prix sur la base du prélèvement net au réseau. Par

54
Sur la base de la loi du 8 janvier 2012 portant modifications de la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation
du marché de l’électricité et de la loi du 12 avril 1965 relative au transport de produits gazeux et autres
55
par canalisations (Moniteur belge, 11 janvier 2012).
Ces données sont fournies dans CREG, « Étude relative à la fourniture d’électricité des grands clients
industriels en Belgique en 2015 », n° (F)1600, 22 décembre 2016, www.creg.be, p. 3 et suivantes.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 33

ailleurs lorsque ces unités de production sont renouvelables (photovoltaïque, éolien)


ou de cogénération, le client peut négocier son contrat avec le fournisseur et lui vendre à
un prix avantageux ses certificats verts ou de cogénération. D’autres clients encore mettent
une partie de leur terrain à disposition de leur fournisseur pour la construction d’unités
de production en échange d’un prix de l’énergie plus avantageux. À travers un contrat
nommé tolling agreement, les clients industriels qui disposent d’énergie primaire (le plus
souvent du gaz) négocient celle-ci auprès d’un opérateur qui la transforme en électricité
et la met à disposition de l’entreprise moyennant un droit de passage. Enfin, certains
clients industriels qui disposent d’une certaine souplesse concernant leurs besoins en
électricité monnaient celle-ci en acceptant d’adapter leur consommation en fonction des
instructions de leur fournisseur. Ils y sont désormais aidés par des acteurs spécialisés
tels que les entreprises Restore ou Actility. Celles-ci proposent des solutions et des
technologies d’effacement de consommation aux grands industriels, afin de répondre
aux enjeux d’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité.
Le système tarifaire qui lie les grands clients industriels aux fournisseurs d’électricité
56
diffère de celui en application pour les clients résidentiels et les PME : ce tarif est négocié
selon les différents profils de client que nous venons d’évoquer. Cette négociation porte
sur l’ensemble des composantes pour lesquelles le fournisseur a la possibilité de dégager
une marge, à savoir le prix de l’électricité elle-même (le prix de l’énergie active), mais
également la contribution renouvelable qui est liée à l’obligation régionale de certifier,
via les certificats verts et de cogénération, un certain quota d’électricité d’origine
renouvelable. Selon la CREG, environ un client industriel sur vingt dispose d’un prix fixé
dans le contrat. Environ un client sur vingt opte pour un prix fluctuant sur la base des
cotations horaires du marché journalier de l’électricité (Belpex) ; les gros consommateurs
industriels concernés ici sont donc facturés heure par heure sur la base de leur
consommation réelle, avec l’intérêt pour eux, lorsque cela est possible, d’adapter leur
production en fonction de l’évolution des prix sur les marchés de gros de l’électricité. Mais
la majorité des clients industriels (90 % en 2015) opte pour une formule intermédiaire
de « clicks » à activer sur le marché « forward » (ICE ENDEX) sur lequel sont effectués
des achats d’énergie pour le futur. Dans ce type de contrats, le client fixe au moyen d’un
« click » le prix d’un pourcentage ou de la totalité d’une future fourniture d’énergie. Il existe
une grande diversité de mécanismes de « clicks », avec plus ou moins de flexibilité et
de prise de risque pour le client.
Il existe un différentiel de prix important entre les différents clients industriels 57, qui
s’explique principalement par les profils de chacun d’entre eux ainsi que par le timing
qu’ils choisissent pour conclure leur contrat et exécuter les « clicks ». La CREG indique
ainsi que, en 2015, pour les 484 grands clients industriels répertoriés (consommation
facturée supérieure à 10 GWh), la fourchette de prix facturés était comprise entre
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15 euros/MWh et 79 euros/MWh. Selon le régulateur fédéral, le prix de l’électricité facturée © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
aux grands clients industriels belges a connu une hausse presque continue entre 2002
et 2009, avant d’amorcer une forte baisse entre 2009 et 2010, et ensuite une relative
stabilité jusqu’en 2015. Cette stabilité s’explique par une diminution des prix sur les
bourses de l’électricité observée depuis 2010 mais compensée par une augmentation de
la « contribution renouvelable » liée au mécanisme des certificats verts et de cogénération.

