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RÉSUMÉ
Nous présentons deux études réalisées en France auprès de membres du
groupe majoritaire français. Dans une première étude, corrélationnelle,
nous les avons interrogés sur leur perception de distance culturelle entre les
différents groupes d’immigrés et le groupe majoritaire, sur leur adhésion
au multiculturalisme et à l’assimilation, sur les préjugés à l’égard de
chaque groupe minoritaire et sur la perception du multiculturalisme
comme étant une menace à l’identité nationale. Dans une deuxième étude,
nous avons manipulé expérimentalement la distance culturelle. En accord
avec notre hypothèse, les Français qui perçoivent le multiculturalisme
comme menaçant expriment plus de préjugés envers les immigrés que
les Français qui le perçoivent moins menaçant. Les résultats montrent
aussi une interaction entre la distance culturelle, la perception de la
menace du multiculturalisme et l’adhésion aux modèles d’intégration. Les
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∗ Correspondance : Yara Mahfud, Université Paris Ouest Nanterre, UFR Sciences Psychologiques et Sciences
de l’Éducation, 200 avenue de la République, 92001 Nanterre cedex. E-mail : yara.mahfud@gmail.com
Cette recherche bénéficie du financement doctoral de la Région Ile-de-France dans le cadre du Domaine d’Intérêt
Majeur : Genre, Inégalités, Discriminations.
ABSTRACT
Two studies conducted in France with members of the French majority group are
presented. In a first correlational study, participants were questioned about their
perception of a cultural distance between different immigrants’ groups and the majority
group, about their personal support toward multiculturalism and assimilation, about
their level of prejudice toward each minority group and about their perception of
multiculturalism as a threat toward national identity. In a second, similar study,
we experimentally manipulated cultural distance. In agreement with our hypothesis,
French people who perceive multiculturalism as a threat express more prejudice toward
immigrants than French people who perceive multiculturalism as less threatening. Results
also showed an interaction between cultural distance, perception of multiculturalism as
threatening and personal support toward integration models. On the one hand, French
people who personally support multiculturalism and perceive this model as threatening
express more prejudice, regardless of their perception of cultural distance. On the other
hand, French people who personally support assimilation and perceive multiculturalism
as threatening express more prejudice when they also perceive a large cultural distance
than when they perceive a small one.
1. INTRODUCTION
Percevoir une grande distance culturelle entre les groupes minoritaires,
issus de l’immigration, et le groupe majoritaire, dans un pays d’accueil,
conduit les membres de ce dernier à exprimer des préjugés envers ces
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la Sablonnière, & Nugier, 2014). Les résultats montrent aussi que, chez
les individus qui se disent adhérer au multiculturalisme, ce modèle qui
encourage les identités culturelles multiples (Guimond et al., 2014), le lien
entre la distance culturelle perçue et les préjugés à l’égard des immigrés
est plus faible mais reste significatif. Pourquoi certains membres du groupe
majoritaire qui se disent attachés au multiculturalisme, perçoivent-ils ce
lien entre la distance culturelle et les préjugés ? L’objectif de cette recherche
est de montrer que la perception du multiculturalisme comme étant une
menace à l’identité nationale modère le lien entre la distance culturelle et
les préjugés.
2. ÉTUDE 1
2.1. Méthode
2.1.1. Participants
Notre étude a réuni 457 participants, 93 % d’entre eux, soit 427 personnes,
déclarant que leur langue maternelle est le français (Mâge = 26,8 ans,
63 % de femmes et 37 % d’hommes). Dans notre échantillon, plusieurs
catégories socioprofessionnelles étaient représentées (étudiants 63 %,
employés 14 %, cadres et professions intellectuelles supérieures, 11 %, sans
activité professionnelle 4 %, commerçants 2 %, retraité 2 %, professions
libérales 2 %, ouvriers et agriculteurs 1 % chacun). Le niveau de diplôme
le plus représenté dans notre échantillon est le baccalauréat, correspondant
à 42 % des participants. 32 % d’entre eux ont la licence, 18 % le master,
7 % a un niveau de diplôme inférieur à celui du baccalauréat et enfin 1 % le
doctorat. En ce qui concerne l’orientation politique de nos participants :
le centre 36 %, toute la gauche modérée réunie 32 %, toute la droite
modérée réunie représente 26 %, extrême gauche 5 % et d’extrême droite
1 %. Notre étude a débuté en octobre 2014 et s’est achevée en décembre
2014.
Comme mesures, nous avons inclus la perception de distance culturelle
entre les différents groupes d’immigrés et les Français natifs, l’adhésion
à différents modèles d’intégration (assimilation, multiculturalisme) – en
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0,62 pour les Chinois, 0,79 pour les Roumains, 0,78 pour les Sénégalais et
0,81 pour les Marocains.
Facteur 1 Facteur 2
Le multiculturalisme est une source d’insécurité dans −0.81 0.23
notre pays.
La stabilité de la France est menacée par le −0.84 0.22
multiculturalisme.
Le multiculturalisme conduit à des tensions sociales en −0.75 0.14
France.
Le multiculturalisme favorise la communication entre les 0.42 −0.58
minorités culturelles et les Français.
