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Olivier Richard
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1. [Korner, Hermann], Die Chronica novella des Hermann Korner, Göttingen, éd. Jakob
Schwalm, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1895, pp. 324-325 : « Domicelli urbis Lubicensis
in carnisprivio elegerunt xii cecos validos, quos previe crapulis et potacionibus reficientes letos et audaces fecerunt
< secundum cronicam Lubicensem >, deinde loricis toracibusque ac ceteris armis veteribus corpora eorum induerunt
< et capitibus eorum galeis eversis impositis, ne videre possent cecos si [se: éd.] mencientes > ad pugnandum eos dis-
posuerunt. Quibus sic armatis dabatur cuilibet clava ad manum et introducebantur in locum in publico foro ad hoc
spectaculum factum, quadrangularem asseribus circumdatum. At ubi dum starent armati ad certamen ridiculosum,
introducebatur ad eos porcus quidam fortis, quem ictibus mactare debebant et percussum devorare. Ad quod iocale
insolitum congregabantur nedum parvuli et iuvenes, sed et senes et provecti, mulieres et virgines, clerici et layci,
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6. Heinrich von Kleist, « Uralte Reichstagsfeierlichkeit », in Sämtliche Werke, Munich, 1961,
vol. II, pp. 282 sq. ; Martin Walser, Das Sauspiel. Szenen aus dem 16. Jahrhundert, Francfort/M,
Suhrkamp, 1975 (d’après l’œuvre de Hans Sachs du xvie siècle); Guy de Mordelles, Jeu des aveugles
et du pourcel, Laval, Association des anciens élèves du lycée Victor-Hugo de Château-Gontier,
1986 ; la bande dessinée de Léon Maret, Canne de fer et Lucifer, Strasbourg, éditions 2024, 2012,
évoque p. 36 le jeu (avec des participants aux yeux bandés).
7. Hans-Jörg Uther, Behinderte in populären Erzählungen: Studien zur historischen und vergleichenden
Erzählforschung, Berlin, De Gruyter, 1981, p. 83, pense encore qu’il s’agit d’une fiction littéraire et
non d’un spectacle réel.
8. Voir Dirk Bax, « Als de blende tzwijn sloughen », art. cit. (n. 2), dont la question de savoir
si les participants sont de véritables aveugles ou des hommes aux yeux bandés constitue le point
de départ de l’article ; pour Zwickau, Emil Herzog, dans la première moitié du xixe siècle, tra-
duit « les hommes aveugles » (die blinden Männer) de sa source, la chronique du boulanger Peter
Schumann du xvie siècle, par « quelques hommes aux yeux bandés » (einige Männer mit verbundenen
Augen), voir Reinhold Hofmann, « Das älteste Zwickauer Armbrustschießen (1489) », Mitteilungen
des Altertumsvereins für Zwickau und Umgegend, n° 8, 1905, pp. 40-59, ici p. 56. Déjà, au xviie siècle, le
chroniqueur de Zwickau Tobias Schmidt déclare ne « pas savoir si c’étaient de vrais aveugles (rechte
Blinde) ou [des hommes] aveuglés à l’aide d’un bandeau exprès pour ce divertissement (« nur zu die-
ser Kurtzweil verblendete und verbundene »), Tobias Schmidt, Chronica Cygnea, Zwickau, Goepner, 1656,
p. 526. Pour Bruges, voir Alphonse Vandenpeereboom, Ypriana. Notices, études, notes et documents sur
Ypres. Tome cinquième : Tuindag et Notre-Dame de Tuine, Bruges, Aimé de Zuttere, 1881, ici p. 112, pour
qui il ne saurait s’agir que d’hommes aux yeux bandés, puisque produire de vrais aveugles aurait
été par trop cruel.
9. Maurits Sacré, Aimé de Cort, Volksspelen en volksvermaken in Vlaamsch-België, Merchtem,
Sacré-De Buyst, 1925, p. 123, qui dénoncent le mauvais traitement infligé au cochon ; mentionné
par Dirk Bax, « Als de blende tzwijn sloughen », art. cit. (n. 2), p. 86.
10. Sur Anvers en 1559, Emanuel van Meteren, Historie der Nederlandscher ende haerder Naburen
OOrlogen ende geschiedenissen, Tot den Iare 1612, s’Graven-Haghe, 1614, f° 25v : « lieten Verckenen by
verblinde ghewapende lieden doot smijten ».
11. « gemeinen blinden die gantz blind sind », Spire, 1487.
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12. Gladys Swain, « Une logique de l’inclusion : les infirmes du signe », Esprit, mai 1982, pp.
61-75, ici p. 65 ; Claudia Gottwald, Lachen über das Andere, op. cit. (n. 4), pp. 238-239 ; la thèse de
C. Gottwald est qu’il était parfaitement accepté socialement de rire des personnes déficientes jus-
qu’au xviiie siècle ; cela ne serait devenu inconvenant qu’avec les Lumières.
13. Parmi les désormais assez nombreuses présentations du champ de la disability history, voir
notamment Elsbeth Bösl, Anne Klein, Anne Waldschmidt (dir.), Disability History. Konstruktionen
von Behinderung in der Geschichte. Eine Einführung, Bielefeld, transcript, « Disability Studies », 6,
2010 et Anne Klein, Sebastian Barsch, Pieter Verstraete (dir.), The Imperfect Historian – Disability
Histories in Europe, Frankfurt a. M., Peter Lang, 2013. Pour les synthèses centrées sur le Moyen
Âge, voir Irina Metzler, Disability in medieval Europe : thinking about physical impairment during the high
Middle Ages, c. 1100-1400, Londres, Routledge, 2006 et Eadem, A Social History of Disability, op. cit.
(n. 4), ainsi que Henri-Jacques Stiker, Corps infirmes et sociétés. Essais d’anthropologie historique (1982),
Paris, Dunod, 2005, chap. 4.