56
57
Ibidem, p. 8.
Ibidem, p. 9 et suivantes.

CH 2321
34 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

La fourniture d’électricité aux grands clients industriels est très largement dominée par
Electrabel : elle représente 55,4 % des grands clients industriels belges en 2015 et 62,2 %
de la consommation totale facturée à ces derniers. Ceci étant, les parts de marché de la
filiale du groupe français Engie ne cessent de se réduire (98,4 % de la consommation totale
facturée en 2002 contre 62,2 % en 2015). La diminution des parts de marché d’Electrabel
depuis la libéralisation du marché de l’énergie s’explique, d’une part, par l’apparition
et le déploiement d’autres fournisseurs (EDF Luminus et RWE, notamment) et, d’autre
part, par le développement, par certains clients industriels (tels qu’Arcelor, Total et Air
Liquide), de leurs propres activités de fourniture.
Sur le marché du gaz, les clients industriels sont ceux qui sont raccordés directement
au réseau de transport de Fluxys. Ils sont 149 en 2015 et représentent, avec 50 TWh,
58
28 % de la consommation des clients finaux belges au cours de cette même année .
Ici également, le prix du gaz est négocié entre le client industriel et son fournisseur.
Selon la CREG, pour l’année 2015, 9 % des clients industriels ont conclu pour leur
approvisionnement en gaz un contrat avec un prix variable indexé sur les cotations
pétrolières, 77 % de ces mêmes clients ont choisi un contrat avec un prix variable indexé
sur les cotations gazières, et enfin 14 % ont opté pour un contrat à prix fixe. Il existe
donc très logiquement une corrélation importante entre l’évolution des prix de contrats
de vente à la clientèle industrielle et l’évolution des cotations sur les bourses du gaz (le
TTF101). Avant 2013, la référence pour la fixation du prix repris dans les contrats de
fourniture était majoritairement les cotations pétrolières. Les prix facturés en 2015 à ces
clients industriels se situaient dans une fourchette comprise entre 18,1 et 31,3 euros/MWh
et étaient en moyenne de 21 euros/MWh 59. Le prix moyen du gaz facturé aux grands
industriels se situe depuis 2007 dans une fourchette comprise entre 21 et 29 euros/MWh
60
avec un plafond atteint en 2008 et un plancher atteint en 2010 et 2013 . La fourniture
de gaz aux grands clients industriels est majoritairement dominée par le groupe ENI.
Ce fournisseur a fourni 35,7 % du volume consommé en 2015 par ce segment du marché.
Toutefois, la part de marché d’ENI s’inscrit en baisse presque constante depuis 2007
(76,9 % du volume consommé par les grands clients industriels). Cette érosion des parts
de marché d’ENI s’explique par le développement d’autres fournisseurs (Engie, Wingas,
Vattenfall, Statoil, etc.) mais également, comme pour l’électricité, par le choix opéré
par certains grands clients industriels (Arcelor et Air Liquide, notamment) de devenir,
pour tout ou partie de leurs besoins, leur propre fournisseur.
Regroupés au sein de la Federation of Belgian Industrial Energy Consumers (FEBELIEC),
les consommateurs industriels belges d’électricité et de gaz naturel (parmi lesquels
ArcelorMittal, Air Liquide - AL, Nyrstar, Umicore, Infrabel, Total, Tessenderlo, Combinat
métallurgique de Novolipetsk - NLMK, GlaxoSmithKline - GSK, Bekaert, Unilin et BASF)
tirent la sonnette d’alarme sur le handicap de compétitivité (entre 10 et 40 %) que
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représente pour eux la facture d’électricité par rapport aux pays voisins 61. Pour pallier © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)

