Interculturation DVP Et Cognition

Interculturation, développement et cognition : la mémoire
autobiographique interculturelle – une analyse des

constructions identitaires et mémorielles en France et à
Singapour
Rachid Oulahal
Dans Bulletin de psychologie 2021/1 (Numéro 571), pages 43 à 48
Éditions Groupe d'études de psychologie
ISSN 0007-4403
DOI 10.3917/bupsy.571.0043
© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.55.175.19)
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bulletin de psychologie / tome 74 (1) / 571 / janvier-mars 2021 43
Interculturation, développement et cognition : la mémoire

autobiographique interculturelle – une analyse des constructions
identitaires et mémorielles en France et à Singapour
Interculturation, development and cognition: Intercultural autobiographical memory –
A cross-cultural comparison of identity and memory development in France
and Singapore
Oulahal Rachid
Laboratoire DIRE (Déplacements, Identités, INTRODUCTION
Regards, Écritures), Université de la Réunion,
Inscrite dans la perspective de la psychologie intercul-
France.
turelle, notre recherche se situe au croisement de disciplines
Courriel : rachid.oulahal@univ-reunion.fr
Adresse : Université de la Réunion, Site du Mou-
et méthodologies, entre interculturation, développement et
cognition. Plus précisément, c’est au travers de la mémoire
fia, 15 avenue René Cassin, CS92003, 97744,
autobiographique que nous analysons l’articulation de
Saint-Denis Cedex 9, France.
la construction identitaire et mémorielle en relation avec
Thèse soutenue le 16 octobre 2019 à l’université une expérience de vie en situation interculturelle, qu’elle
Toulouse Jean Jaurès, France. soit dans un environnement multiculturel, une migra-
tion vers un nouvel environnement culturel, une pluralité
d’appartenances culturelles ou tant d’autres configurations
que le monde actuel présente et pour lesquelles le contact
de cultures est mis au premier plan.
THÉORIE : INTERCULTURATION,
DÉVELOPPEMENT ET COGNITION
La psychologie interculturelle analyse le lien entre le
psychisme et la culture (Dasen, Perregaux, 2002 ; Licata,
Heine, 2012). Au sein de cette discipline, la psychologie
du contact de cultures explore les effets du contact sur les
dynamiques des sujets et des groupes faisant l’expérience
de la pluralité culturelle. Selon le modèle théorique des
identités interculturelles (Clanet, 1990), le sujet est en prise
avec un questionnement quant à sa propre culture et fait
l’expérience de processus psychiques paradoxaux, entre
ouverture et fermeture à l’altérité culturelle. Plusieurs
modèles permettent de décrire le remaniement identitaire
Composition du jury issu du contact de cultures, tel que les stratégies identitaires
Christine Roland-Lévy (présidente du jury, (Camilleri, 1990), le processus d’interculturation (Denoux,
rapporteur), Université de Reims Champagne- 1994) et les stratégies d’acculturation (Berry, 1997). En
Ardenne, France. particulier, l’interculturation se définit comme suit : « pour
Amal Bernoussi (rapporteur), Université de les individus et les groupes appartenant à deux ou plusieurs
Picardie Jules Verne, France. ensembles culturels, se réclamant de cultures différentes
Muriel Bossuroy, Université Paris 13, France.
ou pouvant y être référés, nous appellerons intercultura-
Julien Teyssier, Université Toulouse Jean Jau-
rès, France. tion les processus par lesquels, dans les interactions qu’ils
Patrick Denoux (directeur de thèse), profes- développent, ils engagent implicitement ou explicitement
seur des universités, Université Toulouse Jean la différence culturelle qu’ils tendent à métaboliser »
Jaurès, France < patrick.denoux@univ-tlse2.fr>. (Denoux, 1994).
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44 bulletin de psychologie
Erikson (1968) définit l’identité comme la souvenirs autobiographiques en tant que résultat
synthèse des différentes identifications vécues de de la métabolisation simultanée de souvenirs
la naissance à l’âge adulte. Le sujet élabore ainsi épisodiques et de connaissances autobiographiques
un sentiment d’avoir une identité personnelle sur sémantiques liées au même événement.
la base de deux observations simultanées. Tout
d’abord, il s’agit d’une perception de l’unité de soi QUESTIONNEMENT ET HYPOTHÈSES :
et de la continuité de sa propre existence dans le MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE ET