14. Voir notamment Michel Foucault, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975,
Paris, Gallimard-Le Seuil, 1999. Aux pp. 40-44, il décrit le passage du modèle de l’exclusion du
lépreux à l’inclusion du pestiféré, qui est opéré surtout aux xviie-xviiie siècles, mais dont cer-
tains signes apparaissent dès la fin du Moyen Âge. Sur l’influence de Foucault sur la disability
history, lire par exemple Anne Waldschmidt, « Warum und wozu brauchen die Disability Studies
die Disability History ? Programmatische Überlegungen », in Elsbeth Bösl, Anne Klein, Anne
Waldschmidt (dir.), Disability History, op. cit. (n. 13), pp. 13-27.
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15. Voir, parmi d’autres ouvrages, Peter Arnade, Realms of ritual. Burgundian Ceremony and
Civic Life in Late Medieval Ghent, Ithaca, New York/Londres, Cornell University Press, 1996 ; Élodie
Lecuppre-Desjardin, La Ville des cérémonies : essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas
bourguignons, Turnhout, Brepols, 2004.
16. L’affirmation répétée d’attestations du jeu en Suisse remonte à une mauvaise lecture par
Ernst Schubert, Alltag im Mittelalter. Natürliches Lebensumfeld und menschliches Miteinander, Darmstadt,
WBG, 2002, p. 205, de sa source, Walter Schaufelberger, Der Wettkampf in der alten Eidgenossenschaft
bis ins 18. Jahrhundert, Berne, Paul Haupt, 1972, p. 89, qui en réalité ne fait que citer les épisodes
de Spire, 1487, et Heidelberg, 1490, d’après les invitations aux concours de tir.
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Quels aveugles ?
Bien sûr, il existait au Moyen Âge des aveugles dans toutes les
couches sociales, et l’on connaît des exemples d’aveugles de haute
extraction ; on peut affirmer en revanche que lorsqu’un individu
17. Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449, éd. Colette Beaune, Paris, Librairie Générale
Française, 1990, p. 221.
18. L’exemplum de Bologne, tiré d’un manuscrit de 1326, est édité dans Tractatus de diversis
historiis Romanorum et quibusdam aliis, verfasst in Bologna i. J. 1326. Nach einer Handschrift in Wolfenbüttel,
éd. Salomon Herzstein, Erlangen, Junge, 1893, p. 34. Pour Parme au xviie siècle, consulter
Claude-François Ménestrier, Traité des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics, Lyon,
Jacques Muguet, 1669, pp. 347-348. À la fin du xxe siècle au moins, le jeu perdure à Segni dans
le Latium, sous une forme doublement adoucie : non seulement les joueurs ne sont pas de vrais
aveugles, mais ont les yeux bandés, mais ils ne tuent pas le cochon, mais le frappent seulement
avec un petit balai, chaque coup porté rapportant un point. Les quatre joueurs représentent les
quartiers de la ville. Le jeu y est nommé corsa glio porceglio ou corsa glio porcellito. Voir Pietro Gorini,
Jeux et fêtes traditionnels de France et d’Europe, Rome, Gremese, 1994, p. 19.
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25. Michel Mollat, Les Pauvres au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1978 ; Otto Gerhard Oexle
(dir.), Armut im Mittelalter, Ostfildern, Thorbecke, 2004.
26. Voir Bronislaw Geremek, Les Marginaux parisiens, op. cit. (n. 24), p. 220 ; sur la confrérie
Saint-André des aveugles de Strasbourg, Otto Winckelmann, Das Fürsorgewesen der Stadt Straßburg
vor und nach der Reformation bis zum Ausgang des sechzehnten Jahrhunderts. Ein Beitrag zur deutschen Kultur-
und Wirtschaftsgeschichte, Leipzig, M. Heinsius, 1922, p. 71 ; sur la mendicité des aveugles, voir Carlo
Wolfisberg, Behinderte im Spätmittelalter. Zur Situation behinderter Menschen im Raum der Eidgenossenschaft
und Umgebung, Lizentiatsarbeit de l’université de Zurich, 1995, pp. 65 sq.
27. Lübeck, 1386.
28. Michel Mollat, Les Pauvres, op. cit. (n. 25), pp. 302-310. Ernst Schubert, « “Hausarme
Leute”, “starke Bettler”: Einschränkungen und Umformungen des Almosengedankens um 1400
und um 1500 », in Otto Gerhard Oexle (dir.), Armut im Mittelalter, op. cit. (n. 25), pp. 283-347.
29. Werner Röcke, « Die getäuschten Blinden », art. cit. (n. 2), p. 69 ; Zina Weygand, Vivre
sans voir, op. cit. (n. 20), p. 28.
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30. Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen », art. cit. (n. 2).
31. Edward Wheatley, Stumbling blocks before the blind: medieval constructions of a disability, Ann
Arbor, University of Michigan Press, « Corporealities », 2010, p. 27.
32. Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen », art. cit. (n. 2).
33. Henri Bergson, Le Rire, Paris, Puf, 1991 [11900], p. 15.
34. Lübeck, 1386 : « Congregabatur […] quasi media pars civitatis virorum et mulierum » (version A,
p. 83)/ « congregabantur nedum parvuli et iuvenes, sed et senes et provecti, mulieres et virgines, clerici et layci »
(versions B et D, pp. 324-325).
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Cécité et péché
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40. Voir à nouveau Irina Metzler, Disability, op. cit. (n. 13), pp. 51-54, qui cite notamment
Eustache Deschamps déclarant « que homs de membre contrefais / est en sa pensée meffais, /
plains de pechiez et plains de vices ».
41. Ulla Williams, Werner Williams-Krapp (éd.), Die Elsässische “Legenda Aurea”, Bd. 1 : Das
Normalcorpus, Tübingen, Niemeyer, 1980, p. 818 : « > Nů erkenne ich daz ich sunderlich wider got můs
gesundet han daz mir an minre fruht ist misselungen daz keime nie von minem geschlehte ist beschehen>. Do sprach
die můter : >Herre du solt dich umbe dise sache nút so sere betrueben, wenne du wol weist daz Cristus von eime
gebornen blinden sprach : »Dirre ist blint geborn nút durch sine oder sinre eltern missedot, alleine ist dis daz gottes
werk vnd gewalt an ime erschinen sol»< ».