58
CREG, « Étude sur la fourniture en gaz naturel des grands clients industriels en Belgique »,
n° (F)160929-CDC-1570, 29 septembre 2016, www.creg.be, p. 3.
59
60
Ibidem, p. 9.
Ibidem, p. 3. Selon la CREG, étant donné les cotations gazières enregistrées sur les trois premiers
trimestres de 2016, un nouveau plancher devrait être atteint pour cette année.
61
FEBELIEC, « La compétitivité de l’industrie belge une fois de plus mise en péril par des prix de l’électricité
trop élevés. Le désavantage s’élève à des centaines de millions d’euros », Communiqué de presse,
24 avril 2017, www.febeliec.be.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 35

ce déficit de compétitivité, la FEBELIEC souhaite que soit adoptée une norme énergétique
comparable à la norme salariale en vigueur en Belgique. Cette norme garantirait que
le prix de l’électricité et du gaz reste dans une fourchette compétitive par rapport aux
principaux États voisins. Si ce projet figure dans le programme du gouvernement fédéral,
il n’a pour autant pas encore vu le jour.

3.4. LES RÉGULATEURS

Bien qu’il s’agisse d’acteurs incontournables au sein du marché de l’énergie, nous ne


dépeindrons que succinctement ici le rôle joué par les régulateurs fédéral et régionaux
en matière d’énergie, leur implication étant déjà décrite, de manière transversale, aux
différents chapitres du présent Courrier hebdomadaire.
Les compétences en matière d’énergie étant réparties entre le niveau fédéral et les Régions,
il existe un régulateur fédéral, la CREG, et trois régulateurs régionaux, la CWAPE,
BRUGEL et le VREG. Au niveau fédéral, la CREG veille au respect de la transparence
et de la concurrence sur les marchés de l’électricité et du gaz naturel, approuve les tarifs
de transport d’Elia et de Fluxys, veille au respect des intérêts des consommateurs ainsi qu’à
la juste adéquation entre le fonctionnement des marchés, l’intérêt général et l’évolution
du cadre de la politique énergétique menée en Belgique. Quant aux régulateurs régionaux,
ils sont responsables de l’organisation et du fonctionnement sur les marchés régionaux
de l’électricité et du gaz, ce qui leur confère un rôle de conseiller sur les décrets et arrêtés
en matière d’énergie avant qu’ils ne contrôlent l’application de ceux-ci. Depuis juillet 2014,
62
tant pour l’électricité que le gaz) , ce sont également les régulateurs régionaux qui
approuvent les tarifs du réseau de distribution. Enfin, la CWAPE, BRUGEL et le VREG
assurent un service de médiation auquel les consommateurs peuvent s’adresser en cas
de problèmes avec leur fournisseur ou gestionnaire de réseau de distribution.
Parmi les enjeux que devront rencontrer les régulateurs régionaux, figure celui de garder
des tarifs de réseau les plus raisonnables possibles et faire ainsi face, notamment, aux
exigences des intercommunales. Il s’agira également d’intégrer et de faire participer
aux coûts du réseau des micro-structures qui visent l’auto-consommation. En fonction
du coût que cela implique, il faudra d’ailleurs en premier lieu trancher la question de
l’utilité et de l’intérêt d’un raccordement de tels micro-réseaux, qui pourraient très bien
également rester autonomes. Dans le même ordre d’idées, les régulateurs régionaux
devront également faire aboutir un dossier déjà très polémique, en Wallonie comme
en Flandre : sans mettre à mal le développement du photovoltaïque, ils devront mettre
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au point un mécanisme qui mette à contribution les détenteurs de panneaux solaires.
Dans son nouveau projet de méthodologie tarifaire pour les GRD (document encore
soumis à consultation), la CWAPE propose d’appliquer, à partir du 1er janvier 2009,
les frais de réseau de distribution et de transport aux particuliers détenteurs de panneaux
photovoltaïques pour la part d’électricité qui n’est pas auto-consommée et qui est donc

62
Sur la base de l’application du décret wallon du 11 avril 2014 modifiant le décret du 12 avril 2001
relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité (Moniteur belge, 17 juin 2014), qui s’applique
également, sur ce point, au décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz.