temps et l’espace. Ensuite, il s’agit d’une percep-
EXPÉRIENCE INTERCULTURELLE
tion du fait que les autres reconnaissent cette unité
et cette continuité. L’identité permet au sujet une Plusieurs travaux, depuis la première théorisation
reconnaissance de soi par soi et de soi par l’autre. de Vygotski et son développement en collaboration
Marcia (1989) définit par la suite des statuts avec Luria, viennent attester du lien entre le dével-
d’identité selon la présence de deux processus, oppement cognitif et l’environnement culturel dans
l’exploration et l’engagement identitaire, permet- lequel le sujet aura évolué. Mais qu’en est-il lorsque
tant de distinguer quatra statuts d’identité : réal- le sujet est au contact de cultures multiples ? Le
isée (exploration et engagement identitaire dével- contact de cultures étant à l’origine d’un remani-
oppés) ; moratoire (exploration sans possibilité ement identitaire et la mémoire autobiographique
d’engagement identitaire) ; prescrite (engagement étant à la base du sentiment d’identité, nous pensons
identitaire sans possibilité d’exploration) ; diffuse que l’expérience interculturelle peut être source
(exploration et engagement identitaire non dével- de spécificités dans la construction mémorielle
oppés). Luyckx, Schwartz, Goossens, Beyers et autobiographique.
Missotten (2011) précisent ce modèle en scindant Notre recherche propose ainsi d’investiguer les
respectivement les processus d’exploration et caractéristiques de la mémoire autobiographique
d’engagement en exploration de surface et explo- en situation interculturelle et a pris place sur deux
ration en profondeur, et en mise en œuvre de terrains, la France et Singapour. Sans s’inscrire
l’engagement et identification avec l’engagement. dans une démarche dichotomique pour autant, nous
Les auteurs ajoutent l’exploration ruminative reflé- pouvons parler d’un modèle culturel universal-
tant le fait, pour le sujet, de repenser continuelle- iste pour la France et d’un modèle culturel plural-
ment ses choix identitaires sans pouvoir prendre un iste pour Singapour, en tant que « deux grandes
engagement. modalités de réponses apportées aux questions
Pour la mémoire autobiographique, selon Conway migratoires : celle qui s’inscrit dans le contexte des
(2005), elle est à la base du sentiment d’identité et sociétés pluralistes où l’origine des individus est
de continuité dans le temps, et elle est composée de rendue visible dans l’espace public et peut servir,
souvenirs personnels sélectionnés selon leur degré soit de registre de mobilisation pour les groupes,
de pertinence avec l’expérience du sujet. Il décrit la soit de critère d’identification pour les concepteurs
relation entre la mémoire autobiographique et le self de l’action publique ; celle qui s’inscrit dans le
au sein du Self Memory System (SMS) selon deux contexte des sociétés universalistes où l’origine des
principes. Le principe de correspondance permet individus appartient à la sphère privée et ne peut ni
l’encodage des événements selon la réalité des faits, servir de registre d’identification pour la puissance
tandis que le principe de cohérence maintient une publique, ni être mobilisée par les groupes pour
représentation cohérente du sentiment d’identité. s’organiser » (Escafré-Dublet, 2015).
Ainsi, les souvenirs autobiographiques ne seront Notre question de recherche est la suivante : la
pas toujours dans une correspondance exacte avec singularité du souvenir autobiographique du sujet en
les faits et pourront subir certaines transformations situation interculturelle (mémoire autobiographique
pour conserver une cohérence de l’image que le sujet interculturelle) est-elle déterminée par la corréla-
se fait de lui-même. Le Self Memory System (SMS) tion entre les caractéristiques de la mémoire autobi-
est composé de trois instances : le self à long terme,
ographique (cognition) et les caractéristiques d’un
la mémoire épisodique et le self exécutif. Le self à
contact de cultures (interculturation) ?
long terme est constitué de connaissances person-
nelles générales à l’origine des attitudes, valeurs Pour le processus d’interculturation, nous le
et croyances du sujet. La mémoire épisodique est considérons aux trois niveaux : intrapsychique
composée de représentations d’événements spéci- (métabolisations issues du contact de cultures au