42. Lév. 19, 14. Edward Wheatley, Stumbling blocks, op. cit. (n. 31) – ce titre est la traduction
anglaise de ce passage du Lévitique – commence justement son livre sur les discours religieux sur
la cécité par une présentation du jeu des aveugles et du cochon.
43. Jacques de Vitry, Sermones vulgares vel ad status, éd. par Jean Longère, Turnhout, Brepols,
2013, ici sermon 20, 2e de la série « ad theologos et ad predicatores », p. 373 : « Dum autem cecus
doctor cecum, id est peccatorem, uult pascere, cibus in terram cadit, quia doctrinam suam ad terrena conuertit. Est
autem in quibusdam locis consuetudo quod in festis diebus cecis conceditur porcus, ut ipsum occidant et partes suas
omnes accipiant. / Dum autem cecus porcum uult occidere, sepe accidit quod seipsum uulnerat uel socium percutit
et occidit. Pari modo isti doctores ceci, dum predicando deberent occidere peccatum, per auaritiam seipsos uulnerant et
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alios malo exemplo scandalizando ledunt et aliquando occidunt. » Ce passage ne forme qu’un dans le texte
mais est indiqué par l’éditeur comme formant deux exempla distincts (XI. Exemplum de ceco pascente
cecum et XII. Exemplum de cecis qui porcum occidunt et inter se dividunt) ; nous avons marqué cette sépa-
ration par la barre diagonale dans la citation.
44. Ibidem, introduction par Jean Longère, p. xxiv.
45. Sur la biographie du prédicateur, voir par exemple Jean Longère, Gillette Tyl-Labory,
« Jacques de Vitry », in Geneviève Hasenrohr, Michel Zink (dir.), Dictionnaire des Lettres Françaises, le
Moyen Âge, 2e éd., Paris, Fayard, 1992, pp. 736-738.
46. Voir prochainement l’édition de Marjorie Burghart des sermons ad status de Guibert de
Tournai (Paris, BnF, ms. lat. 15943, f os 57v-59v) ; je remercie Marjorie Burghart qui m’a aimable-
ment fourni cet extrait et de nombreux renseignements sur les exempla. Sur Guibert, Jean Longère,
« Guibert de Tournai », in Geneviève Hasenrohr, Michel Zink (dir.), Dictionnaire, op. cit. (n. 45), p. 590.
47. Le passage est édité dans Les Fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du Moyen
Âge, t. iv : Eudes de Chériton, éd. Léopold Hervieux, Paris, Firmin-Didot, 1896, p. 310, parmi les
paraboles extraites de ses sermones dominicales, d’après BnF, ms. lat. 16506 ; or figure au f° 218
un explicit du 31 décembre 1219, voir Albert C. Friend, « Master Odo of Cheriton », Speculum,
n° 23, 1948, pp. 641-658, ici p. 653.
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48. Ibidem : « Vnde quidam porcum unum multis cecis interficiendum exibuit. Qui [cum] huc et illuc dis-
curreret, ceci, ipsum uolentes interficere, se ipsos inordinate percusserunt, Sic peccatores huiusmodi, cum porcum, id
est peccatum, deberent interficere, se ipsos uerbis et uulneribus ad inuicem afficiunt. »
49. Voir les deux éditions les plus récentes : Clemente Sánchez de Vercial, Libro de los exem-
plos por A.B.C., éd. Andrea Baldissera, Pise, Edizioni ETS, 2005, p. 89 n° 64 pour le passage en
question ; « Edición del Libro de los exemplos por A.B.C. de Clemente Sánchez », éd. María del Mar
Guttiérrez Martínez, Memorabilia, n° 12, 2009-2010, pp. 1-212, n° 13, 2011, pp. 1-216 et n° 15,
2013, pp. 1-201, ici n° 12, p. 88 n° 64. A. Baldissera fait le point sur la biographie de l’auteur
(pp. 12-14) et sur la datation de l’ouvrage (p. 15).
50. « Ceco animas committere fatuum esse videtur / Quien al ciego ánimas encomienda es locura magnifiesta
/ Dizen que un hombre dio un puerco a muchos ciegos, con condición que matassen a palos. E el puerco andava
del un cabo al otro, e los ciegos, pensando dar al puerco, davanse los unos a los otros en manera que quedaron muy
mal feridos. E assí fazen los pecadores d’este mundo, que deven matar el puerco que es el pecado, mas por el puerco
los unos a los otros se atormientan. E assí fazen los perlados que cometen cura de ánimas a los iñorantes, que son
çiegos cuanto a los ojos corporales e cuanto a los spirituales, que non han devoçión por non entender que leyen, e los
perlados toman en sí el pecado » (cité d’après Libro de los exemplos, éd. Andrea Baldissera, op. cit. [n. 49],
p. 88). A. Baldissera évoque comme source Jacques de Vitry, suivant en cela Alexandre Haggerty
Krappe, « Les Sources du Libro de Exemplos », Bulletin Hispanique, n° 39/1, 1937, pp. 5-54, ici p. 20
(n° 64) ; María del Mar Guttiérrez Martínez indique J. de Vitry et E. de Cheriton.
51. Tractatus de diversis historiis, op. cit. (n. 18), p. 34, chap. 68 « De cecis et uitulo » : « De Romano
quodam legitur, quod conuocari fecerat omnes cecos ciuitatis in unum circulum et cuilibet eorum baculum in manu
committebat. In medio circulo uitulum locabat et quicunque eorum uitulum baculo, quod manu tenebat, tangeret, sibi
vitulus remaneret. Illi autem, quia ceci, uolentes vitulum tangere, nequibant, sed alter alterius caput baculo confran-
gebat, et sic uitulus cuilibet euadebat. Sic sacra theologia in medio doctorum locata est, et quilibet uellet eam tangere,
nesciuit, quia disputant de ea sicut ceci de colore, sed percutiunt se mutuo cum baculis linguarum, modo arguendo,
modo soluendo, modo uerbis mutuis impingendo. Sed tamen scientia eos omnes corriget, quia nullus eorum adhuc ad
ueri inquisicionem poterat peruenire. »
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rassemblés dans une arène, pour frapper non un porc mais un veau
qu’on a placé en leur milieu, mais ne savent comment s’y prendre
(volentes vitulum tangere, nequibant). Leur inaptitude est comparée à celle
des docteurs : « Ainsi la théologie sacrée a été placée au milieu des
docteurs, et quiconque voulait la toucher, ne savait le faire, puisqu’ils
disputent d’elle comme les aveugles de la couleur, mais se frappent
mutuellement avec les bâtons de leurs langues […]. » À nouveau, les
aveugles incarnent l’ignorance ou l’inaptitude, et aucune empathie
avec eux n’apparaît52. En revanche, l’animal sert ici de symbole de
la théologie : il est donc inconcevable qu’il soit tué. C’est sans doute
aussi la raison pour laquelle il est cette fois-ci un veau et non pas un
cochon, animal connoté très négativement dans le discours religieux.