CH 2321
36 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

63
injectée sur le réseau . Ce tarif dépendrait de la puissance installée et correspondrait,
pour une capacité moyenne de 5 kW et selon la moyenne des tarifs pratiqués par les GRD
wallons, à 438,13 euros par an, TVA comprise 64. Pour l’asbl Touche pas à mes certificats
verts, qui défend les intérêts des détenteurs de panneaux solaires, l’un des problèmes que
soulève cette nouvelle tarification porte sur l’assurance du taux de retour sur investissement
de 8 ans garanti par le système Qualiwatt 65.
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CWAPE, « Décision relative au “projet de méthodologie tarifaire applicable aux gestionnaires de réseau
de distribution d’électricité et de gaz naturel actifs en Région wallonne pour la période régulatoire 2019-
2023” (Document soumis à consultation du 31 mars 2017 au 19 mai 2017) rendue en application de
l’article 43, § 2 du décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité »,
31 mars 2017, www.cwape.be.
64
65
L’Écho, 4 avril 2017.
Pour une description du système de soutien wallon Qualiwatt, cf. F. COLLARD, « Les énergies renouvelables »,
op. cit.

CH 2321
4. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES

Si mener une politique énergétique avec une vision de long terme n’est déjà pas chose aisée,
compte tenu des différents acteurs en présence mais également des enjeux et contraintes
qui caractérisent la sphère énergétique, une autre difficulté s’ajoute encore à cette équation
déjà complexe, celle de voir la politique énergétique d’un pays aux mains de différents
niveaux de pouvoir. La Belgique est loin d’être un cas unique en la matière car, avec la
volonté de voir éclore un peu partout dans le monde, et en particulier en Europe, une réelle
transition énergétique, différentes compétences liées à la promotion d’une consommation
d’énergie plus efficace et au développement des énergies renouvelables sont attribuées
aux collectivités locales.
En Belgique, les compétences en matière d’énergie sont réparties entre l’Autorité fédérale
(sécurité d’approvisionnement, transport d’électricité sur le réseau haute tension, stockage
et transport du gaz naturel, énergie nucléaire, éolien off-shore, calcul du tarif social,
tarifs pratiqués par les gestionnaires de réseau de transport) et les Régions wallonne,
bruxelloise et flamande (distribution et transport local d’électricité, distribution de gaz,
production à partir de sources d’énergie renouvelable, utilisation rationnelle de l’énergie,
obligations de service public telles que celles liées à la protection de l’environnement
ou aux mesures sociales et, depuis juillet 2014, contrôle des tarifs pratiqués par les
gestionnaires de réseau de distribution publique du gaz et de l’électricité).
Cette répartition des compétences entre différents niveaux de pouvoirs entraîne
essentiellement deux répercussions. La première est que cette façon de procéder pour
le secteur énergétique induit, pour le consommateur final, un indéniable manque de
transparence quant aux impositions diverses et aux mécanismes de soutien ou de subsides
liés aux autorités fédérales ou régionales. Devant un tel flou, il devient ardu pour le
consommateur d’imputer une quelconque responsabilité de la hausse constante du prix
de l’énergie à tel ou tel acteur. Nous avons tenté, dans les chapitres précédents, d’éclairer
le lecteur sur cette question. Si le prix de gros de l’électricité s’affiche à la baisse et
représente une part de plus en plus réduite de la facture énergétique globale, les coûts
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de transport et de distribution sont eux à la hausse.
Un second constat émerge également de cet éclatement de la politique énergétique
entre l’Autorité fédérale et les Régions. Il semble en effet difficile pour les différents
ministres concernés (quatre au total) de se mettre d’accord sur une politique concertée à
long terme. Lors de la conférence internationale sur le climat qui s’est tenue à Paris du
30 novembre au 12 décembre 2015, la COP21, la Belgique s’est fait remarquer en recevant
le très peu honorable prix Carbone pour n’être pas arrivée à un accord sur la répartition
des efforts à fournir par chacun pour atteindre différents objectifs à l’horizon 2020 (ce