fiques. Ces souvenirs épisodiques impliquent une niveau individuel), intersubjectif (au niveau d’un
reviviscence de l’expérience vécue (Piolino, 2008) même groupe culturel) et intergroupal (au niveau de
et sont composés de données contextuelles relatives groupes culturels différents). Nous proposons égale-
à une expérience passée unique et de courte durée ment de caractériser la temporalité de l’expérience
(de quelques minutes à 24 h). Enfin, le self exécutif interculturelle entre une interculturation précoce
permet l’élaboration, dans l’instant présent, des (avant l’âge de 6 ans) et une interculturation tardive
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bulletin de psychologie 45
après l’âge de 6 ans (Oulahal, Denoux, 2018). L’âge à travers le questionnement identitaire, pourront
de 6 ans est appliqué au contact culturel en écho être corrélés à certaines caractéristiques quant
aux recherches sur le bilinguisme, qui distinguent au contenu, à la structure et à la valence de leurs
ainsi le bilinguisme précoce du bilinguisme tardif et souvenirs définissant le soi, et aux fonctions de leur
identifient une variabilité quant au développement mémoire autobiographique.
des processus cognitifs qu’ils engendrent (Kail,
2016 ; Singleton, 2003). MÉTHODOLOGIE
Nous formulons trois hypothèses générales. Les Notre recherche s’appuie sur une méthodologie
deux premières sont proposées dans une perspective mixte en tant que combinaison « des éléments
culturelle comparative (Cross-Cultural Psychology) de méthodes qualitatives et quantitatives pour
entre les participants français et singapouriens. répondre à l’ampleur et à la profondeur des besoins
de compréhension et de corroboration de l’étude »
Hypothèse générale 1 : Singapour étant un envi- (Johnson, Onwuegbuzie, Turner, 2007, p. 123). La
ronnement pluriculturel institutionnalisé, la répar- figure 1 permet d’identifier la progression de notre
tition entre les types d’interculturation (précoce, recherche, des méthodes et des données utilisées.
tardive, aucune) sera différente entre les partici-
pants singapouriens et les participants français. Dès les premiers résultats de notre analyse
exploratoire avec l’étude de biais culturels dans
Hypothèse générale 2 : la culture étant à la base l’évaluation cognitive (Oulahal, Denoux, Teyssier,
de spécificités de la mémoire autobiographique, les Maillet, 2018), nous constatons que les dimensions
participants français et singapouriens présenteront culturelles restent à établir afin de nous permettre
des caractéristiques différentes quant au contenu, à de procéder à une analyse détaillée du souvenir
la structure et à la valence de leurs souvenirs définis- autobiographique en situation interculturelle. Nous
sant le soi, et quant aux fonctions de la mémoire poursuivons donc notre méthodologie avec trois
autobiographique. analyses qualitatives explorant la question des
La troisième hypothèse générale est proposée troubles de la mémoire chez une dame âgée syri-
dans une perspective du contact de cultures (Culture enne réfugiée en France (Oulahal, Denoux, Teys-
Contact Psychology) afin d’analyser le processus sier 2018), des difficultés interculturelles d’un
d’interculturation de manière transversale à nos adolescent singapourien et, enfin, de la question
deux terrains de recherche. de la transmission mémorielle chez des descen-
dants d’Algériens de Nouvelle-Calédonie (Oulahal,
Hypothèse générale 3 : les individus ayant vécu Guerraoui, Denoux, 2018). Ces analyses nous
une interculturation auront développé des stratégies permettent d’identifier des dimensions culturelles
identitaires afin de pallier le déséquilibre et le ques- remarquables pour l’analyse de la mémoire auto-
tionnement identitaires provoqués par l’expérience biographique. Nous entreprenons, ensuite, deux
du contact de cultures. Le type d’interculturation analyses phénoménologiques inductives de la
et le questionnement identitaire vécu dans le mémoire autobiographique en situation intercul-
cadre du contact de cultures feront trace dans la turelle basées sur la théorie ancrée (Paillé, Mucchi-
mémoire autobiographique de ces individus. Le elli, 2003/2016). Cette phase est réalisée à travers
type d’interculturation et de stratégie identitaire, l’analyse de sept récits de vie permettant d’évaluer
ANALYSE
QUALITATIVE 1
ANALYSE ANALYSE ANALYSE ANALYSE ANALYSE