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Une limite importante de cette enquête peut être le fait que les
items du questionnaire n’ont pas été contrebalancés en intégralité. Des
théories naïves concernant le lien entre nos mesures ont pu influencer
nos participants, comme par exemple « si les groupes d’immigrés sont
plus ou moins différents de Français, les attitudes envers eux devraient
aussi varier ». Une deuxième étude, expérimentale, pourrait renforcer les
conclusions en faveur de nos prédictions.
3. ÉTUDE 2
Dans cette deuxième étude, nous avons manipulé expérimentalement la
distance culturelle (renforcée versus contrôle) après avoir mesuré l’adhésion
des participants à l’assimilation et au multiculturalisme. On mesure ensuite
la perception de la valence des différences interculturelles et les préjugés. En
effet, une autre source de menace du multiculturalisme serait sa confusion
avec le séparatisme, où les différences entre les groupes sont évaluées
négativement. Nous faisons les hypothèses suivantes : L’effet de la distance
culturelle sur les préjugés est plus important chez les individus qui préfèrent
l’assimilation par rapport à ceux qui préfèrent le multiculturalisme
(Hypothèse 1). Chez les individus qui adhèrent davantage au multicultur-
alisme, la perception des différences interculturelles comme étant négatives
est associée aux préjugés indépendamment de la condition expérimentale.
Chez les individus qui adhèrent davantage à l’assimilation, la perception
négative des différences interculturelles est associée à un grand niveau de
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3.1. Méthode
3.1.1. Participants
Notre étude expérimentale a été menée auprès de 114 personnes dont la
langue maternelle est le français. La moyenne d’âge de notre échantillon
est de 31 ans (la valeur minimum était 18 ans et la valeur maximum
était 81 ans). Parmi les participants, 41 % étaient des hommes et 59 %
des femmes. Notre échantillon compte 51 % d’étudiants, 15 % de cadres,
13 % d’employés, 8 % de retraités, 4 % de « professions libérales ». Les
« artisans commerçants » et les « ouvriers » représentent chacun 3 % de
notre échantillon, les « fonctionnaires » 2 % et les « chefs d’entreprise » 1 %.
31 % des participants ont une licence, 24 % un master, 19 % le baccalauréat,
10 % un BTS ou un DUT, 7 % le brevet, 5 % d’eux n’ont aucun diplôme
3.1.2. Procédure
Nous avons tout d’abord mesuré l’adhésion à l’assimilation et au
multiculturalisme avec les mêmes items que dans l’Étude 1 (α = 0,76 pour
l’assimilation et α = 0,84 pour le multiculturalisme). La distance culturelle
(renforcée vs. contrôle) a été manipulée à l’aide d’un exercice de réflexion
autour des groupes culturels que les participants percevaient différents du
groupe français pour les six critères de Triandis (1994). La consigne était :
« Nous nous proposons d’examiner la perception de distance culturelle
entre différents groupes d’immigrés et le groupe majoritaire français. Pour
chacun des critères suivants, donnez un exemple de groupe d’immigrés
qui est différent par rapport à la culture française (par exemple, pour le
critère langue maternelle, les immigrés d’origine serbe) ». Les participants
répondaient ensuite à un questionnaire qui incluait les mesures suivantes.
3.1.4. Préjugés
Comme dans l’Étude 1, nous avons utilisé une mesure de préjugés inspirée
de Pehrson, et al., 2009. Les participants devaient donner leur degré
d’accord, sur une échelle allant de 1 à 9 (1 = « pas du tout d’accord »,
9 = « tout à fait d’accord »), pour les items suivants : « Les immigrés
augmentent le taux de criminalité », « Les immigrés sont un bien pour
l’économie de notre pays » (inversé), « Les immigrés prennent les postes
de travail des Français », « Les immigrés améliorent notre société en
apportant des idées et des cultures nouvelles » (inversé), « Le gouvernement
dépense trop d’argent pour assister les immigrés », « À mon avis, le
4. DISCUSSION GÉNÉRALE
tous deux avoir des effets sur l’expression de préjugés (Guimond et al.,
2013). De même, une personne peut avoir une attitude positive envers
le multiculturalisme et néanmoins percevoir une norme négative envers
ce principe (c’est-à-dire penser que la plupart des gens sont contre).
C’est d’ailleurs le cas d’une majorité de personne en France (Guimond et
al., 2015). Nous pensons que cette norme négative de multiculturalisme
peut jouer un rôle dans la perception du multiculturalisme comme
une menace. Nous pensons donc que de futures études devraient
mesurer la présence de normes d’intégration en France et leur lien
avec l’adhésion personnelle au multiculturalisme et à l’assimilation, la
perception du multiculturalisme comme une menace et l’expression de
préjugés.
Dans cet article nous avons défendu l’idée qu’une perception du
multiculturalisme comme étant une menace à l’identité culturelle française
peut jouer un rôle important dans la manifestation de préjugés à l’égard
des immigrés. Cette perception découle d’une méconnaissance de ce
modèle d’intégration très efficace dans de nombreux pays, et de sa
possible confusion avec la ségrégation. Selon Hahn et ses collaborateurs
(2010), la ségrégation implique une évaluation négative des différences
interculturelles alors que le multiculturalisme renvoie à une évaluation
positive de ces différences. Des formations au sein des institutions,
entreprises et écoles devraient mettre l’accent sur la valence positive des
différences interculturelles, sur la richesse des spécificités culturelles et leur
rôle important dans la construction de l’identité culturelle nationale, ainsi
que sur la richesse et la signification de ce modèle d’intégration qui est le
multiculturalisme.
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