CH 2321
38 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

66
que l’on appelle le burden sharing) . Les objectifs globaux demandés à la Belgique étaient
pourtant fixés par l’Europe depuis 2008 déjà. Le 4 décembre 2015, les quatre ministres
belges en charge de l’Énergie ont enfin conclu un accord politique pour se répartir les
efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de production d’énergie
renouvelable, d’engagement financier international et de partage des revenus de la mise
aux enchères des quotas CO2. Prenant le relais, la Commission nationale climat (CNC) 67,
chargée de concrétiser cette ébauche de compromis, a fournit un projet de texte fin
mars 2016 contenant encore une dizaine d’arbitrages à poser. Les points de désaccord
consistaient notamment à s’entendre sur le versement des recettes Emissions Trading
System (ETS), provenant de ce que paient les grandes entreprises pour une partie de leurs
émissions. Ces revenus constituent des moyens de financement nouveaux, qui doivent
être attribués au soutien de politiques climatiques et permettre à la Belgique d’aider les
pays les plus vulnérables à faire face aux impacts des changements climatiques. Pour la
ministre fédérale en charge de l’Énergie, M.-C. Marghem, ce qui empêchait de clôturer
le volet juridique accompagnant l’accord de 2015 résidait davantage dans une dispute
entre Wallonie et Flandre sur la mise en place du principe de solidarité liant les Régions :
une Région qui disposerait d’un surplus d’énergie renouvelable devrait la revendre à un
prix préférentiel aux autres Régions. Les ministres régionaux ont réfuté l’argument,
pointant un problème de méthode. À la fin du mois d’octobre 2016, un accord juridique
a enfin été entériné par le Comité de concertation (l’organe de supervision politique de
la CNC et lieu de rencontre des différents gouvernements concernés).
Pendant ce temps, se profilait déjà la COP22 à Marrakech, du 7 au 18 novembre 2016,
qui, même si les difficultés sont nombreuses encore, a donné une assise plus technique
à l’accord intervenu à l’issue de la COP21 : limiter le réchauffement climatique mondial
en dessous de 2 degrés, voire 1,5 degré d’augmentation des températures par rapport à
l’ère préindustrielle. À nouveau, la Belgique, à tous ses échelons, devra s’entendre pour
avancer sur cette voie. Dans ce cadre, les acteurs de terrain en appellent à la définition
d’un Plan national climat actualisé, qui proposerait une vision concertée des différentes
entités en matière de politique climatique et énergétique et faciliterait les négociations d’un
prochain burden sharing pour la période 2020-2030. Les deux fédérations représentatives
du secteur des énergies renouvelables en Belgique, la Fédération des énergies renouvelables
(Edora) et l’Organisatie voor Duurzame Energie (ODE Vlaanderen), ont réuni au Sénat,
en novembre 2016, des représentants de la société civile, des entreprises et des élus
politiques pour rappeler l’urgence d’une politique énergétique concertée. Certains
mandataires politiques souhaiteraient que soit créée, au sein du Sénat, une commission
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Il s’agit de la répartition intérieure des engagements européens et internationaux de la Belgique dans
67
le cadre de la politique climatique et énergétique 2013-2020.
La CNC a été établie par l’article 3 de l’accord de coopération du 14 novembre 2002 entre l’État
fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’établissement,
l’exécution et le suivi d’un Plan national Climat, ainsi que l’établissement de rapports dans le cadre de
la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du Protocole de Kyoto
(Moniteur belge, 27 juin 2003). Parmi ses attribution, la CNC doit évaluer la coordination et la coopération
fédérales et interrégionales, ainsi que le niveau d’exécution et l’impact (écologique, social et économique)
des politiques et mesures prises sur la base du Plan national Climat.