ANALYSE EXPLORATOIRE QUALITATIVE 2 PHÉNOMÉNOLOGIQUE 1 PHÉNOMÉNOLOGIQUE 2 QUANTITATIVE
ANALYSE
QUALITATIVE 3
ÉVALUATION ÉTUDES DE RÉCITS RÉCITS SOUVENIRS

DONNÉES COGNITIVE CAS DE VIE DE VIE AUTOBIOGRAPHIQUES
Figure 1. La méthodologie de notre recherche.
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les émergences possibles du contact de cultures Notre démarche se termine avec une analyse
dans le récit de vie et la mémoire autobiographique. quantitative basée sur un questionnaire explorant le
Ces récits de vie, des entretiens de type non-directif, contact de cultures et le souvenir autobiographique,
sont enregistrés avec l’accord des participants puis proposé en ligne sur nos deux terrains. Notre échan-
retranscrits. Ainsi, cinq premiers entretiens sont tillon se compose de 246 participants (144 en France
réalisés auprès de sujets âgés en situation intercul- et 102 à Singapour).
turelle. Pour cette première série d’entretiens, nous
réalisons une analyse lexicographique des cooccur- RÉSULTATS et discussion
rences lexicales de ce corpus d’entretiens avec le
Les résultats de notre analyse phénoménologique
logiciel Alceste (Analyse du lexique cooccurrent
indiquent un lien entre une expérience de vie inter-
établi par segmentation(s) du texte étudié). Notre culturelle et une modalité de restitution d’une
seconde analyse, phénoménologique, est quant à histoire de vie. Une interculturation précoce semble
elle réalisée sur la base de deux récits de vie obtenus à l’origine d’une construction mémorielle autobi-
auprès de sujets adultes. Nous procédons cette fois ographique orientée vers une dimension spatiale et
à une analyse thématique des séquences de souve- relationnelle du sujet. À l’inverse, une intercultura-
nirs de ces deux entretiens que nous identifions en tion tardive orienterait la construction mémorielle
utilisant la méthode de Singer et Bonalume (2010), autobiographique vers une dimension temporelle et
le Coding System for Autobiographical Memory des réalisations du sujet.
Narratives in Psychotherapy (CS-AMNP). Il s’agit
d’un système formel de codage des formes narra- Notre analyse quantitative a permis de corroborer
tives autobiographiques que les auteurs ont proposé en partie les résultats de nos analyses qualitative et
pour un usage dans le cadre psychothérapeutique et phénoménologique. L’analyse des souvenirs auto-
que nous employons dans notre recherche. biographiques, proposés par nos participants, n’a
pas permis de distinguer leurs orientations tempo-
Notre méthodologie nous conduit à mettre en relle et spatiale selon la précocité de l’expérience
place une triangulation (Denzin, 1978) des données interculturelle. Il apparaît, toutefois, qu’une rela-
recueillies et analysées, tant qualitatives que quan- tion existerait entre le vécu d’une interculturation
titatives, de même que de la méthodologie. Nous précoce et une mémoire autobiographique orientée
mettons en œuvre, également, une démarche induc- vers une dimension relationnelle. Cependant, cette
tive et déductive dans une perspective exploratoire différence n’apparaît significative que lorsque
séquentielle – Exploratory Sequential Design – l’âge de 12 ans est utilisé pour distinguer les types
(Creswell, Plano Clark, 2017). Les résultats de notre d’interculturation précoce et tardive (au lieu de 6
analyse phénoménologique inductive des récits de ans comme envisagé initialement). Cette orienta-
vie nous permettent, en effet, d’aller dans le sens de tion relationnelle de la mémoire autobiographique
nos hypothèses générales et, dans un second temps, viendrait figurer une orientation relationnelle de
de définir les hypothèses opérationnelles de notre la construction identitaire en elle-même, pour les
recherche ainsi que les variables à partir desquelles sujets ayant vécu une interculturation précoce. La
l’analyse quantitative s’établira. figure 2 synthétise les résultats de notre recherche.
SOU V E N I R S AU T OB I OGR APH I Q U E S SU R U N E D I M E N SI ON R E L AT I ON N E L L E