Cette interprétation théologique du jeu est à notre avis la clef
pour comprendre la représentation iconographique la plus ancienne
que nous en connaissions, une miniature située dans la marge infé-
rieure d’un manuscrit du Roman d’Alexandre, réalisé dans l’atelier
de l’artiste flamand Jehan de Grise entre 1339 et 1344 (ill. 1)53. La
scène est double ; à gauche, quatre aveugles sont guidés par un jeune
homme ; chacun tient dans sa main droite un gros bâton dirigé vers
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52. Nous n’avons pas trouvé de critique du traitement imposé aux aveugles dans ce jeu dans
des sources médiévales. Il est vrai, comme d’autres l’ont noté (Werner Röcke, « Die getäuschten
Blinden », art. cit. [n. 2], p. 68 et Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen », art. cit. [n. 2],
p. 317), que Heinrich Steinhöwel, dans son Spiegel des menschlichen Lebens, traduction-adaptation du
Speculum vitae humanae de Rodericus Zamorensis, imprimée à Augsburg en 1476, critique le jeu, mais
ses reproches portent sur la vacuité de tous les tournois et autres jeux violents, et pas un instant sur
le sort des aveugles : « Car quelle joie peux-tu bien tirer de voir un bœuf être tué comme dans le jeu
du bœuf à Rome ou [de voir] le jeu du cochon et des aveugles à Nuremberg, comme s’il ne coulait
pas assez de sang par ailleurs dans des conflits et autres ? » (« Wann was mag dir freude darauß entspringen,
das du sicht ein ochssen tödten als im ochssen spil zů Rom oder das schwein spil czů Nürnberg der blinden, als ob sunst
nicht gnůg blůts in kriegen unnd sunst vergossen werde », f° 68r ; l’œuvre numérisée est disponible en ligne,
sur http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/ir00231000 Site consulté le 3 septembre 2014).
53. Edward Wheatley, « The Blind Beating the Blind », art. cit. (n. 2), décrit cette image,
qui figure au f° 74v. Voir également Philippe Ménard, « Les Illustrations marginales du Roman
d’Alexandre (Oxford, Bodleian Library, Bodley 264) », in Herman Braet, Guido Latré, Werner
Verbeke (dir.), Risus mediaevalis: laughter in Medieval literature and art, Leuven, Leuven University Press,
2003, pp. 75-118, en particulier p. 84. Ce manuscrit est numérisé et visible sur http://image.
ox.ac.uk/show?collection=bodleian&manuscript=msbodl264 Site consulté le 3 septembre 2014.
Je remercie Antoine Destemberg pour ses suggestions dans l’interprétation de cette enluminure.
54. En plus d’Edward Wheatley, « The Blind Beating the Blind », art. cit. (n. 2), notamment
Werner Röcke, « Die getäuschten Blinden », art. cit. (n. 2).
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cochon est attaché par une corde à un mât, qui sépare les deux par-
ties de la scène en un mince tronc d’où partent d’élégants feuillages.
Ainsi ne s’agit-il pas seulement d’une variation du texte du Garçon et
l’aveugle. Pour autant, cette scène double n’est pas non plus une simple
expression iconographique du jeu tel qu’il se déroula par exemple à
Paris55. Il faut bien plutôt l’envisager comme un miroir, lui aussi double.
En effet, le motif fait écho à l’illustration dans la marge supérieure
de la même page, où un homme frappe un animal, déjà mort : c’est
Alexandre qui lacère Bucéphale mort, pour éviter qu’il ne soit dé
pecé56. Mais surtout, si l’on a à l’esprit les exempla présentés plus haut,
la scène de gauche s’oppose exactement à celle de droite : les aveugles
n’y sont pas menés au combat, ils sont bien guidés, par un jeune
homme dont les mains jointes font penser qu’il est en prière, peut-être
qu’il est clerc ; à droite, au contraire, confrontés au porc, « c’est-à-
dire au péché », ils sont blessés et s’attaquent les uns les autres.
55. C’est la thèse d’Edward Wheatley, « The Blind Beating the Blind », art. cit. (n. 2), contre
Philippe Ménard, « Les Illustrations marginales », art. cit. (n. 53), p. 84, qui ne connaît pas le jeu
des aveugles et du cochon et évoque le Garçon et l’aveugle, motif bien connu depuis le xiiie siècle,
voir Jean Dufournet, Le Garçon et l’Aveugle, op. cit. (n. 24).
56. Edward Wheatley, « The Blind Beating the Blind », art. cit. (n. 53), p. 217.
57. Seule Zina Weygand, Vivre sans voir, op. cit. (n. 20) le fait p. 28, note 25. E. Wheatley consacre
un article aux porcs assassins (Edward Wheatley, « Murderous Sows in Chaucer’s Knight’s Tale
and Fourteenth-Century France », Chaucer Review, vol. 44, n° 2, octobre 2009, p. 224-226, mais
ne s’intéresse pas au cochon dans son article sur le jeu, « The Blind Beating the Blind », art. cit.
(n. 2).
58. Saw/suwe est utilisé à Heidelberg, 1490 et Spire, 1487, mais si en allemand moderne
standard, Sau signifie « truie », dans les parlers du sud de l’espace germanophone le terme n’est
pas réservé à la femelle, voir Jakob et Wilhelm Grimm, Deutsches Wörterbuch, Leipzig, 1854-61, ici
vol. 14, col. 1844.