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 39

interparlementaire pour réunir tous les niveaux de pouvoir concernés sur ces questions
68
transversales du climat ou de l’énergie .
Indépendamment du burden sharing, les tentatives de placer autour de la table les
différentes entités afin de mettre au point une politique énergétique claire et efficace
semblent jusqu’ici n’avoir débouché en Belgique sur rien de très concret encore. Pire,
en matière de développement des énergies renouvelables, qui est une matière assez
logiquement locale, chaque Région a développé des mécanismes semblables, mais
suffisamment différents pour être incompatibles entre eux. Ces systèmes de soutien
ont par ailleurs connu des dérapages dans la filière du photovoltaïque de petite capacité,
destiné aux particuliers, et cela au sud comme au nord du pays.
Quant à une vision politique commune, après plusieurs tentatives avortées, la ministre
M.-C. Marghem a annoncé un pacte interfédéral pour 2017 (pacte à l’origine promis pour
la fin 2015). Ce dernier doit déterminer enfin le mix énergétique qu’entend soutenir la
Belgique à moyen et à long terme (à l’horizon 2050). En effet, à ce jour, nombre de
questions restent encore sans réponse ferme et définitive. Les centrales belges vont-elles
réellement fermer ? Si oui, à quel rythme ? Quelle transition énergétique sera celle de
la Belgique, avec quelle répartition, dans le mix électrique, des différentes sources d’énergie
utilisées actuellement (nucléaire, gaz et renouvelable) ? Comment sera assurée à l’avenir
la sécurité d’approvisionnement électrique ? Quel poids sera accordé aux importations
et comment la Belgique s’intègrera-t-elle au sein d’une Europe de plus en plus
interconnectée ? Comment répartir dans le temps les politiques nécessaires sans qu’il
n’y ait un nouvel emballement des charges pour les consommateurs ? Comment attirer
de nouveaux investissements ? Comment introduire de manière efficiente au sein de
l’équation énergétique les deux paramètres incontournables que semblent devenir les
outils de flexibilité et de stockage de l’électricité ? Etc. La liste est longue.
À l’heure de publier ces lignes, le pacte interfédéral annoncé n’a pas encore vu le jour.
En février 2017, toutefois, les travaux semblent avoir débuté au sein de quatre groupes
de travail : l’Autorité fédérale étudiera l’interconnexion avec l’étranger ; la Wallonie se
chargera du fonctionnement du marché ; la Région de Bruxelles-Capitale planchera sur
la gouvernance ; la Flandre élaborera une stratégie pour la production d’énergie.
Ce pacte énergétique, s’il voit le jour, sera sans nul doute accouché dans la douleur, car
chacun jusqu’ici (les pouvoirs publics, les acteurs du marché ainsi que les consommateurs)
souhaiterait que la transition énergétique puisse s’opérer sans devoir en subir trop
fortement les conséquences. Cette transition est pourtant déjà bel et bien en marche,
et elle devra être un minimum encadrée afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement,
tout en assurant des obligations environnementales et sociales, à un coût le plus possible
maîtrisé et transparent, tout en soutenant l’activité économique. L’équation est difficile.
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Mais à terme, il est permis d’espérer que cette transition mènera à davantage de stabilité © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)
d’approvisionnement, d’autonomie et de respect de l’environnement.

68
Cf. Sénat, Rapport d’information sur le processus décisionnel intrabelge en matière de répartition de
l’effort climatique au regard des objectifs climatiques. Rapport fait au nom de la commission des Matières
transversales – Compétences régionales, n° 253/2, 23 janvier 2017.