SE L F À L ON G-T E R M E
D E L A M É M OI R E
I N T E R C U L T U R AT I ON PR E C O C E (AVAN T 12 AN S) AU T O B I OGR APH I QU E
PR É C OC E versus T AR D I F
C O N T E X T E D U C ON T AC T D E C U L T U R E S
ON T OL O GI SAN T versus PR AGM AT I SAN T
E X PL OR AT I ON R U M I N AT I V E
SE L F É X É C U T I F D E
L A MÉ MOI R E
ST R AT É GI E I D E N T I T AI R E B ASÉ E M É M OI R E AU T OB I OGR APH I Q U E
AU T O B I OGR APH I QU E
SU R U N E L O GI QU E N ON B ASÉ E SU R U N PR I N C I PE D E
R AT I ON N E L L E C OH É R E N C E AV E C L E SE L F
Figure 2. Synthèse des résultats de notre recherche.
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bulletin de psychologie 47
Figure 3. Les expériences interculturelles.
Ainsi, le contexte de contact de cultures dans tous les âges. Autrement dit, les environnements
lequel le sujet aura évolué dans son enfance peut proches (famille, amis) sont apparus autant intercul-
orienter les souvenirs autobiographiques vers une turels en France qu’à Singapour. L’interculturation
dimension relationnelle et nous pensons donc au niveau intergroupale (IG - contact entre groupes
qu’il est pertinent de considérer la temporalité du culturels différents) est différenciante entre les
processus d’interculturation, entre une intercul- participants français et singapouriens jusqu’à l’âge
turation précoce avant 12 ans ou tardive. Nous de 18 ans. Les participants singapouriens ont en
pensons que c’est à travers le self à long terme que effet été plus nombreux que les participants fran-
l’interculturation précoce oriente la construction çais à indiquer avoir vécu, jusqu’à 18 ans, dans
mémorielle autobiographique vers une dimension un environnement général composé de divers
relationnelle. groupes culturels. Pour autant, à partir de 18 ans,
nos résultats n’ont plus montré de différence entre
Nos résultats indiquent, également, le rôle majeur
les participants français et singapouriens au niveau
du processus identitaire d’exploration rumina-
intergroupal. En France et à Singapour, la percep-
tive en situation interculturelle. Une exploration
tion d’une vie au sein d’une pluralité de groupes
ruminative importante orienterait le sujet vers
culturels apparaît donc similaire à partir de 18 ans.
l’établissement d’une logique non rationnelle de
L’interculturation au niveau intrapsychique (IP) n’a
la cohérence identitaire. Le conflit engendré par le
présenté une différence entre les participants fran-
contact de cultures ne peut être dépassé selon un
çais et singapouriens qu’à partir de 12 ans et cette
raisonnement intégrable pour le sujet et restituable
différence est restée significative à tous les âges.
à son environnement. Nous pensons qu’une explo-
Ainsi, dès l’âge de 12 ans, l’intégration au niveau
ration identitaire ruminative oriente, à travers le self
intrapsychique de la pluralité culturelle distingue
exécutif, les processus de création et de restitution
les participants français et singapouriens.
mémorielle vers un principe de cohérence avec le
self, reflétant ainsi le questionnement et l’équilibre Notre recherche nous parait indiquer que la
identitaire instable et fragile du sujet. seule présence d’une pluralité culturelle dans
l’environnement proche (niveau intersubjectif)
Un autre résultat concerne le contexte du contact
n’est pas suffisante à l’intégration individuelle
de cultures, que nous avons analysé en comparant
de la pluralité culturelle (niveau intrapsychique).
les environnements français et singapourien. Peu
Nos résultats semblent, en effet, mettre en avant
de différences ont été identifiées entre les souve-
le rôle de l’environnement général (niveau inter-
nirs autobiographiques des participants français et
groupal) en tant que catalyseur, entre 6 et 12 ans,
singapouriens. Des différences significatives ont
du processus d’interculturation au niveau intrapsy-
toutefois été identifiées dans les expériences inter-
chique. Nous proposons le concept de zone proxi-
culturelles de nos participants comme indiqué dans
male de développement interculturel (ZPDI) en
la figure 3.
écho aux travaux de Vygotski. L’expérience d’une
Ainsi, les participants français et singapouriens interculturation au niveau intergroupal permettrait
ont indiqué avoir vécu une interculturation au niveau une plus grande intégration de l’interculturation au
intersubjectif (IS) dans les mêmes proportions et à niveau intrapsychique. Enfin, à l’instar des statuts
BULLETIN_571.indb 47 14/01/21 21:15:03