59. Tractatus de diversis historiis, op. cit. (n. 18), p. 34, chap. 68.
60. Une parmi d’autres : BM Lyon, Ms P.A. 335, f° 109 (livre d’heures, xve siècle). Sur le
cochon et saint Antoine, voir Michel Pastoureau, Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, Paris,
Gallimard, 2009, p. 94.
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61. Ibidem. Sur le cochon au Moyen Âge, consulter également Jacques Berlioz, Marie Anne
Polo de Beaulieu (dir.), L’Animal exemplaire au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,
1999, en particulier les contributions de Michel Pastoureau, Marie Anne Polo de Beaulieu,
Franco Morenzoni, ainsi que Philippe Walter (dir.), Mythologies du porc : actes du colloque de Saint-
Antoine l’Abbaye (Isère), 4 et 5 avril 1998, Grenoble, Jérôme Millon, 1999.
62. Michel Pastoureau, Le Cochon, op. cit. (n. 60), p. 89.
63. Jean-Pierre Leguay, La Pollution au Moyen Âge, Paris, Éditions Gisserot, 1999, p. 53 pour
des exemples français. Michel Pastoureau, Le Cochon, op. cit. (n. 60), pp. 38-39.
64. Par exemple, sur un retable de la fin du xve siècle de Friedrich Pacher dans Evamaria
Engel, Frank-Dietrich Jacob, Städtisches Leben im Mittelalter. Schriftquellen und Bildzeugnisse, Cologne,
Böhlau, 2006 (image 29, p. 85).
65. Marie Anne Polo de Beaulieu, « Du bon usage de l’animal dans les recueils médiévaux
d’exempla », in Jacques Berlioz, Marie Anne Polo de Beaulieu (dir.), L’Animal exemplaire, op. cit.
(n. 61), pp. 147-170, ici p. 165, à propos des sermons du frère augustin Simon Cupersi étudiés par
Hervé Martin.
66. Michel Pastoureau, Le Cochon, op. cit. (n. 60), p. 98.
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Nous avons vu, d’abord, que les aveugles participant au jeu étaient
des mendiants, sinon réellement, du moins dans l’économie du jeu.
Ces mendiants ne semblent pas avoir d’autre récompense pour leur
participation au jeu que le cochon (sinon repas et boisson). Il nous
semble évident que le vainqueur remportait la bête. C’est en effet ce
que disent les exempla et certaines sources narratives, mais aussi l’invi-
tation à la fête émise par la ville de Heidelberg en 1490 : « Celui qui
67. Sur les excès des aveugles, voir Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen »,
art. cit. (n. 2), p. 308 ; sur l’immodération en tous genres du cochon, Michel Pastoureau, Le cochon,
op. cit. (n. 60), pp. 96-100.
68. Michel Pastoureau, Le Cochon, op. cit. (n. 60), p. 106 et plus généralement chap. 4,
pp. 105-128.
69. Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval, Paris, Payot, 1974, p. 61.
70. Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Le Seuil, 2004,
pp. 47-48 ; Joyce E. Salisbury, The beast within. Animals in the Middle Ages, New York/Londres,
Routledge, 2011, pp. 108-112.
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71. « Unnd welcher dye saw tzu dot schlecht des ist dye saw ». Signalons cependant que l’idée du
porc comme prix pour le seul vainqueur ne se trouve pas partout : certaines sources utilisent le
pluriel, ainsi Paris, 1425 : « pourcel, lequel ils devaient avoir s’ils le pouvaient tuer », et la plupart ne men-
tionnent pas de vainqueur : visiblement, ce n’est pas l’aspect sportif qui importe aux chroniqueurs
qui racontent ce jeu, mais le ridicule et la singularité du spectacle.
72. « ein suwe fur IJ guld(en) » (Spire, 1487) ; « eyn saw vor dry guldin » (Heidelberg, 1490).
73. C’est pourquoi nous ne suivons pas sur ce point Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der
Anderen », art. cit. (n. 2), p. 311.
74. Voir Reinhold Hofmann, « Das älteste Zwickauer Armbrustschießen », art. cit. (n. 8),
p. 57. Dans deux lettres d’invitation à une course de chevaux (l’une par la ville d’Ulm, non datée
[xve siècle], l’autre par celle de Strasbourg, de 1503), le cochon est le prix réservé au dernier,
Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg III 155/4. Un grand merci
à Jean-Dominique Delle Luche qui m’a fait connaître le lien entre concours de tir et jeu des
aveugles et du cochon.
75. Pour le dernier arrivé au palio, le prix est un jambon (baffa) dans plusieurs villes italiennes
(Vérone, Pavie, Ferrare, Venise, notamment). En 1238 à Sienne, un noble (eux seuls peuvent alors
participer au palio) préfère payer une amende plutôt que de recevoir le porc auquel son dernier
rang l’avait condamné ; au xvie siècle, on modifie une coutume du carnaval de Venise qui consis-
tait à distribuer des morceaux de porc aux gentilshommes, en les remplaçant par du bœuf. Voir
Marino Zampieri, Il Palio, il porco e il gallo : la corsa e il rito del «drappo verde» tra Duecento e Settecento,
Sommacampagna, Cierre, 2008, pp. 89-93.
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76. Edward Wheatley, « The Blind Beating the Blind », art. cit. (n. 53), pp. 213-217, décrit
cette image qui figure au f° 74v. Voir illustration n° 1.
77. Paris, 1425 ; Lübeck, 1386.
78. Bernard Merdrignac, « Truies et verrats, cochons et sangliers, porcs et porchers dans les
Vitae de saints bretons du Moyen Âge », in Philippe Walter (dir.), Mythologies du porc, op. cit. (n. 61),
pp. 123-153, donne pp. 123-125 plusieurs exemples de porcs guerriers datant du Moyen Âge
central.