CH 2321
CONCLUSION

Le secteur de l’énergie, en Belgique comme ailleurs, doit aujourd’hui se remettre en


question et répondre à plusieurs interrogations fondamentales. Il doit également poser
divers choix cruciaux. Même si les défenseurs du nucléaire et parfois même des énergies
fossiles continuent de s’opposer aux partisans des énergies renouvelables, pour des
considérations économiques et écologiques voire philosophiques, il semble assez évident
que l’Europe dans son ensemble a aujourd’hui décidé de suivre le chemin d’une transition
énergétique en faveur de plus d’énergie verte. Partout en son sein, se pose désormais la
question de l’intégration dans un réseau déjà existant, parfois vieillissant, de ces sources
d’énergie décentralisées.
Les gains qui découlent de l’introduction de davantage d’énergie renouvelable dans le mix
énergétique d’un pays semblent évidents : une énergie propre, ou à tout le moins plus
propre que celle en place (et ce même si le nucléaire fait valoir qu’il constitue une
technologie générant peu de CO2), moins dangereuse et offrant davantage d’autonomie.
Mais ces arguments sont loin de convaincre tout le monde. Les éoliennes sont accusées
d’être trop bruyantes et de ne pas bien s’intégrer dans les paysages. Surtout, le vent et
le soleil n’offrent qu’une énergie intermittente, qu’il est en outre coûteux et peu aisé
d’intégrer au réseau existant. Sans oublier que le renouvelable, subsidié par les pouvoirs
publics, gonfle les factures d’électricité alors que le nucléaire coûte peu actuellement,
notamment parce que le parc de centrales est largement amorti. Des craintes se manifestent
toutefois quant aux investissements à consentir dans le futur pour maintenir ce parc
en état, le moderniser ou le renouveler. Son démantèlement prévu aura un coût non
négligeable également. Sans compter que, quelle que soit la solution adoptée, s’impose
le délicat dossier de la gestion des déchets. Les adversaires de l’atome font également
valoir la menace que représentent les centrales nucléaires – qu’il s’agisse de celles déjà en
place, en particulier les plus anciennes, ou de celles récemment construites ou en projet –,
réfutant les arguments de ceux qui considèrent à l’inverse que tout est scientifiquement
en place pour assurer la sécurité des installations et des populations. À l’occasion, est
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souligné également le fait que, si le renouvelable présente certes de réelles lacunes en termes
de réactivité aux besoins énergétiques soudains, les centrales nucléaires ne constituent
pas non plus une panacée en la matière (les centrales au gaz sont bien plus flexibles et
rapidement mobilisables, mais elles sont actuellement moins rentables). Le débat est
connu et semble sans fin.
Force est de constater que, en Belgique, ce débat n’est que peu encadré par le pouvoir
politique. À ce jour, il reste en effet fort difficile d’obtenir une vision claire de la feuille
de route à venir en matière d’énergie. Assurer l’approvisionnement électrique du pays
repose pour l’instant sur la somme des capacités en place, année après année. Cette