d’identité (Marcia, 1989) et des processus iden- Introduction to Sociological Methods, New York, McGraw-
titaires (Luyckx, Schwartz, Goossens, Beyers et Hill, 1978.
Missotten, 2011), nous caractérisons des processus Erikson (Erik H.).– Adolescence et crise : la quête de
d’exploration et d’engagement interculturel, de l’identité, Paris, Flammarion,1968.
même que d’exploration interculturelle rumi- Escafré-Dublet (Angéline).– Immigration et intégra-
native. Nous proposons un nouveau modèle de tion à l’épreuve de la comparaison : retour sur trois projets
statuts d’interculturation (interculturation diffuse, européens de recherche, Espaces et sociétés, n°163, 4, 2015,
réalisée, prescrite et moratoire). Nos études de cas p. 73-88.
permettent d’en vérifier l’intérêt et l’applicabilité Johnson (R. Burke), Onwuegbuzie (Anthony J.), Turner
pour la recherche en psychologie interculturelle. (Lisa A.).– Toward a Definition of Mixed Methods Research,
Journal of Mixed Methods Research, 1, 2, 2007, p. 112-133.
Kail (Michèle).– La plasticité : une clé pour les apprent-
CONCLUSION
issages langagiers tout au long de la vie, Administration et
Les différents mouvements de notre recherche, éducation, n°152, 4, 2016, p. 41-48.
qualitatifs et quantitatifs, successifs et complémen- Licata (Laurent), Heine (Audrey).– Introduction à la psychol-
taires, nous permettent d’approcher la compréhen- ogie interculturelle, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2012.
sion du processus de construction mémorielle Luyckx (Koen), Schwartz (Seth J.), Goossens (Luc),
autobiographique dans son interaction avec le Beyers (Wim), Missotten (Lies C.).– Processes of Personal
processus d’interculturation. Le rôle significatif de Identity Formation and Evaluation, dans Schwartz (S.
la dimension relationnelle, dans la mémoire auto- J.), Luyckx (K.), Vignoles (V. L.), Handbook of Identity
biographique des sujets ayant vécu une intercul- Theory and Research, New York, Springer New York, 2011,
turation précoce, n’est pas sans rappeler la mise en p. 77-98
relation de la pluralité des cultures par le sujet en Marcia (James E.).– Identity and intervention, Journal of
situation interculturelle. Notre recherche doctorale
Adolescence, 12, 4, 1989, p. 401-410.
nous permet de considérer les selfs conceptuel et
Oulahal (Rachid), Denoux (Patrick).– Intercultura-
exécutif de la mémoire autobiographique et leur
tion précoce, interculturation tardive : la mémoire autobi-
relation avec le type d’interculturation, à savoir
ographique dans une histoire de vie interculturelle, L’Autre,
précoce ou tardive, et les réaménagements identi-
19, 3, 2018, p. 340-343.
taires dans les contextes de contact de cultures. La
Oulahal (Rachid), Denoux (Patrick), Teyssier (Julien).–
dimension relationnelle pourrait ainsi apparaître
Place de la mémoire et de la langue dans l’histoire de vie des
comme un élément central de la mémoire auto-
personnes âgées en situation interculturelle, NPG Neurologie
biographique interculturelle. Notre démarche de
- Psychiatrie - Gériatrie, 18, n°103, 2018, p. 13-17.
recherche en psychologie interculturelle s’est elle-