79. Michel Pastoureau, Le Cochon, op. cit. (n. 60), p. 101 (illustration ibidem : Londres, British
Library, MS Royal 20 B). Ce motif du porc plus fort que l’éléphant se trouve également sur un
manuscrit de Lilienfeld en Autriche, du milieu du xive siècle, où le cochon effraie même le pachy-
derme avec ses grognements, voir une reproduction dans la banque d’images realonline de l’Institut
für Realienkunde de Krems en Autriche, http://tarvos.imareal.oeaw.ac.at/server/images/7004812.
JPG Site consulté le 3 septembre 2014.
80. Par exemple : Avranches, Bibliothèque Municipale, ms. 68 f° 135v (recueil hétéro-
gène, xiie siècle) ; Moulins, Bibliothèque Municipale, ms. 1, f° 377v (Bible de Souvigny, fin du
xiie siècle) ; les deux sont numérisées dans le catalogue de manuscrits enluminés Initiale, IRHT-
CNRS, http://initiale.irht.cnrs.fr Site consulté le 3 septembre 2014.
81. Le cochon est attaché à un poteau à Zwickau, 1489, Heidelberg, 1490, Cologne, 1498,
ainsi que sur l’enluminure du manuscrit de la Bodleian Library (ill. 1) et sur la gravure de Jan
Verbeeck. Il est muni d’une clochette à Lübeck, 1386 (« Cumque sic diucius laborassent, se inuicem
pocius quam bestiam fatigando, alligata est collo porci nola, ut uel sic saltem ipsum percutere ualerent »).
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Les quelques études sur le jeu des aveugles et du cochon sont cen-
trées sur les aveugles. Cependant, elles négligent le fait que le jeu per-
dura, à partir du xvie siècle, en mettant aux prises le cochon non
plus à des aveugles, mais à des hommes aux yeux bandés, comme
on l’a vu. L’interprétation du combat comme volonté d’imposer un
comportement ne convenant pas aux aveugles, pour mieux leur assi-
gner celui qu’ils devraient adopter, ne permet alors pas d’épuiser les
sens du jeu, qui s’intègre dans une société où la communication poli-
tique passe justement par les cérémonies, les jeux, les rituels : pour
comprendre comment les aveugles sont perçus et traités ici, quel rôle
leur est assigné, il faut s’intéresser au jeu lui-même.
82. Dans notre corpus, le jeu est attesté trois fois par des mentions dans des comptabilités
urbaines : Ypres, 1433, Bruges, 1439, Arnhem, 1440 ; elles ne dépassent pas une à deux lignes.
Dans la courte phrase du Spiegel des menschlichen Lebens de Heinrich Steinhöwel citée plus haut, le
jeu n’est que nommé « le jeu du cochon et des aveugles de Nuremberg » (« das schwein spil czů
Nürnberg der blinden »), sans que l’auteur ne juge nécessaire de le décrire. Notons aussi qu’il situe le
jeu dans une ville où à notre connaissance il n’est pas attesté par ailleurs.
83. Spire, 1487.
84. Zwickau, 1489.
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85. La lettre est publiée par Reinhold Hofmann, « Das älteste Zwickauer
Armbrustschießen », art. cit. (n. 8), pp. 48-52.
86. Bruges, 1439 et Bruges, 1481.
87. « Also die blinde luden op morgen tvercken sullen slaen », Dordrecht, 1470.
88. « ende als de blende tzwyn sloughen xxxiiij s. iij dn », Bruges, 1439. Tous mes remerciements à
Bart Demuynck, Stadtarchief Brugge, qui a déniché cette mention pour moi.
89. « Forum civitatis » (Lübeck, 1388), « op dem olde marckede » (Stralsund, 1415), rue Saint-
Honoré (Paris, 1425), « up de marct » (Ypres, 1433), « up de mect » (Bruges, 1481), « uff Markte »
(Zwickau, 1489), « up dem Aldenmart » (Cologne 1498).
90. Ypres, 1433.
91. « want worde yemant hierboven gequetst of zeer gedaen, hy en souder geen verset off hebben »,
Dordrecht, 1470.
92. Jacques Rossiaud, La Prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988, p. 35, note 23, point
n° 1 (p. 240).
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93. Ieper Tuindag. Zesde eeuwfeest. Een bundel historische opstellen, éd. Romain Vinckier, Ypres,
Stedelijke Culturele Raad, 1983.
94. Guy Llewelyn Thompson, Paris and its people under English rule, Oxford, Clarendon Press,
1991, chapitre VII, « the impact of processions and ceremonial », pp. 179-205. Voir également
Bertrand Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Paris, Perrin, 1988, qui évoque
par exemple p. 244 les fêtes ordonnées le 3 août 1423 par le duc de Bedford pour fêter la victoire
de Cravant, survenue quatre jours plus tôt. Cependant, ni Schnerb, ni Thompson, ni Jean Favier,
Paris au xve siècle. 1380-1500, Paris, Hachette, 1974, n’évoquent ce jeu.
95. Paris, 1425 : « Le dernier dimanche du mois d’août, fut fait un ébatement en l’hôtel
nommé d’Armagnac en la rue Saint-Honoré, qu’on mit quatre aveugles tout armés en un [parc]
chacun un bâton en sa main, et en ce lieu, [y] avait un fort pourcel, lequel ils devaient avoir s’ils le
pouvaient tuer. Ainsi fut fait, et firent cette bataille si étrange, car ils se donnèrent tant de grands
coups de ces bâtons, que de pis leur en fut, car quant [le mieux] cuidaient frapper le pourcel,
ils frappaient l’un sur l’autre, car s’ils eussent été armés pour vrai, ils s’eussent tués l’un l’autre.
Le samedi vigile du dimanche devant dit, furent menés lesdits aveugles parmi Paris, tous armés,
une grande bannière devant, où il avait un pourcel portrait, et devant eux un homme jouant du
bedon. »
96. Voir sur ce point déjà Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen », art. cit. (n. 2),
p. 317.
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97. Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval, op. cit. (n. 69), chapitre III (« la
mort du cochon »), pp. 57 sq.