CH 2321
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 41

équation – dont les médias ne manquent pas, à l’approche de chaque hiver, de souligner
la fragilité – dépend du nombre de centrales nucléaires en activité, de la capacité de
renouvelable raccordée au réseau, des investissements consentis dans les centrales au
gaz, des capacités d’importation disponibles (en fonction notamment des conditions
climatiques attendues dans les pays voisins) et de la soupape de sécurité que constitue
la réserve stratégique. Si le compte est bon, il semble que la situation soit sous contrôle
jusqu’en 2018. Il convient toutefois de souligner que, outre tous les obstacles et
difficultés que nous venons de rappeler, intervient le fait qu’accroître les capacités
d’importation d’électricité de la Belgique est certes une opération intéressante, mais
qu’elle accroît la dépendance aux réserves d’énergie des pays voisins et qu’elle représente
un coût important. Autour de cette équation, par manque de vision, la Belgique joue
un peu à se faire peur. C’est que, parmi les enjeux, figure également celui de répartir au
mieux le coût de la transition énergétique, ce qui implique notamment de préserver la
compétitivité des entreprises et de permettre à chacun, quelle que soit sa situation sociale
et économique, d’accéder à l’électricité (de même qu’au gaz).
L’exercice politique est d’autant plus difficile que les compétences qui l’encadrent sont
dans les mains de différents niveaux de pouvoir. Le niveau fédéral s’occupe ainsi de la
sécurité d’approvisionnement, des réseaux de transport haut débit du gaz et haute tension
de l’électricité, de l’énergie nucléaire, du parc éolien off-shore et du calcul du tarif social.
Quant à elles, les Régions sont en charge de la distribution de l’électricité et du gaz sur
le réseau secondaire, de la production d’énergie à partir de sources d’énergie renouvelables,
de l’utilisation rationnelle de l’énergie et des obligations de service public. Le niveau
communal, dans une moindre mesure, est également concerné, à travers les gestionnaires
de réseau de distribution. Pour unifier les politiques menées à chaque échelon et avancer
vers un objectif balisé et commun, un pacte interfédéral est promis depuis longtemps,
sans résultats concrets à ce jour.
Pour autant, les choses changent. Ainsi, on ne peut nier l’impulsion politique première
qui a été donnée, avec entre autres l’obligation imposée par l’Union européenne à chacun
de ses États membres de soutenir, à travers des quotas, la production issue d’énergies
renouvelables. Cependant, c’est essentiellement dans la sphère privée que l’on trouve
aujourd’hui les signes de la transition énergétique. Quel que soit leur historique, quelle
que soit leur taille et qu’il s’agisse là d’une option exclusive ou combinée à d’autres
développements, les fournisseurs d’électricité investissent désormais dans le renouvelable
et le font savoir. C’est pour eux une question d’image mais également de rentabilité. Pour
appréhender l’avenir et même tout simplement pour survivre, des géants tels qu’E.ON
en Allemagne ou Engie en France ont compris qu’ils doivent repenser leur organisation
et leurs priorités en matière d’investissements. C’est à celui qui fera les bons choix dans
un secteur en pleine mutation.
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Cette transition énergétique s’observe enfin à un autre échelon, celui de la distribution. © CRISP | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.92.77)

Les gestionnaires de réseau doivent en effet faire face à plusieurs défis : l’intégration de
leur réseau sur un marché européen de l’électricité de plus en plus interconnecté et le
raccordement du renouvelable. Celui-ci soulève dans son sillage plusieurs questions.
Par exemple, faut-il encourager le développement de micro-réseaux et convient-il
obligatoirement de relier ceux-ci au réseau secondaire ? L’intégration du renouvelable
au réseau en place nécessite par ailleurs l’exploitation de nouvelles technologies permettant
davantage de flexibilité : réseaux et compteurs intelligents (grâce au recours au numérique),

CH 2321
42 LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

développement de solutions de stockage, etc. On est là face à une nouvelle façon de penser
le réseau, qui pourrait impliquer le développement de nouveaux métiers et intéresser
de nouveaux acteurs.
Le secteur de l’énergie évolue. Mais, en Belgique, il lui manque encore des lignes directrices
claires. La consommation d’électricité du pays reste fortement tributaire de la production
nucléaire, alors que la fermeture des centrales belges est programmée et que les
importations rendent le pays dépendant de la production des pays voisins. Or le pacte
énergétique interfédéral a été repoussé à la fin 2017, au grand dam de ceux qui considèrent
qu’il y a urgence.
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part, que ces acteurs soient politiques, économiques, sociaux, associatifs, etc.
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correspondant à deux numéros. Chaque livraison est une monographie consacrée à l’étude
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