Oulahal (Rachid), Denoux (Patrick), Teyssier (Julien),
même construite selon une dimension relationnelle
Maillet (Didier).– Le couteau, la pomme et le mouton…
avec la mise en perspective de diverses méthodes et
Entre neuropsychologie et psychologie interculturelle,
propositions de recherche.
quelle perspective pour l’évaluation cognitive de la mémoire
épisodique des sujets âgés non francophones ?, NPG Neurol-
RÉfÉrences ogie - Psychiatrie - Gériatrie, 18, n°105, 2018, p.162-169.
Berry (John W.).– Immigration, acculturation, and adap- Oulahal (Rachid), Guerraoui (Zohra), Denoux (Patrick).–
tation, Applied Psychology: An International Review, 46, 1, Entre mémoire collective et émergence diasporique, le cas
1997, p. 5-34. des descendants d’Algériens en Nouvelle-Calédonie, Journal
Camilleri (Carmel).– Stratégies identitaires, Paris, Presses de la société des océanistes, n°147, 2, 2018, p. 373-382.
universitaires de France,1990. Paillé (Pierre), Mucchielli (Alex).– L’analyse qualitative
Clanet (Claude).– L’interculturel. Introduction aux en sciences humaines et sociales (Paris, Armand Colin, 4e
approches interculturelles en éducation et en sciences éd., 2016 (1ère éd. 2003).
humaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1990. Piolino (Pascale).– À la recherche du self : théorie et
Conway (Martin).– Memory and the self, Journal of pratique de la mémoire autobiographique dans la maladie
Memory and Language, 53, 4, 2005, p. 594‑628. d’Alzheimer, L’Encéphale, 34, S2, 2008, p. 77-88.
Creswell (John W.), Plano Clark (Vicki L.).– Designing Singer (Jefferson A.), Bonalume (Laura).– Autobiograph-
and Conducting Mixed Methods Research, Los Angeles, ical memory narratives in psychotherapy: A coding system
Sage, 3e éd., 2017. applied to the case of Cynthia, Pragmatic Case Studies in
Dasen (Pierre R.), Perregaux (Christiane).– Pourquoi Psychotherapy, 6, 2010, p. 134-188.
des approches interculturelles en sciences de l’éducation ?, Singleton (David).– Le facteur de l’âge dans l’acquisition
Bruxelles, De Boeck Université, 2002. d’une L2, AILE - Acquisition et Interaction en Langue
Denoux (Patrick).– Pour une nouvelle définition de étrangère, 18, 2003, p. 4-15.
l’interculturation, dans Blomart (J.), Krewer (B.), Perspec-
tives de l’interculturel, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 67-81. p Lien internet permettant d’accéder à la thèse :
Denzin (Norma K.).– The Research Act: A Theoretical sur demande à < rachid.oulahal@univ-reunion.fr >
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Interculturation, développement et cognition : la mémoire

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ANALYSE ANALYSE ANALYSE ANALYSE ANALYSE

ÉVALUATION ÉTUDES DE RÉCITS RÉCITS SOUVENIRS

Figure 1. La méthodologie de notre recherche.

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SOU V E N I R S AU T OB I OGR APH I Q U E S SU R U N E D I M E N SI ON R E L AT I ON N E L L E

Figure 2. Synthèse des résultats de notre recherche.

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Figure 3. Les expériences interculturelles.

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