98. Feste im Alpenraum, Zurich, Migros-Presse, 1997, p. 339 (les participants, aux yeux ban-
dés, décapitent une oie au Gansabhauet de Sursee, près de Lucerne en Suisse) ; Julio Caro Baroja,
Le Carnaval, Paris, Gallimard, 1979, pp. 78-80 pour l’Espagne (décapitation d’un coq) ; Claude
Gaignebet, « Sur le Jeudi-Jeudiot », Bulletin folklorique d’Île-de-France, n° 8, 1968, pp. 35-44 (décapi-
tation d’un coq par des enfants aux yeux bandés).
99. Jacques Heers, Fêtes des fous et Carnavals, Paris, Fayard, 1983, pp. 215-223 ; Jean Verdon,
Rire au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2001, pp. 131-149.
100. Paris, 1425.
101. Lübeck, 1386, « et capitibus eorum galeis euersis impositis ».
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102. Bruges, 1481. Le récit du premier tournoi figure sur la page précédente (p. 27).
103. Jacques Heers, Fêtes des fous, op. cit. (n. 99), p. 22, donne justement un exemple de paro-
die de tournoi à Bruges.
104. Richard Trexler, « Correre la terra. Collective insults in the late Middle Ages », Mélanges
de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, n° 96/2, 1984, pp. 845-902 ; voir également
Marino Zampieri, Il Palio, op. cit. (n. 75), pp. 162 sq.
105. Par exemple Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg III 155
16/8, où la ville de Bergbieten invite Strasbourg à son concours de tir, 1467. Je n’ai pas trouvé de
cas qui associerait jeu des aveugles et courses de prostituées en marge d’un même concours.
106. Richard Trexler, « Correre la terra », art. cit. (n. 104).
107. Marino Zampieri, Il Palio, op. cit. (n. 75), explique que Trexler se trompe en parlant d’un
récipient de liquide : il s’agit bien de viande de porc.
108. Ilaria Taddei, « Les Rituels de dérision entre les villes toscanes (xiiie-xive siècles) »,
in Élisabeth Crouzet-Pavan, JacquesVerger (dir.), La Dérision au Moyen Âge. De la pratique sociale au
rituel politique, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2007, pp. 175-189, ici p. 187.
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cas d’un palio « noble » suivi immédiatement d’un palio aux ânes, un
autre aux ribauds et un troisième aux prostituées, que les Florentins
organisèrent devant Pise en 1363, le premier pour montrer la victoire
de Florence, les autres la défaite des Pisans109 : on retrouve le même
schéma entrevu à l’instant pour Bruges en 1481 où au « vrai » tour-
noi succéda, en miroir, le combat des aveugles.
Récemment, analysant les courses de prostituées, Jacques Rossiaud
a nuancé l’humiliation que ces femmes devaient subir : au cours du
carnaval, tout le monde était soumis aux quolibets, à la dérision ; les
prostituées, ici, s’affichaient comme groupe, et jouaient un rôle pour
l’ensemble de la communauté. On peut ainsi se demander si la course
de prostituées n’était pas, en fait, intégrative110. Ilaria Taddei constate
quant à elle que les courses de prostituées constituaient « un instru-
ment pour les stigmatiser publiquement et, en même temps, pour les
insérer dans le tissu urbain111 ».
Nous proposons de transposer ces interprétations de ces autres
rituels de parodie militaire que sont les courses de prostituées au
combat des aveugles et du cochon. Les aveugles n’étaient pas les seuls
à être moqués pendant le carnaval, y compris à subir des violences.
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109. Idem.
110. Jacques Rossiaud, Amours vénales. La prostitution en Occident xiie-xvie siècle, Paris, Aubier-
Flammarion, 2010, pp. 281-283. Il a ici une interprétation différente de celle de Richard Trexler,
qui envisage la valeur intégrative de la course, mais la juge faible ; cependant, Rossiaud s’appuie
sur d’autres textes que Trexler ; Marino Zampieri, quant à lui, montre que ces courses étaient à
l’origine disputées par des « mulieres honestae ».
111. Ilaria Taddei, « Les Rituels de dérision », art. cit. (n. 108), p. 188.
112. On peut s’interroger également sur un autre groupe subissant la participation à des
« courses » analogues, les juifs, d’autant que le rapprochement, par dérision, des juifs au cochon
est classique à la fin du Moyen Âge. Sur les juifs et le cochon, se reporter à Claudine Fabre-Vassas,
La Bête singulière : les juifs, les chrétiens et le cochon, Paris, Gallimard, 1994 et Eadem, « Juifs et chrétiens,
autour du cochon », in Identité alimentaire et altérité culturelle. Actes du colloque de Neuchâtel, 12/13
novembre 1984, Neuchâtel, Institut d’ethnologie, 1985, pp. 59-83. Une analyse de la participation
des juifs au carnaval romain est proposée par Martine Boiteux, « Les Juifs dans le Carnaval de la
Rome moderne, xvie-xviiie siècles », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes,
n° 88/2, 1976, pp. 745-787, en particulier pp. 751-753 pour les courses de juifs, qui sont attestées
à Rome à partir de 1466 (p. 751). Martine Boiteux note un tournant vers le milieu du xvie siècle,
après lequel la dérision et la violence l’emportent très nettement sur les aspects intégrateurs (p. 481).
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Conclusion
113. Pour l’application de cette notion, dont l’anthropologue américain Robert F. Murphy est à
l’origine, à l’histoire du handicap, voir Henri-Jacques Stiker, « Pour une nouvelle théorie du han-
dicap », qui constitue le 7e (et nouveau) chapitre de la troisième édition de Corps infirmes et sociétés,
op. cit. (n. 13), p. 191-226 ; le texte est publié par ailleurs (sous une forme légèrement différente)
avec le même titre dans Champ psy, n° 45, 2007, p. 7-23.
114. Klaus-Peter Horn, « Das Lachen der Anderen », art. cit. (n. 2), entend explicitement
« prendre en compte la perspective des personnes concernées » (p. 312) ; Irina Metzler, A Social
History of Disability, op. cit. (n. 4), p. 3, discute du fossé entre cette exigence, engagée, des disability
studies et la faiblesse des sources médiévales permettant de la satisfaire.
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115. Henri-Jacques Stiker, « Pour une nouvelle théorie du handicap », in Corps infirmes et
sociétés, op. cit. (n. 13), pp. 216 sq.
116. Jean-Marie Moeglin, « “Performative turn”, “communication politique” et rituels au
Moyen Âge. À propos de deux ouvrages récents », Le Moyen Âge, n° 113/2, 2007, pp. 393-406, ici
pp. 400-402.
117. Pascal Brioist, « Londres et sa perception dans le journal privé de Henry Machyn bour-
geois et marchand-tailleur londonien 1550-1563 », in Gérald Chaix (dir.), La Ville à la Renaissance.
Espaces – Représentations – Pouvoir, Paris, Champion, 2008, pp. 239-260 ; Joël Blanchard, « Le spec-
tacle du rite : les entrées royales », Revue historique, n° 305/3, 2003, p. 475-519.
118. « alße waß solck ein lachendes vastelauent nicht geseen », Stralsund, 1415.
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ANNEXE
Liste des occurrences du jeu
La liste donne la référence de l’édition du texte quand elle existe, ou celle de la
source manuscrite, à défaut la publication qui mentionne le jeu. La date indiquée
après le toponyme est celle de l’événement et non de la rédaction.
Lübeck, 1386
Jakob Schwalm (éd.), Die Chronica novella des Hermann Korner, Göttingen,
Vandenhoeck & Ruprecht, 1895, p. 83 (version A, n° 663) et pp. 324-325
(versions B et D, n° 995).
Stralsund, 1415
Gottlieb Mohnike, Ernst Heinrich Zober (éd.), Johann Berckmanns Stralsundische
Chronik, Stralsund, Löffler, 1833, pp. 8-9.
Paris, 1425
Colette Beaune (éd.), Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449, Paris, Librairie
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 170.245.242.151)
Ypres, 1433
Alphonse Vandenpeereboom, Ypriana. Notices, études, notes et documents sur Ypres. Tome
cinquième : Tuindag et Notre-Dame de Tuine, Bruges, Aimé de Zuttere, 1881, ici p. 112.
Bruges, 1439
Stadtarchief Brugge, Stadsrekeningen 216, 1439, f° 51v.
Arnhem, 1440
J. S. van Ween, « Varkenslaan door blinden », Bijdragen en Mededelingen van de
Vereniging Gelre, n° 12, 1909, p. 406.
Dordrecht, 1470
Jacob Anthony Fruin, De oudste Rechten der stad Dordrecht en van het Baljuwschap van
Zuid-Holland, ’s Gravenhage, Martinus Nijhoff, 1882, 1re partie, p. 328.
Bruges, 1481
Charles-Louis Carton (éd.), Het boeck van al’t gene datter gheschiedt is binnen Brugghe
sichtent jaer 1477, 14 Februarii, tot 1491, Gand, 1859, p. 28.
- © PUF -
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Spire, 1487
Ernst Freys, Gedruckte Schützenbriefe des 15. Jahrhunderts, Munich, Carl Kuhn, 1912,
planche XVIII.
Zwickau, 1489
Peter Schumann, Annalen der Stadt Zwickau (fin du xvie siècle), Rats- und
Schulbibliothek Zwickau, 43.2.16 ; le passage sur le jeu est transcrit dans
Reinhold Hofmann, « Das älteste Zwickauer Armbrustschießen (1489) »,
Mitteilungen des Altertumsvereins für Zwickau und Umgegend, n° 8, 1905, pp. 40-59, ici
p. 56.
Heidelberg, 1490
Ernst Freys, Gedruckte Schützenbriefe des 15. Jahrhunderts, Munich, Carl Kuhn, 1912,
planche XXIV.
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Hermann Cardauns (éd.), « Cronica van der hilliger Stat van Coellen
(Koelhoffsche Chronik) », in Die Chroniken der niederrheinischen Städte. Cöln: Bd. 3,
Leipzig, 1877, pp. 641-1007, ici p. 905.
Résumé
la dépouille revenait en prix à celui qui l’aurait tuée. Dans l’agitation du combat, les
pauvres hommes se frappaient autant les uns les autres qu’ils n’atteignaient l’animal,
au grand plaisir du public nombreux. Ce divertissement est cruel et horrible. Mais les
travaux des disability studies apprennent à concevoir le handicap comme une cons-
truction socio-culturelle. Il importe donc de ne pas interpréter ce jeu hors du contexte
dont il était issu, et plusieurs lectures en sont alors possibles. La première est de
le comprendre comme un rite cathartique où les aveugles sont d’abord des men-
diants, qui faisaient l’objet d’un fort contrôle social. En se moquant d’eux et en leur
infligeant une telle violence, la société urbaine les disciplinait tout en exorcisant la
peur que lui inspirait leur handicap. D’autre part, le choix du cochon, animal souvent
associé au mal ou au péché, comme adversaire des aveugles est tout sauf anodin, le
porc faisant fonction de double de l’aveugle. Dans plusieurs exempla, le jeu est évo-
qué comme métaphore du combat entre les hommes et le péché ; les aveugles sont
également parfois assimilés aux mauvais prédicateurs. Enfin, ce spectacle s’insère
dans la communication politique des autorités urbaines ; on peut le voir comme une
parodie de tournoi, avec une inversion (les faibles jouant les forts) typique du carna-
val. Il peut alors être comparé à d’autres jeux comme les courses de prostituées, qui
servaient à ridiculiser les ennemis. Finalement, la polysémie du jeu, caractéristique
des rites médiévaux, reflète la position liminale des aveugles dans la société urbaine
de la fin du Moyen Âge.
The blind beating the pig. Rite, disability and urban society in the late Middle
Ages
Finally, the game has to be interpreted in the context of urban political com
munication, as it was always organized by the city authorities. Several features of
the show are similar to those of other urban games from the same era, in particular
the ones taking place during Carnival: the inversion – here the weak imitating the
strong – or the parody (cf. the numerous parodies of tournaments). It can then be
compared to other shows like the prostitutes’ races that both humiliated their partici
pants and gave them a function – that of mocking the enemy or, in other cases, the
authorities. In the end, the polysemy of this game, which is typical for medieval rites,
reflects the ambivalent position of (visually) impaired people in medieval society:
their liminality.